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4 mai 2025
Développement
par Amadou Tidiane Wone
DIALOGUE OU MONOLOGUE ?
Au lieu de prendre la pleine mesure des risques imprévisibles qu’il fait courir au pays, le président se livre à son jeu favori : diviser pour régner. Ce pays vaut beaucoup de sacrifices que cela !
Dans une démarche solitaire insondable, le président de la République, Macky Sall, avance. Seul. Vers la fin de son dernier mandat. Ramant à contre-courant du processus électoral normal et normé qui fonctionne au Sénégal depuis notre accession à l’indépendance, il écrit des pages d’histoire inédites, inattendues d’une personnalité, parvenue au pouvoir par des mécanismes démocratiques éprouvés.
En effet, quoique ponctué de moments de fièvre, de tensions exacerbées parfois, le modèle démocratique sénégalais s'est construit et amélioré progressivement, par l’engagement sincère d’acteurs politiques mûrs et responsables. Au fil du temps, et à la faveur de crises parfois violentes, des hommes et des femmes, du pouvoir comme de l’opposition, sont toujours parvenus à dépasser les stratégies personnelles de courte vue, pour mettre en perspective la survie de notre nation. Cela nous a valu des consensus forts sur le Code électoral et sur les principaux mécanismes de conquête et de gestion du pouvoir. Contre vents et marées, le modèle sénégalais s’est affirmé comme une référence à travers le monde, malgré quelques zones d’ombres à éclairer...
Hélas ! En ce début d’année 2024, force est de constater, pour le regretter, que pour la première fois à ma connaissance, un président de la République sortant aura mis en œuvre des mesures dont le Conseil constitutionnel, lui-même, aura contesté la légalité. En l’occurrence, le décret présidentiel portant annulation du décret convoquant le corps électoral le 25 février 2024 est déclaré nul et non avenu. Le Conseil constitutionnel, gardien ultime de l’inviolabilité de la Constitution a dit le droit. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours.
Quelles conséquences aurait dû en tirer le chef de l’Etat ?
Tout simplement, prendre un nouveau décret en tenant compte des jours perdus par son annulation et arrêter une nouvelle date. En lieu et place, le président Macky Sall s’est engagé dans un baroud d’honneur aux conséquences actuelles graves et à venir insondables.
Au lieu de prendre la pleine mesure des risques imprévisibles qu’il fait courir au pays, le président se livre à son jeu favori : diviser pour régner ! Au cours d’une conférence de presse taillée sur mesure, le président Macky Sall a convoqué la classe politique sénégalaise, la société civile, les chefs religieux, et toute autre personnalité disponible, à le retrouver à Diamniadio pour… dialoguer ! Alors que le seul problème qui se pose est la fixation d’une date pour l’élection présidentielle ! Esquive, contournement de la décision du Conseil constitutionnel, pied de nez aux 19 candidats qui se sont investis pour satisfaire à toutes les exigences de droit pour figurer dans la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle ? Aucune de ces hypothèses n’honore la fonction présidentielle ! Et il va falloir que le pays se mobilise pour dire NON !
Sur les 19 candidats retenus par le Conseil constitutionnel seulement deux ont répondu à l’invitation du président de la République. Toutes les personnalités qui ont rempli la salle ne sont que des figurants dans le contexte d’un débat, entre candidats retenus et président sortant pour s’accorder sur une date en vue de l’élection présidentielle. Le quorum n’est donc pas atteint ! Le dialogue s’est réduit à un monologue entre alliés. Une distribution minutée de la parole à des inconditionnels et autres partenaires en enfumage ne risque pas de faire illusion. Ce pays vaut beaucoup de sacrifices que cela !
Respectons le Conseil Constitutionnel !
Respectons les 19 candidats et les citoyens sénégalais qui leur ont accordé leurs parrainages !
Respectons les convenances républicaines !
« Quand l’injustice devient loi, la résistance est un devoir ».
Il est donc temps de se dresser et de dire fermement et résolument :
- Non à une loi d’amnistie qui ne saurait intervenir préalablement à un état des lieux précis de la situation du pays. Aucun crime de sang ne saurait, non plus être absous. Les violences perpétrées sur des citoyens sans défense doivent faire l’objet d’enquêtes sérieuses et des sanctions exemplaires prises.
- Non à un report des élections présidentielles au-delà du 2 avril 2024 !
EXCLUSIF SENEPLUS - Monsieur le président, vous vous révélez comme vous êtes : joueur et buté. Vous êtes encore engoncé dans vos attitudes dogmatiques nées de vos croyances que vous êtes le « buur » du Sénégal et que nous sommes vos sujets
M. le président, vous êtes constamment dans la manœuvre. Cela n’a pas changé. Il a suffi de vous écouter juste cinq minutes, lors de votre interview fleuve et insipide, pour nous en rendre compte.
En vous écoutant, il me revint à l’esprit le curieux apophtegme du chien qui feignait d’être un lion. Comme vous le savez, ou peut-être pas, la fin ne fut pas joyeuse.
Vous possédez l’art consommé d’apaiser les feux par ci, et d’en allumer d’autres par là. La tension était un peu retombée quand le Conseil constitutionnel (CC) a retoqué aussi bien la loi de prorogation de votre mandat jusqu’au 15 décembre votée à l’Assemblée nationale, que votre décret d’annulation de convocation des élections au 25 février. Vous aviez fait publier un communiqué annonçant que vous respecteriez pleinement la décision du CC. Ne voilà-t-il pas que vous remettez le couvert avec votre ancienne antienne de dialogue et fait monter la tension à nouveau.
Vous vous révélez comme vous êtes : joueur et buté. Joueur, parce que vous cherchez à gagner du temps – allez savoir pourquoi ; buté, parce que vous ne renoncez pas à votre idée première, celle de rester en poste au-delà du 2 avril bien que vous affirmiez le contraire. « Mon mandat s’épuise le 2 avril et je le respecterai », dites-vous, mais tout votre corps, vos yeux, vos mains, vos rictus expriment le contraire.
Cela fut une constante lors de vos magistères : dire une chose et faire le contraire, dire une chose et trainer les pieds pour la faire, ou comme disent mes concitoyens, clignoter à droite et tourner à gauche. C’est l’étiquette qui vous colle à la peau. Lors de cette interview, fort médiocre au demeurant tant vous avez voulu en aseptiser les contours, on voit poindre à l’évidence les attributs dont on vous affuble : rancunier et suffisant.
C’est clair, vous ne ferez pas la part belle au Conseil constitutionnel qui a eu l’outrecuidance de vous recaler. Vous ne donnerez pas de date. Na. Vous prendrez le temps de réunir des gens aux intérêts opposés, pour leur demander de trouver une date de consensus pour la tenue de l’élection. On est sûr que cette date ne sortira pas de ces agapes dont on ne connait ni le format, ni les règles de décision.
Ces dialogues semblent être la solution miracle que vous sortez du chapeau, à chaque écueil. Votre façon usuelle de botter en touche, ou de justifier des décisions déjà prises. Pour ne pas proposer de date, vous êtes prêt à laisser entendre que vous libèrerez Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye et les autres détenus.
Quand on sait ce que vous coûte ces libérations, on comprend mieux à quel point vous tenez à grappiller quelques mois au pouvoir. Pourquoi faire demeure la plus grosse énigme. On ne comprend pas, à partir du moment où votre religion, de quitter le pouvoir au 2 avril est faite, pourquoi vous cherchez à glaner des jours, des mois en plus ? Que représentent quelques mois au regard de vos 12 ans passés au pouvoir ? Est-ce juste pour embêter le Conseil constitutionnel ? Y aurait-il autre chose ? Se donner du temps pour élaborer votre loi d’amnistie que vous voulez bâcler, comme d’habitude serait-on tenté de dire, et profiter de ce rififi pour laver à grande eau des comparses mouillés jusqu’au cou dans des affaires diverses ?
L’amnistie est votre dernière trouvaille que vous agitez comme une sucette pour faire passer votre volonté d’outrepasser les règles édictées par le CC. Pour vous, une amnistie sans justice est tout à fait possible. Que vous le désiriez et l’exprimiez, est, en soi, une raison suffisante pour l’adopter. Convoquer l’amnistie de la deuxième guerre pour justifier la vôtre est un terrible aveu d’inculture. Nous devrions décidément apprendre à mieux choisir nos présidents !
On vous voyait vous étrangler presque de rage, en accusant les soi-disant partenaires de se joindre à ce concert de salissures sur votre personne. Vous ne savez pas que vous êtes un serviteur. C’est votre plus grand drame. Vous êtes encore engoncé dans vos attitudes dogmatiques nées de vos croyances que vous êtes le « buur » du Sénégal et que nous sommes vos sujets. Cela vous prive visiblement de vos capacités objectives d’analyse des conséquences de vos décisions malencontreuses. C’est cela qui explique que vous vous offusquez de notre « ingratitude » alors que vous posez des actes indécents jour après jour. Quand vous déclarez que vous êtes un démocrate, on atteint le sommet de la démesure. Combien ont dû s’étouffer d’entendre cela ! La démocratie se mesure par les actes posés, M. le président et ce n’est surement pas vous le juge ! Non, vous n’êtes pas un démocrate. Vous ne supportez pas la contradiction et les actes que vous posez : les arrestations à tour de bras, les coupures de réseaux mobiles, la suppression de signal de média-télé, les interdictions de marches pacifiques que sais-je encore, vont en l’encontre de l’État de droit. Même le respect du calendrier électoral, élément basique dans une démocratie, vous est cher.
L’équation qui vous était posée au soir du 15 février était fort simple : choisir une date d’élection en tenant compte de la contrainte de date de fin au 2 avril 2024. À la sortie de l’entretien, vous l’avez rendue plus compliquée, en la rendant plus floue, vous y avez introduit des variables nouvelles nullement validées par le CC : dialogue avec des acteurs qui n’ont rien à y voir : des « spoliés » qui rêvent de revenir dans la course ; des partis politiques – il y en a 371 - ; des syndicats ; des religieux et tout cela au pas de charge en moins de deux jours. Prenez votre temps M. le président, le Sénégal attendra, suspendu à votre bon vouloir.
Dans tout les cas, sachez que le 2 avril, avec toutes les mouches qui bourdonnent autour de vous, nous vous dirons : par ici la sortie.
Dr Tidiane Sow est coach en communication politique.
MACKY SALL SOUHAITE ORGANISER LA PRÉSIDENTIELLE AVANT L'HIVERNAGE
”Ma volonté et mon vœu le plus cher, c’est de faire tenir l’élection présidentielle dans les meilleurs délais, et ceci avant l’hivernage prochain, dans les meilleurs délais”, a déclaré le président
Le président de la République a fait part lundi de son ”vœu le plus cher” d’organiser, ”avant l’hivernage prochain”, la présidentielle initialement prévue le 25 février avant son report.
”Ma volonté et mon vœu le plus cher, c’est de faire tenir l’élection présidentielle dans les meilleurs délais, et ceci avant l’hivernage prochain, dans les meilleurs délais”, a déclaré Macky Sall, à l’ouverture du dialogue national qu’il a initié en vue de trouver un date consensuelle pour la tenue de cette élection initialement prévue le 25 février dernier avant d’être reportée sine die.
”Le gouvernement y travaille déjà pour une parfaite organisation logistique de l’élection comme d’habitude”, a-t-il assuré.
Le président Macky Sall a de nouveau exhorté les acteurs politiques au dialogue.
”Dialoguons, restons sereins, responsables, pragmatiques et efficaces”, a-t-il lancé, invitant ses concitoyens ”à se transcender et à se lever à la hauteur du Sénégal que nous voulons”.
Un Sénégal “de paix et de stabilité”. ”C’est ce qui confirmera notre grandeur de nation unie […]”, a insisté Macky Sall.
Le Sénégal est en proie à une crise politique née de l’annonce du report de l’élection présidentielle devant déboucher sur le choix d’un successeur au président Macky Sall, au pouvoir depuis 2012 et qui a renoncé à briguer un nouveau mandat de 5 ans.
Vendredi, seize des 19 candidats retenus par le Conseil constitutionnel ont fait part de leur décision de ne pas répondre au dialogue convoqué par le chef de l’Etat.
La convocation de cette concertation est le procédé choisi par Macky Sall préalablement à la détermination d’une nouvelle date pour l’élection présidentielle.
Il s’était notamment engagé, le 16 février, à pleinement exécuter une décision du Conseil constitutionnel invitant les autorités compétentes à fixer une date pour l’élection présidentielle, après que la juridiction a constaté l’impossibilité de l’organiser le 25 février, comme initialement prévue.
Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a jugé “contraire à la Constitution”, une loi adoptée par l’Assemblée nationale, repoussant au 15 décembre prochain la tenue du scrutin.
Cette loi parlementaire a été votée le 5 février, deux jours après que le président de la République a annoncé, lors d’un discours à la nation, l’abrogation du décret par lequel il avait convoqué les électeurs aux urnes le 25 février.
En prenant cette décision, le 3 février, il avait invoqué des soupçons de corruption concernant des magistrats parmi ceux qui ont procédé à l’examen des 93 dossiers de candidature et jugé recevables 20 d’entre eux.
MACKY SALL ANNONCE UNE LOI D'APAISEMENT DES TENSIONS DE 2021-2024
Selon le chef de l’Etat, l’amnistie et le pardon sont les principaux moyens pour permettre au Sénégal de surmonter les “moments difficiles” vécus par le pays au cours de cette période
Le chef de l’Etat a fait part, lundi, à Diamniadio, de sa décision d’adopter, mercredi, en Conseil des ministres, un projet de loi d’amnistie des faits ayant trait aux évènements politiques survenus dans le pays entre 2021 et 2024, lequel sera bientôt soumis à l’Assemblée nationale.
“Dans un esprit de réconciliation nationale, je saisirai l’Assemblée nationale dès ce mercredi après son adoption en Conseil des ministres, d’un projet de loi d’amnistie générale sur les faits se reportant aux manifestations politiques survenues entre 2021 et 2024”, a-t-il déclaré à l’ouverture du dialogue national qui se tient au Centre international de conférence Abdou Diouf (CICAD) de Diamniadio.
Selon le chef de l’Etat, l’amnistie et le pardon sont les principaux moyens pour permettre au Sénégal de surmonter les “moments difficiles” vécus par le pays au cours de cette période.
Macky Sall a souligné la nécessité de sauvegarder l’unité nationale et l’Etat de droit, entre autres, pour préserver la paix et les valeurs démocratiques du Sénégal.
UNITÉ ET FERMETÉ POUR DÉFENDRE LA CONSTITUTION
Sursaut citoyen appelle à s'organiser autour d'un large Front, exigeant de Macky Sall la continuation du processus électoral avec la liste des candidats établie par le Conseil constitutionnel et la tenue de l'élection au plus tard le 10 mars 2024
SenePlus publie ci-dessous, la déclaration de l'organisation Sursaut Citoyen daté du lundi 26 février 2024, appelant à une forte mobilisation pour la poursuite sans délai du processu électoral.
"SURSAUT CITOYEN
Groupe de réflexion et d'action pour la sauvegarde de la démocratie et l'État de droit
DÉCLARATION
Le président Macky Sall veut engager le pays dans une période de non-droit. Luttons pour ouvrir des perspectives qui restaurent l'Etat de droit !
Suite à la décision du Conseil constitutionnel, le peuple attendait légitimement de l'interview du président Macky Sall du 22 février 2024 deux réponses précises et étroitement liées :
- La fixation d'une date imminente pour l'élection présidentielle, permettant la continuation du processus électoral dans les délais prescrits par la loi,
- Une transition en accord avec la Constitution et la tradition républicaine du Sénégal, où le président sortant remet le pouvoir le 2 avril 2024 au président nouvellement élu.
Cependant, lors de son interview du 22 février 2024, le chef de l'État a fourni des réponses qui confirment et aggravent les inceritudes qu’il a lui-même générées. Malgré ses affirmations verbales d’acceptation de la décision du Conseil constitutionnel, il agit comme si celle-ci était nulle, en décidant de :
- Refuser depuis plus de dix jours de déterminer une date proche pour l'organisation de l'élection présidentielle ;
- Transférer la responsabilité de la fixation de la date à un consensus inatteignable, issu d'un dialogue entre ceux exigeant l'application de la Constitution, et donc de la décision du Conseil constitutionnel, et ceux favorisant la violation de la Constitution, remettant ainsi en question la décision du Conseil ;
- Reprendre le processus électoral, au lieu de le poursuivre, par le biais de ce même dialogue impossible, visant également à organiser des élections « inclusives », concept auquel il n'a jamais adhéré au cours de ses douze années de gouvernance ;
- Remettre en question, toujours via ce dialogue impossible, les principes, normes et modalités de la passation de pouvoir le 2 avril 2024.
Au-delà de préciser qu'il ne sera plus président de la République après le 2 avril 2024, le président Sall ne fait aucune concession et semble maintenir sa position du 3 février 2024, antérieure à la décision du Conseil constitutionnel : reporter indéfiniment l'élection présidentielle, reprendre potentiellement le processus électoral, initier un dialogue pour des élections « inclusives », tout en affirmant renoncer à un troisième mandat.
Ainsi, Macky Sall semble vouloir plonger le pays dans une période de non-droit, permettant à une minorité organisée, semblable à un gang de hors-la-loi à la tête de l'État, de créer, coûte que coûte, les conditions nécessaires au maintien du pouvoir politique.
Pour s'y opposer avec efficacité, Sursaut citoyen appelle toutes les organisations et personnalités démocratiques du pays, y compris les 16 candidats favorables à la décision constitutionnelle, à s'organiser et à unir leurs forces autour d'un large Front pour la défense de la Constitution, exigeant de Macky Sall immédiatement :
- La continuation du processus électoral avec la liste définitive des candidats établie par le Conseil constitutionnel ;
- La tenue de l'élection présidentielle au plus tard le 10 mars 2024 ;
La passation de pouvoir entre le président sortant et le président élu le 2 avril 2024.
Si le président Macky Sall et ses complices persistent dans leur projet de maintenir le pouvoir dans l'illégalité et le vide juridique qui en résulterait, tel que décrit par nos éminents constitutionnalistes, les forces démocratiques ont le devoir d'intensifier les formes de lutte civique et non-violente pour restaurer l'ordre constitutionnel par tous les moyens à la disposition du peuple souverain."
MACKY SALL CONSPUÉ
"Il doit partir au plus vite, on veut tourner la page". Ce sentiment d'exaspération est largement partagé au Sénégal après l'annulation du scrutin par le président alors que la résistance s'organise face à ce que d'aucuns qualifient de dérive autoritaire
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 26/02/2024
Le refus du président sénégalais Macky Sall d'organiser l'élection présidentielle comme prévu initialement le 25 février dernier n'a fait qu'empirer la crise politique que traverse le pays depuis plusieurs mois. Selon plusieurs acteurs de la société civile rencontrés par un journaliste de L'Humanité dans la capitale Dakar, cette décision "illégale" du chef de l'État ne fait que cristalliser la colère croissante d'une partie de la population contre sa gouvernance jugée de plus en plus autocratique.
"Il doit partir au plus vite, on veut tourner la page", déclare sans détour El Hadj, un habitant du quartier de Yoff rencontré par le journaliste. Un sentiment largement partagé au Sénégal où Macky Sall est de plus en plus "honni" depuis qu'il a reporté sans fixer de nouvelle date le scrutin présidentiel dont le premier tour devait se tenir le 25 février. Une décision que le Conseil constitutionnel a jugée contraire à la loi, enjoignant au chef de l'État d'organiser l'élection dans les "meilleurs délais". Pourtant, lors de son allocution télévisée le 22 février, Macky Sall est resté évasif, refusant de fixer une nouvelle date et préférant évoquer de manière floue un "dialogue apaisé".
Ce report fait culminer la colère contre la dérive autocratique du président Sall depuis 2019. Cette année-là marque un tournant avec l'attaque judiciaire lancée contre Ousmane Sonko, figure de l'opposition et candidat déclaré à la présidentielle, au travers d'une affaire de "viols" finalement non étayée. En mars 2021 puis juin 2023, son arrestation puis sa condamnation fallacieuse avaient déclenché de vastes manifestations à travers le pays, durement réprimées.
Selon le bilan dressé par Seydi Gassama, directeur d'Amnesty Sénégal, la répression excessive des autorités depuis trois ans a fait au moins 60 morts, dont 55 par balles, un chiffre qui pourrait dépasser la centaine selon les organisations de défense des droits humains. Quatre personnes ont encore été tuées par balle lors de la manifestation du 9 février contre le report de l'élection.
Parmi les organisations en première ligne contre la "politique néocoloniale" de Macky Sall et sa "décrédibilisation de tous les contre-pouvoirs", le Frapp (Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine) mène un "combat farouche". Son coordonnateur Daouda Guèye dénonce aussi bien les "violations des libertés et de l'État de droit" que "le pillage des multinationales". Lui-même affirme avoir été torturé par la police en 2022 après une manifestation.
La répression s'abat également sur d'autres acteurs comme les journalistes, citoyens, défenseurs des droits humains ou étudiants. Même ceux qui ont soutenu Macky Sall se sentent aujourd'hui "désolés" face à sa "dérive autoritaire", à l'image d'Abdou Khafor Kandji du collectif Y'en a marre. Ce collectif citoyen, tout comme le nouveau mouvement "Aar Sunu Election", rejettent la "tentative de diversion" proposée par le chef de l'État le 23 février pour sortir de crise.
Les autorités religieuses, comme l'archevêque de Dakar, ont également critiqué le report du scrutin, signe de l'ampleur de la contestation dans la société sénégalaise face à la "volonté fascisante de contrôle" dénoncée par le professeur Oumar Dia. Selon plusieurs observateurs, la mobilisation croissante de la société civile témoigne de sa "résilience" et de sa "capacité de résistance" face à l'autocratie grandissante du régime de Macky Sall.
Par Madiambal DIAGNE
PARDONNER À SONKO ? OUI, MAIS LE SÉNÉGAL SERAIT DIGNE D’UN REPENTIR
La réhabilitation tous azimuts ne manquera pas de faire abroger la mesure de dissolution du Pastef. Demain, trouvera-t-on des fonctionnaires pour servir de rempart, pour protéger l’Etat de Droit des dérives des hommes politiques ?
Dans le livre Macky Sall derrière le masque, je montre, à force d’anecdotes, que cet homme, dans l’exercice du pouvoir, est capable d’excuser tout affront subi, toute blessure. Sans doute un trait d’opportunisme des hommes politiques car chacun de ses illustres prédécesseurs (Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade) a eu à pardonner, jusqu’à inviter autour de la table de son Conseil des ministres, des personnes qui ont eu à le couvrir des plus ignobles insanités. Le président Macky Sall a pris l’initiative de faire amnistier de graves faits qui ont conduit Ousmane Sonko et nombre de ses partisans en prison. Ces personnes sont poursuivies pour des actions terroristes, des actes subversifs, des appels répétés et assumés publiquement à l’insurrection, au meurtre, au coup d’Etat militaire et à l’assassinat de magistrats et d’éléments de Forces de l’ordre, mais aussi d’hommes politiques et de journalistes. Ousmane Sonko était encore plus cruel à l’endroit de Macky Sall, à qui il promettait de le découper en menus morceaux devant les caméras de télévision. Plus de 350 personnes sont déjà élargies de prison et les principaux leaders attendent de humer l’air de la liberté, les prochains jours ; on a même de bonnes raisons de croire que ce sera fait dans les toutes prochaines heures.
Macky Sall négocie-t-il le dernier virage de son départ du pouvoir, pour rendre une copie propre, lustrer son image ? Ou chercherait-il à amadouer son monde pour obtenir, en retour, une certaine quiétude pour gagner des jours, des semaines, des mois de rabiot, à la tête du pays ? Cette dernière accusation que lui collent ses détracteurs peut être audible, d’autant qu’on n’est véritablement pas très habitué à voir un chef d’Etat, à moins de deux mois du terme de son magistère, poser d’aussi grands actes qui pourraient déterminer l’action de son futur successeur. Pacifier le climat politique et social a-t-on dit ? On peut être surpris de cet alibi. En effet, jamais le Sénégal n’a vécu aussi paisiblement, durant les douze années de règne de Macky Sall, qu’entre le 28 juillet 2023 et le 3 février 2024, c’est-à-dire depuis l’emprisonnement de Ousmane Sonko et de ses lieutenants et autres affidés. Si des manifestations violentes ont été enregistrées le 9 février 2024, occasionnant des morts et des dégâts, c’est justement parce que la campagne électorale, qui devait s’ouvrir le 3 février 2024, avait été interrompue d’autorité, après d’ailleurs que les candidats avaient déjà fini d’enregistrer leurs «temps d’antenne» à la télévision, sous la supervision du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra). C’est ce qui fait l’autre absurdité de la démarche, comme le soulignait un journaliste français, comment expliquer la libération de fauteurs de troubles, justement au moment où des troubles ont éclaté ?
Sonko a sans doute le droit de devenir meilleur
La mort, le 9 février 2024, de Robert Badinter, emblématique ministre de la Justice de la République française, nous a permis de relire Victor Hugo dans le texte. Me Badinter aimait rappeler la belle parole de Hugo qui disait : «Le droit qu’on ne peut retirer à personne, c’est le droit de devenir meilleur.» En effet, ce droit, on peut le concéder à Ousmane Sonko et assurément à tout autre prisonnier. Le principe du pardon et de la réinsertion sociale a cours dans toutes les sociétés humaines, dans tous les systèmes politiques ou judiciaires. C’est même une longue tradition au Sénégal, encore que notre pays se distingue, pour avoir toujours aidé au retour de la paix civile et politique dans différentes parties du monde. Seulement, il y a une maldonne dans le cas d’espèce. C’est l’absence de repentance, de contrition ou d’absence de regrets ou d’expiation des fautes et torts.
Un moindre repentir, même du bout des lèvres, serait-ce trop demander ? Quelle amende honorable et quelle garantie de ne pas retomber dans la récidive pourrait-on espérer, en amnistiant un prisonnier qui n’a rien demandé, encore moins qui n’a jamais reconnu ses forfaits ? On a déjà vu la semaine dernière, des personnes sortir triomphalement de prison à Dakar et à Ziguinchor, avec le sentiment d’avoir gagné une bataille et, dans une logique de défiance ou de toute-puissance, pour se permettre, face caméra, de réitérer les propos ou les menaces de commettre à nouveau les actes qui les avaient conduites en prison. La foule qui a les accueillies à la porte de la prison a fait, de ces personnes élargies, des héros. S’imagine-t-on, le jour de sa libération, que Ousmane Sonko, à la tête de ses troupes, décide de se diriger vers le Palais présidentiel pour l’investir et s’y installer comme il l’a toujours préconisé du reste ? On peut bien se dire que les forces publiques ne le laisseraient pas faire et qu’un carnage s’en suivrait fatalement. Le pays est en situation de grave péril ! Si l’on peut nourrir légitimement de telles appréhensions, c’est simplement parce qu’œuvre de justice n’a pas été faite. Dans sa lettre du 16 avril 1963 aux pasteurs de Birmingham (Géorgie), Martin Luther King Jr fustigeait le choix de «préférer une paix négative qui est l’absence de tension à une paix positive qui est la présence de la justice».
Macky Sall devrait-il être le seul à assumer la libération de Ousmane Sonko ?
Il n’est pas question de dénoncer une quelconque générosité excessive, mais il convient de se référer à l’histoire du Sénégal et dans la pratique universelle dans de pareilles situations. Une amnistie se fait généralement après un temps de sédimentation, de cicatrisation des blessures et surtout après que la Justice soit passée sur les faits ou encore dans le cadre de séances publiques de discussion, de réconciliation et de pardon. Les bourreaux sont mis en face de leurs victimes et reconnaissent leurs forfaits pour apaiser les cœurs. Autrement, on assistera à des actes plus graves ou même des situations de vengeance ou de règlements de comptes. En 1991, le président Abdou Diouf avait voulu faire oublier les traumatismes du douloureux épisode des élections de 1988 et avait fait amnistier des poseurs de bombes, dans le cadre d’un vulgaire arrangement politique avec son farouche opposant d’alors, Me Abdoulaye Wade.
Résultat des courses ? «La bande à Clédor Sène», qui avait bénéficié des faveurs de l’amnistie, abattra, en 1993, un juge constitutionnel. Dans la foulée, on déplorera le drame du 16 février 1994, avec l’ignoble assassinat de six policiers sur le boulevard Général De Gaulle ! Cette même loi d’amnistie de 1991 avait aussi permis la libération de chefs rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) qui planifièrent l’exécution de 25 soldats à Babonda, le 25 juillet 1995, et 25 autres, le 19 août 1997, à Mandina Mancagne. C’était suffisant pour que les autorités militaires mirent leur veto, à toute nouvelle idée de loi d’amnistie en Casamance, notamment suite à l’accord de paix de Ziguinchor en 2005. En Côte d’Ivoire, au fil des crises politiques, il y a eu des mesures d’amnistie prises dans la précipitation et, à chaque fois, on allait crescendo dans la crise. En 2000, il y avait une disposition d’amnistie dans la Constitution, comme en 2003 et en 2007 ; ce qui n’avait pas empêché la crise post-électorale de 2010-2011, du fait que «personne n’a jamais rien reconnu, personne n’est coupable de quoi que ce soit».
C’est certainement, tirant les leçons de tout cela, que le Président Ouattara a pris son temps, attendu que la Justice nationale ivoirienne et la Cour pénale internationale finissent de se prononcer en situant les responsabilités, avant de faire adopter une loi d’amnistie des crimes et délits commis lors des tragiques événements politiques de 2010-2011. Est-il besoin de rappeler que les génocidaires rwandais, comme les criminels de l’Apartheid en Afrique du Sud, ont suivi le même parcours de supplice et de rédemption ou d’absolution. L’impréparation est si manifeste que les éléments de langage utilisés par le Président Sall, pour vendre son projet d’amnistie, ne sont pas adéquats. Les services de la présidence de la République doivent revoir les cours d’histoire. Les crimes de la Seconde Guerre mondiale ont été déclarés imprescriptibles depuis 1945 et après les verdicts du Tribunal de Nuremberg, les anciens criminels nazis comme Klaus Barbie, Helmut Oberlander, Oskar Grôning, entre autres, qui s’étaient échappés, ont continué à faire l’objet d’une traque judiciaire internationale.
Le président Macky Sall est poussé et encouragé dans cet exercice par des médiateurs, en l’occurrence Alioune Tine et Pierre Goudiaby Atepa, qui se montrent assez bavards et bruyants pour des hommes de l’ombre. Mais là où le bât blesse le plus, est que les conciliateurs disent sur les plateaux de radio et de télévision, qu’ils agissent à la demande expresse de Macky Sall. On peut dire que ça vole haut ! Au demeurant, qu’est-ce qui fait courir tant le président Sall pour qu’il offre le maximum de ce que pouvait lui demander Ousmane Sonko, sans aucune contrepartie assurée ou même espérée ? Des responsables de l’ex-Pastef fanfaronnent, affirmant n’être demandeurs de rien du tout. Macky Sall serait-il si fragile et comme désespéré, pour se mettre dans une pareille posture ? On sait que quelques autorités religieuses musulmanes ont eu à intercéder en faveur de Ousmane Sonko, mais pourquoi diantre ne sortiraient-elles pas du bois pour assumer leur demande ? On sait par exemple que pour faire élargir de prison Karim Wade, le Khalife général des Mourides, Serigne Sidy Mokhtar Mbacké, s’était publiquement impliqué jusqu’à envoyer son fils Moustapha conduire à la coupée de son avion de «déportation», le célèbre exilé de Doha. De même que Abdoul Aziz Sy Al Amine avait plaidé publiquement la clémence pour l’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, poursuivi pour prévarication de deniers publics.
Laver plus blanc, à quel prix ?
La volonté du président Sall d’acter l’amnistie semble inébranlable. Il vient de réitérer les instructions à son gouvernement pour préparer le projet de loi. L’Assemblée nationale aura à jouer sa partition. En attendant, la frustration est réelle chez les magistrats, policiers, gendarmes et autres fonctionnaires qui avaient instruit les procédures judiciaires. Ils avaient voulu être fidèles à leur sacerdoce, pour ne pas dire leur serment de servir la République et l’Etat de Droit. Certains d’entre eux avaient ignoré les mises en garde faites par des proches, quant à la versatilité des hommes politiques ou même leur manque de scrupules pour pouvoir sceller des accords, tout en s’asseyant confortablement sur tous les bons principes. Plus que le vague à l’âme, ces juges, procureurs et officiers ont le moral dans les chaussettes. L’un d’entre eux n’a pas pu se retenir, dépité : «Tout ça pour ça !» Ils rasent les murs devant des collègues qui avaient une posture de lâcheté et qui apparaissent aujourd’hui comme des héros, qui se font applaudir, pour avoir paradoxalement manqué à leurs devoirs vis-à-vis de la République.
Quid des victimes qui ont vu leurs maisons, leurs commerces et autres biens détruits ? A ce qu’on sache, Macky Sall n’a perdu dans l’épreuve aucun bien, encore moins un proche ! Que dire aux parents des petites filles Fatimata Binta Diallo et Oumou Kalsoum Diallo, mortes brûlées vives dans l’incendie de leur bus par un cocktail Molotov ; ou aux familles des agents de la force publique tués ou des autres personnes ayant perdu la vie et qui mériteraient que la responsabilité de leur mort soit imputée formellement à des auteurs ? Personne ne répondra finalement de l’autodafé de l’Université de Dakar ! Ce sentiment d’impunité a certainement poussé Me Ngagne Demba Touré de l’ex-Pastef et ses collègues greffiers, à profaner la Justice. Si des greffiers assermentés en arrivent à soutenir de la sorte un collègue, salafiste assumé, poursuivi pour des crimes contre l’autorité de la loi et qui a abandonné dans sa fuite son poste pendant plus de six mois, tout en continuant de défier l’Etat, c’est justement parce que la République et l’Etat de Droit sont en piteux état.
Je le disais dans plusieurs textes publiés à travers ces colonnes, en indexant la propre responsabilité des magistrats et autres auxiliaires de Justice qui se révélaient être les premiers pourfendeurs de l’institution judiciaire («S’il faut en arriver à huer les juges» , 16 juillet 2018 ; «Ces juges qui se moquent de la Justice», 24 août 2020 ; «Ousmane Sonko devant le juge, la République reconnaîtra les siens», 8 mars 2021 ; «Est-il désormais permis d’insulter les magistrats ?», 2 janvier 2023). Ironie du sort, ces fameux articles m’ont valu mes pires déboires judiciaires !
Pendant qu’on y est, on va laver plus blanc. La réhabilitation tous azimuts ne manquera pas de faire abroger la mesure de dissolution du parti Pastef et même d’amnistier les faits de diffamation pour sauver Ousmane Sonko de sa condamnation dans son contentieux avec Mame Mbaye Niang. Demain, trouvera-t-on des fonctionnaires pour servir de rempart, pour protéger l’Etat de Droit des dérives des hommes politiques ? A la place des fauteurs de troubles, le président Macky Sall devra présenter de sincères excuses à la Nation.
Par Vieux SAVANÉ
LE SÉNÉGAL AU CŒUR, UNE CHIMÈRE
Comment comprendre en effet que le président de la République mette le pays dans une telle situation après avoir déclaré urbi et orbi qu’il s’engageait à respecter les recommandations du Conseil constitutionnel ?
Aujourd’hui, démarre le dialogue voulu par le chef de l’Etat. Mais quelle pertinence à cela, vu qu’il se fera sans les 16 candidats sur les 19 retenus par le Conseil constitutionnel. Et sans certaines grandes organisations de la société civile et autres recalés qui ont décliné l’invitation à un dialogue sans objet selon eux. Aussi, qu’il se tienne possiblement ce matin au Cicad une sorte de grand’messe noyée sous les vivats d’une foule bigarrée à la gloire de son Excellence Macky Sall, ne devrait pas surprendre outre mesure. Encore moins un consensus ou plutôt un unanimisme sorti du chapeau voire du foulard de recalés et de représentants sans épaisseur.
Comment comprendre en effet que le président de la République mette le pays dans une telle situation après avoir déclaré urbi et orbi qu’il s’engageait à respecter les recommandations du Conseil constitutionnel ? Pour que nul n’en ignore lui-même expliquait pourtant à bon nombre de ces recalés qu’il avait reçus que les décisions des 7 Sages sont définitives et ne sont susceptibles d’aucun recours. Comment dès lors expliquer ce jeu qui n’honore pas la parole donnée, décrédibilise et embrume plutôt les institutions de la République dans le déshonneur. Surtout qu’il faudra, quoi qu’il arrive, retourner au Conseil constitutionnel. Toutefois, en dépit de tous les trous de souris bétonnés, on fait face à une agitation stérile, une débauche d’énergie négative visant en fait à gagner du temps pour atteindre un objectif qui n’ambitionne nullement d’avoir « le Sénégal au cœur ». Sacrée parole ! « Bouche rek» comme diraient nos amis et frères ivoiriens pour décrire une parole volatile, à géométrie variable, travaillée par la ruse si ce n’est la tromperie.
A la vérité, on se doit de reconnaitre qu’à vouloir trop ruser on finit par s’embrouiller et se retrouver gros-jean comme devant, ayant perdu la main, incapable d’entrevoir les bonnes solutions. Lorsque l’on arrive à ce stade, c’est qu’il temps de s’arrêter et de revenir à la simplicité des choses. A savoir mettre en mouvement les recommandations du Conseil constitutionnel comme le chef de l’Etat s’y est engagé. Il s’agit tout simplement de repositionner au plus vite le processus électoral, en rapport avec toutes les parties prenantes. En attendant, du fait de ses atermoiements, le chef de l’Etat aura fragilisé son propre camp puisqu’il lui sera difficile avec un tel passif de participer à l’animation de sa campagne car ce dernier sera plutôt soumis au risque du « vote dégagiste ». Alors qu’est-ce qui aurait poussé le chef de l’Etat à succomber à un brutalisme sans fards, stoppant net le processus électoral à quelque 10 h de son ouverture ?
C’est que là aussi, les étoiles ne se sont plus alignés, le prestidigitateur donnant l’impression d’avoir perdu la main, dérouté d’avoir été lâché par les Dieux. Et à vouloir forcer le chemin il ne pourra que le parsemer d’embûches. A bien y réfléchir, rien que la somnolence bavarde dans laquelle se trouvait le siège de l’Alliance pour la République (Apr) à quelques heures de la séquence électorale en disait long sur la suite. Sur le fronton du siège ne trônait en effet qu’une vieille affiche géante mettant en scène Macky Sall en posture de candidat potentiel. Cette léthargie était aussi perceptible au niveau national car rien des moyens n’avaient été débloqués pour permettre aux militants de se déployer. Etaitce parce que le chef de l’Etat détenait des informations qui jetaient le doute sur une éventuelle victoire de son candidat ? Fort de cela a-t-il alors décidé de jeter du sable dans le couscous électoral ?
Non point pour inverser une tendance qui va sûrement aller crescendo mais pour prévenir un avenir susceptible d’être cauchemardesque. Avec un probable futur président issu de l’opposition, vaut mieux anticiper sur de possibles déconvenues. Prudence oblige. Alors, si s’invitant ainsi dans le débat consistant sous nos cieux à encourager les présidents de la République et leurs entourages à s’en aller sans avoir peur d’être rattrapés par leurs turpitudes, l’amnistie tant chantée ces derniers jours cherchait plutôt à effacer tous les crimes et délits englobant une période assez large incluant les deux mandatures du président Macky Sall ?
S’il ne s’agit nullement de passer l’éponge sur certaines dérives, ni de se livrer à une quelconque chasse aux sorcières, force est de relever que la meilleure protection consiste à la mise en place d’institutions fortes jouant chacune pleinement son rôle en toute responsabilité. Il est donc venu le temps d’instaurer un grand débat autour de l’hyper présidentialisme qui a gangrené nos institutions en faisant du chef de l’Etat celui qui décide de tout. Et ce débat vaut pour tous les prétendants à la magistrature suprême.
LES SÉNÉGALAIS PORTENT LE DEUIL DE L'ÉLECTION
Pour marquer leur frustration de voir leur droit de vote confisqué, l'opposition et la société civile ont organisé ce dimanche une journée symbolique de "deuil national" et de vote miniature
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 25/02/2024
Ce devait être un jour de fête démocratique au Sénégal avec la tenue de l'élection présidentielle. Pourtant, au lieu des bureaux de vote, ce sont la déception et la colère qui dominent parmi les citoyens. Pour marquer leur frustration de voir leur droit de vote confisqué, l'opposition et la société civile ont organisé ce dimanche une journée symbolique de "deuil national" et de vote miniature.
"C'est un jour de deuil, le deuil de notre démocratie", a déclaré l'activiste Jaly Badiane, citée par le site d'information Impact.sn. Habillée du maillot des Lions du football, elle a publié sur son compte X le message "j'ai voté" accompagné d'une photo devant son centre de vote. D'autres internautes ont également exprimé leur amertume sur les réseaux sociaux, photographies et hashtags #JourDeVote et #DeuilNational à l'appui.
Pour professeur le Mary Teuw Niane, ancien ministre, "le président-putschiste nous a privé du droit le plus fondamental du citoyen : choisir notre président de la République". Le mécontentement est largement partagé au sein de la population, frustrée par la tournure des événements.
Début février, à la surprise générale, le président Macky Sall avait annoncé l'arrêt du processus électoral, quelques jours seulement avant le scrutin. L'Assemblée nationale avait voté dans la foulée un report de l'élection au 15 décembre, décision jugée "contraire à la Constitution" par le Conseil constitutionnel. Malgré cet avis, le chef de l'Etat tarde à fixer une nouvelle date, alimentant l'incertitude quant à l'avenir du pays.
Face à cette crise sans précédent, l'opposition réclame désormais la tenue rapide du scrutin pour éviter une vacance du pouvoir à l'expiration du mandat de Macky Sall le 2 avril. Reste à voir si le dialogue qu'il a annoncé ces prochains jours permettra de trouver une issue à cette épineuse situation. En attendant, les Sénégalais sont appelés à poursuivre leur mobilisation pour le respect de leur droit démocratique le plus fondamental.
RÉPRESSION POLICIÈRE À NEMA, LE RÉCIT ACCABLANT
Ils réclamaient le respect de la démocratie. Mais ce jour-là, c'est leur corps et leur humanité que les forces de l'ordre leur ont arrachés. Entassés dans un fourgon, passés à tabac durant des heures... Ces témoins racontent l'inimaginable
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 25/02/2024
Le vendredi 17 juin 2022, des affrontements ont éclaté dans le quartier HLM Néma lors d'une manifestation pour contester l'invalidation de la liste de candidats de l'opposition aux législatives. C'est dans ce contexte de tensions qu'ont eu lieu de graves exactions de la part des forces de l'ordre, selon plusieurs témoins qui se sont confiés à La Maison des Reporters.
Rodrigue Tendeng, 38 ans, agent commercial, a vu la foule se diriger vers lui mais pensait ne rien risquer en observant la scène. Sa tentative de fuite a alors viré au cauchemar : "le pick-up des gendarmes a délibérément foncé dans ma direction", raconte-t-il. Lorsqu'il a trébuché, "toute l'équipe est descendue et c'est par des coups de pieds qu'on m'a fait monter". Durant le trajet, couché sous la banquette, il a servi de "repose-pied" aux gendarmes et a subi de nombreuses insultes, selon ses termes.
Son calvaire ne s'est pas arrêté là. Transféré dans le fourgon de la gendarmerie, "je saignais fort de la tête mais ils me défendaient d'essuyer le sang et tapaient toujours au même endroit", décrit-il. La torture s'est poursuivie avec l'utilisation de "crosses d'armes, de gros bâtons" ou encore d'un "talisman en cuir arraché violemment" à Cheikh Sourat Youssouph Sagna, ancien hôtelier de 38 ans qui dit avoir "subi les pires tortures".
I. Thiam, arrêté dans des conditions similaires après avoir été piégé en filmant les gendarmes, confirme : "Cheikh Sourat est celui qui a subi les pires tortures parmi nous, je l’ai trouvé entièrement couvert de sang". Au fil des arrestations, le fourgon s'est rempli : "La chaleur était étouffante, c'était plein mais on nous mettait les uns au-dessus des autres en nous frappant à n'en plus finir", se souvient Sidy Pascal Dhiédhiou. Même Georges Mendy, lycéen, n'a pas été épargné.
Ces détails, glaçants, font froid dans le dos. Les victimes décrivent l'inhumanité de leur supplice qui s'est prolongé tard dans la nuit à la gendarmerie de Néma. Là, une "haie cynique" de gendarmes les attendait à leur arrivée pour continuer à les brutaliser. Les conditions de détention étaient épouvantables, les cellules surpeuplées. Porté de violences en violences, contraints à signer leur procès-verbal sans droit de révision, leur calvaire n'a pris fin que le mardi suivant avec leur défèrement en prison.
Destin tragique que celui de Cheikh Sourat, le plus gravement touché. Condamné à un mois avec sursis et une amende qu'il juge injuste, il déclare deux ans après les faits : "Ils ont détruit ma vie et m'ont créé des séquelles que je ne mesure toujours pas". Une affaire qui pose de lourdes questions sur les dérives de certains membres des forces de l'ordre, dont les victimes réclament aujourd'hui justice.