Avec une expérience de plus de 50 ans, Ben Diogaye Bèye garde toujours cette passion qui l’a poussé vers le cinéma. A 73 ans, l’artiste s’est replié dans son atelier pour former de jeunes cinéastes. De là à lâcher la réalisation ? Loin de là car le patriarche a bénéficié d’un financement du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique (Fopica) pour un nouveau film. Où en est-il par rapport à ce film dont l’acteur principal est décédé ? Ben Diogaye Bèye répond et projette son appréciation sur la jeune génération de cinéastes, les téléfilms et la pandémie du Covid-19.
Comment se porte le cinéma sénégalais ?
Si on voit les distinctions du cinéma sénégalais ces dernières années, je vois de temps à temps des noms, des talents qui émergent. Tout le monde est d’accord que le jeune Alain Gomis a fait des choses immenses en remportant 2 fois l’Etalon du Yennenga à Ouagadougou. Mati Diop a eu un prix à Cannes. C’est formidable et cela montre qu’il y a des choses qui bougent. Ça c’est ma perception en tant que citoyen sénégalais. Mais en tant que cinéaste, quelqu’un de l’intérieur, je suis un peu gêné. Cela fait 50 ans que je suis dans le cinéma. Les cinéastes avaient une association tellement combattante mais ils ne sont plus ensemble. Il y a aujourd’hui de petits groupuscules alors que ç’aurait été bien que l’association qui regroupe tous les professionnels existe encore. On défend mieux ses intérêts collectivement qu’individuellement. C’est un travail des cinéastes. Je n’ai plus l’âge pour courir après les gens afin qu’ils soient ensemble ou s’associent. Je constate cette dispersion et c’est très dommage. Quand j’étais venu au cinéma, notre souci et idéal était de faire exister un cinéma africain, sénégalais. Nous nous sommes vraiment battus. Il y a beaucoup d’acquis du cinéma sénégalais qui proviennent des soutiens de l’Etat, et qui sont le résultat des combats que notre association a menés, même s’il est vrai qu’elle n’existe plus depuis très longtemps. Nous avions pour souci principal de faire exister la cinématographie africaine, sénégalaise. Aujourd’hui dans ce contexte, la priorité c’est d’asseoir la carrière individuelle. C’est plus des individus qui veulent s’imposer.
Comment en est-on arrivé là ?
Je n’ai pas dit qu’on ne peut pas régler nos problèmes. Les choses bougent quand même. Il y a des initiatives et je ne dis pas que c’est bloqué. Soyons clairs ! Il se peut que ça bouge sur des aspects dont je ne suis pas au courant. Comment en est-on arrivé là ? Il y a eu un certain laxisme au sein des derniers bureaux de l’association.
Est-ce que les problèmes du cinéma+7 sénégalais ne sont pas dus à l’émergence des téléfilms ?
Pour les téléfilms, il y a plusieurs choses. D’une part, je ne suis pas du tout les téléfilms. Je ne suis pas amateur et ne regarde jamais. Ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas une attaque.
Pourquoi les téléfilms ne vous intéressent pas ?
Je crois que les gens courent trop vite pour installer leur carrière. Il faut les comprendre. Ce n’est pas une critique. Je ne dis pas que les réalisateurs sont des amateurs et ne connaissent pas le cinéma. Ils ont leur stratégie de passer par des séries et peut-être, ils pourront faire des films de cinéma. Or, la réalité est que la capacité de faire des films de série est la même que celle du cinéma. Je peux comprendre que les gens cherchent à réussir. Quand on entre dans un métier, c’est pour y réussir. Quand on a l’ambition d’être cinéaste, que l’on passe par des postes d’assistant.
Ces téléfilms sont-ils une menace pour le cinéma sénégalais ?
Il faut savoir que le cinéma sénégalais s’est imposé comme une réalité sérieuse aux plans national et africain. Depuis notre doyen Ousmane Sembene, notre ami Djibril Diop Mambety, le cinéma existe.
Mais les téléfilms sont plus nombreux et plus suivis au Sénégal…
Cela ne veut rien dire. Il est plus facile de faire un téléfilm qu’un film de cinéma. Ce ne sont pas les mêmes réalités. Ce n’est pas une menace pour le cinéma.
Est-il problématique que le Sénégal s’impose dans le 7ème art africain et qu’il n’y ait pas de salle de cinéma ?
Vous touchez du doigt un grand problème. L’Etat faire doit faire des efforts. Le Fopica existe et c’est une très bonne chose. Vous savez, le cinéma est une chaîne avec plusieurs maillons. Il y a la production, la distribution et l’exploitation. Il faut que tous ces segments marchent pour que la chaîne puisse tenir. Le Fopica donne une avance. Je me souviens avoir écrit du temps du Président Abdoulaye Wade une lettre aux 3 groupes parlementaires pour leur demander s’ils ne pouvaient pas sur le plan de la législation, encourager des promoteurs immobiliers à prévoir des salles de cinéma dans leurs immeubles. Malheureusement à l’époque, je n’avais jamais eu de réponses. Je suis membre de l’association Cinéastes sénégalais associés (Cineseas) qui est devenue amorphe depuis de 20 ans. Mais si je devais lancer un appel aux autorités, ce serait d’inciter les investisseurs sénégalais, comme on construit tellement à Dakar, à se tourner vers la construction de salles de cinéma dans leurs immeubles. Si on fait ça petit à petit, le cinéma peut être rentable. Il y a la salle Canal Olympia, qui existe dans toutes les capitales de l’Afrique occidentale. Aujourd’hui il y a d’autres investisseurs français qui sont en train de construire des salles ici même à Dakar. C’est très bien mais cela me fait penser à un retour en arrière aux temps des sociétés qui avaient le monopole de la distribution et d’exploitation de films au Sénégal. Tout en encourageant les investisseurs étrangers à venir investir dans le cinéma, il serait bon qu’on encourage nos hommes d’affaires dans la construction de salles de cinéma. L’Etat a la possibilité de le faire en allégeant les taxes pour les encourager.
Le Président Macky Sall recevant les cinéastes en 2017 avait promis de construire un Centre national de cinématographie à Diamniadio. Est-ce qu’il y a un début de réalisation de cette promesse ?
Quelles que soient les intentions du président de la République, s’il n’y a en face un groupe qui saisit cette opportunité pour en faire un cheval de bataille, on ne peut pas avancer. Le Président a dit ça mais il appartient aux cinéastes de se battre pour obtenir la réalisation du Centre national de la cinématographie. Mais à partir du moment où il y a plusieurs groupuscules… D’accord, les gens peuvent être ensemble selon leurs affinités. Mais en dehors de cela, il y a une chose objective c’est qu’ils ont un intérêt commun. A défaut de faire une seule association, ils peuvent se constituer en fédération.
Donc pour vous, le problème du cinéma sénégalais et des cinéastes, c’est le manque d’organisation ?
Je ne peux pas dire ça. Mais je sens assez tristement ce retour à ce qui existait avant. Je veux dire le monopole de groupes français sur l’exploitation et la distribution de films. Tout ce que l’Etat a fait pour le cinéma, c’était sur propositions des cinéastes jusqu’à ce Fopica qui est arrivé. Mais c’est au moment où il n’y a plus d’association.
Justement, où en êtes-vous avec votre film qui a reçu un financement du Fopica ?
On avait arrêté mon film pour cas de force majeure. On a été lâché par des partenaires américains d’une part et d’autre part, sur le chemin, l’acteur principal qui est sénégalais, est décédé. Aujourd’hui, on est en train de voir. Ce n’est plus d’actualité pour moi comme c’est quelque chose qui est bloqué. Je n’en parle même pas parce qu’il n’existe même pas. Je suis en train de faire des efforts pour réaliser ce film.
Quel est le budget de votre film ?
Je ne vois pas l’importance de vous le dire. Je ne l’ai plus en tête.
Quel regard avez-vous sur la jeune génération de cinéastes ?
C’est très bien de voir qu’il y ait beaucoup de jeunes cinéastes notamment des femmes. J’en suis très heureux. Personnellement, à mon âge, je m’investis beaucoup dans la formation de jeunes cinéastes. Je les encourage à travailler ensemble. Si quelqu’un a la chance d’avoir des moyens, qu’il prenne l’un d’eux comme assistant. Puisqu’ils n’ont pas eu la chance d’aller à l’école d’assistanat, il faut qu’ils travaillent là-dessus plusieurs fois pour maîtriser cela parce que c’est un métier qui n’est pas facile. Le cinéma implique l’esthétique, le physique et la technique.
Comment voyez-vous la gestion de la pandémie du Covid-19 par le gouvernement ?
Le gouvernement a très tôt pris des mesures. Je trouve que l’Etat a bien réagi surtout que nous avons la chance d’avoir un personnel soignant extraordinaire en particulier nos médecins. Mais le ministère de la Santé doit organiser la réflexion pour savoir pourquoi les Sénégalais ne respectent pas les mesures barrières. Il faut faire cette critique parce que cela n’a pas été fait ou bien, il faut changer de stratégie. Les Sénégalais ont leurs masques mais ils les mettent au niveau du cou ! Le ministère de la Santé doit revoir sa stratégie de communication. La communication doit vivre en même temps que la vie des gens qu’elle veut impacter.
Avez-vous été impacté par les conséquences du Covid-19 ?
Je suis déjà impacté par un autre problème avec mon film. J’ai arrêté mes projets depuis un an. J’ai beaucoup travaillé sur la communication liée à la pandémie. J’ai appuyé de jeunes cinéastes et producteurs qui produisaient des sketchs.
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RENCONTRE AVEC FELWINE SARR
L'économiste évoque entre autres, son enfance, son rapport aux langues, aux arts martiaux, à la spiritualité, aux identités assignées, ses affinités électives, le rapport de l'écrivain au langage
"De l'homme de la rencontre à l'œuvre de la rencontre" est le thème que Mariama Samba Baldé propose à ses invités sur la chaîne Vibramonde à retrouver sur www.vibramonde.com.
Il reçoit pour cette émission l'économiste, écrivain et enseignant à l'université, Felwine Sarr.
par Khadim Ndiaye
LA PRÉSENCE DÉRANGEANTE DE LA STATUE DE FAIDHERBE À SAINT-LOUIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Déboulonner ce monument, c’est s'affranchir de la colonialité de l'être. Il s'agit pour les Sénégalais et Africains en général de contester une histoire qui a consacré le point de vue du colon
Les nombreuses statues déboulonnées dans le sillage du crime raciste de George Floyd montrent que se jouent aussi une guerre des symboles et une reconquête des imaginaires. Il est contesté cette histoire qui donne la part belle aux racistes, esclavagistes et autres acteurs de la colonisation. Des tortionnaires aux mains ensanglantées ne sauraient être érigés en héros et honorés, proclament des milliers de manifestants indignés. Le symbolisme du bourreau auréolé et dont la statue est gravée dans la pierre ou le bronze a désormais un goût amer.
Le mois de juin est le mois de naissance du conquérant colonial Louis Faidherbe. Le déboulonnage de statues un peu partout dans le monde, nous rappelle que les siennes trônent toujours à Lille en France et à Saint-Louis au Sénégal. Relancer le débat sur ses statues controversées, c’est d’abord rappeler les sinistres exploits de ce conquérant colonial.
En Algérie où il a été envoyé en tant que soldat, Faidherbe, né le 3 juin 1818, y a commis les pires atrocités. Le soldat zélé s'est endurci dans ce pays avant de jouer son match sanglant au Sénégal. Sa technique d’extermination des villages sénégalais est l'aboutissement d'un stage sinistre de perfectionnement criminel sur le sol algérien. C’est sans gêne qu'il fit part à sa mère de ses exploits funestes, dans une lettre envoyée d'Algérie au mois de juin 1851 : « J'ai détruit de fond en comble un charmant village de deux cents maisons et tous les jardins. Cela a terrifié la tribu qui est venue se rendre aujourd'hui. »
La fougue du dangereux persécuteur n'épargna ni humains ni végétaux. C’est pourtant en l’honneur de ce destructeur des jardins de Kabylie qu’est nommé le bel acacia du Sahel : Faidherbia albida.
Lors d’une de ses missions dans les montagnes du Djurdjura en Algérie, le soldat Faidherbe glissa et tomba dans un torrent d’eau glacée. Il souffrira affreusement le reste de sa vie des séquelles de cette chute. À sa mort le samedi 28 septembre 1889 à Paris, son gendre, le capitaine Brosselard, envoie un communiqué à la presse dans lequel il est mentionné : « Le général Faidherbe s'est éteint ce matin à neuf heures un quart des suites d'une longue et douloureuse maladie, contractée en 1847 en Algérie. C'est en effet à cette lointaine époque qu'il faut faire remontrer l'origine de l'ataxie locomotrice dont le général était atteint ».
En 1875, Faidherbe perdit l'usage de ses jambes, vécut sous l'influence d'insomnies qui hâtaient son affaiblissement et subit des crises douloureuses. C'est à la suite d'une crise violente qu'il rendit l'âme. Un des journaux de l'époque nota que son ataxie locomotrice qui dura 43 ans, est un fait sans précédent dans les annales médicales. Cette ataxie s'est compliquée d'hydropisie généralisée qui entraîna une paralysie progressive dans l'accomplissement des fonctions vitales et, dans ses derniers jours, il est entré dans un état comateux qui causa l'engourdissement rapide de toutes ses facultés.
Si l’homme a longuement agonisé, les crimes du conquérant colonial ne sauraient être oubliés. Le devoir de mémoire l'exige.
La méthode punitive de Faidherbe ne laissait que misère et désolation. Quiconque avait l'outrecuidance de résister, il incendiait toute sa bourgade. Un seul résiste, tous payent. Telle était sa devise. Rien ne devait empêcher la machine coloniale d'étaler ses tentacules. C’est ainsi que furent détruites et incendiées beaucoup d’habitations au Sénégal en plus du pillage généralisé du cheptel. C'est dans ce pays pourtant qu'est érigée sa statue sous laquelle est mentionné : « À son gouverneur Louis Faidherbe, le Sénégal reconnaissant ».
Faidherbe a mis en place les bases idéologiques de l’occupation française du Sénégal et de l’Afrique occidentale. Il était le grand acteur de cette entreprise coloniale qui ouvrait une ère d’oppression et d’assujettissement. Son action montre qu’il n'y a pas de « colonisateur de bonne volonté ». Un colonisateur est un acteur d'une idéologie dominante et meurtrière. Le regretté Albert Memmi nous l'a rappelé : « Le colonisateur de bonne volonté est condamné au seul choix qui lui est permis, non pas entre le bien et le mal, mais entre le mal et le malaise ».
Le colonisateur avait un seul objectif : assurer un meilleur contrôle des âmes, des corps et des territoires. La ville de Saint-Louis au Sénégal, elle-même, n’était qu’un élément important de ce contrôle. C’est ce que laisse entendre Napoléon Jérôme, chargé du ministère de l'Algérie et des colonies, dans une lettre adressée au gouverneur Faidherbe, le 22 février 1859 : « La ville de Saint-Louis est la base de notre domination, c'est le point de ravitaillement de nos colonnes expéditionnaires, le chef-lieu de l'administration. Il me paraît donc indispensable d'y créer toutes les ressources qui doivent concourir à faciliter et à assurer l'exécution des mesures relatives à l'extension de notre occupation. »
Même quand Faidherbe conseillait à ses collaborateurs français de s’unir à des femmes indigènes, ce n’était pas d’abord par amour, mais pour supporter l’éloignement et éviter de succomber à la solitude dépressive qui ferait perdre des éléments à l’administration coloniale. L’union avec des femmes indigènes devait donc servir les objectifs de la colonisation. Cela engendra une cascade de relations illégitimes qu'il ne fallait jamais révéler en France de peur de subir des railleries. Faidherbe avait lui-même imposé une grande discrétion à sa relation avec la jeune Diokounda Sidibé, qui avait 15 ans lorsqu’il fit d’elle son « épouse à la mode du pays », comme on disait à l’époque. Pinet-Laprade, bras droit du gouverneur, qui deviendra lui-même gouverneur, suivit le conseil de Faidherbe à la lettre et prit comme femme indigène, Marie Peulh, qu’il présenta en France comme sa bonne.
La colonisation est une « chosification », disait Césaire. Le but de Faidherbe était de fabriquer des automates, de modeler les âmes. Un automate reste à sa place et attend qu'on lui impulse le mouvement. Voilà pourquoi il pouvait écrire, le 2 juillet 1857, dans le rapport de juin de l'instituteur laïc transmis au ministre de la Marine française, que les Noirs sont des « gens dont on fait tout ce qu'on veut en les prenant bien ».
Pour le colonisateur, toute action doit servir la cause coloniale. Ce fut le cas lorsqu’il mobilisa la force des indigènes pour construire des hôpitaux, des routes, des chemins de fer, des ponts, etc. Le poète Aimé Césaire avait « démoli » dans son Discours sur le colonialisme, l’argument de ceux qui avancent que la colonisation est un bienfait, qu’elle a permis de réaliser des ouvrages. Au-delà du fait que ces ouvrages nécessitèrent l’utilisation souvent forcée de bras et de matières premières locales, le poète nous dit que l’entreprise elle-même est une dépersonnalisation : « J’entends la tempête. On me parle de progrès, de “réalisations”, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »
La colonisation n'a pas été un progrès mais plutôt un frein. Elle a vidé des sociétés entières de leur essence. C’est ce que comprit aussi Frantz Fanon lorsqu’il nota que pendant des siècles, « l'Europe a stoppé la progression des autres hommes et les a asservis à ses desseins et à sa gloire ; des siècles qu'au nom d'une prétendue "aventure spirituelle" elle étouffe la quasi-totalité de l'humanité. »
Faidherbe est l’initiateur du principe de l'assimilation culturelle au Sénégal. C’est lui qui créa la fameuse École des otages à Saint-Louis, en y faisant inscrire les fils de chefs de villages et de notables ramenés de campagnes militaires sanglantes et des tournées à l'intérieur du pays. L'école a changé de nom en devenant en 1893 l'École des Fils de Chefs et des Interprètes. Les enfants devaient y assimiler la culture française au prix d’une féroce acculturation. Conséquences : de nombreux jeunes passés dans ces écoles, complètement aliénés, se croyaient supérieurs à leurs semblables. Cette mentalité est encore actuelle. On se souvient des propos de feu le journaliste Golbert Diagne regrettant l'époque de Faidherbe où les habitants de Saint-Louis étaient des privilégiés, des « évolués » alors que les autres étaient des « indigènes ». « J'aurais eu encore trente ans, martelait-il, chaque matin je viendrais l'embrasser » [la statue de Faidherbe].
Un des rares à avoir compris le manège était Sidya Léon Diop. Il avait seulement 13 ans lorsque Faidherbe l’emmena à l’École des otages à Saint-Louis puis au Lycée Impérial d'Alger en 1861. Faidherbe lui donna même son prénom « Léon » afin de pousser à l’extrême le processus d’acculturation déjà entamé. À son retour, il devait gouverner selon les ordres de l’administration coloniale. Réveillé de sa torpeur, il rejoignit la résistance, renonça à son nom de colonisé et retrouva le sien : Sidya Ndaté Yalla Diop.
Faidherbe est celui qui s’adonna à des manipulations religieuses et ethniques tout au long de sa présence au Sénégal. Alors que nous savons que les groupes ethniques dans la période précoloniale étaient des ensembles mouvants et perméables, Faidherbe a contribué, par sa manipulation raciologique, à les figer en imposant des catégories rigides. Faidherbe est aussi celui qui célébrait le « guerrier blond logiquement triomphant », chargé de « régénérer la race noire ». Il n'hésitait pas à écrire en 1879, amplifiant les vues racistes de l’École d’anthropologie de Paris, que « l'infériorité des Noirs provient sans doute du volume relativement faible de leurs cerveaux. »
La polémique sur le fameux « dessert » offert aux Tirailleurs sénégalais n'aurait pas existé si Faidherbe n'avait pas créé ce fameux corps de soldats en 1857, motivé qu'il était par des idées racistes. Les Noirs font de bons soldats, écrivait-il en 1859, « parce qu’ils n’apprécient guère le danger et ont le système nerveux très peu développé ».
Mais Faidherbe c’était aussi et surtout les expéditions militaires sanglantes. Il est l’auteur de nombreux crimes. Son bilan est lourd : des milliers de personnes tuées et des dizaines de villages incendiés au Sénégal. Faidherbe n’a pas seulement envoyé des soldats pour massacrer des populations, il a lui-même participé à plusieurs expéditions militaires.
On n'efface pas l'histoire en déboulonnant une statue héritée de la colonisation et qui représente une figure coloniale symbole de l'assimilation aliénante et de méthodes sanguinaires. Une figure qui a tué, massacré, violé, pillé un territoire subjugué sur le plan militaire et dont toutes les réalisations avaient un seul but : consolider les bases matérielles et idéologiques de l’occupation française du Sénégal et de l’Afrique occidentale.
Une statue a une valeur éducative certaine. On exalte par elle une gloire nationale. On rappelle son souvenir et magnifie son œuvre. La statue de Faidherbe est le produit d’un récit, celui de la grandeur de l’entité colonisatrice. « Chaque statue, écrivait Frantz Fanon, celle de Faidherbe ou de Lyautey, de Bugeaud ou du sergent Blandan, tous ces conquistadors juchés sur le sol colonial n’arrêtent pas de signifier une seule et même chose : « Nous sommes ici par la force des baïonnettes».
La statue de Faidherbe à Saint-Louis signifie, pour tous les élèves du Sénégal, le bourreau honoré et glorifié. Elle consacre, aux yeux des enfants sénégalais qui la voient tous les jours, l'humiliation et l'asservissement subis par leurs ancêtres. En l’érigeant au centre de la ville de Ndar, elle participe à la colonisation de l’espace et des imaginaires. Déboulonner une telle statue, c’est s'affranchir donc de la colonialité de l'être et de l’espace.
Si le mois de juin est le mois de la naissance de Faidherbe, il est aussi celui de la disparition du cinéaste Sembene Ousmane (parti un 9 juin 2007). Sembene est l’un des tout premiers à s'insurger contre la statue de Faidherbe à Saint-Louis et les noms de rue célébrant des colonisateurs. En 1978, dans une lettre adressée au président Senghor, il écrivait ceci : « N'est-ce pas une provocation, un délit, une atteinte à la dignité morale de notre histoire nationale que de chanter l'hymne de Lat Joor sous le socle de la statue de Faidherbe ? Pourquoi, depuis des années que nous sommes indépendants à Saint-Louis, Kaolack, Thiès, Ziguinchor, Rufisque, Dakar, etc. nos rues, nos artères, nos boulevards, nos avenues, nos places portent-ils encore des noms de colonialistes anciens et nouveaux ? Notre pays n’a-t-il pas donné des femmes et des hommes qui méritent l'honneur d'occuper les frontons de nos Lycées, collèges, théâtre, université, rues et avenues, etc. ? »
En dénonçant la statue et les noms de rues, il s’agit pour les Sénégalais et Africains en général de contester une histoire qui a consacré le point de vue du colon et sa version des choses. La bataille contre les symboles est engagée. Elle ne suffit pas. Elle doit déboucher sur un combat plus vaste : la nécessaire décolonisation des rapports politiques et économiques avec les anciennes métropoles.
L'Afrique doit ÊTRE avant d'AVOIR, disait le regretté historien Joseph Ki-Zerbo.
ST-LOUIS INTERPELLE LE MINISTRE DE LA CULTURE SUR SON FESTIVAL
A St-Louis, on cherche à travers les rubriques de la cagnotte de 3 milliards de frs à distribuer au monde culturel, la place allouée au Festival de jazz de la ville.
A St-Louis, on cherche à travers les rubriques de la cagnotte de 3 milliards de frs à distribuer au monde culturel, la place allouée au Festival de jazz de la ville. Les premiers échos en provenance du ministère de la Culture et de la Communication ne renvoient pas des notes rassurantes. Ils installent une certaine incompréhension qui pousse la ville tricentenaire à interpeller le ministre Abdoulaye Diop pour avoir la bonne information ou pour que ce qui pourrait être une grosse bourde soit réparée.
St-Louis ne vivra pas cette année son mythique festival de jazz qui devait se tenir du 27 mai au 01er juin. A cause de ce fichu virus de la covid19, l’ancienne capitale ne montrera pas sa coquetterie légendaire aux visiteurs venant du Sénégal et de tous les coins du monde. Un festival qui a réussi à défier le temps, à vaincre la mortalité infantile ravageant ce genre d’événements puisqu’il vogue sur ses 28 ans d’existence. Une sacrée performance. Un défi annuel relevé par le président Me Ibrahima diop et son équipe.
Le festival dispute aujourd’hui à la biennale des Arts, le leadership des événements culturels du Sénégal surpassant même en notoriété le festival de danse de Louga. Surtout, il est inscrit dans le catalogue des plus grands festivals du monde. Il n’y en a pas deux en Afrique. Et pourtant si l’Etat consacre une enveloppe de 800 millions de frs à la biennale, le Festival de jazz ne reçoit du ministère de la Culture qu’une enveloppe de … 5 pauvres millions de frs. C’est surtout le soutien du président Macky sall, entre 15 à 20millions de frs, qui permet de sauver la face du gouvernement dans cet événement culturel. Le souhait du maire de la ville, Mansour Faye, c’est une inscription budgétaire dans les livres du ministère de la Culture pour un appui sécurisé de 50 millions de frs. La demande est restée en l’état. Mais la préoccupation actuelle à st-Louis, c’est surtout le risque de voir le festival être zappé de l’appui des 3milliards de francs alloué par le gouvernement au monde culturel dans le cadre de la riposte à la covid19. Saint-Louis se rappelle donc au souvenir du ministre Abdoulaye diop. Une omission ne saurait se justifier puisque « le décret organisant la répartition de l’appui des 3 milliards de frs à la culture fait état de critères tournant autour d’événements culturels inscrits dans l’agenda culturel ajournés » souligne notre interlocuteur parlant sous anonymat. « Les premiers échos que nous recevons du ministère de la Culture et de la Communication donnent l’impression que le festival de jazz a été zappé de cette manne financière. Ce qui n’est pas cohérent, c’est de donner un milliard à la SODAV qui ne fait que du recouvrement, mais aussi aux griots qui ne sont pas organisés en associations, et qui n’ont pas d’événements. Or le festival de jazz, c’est un budget compris entre 250 à 300 millions de frs » indique Massamba Diagne, un st-louisien interpellé au téléphone. Ce dernier, très au fait du rythme culturel de la ville tricentenaire, indique que ce qui le plus désolant, c’est que les dirigeants du festival étaient très avancés dans la préparation de l’édition de 2020. « La phase préparatoire était déjà achevée. Les invitations étaient calées, la tête d’affiche de cette année devait être le défunt musicien américain Randy Weston dont les cendres ont été dispersées dans l’océan Atlantique aux larges de Gorée. Randy Weston a épousé une Lébou sénégalaise Fatimata Guèye qui était attendue à St-Louis. En outre de nombreux musiciens africains notamment du Sénégal, du Mali, du Maroc qui ont eu à collaborer avec Randy Weston étaient aussi attendus à St-Louis. Dans la phase de préparation, la direction du festival a eu à travailler avec de nombreux experts. Elle a présenté au ministre de la Culture le rapport 2019 du festival et un autre document sur l’impact du festival à St-Louis » informe Massamba Diagne.
Me Ibrahima Diop diffère sa réponse
D’autres indiscrétions révèlent que dans l’agenda de cette année figuraient des événements connexes comme la projection du film «Outre Atlantique » de Maty diop, fille du célèbre Wasis du même nom, un colloque sur les mythes de l’émigration avec des sommités comme le linguiste Pathé Diagne, l’historien Pr Ibrahima Thioub Recteur de l’Université de Dakar, l’ancien ministre Pr Mame Moussé Diagne. On pouvait aussi retenir la thématique de la lutte contre l’insalubrité à st-Louis avec l’implication des enfants des écoles de la ville pour développer chez ces derniers le reflexe à la base. Tout comme l’état des lieux de « Ile de st Louis, patrimoine mondial de l’Unesco : 20 ans après ».
Dans l’agenda, il était aussi prévu la présence des autorités municipales de Grand Bassam en Côte d’Ivoire, ville jumelle de st-Louis, et des musiciens de la ville de Louisiane aux Etats-Unis. Massamba Diagne ajoute que « le festival devait permettre d’éponger les dettes pour amenuiser le passif dont celui avec la SODAV, une manière de pérenniser l’événement ». Contacté par nos soins, Me Ibrahima diop, président du Festival de st-Louis, estime qu’actuellement son niveau d’information surla prise en charge par le ministère du soutien accordé au festival ne lui permet pas de répondre à notre interpellation. Il a cependant tenu à magnifier l’oreille attentive que lui accorde le ministre de la Culture Abdoulaye diop. Il nous promet de nous revenir dans les meilleurs délais pour éclairer notre lanterne.
Un passage à son domicile familial du cinéaste, situé au quartier Santhiaba, permet de jauger le peu d’intérêt que la nouvelle génération manifeste au parcours de celui qui a consacré sa vie à l’émancipation de la jeunesse africaine
C’est ce mardi 9 juin que le Sénégal va commémorer le 13ème anniversaire de la disparition de l’écrivain-cinéaste Ousmane Sembene. Mais à Ziguinchor sa ville natale, les traces et la dimension de l’homme semblent sombrer aujourd’hui dans l’oubli.
13 ans jour pour jour après sa disparition, le parcours et l’œuvre de Sembene Ousmane voire son enfance semblent aujourd’hui sombrer dans l’oubli. Et ce notamment pour la jeune génération ziguinchoroise. Un bref passage au niveau du domicile familial de Ousmane Sembene, situé en plein cœur du quartier Santhiaba, permet de jauger le peu d’intérêt que la nouvelle génération manifeste par rapport à l’œuvre, au parcours et à l’engagement militant de l’homme qui a consacré toute sa vie à l’émancipation de la jeunesse africaine. D’ailleurs de la maison natale de Ousmane Sembene, il ne reste aujourd’hui qu’une bâtisse totalement en ruine dont une grande partie s’est d’ailleurs affaissée. Une maison devenue aujourd’hui un dépotoir de carcasses de véhicules et de motos. Différents objets métalliques, de la ferraille, des pièces détachées de toutes sortes, des pneus, etc. occupent tout l’espace du domicile. Plus de trace de ces quatre grands baobabs qui surplombaient la maison à l’époque et qui ont complètement disparu du décor, laissant du coup la place à des herbes et des plantes sauvages qui ont envahi les lieux. Comble de désespoir avec cette bâtisse qui devait être considérée comme un patrimoine, certaines indiscrétions et des sources bien informées rencontrées au niveau du voisinage laissent entendre que la maison aurait été vendue ces dernières années à un tiers souvent de passage sur les lieux mais qui tarde encore à la reconstruire.
Et au niveau des voisins difficile également de trouver sur place ceux de sa génération, des contemporains qui puissent apporter un témoignage, ne serait-ce que sur la vie tout court de l’homme afin de raviver son histoire qui doit rester ancré dans la mémoire collective de ses compatriotes particulièrement la jeune génération.
Ecrivain, réalisateur, acteur et scénariste majeur de l’Afrique contemporaine, Ousmane Sembene est né le 1er janvier 1923 à Ziguinchor. Et c’est dans la partie sud du pays qu’il fera ses humanités à l’école française et à l’école coranique. C’est également en Casamance qu’il exerce le métier de mécanicien et de maçon tout en s’intéressant au cinéma. Vers 1944, il intègre les Tirailleurs sénégalais pour aller combattre au front pour le compte de l’Armée française. Une expérience qui va le maquer à vie et qui va également marquer son œuvre cinématographique avec les films Thiaroye 44, Niayes, etc. Mais également ses œuvres littéraires. Malade des mois durant, Ousmane Sembene rendra l’âme à son domicile à Yoff le 9 juin 2007.
OUSMANE SEMBENE PERD SON PATRIMOINE
Plus de 30 ans après sa conception, le film «Samory Touré» du cinéaste peine à voir le jour. Sa famille et l’Etat du Sénégal se rejettent la responsabilité. Mais pour le critique de cinéma, Baba Diop, cette oeuvre sera «très difficile à réaliser»
Plus de 30 ans après sa phase de conception et 13 ans après la disparition de son concepteur, le film Samory Touré de Sembene Ousmane cherche réalisateur. Evaluée à 5 milliards de francs Cfa, la réalisation du dernier fait d’armes de l’auteur de Mandat bi bute sur la mobilisation du financement. Pourtant, les promesses n’ont pas manqué. De régime en régime. En 2007, le Président Abdoulaye Wade avait annoncé une contribution de 3 milliards de francs Cfa. Un engagement qui ne sera finalement pas respecté. Les années passent mais l’héritage du père du cinéma africain sombre dans l’oubli. En ce jour commémorant le 13ème anniversaire du rappel à Dieu du réalisateur de Guelewaar, Le Quotidien pose le débat sur la matérialisation du film en hommage à l’Almamy Samory Touré dont le scénario a été bouclé. «Si les ayants droit du projet, c’est-à-dire ses enfants, donnent à l’Etat le soin de réaliser le projet, on est disposé à lancer un appel à réalisation de ce film», assure Hugues Diaz, directeur de la Cinématographie au ministère de la Culture.
Pour avoir fait face aux Blancs pendant 17 ans, Samory Touré est l’un des symboles de la résistance coloniale dans la sous-région. En son temps, Sembene voulait associer au financement les pays par où l’ex-Almamy était passé jusqu’au Gabon où le résistant guinéen mourut en 1900. «J’assure la coordination des cinématographies des pays de l’Uemoa. Donc, on est disposé. Ce projet, le Sénégal va le porter. Ce n’est pas le projet du Sénégal mais de la sous-région. Si les ayants droit donnent à l’Etat ces prérogatives, nous allons avec l’association Ousmane Sembene faire le lobbying», s’engage M. Diaz.
Baba Diop : «Il sera très difficile de réaliser ce film»
Des promesses, la famille de l’auteur du film Xala en a entendu. Neveu de Sembene, Mohamed Diop attend des actes de l’Etat. «Nous ne sommes pas informés de cette prétention de l’Etat à vouloir s’accorder avec la famille pour réaliser le film. Si l’Etat est prêt à s’engager à allouer les fonds nécessaires pour la réalisation de ce projet, la famille ne va pas rechigner à l’accompagner», déclare Mohamed Diop, également journaliste. Selon lui, l’Etat «parle depuis des années mais il n’y a aucun acte concret dans la préservation du patrimoine de Sembene Ousmane. Ce sont des déclarations de circonstance. L’Etat attend toujours l’anniversaire de la commémoration du décès de Sembene pour faire dans la récupération politique. Chaque année, on entend les mêmes promesses, mais rien de concret.»
Journaliste et critique de cinéma, Baba Diop estime qu’il «sera très difficile de réaliser ce film». Il s’explique : «Sembene voulait trouver un réalisateur local dans chaque pays où l’Almamy est passé. En Guinée, Mali, Côte d’Ivoire, etc. Est-ce que les gens peuvent le faire ? Je ne le pense pas. Sékou Touré avait donné sa caution qu’il pouvait appuyer. Mais malheureusement il est décédé. On peut faire des films sur Samory mais le faire dans l’esprit de Sembene, je n’y crois pas trop. Les gens de sa génération ne font plus de cinéma. Il faut voir si tous ces pays sont engagés dans le financement du projet. Je ne vois pas le Sénégal mettre 6 milliards pour réaliser ce projet.» En tous les cas, Hugues Diaz estime que ce travail pour la réalisation de ce film doit être «holistique et inclusif» regroupant la famille de Sembene, les intellectuels et l’Etat.
Par Moustapha DRAMÉ
QUAND TA COULEUR DEVIENT UN DÉLIT
Si vous laissez aux autres cultures la possibilité d’absorber vos normes culturelles au lieu de les greffer ou les intégrer les unes aux autres, la tentation est grande de faire disparaître les vôtres
....l’histoire se répètera souvent jusqu’à ce que récolte et révolution s’en suivent
Si vous laissez aux autres cultures la possibilité d’absorber vos normes culturelles au lieu de les greffer ou les intégrer les unes aux autres, la tentation est grande de faire disparaître les vôtres. La cohabitation des cultures ne peut se faire que dans le compromis, de l’acceptation des différences comme une richesse collective et non sur la logique de l’infériorité et donc du droit de d’envahir ou de dominer... Si vous laissez aux autres la possibilité d’écrire votre histoire, la leur l’avalera au gré de leurs intérêts et dans la perspective de neutraliser, de falsifier ou de faire disparaître votre existence historique. Sans identité historique solide, le présent vacille et le futur est « turfu», (en verlan).
La plume du missionnaire, de l’esclavagiste, du colonisateur, et aujourd’hui des grandes puissances et grandes Institutions internationales qui en sont les émanations héritières, est presque indélébile et reste en leur faveur. Quand ce sont les autres qui écrivent votre histoire, c’est avec la tortuosité de leur plume bien pointue et leur encre bien sordide en ce qui vous concerne et bien majestueusement bienveillante en ce qui les concerne. Et surtout machiavélique quand cet écrit devient un programme scolaire après avoir été le soubassement de toutes les lois et accords internationaux entre «civilisés» et «non civilisés», entre dominés et non dominés, entre sous-développés et développés, entre Noirs et Blancs... Récrire votre vérité historique dans vos dialectes et langues puis dans la langue du colonisateur est le premier devoir. La voir s’institutionnaliser prendra du temps.
Peu importe. De toutes les façons, le noir est une couleur en liberté surveillée partout. Il est temps qu’elle commence à surveiller les liaisons dangereuses à sens unique… Quand les autres vous arrachent votre pensée au nom d’une pensée, votre histoire, sous le prétexte de la barbarie, votre identité, sous l’alibi qu’elle n’existe pas.. , ils en reviennent à nier l’existence même de votre civilisation argumentant qu’elle «n’est pas suffisamment entrée dans l’histoire».
Autrement dit leur modèle historique... Sans civilisation à vocation perpétuellement civilisatrice et intelligemment conquérante, de façon prioritairement endogène puis, exogène, point de salut en matière de reconnaissance et de respect de la part de l’autre. Celui qui domine est éternellement dans la négation de la vérité. Seuls comptent ses petits arrangements avec le droit, la morale, l’éthique, l’égalité, le respect...La dignité se construit et se maintient par une identité collective forte des personnes s’y identifiant, presque de façon doctrinale, capables de se sacrifier pour elle... Ces maux de la communauté noire…
De ces maux souffre la «communauté» noire en son sein et dans ses rapports avec les autres. Nous avons trop toléré. Trop accepté. Et, j’en déduis toutes les bavures et maltraitances que subissent les « minorités et les faibles,» parce qu’ils ne sont pas reconnus comme « élus de la classe supérieure civilisée et civilisatrice» : la couleur est déjà un délit pour ces in.di.vi.dus.au QI souvent négatif. Il se trouve que la main qui est tendue en premier est celle qui est en dessous.
Dans ces conditions, elle recevra avec les hautes conditions de l’échange sur un marché où dominent les loups. Il faut renverser cette tendance, car les nouvelles générations ont compris très tôt, là où les précédentes ont été soit naïves, soit impuissantes, soit de connivence. Celui qui a pris la plume en premier pour imposer son appartenance identitaire universaliste et universalisatrice, en détient une bonne et exceptionnelle clé de la communication offensive et défensive et, par conséquent, des armes de conquête avec un élan suprématiste. Celui qui a pris la parole pour perpétuer les légendes et les références historiques, est dans un modèle de transmission orale, certes, utile et nécessaire, mais pas universaliste. Il revient donc aux Noirs, de sortir des incantations et de s’imaginer dans un rapport de force inéluctable et inévitable qui ne leur fera pas de cadeau: autant on ne peut pas faire des omelettes sans casser les œufs, autant un sac vide ne peut tenir debout. Votre éternelle et traditionnelle tolérance ne tolère plus l’actuelle et naïve tolérance, surtout devant ces nouvelles formes d’intolérances axées sur la hiérarchisation socio- ethnique. C’est pour cela qu’on rejette ta couleur, on tue les Noirs, puis, «circulez, ce n’est que du noir mixé à la sauce du racisme quotidien.
PRENEZ VOTRE DESTIN EN MAIN AVANT QU’IL NE DESCENDE SOUS LES GENOUX DES AUTRES. C’EST AINSI SYE MOURUT GEORGE FLOYD... ET BIEN D’AUTRES PARTOUT... SI VOUS VOULEZ ETRE DEMAIN SOYEZ AUJOURD’HUI EN VOUS APPUYANT FORTEMENT SUR CE QUE VOUS AVEZ ETE...
TRACT ET PLUS, UNE ÉMISSION D'ELGAS
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SYMBOLIQUE ET DÉFIS DE LA RESTITUTION DES ŒUVRES AFRICAINES
EXCLUSIF SENEPLUS - La vie de l'art en temps de covid-19 - Comment solder le passé au-delà de la rengaine anticoloniale - Quelle stratégie pour valoriser ces objets demeurés en Occident ? AVEC FATOUMATA SISSI NGOM ET OUSSEYNOU NAR GUEYE
"En débat, dans ce "Tract et Plus" exceptionnellement présenté depuis Paris par l'écrivain et journaliste Elgas, la question de la propriété et de la jouissance du patrimoine culturel africain précolonial présent dans les musées occidentaux et les collections privées du Nord.
L'invitée fil rouge est Fatoumata Sissi Ngom, écrivaine. L'auteure du roman "Le totem du silence" (L'Harmattan,2018) promeut la restitution de ces oeuvres d'art aux pays africains, dont les populations n'ont pas moins vocation que les autres à aller dans des musées, et sans procès colonial, entre autres arguments.
Les invités ont également évoqué l'art et sa pratique, en ces temps de Covid-19 et surtout de (semi)confinement duquel la planète sort.
par la chroniqueuse de seneplus, Rama Salla Dieng
L’ENSEIGNEMENT COMME MILITANTISME FÉMINISTE À LA BASE
EXCLUSIF SENEPLUS - Nous ne pouvons pas continuer à glorifier la dextérité des acteurs de l’informel. On peut être féministe sans avoir à choisir entre cela et l'appartenance à une communauté - ENTRETIEN AVEC NDÈYE DÉBO
Ndèye DéboSeck est journaliste et professeure d’anglais au Collège d’éducation Moyen Waly Thiobane à Kaffrine, au Sénégal.
Ndèye Déboet moi nous sommes rencontrées à Dakar en novembre 2012 lors d'une conférence sur la gouvernance organisée par l'organisation pour laquelle je travaillais. Elle était journaliste stagiaire au quotidien sénégalais Sud Quotidien et est maintenant enseignante à Kaffrine. Dans cette conversation, elle raconte comment son activisme féministe de base se nourrit de sa pratique enseignante, du système éducatif sénégalais, de sa passion pour le football et de bien-être.
Ndèye Débo : Bonjour la sœur, je suis Ndèye Débo. Je suis journaliste et professeure d'anglais. J'ai enseigné dans le sud du Sénégal, à Bounkiling et maintenant je suis à Kaffrine, dans le centre. Je suis l'aînée d'une grande famille, principalement des femmes. Je suis photographe (pour le plaisir) et j'ai une passion pour l'agriculture.
Comment vivez-vous une vie féministe et est-ce facile au Sénégal (en zone rurale surtout) ?
Ndèye Débo : Je crois en ce que j'appelle la pédagogie de l'action. Je vis selon certains principes en privé et en public. J'essaie de montrer qu’on peut mener une existence selon les normes féministes sans avoir à choisir entre être féministe et appartenir à une communauté. Maintenant, c'est plus facile qu'il n'y paraît. Parce que, je négocie. Je suis une Sénégalaise, une Lebu, une musulmane, une féministe. Beaucoup de cultures, de pratiques, de valeurs se retrouvent en moi. La difficulté était de reconnaître que ces systèmes de croyance ne s’excluaient pas mutuellement. Et de voir qu'au cœur de chacun d’entre eux se trouve le développement intégral de l'être humain, qui est une des finalités de la Loi d’orientation de l’éducation Nationale du Sénégal. Maintenant que j'en suis consciente, je navigue à travers ces identités avec une intelligence émotionnelle et sociale.
Vous avez travaillé dans le journalisme et le blogging auparavant. J’ai été vraiment impressionnée après avoir lu votre article intitulé «Leçons d’économie domestique» en 2013 dans lequel vous évaluiez de manière critique l’offre télévisuelle qui, selon vous, se concentrait principalement sur «les souffrances des femmes sénégalaises et les maladies des hommes», est-ce que cela a changé ?
Ndèye Débo :Dans une certaine mesure, il y a des changements importants dans le paysage médiatique. Maintenant, les télévisions nationales diffusent des émissions où des femmes occupent le devant de la scène, décident de leur vie etc. et ne sont plus seulement les anges de la maison. D'un autre côté, toutes les émissions auxquelles j'ai fait référence dans cet article de 2013 sont toujours diffusées. Aujourd’hui plus que jamais, les prêcheurs religieux ont la possibilité de dicter le code vestimentaire des femmes, les devoirs de l’épouse et de la mère, etc. Récemment, une série télévisée a en quelque sorte ébranlé l’opinion publique, Maîtresse d’Un Homme Marié (MDMH). Les principaux protagonistes sont des femmes, mais elles peuvent clairement décider d’avec qui elles sortent, comment elles vivent, etc. MDHM est remarquable en ce qu'il change la perspective et présente les protagonistes non seulement comme perdues, des anges etc. mais pointe du doigt les dynamiques de pouvoir en jeu dans les relations sénégalaises et la complexité du problème. Pas comme il apparait une opposition entre la bonne épouse et la maîtresse, mais clairement, de quelle manière le patriarcat, les hommes bien sûr et les femmes travaillent pour maintenir le statu quo. L'émission est si réussie et si stimulante qu'elle a irrité des censeurs religieux qui ont ensuite été invités à jeter un œil au scénario.
Merci Ndèye Débo, moi aussi j'ai lu plusieurs bonnes critiques de MDHM dont celle de Marame Guèye. Alors, qu'est-ce qui vous a poussée à devenir enseignante d'anglais ?
Ndèye Débo : Dans une certaine mesure, ma mère a suscité mon amour dans l'enseignement. Elle n'a jamais fréquenté l'université alors qu'elle avait été une excellente élève jusqu'au lycée. Elle était notre répétitrice et beaucoup de mes camarades de classe venaient à la maison pour bénéficier du renforcement après les classes. J’ai toujours pensé qu'elle aurait été une excellente enseignante. Je porte donc en quelque sorte le flambeau.
Quand j'étais au lycée, je voulais terminer un doctorat et devenir professeure d'université. J'ai littéralement quitté l'université après mon certificat de maîtrise en anglais. J'ai suivi une formation et je suis devenue journaliste, mais je n'avais pas soutenu mon mémoire de maîtrise. Donc, j’y suis retournée. J'ai obtenu mon diplôme et je suis allée à la FASTEF (Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et de la Formation) pendant deux ans. Et là, j'enseigne l'anglais au lycée depuis 6 ans maintenant.
Vous décrivez votre enseignement comme du «militantisme féministe à la base», pouvez-vous nous en dire plus ?
Ndèye Débo : Je crois vraiment au pouvoir de transformation de l'éducation. J'ai le privilège d'avoir eu de nombreuses expériences qui m'ont conduite là où j'en suis maintenant. J'ai participé à un institut féministe avec WLUML (Women Living Under Muslim Laws), j'ai travaillé pour l'un des premiers journaux privés au Sénégal, Sud Quotidien. Je suis bénévole dans un réseau agricole, je suis (je n'ai pas assisté aux réunions depuis des années) membre dormante du CNCR (Conseil National de Coopération et de Concertation des Ruraux), j'ai des expériences de travail en protection de l'enfance, plaidoyer agricole, communication pour le développement. Et, j'ai vraiment eu le privilège d'apprendre directement auprès de femmes fortes comme le Dr Fatou Sow, Codou Bop, Vore Gana Seck, Khady Ndao (de la Fédération Nationale des Groupements de Promotion Féminine). Et j'ai la chance de pouvoir apporter tout ce vécu dans ma pratique d'enseignante. Je travaille avec des pré-adolescents et des adolescents. Mes élèves sont littéralement à un âge où ils se construisent une personnalité. À ce stade, des problèmes de représentation, d'estime de soi, de confiance sont en jeu. De plus, dans ma pratique quotidienne, je respecte la recommandation de la loi d’orientation nationale qui propose «de lier l’école à la vie réelle». Je tiens à toujours élaborer des contenus qui, d'une manière ou d'une autre, s’adressent à la réalité que vivent mes élèves sur le plan culturel, social et religieux. Par exemple, pendant deux ans, je leur ai demandé d'écrire des contes de leurs groupes ethniques. Les Peuls ont écrit des contes peulh, les Mandjaks ont fait de même, etc. De cette façon, je suis sûr de satisfaire leur sens de la communauté ainsi que leur maîtrise de la langue anglaise, car, ils/elles font de la recherche, utilisent des dictionnaires, collaborent, etc. Je les incite également à s‘intéresser aux sujets de l’heure, à l’actualité internationale, etc. J'essaie de faire appel à leur sensibilité culturelle et leur pensée critique.
Je me souviens d'avoir lu un article émouvant que vous avez écrit en 2017 sur votre défunt étudiant, Mamadou Saliou, décédé en Libye en essayant de migrer vers l'Europe, et vous décriviez la «situation des migrants comme une crise de citoyenneté». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ndèye Débo : Cette année-là, nous avions entendu de nombreuses rumeurs selon lesquelles des écoles avaient perdu des élèves à cause de l'immigration clandestine. Nous ne pouvons savoir exactement combien d’étudiants de tout le Sénégal sont morts dans les mers ou en Libye. Combien vivent sous la contrainte, soumis à l'exploitation, aux abus systématiques, à la traite des êtres humains ? Nous n'en avons aucune idée. Et je pense toujours que s'ils avaient un peu d'espoir dans le futur, ils ne seraient pas partis. S'ils avaient été dans des conditions décentes à la base, ils auraient peut-être voulu migrer. Mais ils auraient pris des décisions moins désespérées et fatales.
Mamadou Saliou était dans l’une de mes classes lors de ma première année. Je suis admirative des élèves de Bounkiling ou de tout autre endroit sans ressources qui, contre toute attente et défiant tout pronostique, passent le cap du lycée. Ces enfants sont l'incarnation du courage. C’est un miracle qu’ils surmontent la pauvreté, de longues marches pour se rendre à l’école, la faim, travailler comme bonne ou conduire une charrette après l’école.
Bien sûr, tout le monde ne peut pas réussir à l'école, mais nous avons construit un système où l'école est pratiquement le seul moyen de sortir de la pauvreté. Ce n’est pas une question d’éducation ou d’absence d’éducation en soi. C’est une question d’égalité de chances, de politique et de disponibilité de l’emploi. Nous ne pouvons pas continuer à glorifier le travail précaire et la dextérité des acteurs de l’informel dans un contexte systémique de survie. Et nous sommes responsables. Nous, pauvres citoyen.ne.s, nous élisons des dirigeants non pas en fonction de leurs programmes mais de leur charisme ou de leur fausse proximité avec le peuple. Nous les autorisons à piller nos ressources et ne les tenons jamais comptables. Bref, j'ai été dévastée par la nouvelle de la mort de Mamadou Saliou. Mais je l'ai définitivement compris.
De nombreux enseignants et universitaires ont écrit sur la crise persistante du système éducatif sénégalais. Quelles sont les raisons de cette crise et comment pourrions-nous la résoudre ?
Ndèye Débo :Les raisons sont très simplement, une mauvaise gouvernance et une mauvaise gestion. Depuis des années, régulièrement, le gouvernement propose de nouveaux projets, dont la plupart n'apportent pas d'amélioration systémique. Ils visent souvent un aspect de l'éducation, comme le taux d'alphabétisation, les compétences en lecture, etc. Parallèlement, les budgets des écoles ont diminué avec des réductions drastiques des ressources allouées à l'équipement. Les enseignants ont des salaires ridicules et des conditions de travail désastreuses. Et chaque année, le gouvernement, les parents, la société civile, tous les autres segments de la société en appellent à la responsabilité sacerdotale des enseignants. Un ministre disait : «nous vous avons confié ce que la Nation a de plus chère». Pour les solutions, nous pourrions commencer par une meilleure répartition des ressources, une augmentation des budgets scolaires et des salaires des enseignants, de meilleures conditions de travail.
Nous sommes actuellement confrontés à cette pandémie mondiale du Covid-19, comment sensibilisez-vous vos élèves ?
Ndèye Débo :Depuis le début, c'est-à-dire lorsque nous avons appris l'existence du Covid-19 à Wuhan, j'ai discuté avec mes élèves, posé des questions sur le virus, son origine, les mesures de prévention, etc. Beaucoup de collègues le faisaient déjà pour sensibiliser celles/ceux qui n'avaient pas accès à l'information. Donc, avec mes élèves nous avons discuté des bases, de la prévention, le lavage des mains, etc. Chaque jour avant la décision du gouvernement de suspendre les cours, on y consacrait littéralement 5 minutes. Une anecdote, dans l'un de mes cours de 6e, le jour où le premier cas a été détecté au Sénégal, j'ai décidé d'en parler à la fin de la leçon, et un des élèves, Mayacine s’est tout d’un coup écrié ‘Coronavius’. J’ai d’abord fait mine de ne pas l’entendre mais il a insisté et je lui ai dit que nous en discuterions avant la fin du cours. Le lendemain, j’ai rencontré deux autres élèves, et quand l’un d’eux a voulu me serrer la main, son compagnon l’a littéralement poussé sur le côté, en disant «on a dit on ne sert pas la main ». Ces enfants ont entre 11 et 12 ans.
Avec les élèves plus âgé.e.s, en 4e, nous avons des groupes de discussions sur WhatsApp depuis le début de l'année. Avec la propagation du virus au Sénégal, on a travaillé à fact-checker les fakes-news que certains d'entre eux/elles partagent, j’essaie toujours de transmettre des informations et messages vérifiés et de les inciter à être prudent.e.s avec les nouvelles qu'ils/elles reçoivent et partagent.
Nous avons vu les photos navrantes des enseignant.e.s tentant de rejoindre leurs écoles en se précipitant dans les bus (insuffisants) mis à leur disposition. Au-delà des questions sur les risques posés en termes de distanciation physique, pensez-vous en tant qu’enseignante, que le moment soit opportun ?
Ndèye Débo : C’est absurde. Les cours ont arrêté le 14 Mars alors qu’il y avait très peu de cas ; et le président Macky Sall avait pris la bonne décision en les suspendant. Jusqu’ici, nous avons salué la riposte mis en place par les services compétents. Mais force est de constater qu’il y a eu des ratés dans la communication qui ont brouillé le message initial. Beaucoup de personnes déjà sceptiques face à la maladie ont vu là une bonne occasion de baisser la garde, voire de ne plus respecter du tout les mesures de prévention. Résultats des courses, beaucoup de stigmatisation, des malades qui se cachent etc. Nous en sommes à 4249 cas aujourd’hui (6 juin). Dans ces conditions, reprendre les cours me semble inopportun. Au-delà des rassemblements et des départs chaotiques qu’on a vus au terminus Liberté 5, nos écoles ne sont pas toutes équipées pour observer les gestes barrières. Beaucoup ne disposent simplement pas d’eau, de toilettes. A beaucoup d’endroits ce sont des abris provisoires, ou alors des classes qui menacent de s’écrouler. Des kits d’hygiène et des masques ont été mis à disposition, mais je me demande si on peut porter un masque fut-ce pendant une heure et transmettre une quelconque connaissance. C’est extrêmement difficile de respirer avec ; maintenant s’imaginer parler en classe, à des températures par endroit de +40 degrés, c’est absurde. La distanciation physique n’en parlons pas ; il faut beaucoup de présence d’esprit pour l’observer rigoureusement. Dans le contexte actuel, les enseignant.e.s qui sont des adultes auront eux/elles-mêmes du mal à rester concentré.es, les apprenant.e.s encore moins.
Vous avez une vraie passion pour le football comme vous le décrivez ici et là, je suppose que vous la partagez avec vos élèves… à votre avis, le football est-il plus regardé que la lutte (lamb) et pourquoi ?
Ndèye Débo : Dans les régions où j'ai servi, je pense que le football est plus suivi. Parce que les matchs de football sont, disons, plus démocratiques. La lutte est devenue un business depuis longtemps, récemment certains promoteurs ont proposé des projections payantes... Donc, ce que nous avons observé il y a quelques années, où les lutteurs étant littéralement des modèles et des leaders d'opinion est en train de reculer. Il y avait des programmes télé quotidiens, où on les montrait à domicile, au sein de leurs familles. Ils partageaient leurs routines, leur régime alimentaire (fonde, pain ndambe), maintenant ils sont plus distants. À Bounkiling, mon premier poste, je me souviens durant mes premières années, nous avons beaucoup parlé du lutteur Balla Gaye 2 qui est originaire de Casamance. Au fil des ans, Sadio Mané est plus revenu dans les conversations, non seulement à cause de ses talents. Mais Sadio est originaire de Bambali, non loin de Bounkiling. Beaucoup d'élèves peuvent littéralement s'identifier à lui ou le voient comme un frère ou un cousin. Et c’est fréquent de rencontrer des Sadio Mané dans la région. Tiens ! J’avais une élève nommée Sadio Mané.
Si vous deviez citer trois leçons de vie que vous avez apprises en enseignant l'anglais à des jeunes du Sénégal rural, quelles seraient-elles ?
Ndèye Débo : L’humilité, la résilience et la foi.
Vous êtes également doctorante, photographe et blogueuse, comment conciliez-vous votre travail avec l'enseignement ?
Ndèye Débo : Je me suis inscrite à un programme de doctorat au Laboratoire d’études Africaines et Postcoloniales (LEAP). Je n’ai pas officiellement renouvelé mon inscription. Cependant, je travaille toujours sur le doctorat. Je lis, écris, revois toujours. Maintenant pour la photographie, je le fais pour le plaisir, pas comme une activité professionnelle. Je dis être photographe car je pratique depuis plus de 10 ans. Je dirais «je fais des photos». Idem pour les blogs ... C'est pour le plaisir. De plus, étant dans une zone rurale, avec une connexion pas toujours disponible, je blogue très sporadiquement. Donc, dans une certaine mesure, je n'ai pas à arbitrer entre la recherche, la photographie et l'enseignement.
Parlons maintenant de votre autre passion : la littérature. Quels sont les trois livres qui vous ont marqué, et recommanderiez-vous de les lire ?
Ndèye Débo : Weep Not Child par Ngugi Wa Thiong’o (1964)
Murambi, le livre des ossements de Boubacar Boris Diop (2000)
La Couleur Pourpre d'Alice Walker (1970)
Puis-je ajouter The Waves de Virginia Woolf (1931) ?
Comment prenez-vous soin de votre bien-être ?
Ndèye Débo :La photo ! Quand je stresse il me suffit de tendre la main pour prendre mon appareil photo ou mon téléphone et je suis instantanément apaisée. Je fais régulièrement du yoga. Quand je suis à la maison, c'est-à-dire à Dakar, je fais de longues promenades le long de la plage, auquel cas je prends aussi des photos. Je pratique parfois le tricot et la couture qui me permettent de me déconnecter et de m’aérer l’esprit.
J'ai aussi des sessions karité, où chaque matin après la douche, je m’enduis de beurre de karité.
Dr. Rama Salla Dieng est écrivaine, universitaire et activiste sénégalaise, actuellement maîtresse de conférence au Centre d'études africaines de l'Université d'Édimbourg, Ecosse.