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2 mai 2025
Développement
Par Mamadou Oumar NDIAYE
«EMPRISONNEMENT» DE HABRE A SON DOMICILE POUR 60 JOURS
Macky est à féliciter pour cette décision courageuse qu’il a prise de permettre à celui qui fut son homologue et que le revers de la fortune a conduit à se réfugier dans notre pays, de retourner dans son domicile pour s’y mettre à l’abri du coronavirus
Pourvu que ça dure…éternellement. Ce n’est pas que nous souhaitions que la pandémie du Covid-19 s’installe durablement dans notre pays — au contraire, plus vite elle s’en ira, mieux nous nous sentirons et notre économie avec — mais enfin, si elle a des effets aussi positifs dans la vie politique nationale, dans la vie au Sénégal tout court, alors nous sommes preneurs !
A se demander même pourquoi elle n’est pas survenue plutôt dans notre pays, sans son lot de morts pour le moment maintenu à un niveau très bas, heureusement. En tout cas, d’avoir favorisé les retrouvailles de l’ensemble de la classe politique nationale, y compris sa frange la plus radicale, derrière le président de la République pour combattre l’ennemi commun, d’avoir pour un temps favorisé la mise entre parenthèses de nos si ruineuses cérémonies familiales et autres mondanités futiles, d’avoir aussi pratiquement forcé les malfaiteurs à prendre des congés — en tout cas ceux d’entre eux qui opéraient la nuit —, d’avoir aussi favorisé le confinement des maris auprès de leurs bourgeoises, pour tout cela, le coronavirus et ses effets ont beaucoup de vertus dont on souhaiterait qu’elles durent longtemps. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c’est l’élargissement provisoire du président Hissein Habré. Oh certes, il n’est autorisé par le juge d’application des peines à rejoindre son domicile — où il sera toujours gardé par des matons ! — que pendant 60 jours, mais c’est déjà bon à prendre !
Car, pour les innombrables admirateurs et amis de l’ancien président de la République du Tchad, un seul jour passé par ce grand résistant africain dans la sinistre prison du Cap Manuel est un jour de trop. Et un seul jour hors de ce pénitencier est en soit une très grande victoire dans la lutte contre l’injustice et pour l’avènement d’une Afrique plus digne, plus respectée et plus libre. Surtout à un moment où d’aucuns nous prédisent l’apocalypse avec le Covid-19 qui ferait des millions de morts dans notre cher continent. Et où d’autres racistes nostalgiques de la coloniale rêvent d’expérimenter un vaccin contre le coronavirus en Afrique…qui est le continent qui résiste le mieux jusqu’ici à la pandémie !
De ce point de vue, le président de la République a eu raison d’en appeler dans son discours à la Nation du 03 Avril à l’avènement d’un nouvel ordre mondial au centre duquel serait placé l’humain.
Joignant le geste à la parole, il a donc posé un acte de très haute portée humanitaire en rendant provisoirement — pour notre part, nous souhaitons que ça soit définitif —, le président Habré à sa famille.
Un président Habré qui a vécu plus de 30 ans dans notre pays et dont les enfants, nés au Sénégal y ont grandi et effectué toutes leurs études, du préscolaire à l’Université. Habré, surtout, qui entretient d’excellentes relations avec la plupart des familles religieuses de notre pays où il s’est intégré depuis longtemps.
Le président de la République est donc à féliciter pour cette décision courageuse qu’il a prise de permettre à celui qui fut son homologue et que le revers de la fortune a conduit à se réfugier dans notre pays, de retourner dans son domicile pour s’y mettre à l’abri du coronavirus.
Naturellement, s’il pouvait profiter de l’occasion pour assigner le président Habré à domicile afin qu’il y purge le restant de sa peine — à défaut de l’élargir purement et simplement, bien sûr —, ce serait encore mieux ! Encore une fois, merci Monsieur le Président ! Je n’oublie pas non plus de féliciter le ministre de la Justice, Me Malick Sall, pour avoir favorisé un aussi heureux happy end…provisoire.
"HABRÉ A ÉTÉ UN CORONAVIRUS POUR LE TCHAD"
La libération provisoire de l'ancien président tchadien, par la justice sénégalaise pour deux mois à cause de la pandémie de Covid-19, a été très mal accueillie, à NDjaména, par les victimes de son régime
La libération de l'ancien président tchadien, Hissein Habré, par la justice sénégalaise pour deux mois à cause de la pandémie de Covid-19, a été très mal accueillie, mardi à NDjaména, par les victimes de son régime (1982-1990).
Le président de l'association des victimes de répressions et crimes politiques sous Habré, Clément Abaïfouta, interrogé par APA, dit que les victimes ont appris cette libération comme « un coup de massue sur la tête ».
« En novembre dernier, j'ai fait le déplacement de Dakar pour faire une contre-campagne par rapport aux allégations mensongères de Mme Raymond Habré. Ça nous a valu une mise en garde du haut commissaire des Nations unies contre la torture à l'endroit du Sénégal vu que lce pays n'avait pas l'habileté de libérer Habré », a déclaré Abaïfouta.
Le président de l'association des victimes regrette que les gens parlent de coronavirus. « Mais Hissein Habré a été un coronavirus pour le Tchad, un coronavirus pour les victimes. Je ne peux pas comprendre que Hissein Habré soit libéré parce qu'il est seul dans sa cellule, il a la visite, chaque semaine, des hauts médecins et professeurs qui prennent soin de lui. Je donne raison aujourdhui à sa femme qui dit que son mari est malade et qu'il a besoin d'être soigné, qu'il a besoin dêtre évacué », a-t-il martelé.
M. Clément Abaïfouta ne comprend pas que « quelqu'un qui a laissé de charniers, qui a laissé un millier d'orphelins, des victimes qui jusquà la attendent à être réparés, qui ne sont pas indemnisés. Et cest ce type là, qui doit mourir à cause de coronavirus qu'on le libère? Je crois que ce n'est même pas humanitaire. Est-ce que Hissein Habré a été humanitaire? C'est ridicule pour la mémoire des victimes », souligne-t-il.
Même s'il peut rien faire dans l'immédiat, Clément Abaïfouta projette écrire à qui de droit, notamment à l'Union africaine et aux Nations unies.
« Le Tchad est membre de toutes ces organisations et en plus les victimes ont déposé une plainte auprès de la Cour africaine des droits de l'homme pour leur indemnisation suite au procès organisé par NDjaména contre les ex agents de la DDS et complices de Hissein Habré. Nous allons écrire à ces organisations pour faire entendre la logique du droit", promet-il.
L'ancien président tchadien, Hissein Habré a été jugé à Dakar, au Sénégal, en 2015 par les Chambres africaines extraordinaires. Il a été condamné à la perpétuité pour crimes contre l'humanité. Son régime a été accusé d'avoir fait 40 000 victimes à travers sa police secrète appelée la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS).
par Moussa Bèye
LA PRISE EN OTAGE DE L’AGRICULTURE ET DES PAYSANS AU SÉNÉGAL
Comment expliquer une production arachidière qui atteignait en 1960-1961 les 900 000 tonnes puisse chuter à 700 000 en 2012-2013 ? Avec de forts doutes et des interrogations plus que légitimes portant sur la « surestimation » de ces derniers chiffres
Eh oui, Franz-Olivier Giesbert, au Sénégal aussi « Nous préférons toujours les révolutions que nous ne ferons jamais aux réformes qui changeront nos habitudes ». Abdoul Mbaye, nous en donne quelques preuves à travers « SERVIR », son livre publié en 2014 aux éditions Didactika.
Difficile de rester insensible à ce discours, celui d’un homme d’Etat, qui nous parle avec franchise et la sincérité que l’on doit à ceux-ce qu’on aime et que l’on respecte. Cette vérité qu’il s’est toujours promis de dire « en toutes circonstances »*.
Un discours qui reste constant, cohérent, documenté argumenté et structuré, basé sur des faits, par conséquent vérifiable. Et conformément à son style et a ses habitudes, son discours reste d’abord celui de la méthode et de la rigueur.
Comment l’agriculture sensée être la base de notre sécurité alimentaire, de notre développement économique ne bénéficie pas de tout le sérieux, de toute l’attention et de tous les moyens nécessaires et disponibles à son expression, son expansion voire à son épanouissement ?
Comment expliquer une production arachidière qui atteignait en 1960-1961 les 900 000 tonnes puisse chuter à 700 000 en 2012-2013 ? Avec de forts doutes et des interrogations plus que légitimes et fondées portant sur la « surestimation »* de ces derniers chiffres. Leur fiabilité reste à prouver et c’est le moins que l’on puisse dire. « Mais la spécificité du sous-développement est de savoir organiser la perte d’acquis parfois majeurs, alors que tout progrès est un processus de cumul sur les expériences positives, ou des leçons tirées de celles négative »*. Traduisant ainsi une « absence de vision et de maîtrise »* d’une politique d’un secteur aussi vital, livrée à des gens informels peu scrupuleux . Pour un pays qui a été une référence mondiale en matière de production arachidière, avec une expertise reconnue et sollicitée d’un peu partout. D’ailleurs « la recherche sénégalaise produisait pour le Sénégal, mais servait également en semences de pré-base les laboratoires d’autres pays du monde qui souhaitaient développer leurs productions de graines d’arachides. »*
Comment expliquer et faire comprendre de telles contre-performances en un demi-siècle avec tous les progrès et le développement que le monde a connu dans ce domaine et surtout « malgré les nombreux milliards investis »*. Décidément nous pouvons dire à la suite d’Edgar Faure, sans risquer d’être démentis que « l’immobilisme est en marche et rien ne l’arrêtera »*.
L’on a de prime abord un sentiment de tristesse, de désolation, mais aussi d’indignation et de révolte. Nous sommes trèsloin de la logique d’une « agriculture capable de nourrir la population sénégalaise, et au moins ses producteurs, aussi de constituer des stocks de sécurité pour les années mauvaises… »*. Nous avons eu le sentiment net que ce secteur aussi vital et aussi stratégique dans la vie d’une nation a été au mieux négligé et au pire livré à des trafics, des manipulations de lobbies qui eux savent ce qu’ils font et où ils veulent aller. Pendant ce temps, et face à des pratiques toxiques et quasi-criminelles, les sénégalais peuvent crever !
Notre agriculture fait face à des défis majeurs, nombreux qui entravent notre développement économique.
Difficultés liées au manque de d’information et de formation. La quasi-absence de formation des agriculteurs et leur manque notoire d’information constituent a en pas douter des facteurs de blocage à toute amélioration. En effet, le travail de la terre requiert de nos jours que les paysans soient mieux outillés si nous aspirons à renverser la tendance à importer l’essentiel de ce que nous consommons, à assurer notre sécurité alimentaire et à rééquilibrer notre balance commerciale fortement et structurellement déficitaire. Il est inconcevable qu’ils n’aient pas accès a des moyens modernes, aux nouvelles technologies et qu’ils ne bénéficient pas des meilleures pratiques qui se font ailleurs, si nous ambitionnons avec sérieux de relever ces défis.
L’information, la formation et un bon encadrement restent des impératifs si nous voulons qu’ils soient au fait d’une gestion rationnelle et optimale des espaces avec l’utilisation des meilleurs engrais et autres fertilisants. Et ce, d’autant plus qu’ils ne comptent que sur la saison des pluies pour accéder à l’eau. « Une bonne politique de l’eau, et en particulier celle évitant de dépendre de la seule saison de pluie, laquelle n’offre au plus que cinq mois d’activité par an… »*
Il y a aussi les difficultés liées à l’accès aux bonnes semences, si elles existent. Il faudrait d’ailleurs pouvoir les aider à les reconnaitre à travers des instituts de certification crédibles, bien outillés et indépendants. Les prix ne doivent pas être excessivement chèrs afin d’être à la portée des paysans très démunis en général et livrés à eux-mêmes. Il convient de noter également qu’ils ont très rarement accès à des sources de financements fiables et pérennes. Pour pallier à ces lacunes au Sénégal, et y remédier, l’Etat a mis en place un mécanisme de subvention aux semences. Louable si dans son esprit et dans son mode exécutoire les acteurs jouaient le franc-jeu …
La question des semences et plus spécifiquement « la politique semencière du Sénégal notamment dans celle de sa spécialité d’arachides … »*, revêt un caractère particulier, le dire comme cela relève d’un euphémisme.
Une particularité qui fait d’ailleurs que « le Président de la République avait tôt attiré mon attention. Il supportait difficilement toute cette organisation contre les intérêts du paysan et aux frais de l’Etat. Il en avait été témoin. »*
Pour escompter une excellente récolte, des semences de qualité feront nécessairement la différence. Ce qui est plus vrai encore pour nos petits agriculteurs qui tirent le diable par la queue pour accéder aux intrants, à des matériels agricoles, aux pesticides etc… Et sur cette question, ils font l’objet de spoliation, de tromperie, d’exploitation et d’abus inqualifiables. Notons par ailleurs qu’ils sont par moment acteurs et complices, malgré eux, de ces méfaits pour lesquels ils peuvent dans le très court terme se considérer « gagnants puisqu’ils achètent la graine avec une décote importante par rapport au prix du marché. Dans les faits, ils sont trompés sur la qualité et perdront en rendement. »* En effet, « des graines prétendument sélectionnées, mais souvent de très mauvaise qualité … »*, leur sont cédés par un mécanisme très vicieux et bien huilé au point de priver notre « industrie d’huilerie de graines à triturer »*. L’objectif ici n’est absolument pas de booster les rendements avec une excellente production. Bien au contraire, il s’agit de spéculer sans vergogne, ni retenue sur le dos de ces pauvres paysans, siphonnant au passage les finances publiques parce que « grassement subventionnées par l’Etat ». Tout en « condamnant la production à la stagnation et même à la dégénérescence … »*. La perpétuation de telles pratiques n’est pas étrangère à ces crises alimentaires auxquelles nous faisons face de façon périodique, sans parler du fait qu’ « on paie ainsi au prix fort, la destruction de l’agriculture sénégalaise »*
L’on ne peut manquer de ne pas nous indigner face à ce que l’auteur qualifie d’ « énorme scandale »*, qui « entre 2000 et 2012 a déjà coûté 101 milliards FCFA au titre de la subvention de semences d’arachides, auxquels s’ajoutent 39 milliards FCFA pour les autres productions, ces dernières à partir de 2003 »*. Afin d’illustrer le scandale, PAM nous en donne un exemple à travers la campagne agricole de 2012-2013 : « la graine en coque a été acquise par les opérateurs privés semencier (OPS) au prix de 175 FCA en début de campagne précédente, soit à partir de novembre ou décembre 2011 … Cinq à six mois plus tard, lorsque les besoins en semences pour la campagne 2012-2013 sont définis, les OPS vendent leurs graines au prix de 400 FCFA convenu avec l’Etat, réalisant ainsi une marge de brute de 225 FCFA, soit 130% »*. Ainsi est décrite la première phase pour ne pas dire l’entrée en matière. La seconde phase ou le mode opératoire, encore plus vicieuse et toujours dans cette même logique tordue des OPS, dont PAM profite pour nous rappeler qu’ils ne sont ni des producteurs, ni des agriculteurs, mais des spéculateurs qui sucent le sang des paysans et prennent en otage tout un peuple. Elle consiste quant- à elle à faire en sorte que « pour que cette graine puisse être acquise par le paysan, elle doit lui être cédée à un prix inférieur à celui du marché qui a atteint 325 FCA en raison de la rareté de la graine du fait de la mauvaise récolte. La subvention de l’Etat est alors arrêtée à 270 FCFA/Kg, ce qui permet l’achat par le paysan au prix de 130 FCFA/Kg ».* Cette petite gymnastique a coûté 10 milliards FCFA à l’Etat du Sénégal rien que pour la campagne 2012-2013. Ce « petit jeu » qui se traduit souvent en une simple écriture dans des livres comptables permet ainsi à ses acteurs souvent bien introduits dans certains cercles du pouvoir de réaliser des marges usuraires très confortables. Il y a également que cette « partie consacrée au programme semencier ne me semble pas acceptable » avec la conviction qu’ « on s’est donné trop de temps pour sortir du scandale »*. Et cela, « tout en y mettant les formes »*, nous rassure, en décidant de prendre en charge lui-même ce dossier afin d’en « assurer le suivi rapproché ».* Ce qui constitue en soi un des éléments d’explication qu’il soit extrêmement difficile de sortir de ce système, au fond connu de tous y compris du Président de la république. Le gouvernement qui pensait avoir pris les bonnes mesures en lui soumettant tous ces éléments , il « décide la fin de ce processus désastreux pour notre agriculture et nos finances publiques ».*
Cette décision sensée mettre définitivement un terme à ce processus au bout de deux ans, s’accompagnait d’une mesure dissuasive de ramener la subvention à 100 FCFA, prenant ainsi « au piège » *les spéculateurs. Il y’a eu là une prise de conscience d’un lobby aussi puissant et aussi dangereux pour renverser tout gouvernement. Et d’ailleurs à la lecture de ces passages, nous réalisons aussi que gouverner dans un tel environnement avec un tel état d’esprit, demande plus que du courage et de la ténacité. C’est à l’évidence s’engager dans un véritable front comparable aux terrains d’opérations des grandes guerres tant le risque parait énorme. On s’interroge même sur les comportements de certains ministres, ou de certaines administrations tant ce que l’auteur appelle « le comportement privé »* est aussi présente dans ces cercles-là, et il « n’est pas rare dans l’administration »* . Ils le feront savoir par tous les canaux disponibles.
Malgré une vaste expérience dans le domaine de la production arachidière, des chercheurs de haut niveau qui ont capitalisé des expériences considérables, le Sénégal est à la traine. Un pays qui a la capacité de mobiliser au de-là de ses moyens propres, des partenaires techniques au développement disposés à aider, devenus sceptiques et réticents. Ces derniers ont fini de ne plus prendre au sérieux ce pays tellement ils y ont déployé des ressources sans pour autant observer une réelle volonté de s’en sortir. Certains sont même allés jusqu’à « faire part des énormes efforts consentis et restés sans impacts visibles »*. Un gouvernement a réussi à en convaincre certains qui légitimement ont demandé en contrepartie « d’engagement de la part du Gouvernement, mais aussi de cohérence. Il leur faut lire la continuité programmatique, mais aussi une marche vers du concret, du pragmatisme au-delà de tous ces textes qu’ils connaissent bien. »*
* Bibliographie Mbaye, A. (2014). Livre Servir. Sénégal: Didactika.
Moussa Bèye est membre du cercle des cadres de l’ACT
par Dia Abdou Khadir
QUELLE MESURE APRÈS L’AIDE ALIMENTAIRE D’URGENCE ?
Les prochains jours, si on continue à avoir des cas communautaires, l’Etat doit prendre des mesures pour un confinement général avant que la courbe reprenne sa croissance exponentielle
A partir de ce dimanche 5 avril, on ne devait plus avoir normalement de cas importés. Le nombre de jours entre la fermeture des frontières jusqu’à présent a dépassé 14 jours (la période d’incubation).
Le ministère et le personnel de santé doivent avoir une meilleure maitrise de la situation et une idée du pic épidémique.
Ce qui fait peur ce sont les cas communautaires. Le Sénégal a enregistré ces premiers cas communautaires, le samedi 21 mars (source : ministère de la santé). Les prochains jours, si on continue à avoir des cas communautaires, l’Etat doit prendre des mesures pour un confinement général avant que la courbe reprenne sa croissance exponentielle.
Le confinement général peut être très difficile mais possible sous des conditions. Les conditions sont que l’Etat accompagne certains ménages à travers des transferts monétaires ou non monétaires, et aussi les entreprises, chose qu’il est en train de faire. Les 69 milliards débloqués pour des aides alimentaires ne suffisent pas pour tenir les ménages plus longtemps. Si c’étaient des transferts monétaires, chaque ménage recevrait 69 000 FCFA (ceux plus démunis).
D’après l’enquête de suivi et de pauvreté au Sénégal en 2011, la dépense mensuelle moyenne alimentaires (poste alimentation et boisson non alcoolisés) des ménages de Dakar urbains était évalué à 125 018 FCFA, celle des autres villes à 118 510 FCFA et celle du milieu rural à 103 045 FCFA. La répartition des ménages pauvres suivant la zone laisse entrevoir une prépondérance du milieu rural qui enregistre 69,3% des ménages pauvre. Les autres villes suivent avec 17,7% et Dakar urbain est moins touché par la pauvreté, soit 13%. Si on fait l’hypothèse que ces valeurs sont constantes jusqu’en 2019, normalement, pour permettre à ces ménages de vivre aisément, il fallait débloquer 97 milliards pour 871 093 ménages (source : ESPS II et mes estimations suivant le seuil de pauvreté qui est estimé à 38% d’après le rapport sur le développement humain 2019 de UNDP). Cependant, l’Etat a débloqué 69 milliards pour 1 million de ménages. Soit l’Etat n’a pas les moyens de débloquer plus ou il prévoit la fin de l’épidémie dans un court délai.
Toutefois, si la pandémie persiste au-delà, la situation risque de s’empirer, les couches les plus vulnérables en plus de la pandémie vont encore souffrir. Dès lors, il est impératif de stopper ce fléau le plutôt possible. Des pays africains ont pris des mesures de confinement général, on peut citer l’Afrique du Sud, la Tunisie, l’Algérie etc. Le covid-19 touche tout le monde, si tu n’as pas été testé positif, tu vas le sentir économiquement. Les entreprises les plus touchées (hôtellerie restauration, tourisme, transports, etc.) libèrent leurs employés parce qu’elles produisent à perte, toute l’activité économique est paralysée, l’économie est malade. Les ménages qui recevaient les transferts des émigrés vont constater une baisse de ces transferts. L’Europe qui comptabilise les 50% (rapport de profil migratoire 2018 de l’ANSD) des émigrés sénégalais est très touchée par la pandémie, la France, l’Italie et l’Espagne sont en confinement depuis des semaines, les émigrés ne peuvent plus travailler.
Nous tous, nous souffrons de cette pandémie, si on n’a pas été testé positif, économiquement, on va le sentir maintenant ou plus tard.
Restez chez vous pour qu’en ensemble on gagne cette guerre sanitaire !!
Dia Abdou Khadir est analyste de recherche
"L'AFRIQUE NE SERA UN TERRAIN D'ESSAI POUR AUCUN VACCIN"
Le patron de l’OMS a condamné lundi les "propos racistes" de chercheurs ayant récemment évoqué l’Afrique comme "un terrain d’essai" pour tester un vaccin potentiel contre le Covid-19, dénonçant "l’héritage d’une mentalité coloniale"
Le patron de l’OMS a condamné lundi les "propos racistes" de chercheurs ayant récemment évoqué l’Afrique comme "un terrain d’essai" pour tester un vaccin potentiel contre le Covid-19, dénonçant "l’héritage d’une mentalité coloniale". Le patron de l’OMS a condamné lundi les "propos racistes" de chercheurs français – sans les nommer – ayant récemment évoqué l’Afrique comme "un terrain d’essai" pour tester un vaccin potentiel contre le Covid-19, dénonçant "l’héritage d’une mentalité coloniale".
L’échange télévisé entre deux scientifiques français s’interrogeant sur l’opportunité de tester en Afrique un vaccin contre le coronavirus continue de faire des remous: lundi, c’est le patron de l’OMS qui a fustigé des "propos racistes" et "une mentalité coloniale".
"Ce genre de propos racistes ne font rien avancer. Ils vont contre l’esprit de solidarité. L’Afrique ne peut pas et ne sera un terrain d’essai pour aucun vaccin", a lancé Tedros Adhanom Ghebreyesus, ancien chef de la diplomatie éthiopienne, au cours d’une conférence de presse virtuelle depuis Genève. "L’héritage de la mentalité coloniale doit prendre fin", a-t-il ajouté, en réponse à la question d’un journaliste nigérian.
"Honteux et horrifiant"
M. Tedros n’a pas nommé les scientifiques en cause, mais une vive polémique a éclaté en France et en Afrique notamment après un échange entre un chercheur de l’Institut français de la recherche médicale (Inserm) et un chef de service d’un hôpital parisien le 1er avril sur la chaîne LCI. Dans cette séquence, Camille Locht, directeur de recherche à l’Inserm à Lille (nord de la France), était interrogé sur des recherches menées autour du vaccin BCG contre le covid-19.
Invité en plateau, Jean-Paul Mira, chef de service de médecine intensive et réanimation à l’hôpital Cochin, lui demande : "Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation, un peu comme c’est fait d’ailleurs sur certaines études avec le sida, ou chez les prostituées : on essaie des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées. Qu’est-ce que vous en pensez?"
Le chercheur répond : "Vous avez raison, d’ailleurs. On est en train de réfléchir en parallèle à une étude en Afrique avec le même type d’approche, ça n’empêche pas qu’on puisse réfléchir en parallèle à une étude en Europe et en Australie". "Il est honteux et horrifiant d’entendre des scientifiques tenir ce genre de propos au 21e siècle. Nous les condamnons dans les termes les plus forts", a tonné M. Tedros.
"Cobayes"
Ces échanges, pour lesquels les deux mis en cause ont depuis présenté leurs excuses, ont été condamnés par des associations les accusant de vouloir faire des Africains des "cobayes". Le ministère français des Affaires étrangères a déclaré qu’ils "ne reflétaient pas la position des autorités françaises". "L’Afrique n’est pas un laboratoire", a lancé la star ivoirienne du football Didier Drogba en dénonçant des "propos graves, racistes et méprisants". Le Club des avocats au Maroc a annoncé sur sa page Facebook son intention de "porter plainte pour diffamation raciale". Le porte-parole du président sénégalais Macky Sall a lui aussi pointé du doigt l’esprit relevant de "l’inconscient colonial".
Rappelant que les tests seraient lancés dans plusieurs pays européens et en Australie, l’Inserm a indiqué sur Twitter que "l’Afrique ne doit pas être oubliée ni exclue des recherches, car la pandémie est globale". Si l’Afrique a été pour l’instant moins touchée par le coronavirus que la Chine, le sud de l’Europe et les États-Unis, où le seul des 10 000 morts a été franchi lundi, de nombreux observateurs et acteurs craignent des effets dévastateurs de l’éventuelle propagation du virus.
Allant dans le sens de l’Inserm, le responsable de la lutte contre la pandémie en République démocratique du Congo (RDC), Jean-Jacques Muyembe, a indiqué que le pays était prêt à accueillir les essais d’un futur vaccin, citant en exemple les vaccins utilisés à titre expérimental face à l’actuelle épidémie d’Ebola en passe d’être jugulée. "Peut-être vers le mois de juillet, août nous pourrons commencer déjà à avoir des essais cliniques de ce vaccin", a ajouté le virologue congolais, qui s’exprimait devant la presse au côté de l’ambassadeur américain en RDC Mike Hammer.
Dans un communiqué des hôpitaux de Paris, Jean-Paul Mira a présenté ses "excuses les plus sincères" à "celles et à ceux qui ont été heurtés, choqués, qui se sont sentis insultés". Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, gendarme des médias audiovisuels) a confirmé avoir été saisi par l’association SOS Racisme.
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"NOUS ALLONS SURMONTER LA CRISE DU CORONAVIRUS, MAIS NOUS AVONS DES CRISES PLUS GRAVES DEVANT NOUS"
Noam Chomsky indique que la crise du covid-19 aura de graves conséquences, mais qu’elle sera temporaire, alors qu’il y a deux autres horreurs plus graves pour l’humanité : la guerre nucléaire et le réchauffement climatique
Noam Chomsky, le linguiste bien connu et analyste politique étatsunien de 91 ans, s’est entretenu avec Srećko Horvat sur DiEM25 TV depuis Arizona US, où il s’isole à cause de la pandémie. Chomsky a souligné que la crise sanitaire du coronavirus est très grave et aura de graves conséquences, mais qu’elle sera temporaire, alors qu’il y a deux autres horreurs plus graves pour l’humanité: la guerre nucléaire et le réchauffement climatique. Son analyse souligne que toutes ces menaces sont intensifiées par les politiques néolibérales, et qu’après la fin de cette crise, les options seront soit des États plus autoritaires et brutaux, soit une reconstruction radicale de la société avec des termes plus humains.
Selon Chomsky, il est choquant qu’en ce moment crucial, Donald Trump soit en tête, qu’il décrit comme un bouffon sociopathe. « Le coronavirus est suffisamment grave, mais il est bon de rappeler que deux menaces bien plus importantes se profilent, bien pires que tout ce qui s’est passé dans l’histoire de l’humanité :
L’une est la menace croissante d’une guerre nucléaire et l’autre, bien sûr, est la menace croissante du réchauffement climatique.
Le coronavirus est horrible et peut avoir des conséquences terrifiantes, mais il y aura une reprise. Alors que les autres ne seront pas récupérées, c’est fini ».
La puissance des États-Unis est écrasante. C’est le seul pays qui, lorsqu’il impose des sanctions à d’autres États comme l’Iran et Cuba, cela doit être suivi par tous les autres. L’Europe suit le maître aussi, affirme Chomsky. Ces pays souffrent des sanctions états-uniennes, mais néanmoins
« l’un des éléments les plus ironiques de la crise virale actuelle est que Cuba aide l’Europe. L’Allemagne ne peut pas aider la Grèce, mais Cuba peut aider les pays européens ».
Si l’on ajoute à cela la mort de milliers d’immigrants et de réfugiés en Méditerranée, Chomsky pense que la crise de civilisation de l’Occident à l’heure actuelle est dévastatrice.
La rhétorique actuelle qui fait référence à la guerre est d’une certaine importance, selon Chomsky. Si nous voulons faire face à cette crise, nous devons passer à quelque chose comme la mobilisation en temps de guerre. Par exemple, la mobilisation financière des États-Unis pour la Seconde Guerre mondiale, qui a conduit le pays à s’endetter bien plus lourdement et à quadrupler la production manufacturière états-unienne, ce qui a entraîné une croissance. Nous avons besoin de cette mentalité maintenant afin de surmonter cette crise à court terme et qui peut être gérée par les pays riches. « Dans un monde civilisé, les pays riches apporteraient leur aide à ceux qui sont dans le besoin, au lieu de les étrangler ». « La crise du coronavirus pourrait amener les gens à réfléchir au type de monde que nous voulons ».
Chomsky pense que les origines de cette crise sont un échec colossal du marché et les politiques néolibérales qui ont intensifié de profonds problèmes socio-économiques. « On savait depuis longtemps que des pandémies étaient très probables et on comprenait très bien qu’il y aurait probablement une pandémie de coronavirus avec de légères modifications de l’épidémie de SRAS. Ils auraient pu travailler sur des vaccins, sur le développement d’une protection contre les pandémies potentielles de coronavirus, et avec de légères modifications, nous pourrions avoir des vaccins disponibles aujourd’hui ». En ce qui concerne les Big Pharma, des tyrannies privées, face auxquelles le gouvernement ne peut pas intervenir, il est plus rentable de fabriquer de nouvelles crèmes pour le corps que de trouver un vaccin qui protégera les gens de la destruction totale. La menace de la polio a pris fin avec le vaccin de Salk, par une institution gouvernementale, sans brevet, disponible pour tous. « Cela aurait pu être fait cette fois-ci, mais la peste néolibérale a bloqué cela ».
L’information était là, mais nous n’avons pas fait attention
« En octobre 2019, il y a eu une simulation à grande échelle aux États-Unis, dans le monde, de la possible pandémie de ce genre, mais rien n’a été fait. Nous n’avons pas fait attention à l’information.
Le 31 décembre, la Chine a informé l’Organisation mondiale de la santé de la pneumonie et une semaine plus tard, des scientifiques chinois ont identifié le virus comme étant un coronavirus et ont communiqué l’information au monde entier. Les pays de la région, la Chine, la Corée du Sud, Taïwan, ont commencé à faire quelque chose et cela semble contenu, au moins pour la première vague de crise. En Europe, dans une certaine mesure, cela s’est également produit. L’Allemagne, qui s’est déplacée juste à temps, dispose d’un système hospitalier fiable et a pu agir dans son propre intérêt, sans aider les autres mais pour elle-même au moins pour avoir un confinement raisonnable. D’autres pays l’ont tout simplement ignoré, le pire d’entre eux étant le Royaume-Uni et le pire de tous étant les États-Unis ».
« Lorsque nous aurons surmonté cette crise d’une manière ou d’une autre, les options disponibles iront de l’installation d’États brutaux hautement autoritaires à une reconstruction radicale de la société et à des termes plus humains, soucieux des besoins humains plutôt que du profit privé.
« Il est possible que les gens s’organisent, s’engagent, comme beaucoup le font, et qu’ils créent un monde bien meilleur,
qui sera également confronté aux énormes problèmes auxquels nous sommes confrontés tout au long du chemin, aux problèmes de la guerre nucléaire, qui est plus proche que jamais, et aux problèmes des catastrophes environnementales dont il n’y a pas de reprise une fois que nous sommes arrivés à ce stade, qu’il n’est pas loin, à moins que nous n’agissions de manière décisive ».
« C’est donc un moment critique de l’histoire humaine, et pas seulement à cause du coronavirus, qui devrait nous faire prendre conscience des profondes failles du monde, des caractéristiques profondes et dysfonctionnelles de tout le système socio-économique, qui doit changer, si l’on veut qu’il y ait un avenir viable. Ce pourrait donc être un signe d’avertissement et une leçon pour y faire face aujourd’hui ou pour éviter qu’il n’explose. Mais il faut penser à ses racines et à la façon dont ces racines vont conduire à d’autres crises, pires que celle-ci ».
À propos de la situation de quarantaine à laquelle sont confrontés aujourd’hui plus de 2 milliards de personnes sur la planète, Chomsky souligne qu’une forme d’isolement social existe depuis des années et qu’elle est très dommageable.
« Nous sommes maintenant dans une situation de réel isolement social. Il faut la surmonter en recréant des liens sociaux de quelque manière que ce soit, quel que soit le type d’aide que l’on puisse apporter aux personnes dans le besoin.
Il faut les contacter, développer des organisations, élargir l’analyse. Comme avant de les rendre fonctionnelles et opérationnelles, de faire des plans pour l’avenir, de rassembler les gens comme nous le pouvons à l’ère de l’internet, de les rejoindre, de les consulter, de délibérer pour trouver des réponses aux problèmes qu’ils rencontrent et de travailler sur ces problèmes, ce qui peut être fait. Ce n’est pas la communication face à face qui est essentielle pour les êtres humains. Mais elle en sera privée pendant un certain temps, vous pouvez la mettre en attente ».
Noam Chomsky conclut en disant : « Trouvez d’autres moyens et poursuivez, voire étendez et approfondissez les activités réalisées. C’est possible. Ce ne sera pas facile, mais les humains ont été confrontés à des problèmes dans le passé ».
AUDIO
HISSEIN HABRÉ EN RÉSIDENCE SURVEILLÉ POUR 60 JOURS
L'ancien président tchadien bénéficie d'une décision du juge de l'application des peines, dans le cadre du décongestionnement des prisons en période de pandémie du coronavirus, selon le Garde des sceaux, Malick Sall
Hissein Habré sort de prison. Selon des sources proches de l’ancien président tchadien, il a été libéré , ce lundi, 6 avril 2020. Par demande de son avocat, Mamadou Diawara, il lui a été accordée une permission de sortie de 60 jours, informe le document reçu à EMEDIA. Dans sa demande, il explique, « qu’en raison de la pandémie du Covid 19, la prison, est un milieu qui représente de réels risques de contamination et que son client, d’un âge avancé, est particulièrement vulnérable. »
Cette mesure fait suite à l’annonce de l’ONU de décongestionner les prisons dans le cadre de la lutte contre la Covid 19.
Le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de l’organisation des Nations Unies avait exhorté les gouvernements à travailler à réduire le nombre de personnes en détention en cette période de pandémie afin de réduire les risques de contagion. Il cible, en exemple, les détenus âgés et malades.
Hissène Habré a été condamné à Dakar, aux travaux forcés à perpétuité par les Chambres africaines extraordinaires pour crime contre l’humanité.
Alors que des voix s’élevaient pour exiger sa libération, les victimes tchadiennes de Hissein Habré montaient au créneau pour s’opposer à toute libération de ce dernier. « La crise sanitaire ne doit pas servir d’excuse à la libération anticipée de Hissein Habré », soutenait Clément Abaïfouta Président de l’Association des victimes tchadiennes du régime de Hissein Habré (AVCRHH).
Il rappelle que depuis sa condamnation, ses soutiens réclament sa libération pour des motifs fallacieux, comme de fausses rumeurs de maladie. « La détention de Hissein Habré ne correspond pas à la situation de risque de contamination au sein des prisons décrite par l’ONU. Hissein Habré est détenu seul dans une cellule, avec, comme il se doit, de bonnes conditions d’hygiène, et a accès au système de santé. Il n’est pas en contact avec d’autres détenus et ne risque donc pas d’être contaminé à cause de la promiscuité qui existe dans beaucoup de prisons. Il semble donc suffisamment protégé du virus », déclarait Abaïfouta.
LE PRÉSIDENT DE LA BAD, ACCUSÉ D'ABUS, NIE EN BLOC
Les lanceurs d'alerte accusent M. Adesina de favoritisme dans de nombreuses nominations de hauts responsables, en particulier de compatriotes nigérians, et d'avoir nommé ou promu des personnes soupçonnées ou reconnues coupables de fraudes ou de corruption
Candidat à sa réélection en mai, le président de la Banque africaine de développement (BAD), le Nigérian Akinwumi Adesina, fait l'objet d'accusations embarrassantes par des "lanceurs d'alerte", selon un document reçu lundi par l'AFP, initialement dévoilé par Le Monde.
"Comportement contraire à l'éthique, enrichissement personnel, obstacle à l'efficacité, favoritisme, (activités) affectant la confiance dans l'intégrité de la banque et engagement dans des activités politiques" : c'est un véritable réquisitoire que dressent contre leur président, dans ce document d'une quinzaine de pages, ces "lanceurs d'alerte" anonymes se présentant comme des "employés préoccupés de la BAD", première institution de financement du développement en Afrique, basée à Abidjan.
Dans un communiqué publié lundi à la suite de l'article publié dans le Monde, M. Adesina, 60 ans, a réfuté en bloc ces accusations, qu'il qualifie d'"allégations fallacieuses et sans fondement".Il a également indiqué que des enquêtes internes étaient en cours.
Elu en 2015 pour un mandat de cinq ans, M. Adesina, ancien ministre de l'Agriculture du Nigeria, apparaissait jusqu'à présent sans rival pour obtenir un deuxième mandat, après avoir reçu le soutien de l'Union africaine et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest.
Dans leur lettre datée d'"avril 2020" envoyée aux gouverneurs de la BAD, les lanceurs d'alerte accusent M. Adesina de favoritisme dans de nombreuses nominations de hauts responsables, en particulier de compatriotes nigérians, et d'avoir nommé ou promu des personnes soupçonnées ou reconnues coupables de fraudes ou de corruption, ou encore de leur avoir accordé de confortables indemnités de départ sans les sanctionner.
Entre 2016 et 2018, lors de "la grande campagne de recrutement qui a accompagné la restructuration lancée par le président Adesina", "environ 25% des nouveaux managers recrutés ont été des Nigérians", alors qu'ils représentaient 9% des embauches jusqu'alors, ce qui correspondait à la part du Nigeria dans l'actionnariat de la BAD, dénoncent les lanceurs d'alerte.
Parmi les personnes recrutées ou promues à des hauts postes figurent un beau-frère et un ami d'enfance de M. Adesina, ou d'anciens collaborateurs lorsqu'il était ministre au Nigeria, selon les lanceurs d'alerte.
- sabotage -
Ceux-ci s'interrogent aussi sur un possible "enrichissement personnel" de M. Adesina.Récompensé en 2017 et 2019 par deux prix internationaux totalisant 750.000 dollars (près de 700.000 euros), M. Adesina a assisté aux remises de ces prix, aux Etats-Unis et en Corée du Sud, accompagné de délégations comptant des "dizaines de personnes", aux frais de la BAD.Mais a-t-il remis le montant de ses prix à la Banque, se demandent-ils?
Les lanceurs d'alerte reprochent aussi à M. Adesina "l'utilisation des ressources de la Banque pour sa promotion et son enrichissement personnel".En effet M. Adesina a obtenu la propriété intellectuelle et touche les droits d'auteur de sa biographie, commandée et payée par la BAD à un auteur.
Les lanceurs d'alerte précisent s'être initialement adressés, en janvier, au comité d'éthique de la BAD, mais avoir réalisé ensuite que "des employés proches du président sabotaient toutes les tentatives du comité d'éthique de remplir ses fonctions".Ils dénoncent en outre "des tentatives pour découvrir leurs identités".
Economiste spécialiste dans le développement et l'agriculture, personnage charismatique jouissant d'une bonne image internationale, Akinwumi Adesina, qui porte toujours un noeud papillon de couleur vive en public, a vigoureusement démenti ces accusations, qui surviennent moins de deux mois avant la désignation du prochain président de la BAD, prévue le 28 mai.
"Je suis totalement convaincu que sur la base de faits et de preuves, les procédures régulières d’examen et la transparence révèleront que tout cela ne constitue que des allégations fallacieuses et sans fondement", a-t-il déclaré.
"Le Comité d'éthique du Conseil d'administration mène actuellement son action dans le cadre de ses systèmes d'enquête interne.Laissons le Comité achever son enquête et ses travaux sans interférence de quiconque ni de quelque média que ce soit", ajoute-t-il.
La BAD, une des cinq principales banques multilatérales de développement au monde, avait réalisé en octobre 2019 une augmentation de capital géante de 115 milliards de dollars, considérée comme un succès personnel pour son président.
La BAD compte 80 pays actionnaires (54 pays africains, 26 pays non africains, d’Europe, d’Amérique et d’Asie).
M. Adesina est le premier Nigérian à présider la BAD, dont le premier actionnaire est le Nigeria avec 9%.Des remous suivis de nombreux départs de cadres, se plaignant de son "autoritarisme", avaient agité la Banque après son arrivée.
Interrogé par AFP, la BAD n'a pas précisé si le processus de nomination était retardé en raison de l'épidémie de coronavirus.
par Jean Pascal Corréa
LUTTE SÉNÉGALAISE : TEMPS DE RÉFLEXION ET DE PROJECTION
Il est possible de placer le curseur sur d’autres volets de la lutte. La danse, la chorégraphie, l’habillement… Toutes choses qui mettent en avant la dimension culturelle de la lutte, et qui peuvent tout autant être valorisées sur le plan économique
Dans divers domaines, les rythmes et niveaux d’engagement ont baissé. Chacun peut le ressentir à son échelle et dans ses rapports aux différents champs dans lesquels il s’investissait ou s’active encore. A défaut de s’employer pleinement dans des activités à caractère productif ou associatif que l’évitement des contacts physiques oblige à limiter, c’est peut-être le moment de se poser et d’engager des réflexions utiles, en termes d’évaluation, de recadrage et de projection vers un avenir désiré et censé nous ouvrir des opportunités de réalisation de soi et d’amélioration de nos conditions de vie et de travail. Cet exercice, chacun et chacune peut le mettre en œuvre suivant le ou les domaines qui l’intéressent.
Pour ma part, je choisis ici d’aborder la lutte, comme activité sportive et comme niche économique (entreprises, emplois). Mais également la lutte dans sa dimension socioculturelle qui a habité la plupart des sociétés sénégalaises et au-delà. Car, derrière un lutteur se laissent entrevoir toute une tradition et des valeurs socioculturelles, ainsi qu’un ensemble de réseaux de relations et de logiques économiques affichées (marketing-communication, sponsoring, montage de combats, signature de contrats, cautionnement, imposition, taxes, sanctions financières, etc.) ou en filigrane (rétributions non formalisées des entraineurs, des managers, des partenaires d’entrainement, des marabouts, des batteurs de Tambours, entre autres intermédiaires, et redistribution aux voisins, parents et amis).
A l’heure des mesures sanitaires relatives au Covid-19, certaines écuries et beaucoup de lutteurs ont fortement réduit leurs activités sportives alors que, malgré la suspension des compétitions, une certaine réorganisation pourrait éviter aux uns et aux autres de prendre des risques dommageables pour la santé (physique et financière) des lutteurs et la santé (économique) des écuries. Pourtant, il est possible de placer le curseur sur d’autres volets de la lutte. La danse, la chorégraphie, l’habillement… Toutes choses qui mettent en avant la dimension culturelle de la lutte, et qui peuvent tout autant être valorisées sur le plan économique, en montrant ces facettes premières et particulièrement attractives de la lutte, y compris sur le plan touristique et du marketing de la destination sénégalaise, de même que sur le plan cinématographique et d’autres formes de production audiovisuelle.
Typiquement, tout en respectant la distanciation sociale et les autres mesures-barrières édictées, les parties prenantes de la mise en scène chorégraphique (danseurs, batteurs de Tam-tam, habilleurs, maquilleurs, etc.) peuvent se retrouver dans un espace approprié afin de produire des œuvres culturelles à valoriser sur le plan économique. Par exemple, en mettant l’accent sur le pagne, dans sa signification et sa place dans la lutte (symboliquement, et dans certaines ethnies, le pagne est un patrimoine de la femme), dans son jeu de couleurs suivant les ethnies, sa forme, sa taille, sa coupe en bandes, la manière de l’attacher, c’est tout un patrimoine qui est culturellement mis en exergue. S’y ajoute l’effet d’élégance recherché au travers du lutteur qui dispose déjà de la puissance physique. Dans la production commercialisable, l’anthropologue, l’historien, le sociologue, l’expert culturel, l’économiste, le communicateur (traditionnel ou moderne), l’artisan, la femme, l’homme, l’ancien, le jeune, etc., auraient des commentaires et observations extrêmement intéressants à mettre en lumière et à rendre accessibles aux générations futures, d’une société à l’autre (similarités et singularités). La lutte est clairement un patrimoine immatériel à transmettre, dans son essence, sa fonction sociale d’origine, et avec le moins de « fabrications » ou d’exagérations possibles.
Cette mise en scène offrirait ainsi au lutteur l’occasion de réviser ses gammes, d’innover dans les danses, dans les rythmes, dans les chorégraphies… L’occasion pour toutes les parties prenantes, de découvrir et de valoriser des talents qui débordent la dimension physique et musculaire de l’activité sportive. Les possibilités sont immenses, et elles ouvrent des pistes vers des opportunités à l’échelle individuelle comme aux niveaux méso (Collectivités territoriales) et macrosocial (État).
Combien de productions et de déclinaisons web et numériques (types et quantité) seraient envisageables ? N’est-ce pas le moment d’un dialogue interministériel (Sport-culture-tourisme-économie-etc.) pour évaluer l’échelle potentielle d’une attractivité de la destination Sénégal intégrant les disciplines sportives (et avec un agenda coordonné) ? Ne serait-il pas le lieu d’évaluer l’impact économique potentiel de cette création de chaines de valeur, dès l’instant que des métiers, des œuvres et symboles cultures prennent une dimension économique ?
Au-delà de ces aspects socioculturels et économiques, des observations faites sur cette activité et ses contours invitent par ailleurs à une réflexion plus structurante sur le secteur de la lutte. Dans cette optique, il importe de susciter une réflexion plus élargie, du côté des professionnels de la lutte, notamment. Cette discipline sportive traverse une zone de turbulence, certes. Mais tant mieux si les uns et les autres peuvent profiter de ce temps pour envisager les choses sous une perspective constructive et opportune pour toutes les parties prenantes, y compris les générations futures.
par Achille Mbembe
LE DROIT UNIVERSEL À LA RESPIRATION
Si guerre il doit y avoir, ce doit être non pas tant contre un virus en particulier que contre tout ce qui sur la longue durée du capitalisme aura confiné des races entières à une respiration difficile, à une vie pesante
covid-19-cameroon.org via AOC.com |
Achille Mbembe |
Publication 06/04/2020
Certains évoquent d’ores et déjà “l’après-Covid-19”. Pourquoi pas? Pour la plupart d’entre nous cependant, surtout dans ces régions du monde où les systèmes de santé ont été dévastés par plusieurs années d’abandon organisé, le pire est encore à venir. En l’absence de lits dans les hôpitaux, de machines respiratoires, de tests massifs, de masques, de désinfectants à base d’alcool et autres dispositifs de mise en quarantaine de ceux qui sont d’ores et déjà atteints, nombreux sont malheureusement ceux et celles qui ne passeront pas par le trou de l’aiguille.
Il y a quelques semaines, face au tumulte et au désarroi qui s’annoncaient, certains d’entre nous tentaient de décrire ces temps qui sont les nôtres. Temps sans garantie ni promesse, dans un monde de plus en plus dominé par la hantise de sa propre fin, disions-nous. Mais aussi temps caractérisé par “une redistribution inégalitaire de la vulnérabilité” et par de “nouveaux et ruineux compromis avec des formes de violence aussi futuristes qu’archaïques”, ajoutions-nous (Achille Mbembe et Felwine Sarr, sous la dir. de; Politique des temps, Paris, Philippe Rey, 2019, pp. 8-9). Davantage encore, temps du brutalisme (Achille Mbembe, Brutalisme, Paris, La Decouverte, 2020).
Par-delà ses origines dans le mouvement architectural de la moitié du XXe siècle, nous définissions le brutalisme comme le procès contemporain “par lequel le pouvoir en tant que force géomorphique désormais se constitue, s’exprime, se reconfigure, agit et se reproduit”. Par quoi, sinon par “la fracturation et la fissuration”, par “le désemplissement des vaisseaux”, “le forage” et le “vidage des substances organiques” (11), bref, par ce que nous appelions “la déplétion” (pages 9-11) ?
Nous attirions l’attention, à juste titre, sur la dimension moléculaire, chimique, voire radioactive de ces processus: “La toxicité, c’est-à-dire la multiplication de substances chimiques et de déchets dangereux, n’est-elle pas une dimension structurelle du présent? Ces substances et déchets ne s’attaquent pas seulement à la nature et à l’environnement (l’air, les sols, les eaux, les chaînes alimentaires), mais aussi aux corps ainsi exposés au plomb, au phosphore, au mercure, au béryllium, aux fluides frigorigènes” (10).
Nous faisions, certes, référence aux “corps vivants exposés à l’épuisement physique et à toutes sortes de risques biologiques parfois invisibles”. Nous ne citions cependant pas nommément les virus (près de 600 000, portés par toutes sortes de mammifères), sauf de façon métaphorique, dans le chapitre consacré aux “corps-frontières”. Mais pour le reste, c’est bel et bien de la politique du vivant dans son ensemble dont il était, une fois de plus, question (Achille Mbembe, Necropolitics, Duke University Press, 2019). Et c’est d’elle dont le coronavirus est manifestement le nom.
En ces temps pourpres – à supposer que le trait distinctif de tout temps soit sa couleur – peut-être faudrait-il, par conséquent, commencer en s’inclinant devant tous ceux et toutes celles qui nous ont d’ores et déjà quittés. La barrière des alvéoles pulmonaires franchie, le virus a infiltré leur circulation sanguine. Il s’est ensuite attaqué à leurs organes et autres tissus, en commençant par les plus exposés.
Il s’en est suivi une inflammation systémique. Ceux d’entre eux qui, préalablement à l’attaque, avaient déjà des problèmes cardiovasculaires, neurologiques ou métaboliques, ou souffraient de pathologies liées à la pollution, ont subi les assauts les plus furieux. Le souffle coupé et privés de machines respiratoires, certains sont partis comme à la sauvette, soudainement, sans aucune possibilité de dire adieu. Leurs restes auront aussitôt été incinérés ou inhumés. Dans la solitude. Il fallait, nous dit-on, s’en débarrasser le plus vite possible.
Mais puisque nous y sommes, pourquoi ne pas ajouter, à ceux et celles-là, tous les autres, et ils se comptent par dizaines de millions, victimes du SIDA, du choléra, du paludisme, d’Ebola, du Nipah, de la fièvre de Lasse, de la fièvre jaune, du Zika, du chikungunya, de cancers de toutes sortes, des épizooties et autres pandémies animales comme la peste porcine ou la fièvre catarrhale ovine, de toutes les épidémies imaginables et inimaginables qui ravagent depuis des siècles des peuples sans nom dans des contrées lointaines, sans compter les substances explosives et autres guerres de prédation et d’occupation qui mutilent et déciment par dizaines de milliers et jettent sur les routes de l’exode des centaines de milliers d’autres, l’humanite en errance.
Comment oublier, par ailleurs, la déforestation intensive, les mégafeux et la destruction des écosystèmes, l’action néfaste des entreprises polluantes et destructrices de la biodiversité, et de nos jours, puisque le confinement fait désormais partie de notre condition, les multitudes qui peuplent les prisons du monde, et ces autres dont la vie est brisée en miettes face aux murs et autres techniques de frontiérisation, qu’il s’agisse des innombrables check points qui parsèment maints territoires, ou des mers, des océans, des déserts et de tout le reste ?
Hier et avant-hier, il n’était en effet question que d’accélération, de tentaculaires réseaux de connection enserrant l’ensemble du globe, de l’inexorable mécanique de la vitesse et de la dématérialisation. C’est dans le computationnel qu’était supposé résider aussi bien le devenir des ensembles humains et de la production matérielle que celui du vivant. Logique ubiquitaire, circulation à haute vitesse et mémoire de masse aidant, il suffisait maintenant de “transférer sur un double numérique l’ensemble des compétences du vivant” et le tour était joué (Cf. Alexandre Friederich, H+. Vers une civilisation 0.0, Paris, Editions Allia, 2020, p. 50). Stade suprême de notre brève histoire sur Terre, l’humain pouvait enfin être transformé en un dispositif plastique. La voie était balisée pour l’accomplissement du vieux projet d’extension infini du marché.
Au milieu de l’ivresse générale, c’est cette course dionysiaque, décrite par ailleurs dans Brutalisme, que le virus vient freiner, sans toutefois l’interrompre définitivement, alors même que tout reste en place. L’heure, néanmoins, est désormais à la suffocation et à la putréfaction, à l’entassement et à l’incinération des cadavres, en un mot, à la résurrection des corps vêtus, à l’occasion, de leur plus beau masque funéraire et viral. Pour les humains, la Terre serait-elle donc en passe de se transformer en une roue bruissante, l’universelle Nécropole? Jusqu’où ira la propagation des bactéries des animaux sauvages vers les humains si, de fait, tous les vingt ans, près de 100 millions d’hectares de forêts tropicales (les poumons de la terre) doivent être coupés ?
Depuis le début de la révolution industrielle en Occident, ce sont près de 85% des zones humides qui ont été asséchées. La destruction des habitats se poursuivant sans relâche, des populations humaines en état de santé précaire sont presque chaque jour exposées à de nouveaux agents pathogènes. Avant la colonisation, les animaux sauvages, principaux réservoirs de pathogènes, étaient cantonnés dans des milieux dans lesquels ne vivaient que des populations isolées. C’était par exemple le cas dans les derniers pays forestiers au monde, ceux du Bassin du Congo.
De nos jours, les communautés qui vivaient et dépendaient des ressources naturelles dans ces territoires ont été expropriées. Mises à la porte à la faveur du bradage des terres par des régimes tyranniques et corrompus et de l’octroi de vastes concessions domaniales à des consortiums agro-alimentaires, elles ne parviennent plus à maintenir les formes d’autonomie alimentaire et énergétique qui leur ont permis, pendant des siècles, de vivre en équilibre avec la brousse.
Dans ces conditions, une chose est de se soucier de la mort d’autrui, au loin. Une autre est de prendre soudain conscience de sa propre putrescibilité, de devoir vivre dans le voisinage de sa propre mort, de la contempler en tant que réelle possibilité. Telle est, en partie, la terreur que suscite le confinement chez beaucoup, l’obligation de devoir enfin répondre de sa vie et de son nom.
Répondre ici et maintenant de notre vie sur cette Terre avec d’autres (les virus y compris) et de notre nom en commun, telle est bel et bien l’injonction que ce moment pathogène adresse à l’espèce humaine. Moment pathogène, mais aussi moment catabolique par excellence, celui de la décomposition des corps, du triage et de l’élimination de toutes sortes de déchets-d’hommes – la “grande séparation” et le grand confinement, en réponse à la propagation ahurissante du virus et en conséquence de la numérisation extensive du monde.
Mais l’on aura beau chercher à s’en délester, tout nous ramène finalement au corps. Nous aurons tenté de le greffer sur d’autres supports, d’en faire un corps-objet, un corps-machine, un corps digital, un corps ontophanique. Il nous revient sous la forme stupéfiante d’une énorme mâchoire, véhicule de contamination, vecteur de pollens, de spores et de moisissure.
De savoir que l’on n’est pas seul dans cette épreuve, ou que l’on risque d’être nombreux à déguerpir, ne procure que vain réconfort. Pourquoi sinon parce que nous n’aurons jamais appris à vivre avec le vivant, à nous soucier véritablement des dégâts causés par l’homme dans les poumons de la Terre et dans son organisme. Du coup, nous n’avons jamais appris à mourir. Avec l’avènement du Nouveau-Monde et, quelques siècles plus tard, l’apparition des “races industrialisées”, nous avons pour l’essentiel choisi, dans une sorte de vicariat ontologique, de déléguer notre mort à autrui et de faire de l’existence elle-même un grand repas sacrificiel.
Or bientôt, il ne sera plus possible de déléguer sa mort à autrui. Ce dernier ne mourra plus à notre place. Nous ne serons pas seulement condamnés à assumer, sans médiation, notre propre trépas. De possibilité d’adieu, il y en aura de moins en moins. L’heure de l’autophagie approche, et avec elle, la fin de la communauté puisqu’il n’y a guère de communauté digne de ce nom là où dire adieu, c’est-à-dire faire mémoire du vivant, n’est plus possible.
Car, la communauté ou plutôt l’en-commun ne repose pas uniquement sur la possibilité de dire aurevoir, c’est-à-dire de prendre chaque fois avec d’autres un rendez-vous unique et chaque fois à honorer de nouveau. L’en-commun repose aussi sur la possibilité du partage sans condition et chaque fois à reprendre de quelque chose d’absolument intrinsèque, c’est-à-dire d’incomptable, d’incalculable, et donc sans prix.
Le ciel, manifestement, ne cesse donc de s’assombrir. Prise dans l’étau de l’injustice et des inégalités, une bonne partie de l’humanité est menacée par le grand étouffement, et le sentiment selon lequel notre monde est en sursis ne cesse de se répandre.
Si, dans ces conditions, de jour d’après il doit y en avoir, ce ne pourra guère être aux dépens de quelques-uns, toujours les mêmes, comme dans l’Ancienne Economie. Ce devra nécessairement être pour tous les habitants de la Terre, sans distinction d’espèce, de race, de sexe, de citoyenneté, de religion ou autre marqueur de différenciation. En d’autres termes, ce ne pourra être qu’au prix d’une gigantesque rupture, le produit d’une imagination radicale.
Un simple replâtrage ne suffira en effet pas. Au milieu du cratère, il faudra littéralement tout réinventer, à commencer par le social. Car, lorsque travailler, s’approvisionner, s’informer, garder le contact, nourrir et conserver les liens, se parler et échanger, boire ensemble, célébrer le culte ou organiser des funérailles n’ont plus lieu que par écrans interposés, il est temps de se rendre compte que l’on est encerclé de toutes parts par des anneaux de feu. Dans une large mesure, le numérique est le nouveau trou creusé dans la terre par l’explosion. A la fois tranchée, boyaux et paysage lunaire, il est le bunker où l’homme et la femme isolées sont invités à se tapir.
Par le biais du numérique, croit-on, le corps de chair et d’os, le corps physique et mortel sera délesté de son poids et de son inertie. Au terme de cette transfiguration, il pourra enfin entreprendre la traversée du miroir, soustrait à la corruption biologique et restitué à l’univers synthétique des flux. Illusion, car de même qu’il n’y aura guère d’humanité sans corps, de même l’humanité ne connaîtra la liberté seule, hors la société ou aux dépens de la biosphère.
Il faut donc repartir d’ailleurs si, pour les besoins de notre propre survie, il est impératif de redonner à tout le vivant (la biosphère y compris) l’espace et
l’énergie dont il a besoin. Sur son versant nocturne, la modernité aura de bout en bout été une interminable guerre menée contre le vivant. Elle est loin d’être terminée. L’assujettissement au numérique constitue l’une des modalités de cette guerre. Elle conduit tout droit à l’appauvrissement en monde et à la dessiccation de pans entiers de la planète.
Il est à craindre qu’au lendemain de cette calamité, loin de sanctuariser toutes les espèces du vivant, le monde ne rentre malheureusement dans une nouvelle période de tension et de brutalité. Sur le plan géopolitique, la logique de la force et de la puissance continuera de prévaloir. En l’absence d’infrastructure commune, une féroce partition du globe s’accentuera et les lignes de segmentation s’intensifieront. Beaucoup d’Etats chercheront à renforcer leurs frontières dans l’espoir de se protéger de l’extériorité. Ils peineront également à refouler leur violence constitutive qu’ils déchargeront comme d’habitude sur les plus vulnérables en leur sein. La vie derrière les écrans et dans des enclaves protégées par des firmes privées de sécurité deviendra la norme.
En Afrique, en particulier, et dans bien des régions du Sud du monde, extraction énergivore, épandage agricole et prédation sur fonds de bradage des terres et de destruction des forêts continueront de plus belle. L’alimentation et le refroidissement des puces et des supercalculateurs en dépend. L’approvisionnement et l’acheminement des ressources et de l’énergie nécessaires à l’infrastructure de la computation planétaire se feront au prix d’une plus grande restriction de la mobilité humaine. Garder le monde a distance deviendra la norme, histoire d’expulser à l’extérieur les risques de toutes sortes. Mais parce qu’elle ne s’attaque pas à notre précarité écologique. cette vision catabolique du monde inspirée par les théories de l’immunisation et de la contagion ne permettra guère de sortir de l’impasse planétaire dans laquelle nous nous trouvons.
Des guerres menées contre le vivant, l’on peut dire que leur propriété première aura été de couper le souffle. En tant qu’entrave majeure à la respiration et à la réanimation des corps et des tissus humains, le Covid-19 s’inscrit dans la même trajectoire. En effet, à quoi tient la respiration sinon en l’absorption d’oxygène et en le rejet du gaz carbonique, ou encore en un échange dynamique entre le sang et les tissus? Mais au rythme où va la vie sur Terre, et au vu de ce qui reste de la richesse de la planète, sommes-nous si éloignés que cela du temps où il y aura davantage de gaz carbonique à inhaler que d’oxygène à aspirer ?
Avant ce virus, l’humanité était d’ores et déjà menacée de suffocation. Si guerre il doit y avoir, ce doit par conséquent être non pas tant contre un virus en particulier que contre tout ce qui condamne la plus grande partie de l’humanité à l’arrêt prématuré de la respiration, tout ce qui s’attaque fondamentalement aux voies respiratoires, tout ce qui sur la longue durée du capitalisme aura confiné des segments entiers de populations et des races entières à une respiration difficile, haletante, à une vie pesante. Mais pour s’en sortir, encore faut-il faut comprendre la respiration au-delà des aspects purement biologiques, comme cela qui nous est commun et qui, par définition, échappe à tout calcul. L’on parle, ce faisant, d’un droit universel de respiration.
En tant que cela qui est à la fois hors-sol et notre sol commun, le droit universel à la respiration n’est pas quantifiable. Il ne saurait être appropriable. Il est un droit au regard de l’universalité non seulement de chaque membre de l’espèce humaine, mais du vivant dans son ensemble. Il faut donc le comprendre comme un droit fondamental à l’existence. En tant que tel, il ne pourrait faire l’objet de confiscation et échappe de ce fait à toute souveraineté puisqu’il récapitule le principe souverain en soi. Il est par ailleurs un droit orginaire d’habitation de la Terre, un droit propre à la communauté universelle des habitants de la Terre, humains et autres (Sarah Vanuxem, La propriété de la Terre, Paris, Wildproject, 2018; et Marin Schaffner, Un sol commun. Lutter, habiter, penser, Paris, Wildproject, 2019).
Coda
Le procès aura été mille fois intenté. On peut réciter les yeux fermés les principaux chefs d’accusation. Qu’il s’agisse de la destruction de la biosphère, de l’arraisonnement des esprits par la technoscience, du délitement des résistances, des attaques répétées contre la raison, de la crétinisation des esprits, de la montée des déterminismes (génétique, neuronal, biologique, environnemental), les dangers pour l’humanité sont de plus en plus existentiels.
De tous ces dangers, le plus grand est que toute forme de vie sera rendue impossible. Entre ceux qui rêvent de télécharger notre conscience sur des machines et ceux qui sont persuadés que la prochaine mutation de l’espèce réside en notre affranchissement de notre gangue biologique, l’écart est insignifiant. La tentation eugéniste n’a pas disparu. Au contraire, elle est au fondement des progrès récents des sciences et de la technologie.
Sur ces entrefaites survient ce brusque coup d’arrêt, non pas de l’histoire, mais de quelque chose qu’il est encore difficile de saisir. Parce que forcée, cette interruption n’est pas le fait de notre volonté. A plusieurs égards, elle est a la fois imprévue et imprévisible. Or, c’est d’une interruption volontaire, consciente et pleinement consentie dont nous avons besoin, faute de quoi il n’y aura guère d’après. Il n’y aura qu’une suite ininterrompue d’événements imprévus.
Si, de fait, le covid-19 est l’expression spectaculaire de l’impasse planétaire dans laquelle l’humanité se trouve, alors il ne s’agit, ni plus ni moins, de recomposer une Terre habitable parce qu’elle offrira à tous la possibilité d’une vie respirable. Il s’agit donc de se ressaisir des ressorts de notre monde, dans le but de forger de nouvelles terres. L’humanité et la biosphère ont partie liée. L’une n’a aucun avenir sans l’autre. Serons-nous capables de redécouvrir notre appartenance à la même espèce et notre insécable lien avec l’ensemble du vivant ? Telle est peut-être la question, la toute dernière, avant que ne se ferme une bonne fois pour toute, la porte.