LE PARI DE PAPE ALÉ NIANG
« La RTS était un média de propagande des régimes en place », affirme sans détour le patron du média audiovisuel de service public. Depuis sa nomination, l'ancien détenu politique s'emploie à déconstruire six décennies de formatage médiatique

(SenePlus) - Nommé à la tête de la Radiodiffusion Télévision Sénégalaise (RTS) en mai 2024, Pape Alé Niang, journaliste emprisonné sous l'ancien régime, s'attelle à transformer un média longtemps considéré comme porte-voix du pouvoir en place en un véritable service public ouvert au pluralisme politique.
Le nouveau patron de l'organe audiovisuel du service public ne cache pas l'ampleur du défi qui l'attend, assumant pleinement sa mission : instaurer un véritable pluralisme politique dans le traitement de l'information. Une rupture nécessaire avec les pratiques antérieures puisque, comme il le souligne lui-même dans un entretien accordé au Réseau international des journalistes (Ijnet.org), « la RTS était un média de propagande des régimes en place et de leur Président » depuis l'indépendance du pays en 1960.
Les premiers signes de cette transformation sont déjà visibles. Le magazine "Pluriel", absent des écrans depuis douze ans, a fait son grand retour, rapporte Ijnet.org. Cette émission, comme son nom l'indique, offre un espace de débat où s'expriment tant les représentants du pouvoir que ceux de l'opposition et de la société civile. Dans la même veine, l'émission "Saytou" (qui signifie "décryptage" en wolof) propose chaque vendredi soir des discussions à micro ouvert sur des questions de société.
Cette nouvelle approche éditoriale se manifeste également par l'invitation régulière de personnalités de l'opposition, longtemps tenues à l'écart des antennes publiques. Selon les informations du Réseau international des journalistes, lors des réunions de rédaction, le directeur rappelle constamment à ses équipes les deux principes fondamentaux qui doivent guider leur travail : liberté et responsabilité. Une confiance totale est accordée aux journalistes de tous âges qui composent la rédaction.
À l'heure où la désinformation se propage à vitesse grand V sur les réseaux sociaux, Pape Alé Niang entend « bouger les lignes de l'information », comme le rapporte Ijnet.org. Il cite en exemple la couverture des élections législatives du 17 novembre 2024, un moment fort de la vie démocratique sénégalaise. Pour cet événement majeur, la RTS a déployé des équipes complètes (comprenant chauffeur, cadreur, journaliste et preneur de son) auprès de chacun des 41 partis en lice.
L'ambition du nouveau directeur dépasse les frontières nationales. D'après le Réseau international des journalistes, la RTS étend désormais son influence dans la sous-région. En mai 2024, une délégation s'est rendue en Gambie pour couvrir le 15ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Organisation de la coopération islamique (OCI). Un soutien matériel a également été apporté aux équipes de Guinée-Bissau pour optimiser leur couverture médiatique. « Notre expérience sert la CEDEAO par cette solidarité agissante qui est une obligation pour la RTS », affirme Pape Alé Niang, cité par Ijnet.org.
La détermination du nouveau directeur général puise sa source dans son expérience personnelle douloureuse. Fin 2022, sous le régime de l'ancien président Macky Sall, il a connu l'emprisonnement à la Maison d'arrêt et de correction de Sébikhotane à Rufisque. Des épreuves qui ont laissé des traces : après plusieurs grèves de la faim, il confie à Ijnet.org ressentir encore des séquelles physiques.
Il évoque avec émotion la visite de soutien du regretté Christophe Deloire, de Reporters sans frontières, durant cette période sombre. Même derrière les barreaux, le journaliste n'avait qu'une idée en tête : faire bouger les lignes au nom de la justice. « Nous avons vécu au Sénégal une folie, une barbarie de 2021 à 2024 en termes d'emprisonnements, de manifestants tués. À cette époque, on ne circulait pas librement dans les rues de Dakar, des chars militaires étaient partout présents, on vivait avec une pesanteur psychologique... », témoigne-t-il.
Présente dans les 14 régions du Sénégal et diffusant à travers 17 chaînes radiophoniques, la RTS prend aujourd'hui des « couleurs nouvelles » sous la direction de Pape Alé Niang, selon Ijnet.org. Ses ambitions sont à la hauteur des défis : faire de la RTS une chaîne médiatique d'envergure continentale, orientée vers la jeunesse et plaçant celle-ci au cœur de la production de l'information.
L'objectif ultime reste de servir la maturité démocratique d'un peuple sénégalais assoiffé d'information publique de qualité. Et ce, sans complexe vis-à-vis des médias occidentaux dont la couverture des réalités africaines demeure souvent limitée et biaisée, rapporte le Réseau international des journalistes.
La transformation de la RTS sous l'impulsion de Pape Alé Niang illustre ainsi la volonté de renouveau démocratique qui souffle sur le Sénégal, pays longtemps considéré comme un modèle de stabilité en Afrique de l'Ouest, mais qui a connu ces dernières années des tensions politiques importantes. Le pari est audacieux, mais comme le souligne Ijnet.org, le nouveau directeur général semble déterminé à le relever.