DAKAR ET SA BANLIEUE ONT PERDU LEURS TROTTOIRS
De Keur Massar à Diamaguène, en passant par les Hlm, Liberté VI et Tivaouane Peulh, notre reporter constate le décor d’une occupation anarchique des espaces publics

Dakar commence à respirer. Les rues encombrées de la capitale se désengorgent petit à petit. Le nouveau ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, M. Abdou Karim Fofana, a lancé depuis quelques jours l’opération de désencombrement des rues de Dakar. Lancée tambour battant, cette opération Augias est une traduction concrète et diligente de la volonté du président de la République de faire du Sénégal un pays avec 0 déchet. De Keur Massar à Diamaguène, en passant par les Hlm, Liberté VI et Tivaouane Peulh, notre reporter constate le décor d’une occupation anarchique des espaces publics notamment les trottoirs, posant un véritable casse-tête pour les usagers et automobilistes. Reportage.
Malgré les multiples dénonciations et manifestations de protestation, les interpellations faites aux autorités gouvernementales et/ou municipales aussi, l’occupation anarchique des emprises, notamment des trottoirs et espaces publics, gagne toujours du terrain. Dans Dakar même comme dans sa lointaine banlieue, s’ouvrir un chemin pour vaquer à ses occupations relève du parcours du combattant. Il est 11 h au rond-point Keur Massar, le vent souffle légèrement en cette fin de matinée du mois d’avril. Commerçants, marchands ambulants ont fait de ce lieu un véritable carrefour de commerce. Ce qui rend difficile l’accès de toute la zone alentour. Les trottoirs et les chaussés des deux voies de la route qui mène vers Diakhaye sont occupés par des marchands « ambulants » qui squattent en permanence les lieux. Les riverains éprouvent ainsi beaucoup de peine pour se mouvoir. C’est le cas de Khadija Diop étudiante en licence 2 de la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) venue faire réparer son téléphone. Elle nous liste ses récriminations face à cette situation. « C’est vraiment inquiétant. On n’arrive même pas à circuler. On est obligé de jouer des coudes ou de se livrer à des bousculades qui peuvent souvent conduire à des altercations avec les marchands ambulants », se désole la jeune fille. Elle interpelle l’Etat « à faire dégager les marchands » des passages publics. Cette occupation, à en croire la demoiselle, serait à l’origine de beaucoup d’accidents. « Ils encombrent les espaces et nous masquent la vue. De ce fait, on risque gros en traversant la route à cause de cette occupation anarchique. On peut se faire heurter par des véhicules qui débouchent soudain comme ce fut le cas un jour lorsqu’un bus Tata avait renversé un jeune écolier », narre la jeune étudiante. Une présence anarchique de vendeurs qui indispose les piétons, mais qui ne semble nullement déranger les ambulants. « Nous sommes là pour essayer de gagner notre vie. Nous ne faisons rien de mal. On ne vole pas et on n’agresse personne. On n’empêche pas non plus les gens de vaquer à leurs occupations » se défend un jeune ambulant. 0 déchet, un vœu pieu Dans la même zone, en allant vers Tivaouane Peulh, une des places publiques réalisées avec la création de nouvelles infrastructures, est également occupée par des marchands. Des vêtements et divers accessoires sont étalés un peu partout. Assis sur un des bancs de cet espace public, également squatté par des mendiants, le vieux Mamadou Diouf lit un journal. « Cette place a été réalisée pour les habitants en quête de repos. Mais elle est devenue un lieu de commerce. La mairie de Keur Massar a tout fait pour faire déguerpir les vendeurs de ces lieux. En vain… Si on les déloge aujourd’hui, ils reviennent tranquillement le lendemain » se désespère le vieil homme tout en manifestant son scepticisme pour un Sénégal avec 0 déchet.
Des emprises transformées en marchés
La situation est beaucoup plus inquiétante à Diamaguène. Sur la bretelle qui mène vers la nationale, précisément à l’entrée de cette commune, vendeurs de café, taxis clandos et cars rapides se disputent l’espace. Un désordre total y règne. Des voitures en panne garées un peu partout, certaines devenues des carcasses. Pour se frayer un chemin, il faut jouer des coudes tout en évitant les carcasses de voitures et autres bibelots qui trainent un peu partout sans compter les flaques d’eaux. A l’intérieur du marché, en plus de l’insalubrité, c’est un véritable capharnaüm qui se dresse devant les clients qui effectuent de gros efforts pour faire leurs emplettes. La vendeuse de poissons Fatou Sène semble paradoxalement beaucoup plus préoccupée par son chiffre d’affaires que par ce désordre. « Les choses ont toujours été ainsi. On a d’autres préoccupations que ce désordre qui est propre à tous les marchés » répond-elle sur un ton très ferme avant de continuer son marchandage avec un client.
A la Patte d’Oie, c’est presque le même désordre que partout ailleurs. La seconde passerelle traversant la route de l’ancien aéroport, pourtant destinée aux piétons, est prise d’assaut par les marchands ambulants. Ils ont transformé cet espace pour piétons en un lieu de commerce. Sans gêne et souvent avec désinvolture, ils occupent les lieux en étalant un peu partout leurs marchandises. Disputant ainsi l’espace avec les piétons à qui ces passerelles sont réservées. On peu dupliquer le même décor à toutes les autres places publiques de la capitale et de sa banlieue. Ce qui fait dire à un automobiliste que le désencombrement de Dakar n’est pas pour demain. A moins d’un miracle ! Ne parlons pas de « zéro déchet ». Peut-être à la saint glinglin !
Encombrement au sommet de l’inacceptable au Rail Bi !
S’il y a un lieu où l’encombrement est au summum de l’inacceptable, c’est bien l’axe qui va du coin dit Rail Bi, à l’intersection des Hlm1 et de la cité Castors, jusqu’au niveau des deux stations d’essence. Le piéton qui veut prendre cet axe doit s’armer de patience pour ne pas péter les plombs. C’est un véritable capharnaüm que constitue ce secteur. Vendeurs de motos et pièces détachées, mécaniciens et autres éléments du secteur informel ont pris possession des emprises de ce secteur. Le piéton n’a ainsi qu’un seul choix, se disputer l’asphalte avec les véhicules et autres engins. « L’on se demande ce que fait l’équipe municipale. C’est comme si ce qui se passe ici ne la concerne pas. Et pourtant, elle nous avait promis un meilleur cadre de vie quand elle venait solliciter nos voix » éructe un vieux riverain outré par la situation qui prévaut dans ce secteur des Hlm.
Conséquence de ce désordre incroyable : de fréquents accidents de la circulation dont le dernier en date est celui qui a vu un bus Tata fracasser la tête d’un jeune motocycliste. En fin décembre dernier, un camion avait violemment heurté un vieillard qui voulait emprunter cette route. Et il y a quelques jours, un autre vieux était mortellement fauché par un autre Tata. Des cas similaires, on en compte à la pelle dans cette cité, vieille de plus de cinquante ans. Une situation qui met automobilistes et piétons dans l’inconfort. Ce qui ne laisse pas indifférents les chauffeurs de cars rapides qui font preuve d’indiscipline sur les axes routiers. « J’ai beaucoup d’estime, de considération et de respect pour nos frères mécaniciens. Parce que ce sont eux qui nous viennent au secours quand nos véhicules tombent en panne. Mais je pense que ce n’est pas logique qu’ils occupent les voies piétonnes. Ils devraient chercher d’autres endroits plutôt que de se mettre sur les espaces publics. Ils sont très souvent à l’origine des accidents du fait qu’ils obligent les piétons à circuler sur la chaussée faute de trottoirs. Il faut qu’on les déguerpisse et qu’ils puissent avoir des places pour exercer leur métier » prône Fallou Sèye, chauffeur de car rapide.
Au rond-point Liberté VI, sur l’axe qui mène vers le camp Leclerc, se forment de longues files d’individus. Ils se mettent en rangs pour prendre les clandos qui effectuent des courses entre Liberté VI et différents endroits de la ville. Les chauffeurs de ces clandos se disent eux aussi victimes des encombrements qui sont visibles un peu partout. Des encombrements qui sont à l’origine des embouteillages. En effet, des marchands prennent possession de la plus petite parcelle pour y étaler leurs camelotes, ce qui rend du coup la circulation difficile avec de fréquents embouteillages qui se ressentent dans différents carrefours qui mènent à ce secteur. Ce qui fait dire aux usagers et automobilistes que désencombrer Dakar et sa banlieue reviendrait à rendre plus fluide la circulation tout en participant à la libération des passages piétons. Un objectif qui, pour l’heure, semble constituer un vœu pieux auquel, sans doute, même les autorités qui ont lancé la campagne de désencombrement des rues de la capitale ne croient pas elles-mêmes…