MABOUBA A HUE, SERIGNE GUEYE À DIA
La séance des Questions au gouvernement, hier à l’Assemblée nationale, a été une bonne occasion pour se rendre compte que jusqu’à présent, le gouvernement de Premier ministre Sonko ne donne pas d’indications claires sur ses objectifs de développement

La séance des Questions au gouvernement, hier à l’Assemblée nationale, a été une bonne occasion pour se rendre compte que jusqu’à présent, plus d’un an après sa formation, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Sonko ne donne pas d’indications claires sur ses objectifs de développement. Il suffisait d’entendre le ministre de l’Agriculture débiter la liste des efforts que son département est en train de fournir pour assurer la sécurité et «la souveraineté alimentaire du pays» pour s’en rendre compte. Comme tous ses collègues et son Premier ministre, M. Diagne a rappelé, comme il l’avait déjà fait sur le plateau de la télévision nationale, que «le Sénégal importe 1070 milliards de denrées alimentaires». Même si ces chiffres sont contestés, il en est le seul responsable. M. Diagne les décline par produits pour affirmer que pour le riz, le Sénégal importe 1, 4 million de tonnes, 860 mille tonnes de blé, 450 mille tonnes de maïs, 347 mille tonnes de fruits et légumes, 200 mille tonnes d’huile, 210 mille tonnes de sucre et plus de 100 millions d’euros de lait.
Ces propos montrent à quel point la sécurité alimentaire est, à ce jour, toujours sous hypothèque. Les efforts entamés lors des coups de rappel des crises du Covid-19 en 2020-21, et de la guerre entre la Russie et l’Ukraine qui lui a succédé, qui ont mis fortement en évidence la dépendance du Sénégal au marché extérieur pour se nourrir, n’ont pas encore produit de résultat. Il faut néanmoins louer les efforts du ministre de l’Agriculture, de la souveraineté alimentaire et de l’élevage pour casser les goulots d’étranglement qui ont longtemps bloqué le développement de certains secteurs de son département.
Il a ainsi cité, hier, le paiement d’une grande partie de la dette due aux opérateurs, l’augmentation du budget de l’agriculture de 25% et la fourniture des engrais et des semences à temps. Entre autres efforts.
Si l’on peut, sans ironie aucune, constater que «l’hivernage de Macky Sall» n’a pas vraiment récompensé leurs efforts lors de la campagne agricole écoulée, on doit reconnaître à Mabouba d’être persévérant dans l’effort. Son plus grand adversaire, dans la réalisation de ses ambitions, partage la table du Conseil des ministres.
En effet, autant Mabouba Diagne donne le sentiment de vouloir remporter la bataille de l’autosuffisance alimentaire dans ce pays, autant son collègue, le ministre chargé du Commerce, Serigne Guèye Diop, semble avoir reçu pour consigne de transformer le Sénégal en immense souk. Sa ligne politique semble être de vouloir réduire les prix des denrées alimentaires, quoi qu’il puisse en coûter. Son dernier exploit a été de s’allier avec des négociants pour importer du riz de qualité inférieure, que le ménage sénégalais moyen n’aime pas consommer, pour pouvoir claironner à grand renfort de publicité médiatique, que le gouvernement a réussi à baisser le prix du riz.
On peut bien se demander à qui aura servi ce coup de pub, si l’on sait, comme dit plus haut, que le riz ordinaire importé dans l’espoir de faire baisser les prix n’est pas celui préféré par les familles sénégalaises, qui ne vont donc pas prendre d’assaut les échoppes pour s’approvisionner. Or, ce déchet de riz, que les esprits chagrins qualifient d’aliment de volaille, est entré sur le marché national en toute exonération de droits de douanes et de Tva. Et l’on a entendu le commerçant qui a servi de chef de file des importateurs qui ont amené ce produit, promettre aux Sénégalais de nouvelles baisses sur des produits comme l’huile, le sucre, ou d’autres encore.
Juste pour rappel, ce commerçant est poursuivi pour des questions de détournements d’engrais. Il a dû payer une forte caution pour ne pas se retrouver derrière les barreaux, comme d’autres qui ont été interpellés pour des motifs bien moins graves. En plus de cela, l’individu a été longtemps soupçonné de collusion avec des dignitaires du régime précédent pour des questions relatives à des manœuvres frauduleuses sur les produits alimentaires. Ce passif n’a pas empêché le ministre du Commerce de faire du «business» avec lui.
Il a tout simplement négligé le fait que la levée des taxes sur les produits alimentaires importés a un impact certain sur la production nationale qui, elle, ne bénéficie pas de tant de faveurs. Même si le riz ordinaire importé n’est pas celui prisé par les ménages, on peut croire que la conjoncture difficile que connaît le pays pourrait pousser les Sénégalais les moins nantis à s’en contenter, au détriment de la production locale.
De même, quand Mabouba Diagne déclare que le Sénégal importe 210 mille tonnes de sucre par an, cela se fait au détriment de la production nationale. En ce moment, la Compagnie sucrière sénégalaise, la seule entreprise sénégalaise qui produit du sucre, a 80 000 tonnes de sucre stockées dans ses entrepôts, depuis la dernière campagne agricole. Cela représente environ la moitié de sa production. Si le Sénégal est déficitaire en sucre et qu’il ne parvient pas à vendre son produit, c’est parce que le ministre du Commerce et ses services distribuent des Déclarations d’importation de produits alimentaires (Dipa), en veux-tu en voilà, à des commerçants qui vont s’en servir pour inonder le marché au détriment du producteur national. L’ironie de l’histoire est que ces importations, malgré toutes les faveurs qui leur sont faites, ne bénéficient pas au consommateur sénégalais, qui paie toujours son sucre au prix fort. Et tout cela, le ministre le sait, qui connaît également la situation difficile des huiliers, auxquels la hausse de production déclarée sur l’arachide n’a pas bénéficié, parce que sur le marché, c’est toujours l’huile végétale qui règne en maître, et qui s’achète au prix fort.
Sans doute pour limiter les dérives de ses décisions, le ministre Serigne Guèye Diop a sorti de son chapeau, la trouvaille des «Volontaires de la consommation», à savoir 1000 jeunes gens, payés au lance-pierre, pour contrôler les prix des denrées dans les boutiques. Depuis l’annonce de cette décision à ce jour, les ménagères sénégalaises n’ont pas encore vu les boutiquiers des quartiers afficher des prix à la baisse pour les produits de consommation courante.
En plus de tous les efforts financiers que le gouvernement déclare avoir déployés pour non seulement combattre les pénuries, mais surtout lutter contre les hausses intempestives des produits alimentaires, on pourrait suggérer au Premier ministre, qui semble s’être pris de passion pour les vertus du dialogue, d’organiser un dialogue entre ses deux ministres Mabouba Diagne et Serigne Guèye Diop. Il est important que ces deux se comprennent pour qu’enfin, les efforts des paysans pour nourrir les Sénégalais puissent se remarquer d’abord dans les étals des marchés, ensuite dans les paniers des ménagères. Sans cela, le discours de ces deux se résumera à un dialogue de sourds.