SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
25 avril 2025
Culture
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
DE LA DÉCOLONISATION DE LA PENSÉE CRITIQUE AU RÉCIT AFRICAIN
EXCLUSIF SENEPLUS - Son essai, riche en références et en analyses, pose les bases d'une méthodologie qui intègre l'histoire, la cosmogonie et l'oralité comme pierres angulaires d'une lecture authentique de la littérature africaine
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
L’essai littéraire, dans son acceptation traditionnelle, est un texte qui, par ses arguments, cherche à convaincre le lecteur. Pour cela, l’auteur utilise différents procédés qui enrichissent une réflexion, sans viser à divertir, et propose une vision nouvelle sur une problématique donnée, en structurant son propos et en l’appuyant d’exemples significatifs.
Cette démarche est véritablement à l'œuvre dans l’essai de Mamadou Kalidou Ba qui porte un titre enrichi de plusieurs paradigmes : Décoloniser la critique littéraire africaine - Nouvelles perspectives théoriques et critiques - Approche ontologique du texte africain.
Cette proposition est éminemment pertinente pour parvenir à une analyse approfondie et juste du texte littéraire africain, avec des entrées d'études qui tiennent compte des symboles et de l’imaginaire littéraires de la littérature africaine.
En effet, Mamadou Kalidou Ba, spécialiste de l’analyse littéraire africaine, s’attache à démontrer combien les référents culturels, l’empreinte sociale, les enjeux sociétaux et symboliques doivent être au centre de la critique littéraire, si l’on veut restituer, dans sa complexité, l’imaginaire littéraire africain qui s’inspire d’un réel historique, tout autant que de ses représentations structurelles.
Même si Mamadou Kalidou Ba prend le soin de préciser qu’il ne s’agit pas de circonscrire l’espace littéraire africain dans un carcan identitaire, il convient toutefois d’en faire un portrait qui prend sa source dans des archétypes qui sont définis par une expérience cognitive africaine.
Comme le souligne Aimé Césaire, cité par l’auteur dans son essai, la conception littéraire, au-delà de son universalité, est travaillée par ce qui est fondamental, ce sur quoi tout le reste s’édifie et peut s’édifier : le noyau dur et irréductible ; ce qui donne à un homme, à une culture, à une civilisation sa tournure propre, son style et son irréductible singularité.[1]
En effet, malgré ses déplacements géographiques liés à la migration choisie ou celle plus tragique de la traite et de l’esclavage, l’anthropologie africaine et ses spécificités possèdent un ancrage qui s’inscrit dans son parcours ontologique.
De plus, Mamadou Kalidou Ba souligne la mise en demeure idéologique qui incarne un négationnisme culturel, imposé par l’esclavage, la période coloniale et postcoloniale comme autant de simulacres d’un impérialisme de la pensée.
Et c’est ce qu’aujourd’hui les chercheurs, les intellectuels et les écrivains africains doivent non seulement combattre mais également transformer en essais qui relèvent d’une véritable analyse anthropologique et sociologique qui s’occupent, dans un mouvement pluriel, de la trajectoire africaine dans son histoire et dans son imaginaire.
Ainsi à travers son étude, Mamadou Kalidou Ba pose plusieurs problématiques pour recouvrir un nouveau paysage dans la critique littéraire africaine.
Il s’agit tout d’abord de se débarrasser de l’utilisation des logiques occidentales qui ne convoquent que des réflexions ethniques ou tribales, asservies à un phantasme irréel, qui sont des impasses culturelles et humaines. Il ne faut pas oublier l’impact de toutes les ruptures épistémologiques liées à l’imposition de langues et de croyances exogènes qui a perduré pendant plusieurs siècles.
En réalité, l’imaginaire africain possède des savoirs pluriels qui prennent leur racine dans un multilinguisme étonnant et créateur de récits et dans un passé à la didactique orale. De plus, la cosmogonie qui oeuvre dans la narration africaine est celle qui finalement est aux origines de la création du monde et de celle des humains. Cette empreinte culturelle puissante constitue un assemblage littéraire singulier qui métamorphose la mise en récit, la temporalité, l’imaginaire et la personnification de l’univers africain.
La critique littéraire moderne doit donc se situer à cette intersection, celle de l’intertextualité fondatrice et des spécificités ontologiques de la pensée africaine.
Tout comme, il faut retenir que la création littéraire africaine puise dans tous ses totems pour parvenir à des caractéristiques narratives originales qui s’entendent à la lumière d’une critique qui accepte toutes les tensions ne cherchant qu’à rompre avec l’ignorance.
Cette nouvelle ontologie de la critique littéraire africaine est une révélation indispensable à la poursuite de notre propre récit. Ainsi, l’histoire, la cosmogonie, les langues africaines, la culture de l’oralité deviennent des angles d’analyse, en somme à valeur pédagogique, pour éclairer les sources natives de la critique littéraire africaine.
Ainsi, l’essai, éminemment scientifique, historique et engagé, de Mamadou Kalidou Ba devient un ouvrage incontournable de la pensée critique littéraire africaine. Argumenté, illustré et référencé, il devient un opus indispensable à tous ceux qui travaillent sur la formation de la création littéraire et à ses analyses théoriques et méthodologiques. Cet ouvrage, qui pose une première pierre à notre pyramide métaphysique de la critique littéraire africaine, en appelle d’autres qui pourront encore embrasser toute la production littéraire africaine contemporaine.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
[1] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 89.
Les combats bénéficieront à nouveau d'une couverture sécuritaire officielle dès le 1er avril. Le ministère de l'Intérieur met ainsi fin à une mesure exceptionnelle instaurée mi-février suite à des débordements
(SenePlus) - Selon un communiqué de presse officiel émis par la Direction Générale de la Police Nationale le 27 mars 2025, la suspension de la couverture sécuritaire des combats de lutte traditionnelle sera levée à compter du 1er avril 2025.
Cette décision intervient après une série de concertations entre les acteurs du monde de la lutte, le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, et le ministère de l'Intérieur et de la Sécurité publique. Ces discussions ont abouti à un accord sur tous les points soulevés, avec des engagements fermes pris par les parties concernées quant au respect des recommandations établies.
La suspension avait été instaurée le 18 février 2025 par le ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique suite à des "manquements et événements regrettables" survenus lors d'un combat entre les lutteurs Franc et Ama Baldé. Cette mesure s'appliquait à l'ensemble du territoire national.
Le ministère de l'Intérieur invite désormais tous les acteurs concernés à respecter strictement les engagements pris lors des discussions.
LA MAISON DES ESCLAVES RENFORCE SA MISSON
Le secrétaire d’Etat à la Culture, aux Industries Créatives et au Patrimoine Historique, Bakary Sarr, a réceptionné officiellement deux statues sculptées offertes par l’artiste ivoirien Ibrahim Touré dit ‘’Massa Shula’’ à la maison des esclaves de Gorée.
Le secrétaire d’Etat à la Culture, aux Industries Créatives et au Patrimoine Historique, Bakary Sarr, a réceptionné officiellement deux statues sculptées offertes par l’artiste ivoirien Ibrahim Touré dit ‘’Massa Shula’’ à la maison des esclaves de Gorée.
La cérémonie de réception s’est déroulée, jeudi, sur l’île de Gorée en présence des corps diplomatiques, notamment l’ambassadrice de Cuba au Sénégal, les représentants des ambassadeurs du Cameroun, du Ghana, de la Côte d’Ivoire, entre autres.
Ces statues dénommées ‘’Negro Calciné” et ”Kunta Kinté’’, retracent les sombres souvenirs de la traite négrière en Afrique.
Grâce à cette donation ”symbolique”, l’artiste Massa Shula et le président de la fondation Ivoirienne ‘’Tano-Kora’’, qui l’accompagne, ont été tous deux élevés, au rang d’ambassadeur de pèlerin de Gorée par la mairie de cette commune.
‘’L’artiste Ivoirien Touré Ibrahim, que nous saluons chaleureusement, nous fait l’honneur d’offrir à l’Etat du Sénégal, une œuvre magistrale qui illustre un témoignage artistique puissant sur les mémoires de l’esclavage’’, indique le ministre secrétaire d’Etat, Bacary Sarr.
S’exprimant à l’occasion de ladite cérémonie, il souligne que cette donation vient renforcer le domaine privé artistique de l’Etat du Sénégal.
Une collection, rappelle-t-il, créée par le premier président du Sénégal indépendant, Léopold Sédar Senghor, dans le but d’assurer une réelle promotion du génie créateur national et africain, par l’acquisition d’œuvres d’art auprès d’artistes sénégalais et étrangers résidant au Sénégal.
Il note que cette dernière ‘’symbolise l’expression du devenir collectif de mémoire et de transmission aux générations futures des valeurs de solidarité et de paix’’.
‘’En donnant forme et matière à la mémoire, M. Shula nous rappelle que l’art est une voie essentielle pour interroger le passé, nourrir le présent et façonner l’avenir’’, fait-il valoir.
Pour le représentant de l’ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Sénégal, Iann Eponon, les arts visuels à travers ces deux statuettes, rappellent les sombres souvenirs de la traite négrière.
Selon lui, ces productions replongent dans ‘’le combat élitiste de la conscience collective des peuples noirs amenés pour s’affirmer et s’affranchir’’.
‘’Kunta Kinté et ”Le Négro calciné” sont des représentations tangibles de cette douloureuse et émouvante parenthèse de l’histoire racontée par Shula (…)’’, ajoute-t-il.
‘’Les deux œuvres sont quand même sombres. +Le Nègre calciné+ parle typiquement de la traite négrière, l’époque sombre de l’Afrique. Alors que celui que j’ai appelé +Kunta Kinté+ représente l’abolition de l’esclavage’’, a expliqué l’artiste Ibrahim Touré.
CHIMAMANDA, L'ÉCRITURE RETROUVÉE
Après dix ans d'absence dans le domaine romanesque, la célèbre écrivaine féministe nigériano-américaine revient avec "L'Inventaire des rêves". Un roman qui explore la sororité entre quatre femmes africaines et revisite l'affaire Strauss-Kahn-Diallo
(SenePlus) - La célèbre écrivaine nigériano-américaine Chimamanda Ngozi Adichie, figure de proue du féminisme contemporain, est de passage à Paris pour présenter son nouveau roman très attendu, « L'Inventaire des rêves ». Lors d'un entretien accordé au journal Le Monde, l'autrice aborde avec franchise le blocage créatif qui l'a paralysée pendant une décennie, la genèse de son nouveau livre inspiré de l'affaire Strauss-Kahn, et livre son analyse sans concession sur la situation politique américaine.
Dix ans après le succès international d'« Americanah », Chimamanda Ngozi Adichie renoue avec la fiction qu'elle qualifie, selon Le Monde, comme « l'amour de sa vie, sa raison d'être, sa 'joie' ». Cette longue absence dans le domaine romanesque n'était pas volontaire, mais le résultat d'un blocage créatif profond. « J'étais bloquée, répond-elle, c'est aussi simple que cela », confie-t-elle au quotidien français.
L'écrivaine, née au Nigeria en 1977 et récemment naturalisée américaine, évoque avec une rare transparence les tourments liés à cette incapacité d'écrire : « Je me sentais totalement misérable, séparée de mon vrai moi », avoue-t-elle, ajoutant qu'elle « passait beaucoup temps à cacher aux autres qu'elle n'écrivait pas ».
C'est après avoir perdu successivement ses deux parents que la romancière a retrouvé le chemin de la création littéraire. Elle explique au Monde ce phénomène par une forme de connexion spirituelle : « C'est comme si ma mère m'avait ouvert une porte... » Un événement qu'elle ne cherche pas à rationaliser, mais dont elle revendique l'« intuition profonde ».
« L'Inventaire des rêves », ouvrage de plus de 600 pages décrit par Le Monde comme « un texte tonique et plein de sève », entrelace les destins de quatre amies africaines. « Cela faisait longtemps que je voulais mettre en scène des vies de femmes contemporaines », explique l'autrice qui souhaitait « montrer l'amitié qui les lie, la façon dont elles se comprennent, se soutiennent, explorer la 'sisterhood' [la sororité] ».
Le journal détaille les profils de ces protagonistes : Chiamaka (« Chia »), une Nigériane installée aux États-Unis qui a abandonné son emploi pour se consacrer à l'écriture de voyage ; Zikora, avocate tourmentée par un désir de maternité ; Omelogor, femme d'affaires aux opinions tranchées ; et enfin Kadiatou, femme de ménage guinéenne dont le parcours est inspiré de celui de Nafissatou Diallo.
Comme le rapporte Le Monde, le roman commence durant la pandémie de Covid-19, période durant laquelle les trois premières protagonistes s'interrogent sur leurs aspirations : « Les rêves des femmes sont-ils vraiment les leurs ? » La romancière confronte ses personnages aux injonctions contradictoires qui pèsent sur les femmes, créant une œuvre à la fois critique et engageante.
Le personnage de Kadiatou, d'après Le Monde, est librement inspiré de Nafissatou Diallo, la femme qui avait porté plainte contre Dominique Strauss-Kahn en 2011. Dans le roman, son rêve américain se brise lorsque « dans une chambre, 'un Blanc tout nu, un client VIP', s'est rué sur elle et l'a laissée 'la bouche pleine d'asticots' ».
Chimamanda Ngozi Adichie explique au journal son indignation face à l'abandon des poursuites contre DSK : « Quand j'ai su que les poursuites avaient été abandonnées sous prétexte que Nafissatou Diallo avait menti au moment de sa demande d'asile, j'ai trouvé cela injuste et immoral. C'était une façon de dire aux femmes : si vous êtes agressées sexuellement, il faut, pour espérer obtenir réparation, que vous soyez parfaites en tout point. Or, qui est parfait dans la vraie vie ? »
Pour l'écrivaine, ce livre revient sur « une affaire trop importante pour être classée sans suite » et démontre comment « là où le droit ne s'exerce pas, la littérature peut rendre justice », en « redressant par l'écriture 'l'équilibre des récits' ».
Interrogée sur la situation politique américaine actuelle et le retour de Donald Trump, Chimamanda Ngozi Adichie livre une analyse sans détour : « Je pense qu'on a trop couvert la folie [de Trump]. Parce qu'elle est divertissante, d'un certain point de vue, la télévision l'a beaucoup trop relayée, imprudemment. C'est cela qui a fait Trump. Si ça n'avait pas été le cas, il n'aurait pas gagné le premier mandat. »
L'écrivaine déplore, selon Le Monde, l'obsession pour le divertissement qui caractérise la politique trumpienne, citant en exemple une récente humiliation du président ukrainien Zelensky : « Regardez, quand Trump humilie Zelensky à l'écran, ce qu'il dit à la fin c'est : 'Ça va faire un bon moment de télévision !' »
Face à cette situation, Adichie affirme avoir pris ses distances avec l'actualité : « Je ne veux pas qu'elle contrôle ma vie ». Ayant grandi « dans une dictature, au Nigeria », elle assure que la situation actuelle ne « changera rien » à sa créativité : « Je ne me laisserai certainement pas aller au désespoir. »
« L'Inventaire des rêves » de Chimamanda Ngozi Adichie, traduit de l'anglais par Blandine Longre, est publié aux éditions Gallimard dans la collection « Du monde entier » (656 pages, 26 euros).
UN DEVOIR DE MEMOIRE ET DE JUSTICE
Journée de commémoration de l’esclavage - Le 25 mars de chaque année, le monde s’arrête un instant pour honorer la mémoire de millions d’Africains arrachés à leurs terres, broyés par la machine implacable de la traite transatlantique
Le 25 mars de chaque année, le monde s’arrête un instant pour honorer la mémoire de millions d’Africains arrachés à leurs terres, broyés par la machine implacable de la traite transatlantique. Cette journée, lourde de douleur et d’histoire, invite à la reconnaissance du passé, à la réparation du présent et à la construction d’un avenir où dignité et justice ne seront plus des mirages.
A l’époque du commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique, les Amériques et les Caraïbes, des millions d’Africains furent capturés, embarqués de force sur des navires européens et transportés dans des conditions épouvantables vers les Amériques et les îles des Caraïbes où se perpétuèrent les atrocités. Ces captifs furent réduits en esclavage pour le restant de leurs jours et livrés à la merci de leurs maîtres. Et cette tragédie, que l’humanité peine encore à regarder en face, est au cœur de la commémoration de la Journée internationale des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves. Commémorée le 25 mars de chaque année, le Mémorial de Gorée et le Musée des civilisations noires (Mcn) ont organisé à cette occasion, un panel sous le thème : «Reconnaître le passé, réparer le présent, construire l’avenir avec dignité et justice : le Mémorial de Gorée et le Musée des civilisations noires comme engagement panafricain pour Sénégal 2050.» Bakary Sarr, secrétaire d’Etat à la Culture, aux industries créatives et au patrimoine historique, rappelle que «la commémoration de cette journée est longue de douleur et de souvenirs. Et nous ne devons jamais baisser les bras devant cette tragédie qui a été comme la plus grave violation des droits de l’Homme dans l’histoire de l’humanité». Selon lui, le commerce triangulaire a duré des siècles, arrachant des millions d’Africains à leurs terres, les jetant à la merci de leurs féroces maîtres. «Prions, pardonnons, mais sans jamais oublier ce qui s’est passé. Un seul captif aurait été de trop. Ils furent des millions, femmes, hommes et enfants», souligne-t-il, appelant à lutter davantage contre le racisme et les inégalités. «Il nous faut combattre le racisme, les inégalités dont ont été victimes les descendants d’esclaves et les afrodescendants», martèle-t-il.
Le Sénégal, gardien de cette mémoire à travers l’île de Gorée, veut aller plus loin. «Nous devons faire et agir davantage. Le Commissariat général du projet du Mémorial de Gorée œuvre pour que ce projet mémoire vienne combler les manques et occuper la place qui doit être la sienne», insiste le secrétaire d’Etat à la Culture, plaçant cette initiative dans l’axe 4 du Référentiel 2050 du Sénégal dédié à l’engagement panafricain.
Reconnaître, réparer, transformer
Les Nations unies, à travers le Centre d’information des Nations unies (Cinu) basé à Dakar, ont également marqué cette commémoration. Son directeur, Hiroyuki Saito, porte la voix du Secrétaire général de l’Onu, António Gutierrez. «La traite transatlantique des Africains réduits en esclavage a été un crime contre l’humanité dont les répercussions se font sentir à travers les siècles», rappelle-t-il. Ce passé, poursuit-t-il, «loin d’être révolu, continue de modeler les sociétés actuelles, où le racisme systémique persiste, où l’exclusion et la discrimination empêchent les afrodescendants de prospérer». Mais ce silence, qui a longtemps entouré cette page de l’histoire, ne suffit plus. «Pendant plus de quatre siècles, des millions d’Africains ont été enlevés, maltraités et déshumanisés. Ces atrocités étaient fondées sur un mensonge destructeur : le suprématisme blanc. Colonisateurs, entreprises et institutions en ont profité pour amasser des richesses incalculables», explique Hiroyuki Saito. Le diplomate onusien a appelé à une justice réparatrice. «Il est impératif d’établir un cadre de justice réparatrice qui permettra de regarder en face ce chapitre de l’histoire et ses conséquences. Nous devons mettre un terme une fois pour toutes au fléau qu’est le racisme», a-t-il dit en évoquant le choix du thème.
«Nous devons quitter les questions pour les réponses»
Pour Amadou Lamine Sall, Secrétaire général de la Fondation mondiale pour le Mémorial et la sauvegarde de Gorée, la mémoire ne doit pas être qu’un devoir, mais un pont vers l’avenir. «Il nous faut un projet de loi pour aider les 250 millions d’afrodescendants et noirs américains à travers le monde qui veulent avoir la nationalité sénégalaise», plaide-t-il. Une manière, selon lui, de leur permettre de «revenir chez eux et d’y investir», à l’image du Ghana et du Liberia qui ont déjà pris les devants. «Il est temps également que nous réagissions. Et je suis persuadé que ce gouvernement le fera», assure Amadou Lamine Sall. Mais au-delà des lois, il estime que c’est un travail de l’âme qui s’impose. «Nous ne prenons plus le temps d’apprendre, nous ne prenons plus le temps d’écouter. Les épreuves de la vie nous écrasent. Il nous faut nous refonder nous-mêmes. Nous devons quitter les questions pour les réponses. Ce ne sont pas les vivants qui nous réunissent ici, mais ce sont nos morts», regrette-t-il.
COMBATTRE LES INEGALITES HERITEES DE LA TRAITE
Le Mémorial de Gorée et le Musée des Civilisations Noires (MCN) ont conjointement organisé une journée de commémoration en hommage aux victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique.
Le Mémorial de Gorée et le Musée des Civilisations Noires (MCN) ont conjointement organisé une journée de commémoration en hommage aux victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique.
Placée sous le thème "Reconnaître le passé, réparer le présent, construire l’avenir avec dignité et justice", cette cérémonie a rassemblé des personnalités politiques, diplomatiques, des chercheurs et des étudiants, unis dans un devoir de mémoire et un engagement panafricain. En plus, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, soutient « la traite transatlantique fut un crime contre l’humanité dont les répercussions persistent aujourd’hui ».
Modéré par Amadou Lamine Sall, Secrétaire général de la Fondation mondiale pour le Mémorial et la préservation de Gorée, le panel a réuni des intervenants parmi lesquels, M. Iro, directeur du Centre d’Information des Nations Unies (CINU) à Dakar. Il a rappelé l’importance de la mémoire collective et la nécessité de combattre les inégalités systémiques héritées de cette tragédie. Il a également transmis un message poignant du Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, soulignant que "la traite transatlantique fut un crime contre l’humanité dont les répercussions persistent aujourd’hui".
Pour sa part, le ministre secrétaire d’État à la Culture, Bacary Sarr, a insisté sur l’engagement du Sénégal à promouvoir une politique mémorielle forte, notamment à travers le projet du Mémorial de Gorée. "Nous devons agir pour que cette mémoire occupe la place qu’elle mérite, comme le souhaite la communauté internationale et les diasporas africaines", a-t-il déclaré. Il a également mis en avant l’axe 4 du référentiel 2050 du Sénégal, qui place l’engagement panafricain au cœur des priorités nationales.
L’ambassadrice de Colombie, représentante d’un pays marqué lui aussi par l’héritage de l’esclavage, a partagé les initiatives de son pays pour honorer la mémoire des victimes et promouvoir la réconciliation. Elle a salué la collaboration entre la Colombie et le Sénégal dans ce domaine, soulignant l’importance d’une approche globale pour affronter les séquelles de l’esclavage.
Le député Guy Maris Sagna, figure militante, a quant à lui abordé la dimension économique de l’esclavage, dénonçant une "entreprise financière basée sur le travail gratuit". Il a appelé à une déconstruction des discours de légitimation de l’oppression et à un renforcement de l’Afrique pour garantir le respect de ses descendants. "Quand l’Afrique sera forte, ses enfants seront respectés", a-til affirmé.
LE MUSÉE DES CIVILISATIONS NOIRES, UN FOYER DU PANAFRICANISME
Concernant les œuvres de son institution, le directeur général du MCN, Mouhamed Abdalah Ly a présenté les actions concrètes du musée pour perpétuer la mémoire de l’esclavage et promouvoir le panafricanisme. Il a annoncé une exposition majeure prévue pour 2027, en collaboration avec la Smithsonian Institution, qui explorera les dimensions locales et internationales de l’esclavage. "Notre musée est un lieu de réflexion et d’action, porté par l’élan panafricain qui a inspiré sa création", a-t-il expliqué. Des projets comme le centenaire d’Amilcar Cabral ou les débats avec le CODESRIA illustrent cet engagement.
La présence d’élèves et d’étudiants a été particulièrement soulignée, rappelant l’importance de transmettre cette histoire aux générations futures. Des extraits de la déclaration du MCN ont été lus, insistant sur la nécessité d’éduquer les jeunes pour qu’ils s’engagent contre toutes les formes modernes d’esclavage.
VERS UN AVENIR DE DIGNITÉ ET DE JUSTICE
Cette commémoration a été l’occasion de réaffirmer l’importance du travail de mémoire, mais aussi de passer à l’action pour réparer les injustices et construire un avenir fondé sur la dignité. Amadou Lamine Sall l’a ainsi résumé : "Reconnaître le passé, c’est aussi regarder dans le rétroviseur pour mieux avancer"
En partenariat avec des institutions internationales et locales, le Mémorial de Gorée et le MCN continueront à œuvrer pour que cette histoire ne soit jamais oubliée, tout en traçant la voie vers un monde plus juste et fraternel.
ABDEL KADER DIARRA PLAIDE POUR UN FONDS DÉDIÉ AU THÉÂTRE
Le metteur en scène et formateur en art dramatique à l’École nationale des arts (ENA) invite également les compagnies théâtrales à s’adapter au numérique pour élargir leur audience et assurer la pérennité de cet art.
Dakar, 25 mars (APS) – Abdel Kader Diarra, metteur en scène et formateur en art dramatique à l’Ecole nationale des arts (Ena), plaide pour la mise en place d’un fonds dédié au théâtre, en vue d’aider les compagnies à se développer, à l’image, notamment, des cultures urbaines, du livre ou encore du cinéma.
”Nos compagnies manquent de financement, nous n’avons pas de subvention. Ce qu’il nous faudrait aujourd’hui, c’est d’avoir un fonds dédié au théâtre, comme il y en a pour le cinéma, les cultures urbaines, à l’édition, etc. Il nous faudrait ce fonds pour pouvoir un peu développer cet art’’, plaide-t-il dans un entretien avec l’APS, à l’occasion de la journée internationale du théâtre, qui sera célébrée le jeudi 27 mars prochain.
Selon lui, les compagnies privées manquent de budget de création qui leur permettrait de prendre par exemple en charge certaines rubriques de la création, notamment les costumes, la lumière, la scénographie, le décor ou encore le transport.
‘’Nous n’avons pas ces subventions alors que tout se fait avec l’argent. La preuve aujourd’hui, si la culture urbaine s’est développée, c’est grâce au fonds qui lui est dédié. Avant, on ne connaissait pas vraiment ce qu’était la culture urbaine, mais les gens, voire la presse, s’y sont intéressés le jour où ils ont eu un fonds’’, dit-il.
Il estime qu’il est nécessaire d’allouer un fonds au théâtre pour lui permettre de ”se structurer, se professionnaliser, de s’organiser ou encore de se produire’’, à l’image des cultures urbaines.
‘’Je pense que si on peut, on doit le faire parce que l’Ecole nationale des arts et des métiers de la culture (Anamc) est en train de former, mais les gens ne veulent plus y aller parce qu’il n’y a plus de débouchés. Pour pallier cela, il faudrait quand même asseoir un fonds qui pourrait aider les compagnies’’, suggère l’artiste comédien.
La section Art dramatique de l’Ena a été fermée durant plus d’une décennie dans les années 1990.
Les compagnies invitées à se réinventer face au digital
A l’en croire aussi, le temps est venu pour que les compagnies théâtrales se ”réinventent” face à la digitalisation. ‘’Le théâtre est en train de mourir parce que nous sommes dans l’ère du digital. Et je pense qu’il faudrait se réinventer’’, indique-t-il.
Il insiste sur le fait que” l’art vivant” devrait se réinventer aujourd’hui, ‘’pour pouvoir conquérir un public ne voulant plus se déplacer dans les salles et payer’’. Il estime à cet égard qu’il est nécessaire de disposer des plateformes comme le streaming ou ‘’Netflix’’ [une plateforme américaine dédiée au cinéma] par exemple, pour que le théâtre soit filmé et monétisé.
Dans cette perspective, il invite les compagnies théâtrales à s’adapter au monde actuel en utilisant tous les outils liés au numérique pour pouvoir percer dans leur art.
‘’Avec les outils de cette mondialisation de l’Internet qui est aujourd’hui partout, il faut savoir vendre sur le net et non plus dans les salles, d’autant plus qu’il n’y a plus assez de salles’’, estime le comédien Kader Diarra.
Le fait selon lui est que le manque d’infrastructures ne permet pas aux compagnies de se produire partout à travers le pays. Aussi appelle-t-il à aller vers les populations, en digitalisant les pièces de théâtre.
‘’Le conseil que je pourrais donner aux gens de l’art, c’est de faire comme Youssou Ndour. Aujourd'hui, il a su avoir une éducation financière. Comment ? Pendant que son art marche, il investit dans autre chose’’, fait-il valoir.
PLONGEE DANS LES VEILLÉES AFRICAINES
Le conte a toujours été un outil de transmission, un espace d’éducation et d’apprentissage. C’est ce que relève Dr Ndèye Astou Ndiaye, autrice d’un livre de contes, «Veillées africaines», présenté samedi dernier au Musée des civilisations noires
Le conte a toujours été un outil de transmission, un espace d’éducation et d’apprentissage. C’est ce que relève Dr Ndèye Astou Ndiaye, autrice d’un livre de contes, «Veillées africaines», présenté samedi dernier au Musée des civilisations noires de Dakar.
Veillées africaines, c’est le titre du tout dernier ouvrage de Dr Ndèye Astou Ndiaye. Ce livre de contes de 181 pages est un retour à la tradition africaine qui rappelle, à bien des égards, les veillées familiales autour d’un feu où les histoires sont contées aux enfants par les vieilles personnes. Une vieille tradition que l’autrice a voulu ressusciter. «Cette œuvre est née d’un sentiment, celui de préserver, de célébrer un patrimoine et aussi un matrimoine», a déclaré l’enseignante-chercheuse à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui faisait, samedi dernier, la dédicace de cet ouvrage au Musée des civilisations noires de Dakar. Selon elle, ce livre de contes écrit en français et en wolof lui a donné l’occasion de réfléchir sur «qui nous sommes». L’autrice, à travers ces récits, cherche à montrer l’importance des contes dans les sociétés traditionnelles africaines. «J’ai voulu montrer qu’à partir de nos identités et de nos faiblesses, les sociétés africaines ont toujours trouvé, dans le conte, un outil de transmission, un espace d’éducation et d’apprentissage», a-t-elle indiqué. Une manière pour elle de montrer la valeur pédagogique des contes africains. D’après l’enseignante au département de Sciences politiques, «ce recueil défend la vision du monde où chaque individu, peu importe son sexe, son âge, sa tradition, a un rôle à jouer dans la construction du bien commun. Ce qui nous rassemble encore une fois nous Africains, c’est le commun, le collectif. C’est penser ensemble, agir ensemble».
Dans ces contes, plusieurs sujets ont été évoqués par l’autrice, notamment les enfants, l’environnement, l’avenir, entre autres. «Les enfants sont l’avenir de nos pays, de nos sociétés. Les contes africains sont pris à la source populaire, car l’Afrique est un tissu, un mélange où chaque peuple apporte sa touche. Le conte ne se limite pas à l’évocation du passé. Il est aussi une prolongation sur le présent et un appel à l’avenir. Dans ce monde marqué de fractures politiques et sociales, les Africains portent une question de la démocratie non pas seulement formelle, mais enracinée dans les valeurs de justice, de solidarité, de participation politique qui nous ressemblent nous Africains. Chacun interroge les fondements de la responsabilité, du partage du pouvoir et du respect des droits», a-t-elle expliqué.
Dr Ndèye Astou Ndiaye veut que ce livre soit lu. Un moyen pour elle «de conter notre futur». Car, selon elle, c’est à nous aussi de montrer à nos enfants la voie. Et c’est dans ce sens que le préfacier de l’ouvrage, Amadou Elimane Kane, indique qu’elle a utilisé «le tissu allégorique africain, et par ses écrits, elle renseigne l’organisation sociale et le tableau culturel qui associe des images fortes, des valeurs universelles et de l’espérance». Selon lui, «en utilisant la transformation et l’allégorie des animaux et de la flore, elle invite chacun à se saisir de la métaphore littéraire pour donner un sens éducationnel et pour créer une sorte de récit d’apprentissage qui a valeur de leçon». Mais le souhait le plus ardent, c’est de voir les contes dans les curricula de l’école pour être enseignés aux enfants
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
ROUGES SILENCES DE FATIMATA DIALLO BA OU L'INTENSITÉ D’UN RÉALISME MAGIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’auteur semble nous dire toute l’importance de notre patrimoine éducationnel, celui qui nous aide à maintenir l’architecture de notre maison, même quand celle-ci chavire sous la tempête et les tremblements de la vie
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Il existe des romans, fonctionnant en fragments, qui s’apparentent à la nouvelle en reprenant les codes narratifs du texte court. Dans sa définition, la nouvelle est un genre littéraire qui est un récit court et qui comporte une action unique et intense, avec peu de personnages, et où le lecteur est immergé rapidement au cœur du récit. De manière classique, la résolution de la nouvelle est plutôt inattendue. La nouvelle peut être réaliste, fantastique ou provoquer un suspense intense jusqu’à l’acmé fulgurant du récit.
Rouges silences, le roman de Fatimata Diallo Ba, fonctionne comme un récit réaliste en fragments avec des passages qui relèvent du réalisme magique et qui produisent une voix narrative à part entière. Chaque personnage est très incarné et occupe un chapitre avec des formes variées entre narration extérieure et narration intime. La psyché des personnages et leurs contradictions humaines sont animées de pensées dont le style est propre à chacun.
Composée dans un style très fluide, la construction narrative est cependant astucieuse car elle utilise des variations hybrides avec une forme réaliste et fantastique à la fois.
Elle décide d’ouvrir les voix du vent, des arbres et des oiseaux. Le grand cèdre du Liban s’avance majestueusement et lui glisse son approbation aux oreilles.[1]
Ce procédé fait avancer le récit tout en produisant une surprise poétique et lyrique, tout en créant une écriture au langage singulier et qui s’apparente au réalisme magique.
On dit que celui-ci est venu de la littérature latino-américaine. Mais avec ses thèmes de solitude, d’amour, de temps et d’identité, le réalisme magique a rapidement transcendé les frontières. Dans le réalisme magique, les règles de la réalité sont flexibles et surprenantes. Les événements fantastiques sont acceptés comme une partie naturelle du monde décrit. Par exemple, un personnage peut converser avec des fantômes en toute simplicité ou une pluie de fleurs peut tomber du ciel sans que cela ne soulève de questions.
On peut dire également que la littérature africaine s’inspire de ce modèle depuis des décennies, voire que ce procédé est à la source de ses écrits littéraires.
Rouges silences raconte une histoire assez simple, celle d’une famille déracinée. Il y a le père Mor et la mère Yandé, mariés à leur insu, qui quittent le Sénégal pour s’installer à Paris en France. Ils ont deux filles, Sarra et Marie, nées en France qui se distinguent par leur appréhension culturelle et le monde qui les entoure. L’une est ancrée dans le désir d’apprendre et l’héritage africain tandis que l’autre se révolte et côtoie les limites en s’infligeant des violences. En arrière plan, il y a un personnage extérieur à la famille, Claudie, une femme prostituée, qui se dessine comme un contre-point à l’unité du récit.
Au moment où débute le récit, Mor est réduit à la solitude qui le ramène à ses démons et craint d’être tombé malade.
Mor a peur. Une peur sourde et intime l’étreint à chaque fois qu’il pose le regard sur les correspondances étendues sur le buffet blanc. [...] Mor a peur. Il n’ose pas ouvrir les lettres posées là, sur le buffet. Elles sentent la mort. S’il les ouvre, à coup sûr, il trouvera la confirmation du mal mystérieux dont il souffre.[2]
Mais la venue d’un homme le fait basculer dans l’horreur de la mémoire brisée par les violences de l’enfance. Et l’écriture de Fatimata Diallo Ba est là pour traduire ce qui ne peut être dit et qui s’est réfugié dans le corps de Mor comme une brutalité incontrôlable.
Ses sens perçoivent les grondements de la mer qui vient se briser en milliards de gouttes nappées d’écume blanche. Au loin des vagues furieuses et noires avancent, menaçantes vers les terres avant de se raviser et de mourir de dépit sur la plage. Une cabane perchée sur les hauteurs du village saturé d’odeurs de poissons séchés ou frits.[3]
Au même moment, Yandé est dans l’avion qui la ramène du Sénégal d’où elle est allée puiser la force de continuer. Son mariage avec Mor lui a été imposé et la violence a constitué leur union. Mais Yandé, éprise de justice et habitée de voix ancestrales, cherche à comprendre la férocité qui agite les actes de son mari, issus de la maltraitance de l’enfance. Chaque personnage est dessiné en fonction du tableau imposé par l’éducation et les affres qu’ils ont subies. Yandé reçoit la parole des ancêtres comme des voix qui exposent la vérité et qui l’aident à se relever.
Puis c’est un concert de claquements, de sifflements, de grondements, de frôlements qui occupe le silence de l’habitacle et enveloppe la jeune femme. Ah! Ces harmonies célestes qui saisissent son âme. Elle se glisse dans un espace clos où chantent en chœur plusieurs personnes qui semblent avoir le même âge.[4]
Ainsi les deux êtres que forment ce couple n’ont pas la même vision. Mor est emporté dans la profondeur de son passé qui se transforme en terreur tandis que Yandé se défait de ses tourments par la lumière spirituelle et de ce que l’on lui a enseigné.
Ici, l’auteur semble nous dire toute l’importance de notre patrimoine éducationnel, celui qui nous aide à maintenir l’architecture de notre maison, même quand celle-ci chavire sous la tempête et les tremblements de la vie. Les filles de Mor et Yandé ont pris de l’un et de l’autre. Sarra est du côté de l’éclat maternel transis que Marie se débat avec le feu qui l’habite, comme une héritière des déchirements de son père.
Ainsi la fonction spatio-temporelle du roman est renversée régulièrement par les va-et-vient entre la dureté du monde réel, l’obscurité du passé et la possibilité d’une éclaircie qui chevauche ce qui va advenir. Yandé est à la source des valeurs et malgré ses ressentiments envers Mor, elle l’accompagne sur la voie de la paix.
Le récit, qui se situe à Paris, apporte son lot de souffrances : exil, discriminations, mariage subi, violence conjugale, misère morale, prostitution et invisibilité humaine. Mais Yandé, force féminine et volontaire, s’accroche à la beauté de la terre africaine, aux symboles et aux rites pour transcender son quotidien. Le mythe revisité par la culture devient un soutien dans sa force évocatrice. Yandé possède la bonté du soin des corps et des âmes pour réparer le mal qui a été fait. Tout comme elle s'accroche à la lecture et à l’écriture pour comprendre le monde. De cet héritage, elle en fait un trésor qu’elle transmet à ses filles et à son entourage, comme une évidence.
Malgré la maladie, la mort et la difficulté à être dans un monde qui ne reconnaît pas la différence, l’issue du récit est plutôt tournée vers l’espérance. L’auteur nous dit que toute vie est un combat mais que celui-ci est affaire de chacun et de tous, arriver à former le chemin de sa destinée à travers les mots, à travers l’amour, à travers le pardon et espérer encore et toujours.
Rouges silences de Fatimata Diallo Ba est un roman qui bouleverse par les émotions qui traversent les personnages et qui sont traduites dans un style épuré mais tourné vers un cheminement poétique. La variation entre le réel et l’imaginaire constitue ici l’unité du récit. Fatimata Diallo Ba possède une vision littéraire singulière et surprenante qui s’inspire du caractère composite de la littérature africaine contemporaine qui, métissée par les espaces et le temps, propose un univers où les voix plurielles produisent des échos puissants et renaissants.
Fatou Kandé Senghor est une touche-à-tout. Du cinéma à l’écriture, de la photographie à l’installation, tous les mediums lui sont utiles pour déconstruire et remodeler les récits.
Artiste pluridisciplinaire, Fatou Kandé Senghor est une touche-à-tout. Du cinéma à l’écriture, de la photographie à l’installation, tous les mediums lui sont utiles pour déconstruire et remodeler les récits.
Du rose, du rouge, un balcon festonné, des paillettes ! La structure a une forme à mi-chemin entre la pagode et le château fort. Elle trône dans la cour du Musée de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Quand tombe le soir, les lumières qui s’allument déposent un voile enchanteur sur ce fanal. L’installation de Fatou Kandé Senghor, Fanal (2024), est une réinterprétation d’une vieille tradition de Saint-Louis, la première capitale du Sénégal. Dans Le Larousse, le fanal a plusieurs significations. Le mot désigne la lanterne placée à l’avant de la locomotive ou à l’arrière du dernier véhicule d’un train. Il peut aussi désigner une lampe à pétrole employée à bord des anciens navires pour signaler leur position. Enfin, sur les côtes, le fanal érigé en phare servait de repère lumineux aux navires et prévenait les naufrages. Mais à Saint-Louis, la ville côtière située le plus au Nord du Sénégal, le fanal a depuis longtemps pris une autre tournure. A la Saint-Sylvestre, le fanal devient un évènement culturel qui célèbre l’histoire complexe de la ville. Pendant une nuit, Saint-Louis est envahie par une féerie de lumières. Les maquettes des bâtiments les plus emblématiques de la ville ou du pays sont promenées à bord de chars rutilants, accompagnées de chants et danses des belles Saint-Louisiennes qui, pour l’occasion, retrouvent les costumes de leurs aïeules. Ce sont les origines de cette vieille tradition que Fatou Kandé Senghor interroge à travers son installation.
Dans la cour de l’Ifan, la structure imposante attire le regard. Un porche d’une couleur verte, où sont inscrits des signes cabalistiques noirs, fait office de porte d’entrée. Tout autour de la pièce festonnée de rubans, une véranda couverte à la façon des vieilles bâtisses coloniales du Sénégal sur laquelle des lumières sont accrochées. Sur les côtés, un fragile escalier montre le chemin de l’étage et de sa toiture rose. Le tout est une féerie de couleurs et de lumières. Les passants s’arrêtent, s’interrogent ou parfois, prennent une photo. A l’image de ce fanal que les Saint-Louisiens se sont réapproprié en choisissant plutôt de représenter les plus beaux édifices de leur ville, Fatou Kandé Senghor, artiste pluridisciplinaire qui vogue du cinéma à la photographie, de l’installation à l’écriture, ne cesse de se réapproprier et d’interroger les histoires cachées dans les symboles qui l’entourent. Quelle que soit l’œuvre ou la thématique, elle cherche inlassablement à travers ses œuvres, à expliquer au public, à décanter l’histoire, éclaircir ses zones d’ombre, démêler les choses. «En tant qu’artiste, on est obligé de démêler des choses. A mon âge, je veux démêler fil par fil», dit-elle comme une profession de foi. Cette entreprise passe ici par une réappropriation du récit de ces femmes réduites désormais dans l’imaginaire collectif, à de simples objets sexuels. Un récit qui, pour elle, doit être délesté de ses relents colonialistes imbriqués dans l’histoire de cette ville.
A l’origine du Fanal de Saint-Louis, de vieilles traditions de Signares, ces riches femmes métisses qui se sont bâties un mode de vie particulier sur les bords du fleuve Sénégal, au 18e siècle. Le dernier jour de l’an, elles se rendaient à l’église à minuit, parées de leurs plus beaux bijoux et accompagnées de leurs servantes et chambellans. Ces derniers portaient des lanternes illuminées de l’intérieur par des chandelles. Ensemble, les Signares et leurs servantes formaient une lente procession lumineuse à travers les rues obscures de l’île. Au fil des décennies, les Saint-Louisiens se sont réappropriés cette coutume pour en faire une véritable fête traditionnelle. De lanternes de bois et papiers, on en est arrivé à de gigantesques créations, reconstituant le plus souvent les grandes bâtisses, les édifices ou monuments de la ville (la Grande Mosquée, l’église, le palais du Gouverneur ou le Pont Faidherbe). Si le fanal de Fatou Kandé Senghor recrée ce qui est devenu le symbole de Saint-Louis, c’est paradoxalement pour en dépasser les aspects esthétiques et festifs, et en interroger l’histoire, mais surtout interroger la mémoire de ces femmes pionnières.
De «reines» à «maîtresses»
«Toutes nos histoires ont été changées», estime Fatou Kandé Senghor. Celle des Signares l’interpelle tout particulièrement. En effet, tout commence quand les Lançados, ces juifs portugais, arrivèrent sur les côtes africaines au 16e siècle. Par des jeux d’alliance, ils s’unissent aux filles des chefs locaux dont l’activité commerciale autour des cotonnades ou du cuir était florissante. Devenues des Señoras, ces femmes tiennent d’une main de maître le commerce. Les Señoras de la petite côte sénégalaise jouissent alors d’une liberté que même leurs sœurs d’Occident n’avaient pas. C’est seulement au 19e siècle, avec la Révolution industrielle, que les femmes occidentales seront reconnues pour leur participation à la vie économique. Au Sénégal, quand les Français mettent la main sur cette colonie vers 1639, la donne change. Saint-Louis devient la capitale de l’empire colonial français en Afrique occidentale. De puissantes femmes d’affaires, les compagnes des nouveaux maîtres, deviennent dans la nouvelle version de l’histoire réécrite et disséminée par les Français, de simples et vulgaires «maîtresses». «1854- 1857, Général Faidherbe a une grande mission : installer la capitale du tout jeune empire colonial français. Ils sont venus faire fortune. Indigènes ou métisses, c’est du pareil au même pour eux. Le mépris est bien distribué. Nous avons un nouveau statut et de nouveaux rôles. La coquetterie, la fête, les nouvelles us et coutumes. Nous passons de cheffes à maîtresses», écrit FKS sur les murs intérieurs de son fanal. Le nouveau Code civil appliqué vers 1830 interdit aux femmes les activités commerciales. Le pouvoir économique leur est arraché.
En quête d’identité
Pour comprendre cette quête incessante de restauration de récits historiques, il faut revenir sur le parcours de l’artiste. Fatoumata Bintou Kandé de son vrai nom navigue dans l’interdisciplinarité et passe d’un médium à un autre. «Je m’intéresse à toutes les sociétés, leurs mutations, leurs perceptions des uns et des autres. Je m’intéresse à l’éveil, à la conscience, à la connaissance, à la psychologie. Je suis une citoyenne du monde, un produit du voyage, de la rencontre. C’est le côté universel qui m’intéresse dans tout», confie-t-elle. Elle aurait pu rajouter qu’elle s’intéressait également au travail des autres artistes. Fidèle à son désir de transmission, elle met ses talents de documentariste au service d’autres artistes sénégalais pour présenter leur travail au public. Tantôt elle filme l’artiste céramiste Seyni Awa Camara en Casamance dans son acte de création, tantôt c’est l’émergence d’une jeune chanteuse de rap qu’elle fige à l’écran dans la série Walabok, issue de l’ouvrage du même titre qu’elle a écrit. Walabok, une histoire orale du hip-hop au Sénégal, paru chez Amalion Publishing en 2015, est la synthèse de 30 années de travail. Pendant ces années, elle écoute et photographie les pionniers du hip-hop sénégalais. Et ce qui devait devenir un documentaire au départ finit en une anthologie du rap sénégalais, puis en série. La série met en avant le personnage d’une jeune fille qui lutte pour son indépendance et sa liberté dans un monde masculin par excellence, celui du hip-hop. Walabok, comment va la jeunesse ? (2020, 30 épisodes) remporte le Prix de la meilleure série au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) en 2021. Quant à l’ouvrage de 304 pages, il plonge dans cet univers du rap qu’elle a côtoyé depuis toute jeune. Le rap, ce rythme revendicateur et engagé d’une jeunesse en quête d’identité, fait écho aux interrogations internes de la jeune fille qu’était Fatou Kandé Senghor à l’époque, à ces mêmes questions qui la taraudent depuis son plus jeune âge. Dans le court métrage documentaire Giving Birth (2015) que Fatou Kandé Senghor a présenté à la Biennale de Venise en 2015, elle filme l’artiste céramiste Seyni Awa Camara qui n’a pas d’enfants, mais dont la cour est remplie des enfants de son mari. Et à travers les statuettes anthropomorphes qu’elle réalise, des sculptures hybrides mi-humaines mi- monstres tout droit sorties d’un autre monde, et toujours accompagnée d’enfants, l’artiste transcende sa condition de femme sans enfants dans une société où l’on ne peut être femme qu’en donnant la vie.
Raconter nos propres histoires, sur notre vie en communauté, développer à l’écran, dans les installations et d’autres mediums, des contre-récits qui restaurent la vérité historique, telles sont les invitations constantes de l’artiste dans ses œuvres. Fatou Kandé cherche à restaurer une version de l’histoire des Signares. Mais en fin de compte, quand elle décide d’exhumer la vérité autour de la vie des Signares, elle choisit de mettre en lumière des pans occultés de la vie de ces belles femmes. De «maîtresses» de ces conquérants européens, elles prennent dans l’œuvre de l’artiste, les habits d’habiles femmes d’affaires dont la puissance économique est avant tout un héritage familial.