UN PHÉNOMÈNE ENDÉMIQUE PIRE QU’ÉBOLA !
RECRUDESCENCE DES VIOLS AU SÉNÉGAL

Des jeunes enfants ou femmes qui se sentent en danger permanent, des personnes souvent désagréables avec leur entourage et capables du pire ont, pour la plupart, été victimes de viol. Certaines ont le courage de dénoncer, d’autres se taisent. Au Sénégal, au moins 3 600 cas de viols ont été décelés en une année.
Le viol, un sujet qui suscite un intérêt général, continue à éberluer plus d’un dans notre pays. Une étude récente a décelé 3 600 cas de viols en un an au Sénégal. Une preuve tangible, pour les auteurs de l’étude, de la progression d’un phénomène endémique.
"Les cas passés sous silence dépassent ces estimations", confie la psychosociologue Mme Ndèye Ndiaya Ndoye. La raison "plusieurs cas sont réglés à l’amiable. Sous l’influence d’une forte pression, des victimes, encouragées par leur famille, continuent à étouffer l’affaire pour une question d’honneur et de réputation. On fait miroiter à d’autres un projet de mariage qui n’aboutit jamais", explique-t-elle.
Pour d’autres, il faut considérer qu’au moins 2 femmes sur 10, dans notre pays, sont victimes d’agressions sexuelles. "Elles ne brisent le silence que dans un cadre très restreint où elles se sentent en sécurité. D’habitude, elles se culpabilisent pensant que c’est de leur faute si elles ont été violées", confie une militante des droits de la femme.
Le comité de lutte contre les violences faites aux femmes (Clvf), une organisation qui regroupe des Ong de femmes, a répertorié, sur le territoire national, 384 cas de viols, avec 806 femmes victimes d’agressions en 2014. Ces trois dernières années, ce sont plus de 2862 cas de violences qui ont été soumis au Clvf aussi bien à Dakar que dans les autres régions.
Dans un rapport d’Onu femmes en date d’avril 2012, il est mentionné que le nombre de cas de violences faites aux femmes enregistrés dans les tribunaux des 8 régions de l’étude a plus que doublé en l’espace de 5 ans, passant de 157 cas, en 2006, à 371 cas, en 2010 ; d’une année à l’autre, on a une augmentation du nombre, le seul infléchissement étant celui entre 2007 et 2008.
Témoignage d’un informateur d’un commissariat de police repris dans le rapport : "Avant, il était très rare qu’on soit saisi d’un cas de viol ou d’inceste ; si un cas d’inceste arrivait, on en parlait pendant des années. Au poste de police, tu pouvais rester une année et n’avoir qu’un ou deux cas de viol. Mais, maintenant, on peut avoir jusqu’à 4 ou 5 cas, voire plus, de viol, d’inceste ou de pédophilie par mois."
A Dakar, des statistiques recueillies au tribunal hors-classe font état, au cours de ces cinq dernières années, d’une évolution croissante des cas de viols : on est passé de 12 cas, en 2006, à 22 cas, en 2007, pour arriver à 178 cas, en 2010. On retrouve la même tendance, en ce qui concerne les coups et blessures volontaires, à en croire toujours le rapport d’Onu femmes.
Pour Zeynab Kane, Docteur en droit et adjointe de la vice-présidente chargée des programmes de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), "c’est très dommage pour le pays quand même, si on prend en compte les autres cas qui ne sont pas révélés".
Des séquelles psychologiques
En se confinant dans le mutisme, la plupart des victimes s’enlisent dans une phase dépressive. Le viol, une expérience déstabilisante, engendre souvent, selon des spécialistes, "des flash-back et des cauchemars envahissants qui hantent la victime, par l’évitement des situations pouvant rappeler à la victime l’événement traumatisant, et par une hyper vigilance".
La femme victime de viol a souvent tendance à percevoir le monde autrement, ses rapports avec les autres peuvent également en pâtir, si elle ne dispose pas d’une prise en charge médicale adéquate. La raison : "avoir été gravement agressé dans son intimité, c'est très violent. L'humeur peut changer du tout au tout", explique un psychologue.
Pour d’autres, "on peut voir la vie en noir, penser à la mort et même laisser venir des idées suicidaires, ou aller jusqu’à se suicider par profonde déprime". Ou encore, la victime change de partenaires sexuels selon ses humeurs. Elle multiplie les expériences sexuelles, allant parfois même jusqu'à la prostitution. Ça peut paraître étrange, mais le but est d'essayer d'effacer le viol en le recouvrant d'expériences multiples. Il peut aussi s'agir de chercher à prendre le contrôle de sa sexualité sur l'autre, de devenir chasseur plutôt que victime. Cette manière de réagir rend souvent extrêmement malheureux et mal dans sa peau.
Quelles solutions efficientes pour lutter contre ce phénomène ?
Malgré de nombreuses mesures de représailles, le viol a la peau dure au Sénégal. "La recrudescence de viols me fait penser aux solutions ou réponses apportées à ce phénomène. Quelles sont leurs efficiences ou leurs efficacités ? Je pense qu’il faut évaluer tout cela et prendre au sérieux ce problème avec une dimension holistique", tient à préciser le docteur en droit, adjointe de la vice-présidente chargée des programmes de l’Association des juristes sénégalaises, Zeynab Kane.
Des actions intentées par des mouvements de femmes n’ont pas fait reculer le phénomène. Pour Mme Ndèye Ndiaya Ndoye, par ailleurs responsable de l’Ong Sos équilibre, il faudra une forte contribution des parents pour s’attaquer aux racines du mal.
Tout serait question d’approche. "Les parents doivent apprendre à leurs enfants à être jaloux de leur corps et surtout de ne permettre à personne, si proche soit elle, de toucher à leurs parties intimes", juge la psychosociologue. Comme d’autres, elle pense que, face à une époque changeante, le sexe ne doit plus être un sujet tabou dans les familles. Il faudra lever le voile pour armer les enfants.
"Il est judicieux de mettre l’accent sur la communication. Que les parents parlent à leurs enfants, les préviennent des dangers d’une vie sexuelle débridée, mais aussi leur donne le courage de dénoncer ceux qui les menacent. Il faudrait aussi que tout un chacun redouble de vigilance. Car les filles aussi bien que les garçons sont très exposés", conseille Mme Ndoye.
Le docteur en droit Zeynab Kane ajoute, dans cette optique, qu’il est impérieux de corriger "le manque d’éducation sexuelle de même que la pudeur qui entoure les questions de sexe dans notre pays."
LES RÉVÉLATIONS D’ONU FEMMES
Dakar, Thiès, Kaolack, terreaux fertiles !
"Étude situationnelle sur les violences basées sur le genre dans les régions de Dakar, Diourbel, Fatick, Kaffrine, Kaolack, Louga, Saint-Louis, Thiès." C’est le thème d’un rapport de l’Onu femmes en date d’avril 2012. D’emblée, le rapport déplore que malgré les dispositions réglementaires et législatives, "il y a plusieurs indications suggérant une recrudescence des cas de violence sexuelle, d’agressions physiques, de maltraitance pouvant prendre des formes extrêmes conduisant à la mort ou à des conséquences particulièrement graves".
Une enquête menée dans 8 régions du Sénégal sur la base de collecte d’informations dans les services de police et de gendarmerie, de justice (représentés ici par les tribunaux) et de santé.
Dans son rapport, Onu femmes précise que Dakar, Thiès et Kaolack, les régions les plus peuplées, enregistrent le plus grand nombre de cas de violences faites aux femmes au moment où des régions comme Fatick et Kaffrine enregistrent des chiffres moins élevés. Mais une constance dans l’étude, des structures de police et de gendarmerie dans les différentes régions, ont montré que le viol (la moitié des cas) constitue, de loin, le type de violence faite aux femmes le plus fréquemment enregistré".
Selon le rapport "dans les hôpitaux de notre échantillon, le viol constitue le tiers des cas enregistrés de violences faites aux femmes. Ce chiffre peut être sous-estimé, dans la mesure où les agents de santé, pour ne pas avoir à être mêlés au traitement juridique des cas de viol, auraient, selon les entretiens qualitatifs, tendance à plus utiliser l’expression "lésions vaginales."
Même scénario "dans les tribunaux, où le viol constitue le cas de violence faite aux femmes le plus fréquemment enregistré. La proportion est de 50% dans les structures de police et de gendarmerie contre 35% dans les tribunaux.
Dans l’univers des pères et voisins violeurs
"Montagne". Dans ce quartier populeux de Dakar, la précarité et la promiscuité se dégagent de mille lieux. L’image la plus frappante sur ces lieux est le nombre impressionnant d’enfants qui jouent dehors. Des filles et garçons, de 2 ans à 7 ans qui peuvent sillonner le quartier, jusque tard, sans aucune surveillance.
Le regard famélique, la plupart de ces bambins, exposés à toutes sortes d’agressions, s’amusent, souvent sans la petite culotte, et sont initiés dans la rue à toutes sortes de jeux. Dans ce quartier, les gesticulations et déhanchements de certains enfants qui imitent, en toute candeur, des danses obscènes diffusées sur certaines chaînes de télévision, impressionnent.
Des enfants qui ont fini de prendre plaisir aux jeux d’adultes. Marième Gaye (nom d’emprunt) ressent du mépris pour sa fille de 5 ans. Et pour cause : "Je me suis rendu compte qu’elle aimait trop les garçons et qu’elle aimait s’amuser avec son sexe. Cela me brisait le cœur. De petites enquêtes m’ont permis de découvrir qu’un voisin, d’une quarantaine d’années, l’entraînait dans son lit quand j’allais travailler. Une sage-femme a confirmé qu’on a eu à abuser d’elle sexuellement."
En dépit d’une souffrance atroce, elle ne pense aucunement dénoncer ce voisin dont l’épouse est très respectée dans le quartier. Un témoignage plus poignant est venu d’une femme qui habite dans le même secteur. Elle a découvert que son époux, âgé de 60 ans, la trompait avec leur fille de 3 ans. Choquée, elle n’ose pas pour autant divorcer pour "l’honneur et la réputation".
Un cas effarant, comme tant d’autres, que la psychosociologue Mme Ndèye Ndiaya Ndoye a eu à enregistrer dans certaines localités. Le cas plus récent a été noté à Pikine Guinaw Rail. "Nous avons été obligées de séparer une fillette de ses parents, parce que son père abusait sexuellement d’elle tous les soirs." Elle cite aussi l’exemple d’un bébé de 18 mois qui a été victime d’attouchements sexuels.
Dire que, selon des spécialistes, "un parent a généralement un instinct de protection pour son enfant". Mais pour la juriste, Zeynab Kane, "il nous faut trouver l’équilibre pour mieux protéger les enfants de la pédophilie et les femmes du viol afin d’asseoir une société plus stable.