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30 avril 2025
Développement
"IL N'Y AURA JAMAIS DE SCÉNARIO UNIQUE"
Sur la note du CAPS intitulée « L'effet Pangolin : la tempête qui vient d'Afrique ? », le grand intellectuel africain, Achille Mbembe, livre son analyse
Le Point Afrique |
Malick Diawara et Viviane Forson |
Publication 16/04/2020
Le Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères a récemment publié une note extrêmement alarmiste sur ce qui attend l'Afrique à la suite de la crise du Covid-19. Les scénarios mis en évidence en ont ému plus d'un tant ils sont pessimistes pour l'avenir du continent. Intitulée « L'effet Pangolin : la tempête qui vient d'Afrique ? », elle a beaucoup fait réagir autant en Afrique qu'en France. Pour Le Point Afrique, le grand intellectuel camerounais, professeur à l'université sud-africaine du Witwatersrand, cofondateur avec Felwine Sarr des Ateliers de la pensée de Dakar, auteur, entre autres, de Brutalisme (Paris, La Découverte, 2020) a accepté de réagir à tous les aspects de cette note.
Le Point Afrique : Quelle signification faut-il donner au timing de cette note publiée à quelques mois de la tenue du sommet Afrique-France, aujourd'hui reporté, et du début de l'année culturelle Africa2020 organisée sous l'égide de l'Institut français ?
Il ne faut pas accorder plus d'importance à cette note qu'elle n'en a véritablement. Des notes de conjoncture, le Centre d'analyse, de prévision et de stratégie en a très souvent produit. Ce qu'il faut déplorer, c'est que très peu d'États africains et très peu d'institutions continentales se soient penchés sur cette question qui ne préoccupe pas que la France, mais l'ensemble des puissances du monde. Les compétences locales existent pourtant, mais elles sont soit à l'abandon, soit mieux utilisées ailleurs par d'autres nations et institutions que les nôtres.
Si nous étions mieux organisés, nous serions nous aussi en train de produire, sur la base de nos recherches et intérêts propres, nos propres analyses concernant l'impact prévisible du Covid-19 sur l'Europe, les États-Unis, la Chine, l'Inde ou la Russie. Chez nous cependant, le rapport entre savoir, connaissance et pouvoir est pratiquement inexistant. Ceux qui gouvernent n'agissent pas sur la base d'études ou de connaissances fondées. Souvent, ils n'ont que mépris pour la recherche locale. Du coup, toute forme d'expertise sur nos propres sociétés et leur devenir leur vient presque toujours de l'extérieur. Cette forme d'extraversion mentale ne nous coûte pas seulement cher. Elle nous conduit tout droit dans l'impasse.
Cette note oppose d'emblée les populations et les États africains. A-t-elle raison ? Si oui, pourquoi ?
À ma connaissance, il n'existe aucun agent social ou force historique appelé « les populations ». Le terme « populations » est un concept sociodémographique. Ce n'est pas, en soi, une force sociale-historique dotée d'une volonté et d'une intentionnalité. Pour saisir les grandes fractures qui traversent nos sociétés, il faut des analyses plus complexes. Par exemple, on doit savoir que hors l'État, il y a très peu d'assemblages sociaux d'envergure nationale. Là où existent des partis d'opposition, les logiques de prébende ne manquent point et les coalitions se font et se défont au gré d'intérêts souvent alimentaires. Parfois, ce sont les partis au pouvoir qui fabriquent eux-mêmes leur propre opposition, qu'ils ne se cachent pas, au demeurant, de financer.
En d'autres termes, l'État est capturé par la société et la société est capturée par l'État. On ne comprend rien aux processus sociaux si on ne tient pas compte de cette gémellité et de cet enchevêtrement. Tout le reste est très fragmenté. De mouvements sociaux dignes de ce nom, il n'en surgit qu'épisodiquement, et la plupart font très vite l'objet de récupération. Je dirais donc que les grandes lignes de fracture n'opposent pas l'État à « la population ». Au fond, « la population » n'est pas foncièrement dressée contre l'État. Ce que revendiquent individus et collectifs, ce n'est pas tant le démantèlement du système que leur part de la rente étatique, peu importe qu'ils y aient accès directement par la prédation ou que celle-ci tombe en miettes de la table des dominants et autres entrepreneurs sociaux, religieux ou ethniques. Parce qu'il s'agit de systèmes qui, souvent, ont su décentraliser les occasions de ponctionner et toutes sortes d'opportunités d'accaparement, y compris par la force. Leurs racines sont plus profondes au sein de la société qu'il n'y paraît.
La décapitation au sommet ne suffit donc pas à les détruire. C'est un mécanisme pervers d'appropriations et de transferts de toutes sortes qu'il faut casser ou réformer. Par ailleurs, la sédimentation de ces assemblages de la domination est très avancée et, en soixante ans de post-colonialisme, ils ont largement eu le temps de rendre transnationaux leurs intérêts. Ce ne sont plus seulement des formations locales. Elles s'inscrivent dans des réseaux et cartels transnationaux dont elles servent les intérêts tout en se servant elles aussi, et ces réseaux et cartels ont à leur tour intérêt à garantir leur maintien au pouvoir sur la durée. Il en sera ainsi tant que ne s'est pas constituée une véritable force contre-hégémonique. Si on veut réfléchir sérieusement sur l'impact potentiel de la pandémie sur le devenir de ces sociétés et de leurs régimes politiques, il faudra donc éviter de greffer sur une réalité mobile et pluriforme des catégories tirées d'histoires et d'expériences lointaines.
Cette note n'est-elle pas en creux et peut-être de manière non volontaire une critique acerbe de la politique même de la France qui a contribué à mettre en place ces États, les a épaulés et soutenus dans la logique de pratiques logées dans ce qu'on a appelé la Françafrique ?
Vous évoquez la Françafrique. Le président Emmanuel Macron est, pour sa part, préoccupé par ce qu'il appelle « la montée du sentiment anti-français » en Afrique francophone. Là où un tel sentiment existe, on a vite fait de l'attribuer à Moscou, aux djihadistes, ou à ce que d'aucuns appellent désormais « les nouveaux panafricanistes ». Ici également, on se trompe. Il ne faut pas confondre le « sentiment anti-français » et la nouvelle demande d'autonomie et de souveraineté portée par les nouvelles générations. Cette nouvelle aspiration politique et culturelle est légitime. Elle se justifie au regard des inqualifiables abus perpétrés au cours des soixante années de post-colonialisme.
Ce qu'il convient par conséquent d'organiser, en bon ordre, c'est en quelque sorte le parachèvement de la décolonisation. Il faut bien se rendre compte de la charge polémique de ce terme, mais ce que j'ai à l'esprit, c'est une « grande transition » d'ampleur véritablement historique. La France a des intérêts militaires, économiques, financiers et culturels en Afrique. Elle y est d'ores et déjà présente. Elle y intervient de plusieurs manières. Elle n'est donc pas neutre. Au contraire, elle est partie prenante du drame qui se joue sous nos yeux. Il serait irréaliste de lui demander de saborder ses intérêts. Par contre, ce qu'il nous faut identifier, consolider et clarifier, ce sont nos intérêts propres, dans une nouvelle aventure commune qu'impose au demeurant la planétarisation de notre monde, mais une aventure dans laquelle nous ne serons pas, comme par le passé, les éternels perdants.
Pour y parvenir, nous avons besoin d'un changement radical de direction, d'une autre sorte d'intelligence collective, d'autres coalitions sociales, d'autres élites gouvernantes, de nouvelles classes dirigeantes, d'un nouveau rapport entre le pouvoir et la vie. Ma conviction est qu'il est de l'intérêt de la France de soutenir et d'accompagner, en toute connaissance de cause, un tel retournement stratégique, faute de quoi il s'effectuera contre elle. Car, tant que dans l'imaginaire des nouvelles générations, le nom de la France demeure associé à la persistance de la tyrannie, de la brutalité et de la corruption en Afrique, le désir d'autonomie et de souveraineté se construira nécessairement contre la France et ses soutiens locaux.
Ceci passe par la mise en place de relais institutionnels dont la vocation explicite serait de contribuer au développement des libertés fondamentales et de la démocratie en Afrique. La déstabilisation de l'informel et la crise autour de la rente pétrolière sont présentées comme des éléments de rupture des équilibres sociaux et donc déclencheurs de processus de transition politique.
Pensez-vous que la crise du Covid-19 soit suffisamment impactante pour vraiment faire atteindre à ce processus son point de bascule ?
Tout dépend de la capacité de résilience des régimes en place et des sociétés concernées. Souvent, les grands basculements ne surviennent pas au moment même où se déroulent les calamités, mais bien après que celles-ci ont eu lieu. Bien des régimes en bout de course ne tomberont donc pas demain matin. Certains ont encore de quoi brader, en particulier à la Chine à laquelle ils doivent d'ores et déjà des dettes colossales.
Supposons par ailleurs que des centaines de milliers d'Africains perdent la vie en conséquence de ce virus, ce ne sera pas la première fois que ces pays feront l'épreuve d'une catastrophe de cette ampleur, même si, dans le cas qui nous concerne ici, le rythme sera plus rapide que d'ordinaire. En d'autres termes, il n'y a aucun rapport mécanique entre les catastrophes sanitaires et les soulèvements populaires. Il ne faut sous-estimer ni les capacités des sociétés africaines à encaisser de terribles chocs (ce qui ne veut pas dire qu'il faut leur en infliger davantage) ni la capacité des régimes africains à instrumentaliser le chaos et à tirer parti du désordre pour renforcer leur emprise sur le pouvoir. La plupart n'ont fait que cela depuis les décolonisations formelles.
Pour que la mort de masse se transforme en levier d'une politique du soulèvement et de la révolte, encore faut-il que la mort en tant que telle fasse l'objet d'une interprétation politique. Or, dans la plupart de ces pays, les gens n'ont pas coutume d'établir des rapports de causalité entre le trépas individuel, la structure du pouvoir, les mécaniques de l'inégalité ou même les politiques d'abandon pratiquées par les régimes en place. Souvent, la maladie et la mort sont perçues comme une affaire de sorcellerie au sein de la famille, du clan ou du lignage, lorsqu'elles ne sont pas le résultat d'un décret supposément divin. Sans interprètes et traducteurs culturels capables d'inscrire la mort de masse dans le registre de la causalité politique, la calamité risque de n'être qu'une tragédie de plus dans la longue série des tragédies africaines, un facteur de plus d'affaiblissement et de dissipation des potentialités insurrectionnelles sur le continent.
La note du CAPS parie sur un scénario glaçant partant de la question du ravitaillement (eau, nourriture, électricité) à des phénomènes de panique urbains sur fond de manipulations populistes. Le trouvez-vous crédible ? Si oui, si non, pourquoi ?
Il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais de scénario unique, et ce n'est pas vrai que nous allons affronter cette calamité les mains entièrement nues. Après tout, ce n'est pas la toute première fois que nous sommes exposés à des risques qui mettent en péril la vie de centaines de milliers de nos gens. Songeons, par exemple, aux cyclones, aux sécheresses, à Ebola, aux invasions de criquets, aux pénuries alimentaires.
Pour le reste, dans plusieurs pays, de véritables stratégies de riposte et d'innombrables formes de mobilisation ont été imaginées ou sont à l'œuvre. Au Sénégal, par exemple, le gouvernement a utilisé l'expertise de mon ami Felwine Sarr et de son équipe de jeunes économistes locaux pour élaborer un plan de résilience à l'échelle nationale. En ce moment même, la petite équipe est en train de réfléchir sur l'après-Covid-19 et sur la manière dont cette crise pourrait être mise à profit non pour relancer l'économie sur les bases anciennes, mais pour la réinventer littéralement, en mettant au centre l'équilibre entre les humains et la biosphère. On le voit bien, il s'agit là de questions qui n'intéressent pas que le Sénégal puisqu'elles sont d'ordre planétaire. La catastrophe n'est donc pas inévitable.
Ce que Felwine Sarr et ses collègues font sur le plan de l'expertise économique, d'autres le font à d'autres niveaux, sur le plan des savoirs et pratiques populaires. Il n'y a pas assez de masques ? Les couturiers et les tailleurs en créent de toutes les couleurs, utilisant les tissus locaux. Les conducteurs de mobylette inventent de nouvelles formes de transport qui permettent une distanciation plus ou moins adéquate entre eux et leurs clients. Dans ce que l'on appelle « la débrouillardise » ou « l'informel » gît en réalité un immense réservoir de savoirs pratiques, d'immenses gisements cognitifs qu'il s'agit de libérer et pas seulement pour ces temps de crise. Nos sociétés ont appris à calibrer adroitement la frugalité des moyens et l'habileté inventive. Elles auront appris à s'en sortir souvent avec très peu, à partager à plusieurs le peu qu'il y a, à tisser des liens neufs de solidarité quand sonne le glas, à pratiquer d'ores et déjà la sorte de politique de la sobriété que commande l'époque. Il existe donc une intelligence collective et des formes locales d'expertise qu'il suffit de mobiliser et d'exploiter au service de nos peuples.
Les conséquences les plus tragiques, et malheureusement les plus invisibles, risquent d'avoir lieu dans les satrapies de l'Afrique centrale, ou le gouvernement par la négligence, l'abandon et l'improvisation est devenu, depuis près d'un demi-siècle, la norme. Ici, sous la férule de pouvoirs autophages, le sens du bien public ou du bien commun a pratiquement disparu. On vole tout, sans exception, y compris l'aide humanitaire.
Le ratio dette/PIB est désastreux et la crise d'endettement est réelle. Les cours du pétrole ne cessent de tomber. Le Cameroun, à lui tout seul, doit près de 5,7 milliards de dollars à la Chine. Les décennies de tyrannie, de brutalité et de crétinisme ont profondément affaibli les capacités de résistance y compris morales des individus. Les pays corrompus et mal gouvernés paieront donc le prix fort à la pandémie. Mais que tout cela se termine par des soulèvements populaires n'est pas garanti.
Dans le chaos annoncé, où trouver les autorités auxquelles les populations pourraient s'identifier, les processus auxquels elles pourraient adhérer pour que l'Afrique reparte du bon pied ?
Comme je l'indiquais tout à l'heure, plusieurs possibilités s'ouvrent à nos sociétés, et les trajectoires qu'elles suivront seront multiples. Les sociétés les plus vulnérables sont celles dont les appareils étatiques ont été capturés et monopolisés par des tueurs à gages et leurs sicaires. Il s'agit d'États qui, derrière les oripeaux formels, ne fonctionnent en réalité qu'à coups de corruption et d'arbitraire, où les régimes au pouvoir ne sont comptables devant nul autre qu'eux-mêmes, où le rapport à toutes les formes d'autorité est un mélange de défiance passive, de simulation et de compromission, où l'obéissance a fini par revêtir la forme de la crainte, de l'obséquiosité et de la peur. Viendrait-elle à prendre des proportions gigantesques, ces sociétés sortiront profondément affaiblies de cette épreuve.
Cela ne signifie pas qu'elles connaîtront nécessairement des soulèvements. On risque plutôt d'assister à de longs et interminables processus d'involution susceptibles de déboucher sur une atonie généralisée. De tels processus autophages menacent en particulier les satrapies d'Afrique centrale. Si vous voulez, c'est le scénario haïtien, celui de l'enkystement et d'une « tonton-macoutisation » généralisée de la société, de la culture et du pouvoir, sur fond d'extractivisme sauvage et de bradage des forêts et du pétrole, des métaux rares et des richesses naturelles du sous-sol. Si elle veut sortir par le haut de cette crise, il faudra que l'Afrique la mette à profit pour changer radicalement de direction et reconstitue les fondements de l'autorité. Nous avons la chance de disposer, dans le fonds culturel de nos sociétés, d'innombrables réserves de savoirs et de pratiques d'auto-organisation, de mutualisation de ressources, de formes relationnelles relativement paritaires même si elles vont de pair avec de fortes hiérarchies (hommes/femmes, cadets sociaux/aînés sociaux, castes etc.). Il nous faut utiliser ce fonds culturel pour construire une « société de pairs » et réimaginer la communauté sur la base du principe de la parité, et de la réciprocité, du partage et de la mutualité. Il s'agit de principes très ancrés dans nos imaginaires collectifs et dans nos pratiques culturelles, même si les vies réelles de nos sociétés sont aussi faites de rivalités, de compétition et de divisions segmentaires. C'est à partir de tels principes que s'édifieront de nouvelles formes légitimes d'autorité.
Cette note n'illustre-t-elle pas quelque part le fait qu'au plus haut niveau de la diplomatie française, on a pris son parti du discrédit de nombre de nos gouvernements actuels ?
Les responsables français ne partagent pas tous la même analyse de la situation des États et régimes africains postcoloniaux. Ils n'ont pas de position unanime concernant ce que la France doit faire, où, quand, avec qui et pourquoi. Le président Emmanuel Macron a raison de dire que ce n'est pas à lui d'exiger la chute de tel régime ou de tel autre en Afrique. Si les Africains veulent la démocratie chez eux, c'est à eux qu'il appartient de penser et de mener ces luttes en toute autonomie.
Cela dit, la France n'est pas une tierce partie en Afrique francophone. Elle n'est pas neutre. Elle aura été et elle reste une actrice à part entière des drames qui s'y sont joués et qui s'y jouent encore. Elle a donc d'importantes responsabilités à assumer dès lors qu'il est question de dénouer les impasses qu'elle a contribué, souvent de par sa complicité, à nouer. Faux débat à mon sens, entre ceux qui, dès qu'elle dit un mot, lui opposent le principe d'une souveraineté nationale à la vérité fictive, et ceux qui, espérant tirer les marrons du feu le moment venu, en appellent à un interventionnisme sans ménagement.
Ce qui est reproché à la France, c'est son soutien actif à des régimes foncièrement corrompus, dont tout le monde sait qu'ils violent au quotidien aussi bien les droits humains élémentaires que les libertés fondamentales. C'est l'obséquiosité dont font preuve ses représentants chaque fois qu'il s'agit de traiter avec sévérité les tyrans africains, de leur imposer des sanctions ciblées lorsque la nécessité s'impose. C'est cela qui jette suspicion et discrédit sur son action en Afrique et nourrit en partie ce que l'on appelle le « sentiment anti-français ». La question est de savoir comment sortir de cette spirale ? La réponse est simple : en opérant un retournement historique et en inscrivant la politique africaine de la France dans le droit fil de la « grande transition » que j'évoquais tout à l'heure, celle qui répondrait aux aspirations des nouvelles générations.
Que pensez-vous des interlocuteurs potentiels identifiés par la note : autorités religieuses, diasporas, artistes populaires, entrepreneurs économiques et businessmen néolibéraux ?
Aucune de ces catégories n'échappe a priori à la recherche de rentes, qui est devenue l'activité majeure de la vie sociale et politique en Afrique francophone. Et aucune n'est indépendante de l'État au point où elle constituerait à elle seule un contre-pouvoir effectif. Pour répondre aux aspirations culturelles et politiques des nouvelles générations, nous avons besoin de faire émerger des forces neuves qui comprennent qu'il nous faut changer radicalement de direction. C'est une « grande transition » presque civilisationnelle qu'il nous faut organiser, ou en tout cas un grand changement d'ère qui touche également les domaines de la mémoire et du sens, des valeurs et des finalités. Pour imaginer ce saut dans une nouvelle phase historique, à un moment mondial où les processus naturels de la planète sont mis en péril, nous avons plus que jamais besoin d'investir dans la science et la technologie, la connaissance et la pensée. Ceci est une priorité presque existentielle.
Pour semer les germes d'une nouvelle société et mettre en œuvre ce dessein transformatif, une réforme fondamentale de l'État est absolument nécessaire. Il s'agit d'arrêter de copier des modèles inadaptés et qui nous ont menés à la faillite, de tourner le dos au modèle d'État parasite et prédateur hérité de la colonisation. Et surtout, il nous faut réinventer les formes institutionnelles d'une manière qui permette la libération de l'énergie sociale des petites communautés et de la myriade de petits collectifs qui forment le tissu vivant de nos sociétés. C'est à partir d'elles qu'il faut développer de nouvelles formes de ce que j'appelle « les pouvoirs civiques ». De la coalition de tels pouvoirs civiques capables de produire et de disséminer de l'intelligence et dotés de capacités translocales et transnationales naîtra un État génératif, différent de l'État parasite et prédateur actuel.
Plutôt que de penser en termes de sujets historiques dans le sens classique du terme, il faut donc plutôt réfléchir à partir de la réalité de l'énergie sociale, c'est-à-dire des lieux où de petits collectifs se créent des moyens d'existence ou inventent des savoirs et de la valeur pour les communautés. Il faut partir de la différence entre la part d'énergie sociale consacrée à l'extractif et la part d'énergie consacrée au génératif, dans des activités liées au sol et à la santé, à la nutrition, à la mobilité, au logement, bref aux besoins fondamentaux. Nous sommes riches en formes directes de réciprocité et en capacités d'auto-organisation, comme l'attestent bien les mondes de l'informel. Il est possible de reconfigurer la production, l'échange et l'organisation de nos sociétés à partir de cette donnée fondamentale.
Avec la crise du Covid-19, la question de la santé des populations se repositionne au cœur de la notion de bien public. Comment réhabiliter cette notion auprès des populations et des gouvernants pour renforcer le civisme des uns et le sens des responsabilités des autres dans la perspective de l'éradication définitive de tous les systèmes de corruption mis en place ici et là ?
Le Covid-19 pose, de façon très générale, le problème du rapport que l'humanité entretient avec le vivant. Si, de fait, la Terre est composée de plusieurs espèces, quel type de rapport susceptible de garantir la durabilité de tous faut-il établir entre ces différentes espèces ? Pouvons-nous, par exemple, continuer de détruire les forêts au rythme où cela se fait en ce moment sans, à un moment donné, aboutir à des dérèglements vitaux ? Pouvons-nous continuer de traiter le monde animal et le monde organique comme si ces mondes étaient au service exclusif de l'humanité et n'étaient pas dotés d'une force propre ? Qu'est-ce que cela signifie d'ouvrir les entrailles de la Terre et de forer les fonds des mers pour en extraire des métaux rares dont l'exploitation effrénée exige chaque fois la combustion extensive de carburants fossiles ? Que dire de l'accélération de l'érosion des sols, de l'épandage agricole, de la perturbation du cycle du carbone, du processus d'artificialisation en cours et du dépassement en cours de la capacité de charge des systèmes naturels ?
C'est tout cela, et bien d'autres défis, que pose le Covid-19. Il s'agit de questions planétaires, qui résultent de l'accélération des transformations de la biosphère, et de notre capacité à détruire les conditions du vivant sur la Terre. C'est dans ces termes qu'il nous faut repenser la problématique du soin ou de la santé et reconstruire l'État comme instance de protection de la vie et non comme appareil de capture et de prédation.
Comment pourrait-on bâtir de nouvelles formes de souveraineté en Afrique ?
Au vu de ce que je viens de dire, et du fait que les conditions du vivant ont changé, peut-être faudrait-il plutôt sortir des problématiques de la souveraineté. Pour ce qui nous concerne, la réorganisation des écosystèmes et des sociétés dans un contexte de basculement global impose de renégocier collectivement les frontières entre États africains, dans la perspective d'un partage continental des ressources essentielles. Dans ces conditions, il ne s'agit pas seulement de construire un sentiment de solidarité continentale, mais aussi de disposer au moins d'une capacité minimale d'autonomie.
Sans cette capacité minimale d'autonomie et sans ce progrès vers la mutualisation de nos ressources et capacités, nous ne serons pas en mesure d'encaisser les chocs qui s'annoncent. Nous avons besoin de cette capacité d'autonomie afin de nous réinventer dans un mouvement fondamentalement optimiste et constructif. Il faut donc commencer par réduire la vulnérabilité en généralisant les systèmes coopératifs entre États et en articulant ceux-ci aux systèmes de nos régions écologiques.
MORATOIRE SUR LA DETTE DES PAYS PAUVRES : UN GESTE POSITIF, MAIS TRÈS INSUFFISANT POUR L'AFRIQUE
"La décision du G20 est ridicule, ce n'est pas à la hauteur de la situation. C'est une insulte à l'égard des pays pauvres", estime l'économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé
Un geste positif mais il faudra aller beaucoup plus loin: c'est l'avis largement partagé en Afrique après l'annonce d'un moratoire sur la dette pour aider les pays pauvres à faire face à la pandémie de coronavirus et à son impact dévastateur.
"C'est une bouffée d'oxygène", estime Qutes Hassane Boukar, responsable de l'Analyse budgétaire d'Alernative espace citoyen (AEC), une des plus importantes ONG du Niger, après la décision du G20 mercredi de suspendre pour un an le service de la dette pour les pays les plus pauvres, dont une quarantaine de pays africains.
"Il y a beaucoup de dépenses prévues dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus, le fait qu'il y ait un moratoire permet à ces Etats de mobiliser les ressources qu'ils auraient pu engager pour rembourser la dette publique", explique M. Bukar.
L'Afrique est encore relativement peu touchée par l'épidémie, selon les bilans officiels, mais l'on craint une flambée de la maladie sur un continent où les systèmes de santé sont notoirement insuffisants, ainsi que des conséquences économiques dévastatrices.
La Banque Mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont averti que l'Afrique subsaharienne connaitra en 2020 sa première récession économique généralisée depuis 25 ans.
"Cette suspension de dette va permettre au pays africains de respirer un peu, mais elle ne vaut pas annulation", souligne Djidénou Kpoton, analyste économique béninois.
Le moratoire sur la dette des pays pauvres devrait "libérer 20 milliards de dollars", a précisé mercredi le ministre des Finances saoudien Mohammed al-Jadaan à l'issue du G20.L'endettement total du continent africain est estimé à 365 milliards de dollars, dont environ un tiers dû à la Chine.
Le moratoire "va permettre aux économies africaines de ne pas plonger dans l'immédiat, mais si on ne trouve pas d'autres solutions on va à la catastrophe", juge l'économiste ivoirien Jean Alabro.
- "Une insulte" -
"La plupart de nos économies dépendent de l'extérieur.Les deux tiers des exportations sont des matières premières ou des produits semi-finis.Or la demande internationale va s'effondrer et les prix avec", avertit l'économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, directeur du Forum africain des alternatives.
"La décision du G20 est ridicule, ce n'est pas à la hauteur de la situation.C'est une insulte à l'égard des pays pauvres", affirme-t-il.
Plutôt qu'un simple sursis pour les remboursements, économistes et acteurs de la société civile réclament une annulation complète des dettes.
En effet le moratoire "ne permet ni d’enclencher un cercle vertueux ni de donner un coup d’arrêt au processus d’endettement chronique des pays africains", explique Christian Abouta, évaluateur des politiques publiques au Bénin.
Pour l'économiste congolais Noël Magloire Ndoba, "c'est une manœuvre cosmétique (...) le vrai problème est celui de la dette en tant que telle, il faut l'annuler purement et simplement".
Annuler, oui, mais "sous réserve de réformes majeures.Car tant que nous avons des dirigeants qui confondent leur poche et la poche du pays, peu importe le nombre de moratoires ou d'annulations de dette, ça ne changera rien", fulmine l'opposant tchadien Masra Succès, président du Parti Les Transformateurs.
Au delà des questions de la dette et de la mauvaise gouvernance, qui sont cruciales, il faut aussi réformer en profondeur les économies africaines pour qu'elles soient moins dépendantes des marchés mondiaux et plus résilientes face aux crises, analyse Jean Alabro.
"Aujourd'hui les ministres des Finances africains sont considérés comme bons quand ils arrivent à emprunter de l'argent.Il faut qu'ils s'intéressent davantage à favoriser les entreprises locales plutôt que les multinationales, pour promouvoir la production locale et pour créer des emplois.Les dirigeants africains doivent bâtir des économies tournées vers l'intérêt des populations", conclut-il.
DANS LE PORTRAIT DU VIRUS, DES ZONES D'OMBRE PERSISTENT
Modes de transmission, possibilité de réinfection, personnes à risque… Le Covid-19, coronavirus particulièrement complexe, donne du fil à retordre aux infectiologues
Libération |
Eric Favereau et Nathalie Raulin |
Publication 16/04/2020
Jamais un nouveau virus n’a fait l’objet d’autant de recherches, études, analyses que le SARS-CoV-2 en aussi peu de temps. Mais si les informations s’accumulent depuis fin 2019, des questions essentielles demeurent pour tenter de comprendre à quoi la planète est confrontée. Au début, on imaginait ainsi que ce n’était qu’un simple coronavirus, à l’instar des autres : un peu pathogène, assez contagieux, mais relativement maîtrisable. Tout a explosé. D’une pathologie infectieuse, les cliniciens ont découvert qu’elle se transformait et devenait une pathologie immunitaire, voire ensuite cardiaque. Et le Covid-19 surprend par ses mystères, avec plus de 80 % de personnes infectées sans manifestation réelle, 20 % avec des symptômes plus ou moins importants, dont 5 % iront en réanimation. Ces proportions, depuis plusieurs semaines, n’ont guère bougé. Mais qu’en est-il du reste ? De sa transmission ? Des nouveaux symptômes ? Des porteurs sains ? Ces questions n’ont toujours pas de réponses complètes. «C’est comme un iceberg, on ne voit encore et n’arrivons à comprendre que la partie émergée», nous dit un membre du Conseil scientifique. Tour d’horizon, alors que la France entame sa cinquième semaine de confinement.
Comment le virus se transmet-il ?
Vendredi 3 avril, Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain des maladies infectieuses et membre du groupe de travail de la Maison Blanche, relayé par le président Donald Trump, a semé un trouble planétaire. Le Covid peut-il se transmettre «quand les gens ne font que parler», comme le prétend ce scientifique respecté ? «Tout prend des proportions incroyables quand Trump ouvre la bouche», ironise le professeur Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat. «Une étude américaine a certes évoqué la transmission par discussion trop rapprochée mais si tel était le cas, on aurait un taux de reproduction de base (RO) du coronavirus proche de celui de la rougeole, sourit Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine. En clair, chaque personne infectée pourrait en contaminer 10. On en est loin. Pour les experts, le taux de RO du Covid-19, sans confinement, se situe plutôt entre 2 et 3.» La professeure Lacombe insiste : «La contamination se fait essentiellement par les gouttelettes, la toux, les éternuements, les contacts manuportés.» Si le directeur général de la santé publique, Jérôme Salomon, évoque aussi le contact avec les surfaces inertes, ce point reste en débat. Karine Lacombe : «Sur les surfaces inertes, nous restons interrogatifs.» Xavier Lescure, prudent : «Les surfaces inertes, c’est un vrai piège caché, probablement le chaînon oublié de la transmission par contact.»
Contagieux à partir de quand et pour combien de temps ?
C’est un point crucial pour casser la dynamique de l’épidémie. A partir de quand et pour combien de temps faut-il isoler les malades pour stopper la propagation du virus ? En la matière, les connaissances se précisent. Dans une étude parue récemment dans Nature, des chercheurs allemands ont démontré que, s’il restait des traces du virus dans le larynx des malades sept jours après l’apparition des symptômes, l’agent pathogène, lui, ne se répliquait plus. «Cela signifie que la personne n’est plus contagieuse, estime la professeure Lacombe. Il y a un consensus pour dire qu’une personne infectée peut être contagieuse un à deux jours avant l’apparition des symptômes, et pendant sept à dix jours après.»
Reste la question des porteurs sains, soit environ 30 % de l’ensemble des infectés. Comme ils ne toussent ni n’éternuent, on estime leur contagiosité très faible. Mais elle n’est pas forcément nulle à en croire les premiers résultats d’une enquête de l’Inserm portant sur 300 patients, lancée en janvier après les premiers cas aux Contamines-Montjoie, en Haute-Savoie : les postillons et excrétions nasales des asymptomatiques contiennent des particules virales capables d’infecter d’autres personnes.
Quels sont les symptômes ?
La palette des symptômes du Covid-19 s’est malheureusement beaucoup enrichie depuis son arrivée en Europe. Si une toux sèche, avec fièvre et fatigue sont les signaux les plus répandus, d’autres, qui n’avaient pas été signalés par les Chinois, ont désarçonné les infectiologues. «C’est un choc, on ne l’avait pas vu venir, dit le professeur Gilles Pialoux, infectiologue à l’hôpital Tenon. Le coronavirus est à l’origine de troubles neurologiques. Dans certains cas, cela se traduit par la perte du goût et de l’odorat. Surtout, 88 % des patients en réanimation ont des manifestations neurologiques, des troubles cognitifs : ils sont perturbés, confus.» Un gériatre de l’hôpital Pompidou : «Si dans la plupart des cas, ces symptômes disparaissent spontanément au bout de sept à dix jours, on ignore encore le degré de récupération des personnes âgées, parfois déjà fragiles.»
Autre surprise, «depuis six semaines, on a vu apparaître des acrosyndromes, des pseudo-engelures aux extrémités des membres», signale le professeur Lescure. Un phénomène suffisamment préoccupant pour que le Syndicat national des dermatologues-vénérologues lance le 8 avril une alerte sur des manifestations cutanées liées à l’infection par le Covid-19 - acrosyndromes, apparition subite de rougeurs persistantes parfois douloureuses et lésions d’urticaire passagères.
Qui est à risque ?
Depuis la publication le 24 février d’une vaste étude du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, le profil des patients gravement atteints s’est précisé. Le professeur Pialoux : «Ce qui me frappe, c’est que les patients admis en réanimation sont souvent diabétiques, en surpoids voire obèses.» Un constat partagé par tous les hôpitaux qui accueillent des patients Covid-19, français comme européens. Et c’est une vraie surprise car les premières remontées chinoises ne documentaient que des facteurs de risque «classiques», comme l’âge et la présence de comorbidités (hypertension artérielle, problèmes cardio-vasculaires, insuffisance pulmonaire, diabète sévère…)
Depuis quinze jours, les travaux de recherche confirment les observations cliniques. Une étude publiée fin mars dans le Journal of the American Medical Association par des chercheurs italiens, portant sur 955 patients décédés, a établi que 35 % étaient diabétiques. «On pensait que seuls les diabétiques sévères étaient concernés. Pas du tout, les petits diabètes le sont aussi. Il nous est même arrivé de découvrir un diabète lors de l’hospitalisation», pointe le professeur Lescure.
Le 1er avril, une nouvelle étude chinoise publiée dans The Lancet a confirmé le rôle de l’indice de masse corporelle : sur 383 patients atteints par le coronavirus et admis dans un hôpital de Shenzhen, 42 % souffraient de surpoids ou d’obésité. Conclusion des chercheurs : les personnes en surpoids ont 86 % de chance de développer une forme sévère du Covid-19. Celles qui souffrent d’obésité ont «montré une probabilité de développer une pneumonie sévère 2 à 42 fois plus élevée» que les autres patients. Le danger est réel même pour les patients jeunes : «L’obésité est souvent le seul facteur de risque des patients de moins de 50 ans en réanimation à Bichat», précise le professeur Lescure. Ce que confirme la professeure Lila Bouadma, réanimatrice à l’hôpital Bichat : «On a des patients, jeunes, qui étaient en parfaite santé, avec seulement un problème de poids.» Un phénomène pour l’heure non élucidé. «Peut-être que cela tient aux cellules graisseuses qui laissent passer plus facilement le virus», s’interroge Karine Lacombe. Il est aussi possible que le surpoids amplifie les réactions inflammatoires, induites par la présence du coronavirus dans l’organisme.
Une autre caractéristique des patients lourdement atteints, pourtant signalée dès la première étude chinoise, a pris les infectiologues de court : l’inégalité entre les sexes. «Le coronavirus infecte les hommes et les femmes dans les mêmes proportions mais 80 % de nos patients en réanimation sont des hommes», relève le professeur Lescure. Cette différence de résistance entre les deux sexes n’est pas élucidée. Les hypothèses fleurissent. Les chercheurs s’intéressent notamment au rôle d’une enzyme (ACE2 installée sur le chromosome X), essentielle dans la production d’œstrogènes, connue pour son influence anti-inflammatoire.
Comment se déroule l’infection ?
Le schéma se répète souvent à l’identique. Dans un cas sur cinq, l’infection par le Covid-19 nécessite une hospitalisation pour détresse respiratoire. Une majorité de ces patients gravement touchés présente alors une pneumonie sévère avec atteinte bilatérale, selon l’OMS. La mise sous assistance respiratoire ne suffit alors pas toujours pour surmonter l’infection. Environ sept jours après l’apparition des premiers symptômes, l’état de certains patients s’aggrave brutalement, sous l’effet d’une surréaction inflammatoire du système immunitaire, baptisé «orage de cytokines». Or cet emballement peut être fatal : au lieu de défendre l’organisme contre l’inflammation, les cytokines détruisent non plus seulement les cellules infectées mais aussi les tissus sains des poumons, du cœur ou des reins. Bilan : 20 % des formes graves du Covid-19 présentent des atteintes cardiaques liées à la réaction immunitaire. La professeure Lacombe : «Par rapport aux premières semaines, le changement est spectaculaire. Nous sommes face à une maladie immunologique bien plus que virale comme on avait pu le croire. C’est inédit.» Le professeur Pialoux complète : «A l’instar du premier mort chinois sur le sol français, 10 % des patients en réanimation meurent non pas du coronavirus directement mais de complications pulmonaires et parfois d’embolie pulmonaire. De telles complications vasculaires n’ont jamais été observées avec la grippe ou le Sras.»
Le professeur Lescure résume : «L’observation clinique nous a permis d’identifier trois versants de la maladie. Le premier est infectieux, viral. Mais chez un certain nombre de patients graves, l’aspect inflammatoire devient prépondérant après l’emballement du système immunitaire. Le dernier versant est vasculaire : la maladie provoque des dégâts microvasculaires, des thromboses, qu’on suppose liés à l’inflammation, sans avoir de certitudes.»
Quand est-on immunisé et pour combien de temps ?
C’est un point clé, et qui intéresse tout particulièrement le Haut Conseil scientifique, actuellement mobilisé sur les scénarios possibles du déconfinement. En la matière, il lui faut faire avec une bonne nouvelle, une très mauvaise et beaucoup d’incertitudes.
La bonne nouvelle d’abord. Selon une étude de chercheurs allemands sur la réplication du virus dans les voies respiratoires supérieures publiée dans Nature le 1er avril, les malades commencent à produire des anticorps sept à quatorze jours après l’apparition des premiers symptômes, dès lors leur charge virale diminue lentement. «Nous pensons que ces anticorps sont neutralisants, et donc qu’ils protègent d’une réinfection, indique le professeur Lescure. C’est une hypothèse clinique, pas une certitude scientifique. Mais à part quelques cas signalés en Chine au début de l’épidémie qui pourraient n’être que des faux positifs, personne n’a observé de cas de réinfection.»
Vient ensuite la grosse tuile. Selon les modélisateurs du Haut Conseil, les Français ne sont pas plus de 10 à 15 % à avoir été jusqu’à présent en contact avec le virus, y compris dans les zones à forte incidence comme le Grand-Est ou l’Ile-de-France. Et cette projection est sans doute encore optimiste : la campagne de tests lancée dans le cluster de l’Oise a conclu à une immunité collective d’à peine plus de 7 %… Dans tous les cas, on est très loin du taux de 60 % de personnes protégées, seuil plancher pour prétendre à cette «immunité de groupe» qui éloignerait le risque d’une deuxième vague de Covid-19. «Sur le plan de la santé publique, c’est très problématique, confirme Xavier Lescure. Une levée brutale du confinement relancerait immanquablement l’épidémie.». Mais à trop tarder, le problème pourrait se corser. Car si un individu guéri est immunisé, on ignore pour combien de temps…
POURQUOI L'OMS NE RECOMMANDE-T-ELLE PAS LE PORT DU MASQUE À TOUTE LA POPULATION ?
Le fait que les préconisations de l’OMS s’adressent à des pays dont les politiques, les mœurs et les ressources sont très différents conduit à formuler des «pour» et des «contre», et à laisser le dernier mot aux décideurs
L'Organisation mondiale de la santé tient compte de la diversité des pays, de leur politique et de leurs ressources.
Bonjour,
De l’Académie de médecine française aux Center for Disease Control américain, la préconisation semble faire consensus : faire écran aux postillons, même en recourant à un masque artisanal, permet de limiter les nouvelles contaminations par le coronavirus. Pourtant, à l’étonnement de beaucoup de lecteurs, ce geste barrière supplémentaire n’est pas recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L’institution internationale reconnaît l’utilité du port de masques dans le contexte de soins ou de contacts rapprochés avec les personnes malades, de même que dans le cadre de grands rassemblements de personnes. En revanche, dans sa documentation officielle, elle déclare qu’il n’y aurait «aucune preuve que le port d’un masque par des personnes en bonne santé puisse empêcher d’être infecté par des virus respiratoires».
Cette position, apparemment divergente, est d’ailleurs l’argument avancé par la porte-parole du gouvernement français, Sibeth Ndiaye, sur France Info le 9 avril, pour expliquer qu’aucune décision ne soit encore prise au niveau de l’Etat sur cette question.
Des préconisations conditionnées aux moyens des états
Pourquoi l’OMS rechigne-t-elle à recommander le port du masque non-chirurgical aux personnes saines ou apparemment saines ? En quoi ses arguments s’opposent-ils aux ceux des autres institutions ?
Dans ses préconisations destinées à l’ensemble des nations en lutte contre la Covid-19, l’OMS identifie des avantages et des inconvénients dont l’arbitrage est laissé aux décideurs de chaque pays, en fonction de divers facteurs économiques, politiques ou sociaux.
Sur le premier plateau de la balance – celui des avantages – l’OMS pose le fait que le port correct d’un masque, de quelque nature qu’il soit, limitera les risques de projection de gouttelettes par les personnes asymptomatiques ou présymptomatiques, autant que le risque d’absorption par les personnes saines. Autre intérêt identifié du port généralisé du masque : éviter la stigmatisation des malades, à craindre s’ils étaient seuls à porter le masque.
Sur le second plateau de la balance, l’OMS pose d’autres arguments, dont la pertinence doit être mesurée à l’aune de situations nationales.
Premièrement, l’OMS interroge le fait que «l’utilisation de masques médicaux [à l’échelle d’un vaste groupe] peut créer un faux sentiment de sécurité, et entraîner la négligence d’autres mesures essentielles, telles que l’hygiène des mains et la distanciation physique». Par ailleurs, elle observe que la gêne liée au port de ces dispositifs «peut conduire les personnes à toucher leur visage sous les masques». Elle évoque en outre des risques liés au contact avec des masques contaminés ou à leur réutilisation, ainsi que la question des «difficultés à respirer au travers de certains masques» pour une partie des porteurs.
Pour les pays les moins riches, la question de l’investissement dans les masques est mise en perspective avec le développement de mesures plus prioritaires, comme celles liées à l’hygiène des mains. Enfin il est noté que, dans les pays subissant des pénuries, la demande de masque par le grand public est susceptible de créer un risque pour d’approvisionnement pour les centres de soin.
Psychologie, sociologie et sciences économiques
On le voit, l’intérêt d’un masque artisanal correctement manipulé, entreposé et désinfecté n’est pas remis en question par l’OMS. L’organisation internationale estime simplement que le déploiement de cette solution ne peut venir qu’en compléments des actions prioritaires liées à l’hygiène et à la distanciation sociale. En outre, ce déploiement doit s’accompagner d’éléments de pédagogie pour garantir que les populations utilisent les masques de façon efficace et sûre.
Le fait que les préconisations de l’OMS s’adressent à des pays dont les politiques, les mœurs et les ressources sont très différents conduit à formuler des «pour» et des «contre», et à laisser le dernier mot aux décideurs. L’organisation internationale évoque notamment la possibilité de recommander le port du masque aux personnes travaillant en contact étroit avec le public, aux individus à risque, dans les zones densément peuplées, etc.
LES LUTTEURS SÉNÉGALAIS SUR LE MARCHÉ DU MMA
Les frontières de l’art martial national ont été repoussées en décembre dernier lorsque Oumar Kane, dit «Reug Reug», a étalé Sofiane Boukichou après une salve d’uppercuts
Le Temps |
Romuald Gadegbeku |
Publication 16/04/2020
Les arts martiaux mixtes (MMA) et l’UFC, leur organisation la plus en vue, attirent toujours plus dans l’octogone des combattants de tous pays et de toutes disciplines. Au Sénégal, ils séduisent les pratiquants d’une lutte ancestrale riche en traditions mais en perte de vitesse économique.
De Mbour à Pikine. Des plages de Dakar à sa banlieue, les gamins qui s’entraînent à la lutte sénégalaise rêvent désormais de l’autre côté de l’Atlantique. Les frontières de l’art martial national ont été repoussées en décembre dernier lorsque Oumar Kane, dit «Reug Reug», a étalé Sofiane Boukichou après une salve d’uppercuts. C’était à Dakar lors du Ares Fighting Championship, un gala d'arts martiaux mixtes (MMA) où Reug Reug, 27 ans, 1 m 96, 120 kilos, recyclait ses savoirs de lutteur appris à Thiaroye.
Le MMA est, à la différence de la lutte, une discipline qui mélange plusieurs techniques de combat. Et autorise coups de poing, pied, genou et coude, ainsi que les coups au sol, et les soumissions, le tout dans une cage en forme d’octogone. «Je suis un combattant, je veux me mesurer aux meilleurs. Avec la mondialisation, il faut s’ouvrir à toutes les disciplines, et le MMA, c’est le top, à tous points de vue», clame Oumar Kane. Depuis sa victoire, disponible en Mondovision sur l’UFC Fight Pass (le service de streaming de l’UFC), son nom provoque une frénésie labiale dans le milieu. Notamment aux Etats-Unis, qui se sont découvert un intérêt soudain pour les lutteurs sénégalais.
La réciproque est vraie. Fernand Lopez, organisateur de l’événement dakarois, l’a observé de près: «J’ai accueilli des combattants sénégalais lors de l’event, quasiment tous les lutteurs s’intéressent au MMA aujourd’hui, mais c’est un autre monde, il y a une différence de culture entre les deux sports…» Cette différence crée un fossé entre les générations: si la discipline passionne la jeunesse, les gardiens du temple du Comité national de gestion de la lutte (CNG) la voient d’un moins bon œil. Organisée sous forme de fédération, l’instance a pour objectif d’encadrer la pratique et de sauvegarder le patrimoine culturel qu’elle porte. «Le MMA n’existe pas en tant que discipline sportive au Sénégal, pose calmement Thierno Kâ, directeur de la communication de la fédération. Comme Reug Reug, beaucoup s’y essaient mais il y a peu de risques que le MMA supplante la lutte. Un sport où l’on peut frapper un adversaire à terre, ça ne m’intéresse pas.»
Un folklore devenu spectacle
«Il y a quarante ans, les lutteurs étaient bien plus techniques que ceux d’aujourd’hui», poursuit Thierno Kâ. C’est sa manière de dire que «c’était mieux avant». «Avant», c’était depuis le XIVe ou le XVe siècle une lutte sénégalaise comme art des terroirs. Les guerriers imprégnés de safara (eau bénite) avaient pour charge de protéger les anciens du village dans des combats précédés de prières, de sacrifices mystiques et de musique folklorique, où les trophées étaient une épouse, des victuailles parfois, et le plus souvent l’honneur d’avoir défendu sa terre. «Un sport identitaire», résume Dominique Chevé, chercheuse en anthropologie à l’Université d’Aix-Marseille, qui a écrit et dirigé des bouquins sur le sujet. «De par les tenues ou les techniques des lutteurs, on savait s’ils étaient wolofs, sérères ou diolas.»
Plus tard, dans les années 1920, la lutte devient un spectacle sportif, pour le plus grand bonheur des colons, et des poches de Maurice Jacquin, un producteur de cinéma qui met sur pied les combats devenus payants au cinéma El Malick à Dakar. Déjà, la violence fait fureur. On y popularise le Lamb, c’est-à-dire la lutte avec coups portés, qui coexiste avec l’école du Mbapatt (lutte sans frappe) traditionnel. Le premier remporte les suffrages auprès des fans et ancre le sport dans la modernité. Dans les années 1990, les promoteurs qui organisent les combats se multiplient. Pour juguler leur influence, le CNG est créé en 1994. La lutte devient «le sport national».
100 millions de francs CFA par combat
La décennie suivante verra l’arrivée de son immense star: Mouhamed Ndao, dit «Tyson», qui distribue les «pains» autant qu’il encaisse des cachets allant jusqu’à 100 millions de francs CFA (600 000 dollars) par combat. A cette époque, Orange est l’un des sponsors principaux des compétitions. Le statut social du lutteur est rehaussé, les politiques n’hésitent plus à s’afficher à leurs côtés. Les idoles naissent en même temps que leurs fidèles qui, dans les écuries de lutte, chassent le rêve de s’en sortir. «Si les rituels avant les combats persistaient, on observe dans les années 2000 que la lutte était rentrée quand même dans une logique commerciale et mainstream, analyse Dominique Chevé. Un exemple, lors des combats, le rap ou les musiques modernes concurrencent maintenant la musique traditionnelle.»
Comme «Tyson», les lutteurs qui réussissent aujourd’hui peuvent s’enrichir bien plus que leurs prédécesseurs, qui voyaient l’argent irriguer une multitude d’acteurs et se contentaient du reste. «Malgré l’engouement de la jeunesse, il y a toujours beaucoup d’appelés pour peu d’élus», prévient Dominique Chevé. En 2018, le CNG recensait 164 écuries de lutte, et près de 4000 lutteurs. Moins d’une dizaine atteignent le million de CFA (1500 euros) en une saison. «Les sponsors sont bien moins généreux que lors des années 2000, ils ont atteint leurs objectifs et sont partis», avance Thierno Kâ. En 2017, la lutte sénégalaise a connu une année blanche, sans grand combat, faute de sponsors. C’est sur cette terre fertile mais asséchée que le MMA croît à toute vitesse.
Lutte ou UFC, que choisir?
«Je vois depuis 2012, et mon arrivée au Sénégal, le potentiel énorme en termes de futurs professionnels ou de futurs champions. Le MMA rallie tout ça, et peut permettre de créer une économie qui nous permettrait d’être indépendants», argue Léa Buet, Franco-Sénégalaise, fondatrice d’Adjimé MMA Events, structure organisant des combats et souhaitant développer la pratique au pays. Face à un CNG peu enthousiaste, c’est au niveau privé que la discipline se développe. «Les lutteurs vont vers ce sport, sûrement parce qu’ils se disent qu’il y a plus de sous à se faire», souffle Thierno Kâ. Les plus jeunes y trouvent aussi de l’espoir d’y suivre les anciens lutteurs reconvertis – Bombardier, Wouly, Pathé Boye ou Reug Reug – dans un pays où le salaire moyen est inférieur à 150 euros.
Les nouvelles têtes d’affiche africaines de l’UFC (la plus importante organisation de MMA américaine), les Nigérians Israel Adesanya et Kamaru Usman, ou le Camerounais Francis Ngannou, alimentent cet espoir. Et Fernand Lopez de rappeler que les lutteurs sénégalais ont les atouts pour séduire les organisations américaines: «Ils sont en recherche dans la catégorie poids lourds et auront forcément un œil sur les lutteurs sénégalais qui, pour les plus connus, sont des lourds.» Au Sénégal, le manque d’infrastructures, la baisse des dotations ont mis la lutte en danger, offrant ses pratiquants au marché.
Ces dernières années, le sport a perdu de son attractivité économique comme de sa puissance folklorique. «L’objectif ultime demeure de faire de la lutte africaine un sport olympique», espère Thierno Kâ. L’olympisme pourrait lui permettre une renaissance. En attendant, entré dans la cage du MMA, le lutteur sénégalais a quitté son univers très codifié pour atteindre sa plénitude d’être libéral.
par Ndiakhat Ngom
RÉSEAUX SOCIAUX, FAKE NEWS ET CONTROVERSES EN TEMPS DE COVID-19
Les autorités sénégalaises seraient donc bien avisées de doter les comités de crise COVID 19 d’un organe d’alerte et de veille. Comme nous y invite l’UNESCO, traquer les fausses informations devient un impératif catégorique
Internet et ses différentes plateformes (Messenger, WhatsApp, Instagram) jouent un rôle déterminant dans la circulation de l’information sur le Covid 19. Les populations disposent largement de précieux renseignements sur la situation géographique de la pandémie, les mesures préventives à adopter ainsi que les controverses sur le vaccin en préparation. Jamais, peut-être, dans l’histoire humaine, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) n’ont été aussi présentes dans la gestation d’une catastrophe planétaire. C’est l’un des grands enseignements de Covid-19. Toutefois, la vitesse de circulation des NTIC a généré aussi de la surinformation qui flirte dangereusement, dans certains cas, avec la désinformation.
Depuis l’accélération des NTIC, il y a 20 ans, les leviers traditionnels de l’information (les organes étatiques ou privés détenant le monopole de sa gestation) cohabitent désormais avec de nouveaux cercles dans ce terrain très sensible. Aujourd’hui, les applications sur Google store permettent à n’importe qui de relayer des informations sans pour autant s’assurer de leur authenticité. Pire : certaines applications permettent de confectionner ou de détourner des vidéos, images ou audio à des fins de tromperie évidentes. Chacun peut le faire en faisant fi des normes déontologiques requises. La relation traditionnelle entre émetteur (l’organe reconnu) et récepteur (public) est brouillée.
II suffit d’un simple clic pour transférer des messages dans l’instantanéité. Ce qui évacue les mesures précautionneuses apprises dans les écoles de journalisme ; recueillir et recouper avant la publication. Les individus sont alors submergés par le sensationnalisme et ces effets contradictoires qui ciblent moins le cortex cérébral (intelligence) que la zone limbique du cerveau (émotion). Perdus dans ce flot discontinu, le cerveau n’arrive plus à avoir la lucidité, gage d’une bonne évaluation de ce brouhaha. En gros, les parties les plus primitives de l’esprit humain sont mises en branle.
Naturellement, cet état psychologique particulier fait le lit des fake news (fausses informations).
L’UNESCO invite à la plus grande prudence à ce sujet. Le Covid-19 est un moment béni pour les théories complotistes pour alimenter les réseaux sociaux d’informations erronées. Les internautes se les échangent sans grande précaution. Les exemples pullulent : on a affirmé que le Pr Raoult aurait déconseillé aux Africains de se détourner du vaccin en préparation puisqu’il viserait à limiter la fécondité galopante des femmes africaines. Des images de films sur des épidémies ont circulé prétendant un complot international pour le contrôle de la planète via les firmes pharmaceutiques. II en est de même de la prétendue arrestation d’un éminent membre du Pentagone en complicité avec un pays qui aurait fabriqué le virus. On peut ajouter l’exemple de la 5G ou certaines images d’animaux en ballade dans les villes pour renforcer la thèse de la revanche de la nature sur la civilisation.
Ce n’est pas tout. Certains ont défendu l’idée que coronavirus serait une maladie des populations caucasiennes alors que les Africains en seraient immunisés. Cette thèse est d’une absurdité affligeante. La Chine, point de départ de la pandémie, est une puissante plateforme commerciale, financière et économique. C’est normal qu’elle attire plus les populations des pays riches comme elle. Les Africains qui y sont proportionnellement moins représentés sont moins atteints. On peut supposer que les Chinois ont longtemps gardé le silence sur la maladie. Ce qui explique que les premiers européens infectés (les Italiens) soient tranquillement rentrés chez eux sans s’inquiéter. La fin de la période d’incubation a révélé la nature et l’ampleur du drame : c’était trop tard.
Le même raisonnement est valable pour l’épidémie d’Ebola en RDC (2008) ou en Guinée (2014). Elle a moins touché les Européens, peu représentés dans ces pays, hormis certains volontaires des ONG (Médecins sans frontière). Par conséquent, la Chine en tant que puissance planétaire a généré une pandémie (envergure planétaire) tandis que la Guinée et la RDC ont généré des épidémies (portée régionale). Comme on le voit, le poids économique des zones concernées ou la vitesse de circulation des individus détermine cette disproportion ethnique ou géographique.
Enfin, des experts ont agité une thèse de fond d’après laquelle un génocide ou un eugénisme négatif (élimination de personnes ou de populations jugées inférieures ou inaptes) serait en cours contre les populations noires aux Etats-Unis ou en Angleterre. Les statistiques montrent qu’elles sont, proportionnellement, les plus grandes victimes, inversement à leur représentativité. En fait, l’explication tiendrait moins à des raisons génétiques que socioéconomiques. D’abord, les populations noires et asiatiques (en Angleterre) occupent les postes qui sont les plus exposés au virus (infirmiers, chauffeurs, livreurs, caissiers). En temps de confinement, elles continuent de travailler et s’exposent aux risques d’infection. Ensuite, elles ont moins accès aux soins de santé qui les prémuniraient des maladies diabétiques et cardiovasculaires qui ont une relation profonde avec le stress de leur emploi. Enfin, on peut indexer une mauvaise alimentation.
Bien évidemment, ces paramètres n’éludent évidemment pas le racisme structurel mis en lumière par les études sur la « postcolonie » en vogue dans les pays anglo-saxons et en France (bien tardivement, il est vrai).
Les autorités sénégalaises seraient donc bien avisées de doter les comités de crise COVID 19 d’un organe d’alerte et de veille. Comme nous y invite l’UNESCO, traquer les fake news devient un impératif catégorique. On imagine déjà certaines réticences, par exemple, qui impacteront négativement les campagnes de vaccination dans les pays du sud.
Ndiakhat Ngom est président de l’Institut Transatlantique pour les Coopérations Sud-Sud (ITCSS)
Cet appel à la vigilance que j’adresse à la jeunesse africaine, m’est venu comme un déclic, suite, à la lecture de propos recueillis dans un article paru dans le site du journal lemonde.fr. Il y est rapporté qu’une coalition de chercheurs a déjà un soi-disant plan de tests cliniques et que l’Afrique ne devrait pas être exclue.
Ce type d’intérêt soudain, à l’égard de l’Afrique, me fait réagir ici avec sursaut quant au bienfondé d’une soi-disant bienveillance à notre endroit.
Tout récemment encore, une vidéo virale parue sur une chaine française, dans laquelle, deux chercheurs français démontrent le mépris qu’ont encore d’autres envers toute l’Afrique noire. Cela en dit long également sur la façon dont les médias occidentaux persistent encore à vendre une image toujours dégradante et irrespectueuse envers l’Afrique.
Défier les réelles intentions des grandes puissances à l’égard de l’Afrique.
Plus que jamais, nous devons nous imposer une règle d’or de prudence et de méfiance à l’endroit de leurs actuelles intentions et actions, dont l’histoire nous a appris, ont été inavoués, trompeuses et surtout néfastes à notre chère Afrique. Une première bonne raison de se méfier est de se poser la question à savoir sur quel modèle actuellement fiable peuvent-ils fonder leurs projections pour prédire avec prétention et arrogance, une hécatombe en Afrique ? Des modèles capables de prédire des pics selon les spécificités des mesures sanitaires et des conditions socio-économiques, n’existent pas à l’heure actuelle. Ceci sans vouloir minimiser le risque élevé de propagation en Afrique. Toutefois, ces modèles sont souvent d’ajustement logistique sur un nombre suffisant de cas testés et servent actuellement qu’à des besoins de comparaison à des scenarii extrêmes pour justifier la nécessité d’un effort de distanciation sociale et de ne pas courir le risque de surcharge et de dépassement des capacités de prise en charge médicale. Par ailleurs, même si l’évolution de la pandémie en Amérique ou en Europe a montré une situation alarmante, des modèles d’approximation basées sur ces données empiriques ne s’ajusteraient pas telle-quelle en Afrique. En effet, le nombre de tests nécessaires pour mieux contenir celle-ci n’est pas comparable à celle de l’Allemagne par exemple. Ceci faute de moyens matériels et de disponibilités financières.
Une autre bonne raison de se méfier en est de se poser la question : pourquoi ne se contenteraient-ils pas de faire des tests cliniques seulement sur leurs populations dans des conditions idéales, trouver des traitements et les partager avec le reste du monde y compris l’Afrique ? Car, il n’existe, actuellement, aucune preuve, même pas d’hypothèse en quoi l’être africain réagirait-il différemment face à ce virus ; ce qui justifierait de faire des tests cliniques spécifique en Afrique. Cette hypothèse serait d’ailleurs absurde en considération du taux de décès aux États-Unis parmi la communauté noire.
Ainsi, dans cette période de confusion totale où personne n’a aucune connaissance fiable, sur comment traiter cette maladie, il est inconcevable pour un africain conscient des enjeux économiques et stratégiques des grandes puissances, de vouloir encore accepter d’être les cobayes et matières premières pour les mêmes qui n’ont cessé depuis des siècles de prétendre être solidaire envers ceux qu’ils ont sciemment déshumanisés à la face du monde, spolier de leurs ressources matérielles et humaines, annihiler de leurs idées innovatrices et créatrices, de leurs organisations sociales, jadis, encrées dans l’entre-aide et le partage que reflétaient de grande valeurs morales et humaines ; Croyants que nos nobles valeurs de partage sont universellement partagées, nous nous sommes exposé sans défense aux actions nuisibles et destructrices venant de civilisations prédatrices. Le résultat est sans doute ce que toute l’Afrique noire vit de nos jours ; et non sans pour autant résister.
L’heure de veille et affirmation pour préserver notre destinée commune
Aujourd’hui, la jeunesse africaine incarne cette résilience. Cette jeunesse est d’autant plus éveillée et déterminée à résister et surtout s’affirmer d’elle-même aux yeux du monde.
Il nous est désormais imposé, à nous cette nouvelle génération africaine et par nous-même, de faire preuve d’une grande vigilance et de veille permanent contre toutes les tentatives de nuisance de ces prédateurs sur nos ressources et notre capacité d’affirmation. Car, au-delà même du nombre de morts déplorables dus au COVID-19, la crise économique mondiale qui en découle, aussi courte serait telle souhaitable, fera certainement resurgir comme à l’accoutumée, des velléités hégémoniques et impérialistes de convoitise (de quelconque origine soit telle) envers l’Afrique. Ainsi, l’heure n’a jamais été aussi propice pour la jeunesse africaine de se mobiliser afin de pouvoir :
- Désormais, faire bloc et dissuader toute action nuisible à son destin commun tant convoité. Cet esprit de veille doit habiter chacun(e) de nous, partout dans le continent et dans la diaspora. Il doit être lieu, par exemple, de croire à notre capacité de déceler toute action néfaste, de faire suivre l’information par nous-même et de rallier toute cette force vive de partout le monde, faire barrage et infléchir du bon côté, à temps, les prises de décision de nos dirigeants sur les impératifs de bonne gouvernance, les besoins et formes de coopération internationale et surtout les orientations stratégiques de développement humain au-delà même de la croissance économique. Plus que jamais, nous devons nous incarner la demande sociale d’un changement majeur d’état d’esprit.
- Promouvoir un leadership africain courageux et capable de nous mener en unisson vers cet objectif. Le moment est venu pour la jeunesse africaine de prendre le relai afin de promulguer ce nouveau type de leadership. Cette jeunesse bien formée sur tous les domaines scientifiques, de management, d’entreprenariat, mais surtout celle qui incarne bien les valeurs morales et humaines africaines.
La jeunesse africaine doit d’ores et déjà exiger un leadership qui comprend l’urgence africaine de l’industrialisation et de l’autosuffisance. Les domaines de l’éducation à la formation pratique soutenue par un fort élan de recherche, de l’agriculture, de la santé et des nouvelles technologies de l’information doivent être des cibles prioritaires des politiques africaines de développement humain et se refléter dans les facteurs-clés des fondamentaux économiques.
La jeunesse africaine s’est déjà s’appropriée le combat de libération partout où elle se trouve dans le monde. Il est impératif actuellement de prendre conscience que ces mouvements doivent être cordonnés.
Une solidarité internationale de sortie de crise envers l’Afrique.
Afin de pouvoir faire rupture avec la relation toxique néocolonialiste d’autan, le temps est venu pour l’Afrique d’exiger de la part des grandes puissances économiques actuelles qu’elles fassent preuve d’une coopération internationale honnête et sincère dans l’intérêt de toute l’humanité. Non ! Cette exigence n’est pas en soi une demande de l’aide basée sur les concepts et mécanismes d’organismes internationaux qui n’ont jusque-là réussi à remplir leurs rôles à l’endroit de l’Afrique ; ou du moins en reconnaissant le préjudice, de corriger le tir et rendre la monnaie. S’aurait été un grand service rendu à toute l’humanité entière.
Cette fois-ci, nous devons veiller à ce qu’elle soit bénéfique à nous-même et équitable aux autres dans un cadre de respect mutuel qui permettrait aux pays Africains de s’assurer que :
- Cette solidarité internationale soit de nature à se soulager de sa dette souveraine qui en est, dans bien des mesures, anormalement contraignante et moralement soutenable.
- Des financements de fonds de lutte contre le COVID-19 se font en concordance avec l’organisation effective déjà mise en place pour contrer la pandémie. Car, à l’instar de la Chine et de beaucoup de pays en prise dans cette épidémie, bien des pays africains ont pu mettre en place, à la hauteur de leurs moyens, des mesures de sortie de crise adéquate. Il ne doit plus être lieu d’ignorer cette volonté réelle sous aucun prétexte.
L’Afrique doit ainsi se libérer de toute tutelle d’encadrement ou pilotage des puissances étrangères. Cela n’est plus nécessaire de nos jours ; la garantie d’une bonne gouvernance est de nos jours exigée par la nouvelle génération africaine, une jeunesse aussi bien décomplexée et capable de relever le défi.
Pour y arriver, il est, également, impératif de forger ce développement d’abord au niveau sous-régional, ensuite régional et finalement avec une certaine ouverture au reste du monde.
L’Afrique n’a plus, également, à avoir peur de dire non au capitalisme sauvage, sans morale, qui ne serait même d’aucune vertu à l’humanité toute entière. L’Afrique doit à présent réinventer sa propre voie de développement à l’instar des nouveaux dragons d’Asie.
Une solution alternative africaine à cette crise sanitaire et même de celle d’une coopération internationale basée sur valeurs humaines s’impose. Celle–ci doit émanée de nous-même.
Oui, Il faudra d’or et avant compter sur cette jeune Afrique qui a pris conscience d’elle-même et de ce qu’elle a de plus précieuse.
Elle est plus que jamais déterminée à le défendre.
Malick Diallo, un Saloum - Saloum au Canada
Spécialiste En Gestion de Risques Financières, Analyse Économique et Travaux Statistiques
Est-il vrai que des rappeurs ont été reçus par le président et qu’une enveloppe aurait été mise à disposition pour indemniser les acteurs de la culture urbaine (essentiellement des musiciens) d’hypothétiques pertes liées au couvre-feu ?
Nous aimons leurs textes, nous aimons leur engagement, ils sont des contributeurs essentiels de notre démocratie, mais le rapport de certains rappeurs sénégalais à l’argent est aussi intriguant qu’inquiétant. Est-il vrai que des rappeurs ont été reçus par le président de la République et qu’une enveloppe aurait été mise à disposition pour indemniser les acteurs de la culture urbaine (essentiellement des musiciens) d’hypothétiques pertes liées au couvre-feu ? Est-il vrai qu’un formulaire Google circule sous le manteau dans l’underground du hip-hop sénégalais pour identifier les artistes ayant subi des pertes liées au repos forcé ? À l’heure où des Sénégalais de bonne volonté cotisent pour contribuer à la force Covid, d’autres, et parmi les auto-proclamés défenseurs du peuple, rempliraient des documents pour recevoir une partie de cette cagnotte ?
Si la démarche du gouvernement ressemble plus à un investissement politique sur le futur, j’ai beaucoup de mal à croire qu’un seul rappeur puisse accepter ce marché indigne. Si le gouvernement n’en est pas à sa première attaque contre l’intérêt supérieur de la nation, les rappeurs ne devraient en aucun cas se rendre complices d’une telle mascarade. Il serait temps qu’ils mettent un peu d’éthique dans leur rapport au système politique qu’ils prétendent dénoncer. Face à la détresse de beaucoup de familles, ils devraient être en première ligne, pour soulager les citoyens. En tant que soldats de la conscience collective, il me semble qu’ils devraient aller au-delà du sacrifice dans ces moments difficiles. On peut leur concéder de ne pas contribuer, à la cagnotte, nul n’y est obligé. Par contre, il est problématique vu leur discours d’imaginer toucher un seul centime de la nation, quel que soit l’impact que l’épidémie a sur leurs activités. Sans parler de la question des ayant-droits (qui indemniser ? comment ? pourquoi ?), il y a la responsabilité morale que prennent ces artistes dans la dilapidation de nos maigres ressources.
Si cette histoire est vraie, il est temps alors pour nos amis du hip-hop de revoir leur positionnement social et leur rapport à l’argent. Cela voudrait dire qu’ils agiraient davantage en entrepreneurs capitalistes qu’en activistes militants. Cela voudrait dire qu’ils auront perdu leur honneur et leur crédibilité quelque que soit l’arrangement qu’ils feront avec leur conscience. Il serait temps pour eux de comprendre que ce qu’on leur demande, c’est d’inspirer notre jeunesse par l’action quotidienne, d’aider à bâtir un nouveau type de Sénégalais par le comportement, de montrer qu’il y a une autre manière de réussir sa vie que par l’argent. S’ils ne le comprennent pas ainsi, on leur dira que c’est criminel et qu’ils ne peuvent pas profiter de leur position pour compiler des avantages, qu’ils soient pécuniaires ou symboliques. Il n’y a pas pire perversion que de semer dans la tête de notre jeunesse que le Sénégal est une grosse entreprise et chaque citoyen en est actionnaire. En se positionnant dans tous les carrefours où il est question de financement et de pécule. En agissant ainsi, les leaders du hip-hop sénégalais font preuve de la même corruption morale que l’élite politique qu’ils dénoncent.
Avec toute l’affection que nous avons pour eux, nous appelons chaque rappeur ou rappeuse qui aurait fait la démarche pour toucher de l’argent de l’État de le rendre. Et de méditer sur Kennedy : « demandez-vous ce que vous pouvez faire pour le Sénégal et non pas ce que le Sénégal peut faire pour vous ».
par Bachir Diop
IMPACT ECONOMIQUE, PLAN DE RESILIENCE : QUE FAUT-IL SAVOIR ?
Le pire est que tout est bâtis sur des hypothèses d’une fin de crise dont on ne connait quasiment pas l’issue
La situation est de plus en plus claire maintenant, l’Afrique ira vers la récession de son PIB. Une récession arrive quand la valeur de la richesse produite dans l’année courante est inférieure à celui de l’année passée.
Les pays africains vont perdre de 3 à 5 points en moyenne de croissance en 2020, selon les dernières prévisions des organisations spécialisées (FMI, Banque Mondiale, BAD, Agences de notation).
Ceux qui avaient les meilleurs taux de croissance du continent (entre 5 et 6%) combinés à une certaine stabilité des structures de production échapperont peut-être à cette récession globale. Il s’agit probablement de l’Ethiopie, du Kenya, de l’Ouganda, du Mozambique, du Rwanda, des pays de la CEDEAO à l’exception du Nigéria, du Liberia, de la Guinée Bissau et dans une moindre mesure du Mali. Pour le Sénégal, les dernières estimations prévoient une décroissance jusqu’à moins de 3%.
Le problème majeur qui se situe dans toutes ces prévisions actuelles demeure l’impossibilité de savoir la fin exacte de la crise, malgré les énormes mesures de contingence sanitaire, sociale et économique prises partout dans le monde. Toutes les prévisions supposent une reprise timide de l’activité économique à partir de juillet 2020 et normale à partir de Septembre 2020.
A défaut, un prolongement de la pandémie au-delà de ces prévisions serait juste une catastrophe à tous points de vue pour nos économies.
Qu’entraîne une récession :
L’économie est une chaîne liée et connectée, les entreprises produisent, gagnent de l’argent, donnent une partie aux travailleurs, et partagent le reste entre elles et l’Etat. L’ensemble des trois entités utilisent cette richesse créée en le consommant ou en l’épargnant.
Quand les entités (Etat, travailleurs, entreprises) consomment, le cycle de production reprend de nouveau, les entités investissent leur épargne dans des facteurs de productions (matières premières, services, emplois, recherche et développement), créent de la richesse qui croit avec l’augmentation de la demande due en partie aux « nouveaux venus » dans le marché (naissances, progrès, progression, comportements).
L’Etat, sur ce qu’il gagne dans ce processus permet de soigner tout le monde y compris lui-même, de garder la paix, de favoriser les conditions accrues et stables de création de richesse (formation, régulation, infrastructures et au secours quand tout va mal). (Etat gendarme-Etat providence).
Si une récession surgit, elle entraîne une réduction de la taille du gâteau, les travailleurs reçoivent moins (Licenciement, chômage partiel), L’Etat aussi (moins de dépenses pour soigner, éduquer, garder la paix…), itou pour l’Entreprise (pas d’épargne, pas d’investissement, pas d’achat de services, ni de matières premières et…de nouveau recrutement).
En gros, une récession entraînera une augmentation du taux de chômage, une baisse de la consommation, des dépenses publiques et tout ce qui s’en suit en conséquence sociale.
Quand ces cas arrivent les Etats ont dans leur rôle de maintenir la meilleure situation possible (sauvegarde de l’emploi, de la consommation et des capacités d’investissement des entreprises) tout en se maintenant en vie, étant lui-même un agent de l’entité et garant du bon fonctionnement de tout l’écosystème, c’est ce qui entraîne les plans d’assistance ou plans de soutien.
Pour survivre actuellement, l’Etat du Sénégal a prévu d’injecter 1000 milliards permettant de faire face, son « bras de financement de l’Economie », la Banque centrale a accru les ressources monétaires (pour les 8 pays quand même) de 340 milliards par semaine pour un total de 4750 milliards, assouplit certaines règles de financement, de faire reporter des échéances en cours, etc. (Sic).
Le perfusion de l’Etat devrait permettre de faire face aux lourdes dépenses sanitaires contre la maladie (69 Mds), à maintenir la consommation des ménages quasi-intacte (survie, aides sociales) pour 100 milliards, de vacciner les entreprises à 657 Mds et de se soigner lui-même (couvertures des pertes de recettes) à 178 Mds.
Cette intervention, adossée à des conditions, permettra à la structure de production de ne pas totalement flancher, à défaut, on se remettrait des années à le relever.
Seulement, toutes ces mesures n’empêcheront pas une baisse de la croissance, parce que les entreprises sont connectées au niveau mondial, ils ont besoins du cultivateur ukrainien qui leur fournissent du blé, confiné chez lui, du riziculteur indiens, confinés chez lui également, de l’ouvrier des champs pétroliers d’Aramco Arabie saoudite, également confiné chez lui, et de la main d’œuvre du sénégalais lambda à qui on de demande de « rester aussi chez lui sagement ».
Mais elles permettront (ces mesures) de ne pas amener samba Khoule au chômage, lui donnera sa part, même réduite, du Gâteau qui n’est pas ou peu produit, et favorisera à Samba de continuer à acheter…entraînant la continuité du cycle de production. Aucune chaine ne doit se casser entre la production et la consommation, c’est la règle principale de résilience d’une économie.
Enfin, pour financer ces 1000 milliards, l’Etat n’avait besoin que de chercher 783 Mds en liquide, le reste étant des renonciations de recettes effectives (remises de dettes fiscales, exonération, suspension TVA).
Il a bénéficié d’un apport externe de ses bailleurs de fonds principaux à hauteur de 586 Mds (74% des besoins) [Fonds monétaire international (264 milliards), la Banque mondiale (138 milliards), la Banque ouest africaine de développement (26 milliards 749 millions), la Banque islamique de développement (98 milliards), la Banque africaine de développement (60 milliards).]
Les Sénégalais eux-mêmes (individus et entreprises compris) ont apporté 15 Mds dans l’escarcelle (en moyenne 800 FCFA par personnes).
Pour le reste des coupes et réduction budgétaires le comblera, il s’agit pour ces coupes et sans suspenses les frais de voyages en première ligne et des dépenses courantes principalement. On touche en dernier ressort les investissements et les salaires.
Ces mesures, bonnes ou mauvaises, acceptables ou faibles, sont adossées déjà à d’énormes contraintes, dont la principale est la perte de recette de l’Etat, et des critères macroéconomiques à surveiller (niveau de la dette, pression fiscale limitée, déficit budgétaire) tout un casse-tête et…Le pire est que tout est bâtis sur des hypothèses d’une fin de crise dont on ne connait quasiment pas l’issue.
NB : Quelque chiffre pour se faire une idée des …chiffres de notre économie.
Le Sénégal c’est en moyenne (référence 2019) :
- 1177 milliards CFA de richesses produits par mois, 38 Mds par jour, 1.6 Mds/heures
- 9 millions de personnes en âge de travailler et 7,7 millions environs qui ont une occupation rémunératrice. Un taux de chômage officiel de 15%. Environ 4 personnes sur 10 ont un emploi salarié.
- Chaque personne active au Sénégal apporte en moyenne 152.000 F de richesse à l’économie, en comparaison, la moyenne mondiale est d’une personne contribuant 1,859 millions de FCFA à l’économie (sources BM) soit un taux de productivités de 8% par rapport à la capacité moyenne mondiale. (92% d’oisiveté économique).
- L’Etat a gagné en 2019 en moyenne par mois 213 Milliards de recette, a dépensé 332 milliards et a consommé 119 milliards d’emprunt. 62 des 332 milliards dépensés par l’Etats ont été en salaire pour environs 143 milles fonctionnaires et Cie.
- Ces chiffres rapportaient à un niveau plus bas permet de comprendre notre immense retard : L’Etat paie en moyenne 433.000 FCFA à ses supports pour permettre au Sénégal de produire 152.000 de richesse par travailleur. En comparaison avec la France, leur Etat paye en moyenne 1,464 millions de FCFA à ses supports pour garantir une production de richesse de 5 millions par travailleur. Cela ne signifie nullement qu’on ait un trop plein de fonctionnaires, nous en avons que 8 pour 1000 habitants, là où les pays développés ou émergeant pointent à plus de 50 pour 1000 et des pics de 150 pour les pays scandinaves.
Bachir Diop est Diplômé d’Analyse et Politiques économiques
FASEG/UCAD 2006
par Jean Pascal Corréa
LA GLORIOLE : MONSIEUR LE MINISTRE, PROFESSEUR-SAIT-TOUT !
Pourquoi aime-t-on l’espace public en Afrique ? Pourquoi certains aiment-ils surtout la « titrisation » ? Est-ce la faute à la Presse ? S’y agit-il d’une méconnaissance ou une confusion des genres ?
Comme avec l’équipe nationale de football, l’expertise-de-grand-place n’est manifeste que dans les situations hyper-médiatiques. Peu concrète et factuelle, elle se déploie sur tout, quitte à occuper le devant de la scène pour un temps de gloire. Mais, plus généralement, pourquoi aime-t-on l’espace public en Afrique ? Pourquoi certains aiment-ils surtout la « titrisation » ? Est-ce la faute à la Presse ? S’y agit-il d’une méconnaissance ou une confusion des genres ?
A tout universitaire-enseignant, il est presque automatiquement flanqué le titre (non pas le statut, heureusement) de « professeur ». Comme si tout enseignant recruté à l’université acquérait de facto le grade de professeur sans prouver ses compétences et la qualité de son travail à coups de publications scientifiques, pour les rares qui sont, effectivement, enseignants-chercheurs.
Pour décrypter l’actualité ou des faits de société, des journalistes ont souvent tendance à solliciter les « analyses » de sociologues ou de politologues, parce que ceux-ci donneraient des cours dans ces disciplines. Par défaut, le profane a tendance à croire que tout enseignant dans une branche universitaire peut répondre à des questions potentiellement « étudiées » par ladite discipline ou branche. De ce présupposé, il découle également cette présomption selon laquelle dès qu’on est qualifié de sociologue ou de politologue (et cela concerne aussi d’autres disciplines !), l’individu a connaissance et capacité à traiter de toutes problématiques intéressant ladite discipline. Cet abus innocent, rares sont les « experts » qui convoquent l’éthique de conviction pour faire observer leur proximité ou la distance intellectuelle qui les sépare de l’objet sur lequel la presse les invite à se prononcer. Dire « Désolé, je n’ai pas moi-même travaillé sur cette question ; c’est plutôt un champ investi par ma/mon collègue une-telle/un-tel que vous pourriez joindre au… » est-il à ce point difficile ? Malheureusement, c’est plutôt la course à la visibilité, à la médiatisation potentielle source de sollicitations extra-universitaires.
Bien souvent, nous entendons le ou la même « expert(e) » intervenir à travers des émissions radiophoniques ou à la télévision pour parler, un jour, du Sida, un autre jour, du banditisme, un soir, des malades mentaux, trois mois après, du chômage des jeunes ou des tensions entre le pouvoir politique et l’opposition. C’est à croire que ces savants ont effectué des recherches sur tout et connaissent tellement les sociétés dans lesquelles ils vivent qu’en principe – si on les écoutait –, tout phénomène de société devrait être anticipé.
Dans nos pays africains francophones, l’héritage de l’administration coloniale française nous a fait sublimer les attributs du genre « Monsieur le directeur ! », « Monsieur le Ministre ! », Madame la Ministre, Monsieur la Députée (même après une seule législature) ! Cette boulimie de reconnaissance a trainé à un seuil tel que, même après avoir quitté la fonction de ministre, certains se voient encore rehaussés d’un monsieur le ministre lorsqu’on s’adresse à eux. C’est là un abus véhiculé par la presse (complexe d’infériorité ou déférence non nécessaire ?) ; mais aucun de ces anciens ministres ne daignera le relever, ne serait-ce que pour (se) rappeler qu’être ministre, ce n’est guère plus qu’une fonction (non élective) occupée pour un certain temps, au travers d’un choix opéré par une autorité légitimite.
Dans d’autres contextes, l’individu – quelle qu’ait été sa trajectoire – est simplement désigné par Monsieur untel ou Madame unetelle, en donnant son nom de famille, voire en prononçant son prénom et son nom. Et cela ne constitue aucunement un acte irrévérencieux dès l’instant où le respect dû à l’individu est considéré comme allant de soi. De même qu’il ne traverse pas l’esprit d’une personne de regarder l’autre en le dévalorisant, de même cela n’a-t-il aucun sens de sur-valoriser l’autre, uniquement parce qu’il a occupé telle ou telle position. Ainsi, c’est la confusion entre fonction et statut qui semble être problématique, au-delà des habitudes sédimentées par l’héritage dans la sphère publique.
Dans un pays comme le Sénégal, cette confusion prend des déclinaisons bien diverses. Ces sur-valorisations persistent clairement dans la sphère publique et, surtout, dans les interactions entre les politiques et la presse. La boutade populaire va jusqu'à considérer que "l'épouse du député est elle-même députée". Cela prévaut aussi dans de nombreux villages où la première épouse du chef de village exerce aussi un leadership de fait et par translation. Idem pour le Mali. Qu’elle ne fut ma surprise d’y voir que même un responsable d’ONG a la prérogative de se faire ouvrir la portière de son 4x4, avec un gardien de bureaux qui accoure pour prendre le sac du boss. Au Niger, on va jusqu’à inscrire « Député » sur le véhicule de fonction afin de bien singulariser cette personnalité. En Côte d’Ivoire, le fait de « reconnaître » la trajectoire d’une « autorité » n’en est pas moins nuancé par le plaquage amusé d’une image de cocostratégique qui cherche à être identifié pour ce qu’il veut « représenter » et non ce qu’il est. Au Burkina Faso (BF), le long passage de Compaoré n’a pas su totalement faire fondre l’héritage sankariste d’un peuple qui croit en lui-même et qui n’a pas forcément besoin de l’héritage de l'administration coloniale française (pour ne pas évoquer l'influence houphouëtiste). Il est vrai que les « cadres » de l’administration publique burkinabè se la jouent de temps en temps, mais la hiérarchie est vite calmée par un niveau supérieur, au point que « l’obligation d’humilité » ne demeure jamais loin de l’individu. S’y ajoute le fait que les mutations dans les mentalités et dans le cadre de vie s’opèrent plus lentement dans ce pays, contrairement à ce qui est facilement observé dans un pays comme le Sénégal ou encore la Côte d’Ivoire. Au BF, les « nouvelles » villes ne pullulent pas encore, avec leurs lots de défauts d’assainissement et de conditions minimales de sécurité et de confort. Les gens demeurent encore "sobres" sans manquer d'ambition.
Par contre, dans des pays comme le Bénin, le Togo, le Cameroun, être ou avoir été chef, patron, ministre, waouh, que des avantages ! C’est presque éternel, si l’on sait « s’adapter » et retourner sa « veste toujours du bon côté ». Le chauffeur ou le garde-du-corps accoure pour ouvrir la portière. Les « subalternes » ne te regardent jamais dans les yeux. Tout ce que le boss a dit est vrai et sans date de péremption autre que l’arrivée d'un nouveau chef. Le journaliste de la chaine publique qui t’interroge ne t’interrompra jamais (du déjà vu !) ; c’est l’invité qui lui indiquera quand poser la question suivante. Seulement, quand poindra la déchéance, c’est ce jour-là aussi que l’on saura que les autres en ont « gardé » contre toi. Plus aucun ami, et tous les péchés d’Israël seront accolés à toi. La presse évoquera ton nom au passé « l’ancien ministre… », « l’ex-directeur général de… ». Ta famille te traitera « d’idiot-qui-n’a-pas-su-en-profiter ». Il faut tout faire pour reconquérir le cœur du grand patron. Vaille que vaille ! Quitte à le retrouver dans des cercles occultes que d'aucuns ennoblissent par le terme "réseau".
Si cette « titrisation » pouvait s’avérer une émulation pour avoir le plus grand nombre de « docteurs » dans divers domaines scientifiques, l’évocation de la personnalité constituerait là une reconnaissance méritée pour les efforts investis dans l’ascension sociale ou intellectuelle. Pour autant, ce besoin d’exister par un titre est une forme de corruption émotionnelle (auto)suggérée qui s’avère aussi passive que l’acte de l’agent ou l’officier d’un corps habillé qui place bien en évidence son képi dans une voiture à usage privé.
Et si la presse sénégalaise et africaine traitait définitivement les individus sur un même pied d’égalité ? Pourquoi ne pas se limiter à l’identité nominale avec, au besoin, une présentation complémentaire du facteur de singularité ? Cela permettrait à certains de garder les pieds sur terre et cesser de se donner des statuts, pour des fonctions qu’ils n’exercent plus, quelle que soit la raison.
Si l’individu a honte de se reconnaître « ancien » ministre, alors il faut s’inquiéter de sa capacité à manœuvrer pour toujours rebondir. Il faut aussi se demander si la nation doit nécessairement recycler le même personnel politique et intellectuelle, décennie après décennie. Comment prôner l’humilité lorsqu’on est sûr de ne jamais prendre le vélo pour aller au boulot ?