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25 avril 2025
Culture
L'AFRIQUE FACE À LA JUSTICE INTERNATIONALE
Alioune Sall revient avec un ouvrage intitulé L’émotion et la raison : l’Afrique face à la justice internationale, publié aux éditions L’Harmattan Sénégal
Alioune Sall revient avec un ouvrage intitulé L’émotion et la raison : l’Afrique face à la justice internationale, publié aux éditions L’Harmattan Sénégal. Et cette fois-ci, le professeur titulaire des Universités étudie les comportements et les réactions et les critiques africaines contre cette justice pénale internationale qui serait celle des faibles. Celui qui a été avocat-conseil devant la Cour internationale de justice de la Haye, puis juge à la Cour de justice de la Cedeao relativise cette posture africaine par des exemples et relève, comme disait Senghor qu’il cite d’ailleurs, de «l’émotion» et de la «raison».
La première leçon qu’il convient de tirer des développements qui précèdent est d’abord une certaine équivocité des positions africaines elles-mêmes, face à la justice internationale. Il ne s’agit pas nécessairement de critiquer cette variabilité - tant elle est partagée par les Etats - mais de juste souligner l’inexactitude d’une représentation dichotomique des choses, concevant d’une part une justice invariablement sévère pour les faibles et d’autre part des Etats systématiquement cohérents dans leur posture de victimes d’un tel système. L’on ne met ainsi pas assez en évidence le fait que la compétence universelle, ce point de cristallisation majeur du conflit avec la justice internationale, constitue une institution consacrée dans beaucoup de systèmes judiciaires nationaux sur le continent. Des Etats comme la Rdc, le Congo, l’Ethiopie, le Ghana ou encore le Niger, le Rwanda ou le Mali l’ont reprise dans leurs droits internes, pour la simple raison qu’ils sont Parties à des conventions internationales comportant un tel engagement. Au moins vingt-deux systèmes judiciaires nationaux sont concernés, soit un peu moins de la moitié des Etats africains. La compétence universelle n’est donc pas, en principe, une institution au service de l’unilatéralisme et de l’impérialisme judiciaires, elle est une règle largement partagée dans le monde et peut parfaitement se recommander de la nécessité de combattre collectivement certaines transgressions, à travers la dispersion organisée du pouvoir de sévir contre de tels agissements.
De la même manière, l’examen approfondi d’une autre question cruciale, celle de l’immunité des dirigeants politiques, pourrait bien bousculer certains préjugés. Ainsi, si l’on se penche sur les débats consécutifs à l’adoption de la résolution 1593 déférant la situation du Darfour à la Cpi, deux curiosités peuvent être relevées. La première est la convergence afro-étatsunienne sur la question de l’immunité. Les Etats-Unis s’y montrent en effet favorables à l’application du principe d’immunité des gouvernants, et donc hostiles à l’extension de la juridiction de la Cour au Président Béchir notamment. Il s’agit donc d’une position plutôt proche de celle que les Etats membres de l’Ua ont adoptée. Les américains s’abstiendront d’ailleurs au moment du vote. Cette convergence américano-africaine est inattendue, elle est contraire à l’image d’une Cpi instrumentalisée par les Etats du Nord et systématiquement hostile aux pays du Sud. Ce n’est pas le seul paradoxe que les débats ont mis en évidence. Il est en effet apparu que les Etats africains non membres du Conseil de sécurité ont été opposés à l’affirmation, par la résolution, d’une immunité de juridiction pour une certaine catégorie de personnes. En d’autres termes, ces Etats ont adopté une position contraire, au moins dans son principe, à celle qu’ils afficheront quelque temps après dans le cadre de l’Ua. Le traitement du dossier soudanais par le Conseil de sécurité aura donc mis en évidence autant des convergences inattendues (de l’Afrique et des Etats-Unis) que des fractures déroutantes (au sein du camp africain).
Ironie de l’histoire et subversion des idées reçues, encore, lorsque l’on examine l’institution du Procureur de la Cpi. L’on a amplement vu à quel point ce personnage a fini par symboliser, aux yeux des Etats membres de l’Ua, les errements et les dérives de la justice internationale. Certaines résolutions de l’organisation panafricaine confinent, à cet égard, à la charge «ad hominem», brocardant nommément le titulaire du poste. Il apparaît pourtant qu’au cours des négociations préalables à l’adoption du Statut de Rome, nombre d’Etats du continent avaient défendu la thèse d’un procureur indépendant et libéré de toute entrave. Le statut et les pouvoirs du procureur constituaient en effet une composante importante des thèses des «Etats-pilotes» (Union européenne, Australie, Canada, Argentine, Croatie, Suisse…), lesquels ont très vite été rejoints par des Etats africains comme l’Afrique du Sud et les membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (Sadc). C’est donc bien plus tard que le procureur de la Cour a cristallisé la défiance africaine.
Brouillage des repères, également, lorsqu’on envisage le pouvoir du Conseil de sécurité de suspendre les poursuites devant la Cour (article 16 du Statut de Rome). Symbolique de la pénétration de considérations politiques dans l’exercice de la justice, révélatrice en soi d’une forme de mainmise des grandes puissances sur le fonctionnement de la Cpi, cette disposition aurait pourtant reçu le soutien d’un certain nombre d’Etats africains au cours de la mise au point du traité créant la juridiction. Le «compromis de Singapour», qui scelle le rôle et les pouvoirs du Conseil dans la nouvelle architecture de justice, doit beaucoup aux Etats africains en général, et à ceux de la Sadc en particulier. Au demeurant, force est de constater qu’en dépit de l’évidence de son effet dissolvant sur l’œuvre de justice, le pouvoir de suspension des poursuites n’a jamais été contesté dans son principe par les Etats africains. Ceux-ci en ont seulement demandé, soit le bénéfice (de façon réitérée et pour notamment les dossiers soudanais et kenyan), soit le changement de détenteur (transfert à l’Assemblée générale). L’un des symboles les plus éclatants de l’inégalité des Etats dans le fonctionnement de la Cour ne fait ainsi l’objet d’aucune contestation de la part des Etats africains.
«Soumission des procédures judiciaires aux intérêts politiques des Etats puissants»
Passons, enfin, sur la pratique très erratique du principe de complémentarité. Tantôt revendiqué pour se soustraire à la juridiction de la Cpi (affaire kenyane notamment), ce principe est au contraire promptement écarté lorsque, pour des raisons évidentes de politique intérieure, les gouvernements invitent la Cour à s’intéresser à eux, c’est-à-dire… à leurs opposants (Ouganda, Rdc, Rca, Mali). D’autres fois, dans un même pays et pour une même situation mais avec des justiciables différents, le principe de complémentarité est soit invoqué soit «oublié» (Côte d’Ivoire, époux Gbagbo). Il existe ainsi une certaine ambiguïté africaine devant la justice internationale. Il convient d’admettre ce fait-là, ne serait-ce que pour rompre avec toute vision simpliste des choses. Le débat aura incontestablement progressé si l’on s’accordait d’abord sur cette évidence.
Mais il faut aller plus loin que l’évidence. Et d’abord rappeler que les équivocités africaines sont le lot de tous les Etats. Les positions diplomatiques des Etats, leur politique juridique extérieure et même l’interprétation de leurs obligations internationales épousent les circonstances, se plient au principe d’opportunité et restent au service d’intérêts eux-mêmes fluctuants. Il n’existe, de ce point de vue, aucune exception africaine. Il convient surtout d’ajouter que l’illisibilité occasionnelle des positions africaines face à la justice pénale internationale en particulier ne remet nullement en cause la possibilité de porter une appréciation globale sur cette justice, la possibilité d’exprimer de sérieuses critiques contre celle-ci. Car à la vérité, le fonctionnement de la justice pénale internationale aujourd’hui est loin d’être satisfaisant. Les préventions africaines à l’égard de celle-ci restent amplement justifiées, et les réserves faites à plusieurs égards sur le comportement des Etats membres de l’Ua n’excusent en rien les carences du système international.
Techniquement parlant, ce système reste perfectible. Tout ce qui est relatif, par exemple, à la prise en compte de la dimension culturelle dans le jugement des atrocités de masse peut sans doute être amélioré. Il s’agit d’éviter l’exercice d’une justice à la hussarde, commodément auréolée d’universalisme. Mais le plus grave n’est pas là, il est dans la soumission des procédures judiciaires aux intérêts politiques des Etats puissants. Jusque-là, le fonctionnement de la Cpi en particulier n’a que trop mis en évidence l’emprise que ces derniers exercent sur la juridiction, des membres permanents du Conseil de sécurité en particulier ayant quasiment revendiqué une sorte de droit de co-pilotage des procédures judiciaires. Les récriminations africaines gardent incontestablement une grande part de pertinence, il convient de ne pas l’oublier.
Mais la nécessité de l’autocritique s’impose aussi aux dénigreurs de la justice internationale. L’on rappellera d’abord que, conçue par les Etats qui en sont en quelque sorte les justiciables, cette justice ne peut que leur ressembler. Il n’existe pas, à l’échelle internationale, de corporation toute puissante de magistrats, exerçant un «gouvernement des juges» au-dessus de la tête des Etats ; il n’y a que des magistrats dépositaires d’un pouvoir de juger non seulement codifié dans son principe et dans son étendue, mais dont le déclenchement ponctuel relève encore de la volonté des Etats. Si le juge supra national peine à bien mener ses enquêtes, c’est aussi parce que les Etats ne lui facilitent pas la tâche. Toute critique de la justice internationale doit avoir le courage ou la lucidité de ne pas perdre de vue cet aspect des choses. (…) Le débat sur la justice pénale et l’Afrique permet ainsi de méditer sur la place de cette justice dans l’ordre international et sur les remises en question auxquelles celle-ci devrait consentir pour répondre davantage à sa vocation et à l’espérance investie en elle. Il n’exonère pas non plus les contempteurs de cette justice. Les logiques bipolaires et simplificatrices trouvent alors leurs limites. Dans ce débat-là, les Etats ne sont ni momifiés dans un statut donné, ni figés dans une essence éternelle. Ils jouent des rôles successifs, adoptent des postures opportunistes, ajustent leurs attitudes à leurs intérêts circonstanciels. Tour à tour dominants et dominés, conservateurs et révolutionnaires, patriciens et plébéiens, victimes et rentiers, ils jouent sur divers registres et un syncrétisme foncier gouverne leur comportement : syncrétisme du pulsionnel et du rationnel, de l’intuitif et du discursif, de l’émotion et de la raison.
«COMMENT LA REPARTITION DU FONDS COVID-19 A ETE FAITE »
Palabres avec… Pape Faye, artiste - comédien et président de l’Arcots
Le comédien et maître de cérémonie Pape Faye, président de l’Association des artistes comédiens du théâtre sénégalais (ARCOTS), a tenu à livrer sa vérité des faits suite à l’octroi de soixante millions destinés aux comédiens dans le cadre du Fonds Covid - 19. En effet, aussitôt après la remise du chèque à Pape Faye, des voix se sont élevées pour réclamer une équité dans le cadre de la distribution de cette manne. Dans cet entretien, il revient sur cet épisode et livre sa vérité des faits.
Pape Faye vous avez reçu dans le cadre du fonds Covid -19, une enveloppe de soixante millions et cela a suscité des réactions de certains artistes qui exigent que tout se fasse dans la transparence ?
En ma qualité de président de l’Association des artistes comédiens du théâtre sénégalais (l’ARCOTs) nationale, j’ai eu à recevoir la somme de soixante millions. Cela s’est fait au vu et au su de toute la nation sénégalaise, car il y avait la presse qui a relayé l’information. C’était dans un souci de transparence et je m’en réjouis. Je voulais juste profiter de l’occasion pour remercier le Président de la République et le ministère de la Culture qui ont bien voulu nous octroyer cette enveloppe. Le Président de la République n’était pas obligé d’appuyer les acteurs du secteur de la culture. Il a surtout fait preuve de générosité et d’égards à l’endroit des hommes de Culture et il faut l’en féliciter. C’est justement parce qu’il a bien compris qu’il est le Protecteur des Arts, des Lettres et des Artistes qu’il a débloqué une enveloppe de trois milliards pour soutenir les acteurs de la Culture. Le sous-secteur du théâtre a reçu cent quatre-vingt millions et ARCOTs a bénéficié de soixante millions. Nous avons été les premiers à recevoir notre part, car nous étions les premiers à être prêts au niveau de tous les sous-secteurs. Cela prouve, si besoin en était, que nous n’avons pas de problèmes à ce niveau, car nous sommes un secteur très bien organisé. Pour rappel, l’ARCOTs existe depuis quinze ans déjà. Feu Thierno Ndiaye Doss a été le premier président. A sa disparition, Lamine Ndiaye a pris le relais. Et finalement, mes pairs m’ont choisi pour succéder à Lamine. Personnellement, je n’ai rien sollicité, mais ce sont les comédiens qui m’ont demandé avec insistance de présider notre association. Tout cela pour dire que le sérieux et la rigueur ont toujours prévalu au sein de l’ARCOTs.
Pouvez-vous revenir sur le processus qui a mené à l’octroi de ces soixante millions ?
J’allais en venir ! Mais je voulais juste poser le débat. Nous avons été reçus par le ministre de la Culture. Je tiens à dire que moi-même, j’avais sollicité cette audience. Ainsi, le ministre nous a reçus ainsi que les gens du comité de relance, nos collègues du groupe « Caada » et d’autres associations. Il nous a fait part de la situation et nous a demandé ce que nous avons prévu pour les accompagner. J’ai tenu alors à lui faire savoir que nous n’étions pas venus pour lui demander de l’argent. A titre personnel, j’avais déjà investi cinq cent mille francs sur fonds propre pour sortir une œuvre de sensibilisation dès l’apparition du virus. Il s’agit de mon propre argent, mais pas celui d’ARCOTs et je n’ai attendu personne pour le faire, car nous sommes des patriotes conscients de notre rôle et de notre place dans la société. Toutes les antennes d’ARCOTs ont aussi fait des gestes pour soutenir leurs membres. Aussi bien à Pikine, Thiès, Louga, Kaolack et ailleurs, ils ont décaissé des millions pour distribuer des vivres et appuyer des membres.
Qu’est ce qui justifie donc ces accusations de détournement ?
. Il n’y a pas l’ombre d’un détournement ! C’est impossible, car il s’agit de l’argent de l’Etat. C’est juste un problème de manque d’informations qui se pose. Les gens n’ont pas pris la peine de se renseigner à la bonne source. C’est au cours de cette audience que le ministre nous a demandés de réfléchir sur un projet pour que les acteurs du théâtre puissent apporter leur contribution. Après trois jours de réflexion et de travail acharné avec nos consultants, nous avons déposé nos conclusions sur la table du ministre. Il a été tellement séduit qu’il s’est proposé d’être notre agent marketing pour nous trouver des fonds. Quelque temps après, le Directeur des Arts nous convoque pour nous demander de discuter sur notre projet car le ministre l’avait validé. Il était question de nous octroyer une enveloppe de quarante-cinq millions pour mener à bien ce projet initial. Par la suite, c’est le ministre qui a estimé, qu’au vu de la dimension et de la représentativité de l’ARCOTs, il fallait revoir ce chiffre à la hausse. C’est pour cela qu’il a décidé de nous remettre soixante millions. Voilà comment les choses se sont passées au départ. Il fallait donc jouer notre partition pour accompagner l’Etat dans cette lutte contre la pandémie. A la sortie du chèque, je l’ai photographié pour l’envoyer à tous les présidents qui se trouvent dans toutes les régions. Ces derniers l’ont tous mis dans leurs statuts et profils. Ce qui signifie que tout s’est fait dans la transparence. Par la suite, l’autre pôle a reçu la somme de quatre-vingt-quatorze millions sur la base de trente mille francs par artiste. Voilà vraiment la situation.
Comment cela est-il possible ?
Il faut savoir qu’au niveau de l’ARCOTs, nous avons remis une liste de deux mille membres au directeur des Arts. Effectivement, nous avons bien déclaré ce chiffre et il faut savoir que nous n’avons pas comptabilisé tout le monde. sinon, on serait allé jusqu’à quatre mille personnes au moins. Nous avons surtout considéré les acteurs actifs et ceux qui disposent de cartes de membre. Nous n’avons pas voulu prendre en compte les disparus. Voilà pourquoi nous avons reçu soixante millions à raison de trente mille par artiste. Les autres ont tous reçu des enveloppes sur la base de ce calcul. C’est après réception du chèque que nous avons décidé de réfléchir sur ce qu’il y a lieu de faire. On a alors convenu d’essayer de surseoir à l’exécution du projet. J’en ai discuté avec soumaré de Thiès, Lébou et Leyti Fall. Il fallait réfléchir sur la posture à adopter. Il était question de surseoir à l’exécution du projet et à partager cette manne entre tous les membres. Nous avons décidé de nous en ouvrir au ministre et il a aussitôt adhéré. Voilà pourquoi nous avons décidé de partager cette somme entre nos deux mille membres. Pour l’exécution du projet initial, nous allons le faire avec l’aide de Dieu et avec nos moyens. Au moment de distribuer cette somme, toute la presse sera invitée ainsi que les autorités du ministère de la Culture. En ce qui me concerne, je fais don de ma part à l’ARCOTs. Honnêtement, je ne peux pas toucher à cette somme. Je préfère vraiment investir mon argent pour que personne ne soit lésé.
Revenons à votre profession. On constate une perte de vitesse du théâtre dramatique en plus de la léthargie de Sorano ?
Ce théâtre est toujours là. Il ne s’agit pas d’une perte de vitesse, mais plutôt d’un problème de moyens. Pour créer une pièce comme « Nder en flammes » ou le « sacre du Ceedoo », il faut un personnel assez fort et convaincant. Il faut aussi un personnel artistique d’une dimension extraordinaire….Il y a juste une sorte de léthargie, mais les acteurs sont bien là. Il y a une politique culturelle qui fait qu’aujourd’hui, les moyens ne sont pas destinés aux acteurs et aux comédiens de théâtre pour leur permettre de faire de belles choses. Je ne voudrais pas parler de léthargie en ce qui concerne sorano. Je ne sais pas s’il y a léthargie ou pas et je ne saurais le dire. Avec la crise sanitaire, sorano a fermé ses portes. Les gens ne travaillent plus et ils ne répètent plus. Ce qui était en instance de création a arrêté et il va falloir revoir et revisiter d’autres dates. J’avais un programme à sorano avec la création « Homicide ». C’est une pièce que j’ai moi-même écrite et on n’a pu la jouer à cause de la pandémie. Il y a également la reprise de « Nder en flammes « qui était prévue le 8 mars au Musée des civilisations noires et qui n’a pu se faire. Il y a beaucoup de choses qui ont été stoppées par la volonté du corona virus.
Comment appréciez-vous la floraison des séries télévisées qui tendent à faire disparaître un peu le théâtre classique ?
C’est vrai qu’il y a une floraison des séries télévisées et c’est un fait. J’encourage toujours la création car je suis un enseignant. Il y en a beaucoup et cela veut dire qu’ils ont tous une bonne approche du théâtre et de la création scénique et cinématographique. Personne ne peut dire le contraire de ce qui se passe aujourd’hui au niveau des séries télévisées. C’est parce que tout le monde aime ce que nous faisons qu’ils viennent vers nous. Je ne peux pas dire grand-chose la –dessus, si ce n’est de les encourager et leur demander de se rapprocher des experts de l’ARCOTs qui pourront les assister.
On constate également qu’il y a de moins en moins de jeunes metteurs en scène …
Aujourd’hui, tout le monde s’autoproclame metteur en scène (Rires). On se réveille un beau jour, sans aucune formation et on se dit metteur en scène. C’est un mal qui est en train de gangréner la création. Je voudrais rendre hommage à Jean Pierre Leurs et seyba Lamine Traoré, ils ont transformé le visage du théâtre sénégalais. Ceci grâce à leur maitrise de l’art de la scène. La mise en scène est une question d’intelligence. Il y a trois choses qui font un metteur en scène. Il faut avoir un bon niveau intellectuel, le sens du spectacle et le sens de la créativité. Il ne suffit pas de se lever un beau jour pour s’autoproclamer metteur en scène. Malheureusement, c’est ce que nous voyons aujourd’hui. Il faut que ces jeunes acceptent de se former davantage pour mieux consolider les acquis dont ils disposent dans ce métier.
GORÉE SE LANGUIT DE SES TOURISTES
Sur l’île de 1 300 habitants, 80 % de la population vit du tourisme, grâce à la venue quotidienne de 3 000 à 6 000 visiteurs. Mais, aujourd’hui, plus personne ne foule les pavés gris de la célèbre rue de la Maison des esclaves
Le Monde Afrique |
Théa Ollivier |
Publication 09/07/2020
Sur l’île de 1 300 habitants, 80 % de la population vit du tourisme, grâce à la venue quotidienne de 3 000 à 6 000 visiteurs. Mais, aujourd’hui, plus personne ne foule les pavés gris de la célèbre rue de la Maison des esclaves
D’un coup de sirène retentissant, la grande chaloupe blanche s’arrime à l’embarcadère de Gorée. A bord, ses bancs sont quasi déserts. Aucun touriste étranger ni sénégalais ne figure parmi les passagers. Depuis le 15 mars, seuls les résidents ont accès à l’île mémoire de la traite négrière en Afrique, reconnue au patrimoine mondial de l’Unesco.
D’un œil désabusé, Marie, commerçante d’objets artisanaux, regarde les Goréens descendre de l’embarcation, l’une des quatre à effectuer quotidiennement la liaison avec Dakar, la capitale sénégalaise, contre douze avant la pandémie de coronavirus.
« Depuis le début de la crise, j’ai fermé ma boutique. On attend que l’île se déconfine », résume avec dépit la mère de famille. De loin, elle surveille ses enfants en train de se baigner dans une eau turquoise qui fait généralement le bonheur des vacanciers. Les mesures de restriction s’assouplissent dans le pays, à l’exception de Gorée. Le 29 juin, le président sénégalais Macky Sall a annoncé la fin de l’état d’urgence et la levée du couvre-feu, instauré trois mois plus tôt. Mais rien n’a encore été décidé à propos de l’île.
Création d’un fonds Force Covid-19
Une situation qui désespère Aïssatou Ba, assise seule sur la terrasse en chantier de son petit restaurant Chez Néné la retrouvailles, logé dans les murs d’une maison historique couleur ocre, qui date de la période esclavagiste.« J’ai dû arrêter mes travaux de rénovation car je ne peux plus payer les ouvriers, se plaint la restauratrice en boubou rose. J’espère que le ministère du tourisme va nous aider à poursuivre notre activité. Si l’on ne reçoit rien, on va perdre patience. »
Pour faire face aux conséquences de la pandémie, le gouvernement a créé un fonds Force Covid-19, dont 15 milliards de francs CFA (près de 23 millions d’euros) sont destinés au crédit hôtelier et touristique.
Pourtant, assure Aïssatou Ba, « notre île doit rester fermée, car je préfère avoir la santé et pas d’argent que le contraire ». Pour le moment, l’île de Gorée est la seule commune de la capitale sénégalaise à ne pas avoir été touchée par le coronavirus. Au niveau national, 7 657 cas ont été déclarés positifs dont 141 décédés au 8 juillet.
Sur l’île de 1 300 habitants, 80 % de la population vit du tourisme, grâce à la venue quotidienne de 3 000 à 6 000 visiteurs. Mais, aujourd’hui, plus personne ne foule les pavés gris de la célèbre rue de la Maison des esclaves où trône, solitaire, la sculpture d’un homme qui se libère des chaînes de la traite négrière.
EXCLUSIF SENEPLUS - Le jeu de négociation entre les marabouts, le politique et la République - Quelle transversalité entre la primauté de l'identité africaine et l'inscription dans l’universalisme, à la lumière du slogan "déboulonner Faidherbe" ?
Lu Bees, avec René Lake à Washington et Ousseynou Nar Gueye à Dakar.
Dans ce numéro, prenant prétexte du décès récent de Serigne Pape Malick Sy (porte-parole du khalife général des tidianes) longtemps impliqué en politique, engagement pour lequel il a été plusieurs fois incarcéré, et de Mouhamadou Bamba Diagne (ancien ministre en charge des affaires religieuses sous le président Wade), Ousseynou Nar Gueye revisite le jeu de négociation permanent entre les figures maraboutiques du Sénégal, le politique et la République, de Senghor à Macky Sall. Faut-il instituer à nouveau un ministère des Affaires religieuses au Sénégal ou est-ce au ministère de l'Intérieur de récupérer ses prérogatives régaliennes naturelles de supervision de l'activité des cultes religieux ?
De son côté, René Lake fait le point sur la progression constante des infections au coronavirus aux USA avec un parallèle entre le mouvement Black Lives Matter et la lame de fond décoloniale, en pointant la responsabilité de la jeunesse africaine dans cette néo-décolonisation.Quelle transversalité entre le combat pour la primauté de l'identité africaine et l'inscription des Africains dans les valeurs d'universalisme, à la lumière du slogan "il faut déboulonner Faidherbe" ?
Lu Bees est un talk audiovisuel hebdomadaire de SenePlus et Tract, réalisé et monté par Boubacar Badji.
UN ECRIVAIN EVOQUE LA CHALEUR HUMAINE DU SANDAGA DE SON ENFANCE
Sandaga, avec ses couleurs et son architecture soudano-sahélienne évoquant l’habitat de la dynastie des Askia, était ‘’un lieu de refuge’’ rempli de ‘’chaleur humaine’’, se rappelle M. Samb.
Le marché Sandaga, dont le projet de réhabilitation est en débat au sein de l’opinion, garde une place particulière dans l’imaginaire des Dakarois, comme l’écrivain Mamadou Samb, qui évoque ce patrimoine à travers ses souvenirs d’enfance fortement imprégnés de la chaleur et des senteurs de cette espèce de souk en plein centre de Dakar.
Sandaga, avec ses couleurs et son architecture soudano-sahélienne évoquant l’habitat de la dynastie des Askia, était ‘’un lieu de refuge’’ rempli de ‘’chaleur humaine’’, se rappelle M. Samb. Dans un entretien avec l’APS en août 2019, il avait rappelé que ses souvenirs d’enfance sont rythmés en partie par les activités commerciales de son père au sein de ce centre d’affaires dakarois. ‘’Ce marché presque centenaire était un imposant bâtiment de trois niveaux, avec une structure particulière largement calquée sur l’architecture soudano-sahélienne’’, se souvient l’écrivain lorsqu’on lui parle du projet de rénovation de centre commercial. Un projet porté par le ministère de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique. L’écrivain sénégalais a vécu une enfance bercée en partie par cet important centre commercial situé en plein cœur de DakarPlateau, le quartier des affaires et de l’administration publique, siège de la quasi-totalité des institutions sénégalaises, dont la présidence de la République et l’Assemblée nationale.
S’agissant du marché Sandaga, M. Samb se rappelle que c’est là qu’il venait aider son père, El Hadji Mor Samb, délégué des commerçants, à écouler ses marchandises. ‘’Les murs de couleur ocre et artistiquement sculptés du marché Sandaga étaient attrayants et se distinguaient nettement du paysage environnant. Ils ne laissaient personne indifférent’’, rappelle Mamadou Samb. Selon ses souvenirs, en termes de couleur, le marché semblait n’avoir d’égal que les bâtiments du service de l’hygiène et de l’école élémentaire El Hadji-Malick-Sy, située en face de la RTS, la Radiotélévision sénégalaise. ‘’Les gens n’allaient pas au marché Sandaga pour uniquement faire des achats. Le marché était, par moments, un lieu de refuge’’ pour de nombreux Dakarois, ‘’des mendiants aux clochards en passant par des gens qui n’avaient pas de personnes avec lesquelles discuter’’, raconte M. Samb. ‘’Tout était disponible sur place, avec une organisation et une hiérarchisation toute particulière chez les vendeurs, les veilleurs de nuit et les agents de nettoiement’’, se rappellet-il, ajoutant que certains Dakarois se levaient le matin pour aller flâner à Sandaga, où elles étaient en contact avec cette ‘’chaleur humaine’’ que l’espace marchand semblait être l’unique pourvoyeur.
Sandaga, un brassage culturel…
Mamadou Samb se souvient également du ‘’brassage culturel extraordinaire’’ qu’il y avait entre les Sénégalais, les Guinéens, les Maliens, les Dahoméens (du Dahomey, l’actuel Bénin), les voltaïques (de la Hautevolta, devenue Burkina Faso) et les ressortissants d’autres pays. Ses souvenirs vont jusqu’au sous-sol du marché, où étaient stockées toutes sortes de marchandises. Le rez-de-chaussée était réservé aux vendeurs des denrées alimentaires. Mais pas seulement. C’est là qu’il fallait se promener pour trouver des marchandises d’un genre un peu particulier, l’encens par exemple, selon M. Samb. Le premier étage du marché, ainsi que le second, étaient destinés aux étals aménagés pour la viande et les légumes. C’est à ce niveau aussi que se trouvaient les restaurants et les gargotes dont les propriétaires cuisinaient à la maison pour ensuite vendre au marché. ‘’C’est bien plus tard, dit l’écrivain, que l’on a commencé à cuisiner sur place, avec toutes les conséquences que cela engendre.’’ La terrasse du bâtiment commercial était le lieu de convergence des troupes de danse venues de plusieurs pays, se rappelle Mamadou Samb dont la mémoire prend aussi en compte l’espace réservé à la vente de papier à usage d’emballage, au rez-de-chaussée.
‘’On allait à Sandaga pour apprendre à vivre’
Le plastique utilisé pour l’emballage n’existait pas encore à Sandaga, selon lui. Le coin réservé à la vente de papier s’est par la suite mué en librairie et abritait un kiosque à journaux. C’était aussi le lieu de convergence des hommes et femmes qui savaient lire, qui étaient friands de vieux journaux étrangers. ‘’On se présentait devant les étals pour fouiller dans le tas et choisir des revues et des livres dont les prix n’étaient jamais fixes’’, rappelle Mamadou Samb. Selon ses souvenirs, les lecteurs avaient aussi la possibilité de lire des journaux sur place, de les revendre ou de les troquer avec d’autres.
L’auteur du roman ‘’Le regard de l’aveugle’’ (Editions Salamata, 2008) se souvient de ses séances de lecture à la lueur des lampadaires. C’est là que Mamadou Samb se gavait des aventures de ‘’Blek le Roc et le petit trappeur’’, de ‘’Zembla le roi de la forêt’’, de ‘’Kid le cow-boy’’, d’‘’Astérix le Gaulois’’, etc. Des livres qui, dit-il, ont influé son cursus scolaire et académique, notamment sa candidature au concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure (l’actuelle Faculté des sciences et techniques de l’éducation et de la formation, de l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar), dans les années 1970. ‘’A cette époque-là, les parents ne laissaient pas les enfants aller flâner. Tous les mercredis soir, les samedis et les dimanches, on allait à Sandaga pour apprendre à vivre, à commercer et à communiquer avec les autres’’, se souvient le jeune écolier, qui assurait le secrétariat des commerçants du marché Sandaga, une tâche confiée à son père.
Le lauréat du Grand Prix des lycéens en 2011 estime que le marché Sandaga d’aujourd’hui n’a rien de celui qu’il a connu durant sa jeunesse. ‘’Le marché a perdu son charme depuis longtemps’’, dit-il, se désolant de la ‘’désorganisation’’ actuelle. Il évoque également le coup de sifflet donné quotidiennement à 17 h 30 pour marquer la fin des activités commerciales et la fermeture du marché.
Le signal sonore marquait en même temps l’arrivée des agents chargés de balayer et de nettoyer ‘’à fond’’ le marché, selon M. Samb. L’architecture de ce marché dont il connaissait les coins et recoins comme sa poche devrait être préservée, plaide-t-il. ‘’Je pense que l’on doit garder l’architecture à l’identique, avec des outils modernes.
Autrement, ce serait fade et sans l’esprit Sandaga’’, prévient-il, s’opposant au ‘’projet’’ présenté par le ministère de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, en vue de la rénovation du centre commercial construit en 1933. ‘’On va garder la même architecture du bâtiment principal, construire une esplanade, parce que Sandaga doit respirer. Et on va construire un centre commercial de cinq étages et enlever toutes les cantines’’, a assuré le ministre de l’Urbanisme, Abdou Karim Fofana. ‘’Pourra-t-on reconstruire ce trésor extraordinaire que constituait Sandaga ?’’ se demande Mamadou Samb, sans cacher son pessimisme.
Par Serigne Mbaye Dramé (APS)
APRÈS LA PANDÉMIE, LE RÉVEIL DE L'AFRIQUE
L’on a rarement vu l'Occident en si piteuse posture. Est-ce à dire que les lendemains sont déjà en train de chanter ? Il faudrait pour cela, que dans le fameux « monde d’après », Ouattara et Macky se mettent, comme pris de folie, à agir comme Sankara
La pandémie de Covid-19, piteusement gérée par les Occidentaux, a révélé les limites de leur hégémonie. Désormais, l’Europe et les États-Unis ont perdu leur autorité morale. Mais un ordre international plus juste reste à imaginer. Pour l’Afrique, ces événements réveillent le sentiment d’un destin commun et une certaine combativité. Les obstacles restent nombreux.
Au cours des trois dernières décennies, le monde a plusieurs fois redouté une pandémie – syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), grippe H1N1, Ebola. Finalement, les inquiétudes ont toujours dépassé la menace. C’est sans doute cela qui a empêché de prendre à temps la mesure du danger que représentait le nouveau coronavirus SRAS CoV-2. Peut-être ne sera-t-il pas aussi meurtrier que la grippe espagnole de 1918, mais son impact économique promet d’être plus dévastateur. De manière assez curieuse, la réflexion à chaud se focalise davantage sur l’après-pandémie que sur la pandémie elle-même. La lutte contre le Covid-19 en cache une autre, encore feutrée mais déjà bien plus féroce, pour le contrôle, dans les années à venir, des ressources et des imaginaires sur toute l’étendue de la planète.
L’Afrique aussi est en ordre de bataille, et la lettre ouverte adressée aux décideurs africains par une centaine d’intellectuels allant de Wole Soyinka et Cornel West à Makhily Gassama et Djibril Tamsir Niane, le 1er mai 2020, a eu un écho exceptionnel (1). Plutôt que de se résigner à lancer une pétition de plus, ses initiateurs (Amy Niang, Lionel Zevounou et Ndongo Samba Sylla) veulent transformer les mots en actes, raison pour laquelle ils ont élargi leur appel aux scientifiques africains. Sur un continent où presque tout est à refaire, de patients guetteurs d’aube ont pour ainsi dire accueilli la pandémie à bras ouverts, allant jusqu’à y voir une « chance historique »…
La pandémie a rendu l’Afrique plus consciente de sa vulnérabilité et de son insignifiance aux yeux du monde. Elle lui a permis de constater, concrètement, que dans les grandes tragédies humaines on ne peut s’en remettre à personne pour son salut. En effet, si le fléau a frappé tous les pays en même temps, ceux-ci n’ont pas fait bloc pour lui résister. Bien au contraire, les égoïsmes nationaux ont très vite pris le dessus sur le réflexe de solidarité. Le continent africain, dépendant des autres pour presque tout, a rapidement compris que s’étaient accumulées au fil des ans les conditions de sa propre destruction. C’est tout simple : si le virus qui a mis à genoux de riches pays occidentaux avait été aussi létal en Afrique, l’hécatombe annoncée y aurait très certainement eu lieu.
Cependant, même si elle leur a asséné un violent coup sur la tête, les Africains n’ont pas attendu cette pandémie pour rêver, selon l’injonction césairienne, de « recommencer la fin du monde (2) ». Le moment semble d’autant plus propice que l’on a rarement vu les puissances occidentales en si piteuse posture. Le contexte historique rappelle, toutes proportions gardées, les lendemains de la seconde guerre mondiale. Sur ces lieux de pure vérité humaine que sont les champs de bataille, les soldats africains ont vu s’effondrer le mythe de la toutepuissance du colonisateur. Ils y ont également découvert les luttes des autres peuples et mieux compris les mécanismes de leur propre oppression. Libérateurs de l’Europe, débarrassés du complexe de l’homme blanc, devenus des acteurs politiques de premier plan, ils ont été au coeur de toutes les batailles pour l’indépendance.
Quelque chose du même ordre pourrait bien être en cours depuis la chute du mur de Berlin.
Le terrain de jeu de l’armée française
Voilà en effet une vingtaine d’années que l’Occident n’inspire presque plus ni peur ni respect à tant de nations pourtant encore sous son joug. Les guerres d’Irak et de Libye sont passées par là, qui lui ont fait perdre le peu d’autorité morale dont il pouvait encore se prévaloir. Il serait excessif de dire que la pandémie lui a donné le coup de grâce, mais elle est en train d’en faire un grand blessé. Ce sentiment est si répandu que, d’Allemagne, où la crise sanitaire semble pourtant bien mieux maîtrisée que chez ses voisins, une amie peut lâcher au téléphone : « L’Occident est en train de s’effondrer, je suis surprise d’être témoin de cet événement, car je ne pensais pas que cela arriverait de mon vivant. » Elle est ensuite partie d’un bref éclat de rire où j’ai senti un mélange de dégoût et de gaieté. Je me suis toutefois bien gardé de lui dire le fond de ma pensée : le fléau ne va pas susciter du jour au lendemain un nouvel ordre mondial, plus juste et plus équilibré. Il n’en a pas moins révélé les limites d’une hégémonie occidentale apparemment
sans partage.
Tout d’abord, lorsque la pandémie éclate, un certain Donald Trump est depuis trois ans président des États-Unis d’Amérique, pays leader – encore que de plus en plus réticent – du bloc occidental. Les hommes ne font certes pas l’histoire, mais il semble bien que ses desseins épousent souvent, pour se réaliser, les contours d’une destinée singulière. Il se pourrait bien que le président Trump soit pour l’Occident moins un accident qu’un symptôme : celui de son lent déclin. Ce n’est pas non plus un hasard si l’autocrate Viktor Orbán, partisan de la théorie du « grand remplacement », est aux commandes en Hongrie. De crispations identitaires en ressentiments, son exemple pourrait faire tache d’huile en Europe. Faut-il, dans le même ordre d’idées, évoquer le Brexit, tout sauf un anodin coup de canif contre le projet européen ?
On comprend mieux pourquoi tant de dirigeants du Sud osent aujourd’hui s’en prendre ouvertement au Nord. En visite au Ghana en décembre 2017, le président Emmanuel Macron s’entend dire par son hôte de dures vérités sur l’aide au développement (3) ; au Zimbabwe, l’ambassadeur américain vient d’être sommé de s’expliquer sur l’affaire George Floyd, et l’Union africaine a fustigé en termes très durs les brutalités policières contre les Noirs aux États-Unis. Le président sudafricain Cyril Ramaphosa n’a pas hésité
à déclarer que « l’assassinat de Floyd ravive les plaies des Noirs sud-africains».
Mais, pour significatifs qu’ils soient, ces mouvements d’humeur n’ont jamais paru mettre en cause le rapport de forces entre l’Afrique et des pays occidentaux aimant se présenter comme ses bienfaiteurs. On aura d’ailleurs remarqué que de tels sursauts d’orgueil sont surtout le fait des anciennes colonies britanniques ou portugaises, qui, elles
au moins, peuvent se targuer d’un minimum de souveraineté.
Ce n’est pas le cas des pays africains francophones, où, depuis soixante ans, l’ancienne puissance coloniale impose son autorité de manière quasi directe. On dit souvent que, pendant la guerre froide, la Central Intelligence Agency (CIA) siégeait au conseil des ministres de certains régimes fantoches d’Amérique latine. Ce modèle survit sous une forme atténuée en Afrique francophone, dernier endroit du globe où une puissance étrangère est au coeur des processus de décision, en matière monétaire par exemple. Cette Afrique-là reste, pour la France, un gigantesque réservoir de matières premières. Paris n’y tolère aucune force politique pouvant menacer les intérêts de Total, d’Areva ou d’Eiffage. Le continent offre le terrain de jeu favori de l’armée de l’Hexagone, qui y est intervenue des dizaines de fois depuis 1964 – année de la première intervention militaire française en Afrique subsaharienne (au Gabon) après les indépendances de 1960. Le contraste est frappant avec Londres, qui n’a jamais déployé de troupes dans ses ex-colonies africaines.
Voilà pourquoi on a eu l’impression d’un basculement le jour où le président Macron s’est publiquement emporté contre ce qu’il a appelé «des sentiments antifrancais en
Afrique». C’est qu’il a eu le temps de se rendre compte qu’une nouvelle génération d’Africains est résolue à en finir avec cet anachronisme qu’est la «Françafrique». Le fait qu’on retrouve en première ligne de ce mouvement de révolte des stars planétaires comme Salif Keita ou Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly ou le cinéaste Cheick Oumar Sissoko, en dit la profondeur. Le grand Richard Bona avait annulé, en février 2019, un concert àAbidjan (Côte d’Ivoire) pour protester contre le franc CFA, se promettant d’ailleurs de ne plus se produire dans un pays où cette monnaie aurait cours. Il faut aussi prendre en compte de nouvelles formes de radicalisation politique symbolisées par les mouvements France dégage, dont M. Guy Marius Sagna est une figure de proue, et Urgences panafricanistes, de M. Kemi Seba (4).
C’est donc dans un contexte où les esprits étaient déjà surchauffés qu’est intervenue la pandémie.
Chacun a pu constater avec stupéfaction l’incapacité de l’Europe et des États-Unis – si prompts à prétendre se porter au secours des autres – à secourir leurs propres citoyens. Quelle ne fut pas la surprise de beaucoup à les entendre se plaindre, toute honte bue, de leur dépendance envers Pékin. Et ce que Le Canard enchaîné a appelé « la guerre des masques » laissera sûrement des traces dans les mémoires. Si c’est au pied du mur qu’on reconnaît le maçon, la pandémie a mis à nu un colossal fiasco.
Cela a réveillé chez les Africains un sentiment d’appartenance qui, au fond, ne les a jamais quittés. C’est très visible depuis quelques semaines. On dessine à qui mieux mieux les contours de l’« Afriqued’après». J’entends encore l’historienne Penda Mbow me recommander un texte d’Hamadoun Touré avant d’ajouter : «Tu verras, nous disons tous la même chose en ce moment!» Ce «nous» chargé d’une discrète émotion me frappe tout particulièrement. Et ce qui se dit et se répète, c’est que pour l’Afrique l’heure de toutes les souverainetés a sonné. C’est pour en finir avec une certaine servilité que plusieurs États (Burundi, Maroc, Guinée-Équatoriale) ont bravé des interdits de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) – concernant la prescription d’hydroxychloroquine, par exemple. Madagascar, elle, est allée jusqu’à fabriquer son propre remède, le Covid-Organics, à base d’artemisia. C’est aussi la première fois que les mauvais traitements infligés en Chine aux Négro-Africains ont suscité des protestations officielles aussi vives. L’ambassadeur de Chine à Abuja (Nigeria) a été sommé de s’en expliquer dans des conditions humiliantes.
L’instinct de survie est pour beaucoup dans ce regain de combativité. Compter sur les autres pour se nourrir ou se soigner, c’est s’exposer au risque de mourir de faim ou de maladie. Voilà pourquoi l’autosuffisance alimentaire et la rationalisation de la pharmacopée africaine sont au centre de tous les débats. Mais c’est dans la presse en ligne et sur les réseaux sociaux que l’on sent, pour reprendre le mot du journaliste et consultant René Lake, que « le couvercle a sauté ».
Un virus qui ne fait pas le printemps
Cette prise de parole à la fois sauvage et massive concerne surtout la jeunesse : sur plus d’un milliard d’Africains subsahariens, 70 % ont moins de 30 ans. Il s’agit donc là d’une formidable secousse politique.
Est-ce à dire que les lendemains sont déjà en train de chanter ? Certainement pas. Il faudrait pour cela que, dans le fameux « monde d’après », les présidents Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) et Macky Sall (Sénégal) se mettent, comme pris de folie, à penser et à agir comme Thomas Sankara. La « Françafrique » ne doit du reste pas sa longévité au seul contrôle du personnel politique. Elle est aussi d’une redoutable efficacité dans la gestion de proximité, quasi nominative, d’intellectuels et d’hommes de culture
transformés en zombies. Nombre de ceux qui disent en ce moment piaffer d’impatience aux portes du monde nouveau sont en fait de farouches partisans du statu quo.
C’est du reste pour laisser passer l’orage que les présidents Sall et Macron ont lancé le débat sur la dette. Le premier a accepté le mauvais rôle : mendier les faveurs financières des dirigeants occidentaux au moment même où ceux-ci étaient si occupés à compter leurs morts. En agissant ainsi, il s’est exposé – et a exposé l’Afrique – au mépris des chefs d’État du Nord.
Ce type de débat avait en outre pour le président Macron l’avantage d’enferrer tout un continent dans les schémas du « monde d’avant », un monde où l’aide à l’Afrique est l’un des plus sûrs attributs de la puissance, fantasmée ou réelle, de l’Europe. Inutile de dire que ce sentiment est encore plus enivrant lorsqu’on est en plein désarroi.
L’Afrique d’aujourd’hui n’a presque plus rien à voir avec celle des indépendances. C’est pourquoi l’idée qu’elle essaie dès à présent de résoudre ses problèmes dans un même élan est de moins en moins réaliste. Le scénario le plus plausible est celui de réussites isolées sur le modèleduRwanda, du Ghana et de l’Éthiopie.
Habituée àsepenser commeuntout, l’Afriquereste pourtant le continent des lieux lointains :dufait de la quasi-inexistence de moyens de transportcontinentaux dignes de ce nom, l’on yvoyage plus souvent de Lagos à Londres ou New York que de Lomé à Maputo. Le cloisonnement qui en résulte rend presque impossible, à l’heure actuelle, toute action commune. Il pourrait même expliquer une torpeur parfois très embarrassante. C’est le cas en ce moment où, de Tokyo à Bruxelles et de Sydney à Séoul, le monde entier manifeste sa solidarité aux Afro-Américains. L’ Afrique est totalement restée à l’écart de ce mouvement antiraciste planétaire. Le premier ministre canadien s’est agenouillé
pendant plus de huit minutes en hommage à George Floyd, mais aucun président africain n’a cru devoir en faire autant. Cette absence au monde en une occasion où on
devrait être au centre de toutes les initiatives est un signe qui ne trompe pas.
Mais, s’il est entendu qu’un virus ne saurait à lui seul faire le printemps africain, l’effervescence actuelle ne doit pas non plus être sous-estimée. Elle pourrait, à terme, aider l’Afrique à «basculer définitivement sur la pente de son destin fédéral», comme l’y invitait Cheikh Anta Diop, en ajoutant avec une lucidité quelque peu désespérée : «Ne serait-ce que par égoïsme lucide. »
Cela prendra quand même un peu de temps, ce sera affaire autant de passion que de patience.
(1) Cf. Bacary Domingo Mane, « Covid-19 : Des intellectuels africains interpellent les dirigeants du continent », MondAfrik, Dakar, 1er mai 2020, https://mondeafrik.com
(2) Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Bordas, Paris, 1947.
(3) Lire Anne-Cécile Robert, « Diplomatie funambule », dans Manière de voir, n° 165, « France-Afrique, domination et émancipation », juin-juillet 2019.
(4) Lire Fanny Pigeaud, « Présence française en Afrique, le ras-le-bol », Le Monde diplomatique, mars 2020.
Ils ont renoncé à comprendre comment les différents régimes politiques protègent les arts dans un pays qui ne dispose ni d’une bibliothèque nationale, ni d’une maison des archives nationales et où l’on défigure les monuments publics à coup de bulldozers
Leral.net |
Adama Aly Pam |
Publication 05/07/2020
Au moment où des débats enflammés sur le déboulonnage de statues coloniales fait rage au Sénégal et un peu partout dans le monde, il est urgent de ne pas céder au populisme mémoriel et à la confusion entre histoire et mémoire.
Certes le temps est venu de décoloniser les pensées, mais il est aussi important d’arrêter d’essentialiser les cultures africaines. Il y a une lecture romantique fondée sur une fiction d’une culture africaine éternelle aux caractéristiques irrémédiablement figées. L’Afrique est comme tous les continent, un espace ouvert avec des expressions culturelles plurielles fécondées au cours de l’histoire par plusieurs apports internes et externes.
Le marché San-daga (marché des étrangers en langue mooré) dont la démolition-reconstruction serait prévue dans les jours à venir est l’expression d’un énième drame du patrimoine sénégalais. Pays de paradoxes, les gens sensés ont renoncé à comprendre comment les différents régimes politiques essaient de protéger les arts et les lettres dans un pays qui ne dispose ni d’une bibliothèque nationale, ni d’une maison des archives nationales et où l’on défigure les monuments publics à coup de bulldozers ?
Inauguré le 29 avril 1935, en présence de Monsieur Armand Angrand, maire de Dakar et de monsieur Martine, Administrateur de la Circonscription, le marché est à l’origine un projet de la municipalité de Dakar. La carte postale en illustration de ce texte qui montre un marché à ciel ouvert encadré par une rangé de petites boutiques est antérieur à la construction de l’édifice actuel de Sandaga.
Le type architectural du marché de Sandaga du type néo-soudano-sahélien est une synthèse de l'architecture de Tombouctou et du béton armé. Il s'agit là d'une symbiose et d’une rencontre. Le marché Kermel, situé quant à lui, à l'autre côté de la ville est d'inspiration mauresque. Il est une synthèse entre le Maghreb et l'Occident en terre africaine.
Ces deux marchés racontent l'histoire de la ville de Dakar. Les deux marchés, le premier destiné aux africains et le second aux européens, témoignent de la politique de distanciation sociale entre européens et africains du fait d'une politique sanitaire prônant la séparation des races pour prémunir les européens des risques sanitaires dont les africains sont réputés propagateurs.
Cette mesure était doublée d'espaces non aedificandi entre la ville européenne (le plateau) et la ville indigène (la médina). Le camps militaire Lat Dior et Mangin à la périphérie de la ville européenne servent de sentinelles de surveillance de la mise à l’écart des indigènes par des cordons sanitaires en cas de besoin. Réservé aux non-européens, comme la médina, il garde la trace de la ségrégation raciale au cœur de la ville.
Classé dans le registre du patrimoine national, Sandaga ne peut et ne doit être rasé pour deux raisons. La première raison est que les textes législatifs et réglementaires l’interdisent et la seconde est que restauration n’est pas synonyme de reconstruction. Il y a des normes à respecter et des études préalables à conduire. A défaut de reconduire la fonction première dédiée à cet espace, le marché pourrait être transformé en musée agrémenté d’un espace vert. Cela mettrait fin au tout-béton et des espaces urbains arides et insalubres pour une architecture bio-climatique intégrée.
Les ministères de l’urbanisme et de la culture du Sénégal ont la mission de concevoir des politiques d’aménagement de l’espace public porteuses de sens. Cela passe par la mise en cohérence de l’espace et la protection des lieux de mémoire de sorte que les habitants se réapproprient leur environnement.
Créer par exemple des centres d’interprétation culturels où l’on donnerait à voir toutes les expressions culturelles du pays. Les concours d'architectures des bâtiments publics devront être conçus de sorte à s'adapter aux climats et aux référents culturels locaux. La promotion des voutes nubiennes, le géo béton et différents styles d’habitats pourraient être envisagés afin de réduire bâtiments énergétivores et inadaptés. La plupart des modèles architecturaux sont circulaires et traduisent l'esprit communautaire de nos sociétés. Des études concluent à la nécessité de repenser les espaces de soin psychiatriques des africains à ce paradigme.
C’est par une bonne compréhension de la mémoire de la ville que nous pouvons mieux comprendre son histoire et restaurer les différentes polyphonies des courbes architecturales de la vieille cité cosmopolite. Gardons espoir qu’à son bicentenaire prévu dans moins de 4 décennies, la pierre pourra raconter l’histoire de Dakar et de son marché des étrangers.
Dr. Adama Aly Pam est chef archiviste de l’UNESCO, ancien conservateur aux Archives du Sénégal
par Abou Bakr Moreau
DÉBOULONNER, DÉBAPTISER ET BIEN ENCORE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’histoire ne s’enseigne pas dans les rues. C’est bien pourquoi il faut déboulonner les statues indignes de servir de repères géographiques dans nos sociétés, pour les « confiner » dans les livres d’histoire
L’histoire retiendra que c’est dans le sillage de l’abominable asphyxie de George Floyd (46 ans), le 25 mai 2020 à Minneapolis (Etats-Unis d’Amérique), agonisant affreusement sous le genou d’un policier blanc du nom de Derek Chauvin que l’on a assisté au Royaume-Uni, en Belgique, aux Etats-Unis et dans d’autres pays à des déboulonnages de statues de figures historiques responsables de l’esclavage et de la colonisation. À travers le monde, les statues et monuments représentant des figures majeures du colonialisme et de la traite des esclaves sont devenus la cible des manifestants contre le racisme et la discrimination. Ce sont là des actions symboliquement fortes qui posent le problématique rapport des peuples à leur passé, et elles marquent en même temps un moment important dans la lutte contre les inégalités et les différentes formes d’oppression raciale, passées et présentes.
Le débat sur le déboulonnage de statues de figures de l’histoire qui ont pleinement contribué ou profité du passé colonial des peuples n’a certes rien de nouveau, mais il est ravivé par les fractures qui traversent les sociétés, les inégalités criantes fondées sur la race dans les pays colonisateurs et esclavagistes, la montée des extrémismes dans ces pays où les mouvements xénophobes et ouvertement racistes sont devenus non seulement visibles et représentatifs (jusque dans les institutions comme le parlement) mais ces derniers tendent même à être banalisés. Dans le même temps, les citoyens issus des pays colonisés (en France particulièrement) qui croulent sous le poids d’une pluralité de rapports d’une domination à la fois sournoise et dégradante sont accusés de pratiquer le « communautarisme ». C’est précisément l’hypocrisie de l’universalisme républicain qui désigne à la vindicte publique des citoyens d’origine étrangère que l’Etat a lui-même fait le choix de discriminer. Il n’y a aucun hasard si ces citoyens évoluent dans des quartiers (des pavillons de banlieues où se rencontrent toutes les pathologies des sociétés) qui leur sont spécifiques et souffrent d’inégalités qui ne sont fondées que sur l’identité raciale. Il n’y a aucun hasard !
Ce que le déboulonnage des statues montre, c’est que si les historiens ont trop tardé dans la réécriture de l’histoire, les manifestants eux présentent leur propre lecture de l’histoire de leur peuple. Ce que le déboulonnage montre aussi, c’est que si les personnages statufiés étaient aujourd’hui de ce monde, les manifestants se seraient donné les moyens d’avoir accès à eux et de les attaquer pour les faire tomber. Les personnages statufiés ont du sang sur les mains et des massacres de peuples sur leur conscience. Leur place, ce n’est donc pas dans les espaces publics de nos villes.
Mais alors où les installer pour ne pas occulter une partie tragique de notre histoire avec les pays esclavagistes et colonisateurs ? C’est la romancière Africaine-Américaine Toni Morrison (1931-2019) qui nous apporte la réponse : interrogée sur le pourquoi de son chef-d’œuvre « Beloved » (au moment de sa parution en 1987), elle indique que c’est parce qu’il n’ya pas dans son pays aux Etats-Unis d’Amérique un lieu de mémoire national spécifiquement consacré à l’esclavage, c’est pourquoi elle a voulu écrire un livre-monument. Et effectivement, le livre est devenu un livre-monument : le livre est depuis plusieurs années dans les programmes d’enseignement des plus grandes universités américaines. L’auteure Toni Morrison a été canonisée (de son vivant même, ce qui est extrêmement rare en la matière), son œuvre est aujourd’hui largement enseignée dans les programmes scolaires et universitaires aux Etats-Unis et le roman « Beloved » s’est imposé dans l’enseignement de l’esclavage. En clair, il n’est donc pas question de tomber dans l’amnésie qui, par le déboulonnage des statues, pourrait effacer de la mémoire collective des pans qui font partie intégrante de l’histoire d’un peuple. Au contraire, il y a un certain nombre de ruptures qui pourraient être opérées, notamment :
L’intégration systématique de l’enseignement de l’esclavage (et de la colonisation) dans les programmes scolaires et universitaires et pour commencer l’outillage intellectuel des historiens appelés à l’enseigner. Car en vérité, l’histoire comme discipline à enseigner n’a rien de l’objectivité que l’on pourrait lui donner. Elle est controversée et problématique. A titre indicatif, on se rappelle tous, il y a quelques mois, la vive polémique (les contestations et remises en question souvent subjectives et biaisées) qui a accompagné la rédaction de l’histoire de notre pays. Ici comme ailleurs, l’écriture de l’histoire fait toujours des vagues, ce n’est jamais un long fleuve tranquille. En fait, il faudra certes enseigner les figures nationales (politiques, religieuses, culturelles) historiques ayant combattu l’esclavage et la colonisation en leur restituant toute leur dimension de façon aussi objective et équilibrée que possible mais sans émotion. Mais il faudra tout autant enseigner qui étaient Faidherbe, le général de Gaulle, Jules Ferry, Colbert, Thiers, Peytavin, etc. jusqu’aux écrivains qui portaient l’entreprise coloniale dans leurs textes, avec pour objectif de mieux étayer le sous-bassement du fait colonial.
Et les statues qui auront été déboulonnées alors ? Leur place, c’est dans un musée où se retrouveraient non pas les statues (ni dans leur dimension grandeur nature ni même en miniature mais plutôt en images) mais les figures de chacune des personnages en question et d’autres que les peuples devraient aussi connaitre, en même temps que les figures des résistants nationaux patriotiques les ayant combattus dont certaines pourraient être immortalisées en étant statufiées, bien entendu avec des récits doctement élaborés et suffisamment explicatifs de l’action de chacune de cette figure. Dans ces musées (dont il pourrait y avoir plus d’un et en outre dans des lieux de mémoire que les historiens nous indiqueraient), il devrait y avoir autant que possible des éléments explicatifs des figures de l’histoire de la traite et de la colonisation : les navires négriers mobilisés, les expéditions faites, les pratiques en cours à l’époque, les hauts-lieux de la traite, les noms des résistants ayant payé de leur vie, etc. Pour qu’à terme on sache qui était qui. En quelque sorte, de vrais récits gravés sur du marbre pour que ne soient jamais effacées de la mémoire ces tragédies de l’histoire. En clair : les cours d’histoire, ce sont dans les salles de classe, dans les manuels scolaires, et par les activités scientifiques des universités qui dans un effort de transmission et de vulgarisation associeraient les enseignants de tous les niveaux jusqu’au préscolaire où les enseignements ont un impact indélébile sur la mémoire et l’imaginaire des tout-petits apprenants.
Dans la restitution de ces tragédies dans toute leur ampleur et leur impact, il serait question d’indiquer clairement entre autres faits, par exemple que : avant la découverte de l’Amérique, tout l’or qui arrivait en Occident venait d’Afrique, et que sans l’or de l’empire du Ghana, l’histoire de l’Occident n’aurait jamais pu être la même. Que les Etats-Unis d’Amérique ne seraient pas le même pays aujourd’hui sans les forces vives arrachées du continent africain et réduites à l’esclavage sur le sol américain. L’histoire des Africains-Américains, c’est plus de 400 (quatre cents) ans d’oppression raciale sous toutes les formes. Dans le décompte : 246 ans d’esclavage (1619-1865), 99 ans de lois Jim Crow (1865-1964) de discrimination institutionnalisée (un système d’apartheid exactement tel qu’il a existé en Afrique du Sud), 86 ans de lynchages (allant de 1882 à 1968, où les corps des Noirs étaient l’objet des pires atrocités (lapidés, torturés, pendus, et même dépecés et brûlés vifs, etc.), et enfin 14 ans de luttes pour les droits civiques allant de 1954 à 1968.
Quel autre peuple aurait vécu et survécu au moins autant ? Entre l’esclavagisme et le capitalisme occidental, le lien est direct et clairement établi. Ce sont les forces vives des peuples noirs arrachés du continent africain qui ont rendu possible la Révolution industrielle en Europe : sans cette main-d’œuvre facile et accessible sur plusieurs siècles, il n’y aurait pas eu de plantation de canne à sucre ni d’industrie de distillation du sucre, ni d’industrie tout court et donc ni de Révolution industrielle. Et sans les champs de coton en Amérique, il n’y aurait jamais eu le coton qui alimentait l’industrie textile anglaise. Et ainsi de suite.
Il n’existe pas de statue innocente ou neutre. Une statue c’est un outil de glorification et d’immortalisation d’une personne, d’une idéologie, d’une certaine conception de l’histoire. Statufier quelqu’un c’est l’honorer. Un tyran qui impose la statue de son personnage dans les rues de son pays c’est une autoglorification comme la glorification d’une figure statufiée par le pays oppresseur. C’est l’hypocrisie de l’universalisme républicain occidental qui amène à approuver et à se réjouir du déboulonnage de la statue de Saddam Hussein dans les rues de Bagdad, il y a quelques années dans le sillage de la chute de l’ancien président irakien, et de vouloir laisser intactes trôner sur les places publiques de nos villes les statues de figures tout aussi despotiques et tyranniques que Faidherbe et tous les autres…
Le fait même que des voix se soient élevées en France pour s’émouvoir du déboulonnage de la statue de Faidherbe à Saint-Louis du Sénégal, c’est une des manifestations du racisme. Car au-delà des pratiques discriminatoires fondées sur l’identité raciale dans la vie ordinaire, au-delà des éruptions et flambées sporadiques du phénomène, le racisme est aussi dans la volonté d’étouffer la voix de l’autre (étouffer au sens propre comme avec George Floyd et le policier assassin, et étouffer au sens figuré comme avec Cheikh Anta Diop et ses travaux lumineux et éclairants sur « l’antériorité des civilisations nègres » que l’ancienne puissance coloniale a toujours cherché à discréditer et à ridiculiser), de chercher à empêcher l’autre de parler de sa condition en son nom propre ; le racisme est dans l’incapacité de se mettre à sa place, de voir dans le visage de l’autre (de race différente) le reflet de son propre visage d’être humain, de chercher à discréditer son action, de lui refuser le droit de se défendre en réécrivant sa propre histoire comme une façon de l’amener à se contenter du récit que lui l’oppresseur a écrit sur lui, ce qui somme toute revient à lui refuser son humanité. Le racisme est aussi dans la banalisation d’un fait tragique que l’oppresseur historique voudrait voir comme un simple accident malheureux ou un cas isolé, un évènement à jeter aux oubliettes. L’ancienne puissance coloniale n’a-t-elle pas remis en question l’ampleur du drame de Thiaroye 44, la place de Gorée dans le trafic des esclaves, etc. ?
L’histoire bouge. Les peuples ne sont pas inertes. Nos peuples ont le droit d’exiger que soit effacé de nos rues le nom de quelque figure historique que ce soit, effacé des artères de nos villes et de tous nos bâtiments publics. Qu’il ne figure plus que dans les livres d’histoire et que cette même histoire qu’il reste à rédiger n’occulte aucun aspect (surtout pas les moins glorieux de ces pays) de son passé avec nos peuples. C’est une aberration que de donner le nom d’une grande artère d’une de nos villes à un combattant, un libérateur, une grande figure politique ou religieuse dans l’histoire de la nation et le nom d’une autre grande artère à celui qui était là en même temps que lui rien que pour l’opprimer, quelqu’un qui aurait voulu l’éliminer, quelqu’un qui aurait agi comme Derek Chauvin appuyant son genou, envers et contre tout, sans scrupule et sans frémir, sur la gorge de George Floyd jusqu’à son dernier souffle. L’oppresseur et le libérateur, ce sont deux figures de l’histoire mais aux antipodes l’un de l’autre. Donner le nom d’un individu à une rue ou à un édifice public, c’est nécessairement l’honorer, le célébrer, le glorifier, l’immortaliser. L’histoire ne s’enseigne pas dans les rues. C’est bien pourquoi il faut déboulonner les statues et débaptiser les noms de toutes les figures de l’histoire qui sont indignes de servir de repères géographiques dans la vie de nos sociétés, pour les, passez-moi l’expression, « confiner » dans les livres d’histoire avec les récits relatifs à leur action !
Abou Bakr Moreau est Enseignant-chercheur, Etudes américaines, UCAD.
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C'EST LA JEUNESSE QUI DOIT DÉBOULONNER FAIDHERBE
EXCLUSIF SENEPLUS - L'ancien secrétaire général d'Amnesty International, Pierre Sané, lance un appel aux jeunes pour qu'ils s'engagent dans un mouvement effectif de décolonisation du Sénégal - EXTRAIT DE L'ÉMISSION SANS DÉTOUR
Dans cet extrait de l'émission de SenePlus, "Sans Détour", l'invité Pierre Sané, ancien secrétaire général d'Amnesty international, lance un appel à la jeunesse sénégalaise pour qu'elle aille déboulonner elle-même la statue de Faidherbe à Saint-Louis quand celle-ci sera ré-installée à la fin des travaux actuellement en cours.
Selon l'ancien fonctionnaire de l'Unesco, c'est à la jeune génération de s'engager pour décoloniser le pays.
Sans Détour est une émission de SenePlus et de l'école d'imagerie numérique Sup'Imax, présentée par Abdoulaye Cissé et produite par Mame Lika Sidibé. L'intégralité de l'émission est à retrouver ici même en tout début de semaine.
Par Louis CAMARA
SAINT-LOUIS ET NDAR OU LES DEUX FACES D'UNE MÊME MÉDAILLE
Amputer cette ville, lieu d’une symbiose trinitaire Négro-Africaine, Arabo Berbère et Judéo-Chrétienne Occidentale, de l’une quelconque de ses composantes, y compris au niveau symbolique de la dénomination, serait un coup porté à son identité
Dans un article récent, au demeurant d'excellente facture, le Professeur Fadel Dia, écrivain, ancien directeur du CRDS de Saint-Louis suggère d'abandonner le nom de Saint-Louis au profit de Ndar pour des raisons de conformité avec notre identité propre et d'adéquation aux paradigmes de l'Histoire en devenir.
Je voudrais en toute amitié répondre à l’éminent Professeur que « Ndar ou si vous préférez Saint-Louis-du-Sénégal*» n’est prête à renoncer ni à l’une ni à l’autre de ses dénominations et ce, conformément au vœu de la grande majorité des Saint-Louisiens/Doomu Ndar/.
En effet, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO sous ce label, notre cité tricentenaire ne peut se permettre de cracher dans la soupe et courir le risque de perdre ce statut enviable. Mais là ne réside pas la raison fondamentale de l’attachement des Doomu Ndar à ce nom de Saint-Louis venu d’ailleurs, d’au-delà des mers. Comme le fait à juste titre remarquer le professeur Souleymane Bachir Diagne « Saint-Louis est une ville métisse et plurielle, cette caractéristique est inscrite dans son ADN et tout acte de nomination doit refléter le poème pluriel qu’elle est, sans en gommer aucune strophe ». Cela est l’évidence même : cette ville est le lieu d’une symbiose trinitaire Négro-Africaine, Arabo Berbère et Judéo-Chrétienne Occidentale dans l’ordre des strates historiques qui la fondent.
L’amputer de l’une quelconque de ses composantes, y compris au niveau symbolique de la dénomination, serait un coup porté à son intégrité, à son identité et à son authenticité.
Disons le sans ambages, débaptiser ou plutôt, éradiquer purement et simplement le nom de Saint-Louis au profit exclusif de celui de Ndar équivaudrait à vouloir faire du neuf avec du vieux ( Il ne faut pas oublier que le nom Ndar est antérieur à celui de Saint-Louis), et ne constituerait donc ni une cure de jouvence ni le signal fort d’une entrée dans une modernité souhaitée et souhaitable. C’est un peu comme si, sous prétexte de vouloir faire de Paris une ville du futur, l’on décidait de lui redonner son ancien nom de Lutèce, ce qui serait le comble de l’archaïsme vêtu des oripeaux d 'une modernité factice. Non, vraiment les Saint-Louisiens sont des Doomu Ndar et les Doomu Ndar sont des Saint-Louisiens. De la même manière, Ndar et Saint-Louis, Saint-Louis et Ndar ne sont que l’envers et l’endroit d’une même médaille. Que l’on ne vienne surtout pas nous accuser de faire dans l’ethnocentrisme insulaire et la fausse fierté identitaire, d’être des « Ndarolâtres » ou des suppôts du colonialisme ou de son avatar, le néo-colonialisme.
Les Doomu Ndar sont d’aussi fiers patriotes que n’importe quels autres Sénégalais et la mémoire collective retiendra aussi que c’est en terre Saint-Louisienne qu’est né « Moom sa Réew », le mouvement d’indépendance le plus radical du Sénégal d’alors. Les Doomu Ndar ont tous des racines dans le pays profond. Ils les connaissent, en sont fiers et ne rejettent aucune des composantes de leur identité. Comme l’écrit le Professeur Fadel Dia dans l’un des beaux passages de son article : « Saint-Louis c’est notre Amérique, le melting-pot où s’est formée une culture neuve, métissée, en rupture avec les ordres anciens.
Toutes ces raisons devraient inciter tout regroupement de Saint-Louisiens à être, non un cercle fermé, mais une communauté ouverte, sans exclusive, car on appartient à cette ville moins par la naissance que par la culture. C’est pourquoi nous devrions faire de Saint-Louis notre maison familiale, notre patrimoine commun, souhaiter que chaque Sénégalais (et chaque Sénégalaise) y ait un point d’ancrage. »
TOUT UN PROGRAMME !...
Saint-Louis, il est vrai, a aujourd’hui perdu son prestige de capitale d’empire et ne s’est jamais remise du transfert de ses attributs Dakar, elle a aussi perdu, et cela est bien plus grave, son rôle pôle économique et économique sous l’effet conjugué des catastrophes naturelles et des méfaits humains, au point d’être ravalée au rang de petite ville de province voire de gros bourg. Force est de le reconnaître, Saint-Louis, Ndar-Géej, n’est plus que l’ombre d’elle-même et nombre de Doomu Ndar nostalgiques d’un passé révolu n’ont plus que leurs yeux pour pleurer sa splendeur évanouie dont l’ultime refuge est peut-être l’imagination des poètes. C’est triste mais vrai, la culture raffinée et composite qu’avait su créer Ndar (et qu’on lui a parfois même reprochée, pointant du doigt le maniérisme de ses habitants) a presque totalement disparu. Les vestiges qu’il en reste se meurent à petit feu, à l’ombre des vieilles bâtisses coloniales, rongés par le sel, l’humidité, la pauvreté et la négligence coupable des politiques mais aussi par l’ingratitude de ses enfants les plus favorisés par le destin qui, le plus souvent, ont préféré lui tourner le dos et n’y reviennent malheureusement que les pieds devant. Mais tout ceci n’est pas une raison pour baisser les bras et céder au découragement ou succomber au chant mortifère des sirènes de la nostalgie. Il y a plutôt lieu de se retrousser les manches et de travailler sans relâche pour faire de Saint-Louis une ville résolument tournée vers l’avenir, une ville où il fait bon vivre et, pour reprendre les mots du poète Senghor « poreuse à tous les souffles du monde ». Cela seul pourra faire retrouver à Ndar, la belle endormie, son sourire radieux et son lustre d’antan.
Dans cette marche en avant de leur vieille cité, patrimoine du Sénégal, de l’Afrique et du monde entier, les Saint-Louisiens se doivent d’assumer pleinement leur passé, rester fiers de leur histoire dans sa globalité et ne rejeter aucun des éléments constitutifs de leur identité. Autant il leur faudra veiller à consolider leurs racines profondes, qu’ils ont en commun avec leurs compatriotes, autant il leur faudra être ouverts au monde et rester arrimés aux grands principes de la fraternité humaine et de l’universalité. C’est aussi la raison pour laquelle il est, à mon humble avis, impensable de vouloir « enterrer Saint-Louis, qui est le nom de plusieurs dizaines de villes dans le monde », ce qui du reste constitue pour elle un gage supplémentaire d’universalité et qui garantit son statut de site du patrimoine de l’humanité. C’est le lieu de rappeler l’existence du beau jumelage entre Saint-Louis-du-Sénégal et Saint-Louis-du-Missouri, la ville du Blues, majoritairement peuplée de descendants d’Africains et, comme sa jumelle, située à l’embouchure du grand fleuve Mississipi où s’élève majestueusement le Gateway Arch, ouvrage d’acier qui n’est pas sans rappeler notre pont Faidherbe.
Et puis, Ndar n’est pas la seule ville au monde à être dotée de deux noms : sans être géographe, je pourrais citer de mémoire la ville de Porto-Novo/Ajashé au Bénin dont la première appellation est Portugaise est la seconde Yorouba. Les habitants de cette ville d’Afrique de l’ouest la désignent indistinctement par l’un ou l’autre de ces deux noms sans que cela ne dérange personne. L’autre problème soulevé par l’article du professeur Dia est celui de la charge symbolique intrinsèque liée au nom Saint-Louis. En effet, Saint-Louis n’a pas été comme beaucoup le pensent, baptisée au nom du roi Louis XIV sous le règne duquel elle a été fondée. Ce dernier n’était pas, loin s’en faut, un saint et la vieille ville porte plutôt le nom du roi Louis IX qui, lui, en était un vrai, et a été canonisé par l’église catholique en la personne du pape Boniface VIII le 4 Août 1298.
Effacer son nom de l’histoire de la ville serait à coup sûr porter atteinte à la sensibilité d’une communauté religieuse qui, si minoritaire soit-elle, a toujours joué et continue de jouer un rôle important dans la bonne marche de Saint-Louis. Après tout, Saint-Louis n’est pas Léopoldville et si les Congolais ont eu mille fois raison de gommer de leur histoire le nom de celui qui fut leur pire bourreau, il n’en va pas de même pour Saint-Louis roi de France qui fut un souverain exemplaire doublé d’un Saint et avec qui les Doomu Ndar n’ont aucun contentieux particulier. Encore heureux que Faidherbe n’ait pas eu l’idée de donner son nom à la ville qu’il a largement contribué à bâtir et qui se serait peut-être appelée Faidherbeville ! Cela aurait en tout cas largement justifié les doléances radicales des militants du mouvement « Faidherbe dégage » ! Mais nous n’en sommes pas là et le nom de ce Louis auréolé de sainteté ne porte pas les mêmes stigmates. Notre souhait est donc qu’il continue d’être le patron de cette ville qui fut aussi visitée par tant de soufis musulmans parmi les plus grands et qui demeure un symbole de cet œcuménisme annonciateur du fameux « dialogue Islamo-Chrétien ». Il est aisé de constater que les débats autour de la question de l’héritage colonial et de son impact sur les consciences collectives et individuelles occupent la une de la presse ces temps derniers. Ces débats sont parfois houleux voire teintés d’une certaine « agressivité », ce qui peut paraître normal au vu de l’importance des enjeux.
Néanmoins il faut savoir raison garder et éviter que ces échanges intellectuels, dont le but est d’éclairer la lanterne des lecteurs, ne virent à la polémique stérile et ne deviennent contre-productifs. Il serait peut-être plus utile de les recentrer et d’en poser les termes de manière plus apaisée et plus scientifique, sans passion ni ressentiment mais avec la lucidité qu’exige une approche objective des faits et événements de l’Histoire. Il nous faut tous continuer à pratiquer cette introspection critique qui est la base de tout dialogue constructifs et qui seule peut nous aider à nous désinhiber, à nous débarrasser des préjugés, complexes et clichés qui encombrent nos mémoires et les obscurcissent. La décolonisation des mentalités qui est d’abord une affaire collective se pose aussi au niveau individuel et nous enjoint à chacun, d’assumer tous les héritages qui composent et définissent nos identités plurielles.
En définitive, ce qu’il faut En définitive ce qu’il faut d’abord comprendre en ce qui concerne Saint-Louis, c’est qu’elle est le fruit de rencontres multiséculaires, d’une symbiose de cultures, de races, de religions et que son âme profonde est métisse, cosmopolite. Le nom de Saint-Louis doit continuer à faire écho à celui de Ndar dans une harmonie naturelle et sans fausse note. Je conclurai donc cette modeste contribution aux débats sur la place du patrimoine historique de Ndar par ces lignes admirables du professeur Fadel Dia : « L’important aujourd’hui, c’est de redonner à la vieille cité l’harmonie et la grâce dont avaient peut-être rêvé les plus inspirés de ses bâtisseurs ainsi que cette patine qui est la marque d’une longue existence (…). Il faut restituer* Saint-Louis à l’Histoire et rendre à Ndar ce qui lui appartient et qui non seulement survivra au pic des démolisseurs, mais pourrait encore remplir une enviable corbeille de mariage ou inspirer un risorgimento salvateur… »
• *« Ndar ou Saint-Louis-du-Sénégal si vous préférez », extrait de l’incipit de mon roman « Au dessus des dunes » • *restituer : je comprends ce verbe dans le ses de « faire retrouver sa place à… »