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5 mai 2025
Diaspora
DIVERSIFICATION DES OFFRES DE FORMATION
Le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne assure que la diversification des offres de formation constitue désormais une réalité dans la région de Fatick dont le lycée a été sélectionné par le ministère de tutelle.
Le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne assure que la diversification des offres de formation constitue désormais une réalité dans la région de Fatick dont le lycée a été sélectionné par le ministère de tutelle "pour expérimenter le modèle canadien des collèges communautaires".
L’élargissement de l’accès à la formation et la diversification des offres de formation "sont devenues une réalité dans la région de Fatick", a-t-il soutenu lundi lors de la cérémonie d’inauguration du nouveau centre de formation professionnel (CFP) de Gossas.
Le lycée de Fatick, par exemple, "a été sélectionné par le ministère de la Formation professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Artisanat pour expérimenter le modèle canadien des collèges communautaires", a signalé le chef du gouvernement sénégalais.
"En plus de cette nouvelle structure de formation que nous venons d’inaugurer à Gossas, le lycée professionnel de Fatick a démarré ses enseignements depuis l’année scolaire 2017- 2018, avec cinq nouvelles filières de formation professionnelle pour une formation au baccalauréat", a-t-il noté.
"A cela s’ajoute également le nouveau centre de formation professionnel de Sokone (Foundiougne), qui va démarrer prochainement ses activités", a indiqué Mahammed Boun Abdallah Dionne, en présence du ministre de la Formation professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Artisanat, Mamadou Talla et des autorités administratives de la région.
Le centre de formation professionnelle (CFP) de Gossas, d’un coût de 1,3 milliard de francs CFA, est le fruit de la coopération bilatérale entre le Sénégal et le Luxembourg.
Il a la capacité d’accueillir "près de 400 apprentis" qui auront "l’opportunité de se former dans un environnement moderne et confortable", lit-on un document remis à la presse.
Le centre de formation professionnelle (CFP) de Gossas comprend les filières suivantes : restauration-hôtellerie, coiffure, couture-modélisme, sérigraphie-teinture, santé communautaire. Il devrait compter 40 formateurs.
LE C25 DE FRANCE MARCHE À PARIS MERCREDI
« Des candidats de l’opposition éliminés sans raison, d’autres exilés sans motif, une justice couchée, des forces de défense et de sécurité aux ordres d’un parti au pouvoir clanique et sectaire, le Sénégal est devenu un pays à risque »
Le C25 France compte tenir un grand rassemblement public à la place des invalides, ce mercredi, après avoir obtenu une autorisation de la préfecture de police de Paris, devant le parlement français.
« L’objectif est de porter à la connaissance du monde entier les violations graves et répétitives des principes et valeurs qui fondent la démocratie sénégalaise », lit-on dans un communiqué dont copie nous est parvenue. Pour l’opposition, le régime de l’actuel président Macky Sall plonge le Sénégal dans une crise politique.
« Des candidats de l’opposition éliminés sans raison, d’autres exilés sans motif, une justice couchée, des forces de défense et de sécurité aux ordres d’un parti au pouvoir clanique et sectaire, le Sénégal est devenu un pays à risque », fait savoir le C25.
Ce collectif renseigne que cette grande mobilisation sonnera comme le début d’une longue série d’actions à l’international que le C25 France compte déployer auprès de la communauté internationale, des partenaires techniques et financiers du Sénégal.
SANS DÉTOUR AVEC MAMADOU NDOYE
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NOUS N'ALLONS VERS RIEN DE BON
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - La violence est déjà là - Les coups de force du pouvoir vont continuer - Nous avons un problème à la fois sociale, démocratique et économique qui bloque notre pays - SANS DÉTOUR AVEC MAMADOU NDOYE
#Enjeux2019 - Comme beaucoup d'observateurs de la scène politique, Mamadou Ndoye estime que le Sénégal va vers des lendemain sombres. Selon l'ancien ministre, le contexte pré-électoral bouillonnant risque de s'embraser à tout moment, puisque dit-il, le chef de l'Etat s'est fixé dès le début de son mandat comme objectif, sa réélection. "Nous avons une tradition politique très mauvaise au Sénégal", affirme-t-il, pointant du doigt, les alliances sans aucune base programmatique et fondé sur ce qu'il appelle "l'idéologie alimentaire".
Selon l'invité de Sans Détour, Macky Sall devenu tout puissant s'est employé soit à réduire à néant, les remparts de la société, tels que la justice , les syndicats ou les chefferies traditionnelles. "La présidence a la main haute sur la justice. Regardez ce qu'est devenue l'opposition", a déclaré Mamadou Ndoye. L'ancien secrétaire général de la Ligue Démocratique, estime par ailleurs que le taux d'analphabétisme et celui de la population scolarisable absente des écoles, constituent les plus gros scandales du Sénégal.
Voir vidéo de la grande émission télé de SenePlus en partenariat avec l'excellente école d'images numériques Sup'Imax. Cette édition est présentée par Momar Seyni Ndiaye assisté de deux éditorialistes Charles Owens Ndiaye et Charles Faye.
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"MA DOUBLE-CULTURE, QUELLE RICHESSE !"
En coproduisant le film « Yao », dont il est à l'affiche, Omar Sy évoque ses racines africaines - Sous forme de road movie au Sénégal, son personnage en perte de repères effectue une quête sur ses origines - ENTRETIEN
Le Point Afrique |
Astrid Krivan |
Publication 28/01/2019
Dans un village au Sénégal, Yao (Lionel Basse), jeune garçon de 13 ans, est féru de lecture et de Seydou Tall (Omar Sy), célèbre acteur français d'origine sénégalaise. Quand il apprend que celui-ci vient à Dakar pour la promotion de son livre, Yao traverse tout le pays pour le rencontrer. Après leur échange, Seydou décide de faire la route pour raccompagner son jeune fan à son village. Ce road trip va bientôt prendre l'allure d'un voyage vers ses origines, d'une reconnexion à ses racines. Aux côtés du jeune Lionel Basse (épatant de justesse, présence lumineuse), de Fatoumata Diawara, de Germaine Acogny, Omar Sy n'est pas seulement la tête d'affiche de ce film réalisé par Philippe Godeau : il l'a également coproduit. En effet, l'enjeu était de taille pour l'acteur d'origine sénégalaise par son père et mauritanienne par sa mère, héritier de la culture peule : il fallait porter un regard juste sur la terre de ses ancêtres. Et évoquer, avec finesse, ce questionnement identitaire d'enfants issus de l'immigration, souvent entre deux pays, ni tout à fait d'ici, ni tout à fait de là-bas. Désormais installé avec sa femme et ses cinq enfants à Los Angeles, où il vient de terminer L'Appel de la forêt avec Harrison Ford, et actuellement en tournage en France du prochain film d'Anne Fontaine, il a toutefois trouvé un moment pour se confier au Point Afrique sur cette œuvre qu'il présente comme la « plus impudique » de sa filmographie.
Le Point Afrique : Pourquoi était-ce important pour vous de coproduire Yao ?
Omar Sy : Quand Philippe (le réalisateur et producteur du film, NDLR) m'a fait cette proposition de le coproduire avec lui, je l'ai pris comme un cadeau, une chance ! De la part d'un producteur, cette envie de partager est rare. Yao parle du Sénégal, porte des valeurs qui me sont chères. Donc, en ayant cette place-là, je pouvais veiller à ce que l'histoire soit dans la vérité, montre une vision authentique du pays. Le danger avec ce type de films est de tomber dans le pathos, les stéréotypes, il fallait éviter ces pièges qui nous guettaient. J'avais un rôle particulier, où Philippe me faisait lire le scénario, à toutes les étapes, et on en discutait. J'ai participé à des réflexions, c'était essentiel d'être dans la justesse. J'ai parfois apporté quelques éléments personnels, notamment dans les dialogues. J'ai ainsi appris comment on fabrique un film, comment on le réfléchit, comment on le tourne, puis on le monte… Et l'aventure n'est pas terminée ! En tant qu'acteur, je me suis donc impliqué en toute confiance, car cette intrigue sur la terre de mes aïeux représentait un enjeu pour moi. Pour dépasser ma pudeur, je devais y aller sans crainte. J'ai beaucoup appris auprès de Philippe, producteur très expérimenté. C'est une valeur perdue en France, mais qui existe encore en Afrique, celle d'apprendre auprès des aînés, de profiter des expériences d'un mentor qui nous forme, nous enseigne.
Vous dites que ce film est un hommage à vos héritages africains respectifs : Philippe Godeau, qui a vécu au Mali dans son enfance, et le vôtre. Pourriez-vous le définir ?
Africain, c'est trop générique. Je serais plus précis en parlant de la culture peule que mes parents m'ont transmise (les Peuls forment un peuple de nomades et semi-nomades de l'Afrique de l'Ouest, NDLR). J'en ai hérité la pudeur, la culture orale, le plaisir de parler avec des personnes plus âgées que moi et qui m'éclairent. Et l'importance accordée aux ancêtres, et à la transmission aux enfants, c'est une valeur que je ne tiens pas de la France. Ce film traite de ça, de ces choses importantes pour moi et qui sont essentielles au Sénégal, de ce lien ancestral. Nous ne sommes pas seuls, il y a ceux qui nous précèdent, ceux qui arrivent, et chacun, à son époque, est juste une transition. Je trouve beau qu'un film sur l'Afrique en parle.
C'est pourquoi vous dédiez Yao à votre père, Demba Sy ?
Oui, car Yao évoque la paternité, et ces attaches à la lignée, aux ancêtres. J'ai la chance d'avoir un père qui m'a toujours fait confiance, malgré mes dérapages. C'est un homme très pudique, assez énigmatique, qui nous disait peu de choses, mais ses paroles me faisaient cogiter. Il me répétait : « Il faut que tu sois mieux que moi, et que tes enfants soient mieux que toi. » J'ai eu le privilège d'aller « au bled » dès l'âge de six ans, chaque été en vacances, de parler la langue pulaar... Mais ce qui m'a beaucoup marqué, c'est un voyage que j'ai fait avec lui à travers le Sénégal, à l'âge de 19 ans. Nous sommes partis de Korokoro, le village de ma mère en Mauritanie, et on a parcouru le pays jusqu'à Dakar. Mon père m'a raconté son histoire, celle de notre famille, les lieux et rencontres qui lui étaient chers… J'en suis revenu complètement transformé : sans ce voyage, je ne serais pas l'adulte que je suis aujourd'hui. Cela a scellé la culture que mes parents m'ont inculquée, ça m'a reconnecté à mon père, donc à la lignée, à la transmission. Évidemment, Yaos'y réfère un peu. Après le tournage, j'ai refait ce voyage avec lui, en emmenant mon frère, absent la première fois, et en réalisant l'itinéraire inverse, de Dakar à Korokoro.
Contrairement à vous, Seydou, votre personnage, n'a pas ces attaches fortes avec ses racines. Ce voyage est pour lui un premier pas vers cette reconnexion...
En effet, Seydou est un beau vase vide. Il a une vie bien organisée, mais il lui manque l'essentiel. Il arrive à un tournant dans sa vie : il a le sentiment d'avoir réussi, et finalement ce voyage lui fait réaliser son déséquilibre intérieur. Ce vide va l'attirer au bon endroit, au Sénégal, et c'est là qu'il va se remplir. C'est un personnage qui accueille les événements, et se laisse emmener, guider par le jeune Yao et les autres protagonistes. J'ai donc dû modifier ma technique de jeu. Philippe me demandait d'être dans la réception, alors que j'ai l'habitude d'incarner des rôles plutôt moteurs de l'intrigue. C'était nouveau. J'ai travaillé une interprétation beaucoup plus épurée, avec moins d'effets, en étant moins « pushy », ce qui n'est pas évident pour moi à la base. Mais le décor et le fait d'être en Afrique m'ont beaucoup aidé à me mettre à ce rythme.
Au cours d'une scène, Seydou se fait gentiment traiter de « bounty » : noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur...
J'aime cette scène, car elle évoque des choses que peu de personnes savent, et je crois que le cinéma ne les a jamais racontées. Quand on est français d'origine étrangère et qu'on se rend dans le pays d'origine de nos parents, on peut aussi subir du racisme. Ce sont des préjugés, on nous colle une étiquette et on nous définit par nos habits, notre manière de parler, notre provenance… Situation que l'on vit aussi en France ! C'est toujours cette manie de stigmatiser les différences, alors qu'elles sont beaucoup plus subtiles que ça. On ne voit que celles qui nous arrangent. En tant que binational, on est entre les deux, on ne sait pas où se placer. Ce n'est pas facile ni inné de se sentir d'emblée chez soi sur la terre de ses parents. Donc, c'est intéressant de représenter ça, pour tous ceux qui nous renvoient : « Si t'es pas content, retourne dans ton pays ! »… Ce n'est pas si simple ! Et c'est à nous ensuite de faire le choix de se définir : quel est mon héritage, qu'est-ce que je prends ou pas ?… On croit même qu'on doit choisir entre nos deux cultures. Mais, moi, plutôt que de me sentir nulle part chez moi, j'ai choisi de l'être partout.
Le film montre aussi l'importance de la vie spirituelle au Sénégal, entre la cérémonie dansée dédiée aux ancêtres et la prière des musulmans dans les rues de Dakar...
On ne peut pas parler du Sénégal sans parler de spiritualité : elle est partout ! Elle est présente en chacun, tout le monde croit en quelque chose. On le ressent dans la manière dont les habitants s'expriment, regardent les choses, interagissent les uns avec les autres… Elle façonne aussi la sonorité des villes. Et la foi animiste était là bien avant les religions monothéistes. Au début du film, dès sa sortie de l'avion, mon personnage a à peine mis le pied dans le pays qu'il est déjà tiré par les obligations. Et la première chose qui lui arrive, c'est de se retrouver bloqué dans son taxi par les fidèles en train de prier dans les rues. Ça l'incite déjà à s'arrêter, à s'interroger, rien que de regarder ces gens qui prennent le temps de faire la prière. Qu'est-ce que ça lui évoque, quel est son rapport à la spiritualité ? Il est dans une forme de quête, sans savoir ce qu'il cherche, mais on sent bien qu'il lui manque des choses. Et rien que le fait de s'arrêter : qu'est-ce que ça provoque chez quelqu'un qui vit dans un rythme aussi intense ? C'est aussi un autre tempo auquel il faut s'accorder. Ce n'est pas de la lenteur ni de la passivité, mais de la maîtrise, de l'appréciation du temps, de la contemplation. Et Seydou réalise qu'il ne peut pas y résister.
Le personnage de Tanam (Germaine Acogny) l'invite à avoir plus de recul et de philosophie, et à donner un sens à sa panne de voiture qui le mène près du village de son père. Tandis que, pour Seydou, il s'agit juste d'un problème mécanique. « Le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito », lui cite-t-on. Ce regard sur les choses moins terre à terre, le partagez-vous ?
Bien sûr, puisque j'ai été élevé ainsi. Même si ça ne m'empêche pas, à d'autres moments, d'être très cartésien, mathématique, d'avoir une logique pragmatique, car c'est ce que m'a appris ma culture française. Mais c'est important de prendre un peu de hauteur et de regarder les choses différemment. Ça fait partie de moi, et souvent, cette lecture de la vie et du monde m'a beaucoup aidé.
Comment s'est passé le tournage ?
Déjà, il a redonné des couleurs à mes souvenirs, car cela faisait huit ans que je n'étais pas venu au Sénégal. J'ai adoré la manière dont le pays se modernise tout en préservant ses traditions, ses valeurs. Nous avons tourné pendant deux mois, l'équipe était composée de Français et de Sénégalais. Et c'était très intéressant à observer, j'étais le seul à saisir les incompréhensions liées au décalage culturel, les stress des uns, les demandes des autres... Je décryptais les codes, je comprenais ce que chaque personne des deux pays exprimait, comme si deux parties de moi dialoguaient ! C'est un exemple concret : quelle richesse d'avoir une double culture, quelle chance d'être là où je suis. Et c'était très agréable de constater que tous les problèmes se sont résolus avec beaucoup de douceur et d'efforts de la part de tous.
Le film a ensuite été projeté au Sénégal en avant-première, au Grand Théâtre national de Dakar, à Saint-Louis, d'où vient votre jeune partenaire Lionel Basse, et à Diofor, village du Sine Saloum, où une bonne partie a été tournée. Comment le public a-t-il réagi ?
Je craignais beaucoup leurs réactions : allaient-ils reconnaître leur pays, allaient-ils se sentir trahis ? Au final, ça s'est très bien passé, ils ont aimé et ont même ri. C'est intéressant : de la même manière que les spectateurs français découvrent des choses sur le fait d'être partagé entre deux pays, au Sénégal aussi, ils en apprennent aussi sur cet écartèlement identitaire. On a été validés, ils ont reconnu le Sénégal, donc, pour nous, c'est un pari réussi ! J'ai reçu un très bel accueil, j'ai été très touché par cette chaleur des spectateurs sénégalais.
Qu'est-ce que Yao a changé pour vous ?
Sur le plan personnel, il m'a rappelé à quel point ça fait du bien d'être au Sénégal ! Sinon, j'éprouve une vraie satisfaction, une fierté même, d'avoir fait ce film, qu'il existe, que le public le voie... C'était important pour moi. Et d'avoir rencontré des artistes, des techniciens sénégalais suscite l'envie de poursuivre peut-être d'autres projets dans ce sens. En tout cas, en tant qu'acteur, il a permis à des réalisateurs africains de penser à moi, je commence à en rencontrer. Peut-être qu'avant ils pensaient que c'était loin de moi, que je n'en aurais aucune envie. Enfin, j'espère aussi que Yao sera un bon moyen pour mes enfants de se rappeler de certaines choses de cette culture africaine, que je leur inculque déjà.
DÉCOLONISER LES SAVOIRS SUR L'AFRIQUE
C'est un véritable parcours de libération intellectuelle que l'École doctorale des Ateliers de la pensée a initié à Dakar du 21 au 25 janvier 2019 - De quoi donner aux Africains les moyens de penser leur propre histoire
Le Point Afrique |
Marie Lechapelays |
Publication 28/01/2019
« Nous avons réuni des jeunes chercheurs ou artistes du continent et de sa diaspora, avons travaillé à la production de nouveaux savoirs en examinant leurs propositions théoriques, en les critiquant et en les enrichissant dans un objectif de transmission », résume en une phrase Felwine Sarr, l'un des initiateurs de l'École doctorale des Ateliers de la pensée, alors que s'achève sa première édition. Cet universitaire et écrivain sénégalais qui a récemment rendu le rapport « Restituer le patrimoine africain », rédigé avec Béatrice Savoy et remis au président français Emmanuel Macron qui l'avait commandé, veut redonner à l'Afrique son identité propre, en « décolonisant les savoirs sur ce continent ».
Avec Achille Mbembé avec qui il a l'habitude de travailler, il a fondé cette école sous la forme d'une formation intensive d'une semaine pour 26 chercheurs et artistes de l'Afrique francophone et de sa diaspora. Venus d'une dizaine de pays différents, du Maroc à la République démocratique du Congo en passant par le Brésil, ils ont été triés sur le volet parmi plus de 150 candidats en vue d'échanger sur une thématique prédéfinie, en l'occurrence « Nouveaux savoirs et enjeux planétaires : épistémologie, pédagogie et méthode ».
Décoloniser les savoirs sur l'Afrique
L'énoncé peut paraître obscur, mais l'objectif est clair. Il s'agit de réfléchir à des concepts et à des outils de pensée adaptés au sujet qu'est l'Afrique. « La réalité africaine, si complexe et si dense, est constamment tronquée, simplifiée à souhait, par un ensemble de paradigmes qui construit le continent comme un vide, comme un manque, qu'il faudrait combler », constate amèrement Achille Mbembé, enseignant à l'université de Witwatersrand de Johannesburg (Afrique du Sud). Et c'est bien cela qui coince, « l'Afrique est systématiquement considérée comme un problème ».
Il faut dès lors repenser l'Afrique en la débarrassant de concepts importés pour lui donner une existence propre. « Depuis longtemps, l'Afrique a perdu le pouvoir de se décrire elle-même, de se nommer elle-même, de s'interpréter elle-même. Ce pouvoir a été exercé par d'autres, explique l'historien. Cette perte est un obstacle fondamental à l'émergence du continent, car on ne peut pas émerger au monde si on n'est pas capable de se mettre soi-même en scène », insiste l'historien.
L'enjeu – permettre l'émergence du continent – relève donc de l'urgence. « Il nous faut récupérer ce pouvoir et décoloniser les savoirs sur l'Afrique par le biais de la pensée, donc par la formation d'une nouvelle génération d'Africains basés en Afrique et dans ses diasporas », d'où la création de cette École doctorale.
Réformer la pédagogie
Universités bondées, bibliothèques aux ouvrages poussiéreux et dépassés, l'espace universitaire africain est en crise. Comme ses collègues, Abdourahmane Seck, enseignant-chercheur à l'université Gaston-Berger de Saint-Louis, prône une université « décoloniale », avec sa pédagogie, ses paradigmes, jusqu'à sa forme même, alternative à l'institution importée d'Europe, décrite comme « coûteuse, inefficace et bureaucratique ». « On voit bien qu'elle ne fonctionne pas ici ! », assène-t-il.
La forme proposée est donc tout autre : intensive, sur une semaine ; relativement flexible, une semaine par an ; et ciblée, en « faisant surgir une problématique précise et adaptée » pour ceux qui n'en sont qu'à l'énoncé d'une intuition, ou en « poussant à exercer un esprit critique sur ce que les plus avancés mobilisent comme concepts », détaille la philosophe Jamila Mascat, maître de conférences à l'université d'Utrecht (Pays-Bas).
Retour au réel et transdisciplinarité
Pour reprendre en charge de manière complètement différente les questionnements philosophique, anthropologique et sociologique, les encadrants s'accordent sur un point essentiel : le retour au terrain. Pour décoloniser les savoirs, il faudrait avant tout réapprendre à décrire le réel, de manière très minutieuse et rigoureuse. Un passage nécessaire pour ne pas plaquer à tout prix des concepts inadaptés sur les réalités africaines.
Autre exigence fondamentale : la transdisciplinarité. « C'est devenu une nécessité de croiser les savoirs et les perspectives disciplinaires, explique Felwine Sarr, car les objets sociaux ont une épaisseur. L'une des erreurs a été de découper le réel en petites portions et de l'examiner ainsi. C'est difficile de le recoudre et de l'analyser dans son entièreté. »
Une transdisciplinarité décisive pour des sujets très en vogue comme les mutations des villes africaines. « Comment comprendre la ville et ses transformations en faisant seulement appel à des urbanistes ? questionne Françoise Vergès, assurée de la réponse : il faut travailler main dans la main avec les spécialistes du commerce, des femmes, de la police, etc. »
Les doctorants ravis
Enthousiaste, le visage éclairé et épanoui, Imane Nya s'enthousiasme sur l'avancée de son travail. En deuxième année de doctorat au Maroc, elle se sentait bloquée dans son sujet. « Je l'avais analysé de manière beaucoup trop superficielle, avoue-t-elle. J'ai découvert qu'il cachait beaucoup plus de profondeur et que je passais même à côté de l'essentiel. » Pour elle, pas de doute, « c'est un gain de temps et de valeur considérable ».
À 28 ans, Salifou Naam a déjà écumé plusieurs formations sur le continent. Doctorant en sociologie à l'université de Yaoundé depuis quatre ans, son sujet était déjà bien avancé, mais il a apprécié les échanges critiques avec les encadrants et les autres doctorants, parfois « jusqu'à tard dans la nuit, glisse-t-il, un sourire en coin. C'est ce qui est le plus intéressant. D'une façon ou d'une autre, chacun connaît le sujet des autres avec son propre prisme. C'est très riche. »
Pour ne pas tourner définitivement les talons et se retrouver seuls face à leurs travaux, les étudiants promettent de construire un réseau des participants des écoles doctorales des Ateliers de la pensée. En plus de « donner un peu de matière à cette utopie de la pédagogie émancipée », selon les mots de Nadia Yala Kisikudi, maître de conférences en philosophie à l'université Paris-8 Vincennes-Saint-Denis, c'est cela aussi, le but de cette école : construire un réseau de chercheurs africains pour redonner à l'Afrique sa souveraineté intellectuelle. De quoi reprendre son souffle pour aborder le prochain rendez-vous de cette École doctorale des Ateliers de la pensée : en 2020.
LA GRANDE ÉMISSION RADIO "CONFLUENCES"
RADIOSCOPIE DU SÉNÉGAL AVANT LA PRÉSIDENTIELLE
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Parrainage, recomposition de la scène politique, modèles économique et culturel national - Elgas et son équipe à Paris reçoivent les journalistes Barka Ba et Samba Dialimpa Badji
#Enjeux2019 - Confluences en route vers la présidentielle. Dans le cadre du scrutin du 24 février 2019, l'émission radiophonique diffusée depuis Paris, prépare une série de six numéros, exclusivement dédiée aux différents enjeux de ce rendez-vous électoral.
Pour le premier numéro à retrouver dès ce mardi 29 janvier 2019 sur SenePlus, les journalistes Barka Ba et Samba Dialimpa Badji seront aux côtés des chroniqueurs : El Hadj Souleyamane Gassama alias Elgas, Mohamed Mbougar Sarr, Lamine Faye, Aminata Thior et Joël Assoko. Les invités vont évoquer plusieurs sujets dont la question du parrainage, la recomposition de la classe politique, l'évaluation des libertés, les modèles économique et culturel, etc.
Confluences c'est une heure d'émission agrémentée de plusieurs choix musicaux avec des rubriques comme la revue de presse internationale, la Guillotine pour une Idole dont le premier numéro est consacré au Forum de Davos.
"Confluences", tous les mardis de ce mois électoral à 19h sur SenePlus.com.
Sur les réseaux sociaux à #Enjeux2019.
PAR MADIAMBAL DIAGNE
ATTENTION AUX CLICHÉS SUR LES INTÉRÊTS FRANÇAIS AU SÉNÉGAL !
Il reste qu’on observe de plus en plus, dans notre pays, qu’un certain sentiment anti-français a libre court et fondé surtout sur un discours populiste, démagogique, souvent irresponsable et assez subjectif, à l’aune d’une analyse
Depuis plus de quatre ans, je dirige une organisation internationale dont le siège se trouve en France. Cela me donne droit à un titre de séjour en France et la possibilité d’y ouvrir un compte bancaire. Mieux, mes prédécesseurs avaient demandé et obtenu le passeport diplomatique français. Je me suis refusé de demander ces faveurs ou avantages à l’Etat français. Depuis que je suis à la tête de l’Union internationale de la presse francophone (UPF), je n’ai formulé la moindre demande de subvention ou de financement de quelque sorte que ce soit à l’Etat français. Pour me rendre en France, j’utilise mon passeport sénégalais avec un visa délivré par le Consulat de France à Dakar. Pour la petite histoire, il y a quelques semaines, je devais me rendre en Europe et au comptoir d’enregistrement à l’aéroport de Diass, je me suis rendu compte que mon visa de circulation dans l’espace Schengen avait expiré. Je n’avais pas la possibilité de me faire délivrer dans l’urgence un visa au niveau du Consulat de France à Dakar et je m’étais rabattu auprès d’un autre consulat d’un pays membre de l’espace Schengen pour me faire renouveler mon visa de circulation. Tout cela, pour dire, qu’on s’entende bien, je ne suis en rien redevable à la France et donc je ne fais nullement un plaidoyer pro domo.
Pour autant, j’aime la France, sa culture, son mode de vie, ses idéaux de liberté et d’humanisme. Il m’arrive aussi de m’insurger contre des pratiques de l’Etat français ou de certains milieux économiques français et cela a pu donner l’impression que je nourrissais quelques sentiments anti-français car d’aucuns peuvent appréhender les rapports vis-à-vis d’un pays sous un prisme manichéen. C’était notamment le cas, le 25 janvier 2016 dans un papier intitulé : «Au nom de quels intérêts français ?» En effet, dans le cadre de la procédure d’attribution d’une licence de téléphonie 4G, je relevais l’outrecuidance et l’effronterie de la société Orange. Et je soulignais que «des personnes craindraient fortement de prétendues représailles de la France au cas où les intérêts économiques de l’Hexagone seraient menacés au Sénégal. Il convient de savoir raison garder car la France défend ses intérêts et ceux de ses entreprises comme le Sénégal devrait défendre les siens. Il n’est nullement question ici d’une quelconque susceptibilité de souveraineté nationale ou de chauvinisme mais l’expérience enseigne que les autorités françaises ne montrent du respect et de la considération qu’à leurs interlocuteurs qui sont farouchement attachés à la préservation de leurs intérêts nationaux.
Tant qu’un gouvernement reste dans la ligne de défense des intérêts exclusifs de ses populations, aucun gouvernement étranger, France ou on ne sait quelle autre puissance, ne pourra lui tordre le bras. Le pays de Marianne (…), doit être traité comme un partenaire économique, certes important et sans doute privilégié, mais pour autant, le Sénégal ne devrait point sacrifier ses intérêts économiques vitaux. (…) Il y a des combats qui méritent d’être engagés.»
Il reste qu’on observe de plus en plus, dans notre pays, qu’un certain sentiment anti-français a libre court et fondé surtout sur un discours populiste, démagogique, souvent irresponsable et assez subjectif, à l’aune d’une analyse.
Les Turcs, Chinois et Indiens supplantent les Français
Le discours public ces derniers temps est très fortement caractérisé par des diatribes contre la France et une virulente remise en cause de la présence de la France et d’investissements français dans les circuits économiques sénégalais. Il arrive même d’entendre dire que le régime de Macky Sall aurait fini de donner le Sénégal à de intérêts français. Ainsi, des personnes ont pu être abusées par une propagande «France dégage». Nous avons voulu interroger les faits, pour savoir exactement en quoi et dans quels domaines ou secteurs d’activités on a pu observer une mainmise de la France et de ses intérêts économiques ? Voulait-on que le régime de Macky Sall dénonce les conventions déjà signées par le régime de Abdoulaye Wade ou de Abdou Diouf avec des entreprises françaises comme dans le domaine de la distribution de l’eau, de la téléphonie ou de l’exploitation de la concession sur le premier tronçon de l’autoroute à péage de Dakar ? Bien sûr que non.
Alors, quels sont les projets que le président Macky Sall a entrepris durant son premier mandat et de quels drapeaux sont les entreprises contractantes ? Ainsi, on constate que contrairement à des idées reçues, et au-delà des clichés et autres caricatures, les entreprises françaises perdent grandement du terrain au profit des entreprises chinoises, indiennes, turques et autres sénégalaises. Un rapide recollement indique par exemple que l’autoroute Ila Touba est confiée à une entreprise chinoise ; le tronçon de l’autoroute Aibd-Mbour est confié à une entreprise chinoise ; le tronçon de l’autoroute Aibd-Thiès-Tivaouane est confié à une entreprise chinoise ; la route Linguère-Ourossogui-Matam est confiée à une entreprise marocaine ; le prolongement de la Voie de dégagement nord (VDN) de Dakar est confié à la même entreprise marocaine ; la réalisation du pont sur la Sénégambie est confiée à une entreprise sénégalaise Arezki (de Ziguinchor, tout un symbole) qui a achevé les travaux entamés par une entreprise espagnole défaillante, la route du Blouf en Casamance a été réalisée par une entreprise espagnole en joint-venture avec Arezki, les bus de Dakar Dem Dikk ont été fournis par des constructeurs indiens, les hélicoptères et autres aéronefs de l’Armée ont été fournis par des Brésiliens et des Turcs ; le Pont de Foundiougne a été réalisé par des Chinois ; les travaux de l’aéroport de Diass ont été achevés par une entreprise turque alors que le français Bouygues le voulait et avait tout fait pour obtenir ce marché après que le président Macky Sall, excédé par les retards accusés, l’avait retiré à Saudi Ben Laden Group.
Dans la nouvelle ville de Diamniadio, on trouverait difficilement une entreprise française engagée dans des travaux. En effet, tous les contrats, au premier chef, sont exécutés par des entreprises chinoises, indiennes, turques et autres africaines. Qu’il s’agisse du Centre de conférence Abdou Diouf, du Dakar Arena, des hôtels Radisson et Mövenpick, des sphères ministérielles, du parc industriel, du marché d’intérêt national, du Parc des gros porteurs, de l’Université Amadou Makhtar Mbow ou des projets de logements et autres cités résidentielles (Getran, Senegindia, Teylium). Un autre projet d’envergure, celui de dessalement de l’eau de mer aux Mamelles à Dakar est le fruit de la coopération avec le Japon. L’Arène nationale est réalisée par les Chinois ainsi que le Musée des civilisations. La réfection du Building administratif par une entreprise sénégalaise alliée à des Turcs.
On ne le dira jamais assez, seul le Train express régional (Ter) constitue un grand projet confié à des investisseurs français, et on a pu voir dans la liste des opérateurs de ce projet, que des dizaines d’entreprises sénégalaises et non des moindres, ainsi que des entreprises turques, ont remporté d’importantes parts du marché en sous-traitance. Dans le secteur de la grande distribution, l’arrivée d’Auchan avait suscité les passions et le même phénomène est attendu avec l’annonce de l’arrivée de Carrefour sur le marché sénégalais. On n’a pas voulu tenir compte des profits tirés par les consommateurs de la présence des grandes enseignes à l’origine française, mais devenues mondiales, par la force de leurs succès. Que des Asiatiques exploitent des magasins de grande distribution (Chinois, Pakistanais, Coréens) ne semble déranger personne mais il suffit que ce soit des entreprises qui passent pour être françaises pour qu’une levée de boucliers soit observée. En plus, les détracteurs des grandes surfaces comme Auchan, Casino et autres ne s’imaginent pas le volume de commandes passées auprès de chaînes de producteurs locaux notamment, pour approvisionner leurs rayons de vivres et autres produits frais. Dans les secteurs de la finance (banques et assurances) et dans les activités portuaires, les entreprises françaises avaient perdu aussi du terrain. Aujourd’hui, les chiffres d’affaires réalisés par les entreprises françaises au Sénégal sont bien inférieurs à ceux engrangés par les hommes d’affaires turcs, chinois, marocains. Mais cela ne semble déranger personne ! Quand ces gens gagnent des marchés on ne cherche pas à savoir s’il y a de la triche derrière ! Dans le secteur de la production énergétique, dans lequel on peut considérer sans conteste que le président Macky Sall a bien réussi, l’essentiel de la production est aux mains d’investisseurs américains, britanniques et sénégalais.
Les incohérences d’un «dégagisme» anti-français
A la vérité, on peut avoir le sentiment que d’aucuns voudraient faire payer à la France d’avoir été la puissance colonisatrice. Seulement, ils sont encore nombreux à chercher à pourfendre la France et qui font le tour du monde avec des passeports et autres titres de voyages délivrés par la France. Quelle est la cohérence d’une telle attitude ? Peut-être que Nicolas Sarkozy, dans un moment d’irritation, n’avait pas tellement tort de dire «la France, tu l’aimes ou tu la quittes». D’aucuns seraient peut-être dans une posture de faire payer à la France leurs petites ou grosses frustrations subies dans les rues de Paris, Marseille, Nantes, Bordeaux, Mantes La Jolie ou Aulnay Sous-Bois. Il y a du ressentiment mais aussi peut être, «un ethos de l’évacuation de nos responsabilités» dans nos échecs en Afrique. La France est souvent vue dans un certain imaginaire comme «l’exploiteur, l’oppresseur, le tyran et en fin de compte comme l’ennemi». Il y en a qui n’aiment pas la France au point d’applaudir des salves de Luigi Di Maio, vice-Premier ministre italien, contre la France. Qu’ils peuvent être bêtes de détester la France au point de s’allier avec l’extrême droite italienne, qui s’illustre par son hostilité systématique à l’Afrique et à l’homme africain ? C’est du n’importe quoi que de vouloir vitupérer contre la France en criant avec les loups d’une extrême droite européenne xénophobe !
Un pays n’étant pas constitué que d’hommes politiques ou d’intellectuels, on peut se demander si ce sentiment anti français plus ou moins ambiant a aussi prise sur l’homme de la rue. Les peuples sénégalais et français, en dépit des vicissitudes de l’histoire, sont restés assez proches. Faudrait-il le rappeler, d’une voix goguenarde, le président Léopold Sédar Senghor disait à un de ses opposants qui flétrissait les relations du Sénégal privilégiées avec la France : «A chacun son Français et à l’occasion sa Française.»
Il n’en demeure pas moins que les carences de nos élites continuent d’obliger nos pays à ne pouvoir se passer de l’aide de la France. Force est de dire que n’eut été l’intervention des troupes françaises contre les terroristes islamistes au Mali, la situation sécuritaire dans notre sous-région aurait été davantage compromise. Quant à la politique monétaire, il convient de dire que les pays africains regroupés au sein de l’espace monétaire Cfa ne semblent pas être disposés à s’affranchir.
Le président Emmanuel Macron parlait de la question de l’indépendance monétaire, lors de sa visite à Ouagadougou le 28 novembre 2017, dans les mêmes termes ou le même esprit que Charles de Gaulle en 1958 à Dakar qui lançait aux Africains : «Si vous voulez l’indépendance, prenez-la !» La Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait préconisé la mise en service d’une monnaie commune en 2020. Qu’est-ce qui a été fait pour ne pas manquer ce rendez-vous ? Quel pays africain en dehors de la zone Cfa, qui battrait sa propre monnaie, s’en sort mieux que la zone Cfa ? A quelles discipline et rigueur s’astreignent les banques centrales de ces pays ? Sans doute que ce serait tentant de sortir de la zone Cfa mais la question est de savoir comment et dans quelles conditions ? Nos pays sont-ils en mesure de sortir du système économique mondial ? Assurément non ! En attendant, nous aurons encore besoin du soutien de la France par exemple, pour nous faire adouber par les institutions financières internationales
ISMAÏLA MADIOR RÉTABLIT LA VÉRITÉ
«C’est la première fois dans l’histoire de notre pays, qu’à 30 jours de l’élection présidentielle que le pays soit aussi calme, aussi serein, et aussi tranquille »
Le ministre de la Justice, garde des Sceaux rejette le fait que qu'il y a actuellement une tension pé-électorale. Selon Ismaïla Madior Fall, « c’est la première fois dans l’histoire de notre pays, qu’à 30 jours de l’élection présidentielle que le pays soit aussi calme, aussi serein, et aussi tranquille ».
Le ministre de la Justice ne parle pas la même longueur d'onde que ceux qui parlent de tension préélectorale. Selon Ismaïla Madior Fall, il n’y a rien d’extraordinaire qui se passe actuellement dans le pays.
«Il faut dédramatiser un peu la situation. À chaque fois qu’on a été à la veille d’une élection, il y a une tension, c’est notre culture politique. Mais, aujourd’hui, il n’y a rien d’extraordinaire, à chaque veille d’élection, on a l’impression, qu’il y a une tension, qu’il y a un désaccord fondamental sur les règles du jeu, on a comme l’impression que les acteurs ne sont pas d’accord sur l’essentiel», rappelle le ministre.
« C’est la première fois dans l’histoire de notre pays, qu’à 30 jours de l’élection présidentielle que le pays soit aussi calme, aussi serein, et aussi tranquille, c’est jamais arrivé », se félicite Ismaïla Madior Fall.
L’invité de l’émission Objection sur Sud Fm de ce dimanche 28 janvier, revient sur l’échec du dialogue : « Dans toute l’histoire du Sénégal, il y a le temps du dialogue et le temps électoral. Le temps du dialogue, c’est le temps pour discuter des règles du jeu électoral (...).
Il poursuit : « Maintenant, quand on commence les opérations de déroulement électoral, il faut dialoguer, dérouler, mais dialoguer quand les gens veulent dialoguer, et le président Macky est prêt à le faire tout en assumant sa responsabilité ».
Avant de souligner que : «Le dialogue c’est très bien, mais ça ne règle pas les problèmes. La loi sur le parrainage est précédée par le dialogue. Les acteurs ont dialogué et il y a un moment où certains ont dit que la si telle personne ne sort pas de prison, nous ne dialoguons plus. Et, c’est ce qui a bloqué le dialogue».
PAR MAMADOU MAO WANE
LE SILENCE FACE AU DRAME DES ENFANTS MENDIANTS
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Mettre définitivement fin à cette forme esclavagiste d’exploitation d’enfants devient un impératif de société, une exigence politique prioritaire
#Enjeux2019 - Au Sénégal, l’élection présidentielle constitue le processus majeur de renouvellement des offres politiques sous forme de programmes ou de propositions de gouvernance institutionnelle, économique et sociale.
Pour l’élection présidentielle de février 2019, ce processus a débuté avec une première phase de campagne de collecte de parrainages pour la validation des candidatures.
Durant cette phase, les offres de gouvernance pour les cinq (5) ans à venir ont été déclinées par tous les prétendants à la magistrature suprême de notre pays. C’est ainsi que le candidat sortant, le président de la République, et la quasi-totalité des compétiteurs de la sphère de l’opposition ont abordé différentes problématiques de préoccupation publique, esquissé des solutions et pris des engagements.
La grande absente dans l’agenda de ces prétendants à la charge suprême de gouvernance de notre pays est la question de la mendicité et la maltraitance des enfants.
Pourtant, ces enfants victimes d’un système esclavagiste se comptent par dizaines de milliers, voire des centaines de milliers, dont la grande majorité provient de l’intérieur du pays et de la sous-région. C’est un phénomène récurrent de traite d’enfants à des fins d’exploitation de leur mendicité qui se développe continuellement et se manifeste par une présence massive de ces enfants dans les rues de la quasi-totalité des villes du Sénégal.
Le principal traceur de l’origine de ce phénomène réside dans les pratiques de confiage d’enfants talibés (apprenants dans les daaras ou écoles coraniques traditionnelles) à des maîtres coraniques (serigne daara) pour leur éducation religieuse.
La migration de ces enfants et de leurs maîtres coraniques vers les centres urbains où existe un véritable marché d’offres d’aumônes et d’offrandes mystiques constitue le second traceur.
Pour mesurer l’ampleur de ce phénomène et mieux comprendre ses causes et principaux déterminants, diverses études ont été conduites par des institutions internationales, Organisations Non Gouvernementales (ONG) et institutions publiques. A titre de références, nous pouvons citer :
L’étude sur les enfants mendiants dans la région de Dakar, réalisée en 2007 par l’UNICEF, la Banque Mondiale et le Bureau International du Travail (BIT). Cette étude indiquait que le phénomène toucherait environ 7 600 enfants. La grande majorité de ces enfants (90%) serait constituée de talibés et 95% proviendraient d’autres régions du Sénégal ou des pays limitrophes (Guinée-Bissau : 30%). Le non-talibé (30% des 7 600 enfants) serait plutôt originaire du Mali ;
L’étude, réalisée en 2008 par l’ONG Enda, renseignait sur l’existence au Sénégal de plus de 100 000 enfants impliqués dans l’industrie de la mendicité et cela correspondrait à un chiffre d’affaires dépassant les 2,5 milliards de FCFA par an, dont plus des 2/3 sont reversés aux supposés marabouts ou autres ;
L’étude, réalisée en 2010, à la fois au Sénégal et en Guinée Bissau par Human Rights Watch (HRW), sur la problématique de la mendicité des enfants talibés, révélait qu’au moins 50 000 enfants, fréquentant des daaras au Sénégal, étaient soumis à des conditions qui s’apparentent à de l’esclavage ;
L’étude de la Banque Mondiale, réalisée en 2010, sur la mobilité des familles et la vulnérabilité des enfants dénombrait 70 000 enfants migrants en compagnie de leurs maîtres coraniques ;
La cartographie des écoles coraniques de la région de Dakar, réalisée en 2013 par la Cellule Nationale de Lutte contre la Traite des Personnes en particulier des femmes et des enfants (CNLTP/Ministère de la Justice), renseignait sur l’existence, dans la région de Dakar, de 30 160 talibés mendiants sur un effectif global de 54 837 pensionnaires des 1 006 daaras recensés. Sur ce nombre, 91% font entre 1 heure et 5 heures de mendicité par jour dans la rue : 51% des apports de la mendicité des enfants se font en argent.
Les enfants soumis à la servitude de mendicité forcée subissent toutes formes de maltraitance et d’abus : obligation de rapporter chaque jour une certaine somme d’argent fixée d’avance par le maître coranique (en moyenne 500 FCFA par enfant), absence de soins parentaux, châtiments corporels et parfois risques d’être enchaînés aux pieds avec un mécanisme de cadenas, sévices sexuels, fréquentes intoxications alimentaires, conditions de séjour extrêmement précaires dans des baraques délabrées ou maisons abandonnées, environnement permanent d’insécurité occasionnant des morts de talibés brûlés vifs (incendie en mars 2013 d’un daara de fortune à la rue 19X6 à la médina avec neuf jeunes talibés morts brûlés vifs et calcinés).
La mendicité forcée et la maltraitance des enfants est à la base de graves violations cumulées des droits de l’enfant au Sénégal et l’ensemble de la société sénégalaise est interpellée face à ce drame qui se perpétue depuis plusieurs générations d’enfants victimes. Mettre définitivement fin à cette forme esclavagiste d’exploitation d’enfants devient un impératif de société, une exigence politique prioritaire.
Ce défi est bien possible à relever, d’autant plus que le Sénégal a ratifié la quasi-totalité des conventions et chartes internationales de protection et promotion des droits de l’enfant. En plus, le pays dispose d’une législation nationale renforcée avec l’adoption de la loi n°2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes.
Dans le processus de réponse nationale, je rappellerai pour mémoire :
la tenue, en juillet 1977, du premier conseil interministériel consacré à la lutte contre la mendicité des enfants ;
l’organisation, dans la foulée de ce conseil interministériel, par l’Institut Islamique de Dakar d’un séminaire national sur la mendicité des enfants de certains daaras, avec la participation de diverses associations islamiques, de maîtres coraniques de daaras de grande renommée et des représentants de certaines associations laïques ;
l’Instruction d’octobre 1978 du Premier ministre demandant au ministre de l’Action Sociale de prendre toutes dispositions utiles pour lutter contre la mendicité des talibés avec le concours de la police et de la justice, d’ouvrir des centres d’accueil pour les talibés mendiants et d’appuyer les daaras sur les plans alimentaire et sanitaire ;
les tenues en octobre 2006 du premier conseil présidentiel sur les enfants de la rue, des conseils interministériels du 24 août 2010 et du 13 mars 2013 ;
l’instruction du président de la République, lors du conseil des ministres du 22 juin 2016, de procéder au retrait intégral des enfants de la rue.
Malgré tous ces processus et initiatives publics, développés depuis le régime de Senghor et soutenus par la société civile et des partenaires techniques et financiers, la présence des enfants dans les rues à des fins d’exploitation de leur mendicité ne cesse de croître.
Le portage politique de la solution durable s’impose. C’est pourquoi, saisissant l’opportunité que constitue l’élection présidentielle de février 2019, je lance un appel à chaque candidat pour qu’il s’engage à mettre fin à la mendicité et la maltraitance des enfants dans notre pays.
Nous ne pouvons plus attendre et chaque jour qui passe est un jour de trop.
Mamadou Mao Wane est Sociologue. Editorialiste à SenePlus, il est l'ancien directeur du Daara de Malika et ancien expert, spécialiste de la protection de l'enfant à l'UNICEF.
"IL EXISTE UN LOBBY ANTI-RESTITUTION DES ŒUVRES D'ART"
Coauteur d'un rapport*, Felwine Sarr répond aux Français qui refusent de rendre les trésors artistiques pris à l'Afrique - ENTRETIEN
L'Express |
Vincent Hugueux |
Publication 27/01/2019
Emmanuel Macron a affiché à l'automne 2017 à Ouagadougou (Burkina) sa volonté de "réunir dans les cinq ans les conditions" propices à "des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain". Il a confié à l'historienne de l'art Bénédicte Savoy, connue pour ses travaux sur les pillages napoléoniens, et à l'économiste et essayiste sénégalais Felwine Sarr, la rédaction d'un rapport sur le sujet qui a suscité une grande émotion. Interview du coauteur.
L'Express : Que nous enseigne l'ardente polémique déclenchée par votre rapport?
Elle nous dit combien l'enjeu de la restitution dévoile l'impensé de la relation au continent africain, de la manière dont la France produit de l'altérité, pense ses liens avec les autres. Voici une situation d'une absolue évidence : 90 % du patrimoine africain se trouve dans l'Hexagone. L'Afrique subsaharienne est l'une des régions du monde qui ont subi l'expatriation la plus massive de leur patrimoine. Admettons simplement qu'il existe un profond déséquilibre auquel il faut remédier, déséquilibre enchâssé dans un mode de relation né dans le temps colonial, et qui n'a plus cours. Qu'un tel constat soulève tant d'affect et de passion montre à quel point le travail sur l'Histoire reste à faire.
Quelles sont à vos yeux les réactions les plus révélatrices ?
Aucune attaque ne porte sur le fond, sur le travail scientifique, ou ne conteste nos statistiques, notre historiographie, notre tentative de quantifier l'impact des butins de guerre, des missions scientifiques, des dons et des legs. En revanche, on nous objecte qu'il n'y aurait pas de musées en Afrique ni de compétences, que le patrimoine y serait en péril, que les Africains seraient eux-mêmes des dangers pour leurs propres créations, que le colonisateur aurait sauvé celles-ci. Bref, une remise en question du geste de spoliation, assorti de propos relevant de la condescendance et du paternalisme. Mieux, Bénédicte Savoy et moi-même avons été dépeints en frustrés de la colonialité, travaillés par une douleur que nous voulions totémiser, hostiles aux musées et figés dans une posture revancharde. Pour ce qui me concerne, retour à la vieille représentation du Noir prisonnier de son émotivité, de son affectivité ou de son désir de vengeance.
Un tollé prévisible, non ?
Nous avions anticipé ces réactions, mais pas à ce niveau d'intensité. D'autant qu'on a travaillé en bonne intelligence avec les dirigeants des musées, au point de croire qu'ils se montreraient ouverts à notre approche. Cela dit, les tribunes que je lis en ce moment sont pour l'essentiel raisonnables et raisonnées, loin de la furie des premiers temps. Le vrai débat s'amorce et sera enrichi par les universitaires et les historiens de l'art. L'éruption était sans doute inévitable, mais la fièvre recule.
On vous reproche de prôner une restitution totale et définitive...
Vous pouvez mener un travail sérieux, émettre des propositions nuancées, et découvrir qu'on vous attribue des thèses aux antipodes de ce que vous écrivez. Il suffit pourtant de nous lire... Que disons-nous ? Il y a grosso modo en France 90 000 oeuvres et objets, dont 46 000 seraient entrés entre 1885 et 1960, durant la période coloniale. Certains de ces 46 000 objets relèvent de la spoliation ; d'autres, d'expéditions scientifiques. S'agissant de ceux pour lesquels le non-consentement est avéré, tels les butins de guerre, c'est clair, on restitue. En revanche, pas de restitution pour ceux qui ont été vendus. Voilà pourquoi nous proposons une triple séquence. Avec, à court terme, le retour d'objets symboliques, très peu nombreux. Et, à moyen terme, l'instauration de commissions paritaires travaillant, à partir d'inventaires fournis par les Etats, sur la provenance et le mode d'appropriation. Toute cette complexité-là a été balayée, occultée par le fait qu'on appelle un chat un chat : oui, les objets pour lesquels le consentement ne peut être clairement établi sont appelés à être restitués.
Il existe donc d'autres modalités de "retour au pays" ?
Le rapport traite aussi des restitutions temporaires et mène toute une réflexion sur la circulation des objets. Certains de nos contradicteurs ont voulu jouer la circulation contre la restitution. Non ! "Restituer" signifie rendre à un propriétaire légitime, donc suppose un travail qu'on ne peut escamoter sur le droit de propriété et l'histoire des objets. La circulation ? Elle existe déjà. Tous les conservateurs africains rencontrés veulent non pas détenir, mais faire voyager dans un espace local, régional et mondial. Ils souhaitent même une présence significative des objets d'Afrique en Europe et ailleurs. Même s'il est vrai qu'une telle circulation coûte excessivement cher, ce qui constitue un écueil objectif.
Le consentement explicite ne peut être invoqué qu'à la marge...
Soit. Mais quand on lit L'Afrique fantôme, de Michel Leiris, et tous les textes relatifs à la mission Dakar-Djibouti [1931-1933], force est de constater que les pièces ont été arrachées par la violence, la ruse, l'intimidation. Des trésors d'ingéniosité furent déployés pour s'en emparer. Pas l'ombre d'un consentement, donc. Venons-en aux achats. Lorsqu'on paie 7 francs, soit à l'époque le prix d'une douzaine d'oeufs, un objet revendu ensuite à Paris infiniment plus cher, il est difficile d'y voir une transaction au juste prix.
Autre grief récurrent, un casting privilégiant des interlocuteurs acquis à vos thèses.
C'est une accusation très fallacieuse, émanant pour l'essentiel de marchands d'art et visant à discréditer notre travail. Nous avons accompli cette tâche en huit mois et à temps plus que complet. J'ai d'ailleurs pris une année sabbatique pour m'y consacrer. Nous avons organisé un atelier avec 27 juristes, un autre atelier à Dakar, plusieurs réunions de "critical friends" [partenaires critiques], consulté a minima 150 individus, lu une tonne de documents et d'archives et séjourné dans quatre pays, le Cameroun, le Bénin, le Sénégal et le Mali.
Rendre, soit, mais à qui ? A l'État, aux descendants, au village?
Dans les musées européens figurent des objets appartenant à des entités disparues, tel l'Empire austro-hongrois, mais dont des Etats-nations sont les héritiers, notamment d'un point de vue historique et culturel. De même, l'ancien royaume du Dahomey se situe dans le Bénin d'aujourd'hui. Nous avons en outre examiné la question des communautés transfrontalières. Voyez la famille omarienne [référence à l'érudit soufi et chef de guerre El-Hadj Omar Tall], présente au Sénégal, au Mali, en Mauritanie et en Guinée. Certes, ses biens ont été saisis à Ségou, au centre de l'actuel Mali. Mais le coeur spirituel de la communauté est situé au Sénégal, et ce sont ses animateurs qui en organisent la circulation, abolissant de fait le découpage territorial né en 1885 de la conférence de Berlin.
Ainsi, les objets peuvent devenir les médiateurs d'une nouvelle géographie qui transcende les frontières coloniales. On a vu, là encore au Mali, un musée prêter tel objet de culte à une famille qui, son rituel accompli, le rapporte. Le musée n'est pas l'unique modalité du rapport au patrimoine. Citons la communauté, l'école, le centre d'art, la collection universitaire. Resocialiser les objets, c'est faire droit à cette pluralité de dispositifs. Au fond, que nous disent les Européens ? Ceci : "Vous, Africains, êtes-vous en mesure de dupliquer un dispositif - le musée - créé chez nous vers la fin du XIXe siècle, et de n'attribuer aux pièces qu'il héberge d'autre signification que celle que nous leur assignons, à savoir celle d'objets ethnographiques puis d'oeuvres d'art ?"
Le concept même de musée était-il étranger à la psyché africaine ?
Le musée stricto sensu n'existait pas, mais il y avait des lieux voués à accueillir les objets. On a trouvé au Cameroun des cases patrimoniales, espaces conçus pour les abriter. Certains restaient dans les autels, d'autres, dans les familles, les communautés, les lieux dédiés. Plus tard, les sociétés africaines ont adopté une forme de modernité occidentale et construit des musées, à Dakar, à Bamako et ailleurs.
Maints experts soutiennent par exemple que le général français Alfred Dodds, qui contraignit le souverain dahoméen Béhanzin à la reddition, sauva le patrimoine du royaume.
Soyons précis. A la tête de sa troupe, Dodds boucle en 1893 la conquête du Dahomey. Vaincu, Béhanzin s'enfuit après avoir incendié son palais d'Abomey. Mais, s'il met ainsi le feu, c'est qu'il est inconcevable que les insignes royaux tombent entre les mains de l'ennemi. Dans le même temps, il existe des caches où l'on planque les objets précieux pour les soustraire aux agresseurs, que le général Dodds finira d'ailleurs par découvrir. De là à prétendre qu'il a sauvé Abomey de l'anéantissement...
Nombre de conservateurs vous reprochent de raisonner hors contexte, de juger les pratiques d'hier à l'aune de normes morales d'aujourd'hui.
Étrange. C'est un peu comme si l'on soutenait que la traite des nègres n'avait rien d'abject, alors même qu'à l'époque, et y compris au sein de l'Église, fleurissaient des condamnations éthiques. Un geste d'appropriation violent reste un geste d'appropriation violent, quelle que soit la période. Au demeurant, nous portons un jugement non pas moral, mais historiographique. Il ne s'agit pas de dire que c'était mal, mais de décrire comment tel objet a été accaparé.
La logique de restitution conduit-elle, comme l'affirment ses détracteurs, à confiner les objets récupérés dans l'espace national ?
Non, il s'agit d'un risque imaginaire. Les conservateurs du continent s'inscrivent dans un contexte panafricain. Ainsi, le musée des Civilisations noires de Dakar n'est pas un musée national. Car sa bonne géographie est sous-régionale: Sénégambie [l'ensemble Sénégal-Gambie], Guinée, Guinée-Bissau, jusqu'au Mali. Au-delà, on invoque parfois l'idéal du musée universel. Il serait intéressant qu'on nous prête des Rembrandt, des Picasso, que les oeuvres emblématiques du patrimoine européen viennent ici puis repartent. Au musée du Quai-Branly, qui est un musée "des autres", les cultures de l'Europe sont absentes. La vraie segmentation est là. L'un des défis pour l'Afrique est de ne pas reproduire un tel schéma.
Peut-on contourner le dogme de l'inaliénabilité des biens nationaux?
Quand, en 2002, il a fallu rendre à l'Afrique du Sud la dépouille de Saartjie Baartman [esclave exhibée en Europe sous le surnom de "Vénus hottentote", décédée à Paris en décembre 1815], on a adopté une loi d'exception pour la sortir du patrimoine national. Idem pour les manuscrits royaux coréens restitués en 2010, sous Nicolas Sarkozy. Et il en va de même pour les têtes maoriesrendues à la Nouvelle-Zélande deux ans plus tard, ou pour les sept crânes de résistants algériens à la colonisation, promis par Emmanuel Macron lors de sa visite à Alger, en décembre 2017. S'agissant de notre proposition d'amendement du Code du patrimoine, nous avons travaillé avec des juristes qui ont oeuvré sur la spoliation des biens juifs. Ce que nous proposons est très mesuré. Les collections nationales françaises demeurent inaliénables. Mais une section aménage le traitement du continent africain, dans le cas où la provenance de l'objet concerné est claire et la captation violente, établie. De sorte qu'il ne soit plus nécessaire de revoter une loi d'exemption au cas par cas.
Qu'adviendra-t-il des collections privées ?
Au début, je ne comprenais pas pourquoi les marchands d'art étaient si remontés contre nous. On s'occupe des collections publiques, pas d'eux. Ensuite, j'ai compris que la restitution par les musées de ce qui relève de la captation patrimoniale enverrait un signal à un marché qui s'approvisionne aussi via le trafic, jusqu'à rendre oeuvres et objets moins désirables. Si l'on veut assainir toute la mécanique, respectons les conventions en vigueur, à commencer par celle adoptée en 1970 à l'Unesco, et qui porte sur le commerce illicite de biens culturels. Convention que la France n'a d'ailleurs ratifiée qu'en 1997 [avant le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Belgique], ce qui n'a pas dissuadé le Quai-Branly d'acquérir ultérieurement des statues nok ou des bronzes du Bénin, oeuvres dont nul n'ignorait qu'elles furent spoliées.
Craignez-vous que, mesurant son caractère conflictuel, l'Elysée ne laisse le dossier s'ensabler, quitte à enterrer votre document ?
Ce risque existe pour tout rapport. Mais l'élan d'Emmanuel Macron me semble sincère. L'un des facteurs qui m'ont incité à accepter la mission, c'est la réelle volonté d'avancer perceptible au sein de ses équipes. En clair, il ne s'agit à mon sens ni d'un coup de com' ni d'un coup de bluff. Cela posé, l'Elysée ne s'attendait sans doute pas à ce qu'on aille si loin.
Existe-t-il en France un lobby anti-restitution ?
Oui. Un lobby doté d'une indéniable capacité de mobilisation et de nuisance, très actif dans les semaines qui ont précédé la remise du rapport. Pour autant, je ne crois pas que cet effort soit de nature à faire dérailler le processus engagé, difficilement réversible. Comment pourrait-on rendre 26 oeuvres au Bénin et ne pas agir de même envers d'autres pays ? La Côte d'Ivoire a dressé sa liste, le Cameroun et le Sénégal travaillent aux leurs. Elles recenseront des biens peu nombreux, mais pourvus d'une forte charge symbolique. C'est bien ce à quoi aspirent les conservateurs africains. Ils ne veulent pas tout reprendre, mais souhaitent installer la relation dans une coopération muséale à long terme. Tel objet ou telle collection pour telle expo... Voilà pourquoi je crois profondément qu'il n'y aura pas d'hémorragie au détriment des musées hexagonaux. C'est un fantasme.
* Restituer le patrimoine africain, par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Philippe Rey/Seuil, 188 p.