LE CALVAIRE DES ENSEIGNANTS DE L'UCAD
Précarité, manque de bureaux et d'équipements

L'université est un espace de formation et de recherche par excellence. Mais pour beaucoup d'universitaires, cet espace est loin de remplir son rôle à cause d'un manque d'équipements et de matériels adéquats. A l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, les chercheurs déplorent leurs conditions de travail et d'existence. ils décrient par ailleurs les difficultés pour mener leurs recherches et la surcharge de travail.
L’université Cheikh Anta Diop s'éveille dans la brume matinale qui enveloppe Dakar, en ce matin de mi-février. Devant le grand bâtiment blanc de la Faculté de Lettres et Sciences humaines (Flsh), des groupes d'étudiants discutent. A l'étage, les professeurs et les étudiants se croisent dans les couloirs. Au détour d'un bureau, au département d'histoire, Idrissa Ba, est installé dans son bureau qu'il partage avec plusieurs autres collègues. Le vieux mobilier et les matériels didactiques ont du mal à tenir dans cette pièce au décor sobre. "Nous sommes en moyenne 3 ou 4 collègues à occuper le même bureau. Le mobilier date de l'époque coloniale", soufflet-il à notre arrivée.
La conversation entamée, l'historien est décidé à tordre le cou à une idée qui présente les enseignants comme des privilégiés évoluant dans un environnement optimal. "Le chercheur de l'Ucad apparait de l'extérieur, comme un privilégié, mais dans la réalité, ce n'est pas le cas. Les collègues qui occupent des bureaux sont des privilégiés. Beaucoup d'enseignants ne disposent pas de bureaux et ils sont obligés de recourir à des cabines à la Bibliothèque universitaire (Bu) qu'ils partagent avec les doctorants. Ils sont aussi obligés de travailler à la maison ou dans leur voiture", confie notre interlocuteur.
Criant son ras-le-bol, il poursuit : "nous sommes tellement sollicités par les étudiants, que nous avons du mal à nous consacrer aux tâches académiques : formation, enseignement et recherche". Selon le secrétaire général de la section Lettres-Ebad-Cesti du Saes, des efforts ont été faits avec la réfection d'anciens bâtiments, la construction de nouveaux édifices, de bureaux et d'équipements (bureautique, laboratoire et informatique).
L'équation de la retraite
"Les enseignants sont en proie à de nombreuses frustrations, d'autant plus qu'ils sont les plus diplômés de ce pays. Nous passons tout notre temps à étudier et à nous remettre en cause, mais il y a des fonctionnaires moins diplômés qui gagnent plus que nous. L'enseignant du supérieur travaille 12 mois sur 12. Si on se conforme aux textes, nous avons droit à un mois de congé annuel chaque année. Mais si on applique cela, l'institution aura de sérieux problèmes", alerte l'enseignant qui s'émeut de l'avenir de beaucoup de ses collègues.
"Les salaires ont connu une majoration grâce aux indemnités et aux primes. Le salaire de base est ridicule. La conséquence, c'est qu'on se retrouve avec une retraite modeste de 150.000 Fcfa par mois. Nous avons des collègues qui ont enseigné pendant 40 ans et finissent avec une pension de retraite qui ne dépasse pas 250.000 Fcfa. Cette situation entraîne des drames, comme ce fut le cas avec feu Pr Oumar Sankharé et le défunt Bassirou Dieng de Lettres modernes. Beaucoup de collègues sont aussi victimes du burn out (ndlr : s'épuiser à force de travailler). Nous travaillons plus qu'il ne faut. Nous perdons beaucoup de collègues à l'approche de la retraite, à cause du stress lié à cette échéance", affirme-t-il.
De son côté, Abdoulaye Samb, professeur de physiologie à la Faculté de médecine et d'odontologie de l'Ucad, pointe du doigt les difficultés de la retraite. "Le problème urgent pour nous est la retraite. L'enseignant du supérieur peut aller à la retraite avec 400.000 Fcfa par mois. C'est calculé sur le salaire de base. Il faut trouver un moyen de régler cela. On est en train de négocier pour partir avec 70 voire 80% du salaire et non 30 % du salaire", renseigne-t-il.
Les retards de salaires récurrents à la fin du mois
Dans son cri du coeur, l'historien estime que la quête effrénée de ressources a de graves conséquences sur l'état de santé des universitaires.
"Si on se démultiplie, on risque d'accélérer le burn-out. La liste de nos collègues gravement malades est impressionnante. Nos conditions de travail sont déplorables. Un salaire sert à nourrir une dizaine de membres de famille et de proches. Il nous arrive de recevoir nos salaires le 13 ou le 15 du mois alors que nous avons des engagements à la banque et des factures à payer à la fin du mois. Nous sommes des fonctionnaires et il appartient à l'État de nous mettre dans des conditions de travail idoines. A l'université, nous gérons 100.000 étudiants", dit l'enseignant chercheur en histoire qui déplore la surcharge de travail à l'Ucad.
"Un professeur d'université est appelé à dispenser 5 heures de cours par semaine. Pour 2 heures de cours dans un amphithéâtre, il faut 4 heures pour les préparer. Nous sommes submergés par le nombre d'étudiants. Nous avons certaines filières qui ne sont pas pourvues à cause du manque de professeurs. La reforme Lmd doit être accompagnée d'une démultiplication des enseignements", indique Idrissa Ba.
Néanmoins, il pense que la création de 210 postes démontre les efforts faits par l'État qui veut améliorer l'existant dans la diversification des filières".
Des enseignants squattent les bureaux de leurs collègues
Maître de conférences titulaire à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg), Ibrahima Dally Diouf déplore également les conditions de travail dans sa faculté. "Nous travaillons dans conditions très précaires dans la mesure où il n'y a pas assez de locaux. Dans les labos, on manque d'équipements et de matériels. Nous disposons seulement de 15 salles de Travaux dirigés (Td), ce qui fait que nous sommes obligés de nous rabattre sur l'école primaire de Fann, le lycée Delafosse ou l'école Manguiers pour faire cours les après-midi. On ne dispose que de deux amphithéâtres de 1.000 places et de moins d'une dizaine de bureaux", déclare-t-il.
A l'en croire, "les enseignants sont obligés de chercher des bureaux dans les instituts comme l'Iface et le Crea. Des collègues partagent leurs bureaux et donnent rendez-vous à leurs élèves à la salle des professeurs ou dans les salles informatiques. Il est prévu un programme de 5 milliards Fcfa pour construire une annexe de la Faseg. Mais jusqu'à présent, on ne sait pas ce qu'il en est réellement".
S'agissant des conditions d'existence des enseignants, le coordonnateur du Saes de Dakar s'insurge contre le niveau de rémunération. "Ce serait trop dire que nous ne parvenons pas à joindre les deux bouts. Nous avons une capacité à anticiper sur les dépenses. Néanmoins, nos salaires sont très en deçà de ce que perçoivent nos collègues de la sous-région. Il faut comprendre que l'enseignant avance par la recherche. Par conséquent, la participation à des séminaires et à des conférences est primordiale pour nos carrières", argue Ibrahima Dally Diouf qui demande aux autorités de mettre en place un dispositif, pour renforcer la formation et l'encadrement à l'Ucad.
"Les conditions de travail difficiles ne nous donnent pas suffisamment de temps pour faire des recherches. Lorsqu'on a des séminaires, il faut parfois sortir de sa poche pour y aller. J'ai participé à une conférence en 2016 à Montréal au Canada. J'ai du m'acquitter des frais de participation avec mes propres moyens. L'université ne m'offre que le billet Paris-Dakar et le reste du trajet, je dois le payer de ma propre poche. J'économise de l'argent pour financer mes voyages d'études. Pire, l'encadrement pour les mémoires, nous prend beaucoup de temps et il n'est pas rémunéré", soutient- il.
Abdoulaye Samb, professeur de physiologie à la faculté de Médecine et d'Odontologie de l'Ucad, relativise les difficultés. "L'État donne un million Fcfa et un billet d'avion à chaque enseignant tous les deux ans. Nous travaillons dans des commissions ad hoc pour étudier cette question. C'est vrai qu'il n'y a pas assez d'argent pour gérer tous les séminaires, mais le rectorat peut venir en appoint et l'université peut rembourser certaines charges liées aux voyages d'études. Or, il y a des collègues qui ne veulent pas dire où ils vont réellement. On peut travailler avec des labos qui prennent en charge les déplacements", renseigne le médecin.
L'appât du gain plombe la recherche académique et scientifique pour les universitaires
"L'indemnité de logement est fixée à 200.000 Fcfa pour les assistants et à 300.000 Fcfa pour les professeurs. Pourtant, d'après les textes, si on occupe un logement de fonction, selon la loi, quand il s'agit d'un appartement de l'État, on doit défalquer 90.000 Fcfa et 100.000 Fcfa pour une villa. Mais l'enseignant cède toute son indemnité pour se loger. Si j'offrais cette somme à une société immobilière au bout de 5 ans, j'aurais ma maison", explique-t-il avant d'ajouter qu'il est obligé de me faire violence pour enseigner à l'Ucad.
"Quand on est maître-assistant assimilé, on perçoit 750.000 Fcfa et maître de conférences assimilé 800.000 FCFA, mais les charges augmentent. On peut gagner 800.000 Fcfa pendant 10 ans et voir sa carrière stagner. La recherche demande énormément de sacrifices. Je ne devais pas être dans une situation de me serrer la ceinture pour pouvoir avancer".
A l'en croire, la crise universitaire a eu de graves conséquences sur le rythme de travail des enseignants. "On est obligé de faire des cours en Master et en même temps d'organiser les examens pour les étudiants en Licence. Alors qu'en fin juillet, on doit aller en vacances, nous sommes obligés de partir avec les copies pour la correction. Dans notre faculté, il y a 72 enseignants-chercheurs recrutés et 250 vacataires", précise-t-il.
Ibrahima Daly Diouf, maître de conférences à la Faseg revient sur les conséquences de la réforme des titres.
"Désormais, si on est recruté en tant qu'Assistant, on doit faire une année de stage. On devient Maître de conférences assimilé (ndlr : équivalent du maître-assistant dans l'ancienne formule) lorsqu'on est proposé à la nomination par le rectorat. Pour devenir Maître de conférences titulaire, on doit s'inscrire sur la liste d'aptitude aux fonctions de Maître-assistant au Centre africain et malgache pour l'enseignement supérieur (Cames). Pour s'inscrire, il faut 3 articles, plus la thèse. Si on réussit au Cames, on devient Maître de conférences titulaire. Pour le passage de Maître de conférences titulaire à celui de Professeur assimilé, il faut retourner au Cames. En Médecine, Droit et Science économiques, il faut aller au concours d'Agrégation et le Conseil technique spécialisé (Cts) pour la Flsh. Le Professeur de classe exceptionnelle passe par une nomination. Le Professeur assimilé gagne près de 1 million Fcfa et le Professeurs titulaire près de 1,5 million", renseigne-t-il.
L'insuffisance de la dotation de 'État pour la fac de médecine et le manque d’équipements
Abdoulaye Samb, professeur de physiologie à la faculté de Médecine et d'Odontologie de l'Ucad, relativise par ailleurs l'état de précarité des enseignants. "En matière d'argent, on n'a jamais assez. Nous ne sommes pas mal lotis, en tant qu'enseignant-chercheur, il faut seulement gérer avec intelligence ses revenus pour être à l'abri du besoin", dit-il avant d'informer sur les modalités de financement des facultés à l'Ucad.
"Sur un budget de près d'un milliard, l'État donne 140 millions. La faculté fonctionne en grande partie avec ses fonds propres provenant des formations diplômantes payantes. Nous n'avons pas de problèmes de calendrier. On commence le 31 octobre 2017 et on termine le 31 juillet 2017", explique-t-il.
Leurs problèmes, dit-il, sont d'ordre logistique. "Parfois, nous avons un problème d'équipements dans nos laboratoires et le matériel est archaïque. Le nombre de bureaux n'a pas suivi l'augmentation du nombre d'enseignants. Nous devions recevoir nos nouveaux bâtiments depuis 2009, mais jusqu'à présent, ils n'ont pas été réceptionnés. Des efforts sont faits dans le Cdp avec la Banque mondiale, mais beaucoup de choses restent à faire", soutient-il.
Dans la reforme de la gouvernance des universités, le professeur Abdoulaye Samb annonce de nouvelles mesures. "Les mouvements des enseignants seront étudiés dans le futur. Quand un professeur va dans une structure, il faut que l'université qui est son employeur soit au courant", déclare-t-il.
Précarité du statut du vacataire à l'UCAD
Les vacataires sont les vraies chevilles ouvrières de l'université Cheikh Anta Diop. Ils sont des centaines d'enseignants chargés des Travaux dirigés (Td) dans les différentes facultés. La plupart du temps, ce sont des docteurs ou des étudiants en année de thèse dans certaines facultés. Ils peuvent être des chargés de cours et travaillent souvent dans des conditions difficiles. Ils ont le statut de prestataire de services et sont payés 5000 Fcfa l'heure. Ils sont rémunérés après services rendus à la fin de chaque semestre sur la base du nombre d'heures effectuées par le vacataire.
Le corps des vacataires à l'université a été crée suite au décret N° 81-1212 du 9 décembre 1981 fixant les conditions de nomination d'emploi, de rémunération et d'avancement des personnels enseignants non titulaires. Dans le même décret, l'article 2 énumère la liste des catégories de personnels (Enseignants associés, les chargés d'enseignement, les attachés, les lecteurs et les moniteurs).
Selon nos informations, les vacataires sont souvent confrontés à des retards dans leurs rétributions. Ils ne disposent pas de bureau pour mener à bien leurs recherches. Les vacataires épousent tous l'espoir d'un recrutement dans les différentes universités publiques au Sénégal. Une attente qui peut durer plusieurs années pour bon nombre d'entre eux.