SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
25 avril 2025
Culture
«LE MILIEU DU LIVRE EST MINE PAR DES COURTIERS ATYPIQUES»
Tafsir Ndické Dièye, romancier, s’insurge contre la gestion clanique et nébuleuse qui fait que des écrivains ont reçu des montants très au-dessus des sommes reçues par d’autres.
Tafsir Ndické Dièye est poète, romancier et chroniqueur. S‘il apprécie le geste du président de la République Macky Sall qui lui a permis de recevoir 113 mille 207 francs, Tafsir Ndické Dièye s’insurge contre la gestion clanique et nébuleuse qui fait que des écrivains ont reçu des montants très au-dessus des sommes reçues par d’autres. Dans cet entretien qu’il nous a accordé par téléphone de Saint-Louis où il séjourne, M. Dièye réclame une enquête sur les révélations faites par l’ancien ministre de la Culture Abdoulatif Coulibaly sur le Fonds d’aide à l’édition.
Le Fonds Covid-19, destiné aux arts et à la culture, à l’instar de celui concernant les kits alimentaires en faveur des couches les plus défavorisées du pays, a soulevé beaucoup de polémiques. Quelle réflexion vous inspire une telle situation ?
C’est un Fonds de résilience. J’ai peur de ce mot, surtout dans le contexte sénégalais où, même si cela émane de l’Etat, c’est-à-dire de ce qui appartient à tous, ceux qui sont chargés de son exécution et tous leurs intermédiaires ont souvent l’habitude de prendre les bénéficiaires comme des moins que rien. Excusez-moi de l’expression utilisée. Nonobstant le fait de se servir en premier lieu, eux et leurs proches familles et amis, on note une manière méprisante de le distribuer devant le zoom des caméras des télévisions, des appareils photos etc. C’est toujours une bonne chose pour un Etat de venir en appui aux couches les plus défavorisées de son pays, surtout en période de pandémie. Cependant, aujourd’hui avec toutes les possibilités de rapidité offertes par le système de transfert d’argent électronique à l’échelle nationale, notamment la transparence et la sécurisation des fonds, je ne vois pas pour quelle raison l’Etat s’est embarqué dans cette démarche consistant à commander des tonnes de riz, de sucre et des milliers de litres d’huile dans une cacophonie indescriptible. Concernant l’épicentre de votre question, à savoir le Fonds Covid-19 pour les arts et la culture, moi-même j’en ai reçu.
Vous avez fait un poste de remerciement sur votre page Facebook où vous donnez même le montant reçu…
A chaque fois que l’Etat accomplit une action en direction de mon activité littéraire, je n’hésite jamais à le remercier à haute et intelligible voix. Depuis trois ans par exemple, quand je suis invité en dehors du pays dans une manifestation littéraire où le Sénégal est le pays à l’honneur, j’en informe le ministre de tutelle avant de demander au président de la République Macky Sall ou à son ministre des Transports Oumar Youm la prise en charge de mon billet d’avion. J’ai toujours eu satisfaction. Toutefois, cela ne m’empêche jamais de dire mon opinion sur la marche du pays, sans complaisance, à chaque fois que je le juge opportun. C’est rare de voir quelqu’un dire publiquement le montant de la somme reçue dans ses remerciements en direction de l’Etat.
Il paraît que des écrivains ont reçu beaucoup plus. Comment expliquez-vous un tel déséquilibre ?
Aminata Sophie Dièye disait qu’il ne faut pas s’acharner sur l’écrin en faisant tomber le trésor. Dans ce cas de figure, le trésor, ce n’est pas le montant de la somme d’argent reçu, c’est plutôt le beau geste de l’Etat qui est à saluer. Nous sommes dans un pays où la gestion clanique et nébuleuse n’épargne aucun secteur d’activités. La chaîne de transmission est souvent grippée par des schémas concoctés pour justifier des forfaits savamment orchestrés de manière à les présenter comme légaux. Le président de la République a du pain sur la planche avec tous ces esprits très brillants en matière de recherche du gain facile. J’avais cherché à connaître leur logique, pour mon information, par déformation puisque je suis auteur de romans policiers. Le directeur du Livre et de la lecture m’a servi comme explication alambiquée, par la sous-commission sous sa coordination, un argument que je juge fallacieux, de «reconnaissance par les pairs» pour procéder à une catégorisation des écrivains. De l’arnaque intellectuelle qui ne dit pas son nom. En effet, on ne peut pas être juge et partie. L’unique baromètre sérieux de l’écrivain, c’est son lectorat. Ce lectorat transcende le temps et traverse l’espace, vu que le livre détient son destin propre. Je lui avais servi cette réplique : Je ne discute pas la notion de «reconnaissance par les pairs» qui, à mon avis, n’est pas un baromètre sérieux dans le domaine qui nous concerne, surtout au Sénégal où ces «pairs» dont on fait allusion ne sont le plus souvent que des écrivains et leurs bras armés organisés en lobbies pour bonifier leurs inconditionnels et ignorer royalement ceux qui décident d’accomplir leur mission d’écrivain, avec engagement et honnêteté, loin d’un suivisme dégradant nuisible à une production littéraire innovante et de qualité…
Vous ne vous reconnaissez donc pas dans cet argumentaire ?
Pas du tout. J’ai dit au directeur du Livre et de la lecture : Je vous concède votre mode de classification qui n’existe, au risque de me tromper, qu’au Sénégal et, pour des raisons nébuleuses… Veuillez à l’avenir m’enlever de votre registre. Il ne m’a pas convaincu. C’est mon droit de demander, désormais, qu’on ignore mon existence en tant qu’écrivain. Cela n’influencera en rien la bonne marche de mon travail au Sénégal et dans le reste du monde. Je n’accorde aucune crédibilité à ces «pairs». Je préfère mes paires de chaussettes à ces «pairs» dont il fait allusion avec une grande déférence. Pourtant, il existe dans ce pays d’éminents écrivains sérieux, honnêtes et très ouverts d’esprit. Malheureusement, parce qu’ils rassemblent ces qualités, ils ne sont mêlés à rien.
Comment faire pour redresser la barre dans le domaine qui vous concerne ?
Il faut laisser à ceux qui courent après l’argent frauduleux le soin de le faire et encourager ceux qui sont dans la création littéraire à toujours rechercher l‘excellence dans leur travail. Le livre s’affranchit des frontières et des continents, pour paraphraser Ilé Axé du Brésil qui disait que la musique s’affranchit des frontières et des continents. C’est tonton Doudou Ndiaye Rose qui me l’avait cité un jour, alors que je rédigeais sa biographie en 2005. Le milieu du livre au Sénégal est miné par des courtiers atypiques, solidement présents et qui savent défendre leurs intérêts insolites, sans être trop regardants sur les voies et moyens pour arriver à leur fin et assouvir la faim de leur panse, véritable tonneau de Danaïdes. Relisez l’article du journaliste écrivain, ancien ministre de la Culture et actuel ministre porte-parole de la présidence de la République, paru récemment dans Xalima.com, sur la situation du Fonds d’appui à l’édition. Il nous parle de cinquantaine et de soixantaine de millions remis à des éditeurs sans que ces derniers ne produisent un seul exemplaire de livre. C’est horrible ! Cela mérite un audit sérieux de la part des instances habilitées à le faire au nom de la gestion sobre et vertueuse dont parle ce régime. Encore une fois, le Président Macky Sall a véritablement du pain sur la planche. Quand l’Etat dégage un budget assez élevé pour booster l’édition, il doit aussi mettre en place les mécanismes qui garantissent son utilisation transparente et équitable en faveur du livre et de tous les acteurs de la chaîne du livre, à commencer par les écrivains qui écrivent et publient. Si l’Etat ne le fait pas, c’est comme s’il accordait, à dessein, ce fonds comme un gâteau chocolaté à un groupuscule d’écrivains-éditeurs, au comportement inquiétant, au détriment d’un véritable appui à une bonne politique du livre et de la lecture. Aucun Etat n’a le droit d’enrichir illicitement, avec les deniers publics, une quelconque oligarchie. D’ailleurs j’ai saisi un éminent journaliste d’investigation de ce pays et un défenseur chevronné de la gestion transparente de nos deniers publics sur cette affaire soulevée par l’ancien ministre Abdou Latif Coulibaly et qu’on a tendance à vouloir ranger aux oubliettes. On oublie que c’est un ancien ministre de la Culture et actuel ministre porte-parole de la présidence de la République qui fait cette révélation renversante. Je crois avoir mieux compris ce déséquilibre dans le traitement de ce Fonds Covid-19 alloué au secteur des arts et de la culture. Ailleurs aussi, le brouhaha existe. Le Covid-19, on dirait qu’il est venu dans ce monde pour rééquilibrer beaucoup de choses. Dommage qu’on ne retienne que son caractère mortel que nous déplorons tous. Beaucoup de masques sont en train de tomber ici et dans le reste du monde. Je n’aime pas l’injustice et malheureusement, elle devient de plus en plus la règle partout. Les acteurs culturels peuvent se battre pour le principe d’équité dans le traitement de ce Fonds Covid-19. Cependant, qu‘ils n’oublient pas l’essentiel.
Votre prochaine publication ?
Ma prochaine publication est un polar intitulé Banquet des grands bandits, inchallah.
par Abdoulaye Bathily
SENGHOR DÉFORME L'HISTOIRE DU PEUPLE SÉNÉGALAIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Juillet 1978, l'ancien ministre alors en clandestinité, déconstruit point par point dans les colonnes de Vérité, organe de la Ligue Démocratique, un pan de l'Histoire du pays travesti par le président-poète
Ce texte a été publié dans Vérité N°2, organe de la Ligue Démocratique (LD), en Juillet 1978 dans les conditions de la clandestinité. Mais nous avons tenu à garder le texte intégralement en n’en corrigeant que quelques méprises de formes.
Il a été distribué sous le manteau aux participants des Assisses des Etats Généraux de l’Education organisées en juillet 1978 à l’Ecole Berthe Maubert à Dakar, et qui précéderont ceux tenus sous l’égide du gouvernement en 1981 sous la pression de la grève du SUDES.
L'histoire comme toutes les sciences en général et les sciences sociales en particulier, ne saurait échapper à l'influence déterminante de la lutte des classes. Pour justifier telle ou telle attitude du présent, chaque classe et chaque groupe de la société à besoin de présenter une certaine image du passé. Ainsi le régime colonial représentait les Africains comme appartenant à une sous-humanité éternellement dépendante du reste de la planète. Cette image des sociétés africaines servait de justification idéologique à la politique d'exploitation économique sans limite des travailleurs et des peuples des colonies.
Le développement du nationalisme africain dans la première moitié du XXe siècle a conduit à un renversement de cette perspective colonialiste de notre histoire.
Par exemple, les travaux d'un Nkrumah, d'un Eric Williams pour les colonies britanniques, ceux de Cheikh Anta Diop, de Mahjmout Diop, d'un Abdoulaye Ly, de Joseph Ki-Zerbo, etc. pour les pays sous domination coloniale française, s'inscrivent avec leur mérite respectif dans le courant de la décolonisation de l'histoire africaine.
Depuis l'indépendance, de nombreux historiens africains patriotes et même des internationalistes comme Jean Suret Canale, Basil Davidson, etc. poursuivent en l'approfondissant cette œuvre de renaissance culturelle africaine.
A contre courant de ce mouvement se situe Senghor et ses historiens de service. La bourgeoisie bureaucratique et compradore qui représente les intérêts de l'impérialisme français chez nous tente par tous les moyens de faire prévaloir une certaine image de notre passé qui concilie ses propres intérêts avec ceux de ses maîtres étrangers. Ces efforts sont déployés au mépris de la vérité scientifique.
Ainsi pour Senghor, les trois siècles de présence française sur notre sol sont « trois ans d'amitié entre le Sénégal et la France » ! La traite des esclaves, la conquête militaire, l'exploitation économique, et leur corollaire, la destruction de nos sociétés, seraient des témoignages de l'amitié entre ces deux pays !
L'on sait qu'en 1945 déjà le théoricien de la Négritude minimisait les effets de la colonisation lorsqu'il écrivait : « le problème colonial n'est rien d'autre au fond qu'un problème provincial, un problème humain. Je ne suis pas le premier à l'avoir remarqué. Lyautey, l'avait déjà dit, et, plus près de nous, Delavignette, cet humaniste impérial, dans son livre au titre si suggestif : Soudan - Paris - Bourgogne, Paris unissant les deux provinces ». (Léopold Sédar Senghor, la communauté impériale française).
Deux autres faits montrent encore le travestissement de notre histoire nationale au profit de l'impérialisme français par les idéologues du régime.
- Le problème des cahiers de doléances des habitants de Saint-Louis aux états généraux de la révolution française de 1789
- Le chant de la jeunesse : Niani Bagnna.
1. De manière rituelle, Senghor proclame que les auteurs des cahiers de doléances sont les précurseurs de la nation sénégalaise d'aujourd'hui. Ils seraient même les fondateurs de la démocratie sénégalaise, etc.
Cette interprétation ne résiste pas à une critique tant soit peu sérieuse. Les auteurs des cahiers de doléances représentaient environ 2000 individus libres, des traitants pour la plupart (métis ou mulâtres, des petits blancs venus chercher fortune en Afrique et quelques nègres) sur une population totale évaluée à plus de 6 000 à l'époque (île de Ndar). La majorité de la population de l'île était composée d’esclaves, de domestiques, d'ouvriers et de laptots (ouvriers de la navigation fluviale) tous nègres, qui étaient tenus à l'écart de l'administration et de la politique du comptoir de Saint-Louis.
Cette poignée de traitants vivait essentiellement en marge du reste de la population du pays. Les rapports entre les traitants et le reste de la population autochtone n'étaient que des rapports de marchands à clients. Les traitants n'ont jamais envisagé un seul instant de représenter les intérêts des « indigènes » auprès des autorités françaises.
Leurs doléances portaient sur deux points essentiellement :
a) les traitants aspiraient à être traités comme des citoyens français à part entière. A l'instar de Senghor, aujourd'hui, ils considéraient la France comme le pays modèle en tout.
« Nègres ou mulâtres nous sommes tous français puisque c'est le sang des français qui coule dans nos veines ou dans celles de nos neveux. Cette origine nous enorgueillit et élève nos âmes. Aussi, aucun peuple n'a montré plus de patriotisme et de courage ! Lorsqu'en 1757, le Sénégal fut lâchement rendu aux anglais. Nous voulions le défendre malgré les chefs de la colonie ...
Nous avons regardé comme le plus beau jour de notre existence, celui où en 1779, nous jouîmes du plaisir de voir flotter la bannière française sur le port de Saint-Louis. Nous accueillîmes tous les français comme nos libérateurs, comme nos frères ... »
b) Aux 17ème et au 18ème siècle la traite des esclaves et le commerce de la gomme était pratiquée par une compagnie, la compagnie du Sénégal qui en avait le monopole. Ce monopole était exercé au détriment des petits blancs et des traitants qui revendiquaient le droit d'exercer librement le métier très lucratif qu'était alors le commerce des êtres humains. Les cahiers de doléances étaient adressés au roi de France pour amener ce dernier à supprimer le privilège de la compagnie et à libéraliser le trafic négrier. Cet autre passage du document est très net à ce sujet.
« Aussi notre étonnement fut extrême quand nous vîmes publier le privilège exclusif de la traite des Noirs dans toute l'étendue du fleuve. Ce fut un jour de deuil et de consternation dans tout le pays ! ...La traite des Noirs est celle où nous avons généralement le plus de part parce que nous avons des bateaux et des esclaves matelots que nous envoyons jusqu'en Galam (Haut Fleuve) traiter des noirs que nous vendons ensuite à des marchands européens au Sénégal avec un léger profit ». Sur le texte intégral des cahiers de doléances, voir le livre de Lamiral l'Afrique et le peuple africain considérés sous tous leurs rapports avec notre commerce et nos colonies. Paris, Librairie Dessenne, 1789.
Les doléances qui avaient été adoptées le 15 avril 1789 par l'Assemblée générale des habitants de l'île Saint-Louis furent rédigées par le nommé Charles Cornier, alors maire de Saint-Louis et président de la dite Assemblée. Elles ont été portées devant les Etats Généraux par un autre colon M. Lamiral désigné en la circonstance comme « député du Sénégal ».
Comme on le voit, le contenu de ces doléances n'a rien à voir avec les préoccupations de l'immense majorité des populations du territoire qui forment le Sénégal d'aujourd'hui. Les revendications de ces colons étaient diamétralement opposées à celles des paysans de l'époque qui étaient soumis à la tyrannie des négriers.
On ne peut donc décemment proposer au peuple sénégalais de telles doléances comme une source d'inspiration dans sa lutte pour la démocratie véritable et le progrès social.
2. Le choix de Niani Bagnna comme hymne de la jeunesse de notre pays révèle encore l'orientation néocoloniale de la politique culturelle du régime. Les Sénégalais savent que ce chant a été composé par des griots du Kajoor à l'occasion de la guerre qui a opposé le Damel Lat Joor au roi du Niani (royaume sénégalais de la Haute Gambie).
Par sa signification, ce chant évoque un chapitre des luttes intestines entre les entités politiques du territoire de notre Sénégal actuel. Ces divisions crées et entretenues par les conquérants ont pesé négativement sur l'action unie des différents mouvements populaires contre la conquête. Leur influence a heureusement commencé à s'estomper chez les citoyens d’aujourd’hui.
Un régime soucieux de promouvoir l'unité nationale en général et celle de la jeunesse en particulier aurait pu choisir un hymne autre que celui-là.
Par exemple Malaw, ce chant dédié au célèbre coursier de Lat Joor. Malaw refuse, dit-on, de voir le chemin de fer qui, à ses yeux symbolisait la domination française au Kajoor. Un tel hymne, par sa signification sied mieux aux préoccupations de notre jeunesse qui dans sa majorité lutte contre la domination du capital étranger et ses alliés, les principaux ennemis de notre peuple.
Ici, encore, on le constate, le choix de Niani Bagnna n'obéit à d'autre logique que celle qui consiste pour le régime de Senghor inconditionnellement profrançais, à ne rien entreprendre tant au plan économique que culturel qui touche aux intérêts de ses maîtres.
Le combat pour une culture nationale et populaire est indissociable de la lutte générale que mène notre peuple pour sa libération totale. La lutte sur le front culturel est une autre dimension importante de l'action multilatérale que Vérité, notre journal, entend mener.
ABDOULAYE DIOP DÉNONCE DES ‘’ACTES IRRESPONSABLES’’
Le ministre de la Culture et de la Communication a qualifié d’"actes irresponsables" l’attaque du siège du journal "Les Echos" et le saccage du matériel de travail, ajoutant qu’ils "auraient pu aboutir, autrement, à une situation beaucoup plus grave".
Dakar, 4 juil (APS) – Le ministre de la Culture et de la Communication a qualifié d’"actes irresponsables" l’attaque du siège du journal "Les Echos" et le saccage du matériel de travail, ajoutant qu’ils "auraient pu aboutir, autrement, à une situation beaucoup plus grave".
Le ministre qui fait part d’"une forte indignation, doublée d’une peine profonde", estime que "l’attaque (…) du siège du journal ’Les Echos’ et le saccage du matériel de travail par un groupe d’individus" constituent des "actes irresponsables" qui "auraient pu aboutir, autrement, à une situation beaucoup plus grave".
’’Tout en exprimant mon entière solidarité au Directeur de publication et aux travailleurs, je condamne, fermement, de telles dérives qui n’honorent pas leurs auteurs et qui ne peuvent, aucunement, être tolérées", indique Abdoulaye Diop dans un communiqué transmis à l’APS.
Le Sénégal "est un Etat de droit où la liberté de presse est un acquis fondamental consacré par la Constitution", rappelle Abdoulaye Diop qui "demeure, par conséquent, convaincu que les suites appropriées seront réservées à la plainte déposée pour que les auteurs de ces actes répréhensibles soient traduits devant la justice".
Il en "appelle à la retenue et au sens des responsabilités de tous pour que les efforts de notre pays, résolument déployés vers la lutte contre la Covid 19, ne soient pas affaiblis par des pratiques aussi abjectes".
Le quotidien Les Echos avait annoncé, lundi, que Serigne Moustapha Sy, leader des moustarchidines et président du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR), avait été "terrassé par la Covid-19" et admis à l’hôpital principal de Dakar.
par Koulsy Lamko
TOUT DÉBOULONNER MAIS NE RIEN OUBLIER
EXCLUSIF SENEPLUS - Pendant la colonisation l’on pouvait être heureux de s’appeler les évolués, aujourd’hui l’on cultive l’empathie avec son bourreau au point de lui reconnaitre la vertu d’avoir attelé nos ancêtres à la construction des ponts
« Un homme arrive dans une église. On veut le baptiser. On lui dit « On te baptise aujourd’hui ». On prend sa tête et on met dans l’eau. Une fois, deux fois, trois fois. Quand on l’a retirée, on lui dit : « À partir d’aujourd’hui tu es baptisé. Ton ancien nom ? Tu n’es plus ton ancien nom. A partir d’aujourd’hui tu t’appelles David. Et tu ne dois plus boire de l’alcool.
Il arrive à la maison ; il ouvre son frigo, il prend une bière bien glacée. Il plonge dans l’eau : une fois, deux fois, trois fois. « A partir d’aujourd’hui tu ne t’appelles plus… bière. Tu t’appelles… jus d’orange. »
Et il boit.
Un humoriste sur RTI
L’on peut se réjouir que certains actes forts, certaines idées forces qui ont jalonné les processus de décolonisation dans nos pays, reviennent comme un leitmotiv, pour nous rappeler la nécessité et l’exigence d’un transfert intégral de nos souverainetés confisquées. Zaïrianisation, politiques de l’authenticité ayant pour corollaire le changement de prénoms au Tchad, au Togo, le défi sankariste couronné par le dé-baptême de la Haute Volta, etc. Et puis hier encore cette déferlante que soulève la tragédie de George Floyd… et qui parfois s’en prend aux monuments, aux statues, aux noms de rue, de villes, de places publiques… qu’elle s’efforce d’emporter. L’on serait tenté de regarder la vague haute moutonner simplement vers son extinction, sans coup férir. Et puis l’on hésite à se tenir ou non hors des rangs. Surtout que, de se pencher à nouveau sur le déboulonner-débaptiser s’apparenterait à enfoncer les portes ouvertes d’un débat inépuisable, tant il l’est que désormais il se nourrit de la bulle médiatique au point de sortir les politiques de leurs gonds. Il n’en demeure pas moins que les nouveaux contextes géopolitiques nous exhortent au débat. Déboulonner, ne pas déboulonner, débaptiser, ne pas débaptiser… Et voilà plantée la question « existentielle » ! Certes, elle n’est pas à l’abri de la complexité et davantage parce que la spectacularisation de l’obscène est devenue la panacée d’un monde à court d’inspiration et qui se laisse tenir en laisse par l’émotion… douteuse, parfois traitresse. A mon humble avis - puisqu’il s’agit d’opinion -, le dilemme ne devrait pas en être un. Et la question devrait plutôt s’énoncer en ces termes : que veut donc conserver la mémoire collective d’une communauté humaine, d’une nation, d’un empire, lorsqu’elle arpente les péripéties de son Histoire ? C’est de souveraineté qu’il s’agit, de Mémoire et d’Histoire.
D’emblée, il me faut avouer que je comprends difficilement la fougue des jeunes français, belges, anglais, ceux nés de l’immigration récente et qui veulent s’en prendre à la statue de Léopold II dans un patelin de Belgique, celle de Colbert au Sénat français, celle d’Edward Colston à Bristol. Ils devraient avoir adopté tous les fantômes de leur terre de naissance : l’Europe, s’ils ont décidé d’en faire partie !
Et parfois, les mauvaises questions, il faut ne pas éviter de se les poser ? Comment vouloir exiger des nations-criquets-pèlerins, issues d’une civilisation qui s’est construite sur le principe de la prédation systémique et qui au sortir d’un Moyen-âge brumeux lourd de superstitions, de famine, de surpopulation, de maladies, endémiques, qu’elles ne se fussent pas lancées dans l’aventure des conquêtes territoriales et razzias esclavagistes ? Comment attendre de ces nations-criquets-pèlerins qui pour mettre en œuvre leur révolution industrielle, ont eu besoin de matières premières, d’étendre leur marché, de secréter les lois du laisser-faire, qu’elles n’eussent pas été des modèles du gangstérisme ? Que dire donc de toute l’armada intellectuelle, ce que Nkrumah appelle l’Empire scientifique, qui par le biais de mythes têtus et doctrines, a jeté les fondations idéologiques très pérennes de toutes ces formes de domination ?… Comment veut-on que ces nations-criquets-pèlerins qui par deux fois ont entrainé l’Humanité entière dans leurs guerres byzantines chroniques et qui se gavent du négoce des armes, tout en continuant de détruire les autres peuples par tous les moyens de leur « intelligence » et de leurs nouvelles Bulles papales Onusiennes, ne vénèrent-elles pas les héros et hérauts de leur suprématie ? Pourquoi voudrait-on que français, belges, anglais, hollandais, etc., déboulonnent-ils de leur Mémoire barbare, une Histoire certes construite autour de la déprédation, mais qu’ils assument comme hauts faits de gloire puisqu’elle leur a procuré la pitance, les a enrichis et a consolidé leur hégémonie sur le monde ? Leur faire rendre gorge ? Faut pas rêver : la repentance, le pardon, le regret, la contrition, c’est évidemment une chausse-trape judéo-chrétienne, belle ruse qui lave le crime ! De Gaulle adulé n’en est pas moins comptable de l’extermination de centaines de milliers d’Algériens, de centaines de milliers de Biafrais, de trois cent mille militants de l’Union des Populations du Cameroun, de la fondation du système françafricain, des crimes économiques qui résultent de l’imposition du Franc CFA… Et la liste est longue.
En définitive, les gens en Europe sont souverains chez eux et les statues, les bustes, les monuments, sont parfaitement à leur place, là où ils ont décidé de les planter. Image, miroir, images kaléidoscopiques : c’est une question de reflet, de réfraction. Ces œuvres-là ne rappelleraient que mieux la cruauté nécessaire au Léviathan, si elles ne constituent pas en outre un panthéon de fantômes inspirateurs de nouveaux crimes bien d’aujourd’hui. Haro sur le vandale qui voudrait ruiner la mémoire glorieuse des autres !
Déboulonner, débaptiser, dégrader… Ah le cri du cœur : l’on en arriverait à dépeupler les nations esclavagistes et les empires coloniaux de toutes leur belle mise : l’archéologie des savoirs fondateurs de la mission civilisatrice de l’Occident et dont l’édifice idéologique a implanté la fabrique de la mélanophobie, de l’indigénat, du sujet, de la mentalité prélogique, de l’homme de couleur, du nègre primitif, du bon sauvage, de la Terra incognita... C’est dire tagger, noyer, dégrader, maculer de peinture rouge ou fouetter Voltaire, Humes, Beaumarchais, Montesquieu, Adam Smith, Bartholomé de las Casas, Napoléon, Renan, De Gobineau, Ferry, Hegel, Maupassant, Nicolas V, Sarraut, Kant, Colbert,… Victor Hugo dont l’ode au colonialisme continue de résonner si haut, si fort. …"Au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra." "Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. »[1]
Oh oui ! J’entends déjà les appels à l’objectivité ! Bien sûr qu’il serait réducteur de limiter toute l’action d’un homme, illustre philosophe ou politique à un discours, un acte malencontreux singulier dans l’éventail vaste d’autres actions plus humanistes qu’il a pu poser. Bien sûr qu’il n’est pire cécité que celle de vouloir juger les gens d’hier à l’aune de nos jours d’hui et de convoquer morale ou éthique dans une perspective axiologique sentencieuse quand le champ des valeurs est multiple et divers… Bien sûr que beaucoup parmi eux ont été et continuent de marcher à nos côtés dans nos luttes de libération… Cela n’empêche pas de se poser les questions qu’on refuse parfois de se poser… comme : « Pourquoi donc les multiples associations internationales qui quotidiennement scrutent à la loupe le moindre mouvement en Afrique pour épingler leaders criminels et propriétaires des biens mal acquis ne traduisent-elles pas en justice les Bush pour leurs guerres dévastatrices en Irak ? Sarkozy et Bernard Henry Levy pour leur abominable guerre en Lybie ? Où donc ont disparu les avoirs libyens du temps de Kadhafi, estimés à de centaines de milliards de dollars ?...
La communitas, le grand leurre : en fait, le colon, il n’est jamais parti !
Mais pour nous africains, que donc nous racontent les boulevards Giscard d’Estaing, les interminables avenues Charles de Gaulle qui fendent nos capitales, en deux ? Quelles épopées de nos victoires nous chantent Leclerc et Eboué à quelques dizaines de mètres de l’Hôtel de Ville de Ndjamena ? Pierre Savorgnan de Brazza ? Et ce trio Léopold II, Albert Ier et Henry Stanley, tous bénis de la Monusco qui curieusement se découvre la responsabilité de les faire transférer au Parc du Mont N’galiema, et de les dresser haut, altiers, tournés vers le fleuve Congo et sous l’œil vigilant du bon piquet de gardes… Oublierait-on tout aussi aisément l’épisode du Régime de la Communauté, qui permettait au colonisateur de marquer le pas pour installer et « boulonner » ses gardes-chiourmes physiques et symboliques… avant que l’on en soit venu à obéir à l’injonction du Plan Marshall, lequel exigeait un territoire élargi de consommateurs solvables… donc les « indépendances chachacha » ? La bride ne fût lâchée que parce que le maître s’était assuré d’avoir solidement installé ses monuments dans la tête des colonisés, amarré ses accords de monopoles énergétiques et du continuum de l’occupation militaire, satisfait d’avoir défini à merveilles les contours de la dette coloniale dont le CFA est l’instrument sensible… jusqu’à ce matin encore.
Un clin d’œil à Mongo Béti qu’intéressent énormément les questions qu’on se refuse de poser : « Pourquoi nous a-t-on si longtemps pourchassés sur nos côtes, raflés jusque dans nos communautés de l’intérieur des terres, transportés au fond des cales, vendus à l’encan sur les marchés américains comme vil bétail, courbés sous le cruel soleil des plantations de coton, entassés et lynchés dans les ghettos de grandes villes industrielles, contraints aux travaux forcés sur les chantiers africains, assujettis à un système colonial inhumain d’abord, puis au pillage des firmes néocoloniales après les « indépendances », et aux dictatures que ces firmes sécrètent tout naturellement ? Pourquoi ? Parce que nous étions et sommes d’ailleurs toujours des sauvages à civiliser, des cannibales dont il convient de corriger les goûts pervers, des païens à convertir, des paresseux à transformer en producteurs »[2] Le colon s’en était-il allé ? Revient-il ? Oh que non ! Dans les faits, aux indépendances de nos pays, il n’y a jamais eu de véritable repli du colonisateur pour que l’on évoque sereinement le retour du colonial. L’on pourrait sans trop de risques souligner plutôt le phénomène de substitution frauduleuse de présence permanente avec de temps à autres des accès d’apparition de fantômes et d’ectoplasmes au seuil de la conscience. Dans le champ de la théâtralité, l’on parlerait de spectres, d’apparitions liminales. Des monuments coloniaux ? Il s’agit d’une espèce d’esthétique de la mémoire politique, qui revendique une certaine territorialité, une présence presque liminaire et convie à un genre de communitas perpétuel où les spectres sont légion au bal nocturne des sorciers. Si l’on en croit Jean-Louis Borloo, ancien ministre français : « Donc, nos destins sont liés… Et tout le monde s’en rend compte ! D’abord les liens avec l’Afrique, même inconscients, restent forts. Ensuite, on ne peut plus éviter le sujet. Pas besoin d’avoir fait des années d’études pour comprendre que, si l’Afrique ne se développe pas, les mouvements migratoires vont évidemment se poursuivre et s’intensifier. Ce n’est pas des centaines de milliers, mais des dizaines de millions de personnes qui voudront aller vers la lumière. Et si l’Afrique se développe, le marché au bout de la rue, avec ses 2 milliards de personnes, pourrait bien remplir les carnets de commandes de nos entreprises. Les grands dirigeants économiques français, ceux dont le métier consiste à définir des visions stratégiques, ont identifié un nid de croissance en Afrique. L’avenir de la France se joue en l’Afrique[3]… Mais oui, colonisés et colonisateurs, nous sommes les mêmes, n‘est-ce pas ? Nous parlons la même langue, nous adorons le même dieu barbu qui trône au milieu des anges, nous mangeons le même pain, buvons le même vin, arborons la même cravate, vénérons Aristote, Kant, Spinoza, Lamartine, Machiavel, Baudelaire, Shakespeare, Keynes, Marx, Hegel, le Fourrier des phalanstères ! Et lorsque le lien spirituel est établi entre les statues de Léopold II à Kinshasa, celui de Leclerc à Ndjamena, celui de Faidherbe à Saint-Louis, et quand à tout ce beau monde se joignent les entrelacs toponymiques des rues et avenues aux mille noms d’oiseaux, la monnaie fantôme de la colonie, etc. la Communauté resurgit. Les spectres s’installent autour du cercle des initiés dans le bois sacré : les rituels sont rodés. Que le même amour divin nous unisse ! Et vive la communitas ! C’est cathartique ! Nous en avons besoin pour combler l’absence, la disparition programmée des indépendances « chachacha » … Déprimant que l’on se refuse de sentir que « l’ocelot est dans le buisson, le rôdeur à nos portes, le chasseur d’hommes à l’affût, avec son fusil, son filet, sa muselière ; le piège est prêt, le crime de nos persécuteurs nous cerne les talons…! »[4]
Et si l’on épiloguait encore, l’on dirait que l’aurore rouge que l’on nous promet, n’a rien de boréal. Eh oui, chiche, le mondialisme sauce cube Maggi… Le tout homogénéisé politique, économique, culturel, transforme l’infinie diversité des « sujets pensants » en un bloc monolithique régi par la pensée unique eurocentrée. Et surtout nivelle un terre-plein sur lequel construire le nouvel ordre mondial : celui de la domination du capital, des grandes fortunes, de quelques illuminés lubriques décidés à en découdre avec notre Humanité. La zombification de l’Homme par le marché et le tout « intelligence artificielle », outils de la conquête du comportemental battent le plein. Bientôt nous ne serons tous que des consommateurs passifs et lobotomisés, pavloviens accrocs aux produits fastfood du marché abêtissant, incapables d’exercer la faculté de jugement et de réaction, tant la machine huilée avec ses gardes chiourmes, ses armées répressives, veille à ce qu’aucune liberté, aucune différence ne puisse s’exprimer. A l’Homme de fer succède aujourd’hui l’Homme transhumain et pour les siècles à venir, zombie métamorphosé par les dieux peu avenants, ceux du contrôle total de nos moindres gestes, de notre moindre pensée. Le nouveau challenge se logerait certainement dans cette autre confrontation supra coloniale.
Le Syndrome de Stockholm
Pour revenir à nos bustes et monuments en question, l’idéologie néocoloniale perpétue ardemment une sorte de Syndrome de Stockholm. C’est inscrit dans ses gènes. Hier encore pendant la colonisation l’on pouvait être heureux de s’appeler les évolués, aujourd’hui l’on cultive l’empathie avec son bourreau au point de le défendre becs et ongles, de justifier sa cruauté, de lui reconnaitre la vertu d’avoir eu la merveilleuse idée d’atteler nos ancêtres à la construction des ponts, des routes, des chemins de fer, le fouet sur l’échine. Parfois on leur a coupé les mains…, les mains de milliers d’hommes et de femmes pour toujours plus de sève d’hévéa… Drôle tout de même qu’il se trouve des africains défenseurs de monuments et statues de colons en Afrique. Tragique et comique à la fois ! Le tango des arguties et éloges se déploie ample : le monument document-pédagogique, sans lequel l’Histoire serait tronquée, le monument-témoin du bienfait de la colonisation civilisatrice, l’habitus confèrerait valeur à la statue de Faidherbe et de « son » pont ! Une seule statue de Faidherbe nous manque et Saint-Louis est dépeuplé ! On aime le colonisateur, l’on s’éprend de lui, l’on attend de lui qu’il nous aime, qu’il nous adoube, qu’il nous reconnaisse et pour cela l’on s’affuble de magnanimité, ce grand désir de fraternité christique qui lui tendrait l’autre joue lorsqu’il a déjà assené sa main d’acier sur la droite ! « Mais c’est à ce seul prix-là qu’on aura connu le développement ! » L’argument est très vigoureux : celui de l’illimitée dévotion du nègre à son bourreau. Beaucoup d’entre nous sont convaincus que sans la colonisation le continent n’aurait pas connu le développement que propose le monde moderne capitaliste - encore qu’il serait bien à propos de se demander où il commence, où il finit et s’il satisfait vraiment nos besoins vitaux - ; c’est méconnaitre l’Histoire du continent qui pendant des siècles a été au centre des échanges dans le monde et qui sans la rencontre avec l’Occident aurait sans doute connu d’autres formes de développement… Quant à la science, elle n’est ni du septentrion, ni du midi. Elle est de partout, même de nos moindres hameaux. Les résultats des recherches technologiques, scientifiques, les découvertes, nous appartiennent à tous. Ils sont l’aboutissement de processus historiques pendant lesquels, telle découverte succédant à l’autre s’est alimentée de la précédente. C’est l’usage que l’on en fait qui nous distinguerait, surtout quand des esprits malins en confisquent les secrets. Ici la question qui se pose est celle de la profondeur de la plaie. Oh la pertinence, un brin prémonitoire de Cheikh Anta Diop pendant la Conférence de Niamey : « l’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme et quand on croit s’en être débarrassée, on ne l’a pas encore fait complètement. Souvent le colonisé, l’ex colonisé ressemble un peu à cet esclave du 19e siècle qui, libéré, va jusqu’à la porte puis revient à la maison parce qu’il ne sait plus où aller. Depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a acquis des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a appris à penser à travers son maitre… »[5]
Et cet orage qui gronde : Panafricanisme au secours !
Au-delà des statues, des bustes coloniaux et des places et rues aux mille noms d’oiseaux, c’est la question de nos souverainetés qui se pose. Quand la mondialisation est anormalement gourmande : on brade nos territoires, nos aéroports, nos ports à tour de bras, l’on abandonne la gestion des eaux, de l’énergie, des communications, aux entreprises coloniales et multinationales sans foi, ni loi ; le vol lourd des cargos remplis de terres rares, l’extractionisme, l’on brandit le prétexte des réformes agraires par la réglementation des titres fonciers pour déposséder les communautés paysannes de leurs terres et ainsi en préparer la vente à la grande industrie agroalimentaire … Les roses et les tulipes d’Amsterdam se cultivent en Ethiopie, au Kenya. … et la liste est longue ! L’on abandonne « notre sécurité » aux armées étrangères dont le chapelet de bases militaires encercle le continent, nous étouffe, exactement comme au temps des forts et comptoirs du yovodah, la traite des esclaves. We can’t breath ! Tout, pour que la jeunesse debout clame « ya basta le Syndrome de Stockholm ! »
En 2001, André Blaise Essama, au Cameroun, était venu à bout de la statue de Leclerc qui trônait devant le palais du Gouverneur à Douala. Il lui a arraché la tête qu’il a transférée dans une plantation agricole et qui devait servir à des rites « pour libérer les camerounais de la domination française », et a laissé le buste gisant auprès du piédestal. Oh la geste épique et symbolique, à la fois politique : « J’ai cassé ce monument afin que le général Leclerc rejoigne la terre de ses ancêtres en Hexagone. Car je pense bien que sa place est certainement de ce côté-là. Cette place où trônait ce monument de la honte est désormais pour nous, la place de Um Nyobe, John Ngu Foncha, Martin Paul Samba, Douala Manga Bell et bien d’autres héros nationaux »[6] L’on a dit de lui qu’il était un déséquilibré mental. Pour sûr qu’il faut être un azimuté pour être logique et cohérent dans cette Afrique possédée par le Syndrome deStockholm. C’est ce mouvement de bascule que nous retrouvons difficilement sous nos tropiques ! Peut-être plus pour longtemps. Cette jeunesse panafricaine debout se réclame de ces hallucinés de l’azur qui n’ont pas besoin de permission pour déboulonner et rebaptiser, exiger la reconnaissance de leurs héros-résistants.
L’oubli fondamental qui sera fatal à l’Occident c’est d’avoir fait la sourde oreille à la nécessité de l’équilibre dans un corps quel qu’il soit. L’ubuntu ou la mâât le traduisent excellemment. Aimé Césaire dans sa façon ferme, effrontée et pugnace le résume parfaitement « c'est de votre maigreur que ces messieurs sont gras ». Six siècles de déséquilibre sont intolérables ! Et les retours du colonial et de l’impérialisme qui consistent à provoquer la destruction par proxy des communautés millénaires constituées, l’écosystème et la planète entière avec, ne pourra plus jamais assurer la prééminence d’une civilisation violente et décadente. Le déséquilibre est désormais rompu. La crise ne se colmatera plus par ces stratagèmes et leurres qui n’ont que trop longtemps duré. Il va falloir trouver un autre discours. A celui-là la jeunesse africaine voudra participer, et, même avec effronterie. Il y a bien longtemps, Emile Cioran a identifié le monstre : Chaque civilisation croit que son mode de vie est le seul bon et le seul concevable, qu’elle doit y convertir le monde ou le lui infliger ; il équivaut pour elle à une sotériologie expresse ou camouflée ; en fait, à un impérialisme élégant, mais qui cesse de l’être aussitôt qu’il s’accompagne de l’aventure militaire. On ne fonde pas un empire seulement par caprice. On assujettit les autres pour qu’ils vous imitent, pour qu’ils se modèlent sur vous, sur vos croyances et vos habitudes ; vient ensuite l’impératif pervers d’en faire des esclaves pour contempler en eux l’ébauche flatteuse ou caricaturale de soi-même.[7]
Les statues de colons, les monuments coloniaux, les avenues et places aux noms de colons, c’est dans nos têtes qu’ils sont érigés ; c’est aussi dans nos têtes qu’il faut les renverser, les déboulonner, les débaptiser…
Koulsy Lamko est universitaire, spécialiste du théâtre, romancier, dramaturge et poète. L’auteur Tchadien est un des grands noms de la littérature africaine contemporaine.
[1] Extrait du discours prononcé le 18 mai 1879, pendant le banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage par Victor Schœlcher.
BLACK IS KING, LE FILM DE BEYONCÉ DIVERSEMENT APPRÉCIÉ
Le film de la chanteuse américaine a été mis en ligne vendredi sur la plateforme Disney+. Loué pour sa célébration de la culture noire, il est aussi critiqué pour sa vision distanciée de l’Afrique
Le long métrage accompagne l’album The Lion King : The Gift, sorti en juillet 2019 et inspiré du film Le Roi Lion, version en prises de vues réelles du classique de Disney.
C’est un conte qui reprend le thème du Roi Lion, en mettant en scène un jeune garçon engagé dans un parcours initiatique.
Beyoncé en a fait un ambitieux projet esthétique, salué par la critique.
Jude Dry, du site IndieWire, a rendu hommage à un film « saturé d’effets visuels époustouflants ».
À l’aune du mouvement né de la mort de George Floyd, le projet, tout entier tourné vers l’héritage noir, a une résonance démultipliée.
« Black Is King est une présentation parfois pénétrante d’artistes africains dont le travail se mélange brillamment avec celui d’Américains qui ont des racines sur le continent », a écrit John DeFore, du Hollywood Reporter.
Beyoncé a ainsi notamment convié la chanteuse nigériane Yemi Alade, la Sud-Africaine Busiswa ou l’artiste ghanéen Shatta Wale, qui sont ici beaucoup plus visibles que sur l’album, dominé par les vedettes américaines.
Mais certains ont critiqué la « wakandafication » opérée par « Queen Bey », référence à Wakanda, royaume imaginaire situé en Afrique où se déroule le film et la bande dessinée Black Panther.
L’artiste originaire de Houston a, selon ses détracteurs, livré une vision déformée et amalgamée de l’Afrique.
« Quelqu’un peut-il dire à Beyoncé que l’Afrique n’a pas qu’une culture et que nous sommes des gens normaux ? », a tweeté Kaye Vuitton, un Nigérian.
« Il y a des choses plus urgentes à faire que de se fâcher contre une femme afro-américaine qui utilise ses moyens pour interroger, explorer et interpréter artistiquement une façon de combler les manques de son identité », a écrit, dans le quotidien britannique The Independent, Timeka Smith, activiste pour l’égalité raciale.
Ces manques, dit-elle, ce sont les liens entre les Afro-Américains et leur passé en Afrique, dont ils ont été coupés et qu’ils cherchent à reconstituer.
DANS LE DELTA DU SALOUM, UN MUSÉE POUR RENDRE AUX AFRICAINS LEUR HISTOIRE
A Djilor, au centre du Sénégal, le Mahicao expose la riche collection de Reginald Groux, ancien marchand parisien piqué par le « virus de l’art africain »
Le Monde Afrique |
Matteo Maillard |
Publication 02/08/2020
Il faut d’abord entrer en terre sérère, longer un bras sinueux du delta du Saloum, traverser la forêt de Samba Dia, avant de découvrir, à 200 km au sud-est de Dakar, niché dans un luxurieux jardin du village de Djilor, le Mahicao : le Musée d’art et d’histoire des cultures d’Afrique de l’Ouest. Léopold Sédar Senghor, poète et premier président du Sénégal, est né non loin d’ici. « Je savais que je voulais l’installer sur ces terres, confie Reginald Groux, son fondateur. J’aimais l’idée d’être dans un endroit excentré, loin de la fureur de Dakar. Je suis retraité et j’aspire à plus de calme. »
En quarante ans à sillonner l’Afrique, ce marchand d’art français n’a pas pris beaucoup de repos. Collectionneur, propriétaire successif de quatre galeries parisiennes, professeur à Paris à l’Institut supérieur des carrières artistiques, il se veut aujourd’hui conservateur et rien d’autre. « Je ne voulais pas qu’on m’accuse de poursuivre une activité commerciale », dit-il. Fini les allers-retours sur le continent, désormais il y vit pour son projet, débuté il y a dix ans. « La volonté du musée n’est pas de rendre les objets aux Africains mais de leur rendre leur histoire », aime-t-il souligner.
Dans une belle bâtisse à l’architecture soudanaise, de larges portes en bois ouvrent sur sa riche collection : 550 objets sont exposés dans une scénographie se jouant du clairs-obscur, avec murs en latérite et épais tapis de coquillages qui craquent sous les pieds. Toute l’histoire africaine, du néolithique jusqu’au XXe siècle, est évoquée en ces 500 m2. Son objet le plus ancien : unbiface saharien préhistorique, outil de pierre taillée.
On trouve aussi un trône ibo du Nigeria ; des appuis-nuque funéraires dogons ; des cimiers tywara, représentations d’antilopes issues de la culture bambara ; une statue en terre cuite djenné du Mali, datée par thermoluminescence du XIVe siècle. Dans le sable des vitrines, des outils taillés, des scies, des pointes de flèches dentelées, une gourde pour pratiquer les ordalies, des mortiers, des bijoux, des fétiches, des poupées de fertilité et des peignes. « Certains de ces objets sont des vestiges que j’ai trouvés moi-même dans le désert », raconte l’explorateur. D’autres ont été achetés, comme ce collier d’os de dinosaure négocié 140 euros au Sénégal.
« Valeur symbolique »
Son savoir-faire de commerçant, il l’a aiguisé dès ses 19 ans. Après le bac, il est recruté par un Américain collectionneur d’art africain qui l’envoie sur le continent à la recherche de pièces originales. Dans les années 1970, le marché de l’art s’intéresse de plus en plus aux objets et à la statuaire continentale et Reginald Groux est l’un des nombreux Occidentaux piqué par ce « virus de l’art africain », comme il l’appelle.
Il travaille pour différents galeristes en Europe et aux Etats-Unis, alors qu’explose l’attrait des marchés internationaux pour les arts premiers. Il se souvient des marchands sénégalais arrivant à l’hôtel Wellington de New York avec des valises pleines de statuettes, vendues à même le trottoir. L’époque était à l’euphorie et aux réglementations légères. « Je faisais des tournées en Land Rover dans toutes les grandes villes du Sahel. Je récupérais sur les marchés des objets en bronze vendus au poids et destinés à la fonte. On voyait de la valeur dans ce qui n’en avait plus. »
L'ÉLYSÉE, LE PLUS GRAND SYMBOLE À PARIS DU PASSÉ ESCLAVAGISTE DE LA FRANCE
Trois siècles après sa construction financée par un négrier, l'Élysée est un des derniers grands témoignages à Paris de l’histoire du commerce colonial. Les autres bâtiments prestigieux occupés par des esclavagistes ont disparu ou sont tombés dans l’oubli
France Culture |
Benoît Grossin |
Publication 02/08/2020
Trois siècles après sa construction financée par un négrier, l'Élysée est un des derniers grands témoignages à Paris de l’histoire du commerce colonial. Les autres bâtiments prestigieux occupés par des esclavagistes ont disparu ou sont tombés dans l’oubli. Un travail de mémoire reste à accomplir.
Sans un négrier, Antoine Crozat, le palais de l'Élysée n’aurait pas été édifié en 1720, avant d'être occupé par la marquise de Pompadour, Napoléon et depuis plus d'un siècle maintenant par les présidents de la République.
L’homme le plus riche de France au début du XVIIIe siècle, selon Saint-Simon, en a financé la construction pour le compte de son gendre, Louis-Henri de la Tour d’Auvergne, dans le cadre d’une stratégie, en vue d'intégrer la haute société aristocratique.
Antoine Crozat à la direction de la Compagnie de Guinée, l’une des plus importantes sociétés de commerce triangulaire, a bâti sa fortune en obtenant en 1701 le monopole de la fourniture en esclaves de toutes les colonies espagnoles.
Mais il n’est pas le seul grand acteur à l'époque.
A Paris, le Club de l’hôtel de Massiac, société de colons de Saint-Domingue et des Petites Antilles défend ses intérêts dans un bâtiment qui a disparu comme beaucoup d’autres, depuis les travaux haussmanniens, depuis les transformations de la capitale en profondeur, à partir de 1853 sous le Second Empire. Bâtiment sur la place des Victoires remplacé par l'hôtel de L'Hospital. Alors que les stigmates de l'esclavage sont encore nombreux aujourd'hui dans l'urbanisme des anciens ports négriers, Bordeaux et Nantes, notamment.
Reste le Palais de l'Élysée, mais aussi et dans une certaine mesure la Banque de France et la Caisse des dépôts.
L’ancien président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), Louis-Georges Tin, a demandé au chef de l’Etat Emmanuel Macron, le 13 juillet dernier dans Libération, le lancement d’une enquête pour mettre en lumière tous les liens entre l’esclavage colonial et les grandes institutions de la République.
La Fondation pour la mémoire de l’esclavage, mise en place le 12 novembre 2019, doit travailler avec la ville de Paris à la création d’un monument et d’un lieu muséal dédiés.
L’historien Marcel Dorigny, membre du comité scientifique de cette fondation, plaide pour un mémorial et milite pour des explications aux quatre coins de la capitale où le passé colonial et esclavagiste est omniprésent.
Le palais de l'Élysée s’est construit sur le dos d’esclaves
Le Toulousain Antoine Crozat, l’homme le plus riche de France au début du XVIIIe siècle, selon le courtisan et mémorialiste Saint-Simon, est un parvenu aux yeux de ses contemporains, un financier et négociant cupide, engagé dans toutes les affaires pouvant rapporter gros, à commencer par la traite négrière.
C’est sur décision du roi Louis XIV que cet homme né roturier prend la direction de l’une des plus importantes sociétés du commerce triangulaire créée en 1684, la Compagnie de Guinée, avec pour mission d’acheminer du port de Nantes, le plus grand nombre possible d’esclaves noirs vers Saint-Domingue et de remplacer sur l’île, le tabac par le sucre.
Le monopole qu’il obtient à partir de 1701 sur la fourniture d’esclaves aux colonies espagnoles, permet à Antoine Crozat d’amasser une fortune colossale.
L’auteur d’une biographie intitulée Le Français qui possédait l’Amérique. La vie extraordinaire d’Antoine Crozat, Pierre Ménard, évalue sa fortune en 1715, à la mort de Louis XIV, à 20 millions de livres, soit près de 300 milliards d’euros !
De quoi acheter des châteaux par dizaines, de posséder un hôtel particulier dans sa ville de Toulouse et d’en acquérir un autre, prestigieux, sur l’actuelle place Vendôme, à l’endroit où se trouve maintenant le Ritz.
Quoique richissime, Antoine Crozat est maintenu à l'écart du système d'honneurs, moqué pour son inculture et sa vulgarité par la noblesse qui ne le fréquente que pour lui emprunter de l'argent.
Et c'est grâce à sa fortune bâtie sur la traite négrière qu'il s'ouvre les portes de l’aristocratie, en mariant sa fille - alors qu'elle n'a que 12 ans - à Louis-Henri de la Tour d’Auvergne, le comte d’Evreux.
Ce membre de la haute noblesse française, gouverneur de l'Île-de-France, profite de son beau-père en bénéficiant d'une dot de 2 000 000 de livres pour se faire construire un hôtel particulier, l’hôtel d’Évreux, qui prendra le nom d'hôtel de l'Élysée à la toute fin de l’Ancien Régime.
ABDOUL AZIZ DIOP OU L’ HISTOIRE D’UNE PROMOTION-SANCTION
Tout jeune reporter, il entendait être un journaliste indépendant, impertinent et irrévérencieux dans le Sénégal des années 70. Mais c’est sans compter la susceptibilité et la frilosité du président Senghor
Journaliste de formation, Abdoul Aziz Diop a eu une carrière fabuleuse parce que très tôt consacré correspondant de l’Office de radiodiffusion télévision sénégalaise (ORTS) à l’étranger. Tout jeune reporter, il entendait être un journaliste indépendant, impertinent et irrévérencieux dans le Sénégal des années 70. Mais c’est sans compter la susceptibilité et la frilosité du président Senghor qui, au faîte de son pouvoir, voire de sa gloire, n’était pas prêt à tolérer un certain niveau d’impertinence. Face à la fougue d’Abdoul Aziz, «Léo Le Poète», pense devoir trouver une parade. Une solution qui arrange tout le monde. C’est ainsi qu’Abdoul Aziz sera nommé correspondant de l’ORTS (ancêtre de la RTS) en Allemagne alors qu’il n’avait pratiquement qu’un an d’expérience. Cette promotion à la forte saveur de sanction, Abdoul Aziz saura l’exploiter judicieusement à son avantage. En effet, après trois ans à son poste, il rend le tablier de l’ORTS et enfile le manteau de la Deutsche Welle, la radio allemande, où il y officiera pendant plus de quatre décennies. Quoique parfaitement intégré et surtout époux d’une Allemande depuis bientôt 50 ans, il n’a jamais demandé la nationalité, preuve de son attachement au Sénégal. Également artiste, Abdoul Aziz est musicien, écrivain et peintre. La retraite actée, c’est à ces passions qu’il se consacre désormais.
Jeune «révolutionnaire », fraîchement diplômé de l’école de journalisme Maisons-Laffitte (France), une référence d’alors, Abdoul-Aziz Diop commence sa carrière dans l’année 70 à l’Office de radiodiffusion télévision sénégalaise (ORTS), actuelle Radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS). Très vite, il va se révéler être une épine dans le pied du président Senghor. Ce dernier ne pouvant tolérer de s’encombrer d’un «journaliste emmerdeur», pense devoir vite trouver une solution, mais une solution douce qui arrange les deux parties : l’emmerdeur et l’emmerdé. C’est alors que Senghor tourne ses méninges et sort une idée de génie. Il s’agit d’«exiler» Abdoul Aziz Diop en Allemagne comme correspondant de l'ORTS.
Pour un jeune reporter, frais, fougueux et sans grande expérience, c’était une énorme promotion. Et Abdoul Aziz ne crache pas dessus. Dans la foulée, il fait ses valises et embarquement immédiat pour Cologne avec l’espoir de rentrer après deux ans au maximum. En terre germanique, bien que correspondant de l'ORTS, très tôt, Aziz «flirte» avec la radio publique allemande, la Deutsche Welle (DW) en collaborant comme pigiste. Le temps passant, entre les «deux dames», ORTS d’une part et la DW d’autre part, son cœur balance. Et un choix s’impose. C’est alors qu’il décide de lier son destin avec la Deutsche Welle, l’heureuse élue de son cœur. Il va ainsi entamer une belle histoire et très longue carrière avec cette radio internationale jusqu'à la retraite en 2014. Une belle manière de profiter d'une sanction, finalement, enviable que le président Senghor a bien voulu lui infliger pour sa langue un peu trop pendue. Puisque c’est son désir imparable de ne pas demander l’autorisation pour parler et le refus de recevoir l’injonction de se taire ou même de parler d’une certaine manière qui lui ont valu cette «promotion-sanction».
D’ailleurs avant l’Allemagne, sa première «promotion sanction» fut son affectation à Ziguinchor. Là-bas aussi, au lieu de vivre son éloignement comme une sanction, il a profité pour s’enrichir culturellement et spirituellement alors qu’il était rentré de sa formation de France, il y avait peu de temps. «J’étais un jeune ambitieux qui avait pour objectif de pousser le métier vers le haut, notamment la radio. C’est là où j’ai commencé à avoir de problèmes. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas duré à Dakar, on m’a affecté (jeté) à Ziguinchor. Je croyais que c’était une punition. Mais une fois à Casamance, j’ai trouvé là-bas des Hommes bien, intègres et pieux, à tel point que je ne voulais plus retourner à Dakar. Après, on m’a fait revenir à Dakar et j’ai continué à faire ce que je faisais. C’était trop aux yeux du gouvernement. On a dû me chercher une sorte de poste. C’est comme ça que je suis venu en Allemagne», expliquait en mars dernier Abdoul Aziz sur la chaine Emigré Tv.
«J’étais un révolutionnaire. C’est notre génération qui était comme ça», ajoute Aziz. Entre jeune révolutionnaire et un régime de parti unique difficile pour les deux parties d'accorder leurs violons. «Il faut reconnaître que dans les années marquant le début des indépendances, les autorités étaient très soucieuses du respect des Institutions qu’à leur avis, la Presse et les journalistes leur devaient. Cette attitude cavalière des ‘’autorités’’ a créé très vite une ‘’distance ‘’ entre les deux camps et pendant longtemps, rangé la presse parmi l’opposition», analyse le journaliste Mbaye Sidy Mbaye. Il est utile de rappeler que Senghor malgré sa méfiance vis-à-vis de la presse surprend parfois son monde.
Le maraboutisme à la radio : Senghor calme les ardeurs de son ministre
L'intrépide Abdoul Aziz s’autorisait le traitement de quelques sujets sensibles sous le régime du président Senghor. Il se rappelle cette émission qu’il animait sur le thème « Croyez-vous au maraboutisme ? » Dans le micro-trottoir de l'émission, d'aucuns estimaient qu’ils ont de bonnes raisons de croire aux marabouts parce que même le président Senghor pendant les élections se rend chez les marabouts pour chercher leur concours. Le ministre de la communication d’alors Daouda Sow, dans tous ses états déboule dans le studio et les réprimande copieusement. Erreur ! Senghor, plutôt satisfait va prendre le contrepied du ministre zélateur presque au même moment. « On a fait passer cette bande à la radio. Et ça a fait un gros scandale. À l’époque notre ministre était Daouda Sow. Il était venu tout furieux nous réprimander. Mais au même moment, Senghor a téléphoné à la radio pour dire qu’il a suivi l’émission et que c’était intéressant. Cette émission, je pense qu’on l’a fait passer dix fois grâce à Senghor qui avait un esprit de dépassement». Pour ce sujet, Senghor n'avait pas de problème. Mais globalement Abdoul Aziz Diop est une brebis incontrôlable et imprévisible, il fallait qu'il aille ailleurs faire ses soubresauts.
Senghor définitivement débarrassé d’un trouble-fête
Promu correspondant, Abdoul Aziz admet qu’il n’était pas particulièrement «le plus intelligent ou le plus compétent» pour mériter une consécration aussi précoce que prestigieuse. Mais en revanche, il était «certainement le plus emmerdant» de tous. En effet, au temps des partis uniques, aucun régime en Afrique ne pouvait tolérer un journaliste avec une certaine liberté de ton. Tout compte fait, le jeune journaliste d’alors a su exploiter cet éloignement. D’ailleurs, Abdoul Aziz reconnait le prestige rattaché à ce poste de correspondant à l'étranger surtout pour son âge. «Pour un jeune journaliste qu’on nommait immédiatement correspondant, c’était une promotion extraordinaire dans la carrière de journaliste». Sauf que dans son cas précis, ce n'était pas gratuit et désintéressé.
Mais sa nomination relevait plutôt d'une stratégie méticuleusement pensée, une méthode savamment planifiée pour appâter et éloigner un journaliste politiquement encombrant, professionnellement impertinent, un peu trop libre et insoumis. En somme, une manière douce d'écarter «un chien de garde» pour se préserver des aboiements assourdissants. Abdoul Aziz se fait plus précis sur les motifs inavoués de sa nomination : «Ce qui me valait cette promotion n’était pas mon mérite. Je n’étais pas plus intelligent ou plus méritant que mes autres collègues. Peut-être j’étais le plus emmerdant. Donc, il fallait un peu m’isoler pour avoir un peu la paix», plaisante-t-il.
Travaillant à Bonn et résidant à Cologne, quand Abdoul Aziz arrivait en Cologne, en 1973, il n’y avait qu’une dizaine d’Africains et le Sénégal comptait environ 3 millions d’habitants. Aujourd’hui c’est une bonne colonie qu’on rencontre dans cette ville allemande. Mamadou Diop Decroix, le camarade de promo à la Fac d'Abdoul Aziz n’est pas surpris par les manœuvres de Senghor pour éloigner le journaliste. Par ailleurs, il trouve l’expression de «promotion-sanction» très juste pour traduire la nomination de son ancien camarade de lutte avec qui il était très proche au département de philosophie. «La notion de promotion-sanction est appropriée puisqu'il (Abdoul Aziz Diop) était brillant et en même temps invivable pour les chefs qu'il empêchait de tourner en rond. Donc on l'éloigne tout en l'incitant à accepter ce qui, somme toute, était une bonne opportunité pour un jeune de son âge», explique l’ancien ministre.
De l’ORTS à la Deutsche Welle
En découvrant la Deutsche Welle, Abdoul Aziz Diop n’a pas quitté son poste de correspondant de manière précipitée. Tout en assurant sa mission pour l’ORTS, il a continué à faire des piges pour la DW. Stratégiquement, il fallait assurer pour quelques années la mission pour laquelle il était en Allemagne. Mais très vite, du collaborateur, le jeune reporter passera à agent de la DW. «Quand j’ai démissionné, j’avais déjà un pied dedans (Ndlr : à la DW). Donc il ne me restait plus qu’à ramener l’autre pied pour continuer», se rappelle-t-il sur un ton comique. Trois ans ont suffi pour qu’il renonce à son poste de correspondant pour l'ORTS. Pour le régime de Senghor, c’est du pain béni. Tant qu’Abdoul Aziz reste loin du Sénégal et ne peut jouer à l'empêcheur de tourner en rond au Sénégal, cette démission est plutôt une bonne nouvelle. Dont acte.
Même si Abdoul Aziz reste modeste, sa compétence est aussi un fait. Journaliste politique, il s’est pendant longtemps occupé de «Politique occidentale» envers l'Afrique à la Deutsche Welle. À l’époque, des profils de journalistes comme le sien étaient considérés comme les «meilleurs connaisseurs de la politique occidentale». Officiellement, Abdoul Aziz est journaliste politique, mais dans sa carrière, il n’a laissé presqu’aucun desk en rade au sein du service francophone de la Deutsche Welle. Polyvalent, il est passé de la Culture, à l’Économie et au Sport. En 2012, il était encore responsable du desk Sports de la DW. Au total, il aura capitalisé 47 ans à la DW et à juste raison. «Je sais que son travail était bien apprécié par les responsables de la chaîne, sinon ils ne l’auraient pas gardé si longtemps car Aziz a quasiment fait toute sa carrière à la DW jusqu'à la retraite», estime Djadji Touré qui a pris le relais pour l’ORTS quand Abdoul Aziz a rejoint la DW.
Le journaliste Mbaye Sidy Mbaye a rencontré Abdoul Aziz Diop en Allemagne et se souvient des valeurs dont est porteur son confrère. «Aziz était un journaliste aguerri aux règles d’éthique et de déontologie de notre profession. On s’est connu en Allemagne, à la Deutsche Welle. Un homme très ouvert aux innovations en matière de liberté des journalistes, de leurs droits d’assumer la responsabilité au nom des "personnes". C’est une notion qui est née dans les années 40-45 et qui a renforcé le pouvoir de l’opinion publiques».
Un face à face avec Abdou Diouf qui fait l'effet d'une bombe dans le pays
Abdoul Aziz Diop se rappelle cet entretien tendu qu’il a eu avec le président Abdou Diouf en direct à la télé lors des élections de 1988 pour le compte de la DW et qui «avait retenti comme une bombe dans ce pays». Il s’agit d’un entretien sans concession où Abdoul Aziz récusait l’incarcération d’Abdoulaye Wade et dénonçait la flagrance d’une injustice. Une prise de position claire et nette de ce journaliste ô combien révolutionnaire. «Bien que je ne sois pas membre du PDS, j’étais en discussion très, très vive avec le président Abdou Diouf pour la libération de Abdoulaye Wade parce qu’il n’y avait aucune raison de l’arrêter», se souvient-il. D’ailleurs, il se rappelle avoir été le premier à évoquer l’idée d’un gouvernement d’union nationale au Sénégal à cette époque précise.
Bientôt 50 ans passés en Allemagne, Abdoul Aziz Diop explique pourtant que son projet à l‘époque ne fut nullement de s’incruster au pays de Johann von Goethe. «Puisque, dit-il, toute ma volonté était de travailler pour le Sénégal» et surtout de lutter pour «la liberté de la presse qui a été l’une des raisons pratiquement de mon exil». Ça, c’était le vœu. Mais l’amour étant parfois capable de chambouler des projets les plus obsédants, cela a dû changer les plans du journaliste. Ce n’est pas pour autant qu’il s’est déconnecté du pays, surtout pas de son Saint-Louis natal. Aziz Diop tient à la terre de ses ancêtres comme à la prunelle de ses yeux. Il a voyagé dans nombre de pays à travers le monde, visité beaucoup de villes. Mais son Saint-Louis natal demeure sa ville de cœur. Cette ville l'habite même s'il a aussi son cœur au pays de Konrad Adenauer.
Cette Allemande qui conquis le cœur du journaliste
Arrivé en Allemagne, Abdoul Aziz Diop s’est très tôt remarié avec une native avec qui ils forment un couple exemplaire et fusionnel. Un amour fort qui a transcendé les années et les différences culturelles. Le couple germano-sénégalais a eu trois enfants et des petits enfants. L’épouse allemande d’Abdoul Aziz a généreusement éduqué ses autres enfants issus de son premier mariage au Sénégal qui l’avaient rejoint en Allemagne. En famille, Abdoul Aziz Diop est un papa modèle, diplomate et négociateur. Avec ses enfants, c’est la grande amitié, une complicité à toute épreuve et une expression sans tabou dans le respect mutuel. À la question de savoir quel type de papa il est, il répond en souriant «Si je fais confiance à mes enfants, je ne sais pas s’ils voulaient me truander ou pas, il semble que je suis un excellent papa», rapporte-t-il sur un ton humoristique. Mais une chose est sûre, Abdoul Aziz est d’abord «un ami» pour eux.
Par exemple, quand, il rentre à Dakar, il sort avec l’une de ses filles. «Nous sommes sortis deux ou trois nuits. Mais personne ne voulait croire que c’était ma fille. Nous sommes allés en boîte, allés ici et là prendre un pot. Notre dialogue est sincère et l’échange se fait dans le respect avec un langage très libre. Je suis comme ça avec tous mes enfants», assure-t-il. En plus d’être bon papa, Abdoul Aziz Diop est loyal en amitié. Il dit porter toujours ses amis de jeunesse dans son cœur sans distinction aucune, quel que soit ce qu’ils sont devenus socialement ou qu’ils ont accompli professionnellement. «Pour moi, ils sont tous égaux et je les porte dans mon cœur avec la même passion», affirme-t-il «J’ai toujours adoré tous mes amis et je respecte beaucoup mes amis de jeunesse parce que nous avons partagé quelque chose de très, très beau. D’ailleurs, je ne fais que leur courir après. Je crois qu’autant que je suis un bon père de famille, je suis un bon ami», insiste-t-il. Abdoul Aziz a compris que donner de l’amour participe aussi, dans une certaine mesure, de son bonheur.
La philosophie du bonheur selon Abdoul Aziz Diop
Affable et très prévenant, Abdoul Aziz est un homme attentionné au regard bienveillant. Svelte et de teint clair, ses cheveux grisonnants portent le poids des âges. Le regard de ce Saint-louisien bon teint suffit pour mettre en confiance ses interlocuteurs. C’est tout débordant d’émotion qu’il nous accueillait en 2012, chez lui à Yoff. Il était si ému qu’il avait du mal à s’installer confortablement dans le fauteuil, le dos très loin du dossier. Ce n’est pas pour autant qu’il se sépare de sa pipe après s’être excusé de fumer. Pour Abdoul Aziz, il fallait à tout prix mettre à l’aise ses hôtes. Le journaliste Djadji Touré connaît bien l’homme qu’il a remplacé à la Deutsche Welle pour l’ORTS : «Aziz c’est un grand cœur, un vrai «domou Ndar» avec la sensibilité, l’urbanité mais aussi la témérité», nous confie Djadji Touré avec qui il a «des relations familiales par alliance».
Abdoul Aziz Diop est un homme heureux parce que sa philosophie de la vie est simple et le bonheur pour lui, c’est facilement atteignable. «L’idée du bonheur pour moi, c’est d’être d’accord avec soi-même. Si on est d’accord avec soi-même, je crois qu’on peut être heureux». L’argent c’est bien, mais trop d’argent, c’est problématique. À son avis, il est absurde de passer sa vie à thésauriser car rien ne vaut la paix. Or si vous avez trop d’argent, ce qui risque de vous manquer cruellement c’est la paix que l’argent ne peut acheter outre mesure. «Si vous avez beaucoup d’argent, vous n’avez que des soucis d’argent. Vous n’avez pas la paix. Quand vous dormez, vous pensez à l’argent, quand vous rêvez, vous ne pensez qu’à l’argent ainsi de suite», estime Aziz. In fine, il est important de savoir apprécier le peu que l’on possède. «Avec le peu, je peux vivre honnêtement, vivre heureux et ne pas me donner des préoccupations qui me chargent moralement jusqu’à m’exclure un peu du véritable sens de la vie», analyse Abdoul Aziz.
Passion, parcours et regard sur le journalisme aujourd’hui
Né en 1948 à Saint-Louis, Abdoul Aziz est ancien pensionnaire du lycée Blanchot et a été ancien élève du ministre Amadou Makara Mbow. Étudiant en philosophie, avec Mamadou Diop Decroix, c’est en deuxième année d’études qu’il passe avec succès le concours de journalisme organisé, à l’époque, à l’échelle continentale. Reçu à ce concours, il rejoint La Maisons-Laffitte (France). À ce titre, Abdoul Aziz est de la même génération et de la même formation que Sokhna Dieng, Abdou Bane Ndongo. D’autres comme Malick Gueye, Abdoulaye Fofana Junior étaient admis dans les centres de production de la même institution. La formation terminée, rentré au pays, Abdoul Aziz rêvait d’une presse libre, indépendante et respectueuse de l’éthique et de la déontologie. C’était une période de brouillement politique où la jeunesse avait soif de changement, voire de chamboulement politique, sociale et idéologique.
«Cette génération de soixante-huitards ce sont des combattants. Partout où ils sont, ils se battent contre l'injustice et contre la médiocrité. Aziz était en pointe sur ce front contre l'injustice et contre la médiocrité», se remémore Mamadou Diop Decroix qui a lui-même fait les frais du régime Senghor parce qu’«exclu de l'université et enrôlé dans l'armée jusqu'en 1972». Il entre clandestinement en politique et perd de vue Abdoul Aziz Diop alors qu’ils étaient «de vrais copains» au département de philo. C’est dans ce contexte que Abdoul Aziz trouve l’opportunité d’aller se former en France en journalisme.
Le journalisme, trop sérieux pour rester aux seules mains des journalistes
Une presse libre et indépendante, c’était le vœu des journalistes de la génération d’Abdoul Aziz. «Notre but c’était qu’il y ait ce qui existe aujourd’hui. Vous êtes heureux actuellement», se réjouit Abdoul Aziz Diop. Il se «satisfait» aujourd'hui de la floraison des titres au Sénégal et de la liberté dont jouissent les journalistes. Puisque quand, lui quittait le Sénégal, l’ORTS radio et le quotidien «Le Soleil» étaient seuls médias du pays. Mieux, il n’était «pas donné de parler ou d’écrire», en toute liberté comme c’est le cas aujourd’hui. C’était un seul discours, lisse, commode et en phase avec le régime Senghor. D’ailleurs, c’est en voulant passer outre que lui s’est retrouvé en Allemagne par la force des choses. «J’ai fait partie de ceux qui œuvraient pour le développement du pays parce que j’étais à la radio et à la radio c’est du sérieux. On a essayé d’apporter notre savoir-faire. Aujourd’hui, quand j’attends parler de liberté de presse, j’ai envie de rire. Parce qu’on était les premiers militants de cette cause», affirme Abdoul Aziz.
Mais sur un autre plan, Abdoul Aziz reste dubitatif sur la pratique du métier au Sénégal. «À lire parfois le contenu de certains collègues, on relève énormément d’insuffisances», regrette-t-il. À son avis, ces insuffisances pourraient relever des failles de la formation. Mais en même temps, l’école ne peut pas non plus tout donner. Le journaliste doit sans cesse se former. D’ailleurs, le doyen sénégalais de la DW est pour une suppression de «l’école réelle de journalisme». Pour lui, ce n’est pas inintéressant d’ouvrir la profession à des professionnels d’autres secteurs. En d’autres termes, il serait pertinent que de plus en plus, tout journaliste, ait une autre formation dans un domaine quelconque en plus des techniques professionnelles qu’il peut acquérir à l’école de journalisme. «Je ne suis pas partisan d’une école réelle. Je suis favorable à ce qu’un juriste, un médecin ou qu’un instituteur fasse du journalisme. Qu’on ait quelque chose en main pour apprendre ensuite les techniques de l’information», argue-t-il.
Toutefois, Abdoul Aziz Diop ne perd pas de vue le fait que ce soit «plus complexe» aujourd’hui parce que tout simplement c’est «toute une science, la communication avec pas mal de disciplines». In fine, aller à l’école pour certaines disciplines dérivées oui, mais y aller pour du journalisme exclusivement, «je ne crois pas que l’école soit nécessaire», conclut-il. Professionnel aguerri, Abdoul Aziz a reçu et formé des générations de stagiaires africains, notamment sénégalais au service francophone de la DW pendant des années. Son conseil à leur endroit a toujours été «lire, lire, lire et lire». Il n’y a pas de secret pour être bon dans ce métier. Internet existe certes, mais ne suffit pas. Et pour que ses conseils soient mis en application et suivis d’effets, Abdoul Aziz ne manque pas d’offrir des œuvres à ses interlocuteurs. À son avis, le manque de documentation peut-être une des causes des lacunes notées chez la nouvelle génération. Abdoul Aziz a aimé le journalisme, mais sa vie n’est pas faite que du journalisme. Il a ses passions pour exprimer et partager ses émotions. Au commencement était l’art...
Vie littéraire et artistique
Journaliste, Abdoul Aziz Diop est aussi écrivain, musicien et peintre. Un artiste multidimensionnel en somme. Son premier livre «L’ailleurs et l’illusion» paru en 1983 au NEA porte sur l’émigration. Dix ans plus tard, il sort «Prisonniers de la vie» qui rassemble ses souvenirs d’enfance à Saint-Louis, «Prison d’Europe» en 2011, a eu le 3è Prix des lycées et collèges du Sénégal. Ce roman retrace l'itinéraire de Michael, un Africain incarcéré dans une prison allemande, accusé de supercherie et de violences conjugales. «L’obsession du bonheur» est en cours de finalisation compte non tenu des nombreux «brouillons» en attente dans les tiroirs. Passionné de «création musicale», en 1997, Aziz avait sorti une cassette intitulée «Ndar». «J’écris des chansons en wolof car avant d’être journaliste, j’ai été musicien. Je chantais et jouais de la guitare et je me suis formé au Star Jazz de Saint-Louis». Également attiré par la peinture, c’est l’expression artistique qu’il a le moins pratiqué. Tant mieux puisque le «’virus de la peinture' a été retransmis à quelques-uns de ses enfants tout comme la musique», expliquait-il dans le quotidien Le Soleil en 2014.
Retraité depuis 2014, malgré son attachement pour le Sénégal, Abdoul Aziz ne compte pas commettre la maladresse de rentrer au Sénégal et laisser son épouse en Allemagne. Dans sa vision des choses, cela relèverait de l’ingratitude. «Ce n’est pas très reconnaissant de profiter d’un peu trop de ma liberté pour dire : ‘’maintenant je suis en retraite, je vais aller dans mon pays, je vais rester six mois ou sept mois là-bas et te laisser seule ici’’. Ce n’est pas correct», estime-t-il. Toutefois, il avait prévu de multiplier «si c’est possible les va-et-vient».
Attaché à sa culture sénégalaise, Abdoul Aziz s’est aussi enrichi de quelques valeurs germaniques comme le culte du travail. La société allemande m’a beaucoup marqué ; elle m’a donné le sens de la ponctualité, de la franchise, de la conscience au travail quitte à y laisser ma vie». En près de 50 ans de service, Aziz ne s’est absenté que 2 fois au boulot parce que là-bas, même malades, les gens ne s’absentent pas aussi facilement. Ce qui pour lui tranche avec les habitudes au Sénégal ou ailleurs.
Abdoul Aziz tel un ambassadeur du Sénégal ?
Abdoul Aziz est probablement le premier Sénégalais arrivé en Cologne en 1973. Sa profession aidant, il a sans conteste réussi à trisser sa toile en termes de relations et de réseautage. Etant donné son grand coeur, il ne s'abstient pas d'aider ses compatriotes qui ont quelques petits soucis d'ordre administratif ou autres. En tout cas sur la toile, des internautes qui connaissent l’homme témoignent. «Ce monsieur Diop est une pilonne de la fierté sénégalaise et il pesait beaucoup plus lourd que notre ambassadeur à Bonn. Son assistance aux Sénégalais en Allemagne est sans borne», commente un internaute qui se fait appeler Clin D’Œil. «Généreux de cœur et d'esprit, patient et pédagogue accompli. Aziz Diop est multidimensionnel. C'est la source à laquelle on ne se privera jamais assez d'étancher notre soif inextinguible de connaissance. Reste longtemps encore parmi nous », dit pour sa part un certain Pappur_Meradiop. Un troisième internaute est plutôt surpris quand Abdoul Aziz Diop dit n’avoir pas été confronté au racisme pendant tout ce temps en Allemagne. «il faut avoir une drôle de chance à moins d'être" aveugle». En effet, Abdoul dit n'avoir été victime de racisme à proprement parlé, mais convient que la discrimination existe.
Nous avions interviewé et dressé le profil très léger de Moulay Abdel Aziz, le nom d’antenne d’Aboul Aziz en 2012 lors de son bref passage à Dakar pour la célébration des 50 ans de la section française de la Deutsche Welle. Le profil avait été publié dans Le Pays au Quotidien et le Sénégalais.net. Abdoul Aziz profitait de ce retour pour passer l’une de ses rares Tabaski à Saint-Louis «après 40 ans de non tabaski» en Allemagne. Puisque là-bas, le jour de la Tabaski est «une journée comme une autre, à part prier et se recueillir», contrairement à la convivialité et le partage dont on peut jouir au Sénégal. Ce texte alors très maigre en infos, a été profondément réactualisé et mieux documenté, notamment avec des témoignages les propos récent du personnage dans un entretien sur Emigré Tv.
Puisque désormais "Domou Ndar" est définitivement libéré de ses charges à la Deutsche Welle, il peut revenir tranquillement fêter, fin de ce mois de juillet, une Tabaski en paix dans l’intimité familiale, renouer avec les senteurs et les saveurs de Ndar, sa «cité éternelle».
par l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
DÉBOULONNAGE DES STATUES, ATTENTION AU MANICHÉÏSME
EXCLUSIF SENEPLUS - La moralisation de l'histoire est un pari risqué - Il faut ajouter à la mémoire coloniale une nouvelle mémoire nationale plutôt que d’empêcher la pluralité des regards - INTERVIEW DE SERIGNE FALLOU DIENG
Serigne Saliou Guèye de SenePlus |
Publication 30/07/2020
Le déboulonnement des statues bat toujours son plein. Serigne Fallou, président du Cercle des marabouts soufis, ne cautionne pas ce lynchage statuaire débridé constaté depuis la mort de George Floyd. Plutôt que de détruire nos statues, il alerte sur le danger du manichéisme qui embrouille les esprits.
SenePlus : Le phénomène viral de déboulonnement des statues entachées n’épargne pas le Sénégal plus précisément celle de Faidherbe dont la statue trône à l’entrée de l’île de Ndar. Votre appréciation ?
Serigne Fallou Dieng : Retirer une statue n'est pas la solution, c'est au contraire un acte de colère qui ouvre la boîte de Pandore du révisionnisme historique. Partout dans le monde, depuis la mort de George Floyd et l’internationalisation du mouvement Black Lives Matter, des statues d'esclavagistes, de colonialistes et de suprémacistes blancs sont tombées. Ces statues sont déboulonnées en raison de la violence coloniale, du racisme et des actions de déshumanisation criminelle et ségrégationniste attribuées à ces personnages controversés qui symbolisent ces statues lynchées. Au Sénégal comme en France à Lille, la statue du général Faidherbe fait débat. Certes Faidherbe est connu pour être le héros de la bataille de Bapaume mais il est aussi et surtout connu pour ses conquêtes coloniales très sanguinaires entachées de racisme et de déshumanisation en Afrique. Le collectif «Faidherbe doit tomber» se bat depuis deux ans pour retirer la statue du colonisateur qu'il considère comme avant tout un criminel colonisateur et raciste. Le collectif déplore le fait que nulle part n'est mentionné, sur sa statue, ce passé. Mais il ne faudrait pas s'offenser de tout et rêver de tout interdire au nom des sensibilités et des identités.
Déboulonner une statue est un geste de colère, donc d'émotion, qui prive les générations à venir de leur droit de savoir et de mémoire. C'est en croisant la statue de Faidherbe que l'on peut expliquer aux enfants et adolescents non seulement ce qu'il fut mais aussi le contexte de son époque. Il en va de même pour Voltaire et Schœlcher dont le discours au Sénat pour faire voter l'abolition de l'esclavage mérite d'être lu et relu bien que l'on ne puisse pas nier ses négociations pour indemniser les colons. L'abolition avait un prix, en 1848 ! Les statues et autres œuvres d'art qui dérangent par ce qu’elles rappellent de triste mémoire peuvent fort bien, comme en Hongrie, rejoindre un musée qui permet d'expliquer les années passées et leur contexte. Nous considérons que la moralisation de l'histoire est un pari risqué qui ne se réaliserait jamais par des conceptions instantanées et des visions décontextualisées. Donc, c'est trop difficile de purifier l'histoire et la culture dans la mesure où personne ne serait en mesure de s'ériger en juge implacable de l'histoire.
Mais ne faut-il pas réécrire notre histoire sujette à des controverses d’essence communautaire ?
C’est le travail herculéen du professeur Iba Der Thiam. Au Sénégal, on peine à avoir une mémoire historique commune comme pas plus qu’une histoire générale commune. On échoue à tout ! On ne pense plus notre histoire comme une histoire commune, mais comme une sommation d’histoires communautaires. Nous ne sommes plus capables de faire la part entre ce que quelqu’un a apporté de bien ou de moins bien, fût-il un colon, à l’ensemble de la communauté nationale. Chacun regarde ce qui l’arrange en fonction d’une facette de son identité ou de son appartenance communautaire.
Nous devons créer de nouvelles statues, si possible, plus nationalistes en l'honneur des figures spiritualistes et religieuses qui ont participé à l'émancipation de notre nation et su construire un nationalisme regardant l'avenir tout en refusant de s'enfermer dans le passé rétrograde et dégradant. Faidherbe devrait avoir en face dans le jardin une statue Cheikhoul Khadim dont la présence historique au bureau du gouverneur a été émaillée d'incidents surhumains et une autre de Cheikh Oumar Al Foutiyou Tall qui a su marquer l’histoire d’une pierre indélébile. Il faut ajouter à la mémoire coloniale une nouvelle mémoire nationale plutôt que d’empêcher la pluralité des regards.
J'ai déploré la remise en question du « roman nationale » lorsque le professeur Iba der Thiam échoua de susciter une chaleur nationale autour de son œuvre « Histoire générale du Sénégal ». J’ai aussi déploré le fait que son œuvre historique n'ait pas pu créer un consensus national et qu'en conséquence, au Sénégal, les histoires remplaceraient l'histoire et l'histoire générale.
J'ai ajouté qu'après la remise en question de ce «roman national», vient le temps des particularismes, des identités, du régionalisme et des mémoires. Si chacun compose une histoire selon son goût et ses préférences et que tous les parcours se valent, c'est le contraire même de l'histoire. Le travail traditionnel de l’historien est de faire passer le passé au présent et au futur. Aujourd’hui, l’historien est la voix du présent. Et il doit tout faire pour résister aux pressions politiques comme aux pressions sociales, au lieu de les subir ou de les servir. La mémoire, on ne la réinvente pas avec des incantations car il y a des destins qui font des noms et des noms qui font de l'histoire. Et ceux qui n'assument pas leur propre histoire ne mériteront nullement de conduire eux-mêmes leur destin.
Votre mot de la fin sur cette bataille mémorielle qui secoue l’Europe, les Etats-Unis et l’Afrique !
Plutôt que de détruire nos statues, érigeons-en de nouvelles, inventons notre tradition en préférant écrire l’avenir plutôt que de réécrire le passé. Dressons des statues, baptisons des rues et des édifices publics du nom de ceux qui ont défendu par le sang ou par la plume la dignité de l'homme noir, ceux ont porté lucidement le combat nationale et diffusé le message religieux tout en permettant à l’universalisme de ne pas mourir. Donc, il va falloir intégrer dans la mémoire historique d'autres personnes qui ont mené la résistance et réalisé de grands exploits héroïques dans le combat pour la libération de notre nation. Mais il faut également mettre à l'index cette posture moraliste et un certain manichéisme qui va à contre-courant de toute réflexion plurielle. On a tendance à projeter des idées d’aujourd’hui sur le passé, ce qui constitue un anachronisme. Le risque est de confondre tout.
Certes le personnage de Faidherbe est très négatif du fait de son passé violent, sanguinaire et raciste mais sa statue brut de décoffrage ne renvoie à aucune incidence morale dégradante par rapport à la dignité de l'homme noir. Contrairement à la statue « Teddy Roosevelt» à l’entrée du muséum américain d’histoire naturelle depuis 80 ans qui représente explicitement les Noirs et Amérindiens comme assujettis et racialement inférieurs. Puisque la statue montre l’ancien président, qui fut gouverneur de l’Etat de New York avant d’accéder à la Maison Blanche, assis sur un cheval et surplombant un homme noir et un Amérindien marchant à pied à ses côtés. Par conséquent, j’opte pour le maintien de la statue de Faidherbe mais en biffant cette inscription hypocrite masochiste : « A son gouverneur Louis Faidherbe, le Sénégal reconnaissant » et en y mettant des phrases informant sur son vrai visage de colon sanguinaire.
Il faut refuser la monopolisation identitaire que tentent d’établir certains activistes en vue de propager un certain nationalisme segmenté qui pourrait induire l'idée manichéenne qu'il y aurait une essence du mal que représenteraient les Blancs et une essence du bien que représenteraient les non-Blancs. Il faudrait aussi déplacer le problème du côté de l’esclavage des Noirs qui est un fait historique indéniable. Mais, si ce combat veut se situer honnêtement du côté de l’analyse historique, il lui faut en tirer toutes les conséquences. L’esclavage a été pratiqué par les Noirs sur d’autres Noirs, pour ensuite être pratiqué par les Arabes contre les Noirs. Il ne faudrait pas céder au manichéisme qui embrouille les esprits plutôt que d’éclairer chaque citoyen à y voir plus clair par rapport à cette œuvre de déboulonnement des statues jugées représenter les méchants de l'histoire. Puisque cela requiert de faire preuve de l’usage de la raison en lieu et place de l’émotion morale qui ne mène nulle part.
Le souffle néo-nationaliste ne devrait pas affecter l'histoire et déformer la mémoire coloniale sénégalaise. Si ce lynchage statuaire poursuit sa logique destructiviste demain, il faudra raser la maison d'esclaves à Gorée, abattre l'Arc de Triomphe, brûler Le Louvre et détruire le vieux port de Marseille sans oublier de mettre à bas les statues de Napoléon, Louis XIV, Richelieu et autres Jaurès ou Ferry...