VIDEOPOUR ACHILLE MBEMBE, LA FRANÇAFRIQUE A VÉCU
Pour l'intellectuel camerounais, l'influence française sur le continent africain n'est plus qu'un vestige du passé. Entre bases militaires fermées et franc CFA contesté, il appelle à se débarrasser rapidement de ces "irritants qui ne servent personne"

L'historien et philosophe Achille Mbembe a livré une analyse sans concession des relations franco-africaines dans un entretien accordé à France 24. Directeur général de la Fondation de l'innovation pour la démocratie, il s'est exprimé depuis Johannesburg à quelques semaines des secondes assises de la démocratie prévues à Dakar.
Le constat d'Achille Mbembe est catégorique : "Elle est terminée la Françafrique, objectivement elle n'existe plus." Pour l'intellectuel camerounais, cette page de l'histoire est définitivement tournée, non par choix politique mais par nécessité : "La France ne dispose plus aujourd'hui des moyens d'exercer sur le continent la sorte de domination qu'on lui prête."
Cette évolution se manifeste concrètement par l'expulsion des bases militaires françaises du Sahel, mais aussi de pays comme la Côte d'Ivoire, le Tchad ou le Gabon. Mbembe estime qu'il fallait "aller vite" pour se débarrasser de ces "irritants qui ne servent personne", y compris le franc CFA qu'il considère comme une institution ayant "perdu de sa légitimité aux yeux des nouvelles générations".
Quatre ans après avoir accepté la proposition d'Emmanuel Macron de travailler à "régénérer la relation entre la France et l'Afrique", Mbembe défend le bilan des initiatives lancées. Sa Fondation pour l'innovation pour la démocratie étend désormais son empreinte sur 36 pays africains, avec des antennes récemment ouvertes dans l'océan Indien et bientôt en Afrique orientale et lusophone.
Selon lui, la transformation des relations franco-africaines est "inévitable au regard de la donne géopolitique mondiale qui se dessine aujourd'hui". Il appelle maintenant les sociétés civiles africaines et françaises à "prendre le relais et traduire en acte l'intuition" du président français, estimant que "le plus vite on y va, le mieux ce sera".
Cette réflexion sur la présence française s'inscrit dans une analyse plus large de la situation démocratique du continent. Mbembe dénonce le paradoxe d'un continent majoritairement jeune dirigé par "des vieillards dont beaucoup peinent d'ailleurs aujourd'hui à rester éveillés". Pour lui, la limitation des mandats présidentiels constitue "une condition absolument fondamentale de la régénération du champ politique".
Concernant son pays natal, le Cameroun, où le président Paul Biya semble se préparer à un nouveau mandat, Achille Mbembe livre un témoignage accablant après une récente visite à Yaoundé : "C'est une ville déliquescente, jonchée de poubelles", image qu'il considère "symptomatique d'un ordre politique qui tarde à passer".
Achille Mbembe conclut sur une note optimiste, appelant à "s'appuyer sur les forces neuves pour inventer autre chose", une aventure qu'il qualifie d'"absolument excitante d'un point de vue intellectuel et personnel". Pour lui, l'ère post-Françafrique n'est pas à craindre mais à embrasser comme une opportunité historique pour redéfinir sur des bases plus équilibrées les relations entre la France et l'Afrique.
Le philosophe observe parallèlement une dynamique encourageante avec "une remontée de l'activisme notamment parmi les femmes et les jeunes" et l'émergence d'une société civile qui utilise de plus en plus les réseaux numériques pour se faire entendre et participer à cette refondation des relations internationales du continent.