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3 mai 2025
Développement
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SENGHOR, FAIRE D'UN POÈTE UN PRÉSIDENT
A l'occasion des 60 ans de l'indépendance du Sénégal ce 4 avril, le professeur de littérature et critique Boniface Mongo Mboussa retrace le parcours de son premier président : Léopold Sédar Senghor
A l'occasion des 60 ans de l'indépendance du #Sénégal ce 4 avril, le professeur de littérature et critique Boniface Mongo Mboussa retrace le parcours de son premier président : Léopold Sédar Senghor, entre poésie et politique.
Avec la voix de Christophe Paget. ---
1- Construire un intellectuel
Léopold Sédar Senghor naît le 9 octobre 1906, à Joal, au sud de Dakar, dans une famille sérère bourgeoise. Elève dans diverses congrégations, passionné de littérature, il obtient son bac et une bourse pour étudier en France, où il débarque en 1928. Agrégé de grammaire en 1935, il enseigne à Tours et Saint-Maur ; il fréquente les intellectuels parisiens. Avec le Martiniquais Aimé Césaire et le Guyanais Léon Gontran-Damas, il exprime le concept de négritude. Mobilisé en 1939, captif pendant 20 mois, Senghor s’inspire de cette expérience pour son premier recueil, « Hosties noires ». Son « Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache » est préfacée par Jean-Paul Sartre.
2 - Construire une œuvre
L’œuvre de Senghor est une ode à l’Afrique. Cet éloge valorise l’art nègre, célèbre la femme et la civilisation africaine. Senghor est un poète de la mémoire. Un homme travaillé par la fuite du temps. Le poète se veut Dyali (griot), avec une mission bien précise : glorifier son lignage, ses amis, ses morts, son pays et sa civilisation. "Chants d’Ombre", "Ethiopiques", "Liberté" sont quelques-uns de ses plus célèbres recueils.
3 - Entrer en politique…
et en sortir Senghor a toujours dit qu’il était tombé en politique. Il ne mentait pas. La politique l’a rattrapé au pays en 1945, alors qu’il était venu collecter la poésie orale sérère pour sa thèse. Sollicité avec insistance par son aîné Lamine Gueye de la SFIO, il devient député à l’Assemblée nationale française. Réélu en 1951, il sera notamment secrétaire d’Etat dans le gouvernement d’Edgar Faure. Le 5 septembre 1960, il est élu président du Sénégal naissant, dont il écrit l’hymne national. Il sera réélu à la tête du pays jusqu’à sa démission le 3 décembre 1980, au profit de son dauphin Abdou Diouf.
4- Présider pendant l’année, être poète l’été
Senghor a dirigé son pays en professeur, avec méthode et esprit d’organisation. Pendant la saison scolaire, il est président au Sénégal ; en été, il est poète en Normandie, patrie de sa seconde épouse, Colette Hubert. Pour Senghor, « interpréter poétiquement le monde » ne s’oppose pas à le « changer » politiquement. D’où ce beau titre, Poésie de l’action, qu’il donne à son autobiographie parue en 1980.
5- Défendre les mêmes valeurs
Dans sa poésie, Senghor célèbre sa terre natale, la fraternité, la mémoire, l’honneur, la bravoure. En politique, il prône un digne enracinement tout en s’ouvrant au monde, à la France. D’où la francophonie. On le lui a reproché. C’était oublier son sens de la fidélité. Il savait ce qu’il devait à la France, à ses professeurs de Louis-Le-Grand, à Paris. Dans le conflit qui l’oppose, en 1962, au président du Conseil Mamadou Dia, Senghor agit là aussi avec bravoure et sang-froid, saisissant l’opportunité pour écarter celui qui commençait à lui faire de l’ombre.
6- Devenir immortel !
Poète-président, Senghor ne fut pas l’un sans l’autre. Il a assumé avec rigueur et dignité ses deux fonctions. Mais dès 1979, à la question : « S'il fallait choisir, que voudriez-vous sauver de votre triple vie d'homme politique, de professeur et de poète ? », Senghor répond : « Mes poèmes, c'est là l'essentiel. » Son élection à l’Académie française, en 1983, lui donnera raison.
par Papa Demba Thiam
COVID-19 ET DÉVELOPPEMENT, COMMENT COMPTER SUR LES ÉLITES AFRICAINES ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Le rôle de la superstition inhibe les capacités de réflexion des élites africaines - Dans leur imaginaire collectif, dire qu’un malheur pourrait arriver est perçu comme un souhait
Il y a beaucoup de dissertations sur le rôle des gouvernants, des leaders politiques et de la société civile dans la lutte contre le Covid-19 en Afrique. On en a aussi beaucoup entendu de son brave corps médical et de ses forces de l’ordre et de sécurité. Quid des élites africaines en termes de propositions concrètes sur l’après Covid-19, pour une Afrique encore plus forte et moins vulnérable aux chocs extérieurs du genre de la pandémie du Covid-19 ?
A dire vrai, j’ai une pensée émue pour les gouvernants africains. Je sens leur solitude au moment où certains pays développés entrent en mode-prospective pour imaginer des scenarii parmi les pires, avec la propagation du Covid-19 et les réponses géostrophiques qu’ils imaginent apporter en termes de positionnement sur l’Afrique. Ils sont dans leurs rôles de prévision, pour planifier leurs attitudes. Ils s’appuient sur leurs élites pour analyser la situation chez leurs partenaires africains et décider de leurs alternatives d’actions. « Gouverner, c’est d’abord prévoir ».
Les chefs d’Etat africains nous avaient épatés et avaient donné l’exemple, le 2 Décembre 2019 avec le « Consensus de Dakar ». Bien que conscients de leur forte dépendance financière vis-à-vis des institutions multilatérales, ils ont d’abord reçu leurs hauts dirigeants avec force hospitalité et honneurs. Ensuite, ils ont eu le « courage » de les réunir en conférence internationale publique à Dakar, pour leur expliquer en (public), comment ils trouvent leurs instruments conceptuels et analytiques inadaptés aux contextes africains, au point de générer des effets pervers de leurs déclarations et interventions sur leurs économies.
Comment ne pas aussi saluer le fair-play dont les partenaires au développement ont fait montre en les écoutant religieusement. En évitant toute polémique. En promettant de prendre leurs observations en considération. C’est comme cela que ça doit se passer en termes de coopération au développement. C’est cela l’esprit du multilatéralisme. C’est du reste, ainsi que les institutions internationales travaillent mieux, ailleurs qu’en Afrique. Parce qu’ailleurs, il y a du répondant dans le cadre de dialogues sincères, ouverts et décomplexés.
De retour à leurs pénates, les dirigeants de ces institutions internationales ont probablement dû réunir leurs experts pour rendre compte, demander des conseils, discuter et instruire. Il devrait en être de même pour les chefs d’Etat africains. Et à l’heure actuelle, dans les états-majors africains, on devrait être en mesure de discuter et d’enrichir des documents de stratégies et d’action comme suites au « Consensus de Dakar ». Mais sur quelles élites les chefs d’Etat africains peuvent-ils vraiment compter en pareils exercices ? Objectivement.
Les politiciens, entrepreneurs et leaders d’opinion du monde occidental n’hésitent pas à approcher des experts qui ne partagent pas leurs positions idéologiques pour s’inspirer de leurs idées et mieux voir dans leurs propres angles morts. Ils essaient même de les « débaucher » pour mieux utiliser leur puissance intellectuelle. Parce qu’ils ont compris qu’il ne faut pas haïr ses adversaires au point de ne pas leur reconnaître des qualités. Pour une raison simple, ce sont les qualités d’un adversaire qui représentent un danger pour soi. En Afrique, on tente de l’étouffer. On le persécute.
Les réactions aux articles de presse sur une note de prospective destinée au ministère français des Affaires étrangères sont très intéressantes à analyser. Cette note décrit ce que pourrait être la situation économique et sociale d’après Covid-19 pour plusieurs pays africains et propose des stratégies politiques pour le gouvernement français. D’aucuns disent que prévoir des situations de révoltes sociales relèvent de souhaits de malheurs, donc de méchanceté et de haine de l’Afrique. D’autres trouvent que c’est de la « simple prospective ». Ces deux positions sont aveuglantes.
Ce sont ceux qui font de la prospective qui se donnent les moyens d’accompagner ce qu’ils croient venir. C’est pourquoi ce qu’ils pensent pouvoir arriver, peut justement finir par arriver. C’est comme à la bourse. Quand on croit qu’elle va monter, elle finit par le faire. Parce qu’on y achète alors des titres, ce qui finit par la faire monter. C’est comme cela que les pays développés gouvernent. Parce que dans leur monde, la prospective n’est pas une affaire de voyance moderne avec une boule de cristal. C’est un instrument de politique et d’action. Il faut donc prendre les notes de prospective au sérieux. Rien n’arrive par hasard. Les phénomènes sont aidés à se réaliser.
Le rôle de la superstition inhibe les capacités de réflexion des élites africaines. Parce que dans leur imaginaire collectif, dire qu’un malheur pourrait arriver est perçu comme si on le souhaite. C’est pourquoi beaucoup d’analystes de talent ne s’aventurent pas sur ce terrain. Résultat, on se concentre sur ce qu’on sait faire le mieux : pleurer sur notre sort et se dédouaner de toute responsabilité en mettant tout sur le dos du sort.
Il s’agit-là d’un piège énorme qui risque d’obstruer l’horizon pour les analystes africains. Cette attitude psycho-sociologique n’aide pas les gouvernants qui ont aussi besoin d’écouter les porteurs de mauvaises nouvelles potentielles. Pour justement faire en sorte qu’elles n’arrivent pas, en étant proactif dans la recherche de stratégies palliatives. Mais il est vrai que la même prédisposition psycho-sociologique habite beaucoup de dirigeants africains. Et leur fait tirer sur les porteurs de « mauvais » messages au lieu de les écouter et de leur demander de proposer des solutions pour les éviter. Beaucoup de ceux qui les entourent se complaisent dans cette situation qui le confère une rente et les protège contre leur insécurité intellectuelle et technique.
Quel expert ose commencer par dire qu’il y peut y avoir des catastrophes sans être jeté en pâture et subir un procès en sorcellerie ? C’est ainsi que peu d’experts proposent des solutions de sortie d’une crise économique, financière et sociale que le Covid-19 va inévitablement installer en Afrique. Parce qu’ils doivent d’abord énoncer les raisons de l’éminence d’une catastrophe. Dans une situation ou soit les gouvernements ne prennent pas de mesures de confinement, alors c’est une catastrophe sanitaire qui risque d’emporter des millions de personnes sur le continent. Soit ils prennent des mesures de confinement et l’activité économique va beaucoup ralentir avec à la clé, du chômage et de la pauvreté qui vont durablement s’y installer. Des situations perdant-perdant.
Les meilleures politiques possibles se trouvent certainement entre ces deux extrêmes. Mais dans tous les cas, elles demandent une certaine forme de « déconnexion » avec l’économie mondiale telle qu’elle est actuellement globalisée. Et cette réflexion doit se faire maintenant, en même temps que des réponses d’urgence doivent être développées, financées et déployées pour contenir les effets sanitaires et économiques de la pandémie du Covid-19. Gros dilemme pour les gouvernants africains et leurs experts : comment dépendre des solutions d’urgence qui doivent être financées par les institutions financières multilatérales chevilles ouvrières de la globalisation actuelle, tout en leur promettant de « rompre » avec leurs pratiques courantes pour mieux asseoir le développement de l’Afrique sur des bases endogènes, tel qu’envisagé par le « Consensus de Dakar » ?
La grosse erreur des gouvernants africains serait d’en faire un jeu à somme nulle et, face aux solutions d’urgence, de jeter en pâture ceux des experts africains qui sont à même de théoriser et d’opérationnaliser cette déconnexion qu’ils veulent et se doivent d’opérer à moyen et long terme. La même « déconnexion » de la vulnérabilité verticale directe de leurs économies à l’économie mondiale que des gouvernements comme ceux de la France veulent maintenant, aussi opérer en « rapatriant » certaines de leurs industries stratégiques par la restructuration et l’internalisation de certaines chaines de valeurs pour rendre leurs économies plus résilientes.
Cette même quête est plus que jamais légitime pour les pays africains. Leurs experts doivent être décomplexés pour ouvertement assumer des positions qu’ils croient justes et des stratégies opérationnelles qu’ils pensent pouvoir aider leurs peuples à être mieux gouvernés et jouir enfin des ressources dont Dieu les a dotées ? Quelle est cette forme de terrorisme intellectuel, moral, institutionnel ou politique qui leur fait se cagouler ? Pourtant, ils prient tous les jours pour que Dieu leur donne le courage de croire en lui pour faire et dire ce qui est juste.
La réponse est tristement simple. Beaucoup d’experts n’osent pas prendre le risque de s’aliéner des institutions qu’elles accusent en privé, de fabriquer de la pauvreté en Afrique. Pourtant, celles-là ne devraient pas avoir envie qu’on ne leur dise que ce qu’on croit qu’elles veulent entendre. Au contraire, leurs hauts dirigeants veulent savoir ce qu’il faut vraiment faire pour que les effets non-désirés de leurs stratégies et opérations ne leur reviennent pas à la figure comme des boomerangs et saper leurs crédibilité et légitimité.
Déjà avec la crise migratoire, les pays partenaires-au-développement autant que les institutions multilatérales qu’elles financent ont fini par comprendre que nous vivons dans un même monde fini. Que les crises alimentaires, sociales et politiques qui génèrent des conflits et déplacent des populations vers les pays du Nord, créent de l’instabilité dans les pays d’accueil. Les migrations y bouleversent leurs équilibres politiques et favorisent l’arrivée de mouvements populistes.
Ces dirigeants ont donc compris que le développement économique et social de l’Afrique n’est pas une option, mais une nécessité vitale pour tous les pays développés. Ils ont maintenant compris que les désastres que peuvent provoquer le Covid-19 en Afrique peuvent avoir des conséquences encore plus graves dans les pays occidentaux. L’heure est donc à l’unité des diversités de pensées et de stratégies, pour trouver les meilleures solutions pour tous. Quoi de plus normal alors que de compter sur toutes les élites et expertises africaines pour les aider à mieux comprendre ce qu’il vaut mieux faire en Afrique pour enrayer la pauvreté à laquelle le continent n’est pas prédisposé ?
Les élites africaines vont-elles devenir plus courageuses avec les risques de cataclysme de la pandémie du Covid-19 ? Parce qu’il était déjà navrant de constater que certains des intellectuels africains qui sont conviés à des rencontres du savoir et de l’expertise jouent de la langue de bois, pour ne pas dire de la fumisterie, en embrassant en public ce qu’ils brûlent en privé, dans les couloirs. Il faut dire que la plupart d’entre eux sont des consultants qui ne croient pouvoir vivre que de projets financés par les bailleurs de fonds. D’autres rêvent de rentrer dans le « système » qu’ils disent pourtant abhorrer, en privé. C’est aussi cela le drame de l’Afrique. Beaucoup d’élites se mentent tous les jours et leurrent leurs gouvernements tout-autant que leurs partenaires au développement, ce qui laisse le champ libre aux simples bureaucrates qui ne délivrent que ce qu’ils savent faire le mieux. « La nature a horreur du vide ».
J’ai des nouvelles pour les élites africaines frileuses. Il ne faut pas être plus royaliste que le roi. Ceux qu’elles croient être les « adversaires » de l’Afrique n’ont jamais été aussi proches du continent que maintenant. En gens de conviction pour notre pire ou notre meilleur, on les sent présents autour de tout ce qui se dit et s’écrit sur l’Afrique. Ils se rapprochent parce qu’ils peuvent à présent, mener un même combat avec l’Afrique, chacun dans ses quartiers, avec ses moyens. Alors élites africaines, finissez-en avec vos phobies et assumez vos convictions. Nous avons besoin de tout le monde pour aider nos peuples à se sortir de ce tragique guêpier qui nous est tous tendu avec la propagation du Covid-19 en Afrique.
Papa Demba Thiam est économiste, expert en Développement Industriel Intégré par des Chaines de Valeurs
par Abdourahmane Sarr
RÉALISONS NOTRE DESTIN, LIBRES
Nous ne partageons pas, en ce qui concerne le Sénégal, que notre dette bilatérale et multilatérale soit effacée, même si tel peut être le cas pour d’autres Etats fragiles - Nous préférons également une révolution agricole à une souveraineté alimentaire
Le président de la République a pris de bonnes mesures sur le plan de la riposte macroéconomique face aux effets de la pandémie qui « en nous mettant à l’épreuve » nous fait faire ce qui devait être fait même sans la crise. Le creusement du déficit associé au remboursement des arriérés de l’Etat répond à la critique que nous avions formulée sur le programme du FMI publié en janvier 2020 « Programme Sénégal-FMI : Décryptage et Paradigmes à Revoir ». Il est également en ligne avec les recommandations que nous avions formulées dans notre tribune intitulée « Organiser la résilience systémique à la crise » au vu de notre contrainte monétaire qu’il faudra lever dans une deuxième phase et qui nous imposait une riposte budgétaire d’envergure financée par le FMI, les bailleurs, et les banques.
Les mesures fiscales nous semblent également appropriées, de même que le programme de garantie de crédits bancaires responsabilisant qui de droit. Par ailleurs, le ministère des Finances devrait profiter de l’effacement de la dette fiscale pour préparer une réforme fiscale d’envergure en 202 dans le cadre du programme "Yaatal" et réduire les taux et types d’impôts afin d’élargir l’assiette fiscale à tous. Le ministère de l’Economie quant à lui devrait travailler à l’élaboration d’une stratégie de résilience systémique au-delà de la crise.
En effet, les options stratégiques du Plan Sénégal Emergent ne renforcent pas notre résilience puisque ce sont des plans locaux dans la diversité qu’il aurait fallu et comme nous l’avons argumenté ailleurs, une économie basée sur des PMEs du secteur informel plus productives.
Sur le plan social cependant, nous aurions préféré comme nous le disions, un transfert de cash de 25000 FCFA à chaque sénégalais adulte ou les 6 millions ayant une carte d’identité pour un montant de 150 milliards. Un kit alimentaire assorti de paiements de factures est un plan de « résistance » spécifique et non de « résilience ». La résilience est le résultat de réactions diverses et appropriées à nos échelles individuelles et collectives contre des chocs et selon nos circonstances. Avec un transfert de cash, le montant par famille aurait ainsi varié et la dépense en fonction des besoins qui ne sont pas nécessairement des vivres de soudure, et aurait indirectement soulagé certains sénégalais dans la diaspora qui sont des soutiens de famille au Sénégal. L’effet macroéconomique aurait également été systémique et pas seulement dans le secteur de l’alimentation moins touché dans la conjoncture d’une économie au ralenti mais sans confinement. Le secteur informel au cœur de notre économie en aurait également davantage profité.
Le président de la République a néanmoins fait dans le compromis en tenant en compte des thèmes chers à son opposition : « mettre l’humain au cœur du développement » ou encore la « souveraineté alimentaire », mais la liberté à laquelle il a appelé pour que nous réalisions notre destin ne sera pas pour bientôt. En effet, nous ne partageons pas, en ce qui concerne le Sénégal, que notre dette bilatérale et multilatérale soit effacée, même si tel peut être le cas pour d’autres Etats africains fragiles.
Le Sénégal a dépassé ce stade et a argumenté que son endettement extérieur en devises de ces dernières années était nécessaire et bien utilisé pour une croissance future et du pétrole en perspective. Tel n’était pas le cas et nous avons encore la possibilité de changer de cap pour ne pas répéter l’histoire et effectivement réaliser notre destin dans la responsabilité sans tendre la main à autrui. Les bilatéraux représentent des peuples libres et dignes et nous voulons que nos enfants aspirent à la même chose. Les multilatéraux sont des banques dont nous nous aurons besoin dans le futur. L’appui que le FMI vient de nous octroyer dans un contexte où nous ne lui devions presque rien par les efforts du sénégalais lambda est un appui normal pour tous les pays du monde qui doit nous être disponible à nouveau demain. Seul un moratoire nous semble approprié pour le Sénégal, et encore, car ce dont nous avons besoin c’est de substituer la dette extérieure en devises en une dette en monnaie nationale détenue par des non-résidents investisseurs non bilatéraux et multilatéraux. Ces investisseurs ne prêtent pas à des Etats qui au moindre problème demandent des effacements de dettes du fait d’une mauvaise gestion en périodes favorables et sans les instruments de gestion macroéconomique, notamment la monnaie. En effet, ce ne sont pas des effacements de dettes qui sont sollicitées par les entreprises auprès de nos banques privées et à la BCEAO, mais bien des rééchelonnements et reports d'échéances.
Nous préférons également une révolution agricole à une souveraineté alimentaire. Une grande productivité agricole peut nous garantir la sécurité alimentaire sans passer par une politique d’autosuffisance alimentaire potentiellement inefficace. Pour ce faire, nous invitons nos autorités à mettre en œuvre une réforme foncière d’envergure dans le cadre d’un nouveau plan national d’aménagement du territoire et de plans locaux complémentaires.
En effet, la finalité de la production dans une économie monétaire et d’échange et non de subsistance n’est pas la consommation propre des producteurs (individuellement ou collectivement) mais la vente pour des revenus. La finalité est l’obtention de revenus pour pouvoir se procurer ce que l’on désire d’où que ça puisse provenir tout en garantissant la sécurité alimentaire. Dans cette perspective, il nous est même possible de garantir un revenu minimum à notre population rurale qui n’est pas obligée de travailler la terre qui continuera à lui appartenir, mais exploitable par des usufruitiers plus efficaces qui maitrisent les chaines de valeur. Nous l’avons argumenté dans notre contribution intitulée «Un Revenu Minimum Garanti pour une Révolution Agricole » qui inciterait nos agriculteurs dans leurs localités aux cultures vivrières à cycles courts.
Réalisons notre destin, réellement libres, après 60 ans d’indépendance. Cette liberté nous ne pourrons l’obtenir sans passer par l’épreuve du fer comme l’a dit le président de la République, donc celle de la rupture. Comme nous le disions à la veille de la présidentielle de 2019, « Optons pour un Sénégal qui prend son destin en main pour découvrir ce qu’est ce destin avec courage et foi ».
Ce destin nous ne pourrons le découvrir libres sans l’inclusion financière de notre population dans une monnaie compétitive dans le contexte d’un environnement de liberté économique et une décentralisation autonomisante et responsabilisante de pôles régionaux résilients et librement solidaires. Nous avons travaillé dans ce sens sur un projet novateur et structurant, l’avons exposé aux autorités monétaires qui n’ont pas émis d’objection (www.sofadel.com). Nous l’exposerons aux autorités et à la classe politique pour bâtir un consensus qui permettra à nos PMEs et nos collectivités locales de réaliser leur potentiel sans tendre la main à autrui.
Bonne fête de l’indépendance !
par Jean Pascal Corréa
LE COVID-19 NOUS PARLE, SOYONS CRÉATIFS ET INGÉNIEUX
Au-delà du coût sanitaire et des morts à déplorer, les tensions sociales à endiguer avec intelligence risquent de générer plus de conséquences à long terme que cette pandémie qui ne fait que nous rappeler une certitude : l’impréparation
La crise sanitaire que vit présentement le monde a grippé des pans entiers de nos manières d’être et de faire. L’angoisse collective se traduit par ailleurs par un questionnement intérieur, personnel, mais que partage chacun et chacune ; ce qui en fait une intériorité emplie d’échos et potentiellement handicapante collectivement. Un questionnement du présent et du futur. Les incertitudes du futur poussent d’ailleurs certains citoyens à, paradoxalement, projeter leurs angoisses au point de souhaiter que cet entre-deux perdure tant qu’il ne sera pas définie une perspective de mieux-être, tant que les gouvernants continueront à prétendre « tout » prendre en charge ; État-providence ou Leadership inconscient !
D’une manière ou d’une autre, le vent tournera. Il drainera des opportunités ou des menaces pour celles et ceux qui auront activé leurs cerveaux pour envisager l’après-covid-19 en toute conscience. Car, un après-covid-19 il y aura, et les trous budgétaires élargis par la pandémie seront nécessairement comblés – peu importe le rythme – par les nations, entendues dans le sens de État et tous les segments de la population, y compris les ménages et les contribuables individuels. Chacune et chacun devront en être conscients. Pour être pertinente, une soupape ne saurait rester béante sur un temps long. Cela implique que toutes les catégories d’acteurs économiques, culturels, sociaux, environnementaux et politiques se mettent d’ores et déjà à envisager les effets hic et nunc de la crise sanitaire et des mesures politico-économiques rapidement mises en place pour gérer la situation. Cela implique de composer avec les outils et les possibilités qu’offrent les technologies modernes et le numérique. Que ce soit pour (se) former, se soigner, accéder aux services de l’eau, de l’énergie ou de l’assainissement (secteurs sociaux), que ce soit pour produire (secteurs primaires et secondaires), pour communiquer, commercer, échanger, vendre des services (secteur tertiaire) ou pour réguler (Administration et institutions publiques). Il s’agit essentiellement de mobiliser et diriger nos énergies avec plus d’intelligence et de coordination.
Pour exemple, prenons ici un domaine beaucoup moins évident que les secteurs productifs : la culture. La vie culturelle est paralysée parce qu’il ne faut pas se rassembler. Pourtant, la culture, c’est le monde de l’imagination, de l’innovation, de l’étonnement, de l’effet recherché ou perçu, du ressenti. Que ce soit pour les différentes formes d’art, pour le théâtre, le cinéma, etc., des professionnels et des intermittents sont confinés, intellectuellement parlant, en attendant de retrouver un climat plus favorable à l’activité, l’expression et la production culturelles. Qu’est-ce qui empêche une troupe de théâtre d’effectuer ses répétitions à distance, chaque membre étant dans un cadre adapté aux circonstances, et avec la supervision directe du metteur en scène ? Et, une fois atteint le seuil de satisfaction, qu’est-ce qui empêche de réaliser les prises de vue avec les technologies informatiques et numériques, les smartphones ou les caméras go-pro étant de plus en plus démocratisés en Afrique ? Et voilà que le producteur pourra continuer à travailler avec son équipe, celle-ci devant être rémunérée pour vivre. Sauf à compter sur les subventions publiques ou à envoyer ses collaborateurs au chômage, tout en assumant la maintenance des équipements et autres moyens de production. Finalement, c’est le montage qui devient le principal challenge et, pour cela, je prétendrai volontiers que nous avons des milliers de jeunes prodiges qui se feraient le plaisir de déployer leurs talents et, à leur tour, de s’activer intellectuellement et de percevoir des revenus. Tout le monde y gagne, y compris l’État et la société. La vie n’est pas à l’arrêt. C’est notre cerveau que nous bloquons en indexant le Covid-19. Mais il est de passage. Et, au-delà du coût sanitaire et des morts à déplorer, les tensions sociales à prévoir et à endiguer avec intelligence risquent de générer plus de conséquences à long terme que cette pandémie qui ne fait que nous rappeler une certitude bien convenue : l’impréparation, de l’individu à l’État – en passant par les ménages culturellement dévêtus depuis deux à trois décennies –, et dans tous les pans de la vie sociale, économique, environnementale et politique, confirme pleinement les risques liés à la trajectoire d’avant Covid-19 vers des perspectives non soutenables. Il reste maintenant – à toi, à moi comme à l’État – à choisir la durabilité ou alors le scénario du laisser-faire (Business as usual) qui revient à laisser la société mourir à petit feu. Le confinement, c’est surtout une renonciation pour se tourner vers l’essentiel. Soyons ingénieux pour redéfinir une trajectoire optimale !
par Oumar El Foutiyou BA
LE COVID 19, UN LEVIER DE REFORME DE L’ETAT ET DE CHANGEMENT SOCIAL POUR LES PED !
Comme en atteste la gestion de la pandémie, rien n’est plus effrayant, en situation de péril, que l’image renvoyée par un décideur politique hésitant à prendre ses responsabilités parce qu’il craint d’être attaqué
Les ravages du Syndrome respiratoire aigu sévère à coronavirus 2019 (SRAS COV 19 ou COVID 19) ont conduit plusieurs pays développés, où il a sévi en premier, à développer quelques tentatives de réponse.
Destinées à arrêter sa propagation, celles-ci consistent en des mesures d’allégement des processus et d’organisation qui peuvent inspirer les PED dans leur politique de réforme de l’Etat à travers trois grands points relatifs (i) aux priorités de développement, (ii) à l’organisation de l’occupation des espaces de vie et du temps de travail et (iii) aux modalités de gouvernance.
La priorité, investir dans le savoir et le bien-être
Faire focus sur les secteurs sociaux, socles des politiques de développement durable
L’avènement de la pandémie a mis à nu la vanité du tout libéral dans les pays développés qui se traduit, pour le secteur éducatif, par la segmentation des citoyens face à l’offre (France, Luxembourg, USA, etc.) et pour le secteur sanitaire, par la faillite du système de santé publique en France (hôpitaux fermés, personnels négligés) et dans le secteur social par la remise en cause de la protection sociale (CMU combattu par les Républicains et le Président Trump aux USA).
Le constat est le même au niveau des PED avec des décideurs, soumis, durant des années, au Consensus de Washington et à ses politiques de privatisation et de restriction budgétaires, ayant choisi de négliger les secteurs sociaux, exposant ainsi leurs populations à diverses menaces.
L’apparition du COVID 19 constitue incontestablement un déclic pour les élites des PED (africains, en général) confinées chez elles en raison de la fermeture des frontières et de la surcharge exponentielle des structures des pays occidentaux alors qu’elles ont œuvré au délitement de leur système de santé.
On peut en dire autant de l’Education fortement ébranlée par la pandémie qui a révélé l’ignorance d’importants segments de la population incapables de s’autonomiser en savoir et en pensée. Certains citoyens ont nié l’existence du coronavirus et n’ont pas pris au sérieux les mesures de prévention préconisées par les spécialistes alors que d’autres préfèrent ne recourir qu’aux prières.
Ces attitudes les ont parfois conduits à défier l’autorité publique en contrevenant aux mesures de confinement et/ou en s’insurgeant contre les forces de l’ordre en période d’Etat d’urgence (Sénégal, Rwanda, Italie…).
Le COVID 19 a donc contribué, s’il en était besoin, à mettre en exergue l’importance de lutter contre l’ignorance en promouvant la rationalité, la science. En effet, si nombre pouvoirs publics de PED ont été quasi paralysés dans les réactions qu’ils auraient dû déployer, en début d’épidémie, c’est surtout parce que le déni de virus, partagé par une armée de profanes prompts à se prononcer sur des matières sur lesquelles ils n’ont aucune compétence, a pris le dessus sur l’éclairage des sachants.
On ne peut parler de la Santé et l’Education sans évoquer le Service social fortement secoué par le COVID 19 dans les Pays développés (France, USA, Italie, Espagne) et si peu valorisé dans les PED. Pourtant, les intervenants sociaux sont les mieux armés pour gérer les individus et les groupes en situation de crise et pour opérer des interventions de renforcement psychologique. Ils sont également aptes à accompagner les animateurs et opérateurs de développement à autonomiser les populations.
Ramener la planification au-devant de la scène
Investir sur le savoir et le bien-être commence par avoir une lisibilité de l’environnement lointain et proche. C’est l’une des fonctions de la planification dont les défaillances dans les PED ont été mises en évidence avec la pandémie.
Pour pouvoir compter sur de systèmes de santé de qualité, déposer sa confiance dans des ressources humaines bien formées et faire face, de manière optimale, à une pandémie, il faut, d’abord, avoir envisagé son apparition et avoir anticipé sur les précautions au regard des leçons apprises de faits similaires ou d’une réalité approchante.
La planification, et, à travers elle, ses fonctions prospective et évaluative, devrait être réhabilitée en vue de faire office de boussole pour les politiques et stratégies de développement à travers des systèmes résilients.
Agir sur les modes d’organisation de l’espace et du temps
L’aménagement des horaires de travail
Réfléchir sur les modalités de mobilisation d’une masse critique de travailleurs pendant que d’autres sont libérés ou allégés de leurs devoirs contribuerait au mieux-être des actifs ainsi déchargés et donc à la vie économique du pays. En effet, à chaque période de repos, ces agents se déploieraient dans des occupations domestiques (aménagement d’intérieur, jardinage, encadrement enfants…), les loisirs, le shopping.
Pérenniser de telles mesures, largement adoptées avec la pandémie, favoriserait le plein épanouissement des actifs et, si l’on s’en rapporte aux célèbres expériences de Mayo, la productivité liée à l’amélioration du climat de travail. D’autres avantages pourraient se faire jour en termes de réduction de l’empreinte carbone, d’amélioration de la santé des citoyens et d’économies de ressources et de temps dans les affaires publiques, privées et/ou sociales.
En plus de cela, il convient d’apporter des innovations supplémentaires dans la GRH. Parmi celles-ci, soulignons la possibilité d’opérer des réorganisations en vue de faire débuter la journée de travail pour certains actifs à une heure h et pour d’autres à h+1, h+2…h+n.
Adopter l’administration électronique et le télétravail Les inefficacités de l’administration (publique ou privée) s’expliquent, en partie, par l’engorgement des lieux de travail par les citoyens (usagers ou clients) qui squattent les bureaux à cause de processus de travail sciemment allongés, ce qui est une source de tensions et de retards.
Pour pallier ces insuffisances, il convient de simplifier et de dématérialiser les procédures dont on oublie, à force de recourir à elles ou de se réfugier derrière leur froideur, qu’elles sont établies pour sécuriser les processus de travail et non pour les alourdir.
A l’image du chemin critique en planification qui accorde une importance toute particulière aux activités essentielles d’un projet, il faudra identifier les processus clé à conserver et passer à une étape supérieure qui serait de les mettre en ligne. Bénéficier d’un service à distance sans qu’il y ait besoin pour le citoyen (usager ou client) d’être en contact direct avec l’administration in situ renferme plusieurs avantages dont le moindre n’est pas la suppression de certains contacts corruptogènes entre agents publics et usagers.
Faciliter la vie au citoyen, c’est s’inspirer d’exemples probants de pays (Cap Vert, Maroc, …) où les bases de données sont très fonctionnelles (information demandée une seule fois et aussitôt répertoriée et partagée) dans le cadre d’une administration électronique et de processus intelligents (Estonie).
Ces défis appellent aussi de recourir au télétravail, adopté par les pays développés, dans le cadre d’alternatives complémentaires au travail sur site. Ce procédé a plusieurs avantages parmi lesquelles on peut citer la réduction des charges locatives pour les employeurs, ce qui peut contribuer à la réorientation de leurs investissements immobiliers vers d’autres destinations. Il est, d’ailleurs, très adapté au privé, en particulier dans le cadre de l’e-commerce, un secteur prometteur pour les PED.
L’aménagement des systèmes et modalités de paiement
Les villes frémissent comme des ruches lors des fins du mois qui constituent des périodes d’engorgement dans les PED. Au-delà des phénomènes de surcharge notés sur des infrastructures de transport, durant cette période, viennent se greffer une sollicitation intense des services et une fréquentation déraisonnable des sites du tertiaire marchand (banques, commerces, transports) ou non marchand (administration et secteurs sociaux).
Il importe donc faire bouger les lignes en élargissant les systèmes de paiement existant déjà (cartes bancaire, mobile money…) et, surtout, en agissant sur les moments de paiements, en particulier en s’inspirant de l’exemple de pays où il est d’usage de rémunérer périodiquement la force de travail (au jour le jour, pour une période de x jours, à la semaine ou au mois).
Une telle mesure favoriserait la circulation de l’argent puisque les ressources que détiendraient les salariés payés avant d’autres serviraient à tous lorsqu’ils sont réinjectés, par le moyen de la consommation, dans le cycle de l’économie.
Donner du sens à la bonne gouvernance
Donner du crédit à la transparence de l’information
Le COVID 19 est apparu sur terre comme Attila donnant matière à certains esprits à se convaincre de ce qu’ils faisaient face à un insurmontable fléau de Dieu. Sa propagation aurait pourtant pu être très tôt contenue si son environnement de départ n’était pas un pays où la circulation de l’information subit plusieurs filtres.
Ces filtres sont, en réalité, des instances ou niveaux de censure obérant l’efficacité de la décision ainsi que le Maire de Wuhan, dont on a voulu faire un bouc émissaire, a eu à le révéler. Les effets pervers de cette forme de capture de l’information ont conduit à la punition de journalistes, lanceurs d’alerte, et même de scientifiques obligés de faire fuiter le génome du coronavirus pour donner au reste du monde les moyens de contenir la propagation de la maladie qui n’avait pas encore atteint le stade de pandémie.
Les PED devraient en faire de la transparence de l’information une pierre angulaire de leur action car elle apporte ce surcroît de légitimité nécessaire aux décideurs politiques et leur permet de raffermir l’autorité de l’Etat à travers une meilleure assise de la citoyenneté et de l’exemplarité (l’exemple des Pays nordiques est édifiant à ce sujet).
Il n’y a pas de droits sans devoirs et l’autorité devrait pouvoir le faire comprendre à ceux qui l’ont élue même si pour cela il faut des renoncements. Il y a lieu, en effet, de bannir l’esprit partisan et de strictement respecter les prérogatives des arbitres institutionnels (comme ce fut le cas, en Afrique du Sud ou à Maurice avec une Justice exerçant son pouvoir fut-ce à l’encontre de la plus haute autorité).
Assainir le processus décisionnel
Le conseil est un élément important auquel s’adosse la décision car il permet d’avoir une diversité d’opinions de spécialistes et ainsi de minimiser l’erreur. Il aide à réduire les errements liés à l’asymétrie d’information ou à la rationalité limitée si chère à la science économique et pourtant si présente dans les processus managériaux.
Les expériences de gestion de crise en contexte de COVID 19 ont fini de révéler dans beaucoup de pays (France, USA, Sénégal…) combien il est important, dans le cadre de la délivrance de l’information, de calibrer les annonces en recourant aux principes de subsidiarité ou de délégation, de sorte que le niveau de décision le plus approprié puisse se prononcer en temps opportun.
Investir hâtivement sa parole dans certains sujets engage à l’erreur. L’information peut être partielle et ses réajustements amènent le message à évoluer. Ne pas prendre de tels éléments en considération peut contribuer à éroder la crédibilité du décideur qui donnerait ainsi l’impression de rien maitriser. En effet, la voix de l’autorité, si elle se fait rare, peut être mieux reçue.
C’est pourquoi, il convient de consolider l’Etat de droit propice à l’interaction sereine entre les différents protagonistes autour de consensus forts favorables à la sécurisation du processus décisionnel dans les cas d’urgence manifeste. Comme en atteste la gestion de la pandémie, rien n’est plus effrayant, en situation de péril, que l’image renvoyée par un décideur politique hésitant à prendre ses responsabilités parce qu’il craint d’être attaqué, dans ses propres rangs.
Pour conclure, on peut estimer qu’un des enseignements majeurs de la pandémie est l’urgence de remettre le savoir et l’orthodoxie à leur véritable place et de susciter l’humilité et le désir de l’excellence chez de nombreux ignorants qui constituent un danger pour tous.
L’expérience du confinement a poussé l’humanité à jeter un regard étonné sur sa fragilité (infection de Prince, ministres, décès de décideurs et de célébrités…) et fort heureusement aussi sur la réversibilité des dommages causés par ses modes de production et de consommation.
Les PED pourront tirer parti des leçons apprises du passage de COVID 19 s’ils reconsidèrent leurs modes d’action en vue d’améliorer l’organisation de leur espace de vie (social et professionnel) et leur temps de travail.
Oumar El Foutiyou Ba est écrivain, expert en Organisation.
MACKY SALL AVAIT DÉJÀ TROP DE POUVOIRS…
Les pleins pouvoirs au chef de l'Etat ? Il faudrait surtout songer, à l’avenir, quand survient une crise, à mettre en place un dispositif dans lequel se fondrait même le président de la République, au lieu de nous livrer à son seul bon sens…
Puisque nous en sommes encore au joyeux folklore, autant aborder dès maintenant les sujets qui fâchent. Dans peu de temps, il ne sera même plus possible de chahuter. Autant éviter de mourir idiot…
Ainsi donc, le sort en est jeté. 33 députés ont pu décider pour les 16 millions de Sénégalais, dans un moment aussi crucial ? Quand on vous dit depuis longtemps qu’il y a au moins 100 députés qui ne servent à rien. Ce qui en ressortira ? Des nouveaux riches et des nouveaux pauvres. Pour ne rien changer ! Si ce n’était que ça… Combien de ministères se révèlent inutiles depuis le déclenchement de la crise ? Au fond, le Sénégal étant ce qu’il est, c’est-à-dire un pays fragile où la majorité vit en état d’urgence permanent, n’est-ce pas le seul mode de gouvernement adéquat ? Donner la priorité à la santé, la sécurité, l’éducation et l’économie. Les autres suivront la marche ou se débrouilleront…
Les pleins pouvoirs à Macky Sall ? Il faudrait surtout songer, à l’avenir, quand survient une crise, à mettre en place un dispositif dans lequel se fondrait même le président de la République, au lieu de nous livrer à son seul bon sens… A ce stade des responsabilités, une erreur de jugement conduit facilement à une hécatombe. Ce n’est pas seulement au plan sanitaire : les routes mal construites, les investissements surréalistes, les marchés publics traficotés, les crétins nommés aux postes de commande si ce n’est aux emplois fictifs… Pourquoi pensez-vous à la noria de PCA ? Dans un pays comme le nôtre, tout faux pas de l’Etat est meurtrier, et chacun des errements du président est assassin !
On ne le répètera jamais assez, question pouvoirs, Sa Rondeur en a déjà trop, et bien avant l’état d’urgence. Par la fonction présidentielle, d’abord, qui octroie à son titulaire des pouvoirs exorbitants. Ensuite, à titre purement subjectif, il y a tous ceux aux yeux desquels Macky Sall n’est pas à la hauteur de la fonction. Ils font, aux dernières nouvelles, 42 % des électeurs… Mais puisque 58 % de Sénégalais honnêtes, majeurs et vaccinés sont de l’avis contraire, on fera avec.
Dans cette crise du coronavirus, qui suscite la peur, ce terreau fertile à toutes les impostures et toutes les capitulations, on a vite fait d’accorder au chef de l’Etat un droit de vie et de mort sur nous autres, ridicules et insignifiants mortels. L’état d’urgence, proclamé solennellement et accueilli avec soulagement à l’unanimité, donne au président de la République, non pas davantage de pouvoirs de décisions mais plus de droit aux raccourcis. Disons-le tout net : Macky Sall, depuis sa première investiture, en 2012, est loin de faire l’unanimité. Coronavirus ou pas, ils sont une petite foule à ne jamais lui décerner carte blanche et si ça ne tenait qu’à eux, notre sort à tous ne dépendrait ni de lui, ni de sa smala.
Nous autres, simples Sénégalais, avec au compteur 195 concitoyens officiellement infectés par le coronavirus, sommes prêts à tout pour juguler le fléau qui s’abat sur cette pauvre Nation sans défense… Sauf que dans la précipitation à déléguer des pouvoirs à nos sauveurs, les gouvernants, nous sommes prêts à aliéner ce que nous avons de plus cher, y compris notre dignité d’humain. Jusqu’au policier anonyme qui peut bastonner qui il veut, la nuit tombée, sous les applaudissements de la foule et les vivats des réseaux sociaux.
Même dans le cas où la gestion des affaires publiques et la probité de ses acteurs seraient indiscutables, le doute raisonnable devrait nous habiter et nous accompagner partout et tout le temps, et notre esprit critique s’exprimer davantage lorsque les temps deviennent troubles.
Pour un journaliste iconoclaste, spectateur sceptique de nos sénégalaiseries, il ne saurait être question de renoncer à sa raison de vivre, sa liberté de pensée et de l’exprimer, pour quelque raison que ce soit. D’abord parce que rien ni personne n’a prouvé, à ce jour, qu’il faille suivre un individu les yeux fermés. L’imperfection étant humaine, ce n’est surtout pas aujourd’hui, devant le spectacle affligeant du cirque national, qu’il y aura lieu d’en douter.
EN AFRIQUE, LE CORONAVIRUS MET EN DANGER LES ÉLITES DIRIGEANTES
Bloqués chez eux par les suspensions des vols suivies des fermetures de frontières, les voilà soudain confrontés aux conséquences concrètes de leurs politiques sur un continent qui se contente de seulement 1 % des dépenses mondiales de santé
Le Monde Afrique |
Joan Tilouine |
Publication 04/04/2020
Le Covid-19 menace une classe politique mondialisée et voyageuse, autant qu’elle met à nu leurs défaillances en matière de santé publique.
A Londres, Abba Kyari avait ses habitudes dans l’hôpital où il était soigné par des médecins de renom. Parfois, ce septuagénaire à la santé fragile quittait discrètement Abuja, la capitale fédérale nigériane, dans l’urgence. Ces dernières années, son ami, le président Muhammadu Buhari, 77 ans, dont il est le chef de cabinet, s’est lui aussi absenté du pays plusieurs mois durant pour traiter ses problèmes de santé au bord de la Tamise. De retour de Londres, l’une des neuf filles du chef de l’Etat a été diagnostiquée positive au Covid-19 et placée en quarantaine. Abba Kyari, lui, a probablement contracté le coronavirus lors d’une récente mission en Allemagne.
Le plus influent des conseillers de M. Buhari, testé négatif au Covid-19, se retrouve contraint de se soigner dans son pays, première puissance économique d’Afrique, qui consacre à peine plus de 4 % de son budget à la santé. « J’ai pris mes propres dispositions en matière de soins pour éviter de surcharger davantage le système de santé publique, qui est soumis à tant de pressions », a tenu à préciser dans un communiqué M. Kyari, sans doute peu désireux de s’infliger le calvaire des hôpitaux publics négligés par son administration.
Le Covid-19 n’épargne pas la classe dirigeante africaine, globalisée et voyageuse, clientèle dépensière dans les prestigieux hôpitaux d’Europe, d’Asie, de Suisse, d’Arabie saoudite ou d’Israël. Ils sont même les premiers touchés. Bloqués chez eux par les suspensions des vols suivies des fermetures de frontières et des mesures de confinement, les voilà soudain confrontés aux conséquences concrètes de leurs politiques sur un continent qui se contente de seulement 1 % des dépenses mondiales de santé, et se débat avec deux docteurs pour 10 000 habitants.Les hôpitaux publics d’Afrique ne disposent en moyenne que de 1,8 lit pour 1 000 personnes. Les conditions de prise en charge dans ces établissements sont régulièrement dénoncées, parfois images à l’appui, accompagnées du hashtag #BalanceTonHopitalsur les réseaux sociaux francophones.
« Pris à leur propre piège »
« Premiers concernés par le Covid-19, les dirigeants doivent à la fois se soigner ou se protéger, tout en essayant de gérer cette crise et de masquer leurs échecs en matière de santé publique, constate Jean-Paul Bado, historien franco-burkinabé de la santé et de la médecine en Afrique. Ils sont en quelque sorte pris à leur propre piège et c’est une première. » Du Mali au Zimbabwe, de la République démocratique du Congo (RDC) à la Côte d’Ivoire, les chefs d’Etat, leurs conseillers et leurs ministres de même que leurs proches peinent à contenir leurs inquiétudes au gré des résultats rendus par les rares tests disponibles sur le continent. Comme autant de verdicts sanitaires augurant des changements subis de gouvernance.
Des gouvernements et des Parlements entiers sont confinés. Des Etats se retrouvent paralysés sur le plan politique, ou techniquement ralentis. Au Burkina Faso, par exemple, au moins six ministres, dont deux guéris, et le chef d’état-major général des armés sont ainsi infectés. Le Covid-19 a pris la forme d’un virus politique et urbain d’abord, révélateur des défaillances des pouvoirs en place. Pour John Nkengasong, directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC-Africa) rattaché à l’Union africaine, « les politiciens sont les premiers responsables des faiblesses des systèmes et infrastructures de santé et les premiers à devoir trouver des solutions, dans l’urgence ». Ce virologue camerounais craint « le pire », faute de ressources disponibles. « Si le Covid-19 a, dans certains pays africains, affecté d’abord les élites, il se répand désormais dans les quartiers populaires où les indicateurs d’accès aux soins sont aussi préoccupants que les risques d’une propagation rapide », dit-il.
Comment justifier auprès de la population la disponibilité d’un seul respirateur artificiel dans les hôpitaux publics de Conakry, la capitale de la Guinée, où un premier cas a été diagnostiqué mi-mars ? Le pouvoir, de plus en plus contesté, du président Alpha Condé avait pourtant feint de renforcer les capacités médicales après l’épidémie due au virus Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016 qui avait fait 11 300 morts.
« Le Covid-19 est perçu par une partie de la population guinéenne comme un virus importé du Nord par les élites occidentales et locales. Ces dernières ne se sentaient pas vraiment menacées par Ebola, un danger venu de la brousse, à l’intérieur du pays », observel’anthropologue de l’Ecole nationale supérieure de Lyon, Frédéric Le Marcis. Depuis Conakry où il exerce pour l’Institut de recherche pour le développement, ce chercheur note que « le contexte électoral [législatives et référendum constitutionnel organisés le 22 mars] a nui à l’efficacité de la réponse politique et sanitaire à l’épidémie, du moins au début. En outre, les élites contaminées ont traité le coronavirus avec une certaine légèreté, y compris pour leur propre cas. »
En RDC, il n’y a qu’une cinquantaine d’appareils d’assistance respiratoire pour plus de 80 millions d’habitants vivant sur un territoire aussi vaste que l’Europe occidentale. Certains pays du continent n’en disposent d’aucun en état de fonctionner. Ce qui renforce les angoisses dans les villes, où le confinement – parfois imposé par la force militaire et mal expliqué – peut être perçu comme une oppression de plus et une asphyxie de la si vitale économie informelle. Le tout conjugué à un risque de pénurie alimentaire.
« Procès populaires contre l’Etat »
L’historien et archiviste paléographe sénégalais Adama Aly Pam voit là les conditions réunies pour qu’émergent des mouvements urbains de protestation menés par ceux qui n’ont rien à perdre à défier des régimes jusque-là indifférents à leur santé, à leur vie. « Les centres urbains d’Afrique sont d’extraordinaires lieux de ségrégation, que ce soit par le pouvoir, l’argent, le logement et l’accès aux soins, explique l’intellectuel. Cette pandémie exacerbe les inégalités sociales et renforce les sentiments d’injustice face à la santé. Elle augure forcément des contestations politiques en Afrique ».
Au risque de voir ces éventuelles agitations sociales affaiblir des régimes dirigés par des chefs d’Etat âgés, à la santé fragile, et qui peinent à entretenir l’illusion d’un pouvoir fort ?Des régimes autoritaires en Afrique subsaharienne pourraient se révéler « incapables de démontrer un minimum de prise face aux chocs sanitaires et économiques [et] pourraient être fortement contestés », écriventdesdiplomates du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère français des affaires étrangères dans une note rendue publique par Le Monde. « Plusieurs Etats fragiles vont se trouver encore davantage contestés, et incapables d’assumer leurs responsabilités régaliennes et westphaliennes », se risquentàprédire ces analystes français.
Dans une autre étude consacrée à l’Afrique, dévoilée par le journal économique La Tribune et que Le Monde Afrique s’est procurée, le CAPS évoque un « virus politique » et n’exclut pas que « cette crise pourrait être le dernier étage du procès populaire contre l’Etat. » Plus que le patient zéro, c’est le « mort zéro » présidentiel et une propagation massive du Covid-19 déclencheur d’incertaines révoltes qui créent la panique dans certains cénacles de pouvoir.
"SENGHOR NE SÉPARE PAS LA POÉSIE DE LA POLITIQUE"
De Joal où il voit le jour en 1906, à Verson, où il meurt en 2001, Léopold Sédar Senghor marque le XXe siècle de ses talents littéraires autant que politiques. Le critique littéraire Boniface Mongo-Mboussa revient sur la dualité d’un homme exceptionnel
De Joal, au Sénégal, où il voit le jour en 1906, à Verson, en France, où il meurt en 2001, Léopold Sédar Senghor marque le XXe siècle de ses talents littéraires autant que politiques. Le critique littéraire Boniface Mongo-Mboussa revient sur la dualité d’un homme exceptionnel.
Boniface Mongo-Mboussa : L’œuvre de Senghor est une ode à l’Afrique. Cet éloge du continent s’opère à la fois sur le plan intellectuel et poétique. Du point de vue intellectuel, c’est la valorisation de l’art nègre ; sur le plan poétique, c’est la célébration de la femme africaine, des paysages et des civilisations du continent.
Senghor est un poète élégiaque, un poète de la mémoire. Un homme travaillé par la fuite du temps, partagé entre un passé harmonieux perdu à jamais - le fameux royaume d’enfance -, un présent violent, insaisissable, et un futur hypothétique, dont l’issue est fatalement la mort. Dans tout cela, le poète se veut Dyali(griot), avec une mission bien précise : glorifier son lignage, ses amis, ses morts, son pays et sa civilisation.
Pourquoi le Normalien passionné de littérature s’engage-t-il en politique ?
Senghor a toujours pensé qu’il était tombé en politique. On ne l’a jamais cru, du moins pas tout à fait. Et pourtant, il ne mentait pas en disant cela. La politique l’a rattrapé au pays en 1945, alors qu’il était venu collecter la poésie orale sérère pour l’écriture d’une thèse.
Sollicité avec insistance par Lamine Gueye pour être candidat au deuxième collège pour l’élection au poste de député de l’Union française à la Constituante, il a fini par accepter l’offre de Lamine Gueye et de la S.F.I.O. Ensuite, tout s’enchaîne. En 1956, il est nommé secrétaire d’État à la présidence du Conseil dans le gouvernement d’Edgar Faure. En 1959, il est élu président de l’Assemblée de l’éphémère fédération du Mali. Le 5 septembre 1960, il est élu président du Sénégal pour un mandat de 7 ans. Il sera réélu en 1963, 1968, 1973 et 1978. Le 3 décembre 1980, il se démet de ses fonctions présidentielles au profit d’Abdou Diouf.
Au long de ces vingt ans de présidence, est-il resté poète ?
Senghor a dirigé son pays en professeur. C’est-à-dire avec méthode et esprit d’organisation, deux valeurs chèrement acquises chez les Pères blancs et à Khâgne à Paris ! Sa vie dans l’année était ainsi organisée : pendant la saison scolaire, il est président au Sénégal ; en été, il est poète en Normandie, à Verson, patrie de sa seconde épouse Colette Hubert. Dans sa poésie, je l’ai dit, il célèbre la culture africaine ; dans sa politique, il donne la primauté à la culture sur l’économique. Senghor ne sépare pas la poésie de la politique. Pour lui, « interpréter poétiquement le monde » ne s’oppose pas à le « changer » politiquement. D’où ce beau titre, Poésie de l’action, qu’il donne à son autobiographie intellectuelle et politique, parue en 1980.
Les valeurs défendues dans son œuvre sont-elles celles appliquées dans sa politique ?
Dans sa poésie, il célèbre sa terre natale, la fraternité, la fidélité, la mémoire, la dignité, l’honneur, la bravoure. En politique, il a été très digne. Il prône l’enracinement tout en s’ouvrant en monde, à la France. D’où la francophonie. On le lui a reproché. C’était oublier son sens de la fidélité. Il savait ce qu’il devait à la France, aux Pères blancs qui l’ont éduqué, à ses maîtres de Louis-Le-Grand, à son condisciple Pompidou, à Paris.
Dans l’affaire qui l’oppose à Mamadou Dia, est-il encore fidèle à ces valeurs ?
À l'indépendance, Senghor hésite encore entre la vie politique et la carrière de professeur, surtout de poète. Il doute de la solidité des « républiquettes » issues de la balkanisation de l’Afrique. Mamadou Dia, lui, n'a pas ces états d'âme. Il prend sa fonction de président du Conseil - qui conduit l'action du gouvernement - très au sérieux. Il impose un système d'économie agricole qui prend de court les marabouts féodaux, la chambre de commerce de Dakar et les intermédiaires, dont certains sont membres de l'Assemblée nationale.
Irrités, ces derniers l'accusent d’autoritarisme - ce qui est en partie vra-, collectent des signatures pour une motion de censure. Dia se cabre, fait évacuer l'Assemblée et arrête quatre députés leaders. Mais les députés se retrouvent au domicile de Lamine Gueye, le président de l'Assemblée, et votent la motion de censure. Dia est accusé d'avoir fomenté un coup d'État - un coup d'État constitutionnel. Et il est condamné.
Une condamnation si sévère qu'elle divise encore la société sénégalaise. Ce que beaucoup de Sénégalais reprochent à Senghor, ce n'est pas tant le fait d'avoir arrêté Dia. Ce dernier avait par impulsivité violé la constitution. Ce qu’ils reprochent à Senghor, c'est la sévérité avec laquelle il s'est servi de cette opportunité pour se débarrasser de Dia, qui commençait à lui faire de l'ombre. Dans ce conflit, Senghor a agi avec méthode, sang-froid et ruse. Il avançait masqué derrière les députés ; Dia, lui, entier et droit, n’a pas fait dans la dentelle. D'où sa chute. Encore une fois, Senghor a prouvé qu'il pouvait être poète et politicien.
Mais, finalement, a-t-il été plutôt un président ou plutôt un poète ?
Finalement… Un poète-président ! Pas l’un sans l’autre. Mais s’il fallait choisir, sans hésiter, il aurait choisi le poète. Il n’était pas dupe de la vanité de la gloire politique. Il a toutefois assumé avec rigueur et dignité ses deux fonctions. En cela, il a porté un démenti à l’injonction de Platon, qui interdisait au poète le droit de diriger la cité.
VIDEO
CINQ MOMENTS CLÉS D'UN PARCOURS DÉMOCRATIQUE
Le Sénégal fête cette année 2020, comme plusieurs autres États africains, 60 ans d’indépendance. Un parcours qui a permis au pays, en dépit de quelques soubresauts de s’ériger en modèle démocratique. Retour sur cinq dates qui ont fait l’histoire
Laurent Correau et Christophe Boisbouvier |
Publication 04/04/2020
• 1962 : la rupture Léopold Sédar Senghor – Mamadou Dia
Deux ans après l’indépendance, les relations entre le président de la République Léopold Sédar Senghor et le président du conseil Mamadou Dia ont été abîmées par les jeux politiques internes à l’UPS (Union progressiste sénégalaise, le parti au pouvoir), et par les manœuvres de certains membres du parti. Les débats du 3e congrès de l’UPS voient les partisans des deux hommes s’affronter. Les rivalités se cristallisent également un long moment sur le contenu d’un remaniement ministériel.
L’idée d’une motion de censure prend corps chez les anti-diaistes. Les signatures sont rassemblées par Magatte Lô, qui s’ouvre de son projet à Senghor. Le vendredi 14 décembre 1962, le texte de la motion est déposé par le représentant de Gossas dans le Sine-Saloum, Théophile James. Il a été signé par une quarantaine de députés. Il reproche à Mamadou Dia le maintien de l’état d’urgence qui avait été mis en place en 1960 au moment de l’éclatement de la Fédération du Mali.
Le vote de cette motion de censure doit avoir lieu trois jours après le dépôt. Le Bureau politique de l’UPS essaie donc de se pencher sur la situation, sans parvenir à rapprocher les points de vue. Mamadou Dia en appelle au Conseil National, proposant même de démissionner s’il est désavoué lors de cette prochaine réunion… mais les anti-diaistes refusent de retarder l’examen de la motion de censure. La question devra donc être abordée le lendemain, le lundi 17 décembre, au cours d’une réunion commune du bureau politique et des députés.
Une ultime rencontre le 17 dans la matinée entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia ne fait qu’accroître le malaise. Et quand Dia apprend que l’Assemblée examinera bel et bien la motion de censure dans l’après-midi, sans même attendre la réunion prévue du bureau politique et des députés, il se sent pris au piège. Il décide d’empêcher cet examen, convaincu qu’il revient au Conseil National de se réunir et de décider de son sort.
Sur ses instructions, gendarmes et gardes républicains entrent dans l’Assemblée nationale le 17 décembre à la mi-journée et procèdent à l’arrestation de quatre députés. Le camp senghorien ne tarde pas à répliquer : les parachutistes, qui avaient été chargés d’assurer la garde du palais présidentiel, sont envoyés libérer ces quatre députés retenus au Commissariat central, et on leur demande de faire lever le cordon de gendarmerie qui interdit l’accès à l’Assemblée. Ils s’acquittent de cette mission sans effusion de sang. Les parlementaires se sont cependant, entretemps, retrouvés au domicile de Lamine Gueye où ils ont voté la motion de censure.
Le lendemain, Léopold Sédar Senghor enregistre une déclaration dans laquelle il dénonce « une violation délibérée de la Constitution de la République ». Mamadou Dia et quatre ministres proches de lui sont arrêtés.
Le 9 mai 1963, la Haute Cour de Justice condamne Mamadou Dia à une peine de détention à perpétuité. Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Valdiodio Ndiaye sont condamnés à vingt ans de prison. Cinq années d’emprisonnement sont infligées à Alioune Tall. Tous sont incarcérés au centre pénitentiaire spécial de Kédougou. Cet épisode marque la fin du bicéphalisme à la tête de l’État : la Constitution de la Deuxième République en 1963 prévoit un régime de type présidentiel. Les prisonniers de Kédougou, eux, seront graciés en 1974 puis retrouveront leurs droits civiques deux ans plus tard.
• 1968 : Le pouvoir de Senghor est ébranlé par les étudiants et le mouvement syndical
En cette première décennie de l’indépendance, de plus en plus d’étudiants rejoignent l’Université de Dakar. Pour offrir à tous un pécule sans grever son budget, le pouvoir a décidé de fractionner certaines bourses (certains étudiants toucheront les deux tiers ou la moitié du montant). Il a aussi décidé de ne plus faire de versements pendant les deux mois de vacances. Les étudiants ne sont pas prêts à l’accepter. Ils protestent aussi contre le fait que l’Université de Dakar « n’est en réalité qu’une Université française installée au Sénégal ». L’Union démocratique des étudiants sénégalais (UDES) est le fer de lance de la contestation. Le 24 mai 1968, dans la soirée, il décrète une grève illimitée des cours et le boycott des examens. Les étudiants sont suivis par les élèves des lycées. Mercredi 29 mai, dans la matinée, un escadron de gendarmerie reçoit l’ordre de vider l’université et la cité universitaire. « Le heurt fut sévère, mais dura peu, explique l’historien sénégalais Omar Gueye dans l’ouvrage qu’il a consacré à ces événements Mai 1968 au Sénégal :" Senghor face aux étudiants et au mouvement syndical " : tout au plus 20 à 30 minutes où s’exprimèrent grenades lacrymogènes, jets de pierres, coups de crosse, saccage des locaux et autres brutalités, puis les étudiants cédèrent. » Les autorités affirment que l’opération a fait un mort et 69 blessés, les tracts syndicaux de l’époque parlent plutôt, eux, de 4 morts et 292 blessés.
Le mouvement étudiant, qui est dirigé notamment par les jeunes leaders marxistes d’un parti clandestin, le Parti africain de l’indépendance (PAI), fait jonction avec le mouvement syndical. L’Union nationale des travailleurs sénégalais (UNTS) lance un mot d’ordre de grève générale pour le 30 mai à minuit. Le même jour à 20H, Senghor fait à la radio un discours fleuve, mais sans rien annoncer de nouveau. Le soir-même, il instaure le couvre-feu et confie le maintien de l’ordre à l’armée et à son chef, le général Jean-Alfred Diallo. Le 31 mai au matin, quelque 200 syndicalistes qui tenaient meeting à la Bourse du travail de Dakar sont arrêtés. Des émeutiers s’approchent du Palais présidentiel. L’armée réprime durement : deux morts, de nombreux blessés et quelque 900 arrestations. Le 9 juin, les syndicalistes sont libérés. Le 13 juin, Senghor accepte une augmentation de 15% du SMIG. Et quelques mois plus tard, il accorde aux étudiants une revalorisation de leurs bourses. L’alerte a été chaude. En février 1970, Senghor, qui gouvernait seul depuis l’arrestation de Mamadou Dia, en décembre 1962, crée un poste de Premier ministre, qu’il confie à Abdou Diouf.
• 1974 : Abdoulaye Wade est autorisé à créer le PDS
Quand Abdoulaye Wade rentre au Sénégal en 1973, il est bien décidé à participer aux affaires publiques de son pays. Mais avec le système de parti unique de fait, bâti autour de l’UPS, il ne peut accéder à aucun poste à responsabilité. Il s’engage donc en suivant d’autres voies : avec quatre compatriotes, il initie le « Manifeste des 200 » qui, sans critiquer le gouvernement, effectue des propositions dans les principaux domaines de la vie du pays. « Cette initiative prit une telle ampleur, se souvient Abdoulaye Wade dans le livre d’entretiens " Une Vie pour l’Afrique ", que certains signataires nous demandèrent de créer un mouvement ». La décision de lancer un parti est prise. « Je donnais mon accord, à la condition qu’il me fût permis d’en parler préalablement à Senghor », dit-il plus tard. Le sommet des chefs d’État de l’OUA de Mogadiscio, du 12 au 16 juin 1974, lui en fournit l’occasion. Wade y assiste en tant qu’expert. À la demande de son directeur de cabinet, Moustapha Niasse, Senghor le reçoit et lui donne son accord. Abdoulaye Wade indique à la presse que ce parti sera un « parti de contribution ». Le PDS (Parti démocratique sénégalais) est reconnu le 8 août 1974. Il parvient rapidement à s’installer à l’intérieur du pays. En mars 1975, il revendique déjà 46 000 adhérents. Le mot d’ordre dont il se dote un jour de 1975, « Sopi » (changement en wolof) entre dans l’histoire. « L’idée du Sopi, explique Abdoulaye Wade, est venue une nuit que nous tenions une réunion en petit nombre à Pikine, le grand dortoir de Dakar, dans la cour d’une maison. C’était en 1975. Les gens faisaient des discours tonitruants. Nous étions surchauffés et nous disions :" il faut ‘Sopi’ – changer – le pays ". Cela fit tilt dans ma tête, car je venais d’avoir mon slogan. Je le gardai pour la fin. Comme la règle veut que je parle le dernier pour clôturer la réunion, après un vigoureux discours, je terminai par " Sopi ! Sopi ! " Tout le monde reprit et nous sortîmes de la maison en criant " Sopi ! Sopi ! " »
La création du PDS incite d’autres hommes politiques à exploiter les velléités d’ouverture du régime et le pouvoir décide, au travers de la révision constitutionnelle du 19 mars 1976, de la mise en place d’un système tripartite dans lequel chacun des trois partis autorisés représentera une sensibilité politique : libéral et démocratique, socialiste et démocratique, marxiste-léniniste ou communiste. Cette typologie mécontente en dehors de l’UPS. L’historien Cheikh Anta Diop, qui a déposé les statuts de son parti dès février, refuse de s’y plier et introduit un recours devant la Cour suprême. En janvier 1978, le nombre de partis politiques légaux passe à quatre. Il faut attendre 1981, après l’arrivée au pouvoir d’Abdou Diouf, pour que le nombre de partis ne soit plus limité.
• 1981 : Abdou Diouf succède à Léopold Sédar Senghor
Quand Diouf arrive au sommet de l’État, cela fait presque onze ans qu’il est Premier ministre de Senghor. La réforme constitutionnelle du 6 avril 1976 en a fait le successeur désigné : elle a prévu qu’en cas d’empêchement du président de la République, le Premier ministre exerce ses fonctions jusqu’à la fin du mandat en cours. Début 1980, le président sénégalais indique à son Premier ministre que sa décision est prise : il entend lui remettre les rênes du pouvoir à la fin de l’année. Le 31 décembre, Léopold Sédar Senghor remet sa lettre de démission au premier président de la Cour suprême. Il explique le soir dans un message à la nation les raisons de sa décision, évoquant son âge (74 ans) et sa foi en l’alternance générationnelle. Abdou Diouf prête serment le 1er janvier 1981. Il nomme immédiatement Habib Thiam, auquel le lie une solide amitié, comme Premier ministre.
• 2000 : Première alternance démocratique, Abdoulaye Wade est élu président
Février 1983, février 1988, février 1993… À chaque élection présidentielle, Abdoulaye Wade est officiellement battu par Abdou Diouf, au terme de scrutins dont la transparence est contestée par l’opposition et plusieurs observateurs étrangers. Mais à chaque élection, l’opposant gagne en popularité face à un régime qui n’a pas changé depuis 1960. À partir de 1988, le tribun Wade commence à capitaliser sur le ras-le-bol grandissant d’une bonne partie de la jeunesse sénégalaise. L’opposant se jette à corps perdu dans la bataille politique au cri de « Sopi ». Des dizaines de milliers de jeunes chômeurs courent à ses meetings, où il dénonce « l’État-PS ».
En 1994, quand il croupit près de cinq mois en prison et ne sort qu’après une grève de la faim, Wade semble pourtant résigné. « L’opposition et les masses réclament l’alternance, mais le pouvoir la refuse et nous n’arrivons pas à nous en débarrasser. Nous sommes donc dans une situation de blocage », confesse-t-il en juillet 1994, dans une étonnante interview à Jeune Afrique.
« L’État-PS » est-il une citadelle imprenable ? À l’issue des législatives de mai 1998, que les socialistes au pouvoir emportent une nouvelle fois, Wade semble abattu. Avec son épouse, il quitte sa villa du quartier résidentiel du Point E, à Dakar, et se retire dans son pavillon de Versailles, près de Paris, où il médite pendant une longue année. Dans le camp du président Abdou Diouf, on se frotte les mains à l’idée d’une présidentielle sans Wade en février 2000…
Mais pour convaincre Wade de repartir à la bataille, le n°2 du PDS, Idrissa Seck, trouve deux arguments. D'abord, pour la première fois, un Observatoire national des élections (ONEL) garantit une certaine transparence du fichier électoral. De plus, après 38 ans de règne sans partage, le PS s’effrite. Deux ténors du parti, Djibo Leyti Ka et Moustapha Niasse, viennent d’entrer en dissidence contre Abdou Diouf. En octobre 1999, le septuagénaire se décide à rentrer. À son arrivée à Dakar, Abdoulaye Wade est accueilli par une marée humaine. En janvier-février 2000, la campagne est exaltée. Aux grands meetings du PS pour le candidat Diouf, le candidat Wade répond par l’organisation d’impressionnantes « marches bleues », de la couleur emblématique du PDS. Les mots se durcissent. Sur RFI, Wade déclare : « Le seul arbitre qui existe aujourd’hui, c’est l’armée ». En privé, il affirme même accepter l’idée d’une prise de pouvoir par les militaires, « quitte à ce qu’ils le gardent un temps ». Car à son avis, « une transition en uniforme reste une transition, alors que le règne de Diouf est sans fin ».
Le 27 février, il se passe quelque chose d’impensable. Pour la première fois depuis l’indépendance, quarante ans plus tôt, le candidat de « l’État-PS » est mis en ballotage. Diouf vire en tête avec 41,3% des voix, mais Wade le talonne avec 31%. Et le troisième, le dissident socialiste Niasse, demande à ses partisans – 16,7% des électeurs – de voter Wade au second tour. Pendant la campagne du deuxième tour, le camp Diouf, dirigé par l’énergique Ousmane Tanor Dieng, le stratège du PS, tente un sursaut. Mais la vague du « Sopi » est trop forte. Le 19 mars, au soir du second tour, grâce à une toute nouvelle invention – le téléphone portable –, les radios libres communiquent en direct les résultats bureau de vote par bureau de vote. Presque partout, Wade est en tête. Un meeting géant s’improvise devant la villa du Point E, où le candidat du « Sopi » annonce sa victoire devant une foule en délire.
Ce même soir du 19 mars 2000, il règne une toute autre atmosphère au palais présidentiel. Abdou Diouf est en contact téléphonique permanent avec son ministre de l’Intérieur, le général Lamine Cissé, qui, département par département, lui égrène les mauvais résultats. Puis le président sortant s’isole et se mure dans le silence. Le matin du 20 mars, aux alentours de 10h30, après une longue nuit de réflexion, Abdou Diouf appelle Abdoulaye Wade et le félicite de sa victoire. C’est le basculement. Et par ce geste, Abdou Diouf rentre dans l’histoire.
LES ÉTAPES D'UNE INDÉPENDANCE
Le 4 avril 1960, date de signature des accords de dévolution du pouvoir à la Fédération du Mali, a été retenue comme date de commémoration de l’indépendance du Sénégal. Elle est en fait une étape parmi d’autres d'un processus qui s’accélère de 1959 à 1960
Lors du référendum sur la constitution de la Ve République française, le 28 septembre 1958, les pays d’Afrique francophone ont voté pour le maintien de leur pays dans la « Communauté » proposée par Paris. Seule la Guinée a voté contre. Mais au sein de cette Communauté, les positions du Sénégalais Léopold Sédar Senghor et de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny s’opposent. L’un veut travailler à l’unité africaine en passant d’abord par des fédérations sur le type de l’AOF (Afrique occidentale française) et de l’AEF (Afrique équatoriale française). L’autre défend des liens directs entre la France et les pays africains.
En novembre 1958, le président du Grand Conseil de l’AOF, Gabriel d’Arboussier, présente une étude détaillée sur la question d’une « fédération primaire ». Il en détaille les grandes lignes lors d’une conférence de presse. La mise en place d'organes fédéraux, explique-t-il, est la seule solution qui permettra à l'Afrique de surmonter ses divisions internes tout en respectant la personnalité de chaque territoire. Elle permettra aussi, il en est convaincu, d’accélérer la marche du progrès économique et social.
Décembre 1958, la réunion fondatrice de Bamako
Les fédéralistes se retrouvent les 29 et 30 décembre à Bamako, en plénière puis en commissions. Félix Houphouët-Boigny, en désaccord complet avec leurs options, a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne serait pas présent. Dans la proclamation effectuée par les délégués à l’issue des travaux, le Soudan (actuel Mali), le Dahomey (actuel Bénin), le Sénégal et la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) expriment « la volonté de former entre les États d’Afrique occidentale membres de la Communauté, une fédération primaire ». La réunion d’une Assemblée fédérale constituante est prévue. Celle-ci se réunit à Dakar du 14 au 17 janvier 1959 et établit la loi fondamentale de la « Fédération du Mali », du nom d’un ancien empire ouest-africain.
La Haute-Volta et le Dahomey se désolidarisent cependant du projet. À Ouagadougou, le président du conseil de gouvernement, Maurice Yaméogo, se laisse convaincre d’abandonner l’approche fédéraliste et fin février 1959, il soumet aux députés un projet de constitution dans lequel « la Haute-Volta adhère individuellement à la Communauté ». Il explique : la Fédération du Mali risque de constituer un écran entre la Haute-Volta et la Communauté… L’économie voltaïque est trop imbriquée à l’économie ivoirienne pour regarder vers Dakar plutôt que vers Abidjan. Même changement d’avis chez Sourou Migan Apithy, qui dirige le gouvernement provisoire de la République au Dahomey. Présent à la réunion fondatrice de Bamako, il refuse de participer à la Constituante de Dakar - il est passé entretemps par Paris. Il ne cache bientôt plus « sa profonde conviction que la Constitution fédérale était de nature à nuire au libre épanouissement de l’économie du Dahomey ». Il se rapproche des anti-fédéralistes dahoméens, qui remportent les élections législatives du 2 avril.
Le Sénégal et le Soudan restent donc seuls à bord du projet fédéral. En septembre 1959, Mamadou Dia et Modibo Keïta indiquent aux autres pays de la Communauté leur décision de faire valoir le droit à l’indépendance de la Fédération du Mali. En décembre, à Saint-Louis, De Gaulle manifeste publiquement son accord avec la démarche engagée. Il adresse ses salutations à « Ceux du Mali » et déclare que cette évolution « s’est produite et continue à se produire, non seulement avec l’accord, mais avec l’aide de la France ».
La Fédération du Mali à l'épreuve
Les négociations débutent le 18 janvier 1960. Elles se terminent le 4 avril (date retenue, donc pour marquer l’indépendance sénégalaise). Des accords franco-maliens de transfert de compétences sont paraphés pour certains, signés pour d’autres sous les ors de l’hôtel Matignon à Paris. Modibo Keïta prend la parole pour la Fédération du Mali : « À une indépendance arrachée dans le sang, dit-il, nous avons préféré l'indépendance acquise dans l'amitié avec la France. »
Les accords sont ratifiés en juin par les deux États, qui votent également le transfert au Mali des compétences communes. Le 20 juin, l’indépendance de la Fédération du Mali est solennellement proclamée à Dakar.
Les tensions ne tardent pas à naître, autour de la désignation des dirigeants de la Fédération. Qui des Sénégalais ou des Soudanais doit fournir le président du Mali ? Qui doit fournir son chef d’état-major ? Une conférence est prévue le 20 août pour régler la question de la répartition des fonctions. Dans les jours qui précèdent cette réunion, Soudanais et Sénégalais engagent un bras de fer sur le contrôle de la gendarmerie, au cours duquel ordres et contrordres sont émis.
Chacun est persuadé que l’autre veut aller à l’épreuve de force et se prépare en conséquence. Le vendredi 19 août, dans la soirée, Modibo Keïta fait convoquer un conseil des ministres qui décharge Mamadou Dia de la Défense et proclame l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire malien. Mais les Sénégalais parviennent à retourner la situation. Dans la nuit, ce 20 août 1960, l’assemblée est réunie. Les députés abrogent la loi de transfert de compétences à la Fédération du Mali. Le Sénégal proclame son indépendance.