SORTI DE SA "TORPEUR"
PROFIL – Ousmane Ngom s'éloigne encore plus d'Abdoulaye Wade pour Macky Sall

Macky Sall lui avait demandé de sortir de sa "torpeur". Ousmane Ngom ne s’est pas fait prier pour se signaler après une longue période de retrait de la scène politique.
Cohérence
Après avoir réussi avec Djibo Kâ, Macky Sall vient une nouvelle fois de frapper un grand coup aux dépens de l’opposition. Lors de l’inauguration du nouveau siège de la Sonatel, il avait invité le leader de l’URD, sans l’air d’y toucher, à rejoindre la majorité présidentielle. Celui-ci en rigola, mais s’exécutera quelques jours plus tard. Profitant d’une réunion de ses anciens compagnons de l’opposition, il annonça son changement de casaque.
Aujourd’hui c’est au tour d’Ousmane Ngom. Quelques semaines après le "sortez de votre torpeur, le Sénégal a besoin de vos compétences" du chef de l’État lancé à son endroit, l’ancien ministre de l’Intérieur de Wade vient de rendre son mandat de député, obtenu dans le cadre de la coalition Sopi dirigé par le PDS. Il a officialisé sa décision dans une correspondance laconique adressée au président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse. Il y dit : "Je viens très respectueusement vous informer, par la présente, de ma démission, à compter de ce jour, de l’Assemblée nationale en ma qualité de député non-inscrit pour raisons personnelles. Je vous prie de bien vouloir m’en donner acte et d’en informer l’Assemblée conformément aux usages."
Sur les ondes de la RFM, Ousmane Ngom s’est voulu plus explicite sur les raisons de son départ. Il invoque un souci de cohérence : "J’ai décidé de démissionner de mon poste de député parce que j’appartenais au courant libéral et puisque lors du référendum dernier, j’ai appelé à voter 'Oui' alors qu’au Pds on a voté 'Non', je ne pouvais plus rester député pour le compte du PDS."
Le contraire aurait surpris. Car non content d’avoir pris le contrepied de ses frères de parti à propos de la consultation de dimanche dernier, il a clamé haut et fort que les partisans du 'Non'- donc l’état-major du PDS compris-, en relation avec des organisations terroristes, fomentaient un coup d’État. Le parti de Wade aurait difficilement laissé passer une insinuation aussi grave de la part de quelqu’un qui occupait sous ses couleurs un siège de député bien qu’ayant pris ses distances depuis plus d'un an avec la formation libérale.
Coup dur
"J’ai choisi délibérément de ne plus participer aux activités du PDS, ni même aux réunions du Comité directeur et ceci, jusqu’à nouvel ordre, avait-il déclaré au mois de mars 2015. Toutefois, je garde aujourd’hui plus que jamais mon engagement politique et toute mon ambition pour mon pays, le Sénégal. Je n’ai aucun problème particulier avec le Président Abdoulaye Wade, mais on ne se voit plus régulièrement puisque j’ai décidé de prendre du recul."
En rendant son mandat de député, Ousmane Ngom creuse davantage le fossé avec le PDS. Mais en fin tacticien politique, champion dans l’art de brouiller les pistes, il maintient le suspense quant à la forme de son compagnonnage avec le chef de l'État. Sibyllin, il lance : "J’ai décidé ouvertement de soutenir le Président Macky Sall dans sa politique de faire fonctionner le Sénégal et viser l’émergence, mais je suis toujours libéral de souche et j’appartiens jusqu’à présent au Parti démocratique sénégalais."
Va-t-il rejoindre l’APR ou ressusciter le Parti libéral sénégalais (PLS), fondé en 1998 et fondu dans le PDS trois ans après l’accession de Wade au pouvoir en 2000 ? Ce qui est sûr, c’est que cette décision est un coup dur pour les libéraux. Même si Ousmane Ngom ne pèse pas lourd au niveau de sa base, à Saint-Louis, il reste un tribun remarquable et un As des manœuvres politiciens de haut vol. Il vaut mieux l'avoir avec que contre soi. Surtout que le PDS est confronté en ce moment à la fronde dirigée par Modou Diagne Fada et aux départs vers l’APR de certains responsables.
Et pour ne rien arranger, Mamour Cissé, qui devait remplacer Ousmane Ngom à l'Assemblée nationale, a décliné le poste. Une décision vue comme une manière pour le leader du PSD/Jant Bi de garder intactes ses chances de se rapprocher de Macky Sall.
Grogne
Au sein de la majorité présidentielle, ces mouvements ne sont pas bien vus par tout le monde. Au mois de janvier déjà, Barthélémy Dias fustigeait l’enrôlement de Djibo Kâ et les œillades de Macky Sall en direction d’Ousmane Ngom. Invité de "Face2Face", l’émission de la TFM, le député socialiste martelait : "S’il ne tenait qu’à ces deux-là, il ne serait jamais président du Sénégal. Et Ousmane Ngom a une responsabilité dans la mort de Mamadou Diop, tué lors des manifestations contre un troisième mandat de Wade."
Même au sein de l’APR, l’ancien ministre de l’Intérieur ne devrait pas bénéficier d’un meilleur traitement. Pion central dans la cabale contre Macky Sall au PDS, Ousmane Ngom n’avait pas baissé la garde à l’accession au pouvoir de ce dernier. Le traitant au même titre que son Premier ministre à l’époque, Abdoul Mbaye, de plus grand blanchisseur d’argent. C’était au mois de décembre 2012.
Quelques années plus tard, les temps ont changé. Le ton et la posture avec. Radicalement. Au grand dam de Cheikh Tidiane Sy, ancien ministre de la Justice, considéré avec Ngom comme les bras séculiers du régime de Wade alors aux abois. Dans un entretien avec le quotidien La Tribune, il dit : "S'il y a quelqu'un qui aurait dû rester, comme on dit, être le dernier avec Wade, ça aurait dû être Ousmane Ngom. Je n'en dis pas plus. Je suis meurtri de savoir qu'il est parti. Je suis meurtri. Et quand il lira ce que je dis, il saura décoder le message."
Qu’est-ce qui a poussé Ousmane Ngom à effectuer ce virage à 180° ? D’aucuns pointent l’épée de Damoclès, placée au-dessus de sa tête, que constitue la traque des biens mal acquis. Objet d’une enquête de patrimoine depuis 2012, son dossier est toujours en suspens. Ce, malgré la levée au mois de décembre 2015 de l’interdiction de sortie de territoire qui le frappait au même titre que Madické Niang et Samuel Sarr.
Absolution ?
En démissionnant de son poste de député du PDS et en se montrant de plus en plus commode avec le pouvoir, l’ancien ministre de l’Intérieur verra-t-il les poursuites annulées ? Birahim Seck, membre du Conseil d’administration du Forum civil, y voit plutôt une occasion de réactiver les dossiers le concernant. Dans une déclaration envoyée à la presse, il dit : "La démission de Me Ousmane Ngom de l'Assemblée nationale devient une aubaine. Au-delà du jeu politicien funèbre qui continue, il ne jouit plus de l'immunité parlementaire. L'occasion ne s'est-elle pas présentée pour la justice et/ou l'OFNAC de le mettre en examen sur le marché irrégulier des passeports numérisés d'un montant de 118 milliards qu'il a signé le 3 septembre 2007 ? Que dire aussi du deuxième 'premier Lingot d'or', entre autres dossiers. J'espère juste qu'on ne nous servira pas la formule Dilma-Lula (l’ancien Président brésilien nommé ministre pile au moment où la justice déclenche contre lui des poursuites, Ndlr). Et je pense aussi que c'est une aubaine pour la Crei."
Ousmane Ngom est un habitué des coups politiques retentissants. Numéro 2 du PDS dans les années 1990, l’avocat de 61 ans avait rejoint le gouvernement de Diouf. En 1998, il divorce avec Wade, démissionnaire et futur candidat à la présidentielle de 2000, pour fonder le Parti libéral sénégalais (PLS). Il soutiendra le Président socialiste à la course à la magistrature suprême, contre son ancien mentor. Après la victoire de ce dernier, retour aux sources. Il réussit le rabibochage avec le pape du Sopi et dissout son parti dans le PDS en 2003. La suite on la connaît. La fin, pas encore.