SANTÉ MENTALE, FRUSTRATIONS SOCIALES ET ILLUSION DU DIVERTISSEMENT AU SÉNÉGAL
Au Sénégal, il y a des douleurs qui ne crient pas. Elles traversent les rues, les maisons, les bureaux, les dortoirs universitaires et les marchés, habitent les corps sans trouver les mots pour se dire. C’est la souffrance mentale...

Au Sénégal, il y a des douleurs qui ne crient pas. Elles traversent les rues, les maisons, les bureaux, les dortoirs universitaires et les marchés, habitent les corps sans trouver les mots pour se dire. C’est la souffrance mentale, celle qui s’installe lentement, nourrie par les échecs répétés, le manque d’opportunités, l’absence d’écoute, le sentiment d’inutilité. Celle qu’on cache sous des rires, des statuts drôles, des vidéos virales et des buzz.
Frustrés mais connectés, blessés mais distraits, les Sénégalais vivent aujourd’hui dans une forme de déséquilibre affectif, psychologique et social. La déception face à l’école, à la politique, à la famille ou à soi-même produit un vide intérieur que beaucoup essaient de combler… par le divertissement.
Ainsi, le phénomène Cheikhou Chérifou — cet "enfant prophète" qui avait déchaîné les foules au début des années 2000 —, les confessions de Fatel Sow, les buzz de Diaba Sora, les lives mystiques de Kounkandé, les scènes surréalistes de Mollah Morgan, les vidéos virales de Fallou, l’exubérance de Nabou Dash, ou encore la moquerie cruelle dont fut victime la jeune femme ayant mal prononcé "Auchan", sont devenus des révélateurs. Ils offrent une émotion brute, une illusion de contrôle ou de proximité, un exutoire passager… alors qu’en réalité, ils détournent l’attention du vrai problème : une douleur collective non prise en charge.
Cet engouement pour l’insolite, le sensationnel ou le spectaculaire n’est pas nouveau. Il fait écho à l’hystérie collective suscitée jadis par la lutte avec frappe, et à l’admiration quasi religieuse portée à des figures comme Modou Lô ou Balla Gaye 2. Aujourd’hui encore, cet élan de fascination se projette sur des figures politiques comme Ousmane Sonko, porté par une jeunesse en rupture avec les élites religieuses et politiques traditionnelles. Là où les confréries offraient jadis un refuge, les nouvelles générations cherchent aujourd’hui d’autres formes de protection et de reconnaissance.
La victoire à la CAN en 2022, par exemple, a offert un puissant exutoire. Elle a momentanément anesthésié un peuple épuisé. Ce moment d’ivresse patriotique a même été instrumentalisé pour faire oublier la crise politique, la répression du front social, et l’arrestation de leaders de l’opposition. Mais une médaille ne soigne pas les maux profonds d’une nation.
Ce besoin de refuge, cette quête de sens et de valorisation sociale dans un monde où tout semble s’effondrer, est le symptôme d’une disharmonie sociale profonde. Il y a un désalignement entre les attentes des individus, les normes collectives et les institutions. Ce déséquilibre fragilise le tissu social et affecte la santé mentale des citoyens, qui n’ont ni les outils, ni les repères pour faire face.
Face à ce constat, il devient urgent de repenser notre environnement social. Il nous faut réorganiser la société pour en faire un cadre épanouissant, humain, bienveillant. Cela passe par la création d’espaces d’écoute et de parole, par une réduction de la pression sociale dans les interactions quotidiennes, et par la promotion d’un mode de vie plus sain et plus équilibré.
Voici quelques pistes concrètes pour contribuer à une meilleure santé mentale individuelle et collective :
Le sport régulier, pour l’équilibre physique et émotionnel
La spiritualité, comme ancrage et source de sens
La lecture, pour nourrir l’esprit et l’imaginaire
Une bonne hygiène de vie (sommeil, alimentation, repos)
L’usage modéré et fonctionnel des réseaux sociaux, pour éviter la surcharge émotionnelle
La valorisation de la parole thérapeutique, même informelle (amis, groupes de soutien, etc.)
Des politiques publiques de santé mentale, accessibles et visibles
Une éducation émotionnelle, dès le plus jeune âge.
Ce n’est qu’en remettant l’humain au centre que nous pourrons panser les blessures silencieuses qui rongent notre société. Il ne s’agit pas simplement de traiter les symptômes, mais de reconstruire une société où chacun a le droit de vivre dignement, d’exister pleinement, et d’être écouté sincèrement.