SENGHOR ENTRE QUATRE MURS
VISITE DE LA MAISON DE SENGHOR DEVENUE UN MUSEE

C’est en 1978 que Léopold Sédar Senghor construisait, sur la corniche de Dakar, la demeure où lui et sa famille ont vécu de façon intermittente entre 1981 et 2001, séjournant l’autre partie de l’année en Normandie. La maison est devenue un musée que l’on inaugurait en plein Sommet de la Francophonie, le 30 novembre 2014. Une propriété d’une superficie de 7849 m². Dans le langage populaire, on l’appelle « Les Dents de la mer ? », comme le film. La maison de Senghor a été rachetée par l’Etat du Sénégal. Et comme toutes les vieilles bâtisses, il aura fallu lui donner un coup d’éclat. C’est à l’entreprise Eiffage que l’on doit tous ces travaux de réfection, à la demande du chef de l’Etat Macky Sall. Suivez-nous pour la visite…
Nous avons eu la permission de mettre les pieds chez Léopold Sédar Senghor. Oui…vous avez bien lu. Evidemment, vous vous en doutez bien, en son absence. Le premier président de la République du Sénégal n’est plus de ce monde, mais son âme se cache dans chaque recoin d’une demeure qu’il n’a pas abandonnée, même s’il est parti, laissant les clés à un homme en qui il avait confiance. Vous le rencontrerez forcément lorsqu’il vous ouvrira la porte, comme à nous hier mercredi 21 janvier 2015, nous autorisant à accéder aux lieux. Plutôt grand et mince, le teint noir avec quelques cheveux gris, Barthélémy Sarr est un gendarme à la retraite qui fréquenta Senghor et sa famille dès 1973. Si vous avez du mal à retenir son nom, Senghor l’appelait aussi son « cousin de Fadiouth ». La maison n’appartient plus vraiment à Senghor puisqu’elle a été rachetée par l’Etat du Sénégal qui a décidé d’en faire le Musée Léopold Sédar Senghor. Nommée au mois de février 2014, Mariama Ndoye Mbengue, muséologue formée au Louvre en est le Conservateur.
La visite des lieux commence à l’extérieur où l’on nous montre plusieurs photos qui donnent une idée de tout le travail qu’il a fallu faire pour que le bâtiment soit à la fois présentable et accueillant. Six mois en tout, entre les mois de mai et de novembre 2014. Le maître d’œuvre, c’est l’entreprise Eiffage, représentée par son ingénieure chargée de projets, Léna Keïta Diop. Elle raconte qu’au départ, il était tout juste question de refaire l’étanchéité, parce qu’il y avait des « infiltrations d’eau ». Elle et son équipe découvrent ensuite, en entrant dans la maison, que les plafonds se dégradent et qu’il y a des fissures un peu partout, et ils s’en occupent. Les espaces verts sont refaits « comme du temps de Colette Senghor », la veuve de l’ancien chef de l’Etat. En se basant sur des plans du bâtiment ou sur d’anciennes photos conservées par Barthélémy Sarr.
Rencontres officielles
Poursuivons, à l’intérieur cette fois. Commençons par la salle de réunion où Senghor recevait ses hôtes officiels, une pièce qui servait aussi de salle à manger, pour les grandes occasions dira-t-on. Comme on pourrait s’y attendre, des œuvres d’art tiennent aussi compagnie aux invités. Une tapisserie de la Manufacture de Thiès a trouvé refuge sur un pan du mur, et idem pour ce surprenant tableau fait d’ailes de papillon, qui vient d’Afrique centrale. Parce que dans ce musée les œuvres viennent d’un peu partout : du Sénégal bien sûr comme cette sculpture de Tamsir Momar Guèye, mais certaines d’entre elles viennent entre autres du Mali ou du Nigéria. Certains objets, parce qu’il s’agit d’une collection personnelle, n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Mais il arrive qu’un visiteur plus ou moins anonyme sache conter leur histoire. Comme cette porcelaine dont l’un d’entre eux dira qu’elle venait de Normandie, comme Colette Senghor.
Quand on quitte la pièce, en allant vers le salon blanc (il y en a de plusieurs couleurs), on passe devant un plan d’eau qui a été réfectionné lui aussi, mais dit-on, il est encore moins beau que l’original où il y avait des nénuphars et des poissons.
Les fils Senghor
Le rose du deuxième salon est un peu délavé, mais la photo du benjamin des fils Senghor lui donne quelques couleurs. Mort accidentellement en 1981, Philippe Maguilen Senghor avait 23 ans Ce n’est pas la seule image de lui que vous verrez. On en retrouve un peu partout dans la maison, y compris dans les bureaux de Senghor. Le pluriel est de rigueur : Senghor en avait deux ; un premier plus officiel, un second plus personnel et un peu moins bien rangé que l’autre, mais avec des photos de ses deux fils aînés. Francis et Guy, nés de son premier mariage avec Ginette, la fille de Félix Eboué.
Vous vous demandez sans doute-c ‘est une question légitime-où se trouvent les livres. Il y en a…évidemment. Dans les deux bureaux du président, comme sur cette étagère installée juste à l’entrée. Senghor, c’est bien connu, lisait beaucoup et on a tenu à laisser ses bouquins dans l’ordre où lui-même les avait laissés. Comme le reste de la maison d’ailleurs. Des ouvrages sur la poésie, la politique, des textes en latin ; des écrits de Lénine, Ronsard, Shakespeare, Hemingway etc. Et l’académicien qu’il était n’avait pas l’audace de se détacher de ses nombreux dictionnaires.
Dans le salon d’un « vert-feuille » éclatant, les fauteuils ont été remis à neuf, les housses refaites sur autorisation du chef de l’Etat Macky Sall, lors d’une visite au musée. Ce que cette pièce a de particulier, raconte Barthélémy Sarr, c’est son côté privé. Senghor y prenait tous ses repas en famille chaque fois que c’était possible. Son thé aussi, entre sa sieste et ses audiences de l’après-midi. Le soir, après le dîner, il regardait un peu la télé avant de monter se coucher. Un peu spartiate sur les bords, la chambre que Senghor s’était choisie n’avait pas le vert fleuri de celle de son épouse.
Forêt domestique
On trouve aussi quelques chambres d’amis comme on dit, qui sentent un peu le renfermé. Dans celle dite des glycines, que la veuve de Senghor a choisi d’appeler comme cela à cause de son papier peint fleuri, le vieux berceau de Philippe lui a survécu. La chambre aux rayures, elle, doit son nom à ses rideaux. Le statut de la troisième chambre d’hôtes est assez particulier, puisqu’elle devait surtout accueillir la mère ou la sœur de Colette Senghor.
Mais allons marcher dehors sur le gazon qui mène à la piscine où Senghor lui-même aimait faire quelques longueurs. Barthélémy Sarr tient à préciser que le président-poète s’en servait effectivement. On raconte aussi qu’avant les travaux de réfection, le jardin, tout comme la piscine d’ailleurs, n’avaient pas aussi belle allure. Pour décrire l’état des lieux à ce moment-là, Léna Keïta Diop parle d’une « véritable forêt ». Pour remettre à neuf cette bâtisse de 8.000 m², il aura fallu que l’entreprise Eiffage débourse 300 millions de F.CFA, mais chut ! Là-bas on refuse de parler d’argent, on se contente « d’accompagner l’Etat ».
Nous, c’est avec vous que nous avons mis les pieds dans la maison où Senghor a vécu avec sa famille, entre 1981 et 2001. Mais c’est ici que s’achève la visite. A aucun moment nous n’avons eu le sentiment de regarder par le trou de la serrure. Sans doute parce que le « côté-musée » de la demeure lui donne une dimension moins intime. Ce que disent les murs, c’est que Senghor était un être humain, pas seulement un homme de lettres ou un homme d’Etat. De lui, Barthélémy Sarr dit que c’était un « homme exceptionnel qui savait faire preuve d’humilité, de simplicité ». Lorsqu’il devait recevoir quelqu’un, il se tenait debout, toujours prêt à l’accueillir. Et tous les matins, il donnait du mil et de l’eau aux oiseaux qui lui faisaient l’honneur de faire un tour dans son jardin.
Infos pratiques
Y être allés ne fait pas pourtant pas de nous des privilégiés. Tout le monde a le droit d’y entrer, mais il faut tout de même mettre la main à la poche. 2000 F.CFA pour les adultes, 1000F pour les corps habillés et pour les étudiants qui devront se munir d’un papier qui prouve leur bonne foi. Pour les enfants de moins de 10 ans, il faut compter 500F. Pour l’instant, le musée est ouvert tous les jours sauf le dimanche. Le matin, de 10H à 12H ; l’après-midi entre 15H et 17H.