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30 avril 2025
Développement
par Latyr Diouf
VIDES ET COVID-19 : NOUS SOMMES EN GUERRE !
La société post-Covid-19 sera forcément marquée du sceau de l’impréparation globale de cette guerre dont on expérimente actuellement les effets. Mais, quand la paix sera revenue, la pire des désillusions serait de réendosser notre hébétement de plus belle
Cette sentence a été, en substance, le sommet des allocutions présidentielles prononcées à la télévision, du reste, sans le panache gaullien, le souffle castriste ou encore le doux tragique senghorien. L'époque a changé. La duplication massive des déclarations et les multiples commentaires, qui les ont accompagnées, ont dilué l'aura qu'elles devaient tirer du désarroi mondial. Tout paraît tellement désincarné par la prééminence de l'accessoire et du faux-semblant sur l'essentiel. Il est heureux, soit dit en passant, que l’Africain Macky Sall et non moins président de la République du Sénégal partageât ses réflexions écrites face à la situation. Pour se ressaisir, les paroles officielles avaient tenté d'abord de caractériser avec gravité le fléau qui a pris le monde au dépourvu. Dans un florilège de curieux portraits-robots, l'ennemi public numéro 1 est décrit comme infiniment petit, invisible, sans passeport ni visa, ignorant les frontières et frappant, de manière rapide, brutale et indifférenciée, riches et pauvres. Et pour ne rien arranger, cet insolent microscopique avait déjà fait vaciller de puissants pays aux dispositifs sanitaires réputés très performants.
C'est, manifestement, la virulence létale du virus qui justifia les sorties vigoureuses de la fin de la première quinzaine de mars et leur sémantique martiale. En effet, de son foyer wuhanais en Chine, le mal s'était déjà propagé, de manière vertigineuse, aux quatre coins du monde. Personne n’en avait, véritablement, pris la mesure. Il est désormais communément identifié sous le nom de Covid-19, acronyme anglais signifiant en français maladie à coronavirus 2019. Malgré les nombreuses explications savantes qu’elle a suscitées, elle reste mal connue. Point de vaccin ; point de médicament, à ce jour. Les masques et tests, qu’on pouvait espérer élémentaires au regard des grands progrès d’une humanité à l’heure de l’intelligence artificielle, ont pu faire défaut dans des pays parmi les plus structurés et les plus aisés.
Des mesures spectaculaires furent prises : fermeture des écoles, des frontières et de certains commerces, annulation de grandes rencontres internationales et de grands événements scientifiques, culturels et sportifs, confinement, état d’urgence, couvre-feu… Les États recouvrèrent leurs puissants monopoles sans, toutefois, disposer du moindre antidote pour contenir la pandémie. Il fallait vite sublimer cette remarquable impuissance et rassurer les populations : le Léviathan les protège et les couvre de sa bienveillante autorité. Cependant, il ne serait pas malsain de songer furtivement à deux avatars : la populaire expression de la carotte et du bâton ou l’incontournable Surveiller et punir de Foucault. Car, oui, l’injonction « restez chez vous ! », d’une part, a été accompagnée d’une campagne de sensibilisation proche de la propagande totalitaire. La mise en scène de gestes dit barrières devint virale. Se laver les mains avec du savon ou une solution hydroalcoolique, éternuer ou tousser dans le creux de son coude, utiliser un mouchoir jetable, observer une distance sociale étaient érigés au rang de trouvaille brevetée. D’autre part, faute d’attestation dérogatoire pertinente, tout déplacement est interdit, sous peine d’amende. Cependant, dans de nombreux pays, le nouvel ordre est imposé à coup de matraque. Gare à ceux qui ne respectent pas le confinement et les couvre-feux !
L’adhésion massive des nations à la guerre mondiale contre la Covid-19, avec des armes aussi dérisoires, prêterait à sourire, si le bilan macabre n’était pas aussi vulgarisé. Ce 14 avril 2020 à 19h30, la Covid-19 a fait 121 897 morts dans le monde. De plus, des personnalités fort sympathiques et très inspirantes nous ont quittés, sans que l’hommage qui sied à leur séjour terrestre puisse leur être rendu. Les drames, qui frappent actuellement des millions de personnes à l’échelle du monde, sont incommensurables. Ils sont couverts de ces pudeurs typiques des détresses muettes et voisines du désespoir. Car au-delà de la mort, des inhumations sommaires, des deuils solitaires et des risques de contagion, l’isolement généralisé exacerbe toutes les précarités matérielles et morales, en mettant à nu la terrible angoisse de l’impuissance devant son propre sort, si ce n’est celle de la résignation face au désarroi d’un être cher.
L’Etat du Sénégal s’est montré bien inspiré dès les premiers effets de la pandémie sur son territoire, voire depuis le très pertinent refus du président de la République de faire rapatrier nos compatriotes d’un Wuhan au pic de la contagion. Avec son programme dit de résilience économique et sociale, des mesures sont prises dans l’esprit de soutenir la santé et les ménages, assurer la stabilité économique et financière et sécuriser l’approvisionnement du pays. Une union sacrée s’est également déclarée autour de l’élan national de riposte contre la maladie. A cela s’ajoute un nombre de cas identifiés et de décès encore relativement peu élevé en comparaison avec les pays les plus affectés. Beaucoup d’hypothèses ont été avancées pour expliquer le taux de morbidité faible en Afrique subsaharienne. Les plus scientifiquement plausibles semblent d’ordre immunologique ou en lien avec la jeunesse de la population du continent. C’est, du moins, l’avis d’un ami médecin actuellement au cœur de la prise en charge de patients atteints du Covid-19 dans une région très impactée. Il se dit peu convaincu par les suppositions liées à une barrière climatique tropical et balaye les considérations génétiques évidemment racistes. Quant à la prétendue compétitivité subite de notre système de santé, il la trouve franchement agaçante. Il serait indécent, pense-t-il, d’ignorer les nombreuses autres morts non imputables au Covid-19 et de feindre d’oublier nos immenses défis en matière de santé.
L’autre indécence s’est manifestée dans les solidarités ostensibles, qui consiste essentiellement en denrées alimentaires et en produits hygiéniques pour des présumés plus démunis. La démence politicienne, démagogique et effrontée, qui gangrène le pays, a trouvé là un nouveau cheval de bataille et parvient à nous indisposer jusqu'aux confins de nos confinements. La cause de l’entraide pouvait être noble, si elle était exempte de calcul et de mise en scène autocentrée. Elle pouvait être salutaire, si elle prolongeait qualitativement et quantitativement la résilience des bénéficiaires. Elle pouvait, enfin, être légitime, si elle n’autorisait aucune interrogation sur les moyens des généreux bienfaiteurs. Mais, elle a été empressée, indiscrète, dérisoire et soucieuse de reconnaissance populaire. La solidarité est indispensable dans les moments que nous traversons. Nul n’en disconviendrait. En priorité, elle doit être le fait des pouvoirs publics qui, reconnaissons-le, font de leur mieux avec les contraintes inhérentes au fonctionnement de nos administrations. L’Etat du Sénégal, à travers la Force Covid-19, a pris d’importantes mesures dont le détail a fait l’objet d’une large diffusion. Les efforts individuels, auxquels chacun est socialement sommé de consentir, doivent se passer de démonstration grotesque d’égo. On remarquera que sur la liste des donateurs du Fonds Force Covid-19 établie par la Direction générale de la comptabilité publique et du trésor, les montants vont de 2000 (moins de 4 euros) à 1 milliards CFA (plus d’1,5 million €) et concernent, à ce jour, moins de 500 personnes. Tout Sénégalais, doté du moindre et quelconque revenu, a, dans son entourage, des parents, des amis et des connaissances fort dépourvus qu’il tient parfois en respect pour sa propre survie. Aucune fortune privée n’est en mesure de venir définitivement à bout de la précarité par la charité. Tout secours doit donc rappeler au donateur que sa supériorité n’est pas figée et qu’il peut se retrouver à la place de l’assisté, en situation de nécessiteux. Beaucoup d’adages, marqueurs de l’interdépendance communautaire, professent cette sagesse existentielle implacable. La gratitude reçue (ou donnée) ne doit pas créer des obligations dont on tirerait un ascendant définitif.
Les carences que révèle cette pandémie sont nombreuses et insoupçonnables. Elles se nichent, par exemple, dans les félicitations amplement méritées au personnel médical et paramédical. Le fait d’applaudir tous les soirs des travailleurs en mission de service public est bruissant de symboles. Des images et audios de soignants terrassés de fatigue et dépités par des manquements et des pénuries incroyables ont, pour sacrifier au lieu commun, ému la toile. Sur le plan économique, l’incertitude des prévisions du FMI et la récession déjà qualifiée d’historique en France préfigurent les déficits abyssaux à combler. Le jour d’après sera plein de ces vides. De cette drôle de guerre, la stratégie prospective ne saurait se limiter, après l’urgence de trouver un remède, à un retranchement dans le beau temps proverbial qui succède nécessairement à la pluie. Une locution latine célèbre nous dit : « Si vis pacem, para bellum » (littéralement « Si tu veux la paix, prépare la guerre »). La société post-Covid-19 sera forcément marquée du sceau de l’impréparation globale de cette guerre dont on expérimente actuellement les effets. Mais, quand la paix sera revenue, la pire des désillusions serait de réendosser notre hébétement de plus belle. Car, après avoir redécouvert le rôle de l’agriculteur, du pécheur, du soignant, de l’enseignant, de l’éboueur et de toutes les petites mains indispensables et peu valorisées, il restera si peu de fierté à tirer des privilèges d’une réussite confinée, insolente et spéculative dans un monde fragile et aliénant.
UN AGENDA POUR LES EXAMENS SCOLAIRES EN GESTATION
Le président a demmandé aux ministres concernés de mener des concertations urgentes avec les partenaires sociaux en vue d’évaluer l’impact global du COVID-19 sur le secteur éducatif - COMMUNIQUÉ DU CONSEIL DES MINISTRES
SenePlus publie ci-dessous, le communiqué du Conseil des ministres du 15 avril 2020.
"Le Conseil des ministres s’est tenu le mercredi 15 avril 2020, en visioconférence, sous la présidence du Chef de l’Etat, son Excellence, Monsieur Macky SALL.
Le Chef de l’Etat a, à l’entame de sa communication, adressé ses chaleureuses félicitations à la communauté chrétienne, au sortir de la semaine sainte et de la célébration de la fête de Pâques. Le Président de la République a en outre remercié toutes les autorités religieuses du Sénégal qui se sont engagées avec l’Etat et les populations dans la lutte contre la pandémie du COVID-19.
Le Chef de l’Etat, abordant la question de l’accompagnement des citoyens dans le contexte du COVID-19, a informé le Conseil avoir procédé au lancement des opérations d’aide alimentaire d’urgence. Il a, à cet effet, demandé au Ministre du Développement communautaire, en rapport avec le Ministre des Forces armées et le Ministre de l’Intérieur de veiller à l’acheminement rapide à destination et à la distribution, dans les meilleures conditions par des commissions créées au niveau territorial, des dotations alimentaires.
Le Président de la République a salué les contributions des collectivités territoriales.
Il a, par ailleurs, demandé au Ministre des Collectivités territoriales et au Ministre des Finances et du Budget de faciliter aux collectivités territoriales, les procédures administratives et budgétaires en vue de l’allocation complémentaire de secours aux populations vulnérables.
Le Président de la République a insisté sur la nécessité de déployer, dans les meilleurs délais, l’assistance de l’Etat à nos compatriotes de la Diaspora affectés par la pandémie.
Le Chef de l’Etat a, au sujet de la maitrise de la pandémie du COVID-19 et du plan national d’investissement dans le secteur de la santé, demandé au Ministre de la Santé et de l’Action sociale, en relation avec les ministres concernés de renforcer davantage les dispositifs de prévention, de veille et d’alerte précoce au niveau des structures sanitaires et des lieux publics, au regard du développement de la transmission communautaire.
Le Président de la République a, dans cette perspective, informé le Conseil avoir eu une séance de travail en visioconférence le jeudi 09 avril 2020, avec des universitaires et spécialistes de la Santé afin de renforcer davantage la riposte et de préparer l’après COVID-19 pour notre système de santé. Il a, à cet égard, magnifié les compétences de nos ressources humaines nationales en matière de santé publique et réitéré les félicitations et encouragements de la Nation aux personnels concernés, tout en les invitant à participer activement à la mise en œuvre du Grand Plan National d’Investissement quinquennal, dont la finalisation est prévue en fin avril 2020.
Le Président de la République a, dès lors, demandé au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, de poursuivre les réformes entamées dans le cadre de la modernisation de notre système judiciaire et de l’administration pénitentiaire.
Le Chef de l’Etat, revenant sur la gestion et le suivi des affaires intérieures, a abordé la situation scolaire et universitaire. Il a à cet égard, demandé au Ministre de l’Education nationale et au Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et au Ministre de la Formation professionnelle de mener des concertations urgentes avec les partenaires sociaux en vue d’évaluer l’impact global du COVID-19 sur le secteur éducatif. Il a également demandé aux ministres d’élaborer une feuille de route pour la poursuite des enseignements de même qu’un agenda des évaluations, examens et concours, tout en tenant compte aussi de l’impact sur les établissements d’enseignement privés.
Le Président de la République a, au titre du fonctionnement des institutions financières durant la pandémie du COVID-19, demandé au Ministre des Finances et du Budget, en relation avec celui de l’Economie et de l’Observatoire de la Qualité de services financiers, d’engager, avec les responsables de la BCEAO, des établissements de crédit et des institutions de microfinance, des consultations afin de sécuriser davantage le traitement diligent des opérations financières et de faire bénéficier aux différents agents économiques, d’un report d’échéances de leurs crédits sur une période à convenir.
Le Chef de l’Etat a clos sa communication sur le suivi de la coopération, des partenariats et sur son agenda.
Au titre des Communications, le Conseil a enregistré les interventions de différents ministres.
Au titre des textes législatifs et réglementaires, le Conseil a examiné et adopté :
- le projet de loi relatif à la prorogation des délais en matière civile, commerciale, sociale et administrative et à la suspension des mesures d’expulsion ;
- le projet de loi portant suspension des recours, de l’exécution des sentences et prorogation de certains délais, en matière pénale ;
- le projet de décret portant règlement général sur la comptabilité publique."
DÉCÈS DE SOULEYMANE GUEYE CISSÉ, SG DE LA LD/DEBOUT
Le militant de Gauche est décédé ce mercredi matin à Dakar à l’âge de 53 ans
Le Secrétaire Général de la Ligue Démocratique/Debout, Souleymane Gueye Cissé, est décédé ce mercredi matin à Dakar à l’âge de 53 ans, a appris l’APS.
Militant très tôt engagé dans la gauche au sein de la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT), il a été pendant plusieurs années, un fer de lance du mouvement de jeunesse de ce parti à côté de son leader historique, le professeur Abdoulaye Bathily.
Conseiller municipal à la ville de Rufisque Ouest, il était également conseiller départemental.
En 2018 lors d’un congrès, il marque une rupture avec la LDMPT et crée dans la foulée une aile dissidente dénommée LD/Debout.
Né en 1967 à Rufisque, Souleymane Gueye Cissé a fait ses humanités au lycée Abdoulaye Sadji de cette ville où il s’était illustré parmi les ’’dirigeants de grève’’.
Après des études à l’université de Dakar, il avait eu à occuper le poste de Directeur Administratif et financier de l’Agence d’Exécution des travaux d’intérêt public (AGETIP).
Entrepreneur, il a fondé depuis 2000 à Rufisque sa ville natale le Groupe d’enseignement supérieur privé (Edicom).
A côté de l’établissement dans le quartier de Guendel, il avait également créé un studio d’enregistrement pour promouvoir les jeunes talents de la vieille ville. Son enterrement est prévu cet après-midi à Rufisque.
GUÉRISONS DU CORONAVIRUS :Y'A-T-IL UNE EXCEPTION SÉNÉGALAISE ?
Avec près de 61% de patients guéris, et seulement deux morts en un mois et demi, le Sénégal fait figure d’exception sur le continent. À quoi tient ce « miracle », et peut-il perdurer ?
Jeune Afrique |
Manon Laplace |
Publication 15/04/2020
Deux morts et 60,5% de patients remis sur pied. Avec 314 cas déclarés depuis le 2 mars, dont 190 guéris et sortis de l’hôpital le 15 avril, le Sénégal affiche un taux de guérison record sur le continent. À titre de comparaison, le Maroc, où l’épidémie est arrivée en même temps, n’enregistrait le 14 avril que 11% de patients guéris, l’Algérie 30%, l’Afrique du Sud 18% et le Cameroun 15%.
S’y ajoute le nombre de décès liés au Covid-19, encore très faible, avec deux morts, soit 0,64% des patients, quand le taux de mortalité en Algérie est de plus de 15%.
Ces deux statistiques, « qu’il faut interpréter avec beaucoup de prudence », selon le docteur Abdoulaye Bousso, directeur du Centre des opérations d’urgence sanitaire (COUS), sous la houlette du ministère de la Santé, semblent toutefois alimenter l’idée d’une exception sénégalaise. Depuis le début du mois avril, le pays voit même son nombre de patients hospitalisés baisser, avec 121 cas sous traitement le 15 avril, contre 143 il y a dix jours.
Pas de mesures sanitaires drastiques
S’il rappelle qu’il est « encore trop tôt pour anticiper l’évolution future de l’épidémie », le docteur Abdoulaye Bousso veut voir dans cette déferlante de chiffres « encourageants » les premiers effets des mesures prises par le chef de l’État. À l’instar de la fermeture des frontières aériennes, décidée le 20 mars, qui pourrait avoir partiellement réglé la question des cas importés de l’étranger, qui, jusqu’ici, représentaient avec leurs contacts 96% des malades, selon le docteur Bousso.
Pourtant, le Sénégal est loin d’afficher les mesures sanitaires les plus drastiques du continent. Il n’est pour l’instant pas question d’un confinement en dehors des heures de couvre-feu, de 20 heures à six heures du matin, contrairement à l’Afrique du Sud qui l’a imposé dès le 26 mars.
Pas d’obligation non plus de porter un masque, comme c’est le cas au Maroc, bien que la mesure soit en discussion. Ni même de mise à l’isolement de Dakar, qui a enregistré 196 cas depuis le début de l’épidémie, contrairement à Abidjan, dont il est interdit d’entrer et de sortir depuis le 29 mars. Quant à la distanciation sociale prônée partout dans le monde, elle ne semble exister que sur les panneaux de sensibilisation ayant essaimé dans les rues de Dakar.
Peu de cas sévères
Comment expliquer ces bons résultats, alors que les mesures sanitaires sont a priori plus souples que dans d’autres pays du continent ? « Le Sénégal a eu très peu de cas sévères et a pris en charge ses patients avec beaucoup de célérité : les résultats des prélèvements sont disponibles dans les 24 heures, tous les patients testés positifs ont systématiquement été hospitalisés, qu’ils présentent des symptômes ou non, et leurs contacts immédiats ont été confinés », résume le professeur Bousso.
Pourrait aussi s’y ajouter le traitement à l’hydroxychloroquine, sur lequel a parié dès le 26 mars le professeur Moussa Seydi, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital de Fann, où sont admis une partie des malades. « Les patients sous hydroxychloroquine guérissent plus vite », avait-il ainsi déclaré lors d’une conférence de presse le 2 avril, bien qu’il n’existe pas encore de consensus médical sur l’efficacité ou la dangerosité des traitements à base de chloroquine contre le coronavirus.
« Nous sommes loin de voir le bout du tunnel », tempère de son côté le professeur Ousmane Faye, en charge du département de virologie de l’Institut Pasteur, qui effectue les dépistages. Car si le taux de guérison est en hausse, le nombre de nouvelles contaminations, lui, reste stable. En avril, les autorités ont recensé en moyenne huit à neuf nouveaux cas par jour.
« Garder en tête que l’épidémie est bien présente »
« L’impression que la courbe baisse ne signifie pas que l’épidémie ne se propage plus », martèle celui qui fût en première ligne dans la lutte contre Ebola et la fièvre jaune sur le continent.
Si la progression reste lente et les cas contacts globalement suivis, l’enjeu est désormais d’endiguer totalement la progression de la pandémie. Une tâche compliquée par la multiplication des « cas communautaires » (ces cas dont la chaîne de transmission n’est pas connue).
« Tant qu’il y a des cas communautaires, cela signifie qu’il y a des patients vecteurs du coronavirus qui ont échappé aux radars, et cela représente un danger », renchérit Lucile Imboua, représentant de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) au Sénégal.
Face à ces cas communautaires et au taux constant de nouvelles contaminations, l’État sénégalais cherche une nouvelle stratégie, conscient que les nombreuses guérisons enregistrées jusqu’ici ne suffiront sans doute pas à éviter la crise. Confinement total, port du masque obligatoire ou dépistage massif sont autant de mesures en débat.
En attendant, « il faut garder en tête que l’épidémie est bien présente, qu’elle continue de se propager et que nous sommes toujours dans la zone chaude. Si le nombre de contaminations est exponentiel, la situation pourrait devenir difficile à gérer », prévient le professeur Ousmane Faye.
par Benoit NGOM
MACKY SALL ET « L’APPEL DE DAKAR » : MOBILISATION CONTRE LE COVID-19
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Sénégal a une bonne occasion de contribuer à l’instauration d’un nouvel ordre mondial si les Africains au sortir de cette sombre période, décident de prendre leur destin en main en comptant d'abord sur eux-mêmes
En pleine crise sanitaire, alors que l'ombre menaçante du COVID19 s’étendait au-dessus des continents et que le Sénégal comptait sa première victime en la personne de l'illustre Pape Diouf, la presse nationale créait l’événement en publiant, fait relativement rare en Afrique, une tribune du chef de l’Etat sous le titre « L’Afrique et le monde face au covid-19 : point de vue d’un Africain - Par Macky Sall, Président de la République du Sénégal »
Cet appel est en parfaite adéquation avec une initiative que nous avions en partage avec quelques juristes africains visant à lancer un appel à l’endroit des dirigeants de notre continent pour une meilleure capitalisation des expertises africaines dans la Phase post pandémie COVID19. A cet égard, nous pensions que pour beaucoup de raisons, le président du Sénégal pouvait être porteur de cet appel à l’action auprès de ses pairs africains pour lui conférer la portée politique souhaitée.
Cependant, après avoir lu cette contribution fondamentale du chef de l'Etat, nous nous sommes dit que ce qui nous restait à faire était de participer au mieux à la réalisation des idées contenues dans ce texte.
Sous ce rapport, il nous semble que c’est une occasion rare qui est offerte à l’intelligentsia du Sénégal afin que chacun selon sa spécialité, enrichisse cette réflexion du président de la République en indiquant les initiatives qui pourraient être prises pour aider au développement harmonieux du Sénégal après le COVID19. Ce que notre organisation ne manquera pas de faire.
Dialoguer avec un président qui exprime son désir d’agir et qui s’en est donné les moyens nous parait à la fois souhaitable et opportun.
En effet, jamais avant lui, depuis l'indépendance du Sénégal, le président de la République n'aura confondu, en même temps dans ses mains, l’ensemble des pouvoirs constitutifs de l’Etat, la liberté d’évaluer seul les moyens dont il a besoin et le mandat souverain d’agir selon son bon vouloir.
Ainsi, après avoir obtenu le vote de la loi d’habilitation pour décréter l’Etat d’urgence, il a mis en place un Programme de Résilience Économique et Sociale (PRES), d’un coût global de 1.000 milliards de FCFA, soit environ 2 milliards de dollars US, en vue de lutter contre la pandémie et soutenir les ménages, les entreprises et la diaspora …et a créé un Fonds de Riposte contre les Effets du COVID-19, FORCE-COVID-19, financé par l’État et des donations volontaires, pour couvrir les dépenses liées à la mise en œuvre du PRES.
Dans cet esprit, nous semble-t-il, le chef de l'Etat dispose d'une "fenêtre de tir" pour mener sans difficulté, l'ensemble de la nation vers les cimes de l'émergence en préparant la gestion économique et sociale de l'après COVID19. Cette opportunité d’action pourrait permettre au chef de l’Etat d’accentuer les programmes de transformation culturelle, économique et sociale nécessaire à une certaine refondation du Sénégal qui s’appuierait sur une nouvelle forme de gouvernance et le développement de nouvelles solidarités.
C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que chaque peuple se trouve enfermé dans les frontières de son territoire national sans possibilité légale d’en sortir ou presque. Pour la première fois dans l'histoire de notre pays, nous sommes face à nous-mêmes sans la présence des autres pour orienter nos actions.
C’est donc en ayant foi en nous-mêmes que nous allons montrer à la face du monde que, comme le dit le président, « L’Afrique, berceau de l’humanité et terre de vieille civilisation, n’est pas un no man’s land. Elle ne saurait, non plus, s’offrir comme terre de cobayes. Exit également les scénarios catastrophistes qui s’évertuent à dessiner un futur d’apocalypse pour le continent». L’intervention exceptionnelle du Groupe des Ambassadeurs africains basés en Chine le 10 Avril dernier pour dénoncer les traitements discriminatoires que subissent les africains dans ce pays présage peut-être d’une volonté du continent de ne plus se faire marcher sur les pieds en silence.
C’est aussi la première fois que beaucoup d'hommes et de femmes comme moi ont pu évaluer l’étendue de notre expertise nationale dans les domaines les plus pointus de la médecine. L’apparition, à travers les médias, de ces experts sénégalais dont les noms n'étaient connus que de quelques initiés a aiguillonné une vaillante jeunesse scientifique pressée et fière de montrer ses capacités à travers ses inventions.
C'est le moment de prôner sans ambages la rupture par rapport à certains travers du passé. C’est le moment de croire d'avantage en nous-mêmes, de penser de plus en plus par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
Le président est à l'abri de toute pression venant d’un camp de l'espace politique des lors que les leaders de l'opposition à l'unanimité ou presque ont accepté son programme, et qu’il bénéficie de la bénédiction de tous les chefs religieux, alors que la population dans son ensemble est à son écoute. Ainsi est-il libre de n'écouter que la voix de la raison pour insuffler à son peuple plus de patriotisme.
C’est donc le moment pour les intellectuels du Sénégal de se regrouper en fonction de leur spécialité pour proposer des initiatives concrètes qui vont dans le sens de la réalisation du « Programme de Résilience Economique et Sociale » adopté par l’ensemble du corps social. Ces initiatives, toutefois, doivent se dérouler sous le sceau de la rigueur et à l’abri de tout opportunisme inapproprié, et de tout sectarisme de mauvais aloi.
En ce sens, certains départements ministériels doivent s’ouvrir davantage aux Think-Tank de la société civile dont les études et les recherches devraient d’abord servir au pays. Une telle coopération, par exemple, aurait pu permettre, à n’en point douter, de mieux assurer la restitution au niveau des sphères intellectuelles et universitaires des résultats des nombreuses et prestigieuses initiatives de la diplomatie sénégalaise.
Le président de la République pourra ainsi veiller à une mobilisation coordonnée de l’élite sénégalaise et, à cet effet, sous sa haute autorité, mettre en place une structure dédiée.
Le président Macky Sall a, une bonne occasion de consolider le leadership diplomatique du Sénégal et de contribuer à l’instauration d’un nouvel ordre mondial si les africains au sortir de cette sombre période montrent leur ferme volonté d'agir ensemble et qu’ils décident de prendre leur destin en main en comptant d'abord sur eux-mêmes. En clair, les leaders africains doivent accepter de développer des actions solidaires et concertées.
C’est dans cette perspective, me semble-t-il, que le 2 décembre 2019 à Dakar fut porté par la voix du chef de l’Etat du Sénégal à la connaissance de la communauté internationale, le texte dénommé « Consensus de Dakar » dont l’idée est : « de faire en sorte que la conférence de Dakar contribue à faire converger une position de principe qui soit consensuelle sur un impératif délicat à savoir comment trouver le juste équilibre entre le développement durable et la dette soutenable ». En clair, il s’agirait d’une relecture africaine du « Consensus de Washington ».
Sous ce rapport, il n'y a pas de doute que la communauté internationale se faisant l’écho de l’invite œcuménique du Pape François, entendra positivement « l'Appel de Dakar » en réservant un accueil favorable à la proposition d'annulation de la dette présentée au nom de l'Afrique par le président Macky Sall.
Pr Benoit Ngom est Président Fondateur de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA) et de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice et les Droits Fondamentaux en Afrique (IHEJDA)
par Amadou NDIAYE
LE TOUR DE L’AFRIQUE EST À CONSTRUIRE PAS À DÉCRÉTER
De quelles ressources et compétences disposons-nous, nous africains, pour faire une prospective scientifique dans des secteurs (éducation, santé, eau, pétrole, etc.) essentiels ?
La pandémie du COVID 19 est-elle une occasion devant permettre l’arrivée rapide du tour de l’Afrique dans la géopolitique mondiale ? Beaucoup de réflexions vont dans le sens d’une réponse affirmative à cette question. Elles admettent que les rapports dans le monde vont changer en faveur de l’Afrique. Les africains peuvent sourire largement, les visionnaires sont formels : « Après l’échec du communisme, le capitalisme occidental va vers l’effondrement. C’est le tour de l’Afrique qui devra profiter du dividende démographique. Le COVID 19 servira d’accélérateur ». Au-delà de ces réflexions et positions optimistes, que pouvons- nous retenir des faits ?
Un fait saillant qui a fait couler beaucoup d’encre est constitué des réactions suite à un échange entre deux médecins chercheurs. Il s’agissait d’une réflexion à haute voix faite par Jean-Paul Mira et Camille Locht dans une émission télévisée. Le premier pose une question scientifique : "Est-ce qu'on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n'y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation ?" Il oriente la réponse en faisant appel à une expérience plus ou moins lointaine: " Un peu comme c'est fait d'ailleurs pour certaines études sur le sida. Chez les prostituées, on essaye des choses parce qu'on sait qu'elles sont hautement exposées et qu'elles ne se protègent pas." Le second, dans le sens du premier, dévoile une réflexion scientifique en cours : " Vous avez raison, on est d'ailleurs en train de réfléchir à une étude en parallèle en Afrique". Il faut noter le mot « en parallèle ».
Bien sûr les réactions des africains (stars, intellectuels, ministres, société civile, etc.) ne se sont pas fait attendre pour rappeler que nous ne sommes pas des cobayes et que nous sommes contre le néocolonialisme (conscient et inconscient). Ces analyses ont rappelé toute la dignité de l’Afrique et des africains. Il nous faut reconnaitre que l’ensemble de ces réactions relèvent, pour le mieux, de l’idéologie alors que nos deux médecins s’exprimaient dans le domaine scientifique. En effet, ces propos ont été tenu dans un contexte où « des chercheurs de plusieurs pays ont lancé, ou s’apprêtent à le faire, des essais cliniques de grande ampleur afin de déterminer si la vaccination par le BCG (appellation courante du vaccin bilié de Calmette et Guérin) offrirait une protection – au moins partielle – contre le Covid-19. » et déjà « Les essais ont déjà commencé à grande échelle en Australie (4 000 participants) et aux Pays-Bas (1 000 participants). L’Espagne va s’y joindre, de même que la France, où l’essai est en cours de planification par l’équipe de Camille Locht, directeur de recherche à l’Institut Pasteur de Lille. Les premiers résultats de l’essai français pourraient être disponibles d’ici trois à quatre mois », selon le Monde. Une question : Pourquoi les réactions n’expriment-elle pas la manière dont l’Afrique devrait participer à l’effort de guerre que l’humanité a engagé dans la lutte contre le COVID-19, d’autant qu’elle demande de l’aide internationale et réclame l’annulation de la dette ?
Heureusement que le professeur Iyane Sow a réagi. Pour lui, il n’y a rien de nouveau concernant le BCG. Mieux, les tests médicaux sont bien encadrés d’abord par les médecins eux-mêmes, ensuite par le comité d’éthique et enfin par le volontariat et ceci partout dans le monde. Cette réaction donne un autre son cloche. Elle ne défend pas l’Afrique, ne crie pas au néocolonialisme et n’attaque personne. Elle n’est pas d’ordre épidermique, philosophique ou idéologique. Le Pr Sow intervient scientifiquement ; sa réaction respecte le parallélisme de forme. Ce sont ces types de réponses qu’on attend des africains quand un problème sérieux est posé. Quel doit être la contribution de l’Afrique dans la lutte contre le COVID-19 ? Idéologique ou scientifique ?
Un autre fait qui met en opposition la démarche scientifique des occidentaux et notre démarche idéologique, est la production d’une note diplomatique française « L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique ? » dont le résumé est le suivant : « la crise du Covid 19 peut être révélateur des limites des capacités des états, incapables de protéger leurs populations. En Afrique, notamment, ce pourrait être « une crise de trop » qui déstabilise durablement, voire qui mette en bas des régimes fragiles (sahel) ou en bout de course (Afrique centrale). Vu d’Afrique, le Covid 19 se présente sous la forme d’un chronogramme politique, qui va amplifier des facteurs de crise des sociétés et des Etats. Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques ». Devant cette production fondée sur les sciences sociales et géopolitiques, nous avons répondu avec pertinence, par l’idéologie, la philosophie ou le complexe ; en disant stop à la recolonisation et à la condescendance. Nos gouvernements ont-ils mis en place des structures en charge de la production scientifique et stratégique sur ces questions ? Si oui, celles-ci ont-elles produit des notes scientifiques pour une bonne identification et une meilleure gestion d’une éventuelle crise sociopolitique ?
Quand on était au stade d’épidémie à Wuhan, nous avions dit que c’est parce que la Chine a massacré des musulmans. Quand l’hypothèse d’un virus d’origine animale est émise, nous enchainons qu’il faut respecter les interdits du Seigneur (nous ne sommes pas des mangeurs de pangolin, serpent et autres chauve-souris). Quand la maladie s’est répandue en occident, nous crions notre aversion aux savoir et savoir-faire scientifique (Dieu va leur montrer que leurs technologies ne servent à rien).
Au Sénégal, lorsque le président de la République, en suivant les conseils du comité scientifique, a pris des décisions (interdiction de regroupement, Etat d’urgence, couvre-feu, interdiction de serrer la main, etc.) pour empêcher la circulation communautaire du virus, nous manifestons notre opposition en se fondant sur nos certitudes empiriques (recherche effrénée de laissez-passer, contournement des check point des gendarmes, utilisation des pistes pour voyager) et religieuses (protection divine).
La population est confortée par les tactiques réfléchies de ses leaders. Un leader politico- religieux a refusé de respecter les gestes (lavage des mains au portail et salutations sans serrer la main du président) lors des audiences au palais de la république. Devant la gravité symbolique de ce fait, le président de la République surpris (un coup KO) n’a pu réagir immédiatement. Notre sécurité présentielle non plus. Les services présidentiels n’ont pas produit de notes stratégiques sur ces phénomènes (adoption par les populations des décisions, mystification religieuse, etc.). Toute une stratégie de sensibilisation, de communication et d’éducation pour la santé ruinée par une tactique d’un leader politico-religieux ?
La tactique du président de la république, lui, a mis en place des actes lui permettant de retrouver une légitimité contestée par l’opposition significative des présidentielles de 2019. Elle lui a même permis d’enfourcher le cheval de leadership africain (selon l’expression le journal le Soleil) dans le combat contre le COVID-19, en demandant l’annulation de la dette et en adressant une contribution (« L’Afrique et le monde face au covid-19 : point de vue d’un Africain »). Le chevalier va-t-il capitaliser cet engagement pour briguer une fonction internationale (ONU, OIF, etc.) après la fin de son mandat en 2024 ? Une question aux politistes !
Plus fondamentalement, les Etats occidentaux élaborent des stratégies de gestion de la crise sanitaire et ses conséquences à travers, d’une part, des tests prophylactiques et thérapeutiques et, d’autre part, la production de documents scientifiques et stratégiques. Nos intellectuels répondent que le COVID 19 va changer la géopolitique mondiale et faciliter le tour de l’Afrique alors que nos leaders politiques élaborent des tactiques de positionnement/ repositionnement qui mettent en mal la communication scientifique sur la pandémie.
Contre la science et la stratégie, nous continuons de rêver d’un changement social et d’un bouleversement de l’ordre mondial à travers le militantisme civilo-politique et les savoirs idéologique, empirique et religieuse. Pourtant depuis longtemps, nous profitons d’une part leurs matériels et équipements (voiture, avion, téléphonique, seringue, respirateur, ordinateur, etc.) sans pouvoir nous en approprier industriellement les technologies et, d’autre part, de leurs concepts (développement économique et social, développement humain, développement durable, sécurité alimentaire, santé pour tous, éducation pour tous, etc.) sans pouvoir les opérationnaliser.
Nous avons privilégié les savoirs empirique, idéologique et religieux ainsi que la répétition maligne des concepts forgés dans d’autres contextes. La prospective scientifique est exceptionnelle. Si elles existent, les gouvernants dans le feu de l’action les oublient, pour se référer aux directives des institutions internationales dont le rôle est, en partie, le maintien de l’état de l’oppression.
Fondamentalement, nous avons des difficultés quand il s’agit d’élaborer nos politiques à travers des évidences locales et des démarches scientifiques interdisciplinaires. Par exemple, lors de son discours du 3 avril 2020, prenant en compte la situation alimentaire mondiale dans le cadre du Covid 19, notre président a demandé, à juste titre, la nécessité de la réussite du programme d’autosuffisance en riz (PNAR II : 2014-2018). Allons-nous faire comme on avait fait à la fin du PNAR I (2008- 2012), écrire un autre projet à coup de milliards sans une évaluation objective et indépendance de l’actuel tout en restant dans la même perspective? Allons- nous l’insérer dans une véritable prospective scientifique de l’agriculture sénégalaise ? Ou bien allons-nous organiser une séance de « wakh sa khalaatt : exprime ta pensée » qu’on va dénommer « Assises ou états généraux de l’Agriculture » et qu’on va qualifier d’inclusive ?
De quelles ressources et compétences disposons-nous, nous africains, pour faire une prospective scientifique dans des secteurs (éducation, santé, eau, pétrole, etc.) essentiels ? Est-ce que nos universités et nos structures de recherche ainsi que nos institutions gouvernementales sont organisées pour assurer une veille stratégique ? Savons- nous nous remettre en cause scientifiquement malgré nos diplômes, grades et fonctions ?
Pour finir, le tour de l’Afrique n’est pas à décréter mais à construire à travers la veille stratégique intégrant la production de savoirs scientifiques (physique, biologique, chimique, social, mathématique, etc.) et le développement des technologies (agronomie, médicale, informatique, ingénierie sociale et autres génies). Les autres types savoirs (idéologique, religieux, empirique) et les diverses formes de militantisme civilo- politique peuvent être mis à contribution à des degrés raisonnables.
Amadou Ndiaye est Enseignant- Chercheur, Université Gaston Berger Saint-Louis
ENTRETIEN AVEC L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS BOUBACAR BORIS DIOP
DES PANGOLINS ET DES HOMMES
EXCLUSIF SENEPLUS Le confinement, une solitude que nous ne connaissions pas. Certaines sociétés donnaient la fausse impression d’y être mieux préparées. Cette terre aux rues désertes est en apnée, son cœur a cessé de battre et la mort y rôde nuit et jour
Propos recueillis par S. S. Gueye, A. Sène et B. Badji |
Publication 15/04/2020
Le président Macky Sall a pris une batterie de mesures pour faire face au Covid-19. Est-ce que sa stratégie vous convainc ?
Il faut avant tout saluer le dévouement du personnel soignant, des femmes et des hommes qui abattent un travail colossal au péril de leur vie. C’est à leurs sacrifices que nous devons de pouvoir dormir paisiblement chaque soir. Cela dit, dans ces circonstances exceptionnelles et même si personne ne sait de quoi demain sera fait, le pays tient debout. On le doit en partie au président Macky Sall. Je suis de ceux qui n’avaient pas compris son refus de rapatrier les 13 étudiants de Wuhan mais les faits lui ont donné raison. Il est vrai aussi qu’il a tergiversé au début et que la fermeture tardive des frontières nous a mis finalement au contact de l’épidémie. J’ai entendu le Dr Bousso dire qu’au Sénégal 96% des cas étaient directement ou indirectement importés. Sans ce retard à l’allumage, nous serions dans une bien meilleure situation à l’heure actuelle. J’avouerai par ailleurs une certaine perplexité par rapport aux chiffres que donne chaque matin le ministre Diouf Sarr. Si on compare avec ce qui se passe dans les pays les plus touchés, le nombre de cas reste extrêmement bas. Cela rassure mais d’un autre coté il y en a chaque jour une bonne dizaine de plus. Et quand un jour il n’y a que deux nouveaux cas, le nombre repart à la hausse dès le lendemain. Voilà, en gros chacun joue sa partition, la société civile, les religieux, les artistes, les médias et surtout la population qui se montre bien plus disciplinée que prévu. Le président Sall aurait dû tenir compte de cet élan patriotique au moment de faire procéder à la distribution des vivres aux nécessiteux. Cela dépasse presque l’entendement qu’il l’ait confiée à son beau-frère ! Au final, nous voici avec, sur les bras, une polémique qui va enfler au fil des jours et nous détourner de l’essentiel.
La hiérarchisation des priorités va-t-elle être remise en cause ? Va-t-on enfin comprendre que la santé et l’éducation ne peuvent pas être marginalisées dans les plans de développement comme cela est le cas depuis tant de décennies ?
Certains vont peut-être dire qu’il ne faut pas se défausser sur les autres mais les programmes d’ajustement structurel ont été quasi fatals à la santé et à l’éducation partout où ils ont été appliqués. Cela dit, lorsque Macky Sall engloutit des sommes faramineuses dans un TER qui jusqu’ici n’a roulé que pour lui ou dans d’autres infrastructures routières tape-à-l’œil, c’est son choix ; il semble également obsédé par la construction de stades monumentaux et cela nous coûte horriblement cher. On sait bien que le peuple veut des jeux mais encore faut-il qu’il soit en vie pour assister à des matchs de foot ou de basket. Je ne veux pas non plus être injuste, je sais que Macky Sall a toujours attaché une très grande importance à la Couverture Maladie Universelle. En outre, on ne peut pas juger les performances de notre système de santé à la seule aune de cette pandémie que personne n’a vue venir. Toutefois, à l’échelle d’un pays comme le Sénégal, la priorité aurait dû être accordée depuis longtemps à des investissements sur l’humain, au bien-être des populations et à la formation, celle des jeunes en particulier. Le contraste est par exemple choquant entre la belle réputation de la Fac de médecine de Dakar et l’état de nos structures sanitaires.
Diriez-vous que les chefs d’Etat africains qui se battent avec les faibles moyens de leurs différents pays ont pris la mesure du danger?
Je ne pense pas qu’on puisse leur faire ce reproche. Encore une fois, personne n’a rien vu venir. Il y a eu au cours des deux ou trois dernières décennies le SRAS, la grippe H1N1, la vache folle, etc. À chaque fois, on a craint le pire mais il y a toujours eu plus de peur que de mal. Ebola, qui a été en soi beaucoup plus sérieux et dur que ce que nous vivons en ce moment, a pu malgré tout être jugulé. Donc, lorsque le Covid-19 commence à frapper à Wuhan, tout le monde avait en quelque sorte baissé la garde depuis longtemps. J’espère que pour l’Afrique ce sera un avertissement sans frais, si jamais le virus agresse sérieusement l’Afrique au cours des semaines à venir, ce sera l’enfer sur terre.
Justement, certains prédisent des millions de morts en Afrique…
Ce qui arrive en ce moment à l’humanité est si inexplicable que nous nous surprenons tous à fantasmer sur une hécatombe, voire sur la destruction de notre espèce. Parmi ceux qui annoncent des millions de morts en Afrique, certains sont bien intentionnés, ils nous invitent à la vigilance. C’est le cas, par exemple, de ce groupe d’anciens chefs d’Etats africains mené par le Nigerian Obasanjo ou de la Fondation Moh Ibrahim. Mais beaucoup d’intellectuels et d’hommes politiques occidentaux ont juste du mal à comprendre que dans les circonstances actuelles l’Afrique ne soit pas en train de baigner dans son sang. Cela leur est tout simplement insupportable. Mais ce n’est pas parce que l’Afrique a ‘’l’habitude du malheur’’ – pour reprendre l’expression de Mongo Beti – que l’on doit s’autoriser tous les délires à son sujet. Ceux qui disent cela, Macron, Gutteres, etc. sont sans doute embarrassés par une tiers-mondisation de l’Occident qui n’était pas vraiment au programme. Jusqu’ici, le ramassage journalier des cadavres, les fosses communes et tout le reste, cela se passait à la télé et chez les autres, en Syrie, au Congo ou au Yémen. C’est dur de devoir se taper un tel chaos mais il faut savoir raison garder.
Peut-on se permettre d’être optimiste ?
Non, les choses ne sont pas aussi simples. Tout va très vite, ce nouveau coronavirus est particulièrement vicieux et on ne sait presque rien de lui. Pourtant, si on s’en tient à la situation réelle, je veux dire aux chiffres concernant notre continent, rien ne permet de prédire une catastrophe africaine imminente avec, comme dit Melinda Gates, des millions de cadavres dans les rues. Pourquoi les chiffres restent-ils si bas en Afrique depuis trois mois ? Il se pourrait bien que pour une raison ou une autre ce virus soit moins dangereux chez nous que dans le reste du monde. Et c’est à ce niveau que l’histoire nous interpelle et nous enjoint de nous projeter au-delà du présent. Si, à Dieu ne plaise, un autre virus, tout aussi dévastateur, s’attaquait dans quelques années non plus à l’Italie, à l’Espagne, aux États-Unis ou à la France mais aux pays africains, y survivrons-nous ? Nous devons réfléchir dès aujourd’hui à cette éventualité et nous préparer soigneusement à y faire face. Notre principale arme, à l’échelle du continent et de chaque pays ce sera la souveraineté politique et économique. Au fond, ce que ces prophètes de malheur nous disent, c’est que nous avons toujours été voués à la mort et que le destin ne saurait rater une aussi formidable occasion de nous donner le coup de grâce.
Cette crise ne doit-elle pas sonner le réveil des Africains qui dépendent pour l’essentiel des Chinois et des Occidentaux?
Cette question ne concerne pas uniquement l’Afrique, depuis quelque temps la Chine approvisionne le monde entier et chacun a pu mesurer les dangers d’une telle dépendance. Beaucoup de dirigeants de pays industrialisés ont fait état en termes à peine voilés de leur volonté de sortir de ce schéma dès la fin de la crise. Le Japon a même commencé à offrir ses services. Nous, cela fait longtemps que nous dépendons à la fois de l’Asie – surtout de la Chine - de l’Europe et de l’Amérique. La pandémie pourrait avoir un effet catalyseur sur la ZLECA ou ouvrir de nouvelles perspectives d’intégration économique aux plans régional et continental. Cela relève du bon sens et d’une simple logique de survie. Il est par ailleurs logique de s’attendre à une pénurie alimentaire et nous serons bien obligés de consommer sénégalais. Ce serait bien que cette pratique s’installe sur la durée.
Cette pandémie est un événement exceptionnel. Il ne s’est rien passé de tel depuis 1918, année de la ‘’grippe espagnole’’. Quatre milliards d’êtres humains restent confinés chez eux. Comment analysez-vous cette crise inédite qui affecte le monde entier ?
Avec au moins quarante millions de morts, la ‘’grippe espagnole’’ a été plus meurtrière que la guerre de 14-18. Nous sommes loin de ces chiffres avec le Covid-19 mais ce qui se passe aujourd’hui est encore plus impressionnant. En fait, l’inimaginable, au sens le plus strict du terme, se produit sous nos yeux depuis bientôt trois mois. Le monde en a certes vu d’autres mais chacun de nous peut bien sentir en son for intérieur que jamais rien de tel ne s’est produit dans l’histoire de l’humanité. Je fais allusion ici à l’impossibilité de toute circulation maritime, terrestre ou aérienne, à la fermeture des écoles du monde entier ainsi que des stades, théâtres et autres lieux de loisirs. Si en plus de toutes ces choses déjà difficiles à concevoir, vous avez quatre milliards d’êtres humains en confinement invités à se laver tout le temps les mains et à ne presque jamais se parler, cela fait quand même extrêmement bizarre. Nous ne savons quoi dire en voyant toutes ces villes complétement vides, tous ces orgueilleux gratte-ciels plus conçus pour être admirés que pour être habités et qui nous semblent soudain si insensés ! Je crois sincèrement que nous sommes en train de passer de l’autre côté du réel et il est fascinant que cet atterrissage dans un monde non pas nouveau mais autre, dans une autre temporalité, se fasse sans fracas, à pas de velours en quelque sorte. Le confinement, c’est le temps d’un silence et d’une solitude que nous ne connaissions pas, eux non plus. Certaines sociétés pouvaient donner l’impression d’y être mieux préparées que d’autres mais on voit bien que ce n’est pas le cas, cette terre aux rues désertes est littéralement en apnée, son cœur a cessé de battre et la mort y rôde nuit et jour. La vraie question maintenant est de savoir combien de temps tout cela va durer. Il semble peu probable que l’on sorte de cette histoire avant cinq ou six mois. Tout ce qui nous rendait humains, même à notre insu, nous aura été interdit en 2020 qui sera finalement une année pour rien, une année de moins sur la carte du temps mais que paradoxalement nous n’oublierons pas de sitôt. Après, il va falloir réapprendre des gestes tout simples, se serrer la main ou à l’arrière d’un taxi, bavarder entre amis sans craindre de tomber malade. Il nous sera moins facile demain de nous prétendre les maîtres du temps et de l’espace, je veux dire de croire que nous pouvons aller et venir à notre guise ou faire des projets, même à court terme. Nous ne serons plus jamais sûrs de rien, en fait. Nous devons nous attendre à être aveuglés par la lumière à la sortie de ce long tunnel.
Votre activité principale autour de l’écriture a une dimension solitaire importante. Mais autour de vous, les Sénégalais, les Africains ne vivent que peu dans la solitude. Peut-être plus qu’ailleurs, la vie est essentiellement communautaire chez nous et de nombreux Africains considèrent que le confinement n’est pas une option réaliste pour répondre à la crise sanitaire actuelle. Il y a aussi le poids énorme du secteur informel dans nos systèmes économiques. Existe-t-il d’autres alternatives ?
Le mot confinement ne fait pas peur aux écrivains ou aux créateurs en général, il peut même être bienvenu pour eux, surtout dans une société comme la nôtre que Birago qualifiait de ‘’chronophage’’, du fait, comme vous le soulignez, de sa vie communautaire intense. Mais les fameux ‘’cas communautaires’’ qui terrifient tant les médecins à Louga, Guédiawaye, Touba ou Keur Massar, ça n’a vraiment rien à voir avec la littérature. Ils sont potentiellement ravageurs et vont peut-être nous valoir un confinement généralisé. Reste à savoir si ce sera suffisant pour juguler la menace. Je n’en suis personnellement pas sûr. D’autres alternatives ? Les appels à la vigilance ont un certain effet, surtout que les autorités religieuses font entendre leur voix. Il n’y a pas de solution idéale parce que le confinement n’est compatible nulle part avec la nécessité de trouver de quoi nourrir sa famille. C’est encore plus vrai dans une économie de la débrouille. Pour la majorité de la population ce serait un luxe. Les solidarités horizontales vont jouer à fond mais cela ne suffira pas. On peut redouter des pénuries, des émeutes de la faim plus ou moins graves et là il sera plus difficile de garder la situation sous contrôle.
D’un côté la pandémie est globale, elle touche toute la planète mais dans le même temps, elle est micro-individuelle autant dans son impact que dans ses solutions. Quel paradoxe ! N’est-ce pas ?
Mon intime conviction c’est que cette pandémie va être le chant du cygne d’une certaine idée de la mondialisation. Je veux parler de cette image d’Epinal de la ‘’globalisation heureuse’’, presque amusante mais surtout difficile à comprendre au moment même où l’antikémitisme n’a jamais été aussi universel. Voyez les Chinois de Guanzou, ils n’ont pas attendu longtemps pour se remettre à casser du Nègre, c’est pareil dans les pays arabes, ça se passe ainsi presque partout. Mais – là est le paradoxe – cette pandémie est sans doute aussi l’événement le plus mondialisé de tous les temps. Jusqu’ici il y avait tout de même une nette ligne de partage entre le proche et le lointain, il nous arrivait certes de vibrer au rythme de nouvelles venues d’ailleurs mais au fond elles ne nous concernaient que très peu, chacun retournant vite à ses petites affaires, bien différentes. Cette fois-ci Sydney, New York, Kuala Lumpur ou tel village derrière Louga ou Bignona ont finalement les mêmes sujets de conversation, masque ou pas masque, chloroquine ou pas, gestes barrières, confinement, solution hydro alcoolique etc. À vrai dire, il suffirait presque de tendre l’oreille pour entendre le concert des milliards de mains que l’on frotte l’une contre l’autre. Ce n’est pas tout. Depuis deux mois, chacun de nous pense plus souvent que d’habitude à sa propre mort ou à celle des siens, on écrit aux amis à travers le monde pour leur demander de leurs nouvelles mais ils savent bien ce que nous attendons d’eux : un petit signe de vie, comme on dit pour les otages. S’il est enfin un domaine de l’activité humaine qui ne sera plus le même après la pandémie, c’est celui de la création littéraire et artistique, la tragédie va à coup sûr inspirer musiciens, romanciers, poètes et peintres et cela a d’ailleurs déjà commencé.
Pourquoi dites-vous que cette pandémie annonce la fin de la mondialisation ?
D’abord, on peut s’attendre à ce que la circulation des êtres humains d’un continent à un autre se restreigne dramatiquement. Les États vont laisser leurs frontières s’entrebâiller, sans plus, et de toute façon, au moins pendant quelque temps, chacun se sentira mieux dans son pays avec très peu d’envie d’y tolérer des étrangers. Nous sommes désormais plus proches de la haine décomplexée de l’Autre que de ce gentil œcuménisme dont rêvent certains. Même avant cette pandémie, le repli identitaire était devenu une lourde tendance politique en Europe et en Amérique, où les populistes fascisants et les suprémacistes blancs se sentaient littéralement pousser des ailes. Et aujourd’hui les grandes puissances sont moins préoccupées par la maladie elle-même que par les bouleversements sociaux qui vont en résulter. Ce virus a un immense potentiel révolutionnaire, il va s’en aller et nous léguer un monde exsangue où la culture et les relations à l’intérieur des sociétés et entre les nations n’auront plus du tout le même sens. Aux États-Unis, les gens achètent en ce moment des armes à tout va parce qu’ils redoutent une montée en flèche de la violence criminelle et il y a lieu de croire que ce sera pire dans les pays pauvres. Vous avez également vu comment l’Italie, abandonnée à son sort a été obligée de recourir, toute honte bue, à l’aide de Cuba, de la Russie et de la Somalie qui y a dépêché 20 médecins. En outre, l’épisode des vols et des confiscations de masques, notamment par les USA, peut faire sourire mais on n’est déjà pas loin de la loi de la jungle. Chacun affûte ses armes et Trump semble d’ailleurs avoir envie d’une bonne petite guerre du côté du Venezuela…
Quid du nouvel ordre mondial ?
Qui en parle ? Macron et son obligé, Macky Sall. Il s’agit surtout de battre le rappel des troupes, on est ici dans quelque chose du genre : ‘’Marquons notre territoire, ces salauds de Chinois veulent nous chiper l’Afrique !’’ Sauf que l’Afrique ne devrait pas être le continent à chiper par qui que ce soit. Ces trois mots, nouvel ordre mondial, ont l’air anodin mais l’Occident nous a habitués à ces euphémismes destinés à justifier les plus cruelles logiques de conquête. Cela vous fait somnoler et vous vous retrouvez les fers aux pieds avant même de comprendre ce qui vous arrive. Ça, c’est une leçon de l’histoire humaine, c’est en particulier une leçon de notre rapport, nous les Africains, aux autres…
Pensez-vous que le modèle fédéraliste prôné par votre mentor Cheikh Anta Diop aurait facilité la lutte aux différents pays africains face à cette pandémie?
Très certainement et je lis ces jours-ci pas mal de textes sur la pandémie mentionnant le travail de Cheikh Anta Diop, j’entends souvent des analystes se référer à lui sur les plateaux télé. L’idéal panafricaniste devient assurément plus séduisant. Cela n’a rien d’étonnant, on mesure mieux, à chaque tournant de notre histoire, l’actualité de la pensée politique de Diop. Il écrit dès 1960 dans Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire : ‘’Il faut faire définitivement basculer l’Afrique sur la pente de son destin fédéral.’’ Il identifiait aussi notre peur viscérale de devoir compter sur nos propres forces, instruisant surtout par ce biais le procès des élites africaines. Cette frilosité, on la constate aujourd’hui encore en maintes circonstances. Le CFA ? ‘’Ce n’est certes pas l’idéal, vous dira-t-on, mais c’est peut-être un moindre mal’’. Les langues nationales ? Les mêmes intellectuels vous rétorqueront que ‘’oui, bien sûr c’est une question importante mais attention, le français est devenu une langue africaine, ce ne sera pas facile de s’en passer’’.
Cheikh Anta Diop appelait cette attitude la peur du ‘’sevrage économique’’. Malgré tous ces comportements qui trahissent surtout une profonde haine de soi, la situation actuelle montre que nous n’aurons bientôt plus d’autre choix que de nous unir, sauf à accepter de disparaitre purement et simplement. Ou, ce qui ne vaut guère mieux, de rester un gigantesque réservoir de matières premières au profit de pays étrangers, qu’il s’agisse de la Chine ou de ses rivaux. Dans la sauvage guerre économique qui s’annonce, l’Afrique se doit de faire bloc, elle ne doit être le membre inférieur d’aucun des blocs en gestation. Pendant la Guerre froide, nos différents pays se sont éparpillés dans les deux camps et ont affaibli le continent, contre le vœu de Nkrumah et de Cheikh Anta Diop. C’est une autre leçon de l’histoire à retenir.
Comment analysez-vous l’Initiative pour l’Afrique annoncée par Macron ?
Cela ressemble à une mauvaise blague. Le mot ‘’initiative’’ est du reste mal choisi, pour dire le moins. Ainsi donc, ce sont les Européens qui doivent prendre, du haut de leurs préjugés et stéréotypes racistes, l’initiative de notre salut ? On a également annoncé, comme il fallait s’y attendre, une enveloppe de l’Union européenne de quelques milliards. Mais ceux qui prétendent se porter au secours de l’Afrique n’ont pas bougé le plus petit doigt pour aider leurs proches voisins italiens ou espagnols. Le plus curieux, c’est que ces gens gardent assez de présence d’esprit au milieu de la tempête – une tempête de sang, tout de même - pour s’émouvoir du sort de l’Afrique qui, dans ce cas particulier, est bien mieux lotie que leurs pays. La compassion de ces potentiels bailleurs est plus que suspecte. Macron et les Européens pour le compte de qui il ‘’gère’’ notre continent, se gardent du reste bien de rappeler que la dette africaine à annuler appartient pour 40% à la Chine ! Leur attitude est surtout un aveu de taille : on se soucie d’autant plus du sort de l’Afrique que l’on est soi-même dans le désarroi le plus total. Il faut croire que l’Europe perdrait un ‘’pognon de dingue’’ si elle devait se résigner à ne plus nous ‘’aider’’. J’ai été par ailleurs très gêné d’entendre Macky Sall supplier que l’on annule la dette. Le moment était mal choisi, ce n’est pas la chose à dire à des gens plutôt occupés, quoi qu’ils prétendent, à sauver leur peau. Ce n’est pas très digne. Et en plus de cette absence de tact, la démarche de Macky Sall montre bien que pour lui, même après cette pandémie, les relations internationales devront continuer à obéir aux normes totalement injustes en vigueur. Un tel manque de lucidité a de quoi inquiéter et on ne doit pas lui permettre de continuer à brader les ressources de notre pays à des intérêts étrangers.
Vous voulez dire qu’il reste dans la logique de la Françafrique…
Tout à fait. C’est dans ces eaux troubles qu’il a ses repères. Je doute que le président sénégalais puisse concevoir son action politique en dehors de ce cadre.
La Françafrique survivra-t-elle à cette crise ?
Elle va essayer d’enfiler des habits neufs, comme à son habitude. Ça commençait déjà à sentir le roussi pour elle avant la pandémie et à mon avis les choses vont davantage se compliquer, la jeunesse africaine est à cran. La France essaiera malgré tout de s’accrocher car les enjeux économiques et politiques sont devenus encore plus vitaux qu’il y a seulement deux mois. Vous avez vu, Macron n’a pas pu s’empêcher, dans son dernier discours, de parler de l’Afrique. Les Français ont bien décodé son propos et ça leur va tout à fait : l’Afrique viendra à notre secours avec ses inépuisables ressources. Au fond, cela rappelle le discours du 18 juin de De Gaulle : ‘’La France a perdu une bataille mais elle n’a pas perdu la guerre, elle a un immense empire’’… Il faut aussi évoquer dans le même ordre d’idées cette note curieuse du ministère français des Affaires étrangères où les rédacteurs se moquent de nos millions de morts imaginaires (‘’l’effet pangolin’’) en oubliant leurs milliers de morts bien réels, eux. Il est question, dans ce document du Quai d’Orsay, de coopter, en toute démocratie cela va de soi, les futurs dirigeants de certains États africains. La gestion de proximité de nos élites politiques et intellectuelles est une vieille recette de la Françafrique et cela est perceptible dans cette note supposée confidentielle mais que le monde entier a lue avec stupéfaction.
Non, je ne vois pas une remise en cause de la Françafrique. Il faut se souvenir, Emmanuel Macron humilie publiquement à Ouaga le président Kaboré. En une autre occasion, il convoque d’un claquement de doigts cinq chefs d’États francophones à Pau. Puis peu de temps après, il déclare, publiquement là aussi, avoir donné à Paul Biya l’ordre de libérer l’opposant Maurice Kamto. Et vous avez vu la séquence abidjanaise avec Ouattara au sujet du CFA. Si Macron se comporte ainsi au vu et au su de tous, qu’est-ce que cela doit être lorsqu’il est seul avec Macky Sall ou Sassou Nguesso qui lui doivent tout, eux aussi ? Tout cela est assez grossier mais peut-être aussi que c’est rassurant. Bander ainsi des muscles est au fond un aveu de faiblesse et quand le locataire de l’Élysée va jusqu’à se plaindre de ‘’sentiments anti-français’’, c’est qu’il sent le sol se dérober sous ses pas. Mais comme je viens de le dire, il n’a d’autre choix que de s’accrocher. En fait l’influence de la France dans le monde est tributaire de son poids politique en Afrique. Mais au Sénégal, au Mali, au Niger et dans toutes les néo-colonies françaises, les jeunes sont bien décidés à ne plus courber l’échine. Dans une récente chronique Pape Samba Kane disait de cette jeunesse, que rien ne pourra arrêter, qu’elle est complètement déconnectée de la France. Je suis persuadé, moi aussi, que personne ne pourra dompter le peuple transnational et souvent complètement sauvage des réseaux sociaux. J’utilise bien évidemment le mot ‘’sauvage’’ dans un sens positif, pour me féliciter d’une liberté d’expression absolue.
La confiance entre l’État et le citoyen n’est pas particulièrement robuste en Afrique. N’est-ce pas là un problème majeur quand on se retrouve dans une situation comme celle-ci où il est important pour tous de respecter les règles érigées par les gouvernements pour contenir la contagion du virus ?
C’est tout le problème. À l’heure actuelle, les règles sont plutôt respectées au Sénégal mais ce que nous apprennent les ‘’cas communautaires’’, c’est une certaine méfiance envers la parole et les services de l’État. Les citoyens ont appris à faire sans l’État et dans une situation comme celle-ci ils s’en remettent à leur guide religieux pour les prières et au guérisseur pour prévenir ou traiter la maladie. Tout cela bien évidemment en violation de l’état d’urgence. Le phénomène en lui-même peut être vu comme marginal mais ses conséquences, en termes de transmission du virus, peuvent être très graves.
Parmi les changements que cette crise pourrait générer, pourquoi ne pas imaginer notamment l’introduction sans délai des langues nationales dans le système éducatif sénégalais?
Vous pensez bien que pour moi cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais ce défi post-Covid-19 ne concerne pas seulement notre pays et pas seulement non plus la langue. Celle-ci est certes un puissant marqueur d’identité mais d’une manière plus générale, c’est l’estime d’eux-mêmes que les Africains doivent retrouver. Autant nous sommes prompts à monter sur nos grands chevaux pour un regard de travers, autant nous avons tendance, en situation normale, à nous accommoder de comportements qui suscitent le mépris des autres. Comment comprendre par exemple la série de sommets Afrique-Turquie, Afrique-Inde, Afrique-France, etc. ? Tout un continent réuni autour du président d’un seul pays, sur ses terres en plus, pour quémander une aide ruineuse, ce n’est pas beau à voir. La survalorisation de tout ce qui vient d’Asie, d’Europe ou d’Amérique au détriment de nos propres produits rend finalement très coûteux ce complexe d’infériorité. Et que dire des 2.000 milliards dépensés à l’étranger pour s’acheter une longue chevelure blonde ou une couleur de peau bien claire ? C’est un acte d’automutilation qui trahit une profonde haine de soi. Tout porte à croire que dans le monde d’après Covid-19, chaque peuple aura surtout à cœur de retrouver le chemin vers lui-même. C’est pourquoi, pour rester dans l’esprit de la pensée de Cheikh Anta Diop, notre réponse à ce qui arrive en ce moment devra être fondamentalement culturelle. Pour le dire en termes plus clairs, au lendemain de la pandémie, la révolution africaine sera culturelle ou ne sera pas. En vérité, c’est surtout à la tête que nous avons mal.
Votre mot de la fin sur cette crise sanitaire ?
Juste mettre en relation les propos racistes des docteurs Mira et Locht et les attaques haineuses contre les Négro-Africains en Chine. Les premiers voient en nous des rats de laboratoire. Et les autres à Guanzou, nous confondent avec les pangolins, responsables de la pandémie.
Ce racisme n’est pas nouveau mais cette fois-ci il y a eu de fortes réactions, qui sont en train de changer la donne. Je voudrais dire ici à quel point j’en suis heureux. Je crois qu’il est vital de se faire entendre, surtout en ces circonstances dramatiques, nous sommes dans un monde où plus personne ne tend l’autre joue. D’ailleurs, au moment même où les docteurs Mira et Locht nous crachaient à la figure, une petite bande de journalistes menée par une certaine Camille Pittard se payait sur France Inter une franche rigolade au détriment du million de Tutsi massacrés au Rwanda en 1994. C’était leur manière de marquer le vingt-sixième anniversaire du génocide. Cet antikémitisme, feutré ou spectaculaire est, je tiens à le redire à la fin de cet entretien, quasi universel. Tout le monde n’est pas raciste, heureusement, mais pour tous ceux qui le sont, partout, les Nègres d’Afrique sont la première cible. Je trouve étrange que l’on s’obstine à se détourner d’une réalité qui crève les yeux. Les peurs les plus irrationnelles vont être exacerbées par le Covid-19 et accepter d’être les souffre-douleurs de tous les frustrés de la terre, c’est s’exposer à des pogroms. Il est bon de se souvenir que c’est déjà arrivé et que cela peut arriver de nouveau.
LA CHRONIQUE HEBDO D'ELGAS
FERDINAND COLY, AUX CHAMPS D’HONNEUR
EXCLUSIF SENEPLUS - S’il a connu la gloire sur le champ vert, le bonheur terrien dans ses champs, c’est dans le champ judiciaire qu’il s’éprouve désormais, et fait l’expérience des relations troubles avec la terre d’origine - INVENTAIRE DES IDOLES
Ferdinand Coly se bat aujourd’hui devant la justice sénégalaise et se dit victime d’une arnaque avec une grosse somme en jeu. L’ancien international de football, 48 sélections, pilier de la génération 2002, ne compte pas céder, même après 8 ans de procédure. Une question de principe. S’il s’est aujourd’hui lancé dans la création d’un verger qui l’occupe à plein temps, sur les terrains comme en dehors, il tient à une valeur sacrée : l’honneur. Portrait.
21 ans, c’est ce qu’avait Ferdinand Coly. Et déjà du culot. Employé de la mairie de Poitiers le jour, joueur de football semi-professionnel du Stade Poitevin, alors en National, le soir. Un de ces profils que seule la magie de la coupe du France sait mettre à l’honneur et dans la lumière. Comme ce jour, le 4 février 1994 exactement, où il doit affronter Monaco, locomotive de ligue 1 [première division à l’époque] dans la mythique compétition qui rassemble professionnels et amateurs. Deux divisions séparent les deux équipes. Sans doute plus encore, le défenseur, locks déjà au vent, et son client du jour, un certain Sonny Anderson. Le brésilien est alors redoutable, ce qui se fait de meilleur en ligue 1 ; Ferdinand Coly, à l’époque stoppeur avant de s’exiler plus tard sur la droite de la défense, ne se laisse pas impressionner face à la formation dirigée par Jean-Marc Ettori qui reste sur une série d’invincibilité en coupe. Le défenseur de National se souvient de chaque détail. Un fait parmi mille en particulier : un tacle rageur, autoritaire, mais dans les règles, lui donne un ascendant sur son prestigieux adversaire. La suite du match est un cauchemar pour l’attaquant, la prestation du jeune défenseur capte le regard des observateurs. Le Stade Poitevin gagne face à l’ogre monégasque. Tout s’emballe après ce match. Le potentiel de ce jeune garçon saute aux yeux des dirigeants du Rocher. Ils le contactent, lui proposent un contrat. Un bond majeur dans sa carrière se profile. Il signe mais le Stade Poitevin FC bloque la transaction. Après quelques mois d’un conflit sourd, l’agent municipal reste finalement dans la ville. Pour lui, l’honneur est déjà une valeur essentielle. Comme sur les terrains, c’est un dur au mal, qui poursuit ses objectifs avec opiniâtreté et dévotion. L’histoire fera le reste, après ce tacle, qu’il ressuscite des archives avec une certain malice plus de 20 ans après, il connaîtra une carrière exemplaire, plusieurs sélections en équipe nationale, une image de droiture, dont les sénégalais ont été les témoins privilégiés.
Un retour au pays amer
Curieusement, cette endurance, c’est aujourd’hui sur un terrain assez improbable qu’il la mobilise : celui de la justice. Depuis 2012, il se dit victime d’une escroquerie encore en examen par la justice, il se bat, seul au front, pour retrouver son dû. L’affaire est complexe. En 2010, sollicité pour intégrer le staff de l’équipe nationale, il accepte volontiers la mission. Les séjours au Sénégal s’enchainent, plus que de coutume pour le résidant bordelais. Par l’entremise d’un ami, il fait la connaissance de Saliou Samb, industriel de la place, figure de la Petite côte et fils de pêcheur, avec qui les relations sont très rapidement cordiales et presque amicales. Le secteur de la transformation des produits halieutiques est en mort clinique. On soupçonne les chalutiers chinois de piller une bonne partie de ces ressources, importantes au Sénégal. Les usines comme la SOCHECHAL ont fermé. Pourquoi ne pas participer à l’aventure de SANGOMAR FISHING, faire coup double et fructifier ses séjours au Sénégal en participant au réveil de ce secteur ? Ferdinand Coly ne tergiverse pas longtemps. Il s’engage comme caution, hypothèque ses biens, sollicite son entourage et stabilise des partenaires, suédois, italiens, pour l’écoulement des produits. L’affaire paraît bien emmanchée. Avec celui qu’il appelle « Zale », bien introduit dans les sphères économiques et politiques, président du Stade de Mbour, c’est une relation de confiance, qui voit l’ex-international convier son partenaire à Bordeaux. Les choses se gâtent par étapes, d’abord des trous dans les comptes, des conteneurs qui s’évaporent, des faux et usages de faux auprès des partenaires, une perte de 200 millions CFA. Ensuite l’engrenage, la pollution des relations en chaîne nouées autour du projet. C’est l’embrasement jusqu’au point de non-retour.
Quand il découvre l’étendue et la sophistication de l’arnaque, le garant tombe des nues. C’est lui que les services de recouvrement ont en première ligne. Il perd des sommes colossales. A la stupéfaction, s’ajoutent la colère et le sentiment d’être trahi, abandonné. Le combat judiciaire commence. La presse est timide et n’ébruite que des portions de l’histoire. Il faudra une interview chez Babacar Cissé de Record, où à bout, il menace de rendre sa nationalité sénégalaise, pour que les réactions s’emballent. La fédération, la présidence de la République, les soutiens, se déclarent et se multiplient, le suppliant de préserver cette histoire d’attachement à la nation, que tant d’hymnes, scandés devant des millions de spectateurs, ont forgé. D’autres plus critiques fustigent un chantage affectif propre aux binationaux. Il est doublement meurtri. Depuis, c’est dans les couloirs de l’administration, chez les juges d’instruction, les huissiers, qu’il se défend. Le temps judiciaire est long et labyrinthique. Il y découvre des pratiques inconvenantes, mais n’abdique pas. Saliou Samb a bien sûr sa version, toute autre et la justice devra trancher. Selon sa devise « on ne lâche rien », devenue par ailleurs totem et refrain de résistance, le défenseur attend sereinement que la justice de son pays fasse son travail. Il ne « cédera rien », d’autant plus que dans ses rêves les plus fous, rentrer au Sénégal n’était pas une évidence. Un concours heureux de circonstances, une simplicité en écho au mode de vie sans paillettes, des opportunités, l’ont séduit et relié à un pays, auquel le football l’avait indéfectiblement lié malgré un départ précoce du Sénégal.
Bordeaux et Poitiers : début de l’aventure
Tout s’orchestre dans son premier fief, à Bordeaux, où il débarque à 7 ans, accompagné de son frère cadet. Ils viennent de perdre leur père, militaire, et leur maman est au plus mal. Ils sont accueillis par une famille d’accueil, Les Poncet, dans le pays girondin. Il y reçoit une éducation française et « parle encore aujourd’hui à peine le wolof ». Avec la Casamance, le lien n’est pas plus évident avec le Bignona du père Quentin Coly ; il en garde un patronyme, et se souvient d’un voyage simple, en sac à dos, pour renouer avec cette terre des origines lointaines. Chez le père adoptif, Bernard, grand mordu de football, le petit Ferdinand chausse ses premiers crampons vers 9 ans. Sa crinière se dessine l’été de ses 17 ans, dans une maison de campagne, en vacances. Il s’ennuie, et l’esprit rasta sera sa thérapie. Il joue dans un club de la banlieue bordelaise. Les aptitudes sont là, dans ses courses, la hargne, et pointes de vitesse, le charisme déjà présent. Mais le petit Ferdinand ne s’illusionne pas outre mesure. Il est réaliste. « Je ne rêvais pas lâche-t-il, je voulais avoir un métier, subvenir à mes besoins et celui de mes proches. » Tout lâcher pour le foot ? C’est une « folie » pour lui. Il en est conscient très vite, il faut avoir sa bonne étoile, le talent ne suffit pas. Il faut zigzaguer entre les « blessures qui peuvent ruiner une carrière ». Pour « percer », quand on est « noir », il faut mettre les bouchées doubles. La maturité est déjà là. Il continue les études, bac en poche, une pige à la faculté de Talence, et en parallèle, connaît les petites divisions. Il finira par toutes les connaître. A 21 ans, il devient fonctionnaire à la mairie de Poitiers et défenseur du Stade Poitevin. Sans rien attendre de la providence, il est pourtant exaucé. Il a son cachet des matchs avec l’équipe, son salaire de la ville. Il ne se plaint pas. La suite est un roman : il s’engage avec Châteauroux en 96, en division 2 et gagne le championnat. Les radars de l’équipe nationale clignotent et on lui propose d’intégrer la génération-terreau de l’équipe de 2000. Ferdinand Coly ne veut pas brûler les étapes, il décline. Il veut avoir la légitimité. En 1999, il signe à Lens. Les Sang et Or, le stade Félix Bollaert, les supporters de l’ancienne cité minière du Nord de la France, font partie des emblèmes de la ligue 1. Le contingent sénégalais à Lens fait même de la ville une miniature de l’équipe nationale. Ils sont tous là, titulaires et joueurs précieux, de 2002 : Pape Sarr, El Hadj Diouf, Bouba Diop... En 2000, après le traquenard à la Can 2000 au Nigéria, qu’il regarde à la télé, il est appelé par celui qu’il appelle « un grand bonhomme », le sélectionneur des lions de la Téranga, Peter Schnittger. Ferdinand Coly honore sa première sélection à Annaba, contre l’Algérie, et s’en souviendra toujours au cours des 48 sélections qu’il honorera pour toute sa carrière. L’allemand a construit les bases d’une belle équipe, qui a sorti l’équipe nationale de sa petite léthargie des années 90.
Un symbole de 2002
Titulaire dans le couloir droit, Ferdinand Coly incarne alors la rigueur. Elément essentiel de ce « back four » sénégalais, une ligne verte « qui ne perdra aucun match à Dakar », s’amuse-t-il, pas peu fier. Une autre ligne, à droite, sur l’aile, tantôt associé à la fusée Henri Camara, tantôt au multitâche et si serviable Moussa Ndiaye. La génération de 2002 écrit les plus belles pages de l’équipe nationale. Les rastas de Ferdinand sont comme le crâne peroxydé de Diouf, des symboles d’une génération sans complexe, soudée. Le jour du tirage au sort pour les groupes de la coupe du monde 2002, le kiné de l’équipe de France le chambre : « vous allez prendre une raclée ». Il sourit, des idées dans la tête. Avait-il en tête, le duel baptismal avec Sonny Anderson ? N’empêche, la lecture qu’il fait de ce duel est pleine de clairvoyance. Lens, Sedan, Auxerre, les viviers de l’équipe nationale du Sénégal étaient alors des clubs en forme. Le Sénégal ne partait pas de rien. Au stade de Séoul, dans le couloir qui mène à la pelouse, avant même d’entrer sur le terrain ce 31 mai 2002, face à la France, le match a déjà commencé. Les sénégalais rivalisent d’atouts physiques et les regards écrivent en partie ce duel sans partage qui s’annonce et charrie son lot d’histoire. L’exploit est connu, l’épopée sénégalaise, un motif de fierté nationale. Jusqu’à la percée d’Ümit Davala et le but d’Ilhan Mansiz, bourreaux trucs qui crucifient les lions en quart de finale du Mondial, le Sénégal offre une belle aventure. Un regret pour cette génération ? « Le manque de titre », acquiesce-t-il. Pourtant si près face au Cameroun, en février 2002, le destin leur tendait les bras. Ferdinand Coly se souvient de l’ambiance dans l’hôtel de Bamako, leur quartier général, la fraternité, l’honneur la rage, la vie du groupe. « Le diable se trouve dans le détail. La veille de la finale, on ne s’était pas entrainés à tirer les pénaltys. Personne des tireurs habituels ne voulait le tirer. Quand j’avance et que je marque, je fais un signe de croix, je n’y crois pas », témoigne-t-il. Ferdinand Coly prend sa retraite en 2008, au bon moment, déclinant la sélection de Kasperczak, dans cette Can du fiasco.
Champ d’honneur
Aujourd’hui, en pleine bataille judiciaire, Ferdinand Coly a renoué avec un autre champ, celui de huit hectares acquis précocement où il affermit une vie agricole simple, loin des lumières. Il y puise l’énergie pour ce combat qu’il mène, pour l’honneur et pour le symbole, entre autres. « Le travail, la parole donnée, le don de soi », voilà comment il résume sa sainte trinité. Il a sous sa direction, dans ce verger, qui se diversifie et vise l’élevage à court-terme, des jeunes salariés. Sa vie se résume, sur son vélo, sa moto, ou à pied, à cette vie de champ, à une bonhommie dans la rue, pour celui qui a troqué ses rastas pour une crâne à ras, mais qui n’a pas renoncé à l’idéologie de partage rastafari. Sur sa vie au pays, il ne porte aucun jugement moral, mais regrette les opportunités manquées à cause de cette histoire d’arnaque. Quand on lui parle football d’aujourd’hui, il se réjouit de la génération actuelle de l’équipe nationale, qui a poussé un cran plus loin encore le pays. Grâce à eux, selon lui, la participation du Sénégal aux grandes compétitions n’est plus aléatoire, mais régulière. Un acquis majeur.
Tout paraît s’enchainer dans ce parcours qui l’a conduit en Angleterre, ensuite en Italie, à la fin de sa carrière, gouverné par la bonne fortune. A mi-chemin entre le hasard et la bonne étoile qui ne sourit qu’au travail et à l’abnégation. S’il a connu la gloire sur le champ vert, le bonheur simple et terrien dans ses champs aux senteurs d’agrumes, c’est dans le champ judiciaire qu’il s’éprouve désormais, et fait l’expérience des relations troubles avec la terre d’origine. La fragilité des liens que défont et retissent, avec toujours un peu d’amertume, la migration, l’éloignement, l’arrachement à la terre natale. Des relations d’amour contrarié avec le pays, qui s’expriment aujourd’hui dans le champ judiciaire, où sa victoire ne serait pas personnelle, car son honneur, c’est un peu le nôtre. Et il nous appartient de le défendre, dans la mesure de la vérité.
"L'HUMAIN VAINCRA PAR SA SCIENCE ET SA RAISON LE COVID-19"
Souleymane Bachir Diagne présente le profil idéal pour, si besoin en est, « réconcilier » science et foi dans l’analyse de la pandémie de coronavirus. Depuis New York où il est en confinement, le philosophe sénégalais nous livre sa lecture de la crise
Auteur de nombreux travaux d’épistémologie critique sur la pensée et la logique inhérente aux mathématiques, en particulier l’algèbre (« Boole, l’oiseau de nuit en plein jour », 1998) et aux pratiques philosophiques dans le monde musulman (« Comment philosopher en Islam ? », 2008), Souleymane Bachir Diagne présente le profil idéal pour, si besoin en est, « réconcilier » science et foi dans l’analyse de la pandémie de coronavirus. Depuis New York où il est en confinement, le philosophe sénégalais nous livre sa lecture de la crise.
Tout d’abord, vous êtes actuellement à New York devenue l’épicentre de la pandémie à coronavirus. Comment vivez-vous cette situation ?
Les huit millions et demi de New-yorkais que nous sommes nous trouvons tous soumis au même régime et aux mêmes directives du Gouverneur de notre État : rester chez soi, ne sortir que quand cela est absolument nécessaire et, dans ce cas, en respectant les mesures barrières de distanciation sociale et en portant un masque. C’est évidemment extrêmement contraignant et anxiogène, mais tout le monde comprend qu’il faut ce qu’il faut et que devant ce fléau, il est crucial d’être et de rester responsable et discipliné : pour soi et pour les autres. Depuis quelques jours, il semble que les choses aillent mieux et que l’extraordinaire discipline manifestée par les New-Yorkais, contre toute attente pour qui connaît l’esprit de cette ville globale, soit en train de payer. Cela est dû aussi beaucoup à la qualité du leadership du Gouverneur de l’État, Andrew Cuomo, et du Maire de la ville, Bill de Blasio. Ils donnent quotidiennement la bonne information, disent les choses telles qu’elles sont, basent leurs décisions sur les faits, sur la science et les meilleures estimations possibles, en en appelant à l’esprit de responsabilité des citoyens.
Pour ce qui me concerne personnellement, et je vous remercie de votre question, je m’adapte à cette situation du mieux possible. Je vis avec ma femme et notre fille dans des conditions qui rendent le confinement chez nous supportable. En ce sens, nous avons de la chance et nous en rendons grâce à Dieu. Comme je rends grâce à Dieu pour la chance d’avoir un métier qui me permet de travailler chez moi via internet. Je discute en ce moment les thèses et mémoires de mes étudiants par zoom, et j’essaie de terminer les mille et un articles et autres contributions qui figurent sur mon interminable liste de choses à faire.
Et bien entendu, je suis à l’écoute de ce qui se passe chez nous, au Sénégal. En étant fier de l’esprit dans lequel notre pays fait face, de notre État, de notre classe politique, de la manière dont nos professionnels de la santé et nos excellents scientifiques de l’Institut Pasteur montent au créneau. Si nous manifestons la discipline et l’esprit de responsabilité que la situation exige, nous ferons mentir les Cassandre qui nous prédisent le pire. Dieu fasse que ce soit le cas !
Face à ce genre d’épidémie (comme la peste), nos ancêtres étaient très fatalistes, s’en remettant généralement au Ciel. Aujourd’hui, avec le coronavirus, l’humanité fait plus confiance au discours scientifique qui pourtant a, pour le moment, échoué à trouver un remède à la maladie. Comment expliquez-vous cette situation ?
La victoire sur le coronavirus sera remportée lorsque l’humanité disposera d’un médicament dont il sera empiriquement établi qu’il est efficace et surtout d’un vaccin qui protègera tout le monde. Et ce sont des hommes et femmes de science que nous attendons l’un et l’autre. Il est heureux que la foi en la science et en la raison s’affirme ainsi en ces temps où l’obscurantisme prospère. Chez les fanatiques de tous bords bien sûr, mais aussi, par exemple, chez ceux qui considèrent que le discours des scientifiques sur le changement climatique n’est que cela justement : un discours comme un autre que valent d’autres opinions. Il est également heureux que les hommes et femmes de science travaillent à vaincre la pandémie dans une collaboration internationale qui dit la grandeur de l’humain. On peut faire le constat que cette collaboration est réelle et que, même s’ils n’ont pas disparu, les égoïsmes de laboratoires concurrents, de nations en compétition s’effacent devant l’urgence et devant le sens qui aujourd’hui habite toute l’humanité de son unité et de sa fragilité. C’est une affaire de temps mais l’humain vaincra par sa science et sa raison. Insha’Allah !
Comment « réconcilier » foi et science dans l’analyse de la situation actuelle ?
D’abord en prenant conscience qu’il n’est pas besoin de les réconcilier car elles ne sont pas en contradiction. Prenons cette parole coranique : « Ô compagnie de djinns et d’humains, si vous pouvez sortir du domaine des cieux et de la terre, alors faites-le. Mais vous ne le pourrez qu’en vertu d’un pouvoir » (55 :32). Un des commentaires proposés de ce verset, et c’est un commentaire auquel je souscris pour ma part, consiste à dire qu’il indique aux humains que les limites à leur curiosité scientifique et à leur inventivité technique sont des limites de fait et non des limitations d’interdiction. Si vous pouvez, allez-y, est-il ainsi dit. Poursuivez le savoir, arrachez-vous au monde fini pour embrasser de votre science l’univers infini ; mais en même temps que vous découvrirez ainsi les choses au dehors, prêtez attention à l’intérieur de vous à la source même de votre pouvoir de connaître. Pour le croyant, le désir de science n’est pas autre que sa foi.
Parlons maintenant plus précisément et plus concrètement de cette question en rapport à notre situation et à la crise que nous vivons. Prenons le hadith qui est sans doute aujourd’hui le plus cité dans les sociétés musulmanes, la parole du Prophète (psl) qui dit que si l’épidémie (la peste, dans le cas d’espèce) se déclare dans une contrée, il ne faut pas s’y rendre, mais que si l’on s’y trouve déjà, il ne faut pas en sortir. Que nous dit ce hadith ? D’abord que la religion est bon sens, raison et science puisque c’est ce qui s’exprime dans ce propos prophétique. Le meilleur épidémiologiste ne dit pas autre chose.
Pour ce qui est du monde musulman, quelle comparaison faites-vous avec l’épidémie de peste du temps du Calife Omar, notamment sur la question du destin et de la fatalité ?
Justement l’une des versions de la tradition prophétique concernant la peste explique qu’elle a été rappelée au temps du Calife Omar. L’histoire, que je résume rapidement, dit qu’Omar qui devait se rendre dans une ville de Syrie, a interrompu son expédition car la peste y sévissait. L’expédition était suffisamment importante pour que certains des compagnons aient cru devoir l’encourager à poursuivre en lui disant : « Commandeur des croyants, essaies-tu d’échapper au décret de Dieu ? » Ce qu’ils entendaient par cette question, c’était qu’un report de l’expédition marquerait un manque de foi et une remise en question de la prédestination. C’est à ce moment-là qu’un compagnon est arrivé et a rappelé cette parole prophétique qui mettait fin au dilemme. Omar a alors reconnu que la vérité s’était ainsi manifestée, qui devait être une leçon pour les musulmans de son temps et des temps à venir dont le nôtre. Quelle est cette leçon qu’enseignent ainsi le Prophète (Psl) et le Calife Omar, qui est sans doute en Islam la figure accomplie du rationalisme de cette religion ? D’abord, on l’a dit, que forcer les choses en faisant valoir que l’on a foi dans le décret divin n’est pas ici cette remise confiante de soi à Dieu qui est le tawakkul : c’est simplement faire fi de cette vérité primordiale que la religion ne parle pas contre le bon sens. Ensuite que la remise confiante de soi à Dieu bien comprise n’est pas le fatalisme. Il est demandé aux musulmans de dire « si Dieu le veut » dès qu’ils conjuguent leur action au futur. Ce n’est absolument pas une manifestation de ce qu’en philosophie on appelle « l’argument paresseux » et que Cicéron résume ainsi : que tu t’adresses au médecin ou non, l’issue est de toute façon déjà déterminée. Dire « si Dieu le veut » n’est pas annuler l’effort de l’humain, c’est l’affirmer au contraire et l’exalter en déclarant que sa source est précisément ce « pouvoir » dont parle le verset déjà cité. Seuls les hommes et femmes d’action, ceux et celles engagés dans la tâche de protéger la vie et de transformer le monde pour plus de justice, comprennent pleinement la signification de « si Dieu le veut » car ils comprennent que la foi en Dieu se traduit aussi en confiance en soi et en sa puissance d’agir.
Êtes-vous d’accord avec ceux qui disent que cette pandémie est d’abord une crise écologique ?
Si nous pensons à un équilibre global de la vie sur notre planète terre qu’il est urgent pour notre humaine condition en général d’établir ou de ré-établir, on peut en effet voir dans les différentes perturbations que nous connaissons et dans cette pandémie du Covid-19 autant de manifestations de la grande crise écologique à laquelle l’humanité fait face aujourd’hui. Mais cela dit, il faut s’assurer que l’on identifie et nomme de manière précise l’ennemi qu’il s’agit de vaincre, la « bête » comme nous l’appelons à New York : c’est un virus, notre crise est donc sanitaire et doit être traitée comme telle. Il est important de faire cette précision contre les discours irrationnels, infondés et conspirationnistes qui circulent et qui disent par exemple que la cause de cette crise, c’est la rupture qu’introduit la technologie du 5G.
On a assisté, durant cette crise, à des scènes assez surréalistes (des médecins cubains et chinois qui volent au secours de l’Italie « abandonnée » par ses partenaires européens ; l’Amérique qui surenchérit pour racheter des masques chinois destinés à la France, Moscou qui envoie de l’aide médicale à ces mêmes États-Unis…). Quelle lecture faites-vous de ces événements ?
Nous voyons là le meilleur et le pire de la mondialisation. Le pire parce que quelqu’un contracte une maladie nouvelle à l’autre bout de la terre et quelques semaines plus tard l’ensemble de l’humanité se trouve menacée par un fléau. Le meilleur parce que l’on découvre, comme le montrent les exemples que vous considérez, le sens de la solidarité humaine. Mon « prochain » n’est pas forcément mon « proche », celui qui me ressemble, mais celui que je considérais comme l’autre, l’étranger, le migrant. Le Royaume-Uni et tant d’autres pays européens découvrent à l’occasion de cette crise que leur corps médical est divers et qu’y sont représentés nombre de ceux que l’on dit « issus de l’immigration ». Ce même Royaume-Uni, pour mettre au point un test, collabore avec notre Institut Pasteur dirigé par l’admirable Professeur Amadou Alpha Sall. Un exemple qui nous montre que dans la collaboration mondiale, l’Afrique n’apporte pas ses populations à tester, mais son intelligence et l’inébranlable force de vivre qui anime ses cultures.
Cette pandémie marque-t-elle l’échec des populismes ?
Cette pandémie, malheureusement, peut aussi renforcer le réflexe du « chacun pour soi » dont se nourrissent les populismes nationalistes. On le voit ici ou là. Mais elle devrait montrer la nécessité d’une véritable coordination et gouvernance mondiales. Certains populismes accusent aujourd’hui l’Organisation mondiale de la santé d’avoir tardé à sonner l’alerte, et d’autres insuffisances, essentiellement pour se dédouaner de leurs propres erreurs. Peut-être bien que tout n’a pas fonctionné comme il fallait et quand la crise sera passée ! Il faudra sans doute procéder aux réajustements qu’imposeront les leçons qui seront tirées de cette terrible crise. Mais ce qui est certain, c’est que le monde, contre les populismes et autres égoïsmes, a besoin de plus d’Organisation mondiale de la santé et plus de multilatéralisme et non moins.
Comment voyez-vous les chamboulements géopolitique et politiques que certains annoncent après cette pandémie ?
Prenons d’abord toute la mesure de ce qui nous arrive. Il est encore difficile de croire qu’en l’espace de juste quelques semaines, nous sommes passés du monde que nous connaissions et où les amis se donnent l’accolade à cet univers cauchemardesque où le mieux à faire les uns pour les autres est de nous écarter les uns des autres ! L’humain est un animal social or nous voilà obligés de vivre, pendant Dieu seul sait combien de temps, dans un monde inhumain. C’est un basculement sans précédent que nous vivons. Nous savons que nous en sortirons. Mais nous pressentons aussi que ce ne sera pas simplement pour revenir dans « le monde d’avant », tel que nous le connaissions. Le « monde d’après » le Covid-19 devra être différent, ne serait-ce que parce que toute crise, surtout une de l’ampleur de celle que nous vivons, comporte des leçons dont il faut savoir tenir compte. L’économiste français Thomas Piketty a raison de dire que « les grand bouleversements politico-idéologiques ne font que commencer ». Ce qu’ils seront, l’avenir le dira mais d’ores et déjà il faut que nous prenions conscience de ce que tous ensemble nous voulons faire de cet avenir. Permettez-moi de dire que c’est le sens de la tribune que nous sommes un certain nombre à avoir signée dans une livraison récente de Jeune Afrique.
Regardons le spectacle du grand bazar qu’a été, qu’est encore, la recherche de d’équipements sanitaires si précieux quand il s’agit de sauver des vies menacées. Nous assistons à la lutte de tous contre tous pour acheter les mêmes produits auprès des mêmes vendeurs avec comme inévitable conséquence des renchérissements insensés sur les prix des masques, des respirateurs, maintenant des tests… Les nations les plus riches renchérissent les unes contre les autres et cela va jusqu’au point où les différents Etats qui composent les Etats-Unis sont eux-mêmes en concurrence entre eux pour acheter ces équipements, et en concurrence aussi avec l’Etat fédéral américain ! Voilà, en pleine pandémie, le visage que présente le modèle néolibéral de développement. Un tel développement n’est pas humain. Qu’il faille donc penser un autre modèle, une alternative qui mette en avant la santé plutôt que la rentabilité, et de manière générale la question sociale et la solidarité plutôt que le profit et l’égoïsme, qui tienne compte de cette vulnérabilité qui est notre condition et de l’urgence climatique dans laquelle nous vivons, c’est la direction dans laquelle il faut engager la réflexion sur « les grands bouleversements politico-idéologiques » que cette pandémie appelle.
PAR Kako Nubukpo
POURQUOI LES DETTES AFRICAINES REVIENNENT TOUJOURS ?
Peut-on décemment se glorifier d'effacer une dette africaine dont les montants n'ont que très peu aidé l'Afrique ? L'économie politique de la compassion internationale ne peut être la voie privilégiée de l'émancipation africaine
Le Point Afrique |
Kako Nubukpo |
Publication 15/04/2020
Les chiffres donnent le tournis : les ministres africains des Finances et l'Union africaine demandent un allègement immédiat de la dette de 44 milliards de dollars et la constitution d'un fonds supplémentaire de 50 milliards de dollars pour faire face au report du paiement des intérêts de la partie non-annulée de la dette africaine. Après le FMI et la Banque mondiale, le G20 et le président français Emmanuel Macron ont annoncé un allègement massif de la dette africaine. Même le pape François a réclamé dimanche dernier lors de sa bénédiction pascale « Urbi et Orbi » l'annulation de la dette africaine. De quoi ce bel unanimisme est-il l'expression ? Pourquoi les dettes africaines reviennent de façon récurrente dans le débat international comme l'illustration de la compassion du reste du monde à l'endroit de l'Afrique ?
Au départ, une vision de la solidarité pour le développement
Le monde de l'après-Seconde Guerre mondiale s'est construit sur l'idée que les pays riches devaient aider les pays pauvres à impulser leur processus de développement, en finançant l'écart entre les besoins d'investissement de ces derniers et leur faible épargne intérieure. Le schéma fut celui du plan Marshall qui a permis à l'Europe de financer sa reconstruction et d'enclencher la période faste dite des Trente Glorieuses, qui prit fin avec la première crise pétrolière de 1973.
Cette vision de l'aide connut d'autant plus de succès qu'elle était d'une simplicité désarmante – l'appui financier dédouanait de l'effort d'appréhension de la complexité des spécificités institutionnelles – et semblait obéir à une logique de gains mutuels dans la mesure où des pays aidés renouant avec la prospérité économique deviennent de facto des partenaires commerciaux florissants : « La marchandise suit l'aide. »
L'Afrique n'échappa pas à cette doctrine portée au pinacle par le FMI et la Banque mondiale et illustrée par une série de plans successifs d'allègements de la dette : le plan Brady, le plan Baker, le plan Kissinger, etc. du nom de secrétaires d'État américains successifs, jusqu'à l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) qui a permis au début des années 2000 d'effacer massivement la dette africaine.
L'implacable réalité pour l'Afrique
La logique derrière l'allègement de la dette est implacable : pour que l'Afrique soit un véritable partenaire commercial, c'est-à-dire pour qu'elle puisse acheter des biens et services en provenance du reste du monde, il faut qu'elle puisse disposer de marges de manœuvre budgétaires et des ressources privées suffisantes, la fameuse capacité d'absorption. Mais pour que sa capacité d'absorption fût préservée, il fallait régulièrement effacer sa dette dont le service (remboursement d'une partie du principal et des intérêts) plombe sa capacité à s'insérer harmonieusement dans le jeu commercial international. Les annonces actuelles d'annulation des dettes africaines n'échappent pas à cette logique, dans un contexte où l'après-crise de Covid-19 s'annonce difficile pour les économies du monde développé et émergent.
Pourquoi la dette persiste-t-elle ?
En revanche, relativement peu de gens se posent la question de savoir pourquoi les dettes africaines reviennent toujours, pourquoi l'Afrique n'arrive pas à se sortir de la spirale infernale du surendettement. Or, c'est dans la réponse apportée à cette question structurelle que réside une véritable émergence du continent africain :
Le premier facteur explicatif de l'endettement africain récurrent est le taux de pression fiscale (rapport entre les recettes fiscales et la richesse créée au cours d'une année) en Afrique subsaharienne qui est structurellement bas, inférieur à 20 % du produit intérieur brut (PIB), alors qu'il se situe au-delà de 40 % dans le monde développé. Or, ce sont les ressources fiscales qui constituent l'essentiel des recettes des États, leur permettant de financer les dépenses publiques. Qui dit donc taux de pression fiscale élevé, dit a priori bonne couverture des dépenses publiques par les recettes éponymes.
Le deuxième facteur explicatif du surendettement est le niveau structurellement élevé des taux d'intérêt réels en Afrique, souvent plus du double du taux de croissance économique ; or, quand vous empruntez à un taux d'intérêt supérieur au taux de croissance économique, il y a peu de chances que vous puissiez rembourser votre emprunt, vu que le rythme de création de richesses (le taux de croissance économique) est plus faible que le coût d'acquisition des moyens de création de richesses (taux d'intérêt). Ce raisonnement est aussi valable sur le plan microéconomique que macroéconomique. Résultat des courses pour les États africains, les flux de déficits s'accumulent et se transforment en stock additionnel de dettes en fin d'année budgétaire.
Le troisième et dernier facteur (le plus structurel) est l'étroitesse de la base productive africaine. L'Afrique ne se décide toujours pas à produire elle-même ce qu'elle consomme. Elle se complaît dans la place qui lui a été assignée dans la division internationale du travail, à savoir exportatrice de matières premières dont les recettes sont volatiles et moins élevées que les prix des biens et services qu'elle importe massivement pour faire face à sa forte demande sociale, conformément à la loi dite de Prebisch-Singer. Le résultat de cette insertion primaire de l'Afrique au sein du commerce international est l'accumulation de déficits dits jumeaux, à savoir le déficit budgétaire et celui du compte courant de la balance des paiements.
Une approche inadaptée parce que d'un autre temps
Au final, l'annonce de l'annulation massive de la dette africaine ressemble à s'y méprendre à la prédominance de recettes anciennes pour faire face au nouveau monde. L'Afrique d'après le Covid-19 ne peut accepter de jouer un jeu dans lequel elle sortira une nouvelle fois perdante, car les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Des dirigeants qui détournent massivement les aides et prêts à eux consentis par la communauté internationale qui, tel le Tartuffe de Molière, détourne pudiquement les yeux de la mauvaise gouvernance chronique des économies africaines. Peut-on décemment se glorifier d'effacer une dette africaine dont les montants n'ont que très peu aidé l'Afrique ? Peut-on applaudir les mauvais élèves au détriment des bons élèves, qui péniblement tentent d'assainir leurs finances publiques année après année, mettent en place le contrôle citoyen de l'action publique et ont à cœur la poursuite de l'intérêt général ? L'allègement de la dette ne doit pas se traduire par une démobilisation générale de l'Afrique qui lutte au quotidien pour sa dignité et sa souveraineté, cette « Afrique d'après » que nous appelons de nos vœux. Il ne doit pas servir à récompenser les « passagers clandestins » de la bonne gouvernance.
L'économie politique de la compassion internationale ne peut être la voie privilégiée de l'émancipation africaine. Méditons ensemble ce proverbe qui dit : « La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. »