"LES NOIRS RESTENT PEU VISIBLES DANS LE CINÉMA FRANÇAIS"
À l’occasion du Festival de Cannes, la réalisatrice et écrivaine franco-ivoirienne Aude Konan, 28 ans, est revenue dans une chronique pour OkayAfrica sur le manque de diversité dans le cinéma français

En marge du Festival de Cannes de 2018, un essai collectif de seize comédiennes noires ou métisses intitulé Noire n’est pas mon métier avait été publié pour dénoncer les discriminations et stéréotypes dans le cinéma français. Cela a-t-il fait évoluer les mentalités ?
AUDE KONAN Il y a un an, la sortie de ce livre m’a surprise, car c’est un sujet dont je parlais avec des amis acteurs et réalisateurs, mais qui ne perçait pas dans le débat public. Je me sentais concernée : à 17 ans, je suis devenue actrice, et la plupart des rôles qu’on m’a proposés étaient liés à des clichés racistes. Je devenais soit prostituée analphabète, soit migrante clandestine. J’ai abandonné ce métier au bout de trois ans, car se conformer à ces clichés était trop dur psychologiquement.
Aujourd’hui, cela n’a pas beaucoup changé, les Noirs restent peu visibles au cinéma, le choix de rôles proposé demeure limité. Récemment, Karidja Touré, qui a joué dans le film Bande de filles de Céline Sciamma [sorti en 2014], a expliqué qu’elle était surtout bonne à faire “l’accent africain” [sic]. Quel pouvoir ont ces actrices ? Si elles disent non à des propositions, elles risquent de ne plus avoir de travail.
Vous avez décidé de vous installer à Londres à 22 ans. Le cinéma britannique est-il plus ouvert aux personnes de couleur ?
Pour être honnête, ce n’est pas très compliqué de l’être plus qu’en France. Mais en Angleterre, il y a en effet plus de représentation de la diversité. On retrouve des acteurs, principalement métis, qui jouent des rôles qui n’ont aucun lien supposé avec leurs origines. Les Anglais veulent aussi montrer que leur pays est multiculturel et ouvert. On retrouve ainsi souvent à l’écran des jeunes couples mixtes avec un enfant métis, qui vivent dans une grande ville. Mais la situation est toujours difficile. Les personnes noires ou métisses sont encore souvent cantonnées à des seconds rôles. C’est pour cette raison que nombre d’acteurs décident de partir aux États-Unis.
Comment expliquer le retard français sur la diversité ?
Ce qui se passe en Angleterre et en France est le produit de l’histoire de ces pays, celle de la colonisation. En Angleterre, le modèle de colonisation était de laisser vivre les communautés tant qu’elles n’allaient pas trop loin, ce qui a permis une certaine représentation de ces minorités. Mais en France, c’était la politique coloniale de l’assimilation, ce qui a conduit aujourd’hui à l’idée que personne n’a besoin d’être représenté en tant que tel, car nous sommes tous Français. Le problème est que vous êtes seulement Français lorsque vous n’êtes pas trop noir. Et si vous êtes trop noir, vous n’êtes alors plus vraiment Français.
Pourquoi est-ce si important de se sentir représenté à l’écran ?
Quand vous n’êtes pas représenté, vous êtes invisible. Et quand vous êtes invisible dans une société dans laquelle à laquelle vous êtes censé appartenir, vous avez le sentiment que vous n’êtes pas légitime. Quand adolescente, je regardais les séries télé, je ne m’y retrouvais pas. C’était l’inverse dans les médias anglais ou américains. Alors je me suis dit que pour avoir un avenir et des opportunités, je devais partir m’installer à l’étranger.
Aujourd’hui en France, j’ai quand même un peu d’espoir. Il y a de nombreuses initiatives menées par des afrodescendants qui se battent pour augmenter la représentation, sans attendre que cela leur soit un jour accordé.
Qu’avez-vous pensé du film Atlantique de la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, présenté à Cannes cette année ?
C’est une belle surprise pour moi car je n’en attendais pas grand-chose. Il y a déjà eu tant de films français qui parlent d’immigration africaine, toujours avec misérabilisme, toujours avec ce cliché des personnes noires qui souffrent pour accéder au Graal que serait l’Occident. Mais Atlantique est différent. C’est l’histoire d’une jeune femme amoureuse d’un jeune homme qui galère au Sénégal et qui décide de prendre un bateau pour rejoindre l’Europe. Elle l’attend alors qu’elle doit se marier avec un autre homme. C’est une histoire de l’éveil à l’âge adulte, d’une femme qui apprend à se connaître et à assumer qui elle devient. Un film sur l’amour et le deuil de l’enfance. Je le recommande vivement.