AVANTAGES ET LIMITES D’UNE PROCEDURE SENEGALAISE
On s’achemine vers l’ouverture d’une information judiciaire au Sénégal, plutôt qu’en Grande Bretagne, dans l’affaire Petro-Tim. Une sommité du droit aborde avec EnQuête ces questions, notamment la litispendance et les risques qui planent sur Aliou Sall

Aliou Sall peut-il risquer le syndrome Gadio ou Lamine Diack ? Pour le moment, la réponse est non. En effet, jusque-là, malgré les déclarations d’intentions, aucune partie n’a encore daigné saisir la justice britannique connue pour sa rigueur. On dirait que les parties en sont un peu frileuses.
En 2016, Franck Timis l’avait annoncé, avant de se raviser. Finalement, il s’était rabattu sur les juridictions sénégalaises qui, depuis lors, n’ont pas posé d’actes significatifs. Plus de deux ans après, Macky Sall, touché par le reportage de la Bbc, annonce l’ouverture d’une information judiciaire. Certains se demandent, dès lors, s’il s’agit d’une réelle volonté de faire éclore la vérité ou tout simplement d’étouffer l’affaire.
En attendant la réponse des magistrats, des spécialistes se prononcent sur la pertinence d’une telle démarche. Ce professeur de droit privé, qui a préféré garder l’anonymat, salue la décision : “C’est une bonne chose. Je pense que le gouvernement veut montrer par-là qu’il compte jouer la carte de la transparence. Et il a intérêt à ce que la justice fasse la lumière dans cette affaire. Encore faudrait-il qu’on laisse aux magistrats la latitude de pouvoir entendre toutes les personnes impliquées dans cette affaire, en toute indépendance.’’
L’autre question que l’on peut valablement se poser, c’est par rapport à l’efficacité d’une plainte au Sénégal contre la Bbc. En tout cas, quelle que soit la juridiction saisie, prévient notre interlocuteur, il aura besoin de l’exequatur pour être applicable dans un autre pays. “Nous sommes dans un cas de figure où la décision qui va être prise devra fort probablement être appliquée à l’étranger. Ce qui ne manquera pas de poser la question de l’exequatur. Et la juridiction qui sera saisie pour l’exéquatur va connaitre indirectement de l’affaire’’.
Pour lui, rien ne s’oppose à ce que les deux juridictions connaissent de l’affaire, dès lors que chaque pays a des intérêts dans cette affaire. A moins qu’il y ait des conventions bilatérales qui les en empêchent. A ceux qui se demandent si Aliou Sall encourt le syndrome Lamine Diack ou Cheikh Tidiane Gadio, il rétorque : “Je ne suis pas au courant d’informations judiciaires ouvertes en Grande-Bretagne contre Aliou Sall. Au cas où ce serait fait, ces juridictions vont juger de l’opportunité ou non de lancer un mandat d’arrêt international. Pour le moment, la question ne se pose pas sous cet aspect, il me semble.’’
Le juriste rappelle que le droit sénégalais prévoit ce qu’on appelle le “privilège de juridiction’’ pour ses citoyens. Cela veut dire qu’à chaque fois qu’un Sénégalais est demandeur ou défendeur dans une affaire judiciaire, les juridictions sénégalaises se déclarent compétentes. Mais autant le Sénégal peut valablement se prononcer, autant les juridictions britanniques peuvent également justifier d’un intérêt qui leur permette de statuer, si elles sont saisies. “On parlerait, en pareil cas, de litispendance. C’est-à-dire que deux juridictions également compétentes sont saisies d’une même affaire’’. Par rapport aux menaces de certaines organisations de la société civile de saisir les tribunaux anglais, il explique : “Je ne connais pas trop le droit britannique, mais je pense qu’il doit être possible, pour des organisations sénégalaises, de se constituer partie civile. Des organisations comme Oxfam peuvent potentiellement le faire.’