En ces temps où les Etats se barricadent et s’inquiètent des conséquences de cette pandémie du Covid-19, où l’on assiste avec sidération au démantèlement des chaînes d’approvisionnement classique de médicaments et de dispositifs médicaux, nul besoin d’être un poète pour apercevoir ce lendemain incertain qui nous guète. Certains, parmi les plus philanthropes, diront qu’il y aurait peut-être quelque chose d’indécent à se projeter dans l’avenir si tant est qu’il y en aura un, au moment où chaque pays fait quotidiennement le décompte de ses morts. L’heure sera, sous l’ombre d’un sage d’une autre époque, à la quête d’une souveraineté médicale certes non encore acquise.
Souveraineté et indépendance en matière de développement et de production de médicaments innovants et stratégiques
Souveraineté ! C’est le terme le plus adéquat pour se projeter sur le « post Covid-19 », selon sa définition du Larousse : pouvoir suprême reconnu à l'État, qui implique l'exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l'ordre international où il n'est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe) ». Notre souveraineté médicale est plus qu’une urgence, elle est maintenant vitale. On pourrait autant en dire des domaines comme l’énergie, l’hydraulique, les transports, etc.
Il est impératif d’avoir une autonomie et une maitrise sur les chaines de production en monothérapie, en bithérapie ou en trithérapie :
- Indépendance en termes de recherche et en termes de prix.
- Lieux de production et maîtrise des prix : les Etats qui maitrisent totalement la chaîne de recherche, de développement, de la production et de la commercialisation de certains types de médicaments indispensables pour la santé ont la capacité à la fois d’orienter les recherches, d’investir dans la recherche et de fixer les règles du jeu des marchés internationaux. Par conséquent, le fait de ne pas maîtriser totalement cette chaîne de recherche, de développement et de production d’un médicament stratégique pèse sur la politique économique qui sera conduit au niveau international.
Une recherche académique désuète ?
On a la chance d’avoir des chercheurs de grande qualité sur des pathologies qui ont un très grand impact sur nos sociétés : oncologie, génétique, cardiologie, pneumologie, diabétologie… mais nos ne savons pas transformer ce capital en processus industriel et nous savons encore moins le transformer en usine de production.
Conséquences de nos faiblesses
Nous nous privons de rapport de force dans le cadre des stratégies de commercialisation international.
Aucune influence sur la politique des prix des médicaments qui est très dépendante des attentes des industriels, ce qui est légitime d’ailleurs.
Dépendance des stratégies de distribution qui sont élaborés dans d’autres pays
Combien de produits avons-nous développé sur le territoire sénégalais : aucun !
par l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
LES FRAIS DU DILETTANTISME
EXCLUSIF SENEPLUS - A mesure que les tests augmentent, on se rend compte que les personnes en contact avec le virus dépassent toutes les craintes. C’est le déboussolement général dans les prises de décisions
Serigne Saliou Guèye de SenePlus |
Publication 26/04/2020
Depuis les premiers symptômes prodromiques de la pandémie, le gouvernement sénégalais enchaîne avec dilettantisme les erreurs d’appréciation, les décisions frileuses mettant en péril la santé des Sénégalais. Nonobstant les nouvelles alarmantes qui nous parvenaient de la province de Hubei, d’Italie, de la France, d’Espagne et d’Allemagne de janvier à février, un véritable plan de riposte n’avait pas été élaboré avant le début de la crise pandémique dans notre pays. Même si les agents du ministère de la Santé et de l’Action sociale pérégrinaient de média en média pour clamer urbi et orbi qu’ils étaient prêts à contrer le Sars-Cov2, l’on s’est rendu compte qu’aucun budget n’avait été dégagé en ce moment-là pour faire face à la pandémie. En effet, une infime partie du trésor de « guerre » (1,4 milliard francs CFA) n’a été sortie par le Général que le jour du 2 mars où le premier cas de Covid a été enregistré dans notre pays alors qu’il fallait au moins 5 milliards pour commencer sereinement la lutte contre le virus.
La rencontre du 10 mars entre le gouvernement et les partenaires techniques et financiers, coprésidée par M. Abdoulaye Diouf Sarr, ministre de la Santé et de l’Action sociale et M. Amadou Hott, ministre de l’Economie du Plan et de la Coopération, atteste que le plan de riposte qu’on nous vantait tant n’en était pas encore une réalité. En effet, au cours de cette rencontre, le Dr Marie Khemesse Ngom Ndiaye, Directrice générale de la santé, indépendamment du 1,4 milliard, avait demandé des ressources additionnelles estimées à 3 865 926 382 FCFA pour asseoir le plan de riposte contre le Covid-19. Les ressources additionnelles devaient être réparties comme suit :
Contrôles sanitaires aux frontières (9 000 000 FCFA) ;
Communication (153 990 480 FCFA) ;
Coordination (182 793 612 FCFA) ;
CTE (Sites de référence) (550 000 000 FCFA) ;
Ambulances (Samu et Sites de référence) (500 000 000 FCFA) ;
Logistique roulante (430 000 000 FCFA) ;
Autres équipements et (EPI) et produits (1 735 129 187 FCFA) ;
Prévention de l’infection (100 580 000 FCFA) ;
Prise en charge des cas (204 433 103 FCFA) ;
Ce qui signifie qu’en dépit de tout le ramdam orchestré autour du plan de riposte, le nerf de la guerre faisait défaut. Aujourd’hui, en dehors d’une communication calamiteuse du ministère de la Santé, on ignore tout sur les fonds disponibles pour la lutte contre le Covid-19. Aucune information sur le nombre d’agents de santé mobilisés, sur le nombre de lits apprêtés, de respirateurs disponibles, des EPI (équipements de protection individuelle), des masques chirurgicaux et FFP2, des gels hydro-alcooliques, des thermomètres Thermoflash. Une chose est sûre, les EPI, les gels hydro-alcooliques, les Thermoflash manquent drastiquement dans plusieurs centres de soins au point d’exposer le personnel soignant à tout risque d’infection. Chaque jour, l’on fait état de professionnels de la santé confinés pour avoir été en contact avec une personne atteinte du Covid-19. Maintenant, qu’est-ce qui va se passer quand le personnel soignant désarmé infecté va disputer les lits d’hôpitaux avec sa patientèle et qui soignera ceux qui doivent soigner ?
La seule communication-spectacle du ministère de la Santé (malheureusement dramatique) se résume à cette litanie matinale anxiogène et indigeste que servent le ministre Diouf Sarr ou ses collaborateurs aux Sénégalais angoissés avec la même diction macabre.
On a crié victoire trop tôt…
Aujourd’hui, le rythme des cas de contamination confirmés progresse à une vitesse exponentielle. Et le nombre de morts enregistrés en quelques jours suit la courbe des personnes infectées. A mesure que l’on augmente les tests, l’on se rend compte que les personnes en contact avec le Sars-Cov2 dépassent de loin ce que la majeure partie des Sénégalais pensaient. En six jours, c’est-à-dire du mardi 21 avril au dimanche 26 avril, 3145 tests ont été effectués et 294 cas de contamination ont été confirmés soit plus de 2/3 des 377 cas enregistrés en 40 jours. Ce qui ne présage rien de bon. Le fait qu’après un mois de Covid le Sénégal s’était retrouvé avec 195 cas de personnes infectées, 55 patients guéris et une perte en vie humaine avait poussé certains de nos compatriotes à verser dans un triomphalisme auto-glorificateur prématuré. Certains aèdes allant même jusqu’à entonner l’hymne de l’exception sénégalaise. On a crié victoire trop tôt alors que la « guerre » n’en était qu’à ses débuts.
Aujourd’hui, nous commençons à faire les frais de l’amateurisme avec lequel le président et son ministre de la Santé ont géré le début de la crise sanitaire que nous sommes en train vivre dramatiquement. Quand le 2 mars, le premier cas de contamination au Covid-19 a été publicisé, des mesures drastiques devaient être prises pour donner un coup d’arrêt à cette pandémie qui s’était invitée chez nous via les airs. Et dès lors, le meilleur moyen était de réfléchir sur une stratégie de fermeture de nos frontières tous azimuts. Mais que nenni ! La seule décision majeure prise, c’est le déblocage de 1,4 milliard de francs CFA pour amorcer le plan de riposte. Ainsi, le Général distribua les armes après le déclenchement des hostilités. Quelle stratégie gagnante !
Alors que de plus en plus les pays du monde se barricadaient pour stopper le virus voyageur, notre pays, avec sa téranga millénaire légendaire, laissait grandement ouverts ses espaces aérien, maritime et terrestre au reste du monde. Le professeur Daouda Ndiaye, chef du département de parasitologie de la faculté de médecine de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, invité de l’émission Jury du dimanche le 2 février, déclarait que même si le Sénégal franchissait la barre des 11 mille cas, il n’était pas question de se barricader parce que pour lui « la meilleure stratégie, c’est de laisser les personnes se mouvoir correctement et préparer le système dans la prise en charge et surtout dans la prévention ». Surprenante déclaration de la part d’un éminent professeur comme Daouda Ndiaye siégeant au CNGE !
Et le 15 mars à la même émission, le ministre de la Santé déclarait, au moment où l’on comptait 26 cas de contamination confirmés, que le Sénégal ne trouvait pas encore nécessaire de fermer ses frontières même à l’endroit du Maroc qui avait interdit tout vol en provenance de notre pays. La Mauritanie voisine, elle, a été plus prompte dans la restriction des déplacements intra et extraterritoriaux. Ses autorités, dès la confirmation de la présence d'un premier malade sur le sol mauritanien le 13 mars, ont pris une batterie de mesures rigoureuses en fermant, trois jours après, les frontières routière, aérienne et maritime du pays. A cela se sont ajoutées des décisions relatives à la fermeture des écoles, des universités et des marchés, au confinement et à la mise en place d'un couvre-feu de 18h à 6h du matin assorties de mesures sociales pour accompagner les ménages nécessiteux. Et il a fallu que les frontières de l'espace Schengen et d’autres pays africains fussent fermées depuis le 17 mars pour que notre pays en fît de même le 20 mars.
Déboussolement
Le président Macky Sall n’a pris de vraies demi-mesures de lutte contre le virus que le 23 mars quand notre pays a enregistré 79 cas de contamination. Mais aucune décision courageuse n’a été prise pour la fermeture des marchés qui sont devenus aujourd’hui des foyers « super spreader ». Tantôt ce sont les maires qui sortent des arrêtés de fermeture provisoire des marchés pour raison de nettoyage ou de désinfection, tantôt ce sont les gouverneurs ou préfets qui montent au créneau pour prendre des mesures afférentes. Cette pandémie a semé un véritable désarroi au sein de l’Etat tant est si bien qu’on ne sait plus qui doit faire quoi. Il y a trop de tergiversations, trop de tâtonnements, trop d’imprécisions, trop de cafouillages, trop de bafouillages dans les prises de décisions concernant les rassemblements publics, le transport urbain, le port et la confection du masque, la vente du pain.
La ministre du Commerce, Aminata Assome Diatta, a interdit la vente du pain dans les boutiques par crainte de propagation du virus mais ce n’est que cautère sur jambe de bois parce que, parallèlement, son arrêté crée des embouteillages humains au niveau des boulangeries, sapant, par là même, la mesure barrière de la distanciation sociale ? Et comme solution, l’incompétente ministre demande aux consommateurs d’aller acheter leur pain à partir de midi. Et c’est cette même ministre et son collègue du Développement industriel et des Petites et moyennes industries, Moustapha Diop, qui ont pris ce 24 avril, un arrêté conjoint, rendant obligatoire l’obtention de la certification NS-Qualité Sénégal, comme un préalable à toute confection de masques barrières. Quels sont les tailleurs qui comprennent ce que veut dire la norme « NS 15-014 : 2020 » ? Même lesdits ministres n’y pigent que dalle ! Et voilà que le dimanche 26 avril, le ministre Moustapha Diop sort un communiqué pour dire que « tenant compte du contexte particulier où aucun moyen n’est de trop pour freiner la propagation du covid-19, l’application de l’arrêté n° 009450 du 24 avril 2020 est suspendue jusqu’à nouvel ordre ». C’est le déboussolement généralisé dans les prises de décisions.
Cela est constatable dans le confinement que l’autorité propose oralement par le « Restez chez vous » mais qu’elle n’impose pas par voie décrétale. Combien de fois n’a-t-on pas entendu des médecins dire que le confinement est la solution pour endiguer le mal alors que d’autres prônent des tests massifs ? Le président de la République n’a-t-il pas menacé de décréter le confinement si certains comportements favorisant la contagion rapide ne prennent pas fin ? En temps de crise, la tergiversation et la procrastination dans les prises de décisions sapent l’autorité du chef. Si aujourd’hui, la Mauritanie voisine a pu juguler la pandémie au point de ne plus compter un seul cas contamination depuis le 18 avril supplémentaire sur les 8 enregistrés, c’est grâce à la prompte réactivité et à la fermeté des décisions prises par son président Mohamed Cheikh El Ghazouani.
Au lieu de prendre sérieusement à bras-le-corps cette pandémie, on détourne l’attention des Sénégalais sur la distribution des vivres comme si on était en temps de crise alimentaire alors qu’elle est sanitaire. Le président de la République, sous les caméras et flash des journalistes et photographes, passe en revue les cargaisons de riz destinés à son peuple affamé alors qu’on aurait aimé le voir dans certains centres de santé en agonie logistique, dans certaines unités de fabrique de masques ou de gels hydro-alcooliques. On ne parle plus du coronavirus mais du coronariz avec tout le parfum de scandale qui entoure l’attribution du marché par son beau-frère Mansour et le manque de transparence dans les cibles destinataires. On média-folklorise la distribution des vivres en invitant la presse et les politiciens pour immortaliser ces libéralités du président et de sa parentèle. Dans la même lancée, les maires subitement « humanistes », dans la plus grande opacité, se jettent dans une féroce concurrence d’achat de produits aseptiques et de vivres pour venir en aide aux populations dont ils ne se sont jamais souciés en temps de paix.
La loi d’habilitation ne met pas en congé les principes de la transparence et de la bonne gouvernance. Pendant que le coronariz fait la une de la presse, le coronavirus sournois voyage entre les régions et se propage à un rythme démentiel dans nos marchés sans qu’aucune mesure concrète et courageuse ne soit prise pour fermer ces lieux de dissémination du Sars-Cov2.
Mais il est évident qu’il y aura un après-Covid et l’heure de la reddition des comptes politiques se profilera. Malgré cette espèce d’unanimisme hypocrite derrière le Général qui empêche certains citoyens de moufter par crainte d’être taxés de déserteurs ou de défaitistes, certains lâches responsables politiques et de la société civile de dénoncer les failles du moment, tout manquement et toute malversation dans la gestion de cette crise sanitaire seront chèrement payés.
Des montants empruntés à l’extérieur pour développer les infrastructures et l’énergie ont été détournés et dépensés dans la campagne électorale de 2019
Le président Macky Sall milite pour une vielle problématique, à savoir l’annulation de la dette africaine. Mais qu’en est-il de la dette du Sénégal depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2012 ?
Les raisons de l’endettement
Le Sénégal a toujours emprunté. Mais sous Macky Sall, la dette a plus que doublé, de 30 % du PIB en 2012 à 67,4 % aujourd’hui, selon le FMI. Le régime a emprunté de manière abusive, en misant sur les prochaines recettes financières du pétrole et du Gaz. Il a compté les œufs avant qu’ils aient été pondus, disait un ami économiste.
Le gouvernement se réjouit d’avoir emprunté pour les infrastructures et l’énergie. Cependant, les infrastructures réalisées ou en cours sont trop coûteuses et ont peu d’utilité pour les Sénégalais ordinaires. Les résultats dans le secteur de l’énergie laissent à désirer, puisque le taux d’électrification se situe aujourd’hui à 30 % en milieu rural, contre 88 % dans les villes.
Contrairement à ce qui est annoncé par le régime, les infrastructures et l’énergie n’ont pas été les seules responsables de l’endettement du Sénégal. Selon le FMI, « les dépenses hors investissement sont apparues dans un contexte pré-électoral, ce qui a conduit l’État à ne pas honorer certaines obligations dans les secteurs de la construction et de l’énergie ». Autrement dit, des montants empruntés à l’extérieur pour développer les infrastructures et l’énergie ont été détournés et dépensés dans la campagne électorale de 2019. Ce qui explique l’arrêt de plusieurs projets après les élections.
Pétrole et gaz : la malédiction des attentes
Le gouvernement du Sénégal et les bailleurs de fonds avaient placé beaucoup d’attentes sur le pétrole et le gaz. Par exemple, le FMI avait prévu qu’avec le démarrage de la production d’hydrocarbures, la croissance du Sénégal sera portée à 10 % entre 2022 et 2024. C’était sans compter le choc lié à la pandémie.
La production de pétrole prévue en 2022 sera retardée à cause de la crise. Et les recettes réelles seront bien loin des attentes, pour plusieurs raisons. Les prix du pétrole sont trop volatiles, ce qui crée une vulnérabilité économique et financière. Le prix du baril est à 20$ actuellement. La crise risque de durer. À la fin de la crise, les sources d’énergie alternative auront davantage de place et contribueront à la fin du pétrole.
Sur le front de l’emploi, les attentes seront également déçues. Le secteur du pétrole n’embauche généralement que peu de personnes qualifiées. Donc, peu de Sénégalais seront embauchés dans ce domaine.
En matière de transparence et de redevabilité, l’administration Sall ne dispose pas encore de solides mécanismes qui permettront d’éviter la « malédiction des ressources naturelles ». Il y a un risque réel que les revenus du pétrole et du gaz seront captés par la classe politique au pouvoir et ses alliés. Le scandale impliquant le frère du président au sujet de l’octroi de permis d’exploitation est déjà une indication que les recettes ne seront pas redistribuées de manière équitable.
Aggraver la dette pour éviter la faillite ?
L’État du Sénégal a trop emprunté ces dernières années sous l’effet du pétrole et du gaz. Il ne dispose plus de beaucoup de marge de manœuvre pour solliciter d’autres prêts. Le pays ne peut payer une partie de la dette sans augmenter les impôts et/ou faire des coupes budgétaires. Augmenter les impôts dans ce contexte s’avère impensable. Ce qui veut dire qu’en l’absence de mesures solides de réduction des dettes/moratoires sur le remboursement, le Sénégal devra réduire ses dépenses pour payer les intérêts, et cela ne fera qu’empirer la crise.
L’idéal serait même d’augmenter les dépenses pour atténuer la crise ; c’est ce que font les pays occidentaux actuellement. Encore faut-il avoir de l’argent à dépenser. Le régime de Macky Sall est à court d’option. L’annulation de la dette n’est pas réaliste. Il va continuer d’emprunter. Et comme le pays est trop endetté et au bord de la faillite, les prêteurs vont appliquer des taux d’intérêt élevés du fait des risques qu’ils prennent. Ainsi va le surendettement…
Moda Dieng est Professeur agrégé à l’École d’études de conflits de l’Université Saint-Paul à Ottawa, Canada
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
LES DÉGUERPIS
EXCLUSIF SENEPLUS - A part quelques indignations, sans grande portée pratique, je ne vois pas à l’échelle nationale un projet et un contenu politique qui rendent compte des conditions misérables de beaucoup de nos compatriotes - NOTES DE TERRAIN
C’était il y a deux semaines. Je venais de finir trente minutes de méditation guidée. J’avais mal dormi la nuit précédente, et j’avais mal à la tête. J’ai mis de la musique pour mieux lâcher prise. Lucky Dube, Tracy Chapman, Danakil. J’avais encore beaucoup de difficultés pour me concentrer et travailler face à mon écran d’ordinateur. Je suis sorti pour prendre l’air devant la grande fenêtre coulissante du couloir. Le soleil dardait des rayons timides, qui passaient par un petit espace, séparant l’immeuble où j'habite d’une maison en construction. Tout me paraissait calme. Je regardais un bout de ciel traversé par des nuages serrés. Des oiseaux sifflaient un chant monotone.
J’étais dans ma petite bulle. Dans cette présence singulière, dans laquelle on oublie le temps et toutes les pesanteurs de la vie. A l’écart du monde extérieur. Je réfléchissais à des choses vagues. Faisant fi des petits bruits qui venaient du salon. Hors du temps et des hommes, je me laissais bercer par la mélancolie. Je somnolais dans un songe intérieur. Complètement centré sur moi-même. Quelques pulsions tendres m’envahissaient. C’est certainement ça la vraie liberté : se laisser aller, faire fi de la réalité extérieure. Mais la vie, c’est aussi autre chose. Je ne tardais pas à revenir de ce petit voyage intérieur. Happé par la cruelle factualité de l'existence.
Je n’avais pas fait attention à ce qui se passait en face. Le taudis, installé en bas de l'immeuble, était en train d’être démantelé. Des hommes, dont plusieurs portaient des masques, démontaient le bric-à-brac qui servait de logis pour les nombreux habitants déguerpis. Une femme, que je reconnais dans le quartier, portait un enfant sur le dos et tenait un autre gamin par la main. Elle fait partie des occupants. Elle regardait les manœuvres. Comme si elle était chargée de surveiller les va-et-vient, ou qu’elle était responsable de tout ce petit monde. Loin derrière ma baie vitrée, je voyais qu’elle avait une mine déconfite. Il y avait un trouble perceptible dans son attitude. Elle communiquait avec d’autres personnes, que je ne pouvais pas voir de là où je me situais.
Conditions d’existence désastreuses. A ce moment-là, je suis revenu de mes rêveries. De cet état frivole et léger. Tellement de gens se résignent et acceptent un sort cruel dans notre pays. Restent stoïques face à la violence sociale qui leur tombe sur la tête. Alors qu’au même moment d’autres gens profitent et s’emparent des mécanismes d’accumulation de richesse. C'est une problématique que les formations politiques ne prennent plus vraiment en charge, depuis la faillite des mouvements de gauche. A ce sujet, il y a un vrai vide idéologique et intellectuel dans notre pays. A part quelques indignations, sans grande portée pratique, je ne vois pas à l’échelle nationale un projet et un contenu politique qui rendent compte des conditions misérables de beaucoup de nos compatriotes. Et qui donnent des armes d’émancipation à ces nombreuses personnes broyées par l’ordre social.
Ce que je veux dire, c’est que dans notre pays, le présent est pesant pour la majorité et les auspices du futur ne sont pas favorables. Maintenant, comment sortir de ce pétrin ? Les hommes ne s’émancipent jamais seuls. Il faut toujours une construction idéelle et une praxis pour démonter les infrastructures qui établissent la misère. Pour faire advenir un vrai projet de vivre bien. Hélas, au Sénégal, quelles forces politiques ont, aujourd’hui, concrètement élaboré un récit de renversement des inégalités et le déroule ? Qui parle à la communauté des laissés-pour-compte ? Qui va véritablement dialoguer avec les populations ? Qui prodigue des remèdes devant tant d’injustices ?
Actuellement, je n’en vois pas. A part les deux schémas d’indignation et de dénonciation, qui s’adressent principalement au pouvoir politique et à l’Occident, il n’y a pas un diagnostic lucide des conflits sociaux. Aucun parti politique audible ne tient un grand récit, centré sur l’émancipation et le progrès, les deux plus grandes valeurs de l’espoir. En attendant, l’expropriation continue. Et les bras ballants, on observe l’impossibilité d’une existence digne pour beaucoup de nos compatriotes. Où l’on dort tranquillement sans penser au sort écrasant d’une vie réduite. Où l’on donne une bonne éducation à ses enfants. Où l’on n'a pas peur de vivre des lendemains toujours incertains.
Beaucoup de nos concitoyens sont dépossédés d’une grande partie de leur humanité. C’est une réalité flagrante que nous ne pouvons pas ignorer. Sauf à nous enfermer dans une bulle. Le moralisme facile, c’est de toujours s’attaquer à ceux qui dirigent nos pays. Sans jamais faire un inventaire radical. Quelles sont les représentations culturelles qui nous poussent à admettre toutes ces violences dirigées vers les plus faibles ? Pourquoi le sujet collectif ne se fâche jamais devant les développements, sans cesse renouvelés, de la prédation et de la pauvreté ? Pourquoi la richesse nationale disponible ne profite qu’à une infime minorité de la population ? Comment déraciner l’ignorance et l’obscurantisme ? Des questions essentielles, encore en friche.
Le jugement moral est toujours facile. Il s’agit d’aller au-delà. De parler aux femmes et aux hommes, là où ils se trouvent. Ce sont eux les vrais acteurs du changement. C’est un leurre d’appeler à des lendemains meilleurs, sans un changement social radical. Il ne s’agit pas uniquement d'appeler au renouveau politique. On peut s’emporter contre la tyrannie des prédateurs, contre l’impérialisme et le népotisme. Mais pour que les populations prennent conscience de leur destin, il faudra absolument faire une cartographie ample de toutes les forces sociales en interaction, et qui luttent pour le pouvoir. Et remettre, au centre du débat cette idée des conflits d’intérêts entre les groupes sociaux antagoniques. Quels éléments de la société ont intérêt à maintenir le statu quo ? Pourquoi ?
J’ai revu plusieurs fois les personnes déguerpies du taudis. Elles ont occupé un autre terrain nu, juste derrière celui duquel elles ont été expulsées. Elles vivent et dorment désormais à la belle étoile. Elles s’abritent un peu à l’ombre des regards. Dans une précarité saisissante. Les cabanes n’ont pas été réinstallées. Je les vois discuter comme si tout cela était normal. Leurs enfants y ont installé, entre deux arbres, une balançoire. Bientôt, ils seront obligés de quitter les lieux. Sans que personne ne vienne leur annoncer l’évangile de la liberté et de l’émancipation.
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
UN SYNDICAT DE L’AÉRONAUTIQUE TROUVE INÉGALE LA RÉPARTITION DES FONDS
‘’Les premiers pas dans la mise en œuvre de ce plan, dans notre secteur d’activité, posent problème, parce que le partage est terriblement déséquilibré et risque de laisser en rade plusieurs sociétés de la plateforme aéroportuaire’’,soutient le Synpaas
Thiès, 26 avr (APS) - Le Syndicat des personnels des activités aéronautiques du Sénégal (Synpaas) déplore dans un communiqué la répartition ‘’terriblement déséquilibrée’’ des 77 milliards de francs CFA alloués au tourisme et aux transports aériens dans le cadre du Programme de résilience économique et sociale.
‘’Les premiers pas dans la mise en œuvre de ce plan, dans notre secteur d’activité, posent problème (...) parce que le partage est terriblement déséquilibré et risque de laisser en rade plusieurs sociétés de la plateforme aéroportuaire’’, soutient le Synpaas.
Le syndicat salue toutefois les mesures prises par le chef de l’Etat, dans le cadre du Programme de résilience économique et sociale, pour atténuer l’impact de la pandémie de coronavirus sur l’économie sénégalaise, y compris les secteurs du tourisme et des transports aériens.
Quarante-cinq milliards de francs CFA seront affectés au hub d’Air Sénégal en vue de l’‘’opérationnalisation’’ de son plan de développement, selon la clé de répartition des 77 milliards de francs CFA dont le Synpaas dit avoir pris connaissance.
‘’Une enveloppe de 15 milliards de francs CFA sera allouée au crédit hôtelier et touristique, tandis que 12 milliards seront affectés au paiement des hôtels réquisitionnés pour le confinement des cas contacts du Covid-19’’, indique le communiqué.
Cinq milliards de francs CFA sont destinés aux entreprises et agences du portefeuille de l’Etat, selon le texte.
Le Synpaas trouve inéquitable cette répartition des fonds et estime qu’elle va ‘’inéluctablement sonner la mort de plusieurs entreprises du secteur [du tourisme et des transports aériens], et créer les conditions de pertes d’emplois pour des centaines de travailleurs’’.
‘’Au même titre que les hôteliers et la compagnie nationale (Air Sénégal), le gestionnaire et tous les prestataires de l’aéroport vont être impactés avec l’arrêt du trafic’’, avertit le syndicat, soulignant que ‘’l’absence de trafic signifie l’absence de revenus’’.
Il y aura ‘’2,6 millions de passagers de moins au Sénégal en 2020’’, affirme le Synpaas sur la base d’estimations faites par l’Association du transport aérien international, selon lesquelles la reprise du trafic devrait avoir lieu en juillet.
‘’D’ici là, ajoute-t-il, une entreprise comme LAS (Limak-Aibd-Summa), gestionnaire de l’aéroport [Blaise-Diagne], et les autres sociétés ont besoin d’appui et de garantie pour pouvoir assurer les salaires de leurs agents avant un début de rentrée de fonds vers août et septembre’’, affirme le syndicat.
Il laisse entendre, sur la base de ces prévisions, que le montant alloué par l’Etat aux entreprises du tourisme et des transports aériens est insuffisant.
GUY MARIUS SAGNA, LE DON QUICHOTTE DU SÉNÉGAL QUI CROISE LE FER AVEC L’IMPÉRIALISME
C’est en ferraillant contre les déclinaisons de «l’impérialisme» que ce natif de Casamance s’était forgé, ces dernières années, une réputation de militant aguerri, d’insurgé à tout-va, prêt à en découdre pour défendre ses idées
Sputnik France |
Momar Dieng |
Publication 25/04/2020
Au Sénégal, les entreprises françaises reviennent au cœur de l’économie après avoir pâti, sous Abdoulaye Wade, prédécesseur de l’actuel Président, d’une politique de diversification des partenaires. De quoi alimenter le ressentiment des uns et des autres, et notamment de Guy Marius Sagna, héraut de la «lutte contre le néocolonialisme».
Au pays de la Teranga (hospitalité, en wolof), l’avènement du coronavirus ne semble guère avoir arrangé les choses au regard d’un certain ras-le-bol anti-français. Après l’assimilation du virus à un «hôte étranger», en réaction à la provenance française du premier cas importé, le grief a muté vers le néocolonialisme et ne cesse de se propager dans certains milieux politiques et militants, coutumiers des procès intentés à l’ancienne métropole.
Entre-temps, et devant les conséquences de la pandémie sur le tissu économique sénégalais, le gouvernement a décidé de débloquer une aide de près d’un milliard d’euros en faveur des entreprises concernées. Depuis, c’est la queue au portillon des ministères pour être éligible à l’aide gouvernementale.
Bien que dérisoire, l’éligibilité à cette aide devrait se faire en fonction de certains autres critères, plaide le Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP/ France Dégage). Un véritable tri, selon Guy Marius Sagna, son emblématique leader, qui s’est confié à Sputnik, devrait alors se faire, pour privilégier le capital national. Le tout sans compter le fait que les entreprises bénéficiaires de l’aide doivent opérer aussi bien dans le secteur formel qu’informel, «avec un respect total de la réglementation et des droits des travailleurs. Pour nous, ces éléments sont importants», proclame-t-il.
Un militant aguerri
Les entreprises étrangères qui exercent des activités au Sénégal sont nombreuses. Elles sont marocaines, turques, chinoises, indiennes. Mais les plus puissantes d’entre elles sont d’origine française et fonctionnent le plus souvent comme des entités de droit sénégalais. Une posture qui les place au même niveau que les entreprises locales.
Sur le principe, rien n’empêche que ces différentes sociétés puissent être concernées par l’aide que l’État du Sénégal entend apporter aux entités économiques impactées par la crise sanitaire du Covid-19, selon le Programme de résilience économique et sociale (PRES) décidé par le Président de la République Macky Sall. D’un autre côté, rien n’est dit que les puissantes (et donc les plus résistantes) d’entre elles réclament effectivement leur part d’une aide réservée aux plus affectées. Celle-ci pourrait, d’ailleurs, s’avérer bien dérisoire vu le grand nombre d’entreprises éligibles. Qu’importe, puisque l’attribution de ce soutien gouvernemental ne semble être, pour Guy Marius Sagna, qu’un énième casus belli pour enfourcher son vieux cheval de bataille.
C’est en ferraillant contre les déclinaisons de «l’impérialisme» que ce natif de Casamance s’était forgé, ces dernières années, une réputation de militant aguerri, d’insurgé à tout-va, prêt à en découdre pour défendre ses idées.
Opposant le plus assidu des prisons sénégalaises, il quittait, le 4 mars dernier, le Camp pénal de Liberté VI à Dakar, après trois mois de détention provisoire. Il a été écroué, le 29 novembre 2019, après avoir pris part à une manifestation interdite contre la hausse du prix de l’électricité… et s’être agrippé aux grilles du Palais présidentiel. Une allégorie, sans doute, de la lutte, bec et ongles, qu’il mène sur tous les champs de batailles ?
Mais la défense de la souveraineté économique de son pays contre de présumées «ingérences» et autres manifestations de «néocolonialisme économique» demeure son combat de prédilection, et le bâton de pèlerin qu’il a repris sitôt libéré de prison.
Pour autant, il ne fait pas de la France son Delenda Carthago, nonobstant le nom donné au collectif créé en 2017 et dont il est l’un des leaders les plus médiatiques. Son objectif est simplement de défendre les intérêts fondamentaux de son pays et de l’Afrique.
«En réalité, nous luttons contre le néocolonialisme, l’impérialisme. Tous les impérialismes. Parmi ces impérialismes, il y a des magasins de grande distribution, il y a un opérateur qui contrôle la téléphonie sénégalaise, un autre l’eau sénégalaise. Dans une telle situation, l’aide de l’État du Sénégal doit aller aux entreprises sénégalaises. Il n’est même pas possible d’en faire bénéficier des entreprises africaines en l’absence d’un gouvernement fédéral africain», rétorque Guy Marius Sagna.
Pour une «taxe Covid» sur les multinationales
Il s’oppose à la socialisation des aides car, dit-il, «nous allons assister à une privatisation des bénéfices qui vont aller aux bourgeois capitalistes des pays de la Triade. C’est pourquoi, qu’elles soient françaises, états-uniennes, allemandes… elles doivent être écartées, toutes. Mieux, le FRAPP propose une taxe Covid-19 appliquée aux entreprises impérialistes qui ont bénéficié de contrats importants».
Réfutant toute fixation aveugle sur les entreprises hexagonales, le leader de «Frapp/France Dégage» précise : «Le FRAPP n’a aucun problème avec les entreprises françaises en particulier. Il a un problème avec les multinationales qui sont des instruments du capitalisme et donc de l’impérialisme qui est le cancer qui ronge l’Afrique. Nous ne cherchons pas à quitter un impérialisme pour rejoindre un autre impérialisme.»
«Nous ne cherchons pas à faire dégager l’armée française de l’Afrique pour accepter la présence d’Africom, compare-t-il. Ainsi en est-il également sur le plan économique. Il est plus que temps que nos dirigeants identifient les entreprises appartenant à des Sénégalais et créées avec des capitaux sénégalais.»
La bonne représentation des entreprises françaises au Sénégal est une constante dans l’économie locale. La politique de diversification des partenariats menée par l’ancien Président Abdoulaye Wade a consolidé la présence chinoise et facilité l’émergence d’autres alliés, asiatiques en particulier. Selon Christophe Bigot, ancien ambassadeur de France à Dakar, cette diversification a eu pour effet de faire baisser la part de marché des entreprises françaises au Sénégal de 25% à 15% entre 2006 et 2016 (de 24,3% à 15,9%, selon le site Africa Check se basant sur les données de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Depuis, les grands projets d’infrastructure lancés par le Président Macky Sall ont remis la France au centre des enjeux économiques et financiers sénégalais.
Un officiel sénégalais, qui a requis l’anonymat, considère qu’il y a clairement un basculement du régime sénégalais vers la France.
«Bolloré, qui a connu des déboires avec Abdoulaye Wade, règne désormais en maître au port de Dakar après avoir racheté en partie son concurrent… français Necotrans. Suez vient juste de prendre la place de la Sénégalaise des eaux (SDE) pour la distribution de l’eau. Total a eu certes tardivement sa part du gâteau des découvertes pétrogazières mais elle l’a eue quand même, provoquant au passage la démission du ministre des Énergies.»
Il poursuit, citant encore le méga-contrat du Train express régional (TER) remporté par le trio Alstom-Thales-Engie prévu pour relier Dakar à l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD), le projet d’Omnibus entre la capitale et la banlieue confié au duo SNCF-RATP pour démontrer que «la France est bel bien au cœur de notre économie».
Le basculement de Macky Sall
Avec une main-d’œuvre locale bien présente dans ces divers chantiers, les entreprises françaises peuvent se prévaloir d’une certaine participation au bien-être des Sénégalais. En effet, «les filiales de sociétés françaises et entités de droit sénégalais détenues par des ressortissants français représentent plus du quart du PIB et des recettes fiscales au Sénégal. Selon les dernières estimations, il existerait plus de 250 entreprises françaises présentes dans le pays, qui emploieraient plus de 30.000 personnes. La présence française concerne tous les secteurs d’activité», peut-on lire sur le site de l’ambassade de France au Sénégal.
Mais il en faut plus pour en convaincre Guy Marius Sagna et son constat est amer : «Le plus important n’est pas que ces entreprises emploient ou pas un personnel sénégalais ou africain. Dans leur propre pays, sur leur propre continent, les sociétés africaines sont concurrencées, elles sont perdantes. À l’extérieur, elles sont inexistantes.» La faute exclusivement à «l’impérialisme» ?
"TOUT NOUS RAMÈNE À L’ÈRE KARIM WADE"
La sortie du président sur l’affaire de la distribution du marché de riz est une «façon d’évacuer le scandale du coronagate». Mais au-delà, estime Fatou Blondin Ndiaye Diop, «attribuer autant de responsabilités à son beau-frère rappelle le cas Karim Wade»
La sortie du président de la République sur l’affaire de la distribution du marché de riz est une «façon d’évacuer le scandale du coronagate». Mais au-delà, estime Fatou Blondin Ndiaye Diop, «attribuer autant de responsabilités à son beau-frère rappelle le cas Karim Wade». Par ailleurs, la coordonnatrice du mouvement Aar li ñu bokk prend position en faveur d’un confinement pour endiguer la pandémie du Covid-19.
Le confinement est incontournable pour endiguer la propagation du Covid-19, selon le Président Macky Sall. Peut-on vraiment adopter cette mesure au Sénégal avec nos réalités socio-économiques ?
Nous allons très certainement vers le confinement des communes où les cas communautaires croissent à grande vitesse. Nous n’avons pas imposé le port de masque en son temps. Et maintenant que c’est fait, nous n’en disposons pas en quantité suffisante et aux normes certifiées. Nous n’avons pas non plus assez de tests rapides pour isoler les populations en fonction de leur statut sérologique : testés négatifs, porteurs sains et malades à suivre. Alors, la seule issue, si la courbe d’infections continue de monter, sera le confinement. Les conséquences économiques et sociales seront catastrophiques. Elles méritent que le gouvernement et les citoyens s’y préparent, mais on n’aura pas le choix.
Pour Macky Sall, le débat autour de l’attribution des marchés de vivres qui implique son beau-frère, Mansour Faye, est un débat au ras des pâquerettes. Est-ce votre avis ?
C’est une façon d’évacuer le scandale du coronagate. Premièrement, attribuer autant de responsabilités à son beau-frère nous rappelle le cas Karim Wade. Deuxièmement, tout porte à croire que les attributions se sont opérées très rapidement, dans l’opacité et sans respecter les règles en vigueur. Aujourd’hui, notre inquiétude se porte sur la distribution. Le ministre du Développement communautaire, de l’équité sociale et territoriale a l’air d’avoir l’onction du Président Macky Sall dans ses agissements. Si tel est le cas, le Peuple qui aura beaucoup souffert de cette pandémie s’en souviendra. Ils rendront des comptes d’une façon ou d’une autre.
Etes-vous de ceux qui redoutent le syndrome Karim Wade avec la gestion des fonds de l’Anoci ?
Tout nous ramène à l’ère Karim Wade : le népotisme, la multiplicité des casquettes pour tout ce qui va en direction de la demande sociale. Tout porte à croire qu’on lui trace le chemin de la succession. Mais les Sénégalais décideront in fine de leur avenir.
Etes-vous rassurée quant à une gestion transparente du Force-Covid-19 après la nomination du Général François Ndiaye à la tête du Comité de suivi ?
Je note d’abord le retard dans sa création et surtout après avoir passé les marchés des denrées alimentaires. Je note aussi la composition qui montre le souci de gérer les équilibres plus que le contrôle de la gestion efficace des fonds. On attend le plan d’action au sommet et à la base. Les arguments de Mansour Faye, lors de sa conférence de presse, éclipsaient le fond de l’interpellation des journalistes sur l’achat et le transport du riz. C’était la surprise générale des majeurs du domaine du transport, de la vente de riz, de voir tout d’un coup des acteurs sortir pour gagner ces marchés à coup de milliards. Alors qu’un petit tour au ministère du Commerce aurait permis de savoir que ce n’étaient pas des acteurs majeurs. Et quant à Diop Sy, d’aucuns supputent que sa société n’existerait plus. Donc, c’était ça le fond de la question. Et sa réponse était plutôt autour de «nous avons fait un appel d’offres», alors que déjà les transporteurs lui avaient dit qu’ils étaient disposés à transporter gratuitement. Donc il préfère répéter qu’un appel d’offres a été lancé, qu’ils ont choisi les moins chers, etc. Il ne rentre pas dans le fond du sujet, à savoir que ces entreprises qui ont gagné ces marchés n’étaient pas connues dans le domaine des marchés en question. En plus, les montants étant très élevés, tout le monde s’attendait, dans le cadre d’une offre de gratuité, que le gouvernement s’en saisisse et qu’on vienne apporter un certain soutien à un secteur national qui sera très certainement durement touché par la crise. Pour moi, le ministre est passé à côté.
par l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
LES PROPHÈTES DE LA DISRUPTION
EXCLUSIF SENEPLUS - Comment prétendre à un nouvel ordre en quémandant l’annulation de sa dette auprès de ceux qu’on rêve chimériquement de dépasser ? Le miracle post-covid tant rêvé ne sera que mirage
Serigne Saliou Guèye de SenePlus |
Publication 24/04/2020
En moins de cinq mois, le Sars-Cov2, qui est à l’origine du Covid-19, a réussi à neutraliser la planète toute entière obligeant plus de trois milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, au confinement. Les pays que l’on croyait au summum de leur puissance sanitaire sont aujourd’hui les plus affectés par le virus. La Chine, premier épicentre de la pandémie au coronavirus, a souffert le martyre avec à la clé près de 70 mille cas de contamination et 4 642 morts même si de sérieux doutes planent sur l’authenticité des chiffres officiels publiés par les autorités du pays de Mao. Ensuite, l’axe s’est déplacé en Europe où les premières puissances économiques (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et l’Espagne) sont les plus touchées par le Covid-19. Espagne, plus 200 mille cas de contamination avec plus de 22 mille morts, Italie plus de 190 mille avec plus de 25 mille morts, l’Allemagne plus de 150 mille contaminés avec plus 5000 décès, le Royaume-Uni plus de 135 mille contaminés et plus de 18 mille morts et la France plus de 120 mille contaminés et plus 21 mille pertes en vies humaines. Aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis, première puissance économique et militaire du monde qui occupent la première place dans le hit-parade des pays infectés par le Sars-Cov2. Plus de 860 mille contaminés avec plus de 48 mille décès au moment de la rédaction de cet article. Aujourd’hui, les fondations de l’économie américaine commencent sérieusement à être ébranlées tant et si bien que le président Trump veut la cessation du confinement et un redémarrage de la machine économique. Mais il se heurte au mur de résistance de certains gouverneurs d’Etat démocrates qui ne veulent pas exposer leurs populations davantage à la contagion rapide au coronavirus.
La Chine, leader d’un nouveau monde
Aujourd’hui, la pandémie a mis à nu la fragilité et la vulnérabilité du système sanitaire de ces puissances qui, paradoxalement, comptent sur la Chine pour se ravitailler en logistiques et consommables médicaux. En véritable patronne du monde, l’Empire du Milieu est en train de bouleverser le monde en se comportant en superpuissance salvatrice. La Chine qui envoie des équipes et équipements médicaux en Europe et aux Etats-Unis, c’est là un signe d’un nouvel ordre mondial entre puissances occidentale et asiatique. Au moment où les USA accusent la Chine de n’avoir pas donné les vraies informations sur cette maladie qui s’est manifestée pour la première fois à Wuhan dans la province de Hubei, le pays de Mao rassérène et se montre en leader, philanthrope et sauveur du monde de cette pandémie qui a terrassé les grandes puissances occidentales. « Nous sommes vraiment dans le même bateau. Nous devons donc travailler ensemble en tant que partenaires pour combattre le virus, pour restaurer la situation normale de l'économie, pour reconstruire la confiance de la population en l'économie planétaire, et pour construire la capacité de répondre à toutes les crises de ce type », a déclaré l’ambassadeur de Chine aux Etats-Unis, Cui Tiankai après les jérémiades d’un Trump irascible. En mi-mars au moment où la crise sanitaire n’avait pas encore pris des proportions alarmantes au pays de l’Oncle Sam, la Fondation du milliardaire Jack Ma offrait 500 000 kits et un million de masques au gouvernement américain. Et les mêmes aides « humanitaires » ont été déployées pour le Japon, la Corée, l'Italie, l'Iran, la France, l'Espagne et aux 54 pays africains. L’hégémonie chinoise devient une réalité.
Tout cela s’inscrit dans le cadre de l'initiative chinoise Belt and Road (BRI), appelée la Nouvelle route de la soie, un des projets d'infrastructure les plus ambitieux jamais conçus par le président Xi Jinping. Ce projet pharaonique estimé à 1.200 milliards de dollars dans les sept années à venir, s'étend de l'Asie de l'Est à l'Europe et élargirait considérablement l'influence économique et politique de la Chine. Mais il faut souligner que les ambitions dominatrices de l’Empire du Milieu ont véritablement été déclinées par le président Deng Xiaoping depuis 1978 avec ses réformes économiques libérales dans une Chine d’idéologie communiste et sa politique nataliste. Aussi est-il permis aux Chinois de revendiquer un nouvel ordre économique mondial post-covid parce qu’ils ont réussi lors de cette crise sanitaire à éclipser la suprématie de l’Occident assise depuis la fin de la deuxième conflagration mondiale et à s’imposer en sauveurs du monde.
Basculement illusoire
Mais la crise sanitaire que vivent les pays africains avec moins de désastre humain et non humanitaire ne doit pas autoriser certains intellectuels et politiques prétentieux du continent à vouloir vaticiner un nouveau bouleversement mondial. C’est dans cette optique que le président Macky Sall, dans un texte kilométrique et soporifique paru dans le journal d’Etat, le Soleil, a parlé de « l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui met l’humain et l’humanité au cœur des relations internationales ». Pour lui, « il est temps de considérer les questions de santé publique au même titre que la paix, la sécurité, l’environnement, la lutte contre le terrorisme et autres criminalités transfrontalières ». C’est un aveu d’échec de savoir seulement en cette période de crise sanitaire que la santé est un pilier fondamental pour le développement d’un pays. Jamais la santé n’a été la priorité de nos gouvernants. Sur un budget national de 4 000 milliards de francs CFA, la santé ne se retrouve qu’avec la portion congrue de 200 milliards. Ce qui représente 5 à 6 % du budget. Alors que la norme est au moins à 15 %. Après 60 ans d’indépendance, notre pays totalise 14 régions médicales, 76 districts sanitaires, 10 hôpitaux départementaux, 13 hôpitaux régionaux, 12 hôpitaux nationaux, 101 centres de santé, 1380 postes de santé et 2227 cases de santé. Et il faut préciser que les trois centres hospitaliers de référence en matière de soins qualitatifs et de recherches que sont l’Hôpital Principal de Dakar, l’Hôpital Aristide Le Dantec et le Centre hospitalier national universitaire de Fann sont construits respectivement en 1886, 1912, 1956, donc bien avant l’indépendance en 1960.
Et selon l’annuaire des statistiques sanitaires et sociales du Sénégal 2016, les ressources humaines de la santé (y compris l’hygiène) sont au nombre de 14 253 agents dont 267 médecins généralistes, 91 gynécologues, 37 chirurgiens généralistes, 120 chirurgiens-dentistes, 79 autres chirurgiens, 84 pédiatres, 56 cardiologues, 49 anesthésistes réanimateurs, 1524 sages-femmes d’Etat, 1445 infirmiers d’Etat et 1404 pour le personnel administratif. Et ce chiffre n’a probablement que peu évolué en trois ans. Pourtant, c’est en 1916 que fut créée l’Ecole Africaine de Médecine et de Pharmacie de Dakar. Et c’est le 24 février 1957 qu’est fondée officiellement l’université de Dakar dans laquelle est intégrée l’Ecole de Médecine. C’est dire qu’aucun des quatre présidents du Sénégal, depuis les indépendances, n’a réussi à construire un hôpital de haut niveau comparable à ceux susnommés. En effet, la construction d’infrastructures de qualité pour le bien-être des populations n’a jamais été une priorité dans leurs choix et programmes politiques. Pour preuve, les hommes politiques et autres Sénégalais au portefeuille lourd préfèrent faire leurs check-up et autres soins dans les hôpitaux modernes occidentaux. Et leurs femmes, pour donner naissance, prisent plus leurs cliniques super-équipées que les nôtres.
Alors, que ces prophètes de la disruption avec en premier le président de la République, Macky Sall, cessent de rêver d’un éventuel nouvel ordre mondial teinté d’irréalisme au lendemain de la disparition du Covid-19. La Chine n’a pas attendu la crise sanitaire d’aujourd’hui pour renverser la domination occidentale. Il appert, comme l’a déclaré le docteur et maitre de conférences, Murat Yesiltas, directeur des Etudes sécuritaires au think-tank SETA, basé à Ankara, que « toutes les grandes guerres ont engendré un nouvel équilibre dans le partage des puissances courantes. Après chaque guerre, l’ordre mondial se forme sur un nouveau paradigme. Et pour qu’un nouvel ordre mondial apparaisse après le coronavirus, il faut que la pandémie engendre un changement dans l’équilibre actuel des puissances, et qu’en parallèle, la structure économique, ainsi que le ou les acteurs qui contrôlent cette structure, réalisent des aménagements structurels pouvant causer un changement dans les mécanismes de fonctionnement du système et forment de nouveaux régimes mondiaux sur l’axe de nouvelles normes ». Sauf que nous ne sommes pas en guerre comme aiment naïvement claironner le président, certains hommes politiques et journalistes panurgistes. Nous sommes simplement en crise sanitaire qui teste notre capacité de résilience devant une pandémie qui ne nous a point surpris. Nous sommes simplement en crise sanitaire qui requiert des prises de décision courageuses et lucides et non le colportage populiste d’un lexique martialisé inapproprié qui veut faire la promotion d’un général sans cicatrices ou blessures de guerre.
Aujourd’hui les data des paramètres des puissances actuelles économiques et militaires sont assez édifiantes pour dire avec force qu’il n’y aura pas ce big-bang dont rêvent nos illusionnistes disrupteurs. C’est donc dire qu’il n’y aura pas ce grand chamboulement dans l’ordonnancement des rôles actuels.
La mauvaise passe sanitaire et économique que traversent les puissances occidentales, qui semblent être impuissantes devant le Sars-Cov2, a réveillé, chez les peuples africains non encore dévastés par la pandémie, la conscience d’une intro-puissance endormie qu’il faille fouetter pour être au-devant de ce nouvel ordre mondial inéluctable tant rêvé. Pour nos prophètes du Grand Soir africain, après le Covid-19, commencera la grande disruption et s’amorcera le grand basculement. Il y aura une redistribution des cartes. Mais qu’on ne se leurre pas. Rien ne changera dans nos "Républiquettes" en particulier au Sénégal ! Il n’y a aucune conscience, ni une volonté politique de bâtir autrement notre pays en arrimant toute sa politique monétaire et ses choix économiques à la métropole. Déjà, le parfum de corruption qui fleure l’attribution non transparente des marchés afférent à l’appui alimentaire de l’Etat en direction des ménages vulnérables est une preuve de notre récalcitrance indécrottable aux vertus de bonne gouvernance, condition sine qua non pour amorcer un nouveau virage.
Comment peut-on vouloir changer les colonnes de l’ordre mondial en quémandant l’annulation de sa dette auprès de ses créanciers qu’on rêve chimériquement d’égaler ou de dépasser ? Les rapports de force entre les Etats sont déterminés par leurs puissances économique, militaire, politique et démographique. Et en dépit de la persistance de la crise sanitaire assortie du fléchissement de ces grandes puissances qui n’est pas synonyme d’impuissance mais précurseur d’un nouveau départ, les propriétés sus-évoquées de ces Etats demeurent toujours intactes. Alors, d’où viendrait le grand basculement tant annoncé par les prophètes de la disruption ?
Nonobstant l’ampleur de la crise sanitaire, on se rendra compte que nos gouvernants n’ont pas de TINA (There is no alternative) comme disait la défunte Première ministre anglaise, Margaret Thatcher. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas d'alternative, voire d’initiative pour amorcer un nouveau départ. Le miracle post-covid tant rêvé ne sera que mirage. La lueur ne sera que leurre.
Observons la sémantique qui nous a fait évoluer de « Force Covid19 » à « Fonds Force Covid19 » puis vers un inquiétant « Comité de suivi des Fonds de la Force Covid 19 ». Que de monde ! Quelle chaîne d’irresponsabilités !
Il flotte dans notre atmosphère, ici au Sénégal, un « je-ne-sais-quoi », une sensation d’un « presque-rien », qui appelle à prendre et du recul et de la hauteur, vis-à-vis du torrent tumultueux d’informations, qu’elles soient approximatives, péremptoires ou définitives, que nous recevons, absorbons, comprenons, ou pas, sur cette pandémie mondiale du Covid-19, appelée Coronavirus partout, sauf dans notre pays où nous l’avons baptisée, histoire de la minimiser, « CORONA ». « VIRUS » est en option. C’est facultatif… Alors que « CORONA » a un côté primesautier, qui pourrait être une danse, ou le surnom d’un copain. « Corona », ça s’apprivoise… « Virus », ça trimballe une sonorité honteuse pour nos augustes personnes forcément admirées par la terre entière, ringardisée par notre punchline nationaliste « Fi Sénégal la », dès qu’on évoque un tant soit peu, l’idée même de normalité. « Virus », c’est bon pour ces peuples qui n’ont même pas des Saints protecteurs, capables de faire leurs prières sur des océans démontés, qui ont construit des villes scintillantes et propres, abritant les plus grosses fortunes du monde, qui nous attirent au point de nous faire braver les océans et déserts les plus dangereux, et qui à cause d’un truc plus petit qu’un moustique, décèdent par centaines de milliers, et mettent des millions de gens au chômage. C’est grâce à ce « je-ne-sais-quoi » et à ce « presque rien », que notre exceptionnalité sénégalaise permet de dissocier « Corona » et « Virus ».
De là naissent alors tous les problèmes de compréhension de cette situation inédite provoquée par le Coronavirus, incompréhensions qui ont pour effet, par exemple, de fêter le retour de quarantaine de personnes accueillies au seuil de leurs maisons comme Sadio Mané de retour d’une CAN victorieuse, ce qui n’est pas recommandé en guise de respect de la distanciation sociale. Ou alors quand les chauffeurs de taxis et leurs passagers mettent leurs masques juste à la vue d’un policier, par peur du gendarme et non du Corona. En fait, on a du mal à y croire, à cette prétendue pandémie qui ne fait que sept morts chez nous, singularité qui vient nous conforter dans l’idée, que déjà rescapés de la sélection naturelle que nous imposent un environnement et un système hospitalier mortifères, on n’allait pas se laisser abattre par un truc invisible, qui ne va tout de même pas se mesurer aux nids de microbes, bactéries et virus qui se pavanent allègres, dans une indifférence générale, à travers nos rues, nos canaux et nos marchés. Alors on danse…
Si en plus notre « compatriote » chercheur et sauveur Raoult affirme que ce virus va non seulement disparaître de lui-même dès les grosses chaleurs, ce qui semble se dessiner en France où il peine à trouver corps à infecter de nouveau, et si comme le divulgue notre Saint Raoult de la Blanche Chloroquine, son remède soigne des malades comme ils le sont bien d’ailleurs au Sénégal, et que nos esprits l’associent à notre bonne nivaquine, dont nos organismes de paludéens chroniques seraient imbibés, alors oui, rajoutés à notre solidité présumée historique de rescapés de la sélection naturelle, il ne pourra rien nous arriver de fâcheux. On a donc du mal à y croire… Tout ce chaos s’évaporera dans 6 semaines, se dit-on.
Les interrogations qui nous viennent à l’esprit suggèrent de la vigilance citoyenne. Quelles informations, le cas échéant, auraient nos gouvernants pour valider une telle issue positive, et en fait, « faire comme si »…le désastre était toujours imminent ? 1000 milliards mobilisés et déjà distribués en partie dans une certaine cacophonie, les versements prochains du FMI, de la Banque mondiale, de l’UE, de la BCEAO, de la BAD, de la BOAD, la liste est non exhaustive, ont mis à la disposition de notre pays et de son gouvernement un énorme trésor de guerre pour lutter contre une pandémie qui a fait perdre la vie à…7 personnes. Cette manne tombée de la peur du virus, à laquelle il faudra rajouter les effets de l’annulation de nos dettes, que va-t-on en faire si d’aventure, toute cette paranoïa du Covid-19 faisait « pschitt » ? Et si ils faisaient comme si… Vigilance donc. Observons la sémantique qui nous a fait évoluer de « Force Covid19 » à « Fonds Force Covid19 » puis vers un inquiétant « Comité de suivi des Fonds de la Force Covid 19 ». Que de monde ! Quelle chaîne d’irresponsabilités ! C’est vrai qu’il était devenu urgent de poser un faux-nez aux images d’un ministre dégoulinant de sueur à l’évocation d’une possible évaporation de milliards de francs dans des marchés de transports de riz. Il a été utile de nommer un Général pour mettre de l’ordre à tout ça, ce qui faisait un peu vaciller le plan de secours proposé aux institutions financières internationales, qui voyaient déjà ces milliards finir en piscines, villas et 4x4 rutilants.
Vigilance donc. Et pourquoi ne pas associer la presse et ses instances comme le CNRA, le Synpics ou le CDEPS, à ce comité de suivi d’ailleurs, car en plus d’éviter les bourdes qui désinforment nos populations, elle pourrait diffuser les bonnes informations, tout en jouant le rôle d’un regard sous lequel ils ne pourront pas forcément tout faire et n’importe comment.
Car si ce scénario favorable se dessine et prospère, et que la réalité rencontre la décrue du virus, ce trésor de guerre devra alors servir à autre chose qu’à trouver du gel hydro-alcoolique, des masques, soigner et acheter des respirateurs en urgence. Ce trésor mis à la disposition de nos gouvernants devra être orienté avec le contrôle de nos citoyens et aussi des bailleurs, vers ce qui devrait nous mettre à l’abri d’un futur tsunami sanitaire, sachant que ce virus qui affole la planète sera alors devenu saisonnier, mais aussi servir à la reconstruction de tout notre système sanitaire dont nos gouvernants ne connaissaient point les contours, puisqu’allant se faire soigner la moindre grippe en Europe. Ces milliards pourraient-ils être orientés vers l’amélioration de notre plateau technico-médical, vers de la formation, vers la recherche scientifique, l’éducation, l’assainissement, l’hygiène, le renforcement des secteurs productifs pour notre économie en dépendance, pour notre agriculture et la consolidation de notre tissu économique, notamment nos PMI et PME, sans oublier l’éducation, pour être au sortir de cette crise en situation de réécrire notre histoire, ou au moins de nous insérer avec fierté et puissance créatrice dans l’histoire du monde nouveau qui s’ouvre devant nous et qui va être celui dans lequel évoluera notre jeunesse. Entre le Coronavirus qui nous guette et le monde qui nous observe en cas de sa disparition temporaire, notre citoyenneté doit être toute en vigilance et en exigences de salut. Pour une émergence qui ne serait pas qu’un slogan de campagne abscons.
Si ça, ce n’est pas un programme politique d’un grand homme d’Etat, c’est qu’on est définitivement confiné dans la malédiction dans laquelle nos irresponsabilités prennent leurs aises et prospèrent.
SUR LA PISTE DE LA "PANGOLIN CONNECTION"
Le paisible animal des forêts tropicales et des savanes, suspecté d’être un acteur de la pandémie du coronavirus, fait l’objet d’un commerce illégal et fructueux organisé par des syndicats du crime
Le Monde |
Laurence Caramel , Marie-Béatrice Baudet et Youenn Gourlay |
Publication 24/04/2020
Le paisible animal des forêts tropicales et des savanes, suspecté d’être un acteur de la pandémie, fait l’objet d’un commerce illégal et fructueux organisé par des syndicats du crime.
Lui qui aime tant vivre la nuit, le voilà en pleine lumière. Paisible quadrupède des forêts tropicales et des savanes, le pangolin est devenu l’objet de toutes les attentions. Le petit mammifère édenté est soupçonné d’être l’un des acteurs majeurs de la pandémie de Covid-19 qui a déjà tué près de 160 000 personnes dans le monde en quatre mois à peine. Comme la chauve-souris, le fourmilier dont la démarche rappelle celle du bossu de Notre-Dame, est porteur d’un coronavirus proche du SARS-CoV-2, à la source de la crise sanitaire qui a stoppé net la planète.
Le « perceur de montagnes »
Se retrouver à la « une » des journaux ? Pauvre bête, il n’en demandait pas tant. Peu lui importe d’être un sans-grade. Son physique ingrat ne lui permet pas de faire de l’ombre au panda, emblème du Fonds mondial pour la nature (WWF) et grand favori des enfants, avant l’éléphant, la girafe et le rhinocéros. Le pangolin préfère rester discret et se plaît à la solitude. Son seul titre de gloire est d’être l’unique mammifère au monde recouvert d’écailles. Ses techniques de chasse suscitent l’admiration. Friand de termites et de fourmis, l’animal étire son interminable langue gluante pour les attraper mais il agit aussi avec malice. Après avoir pénétré fourmilières et termitières grâce à ses griffes puissantes – les Chinois le surnomment le « perceur de montagnes » –, il soulève ses écailles puis les referme comme des persiennes, une fois les insectes pris au piège. Son dos lui fait office de garde-manger, en somme.
Qui savait tout cela il y a encore quelques mois ? Rares étaient les scientifiques à s’intéresser aux huit espèces de pangolin recensées dans le monde, quatre en Afrique et quatre en Asie. Quand on évoquait ce drôle d’animal présent sur terre depuis des millions d’années, c’était plutôt pour s’en moquer. Dans son Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis publié en 1985 (Seuil), Pierre Desproges écrit que « le pangolin ressemble à un artichaut à l’envers, prolongé d’une queue à la vue de laquelle on se prend à penser que le ridicule ne tue plus ».
« Un seul coupable, l’homme »
Mais alors, pourquoi et comment expliquer que ce fourmilier taciturne soit aujourd’hui sous les feux de la rampe ? « Un seul coupable, l’homme », répond sans hésiter le biologiste Gilles Bœuf. « Bien sûr que c’est nous », confirme Didier Sicard, professeur de médecine et spécialiste des maladies infectieuses. A l’instar du Covid-19, 75 % des maladies nouvelles qui affectent aujourd’hui les humains sont des zoonoses, c’est-à-dire des pathologies transmises par les animaux, rappellent les deux scientifiques.
« Notre total irrespect pour la faune et la flore conduit à réunir dans des conditions sanitaires scandaleuses des animaux vivants qui en principe ne se côtoient pas », s’insurge Gilles Bœuf, professeur invité au Collège de France. « Pensez par exemple à ces marchés asiatiques comme celui de Wuhan, la métropole chinoise d’où serait partie la pandémie. On y croise des civettes, des serpents, des crocodiles, des cygnes, des ânes, des chiens et, sous le manteau, des espèces interdites de vente comme les pangolins, notamment », décrit, tout aussi exaspéré, Didier Sicard, membre du conseil d’administration de l’Institut Pasteur du Laos, pays où il a vécu pendant plusieurs années. Cette promiscuité marchande forcée facilite les échanges de gènes de virus entre voisins de cage et multiplie les dangers d’infection.
L’homme joue depuis longtemps avec le feu, en réalité. La déforestation à marche forcée chasse les espèces sauvages de leurs habitats naturels. Les animaux approchent des villages et les écosystèmes vacillent. Quand les forestiers coupent les arbres, les moustiques familiers de la canopée volent plus près du sol et piquent davantage les intrus. Le pangolin n’échappe pas à cette frénésie de développement mais il détient aussi un triste record : il est le mammifère le plus braconné au monde. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), un pangolin est retiré de la vie sauvage toutes les cinq minutes. « Ce commerce illégal progresse à une vitesse alarmante et engendre des profits très importants », juge Paul Stanfield, directeur de la criminalité organisée et émergente à Interpol.
Sa chair est considérée comme un mets de choix en Afrique et en Asie, mais surtout ses écailles seraient parées des plus grandes vertus thérapeutiques, à en croire la médecine traditionnelle chinoise
Loin d’être de vulgaires amateurs, les trafiquants appartiennent à des réseaux mafieux également impliqués dans le commerce illicite d’armes, de drogue, d’ivoire ou d’êtres humains, bref de tout ce qui peut rapporter gros. Or, le fourmilier attise les convoitises. Sa chair fondante et peu grasse est considérée comme un mets de choix en Afrique et en Asie, mais surtout ses écailles seraient parées des plus grandes vertus thérapeutiques, à en croire la médecine traditionnelle chinoise.
Dans un article publié fin 2019 dans Pangolins. Science, Society and Conservation (Elsevier, non traduit), Shuang Xing, de l’université de Hongkong, et ses coauteurs font remonter au VIe siècle la première référence aux propriétés médicinales de l’animal qui, à l’époque, auraient apaisé les piqûres de fourmi. Le mammifère rejoint la bibliothèque impériale de la médecine traditionnelle deux siècles plus tard pour ses capacités à stimuler la lactation, traiter l’infertilité ou fluidifier le sang.
Ces attributs sont toujours présents dans la nomenclature officielle validée par Pékin, auxquels se sont ajoutés, parmi beaucoup d’autres, le traitement du cancer des ovaires et celui du sein, la lutte contre la maladie de Parkinson, l’anorexie et les hémorroïdes. Comment renoncer à des croyances transmises depuis si longtemps ? « Ces hypothèses sont grotesques, conteste avec virulence Gilles Bœuf. Comme les cornes de rhinocéros et nos propres ongles, il n’y a que de la kératine dans ces écailles. »
Avant de figurer au tableau d’honneur du trafic des espèces, le mammifère a d’abord emprunté les routes officielles du commerce mondial afin d’alimenter les tanneries américaines et mexicaines productrices de sacs à main, de bottes de cow-boy et de ceinturons. Le filon exploité par l’Indonésie, la Thaïlande ou la Malaisie prit fin dans les années 1990. A partir de cette date, la Chine, qui avait d’abord puisé – jusqu’à les faire pratiquement disparaître – dans ses propres spécimens, est devenue le principal client d’un commerce de plus en plus souterrain. L’animal n’est plus seulement convoité pour la qualité de sa peau mais pour ses soi-disant bienfaits médicinaux.
L’hécatombe se traduit dans les statistiques douanières que traquent, tels des enquêteurs sur la piste de criminels, les scientifiques chargés d’éclairer les débats de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). Cette enceinte créée en 1975, et où siègent plus de 180 pays, a le pouvoir d’interdire un commerce lorsque la survie d’une espèce est en jeu. Entre 1975 et 2000, 776 000 pangolins asiatiques ont été officiellement exportés. Mais les chercheurs estiment qu’une quantité comparable a été prélevée dans la nature pour satisfaire les circuits illicites. Il faut en moyenne tuer trois ou quatre individus de 5 kilos pour obtenir un kilo d’écailles.
« Il est temps de prendre la criminalité faunique au sérieux. On n’en viendra pas à bout uniquement avec des rangers et des protecteurs de la nature »
John Scanlon, juriste
En 2000, la Cites classe les quatre espèces asiatiques dans l’annexe 1 de la convention, celle qui interdit toute exportation sauf pour des motifs exceptionnels de recherche scientifique. Il ne reste plus alors aux opérateurs asiatiques qu’à se tourner vers l’Afrique, comme ils l’ont fait pour l’ivoire ou le bois de rose après avoir épuisé leurs propres ressources. Le transfert apparaît d’autant plus facile que la Chine investit massivement sur le continent, où une communauté d’entrepreneurs et de simples travailleurs s’installe dans les régions les plus reculées pour exploiter les bois précieux et les minerais. Il faudra attendre dix-sept ans pour que les quatre espèces africaines, désormais aussi considérées par l’UICN en « danger d’extinction » ou « vulnérables », rejoignent à leur tour l’annexe 1.
John Scanlon, l’ancien secrétaire général de la Cites qui fut à la manœuvre pour arracher cette avancée, ne se fait aucune illusion sur sa portée : « Le classement d’une espèce n’assure pas sa protection. Au cours des trois dernières années, 206 tonnes d’écailles ont été saisies. La mission initiale de la Cites n’est pas de combattre le crime organisé. Pour cela, il faut des policiers, des procureurs et une justice qui condamne. » Le juriste australien plaide pour que le trafic d’animaux sauvages soit intégré dans la Convention des Nations unies contre le crime transnational organisé au même titre que le trafic d’êtres humains, de drogue ou des armes. « Il est temps de prendre la criminalité faunique au sérieux. On n’en viendra pas à bout uniquement avec des rangers et des protecteurs de la nature. »
Quand le kilo de viande de pangolin est proposé à 300 dollars (276 euros) dans les restaurants d’Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam, ou que celui d’écailles payé 5 dollars dans un village de brousse se monnaie 160 fois plus dans les officines chinoises, il faut se décider à ouvrir les yeux, comme le réclame depuis longtemps Ofir Drori. Cet activiste d’origine israélienne aux allures d’aventurier romantique a créé, depuis le Cameroun, un redoutable bataillon de militants dont la détermination à infiltrer les organisations de trafiquants a permis de faire tomber quelques barons parmi les prédateurs d’ivoire, de chimpanzés ou de serpents.
Innombrables relais
Baptisé « Eagle » (Eco Activists for Governance and Law Enforcement), ce réseau est présent dans neuf pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest. « Les petits braconniers ne nous intéressent pas. Ils ne sont que l’ultime maillon d’une chaîne qui mène à de puissants syndicats transnationaux du crime. Le pangolin a trouvé sa place dans ces circuits obscurs et représente aujourd’hui la majorité de nos opérations », explique-t-il.
Acheminer plusieurs tonnes d’écailles vers les ports d’embarquement les plus prisés comme Douala, au Cameroun, ou Lagos, au Nigeria, suppose d’avoir d’innombrables relais pour assurer l’insatiable demande de la Chine ou du Vietnam. Tout en déjouant la surveillance des douaniers. Ce qui, dans cette partie du continent, n’est pas le plus insurmontable.
« Nos frontières sont pourries. Tout rentre et tout sort comme on veut, lâche sans détour Claude Keboy, membre du Groupe des spécialistes des pangolins de l’UICN en République démocratique du Congo (RDC) et coordonnateur de l’ONG Synergie rurale - Action paysanne. Les policiers ignorent la loi, ils ne savent pas que le pangolin est protégé comme l’okapi ou l’éléphant. Lorsque nous arrêtons des braconniers, ils sont vite relâchés. Les pangolins, eux, sont vendus sur les trottoirs de Kinshasa et on voit même des ministres en acheter. »
Le 22 février, 500 kilos d’écailles en provenance de RDC ont été saisis dans les environs de Bangui, la capitale centrafricaine. Ce pays enclavé, toujours en proie à l’insécurité cinq ans après la fin de la dernière guerre civile, offre, tout comme son voisin le Soudan du Sud, de tranquilles itinéraires de transit aux trafiquants, habiles pour se mouvoir dans ces Etats faillis. « Jusqu’à maintenant, les gens jetaient les écailles à la poubelle mais ils commencent à réaliser qu’elles peuvent représenter beaucoup d’argent », s’inquiète Jérémy Ndallot, ancien directeur de la faune au ministère des eaux et forêts, à Bangui.
La Centrafrique est le seul pays du continent à abriter les quatre espèces de fourmilier, et leur viande y est particulièrement recherchée. En Côte d’Ivoire, le 3 mars, plus de 3,5 tonnes d’écailles issues de saisies ont été incinérées devant la presse pour « lancer un signal » aux trafiquants. Mais les peines encourues – un an de prison maximum et 300 000 francs CFA (457 euros) d’amende en vertu d’une loi datant de 1965 – sont dérisoires pour dissuader des criminels dont le butin se chiffre en millions d’euros.
Les triades chinoises
De la collecte à la livraison finale, une cinquantaine de pays seraient impliqués dans ces circuits sinueux dont vingt-cinq en Afrique, selon l’UICN. Et qu’il s’agisse des ONG, des forces de police ou des douaniers, tous conviennent des difficultés à contrer un trafic aussi bien organisé dont l’une des têtes de pont serait les triades chinoises. Une véritable industrie.
Pour faire simple, le premier maillon de la filière récolte les écailles dans les villages africains, le deuxième les transporte dans des boutiques souvent tenues par des commerçants asiatiques ou ouest-africains, où elles sont stockées. Le troisième les transfère dans un port où une quatrième équipe a déjà préparé les faux documents douaniers et organisé « le couvre-bagage » c’est-à-dire les cargaisons alibis : bois creux, sacs de cacao, plastique à recycler, etc. « Sur ce point, les réseaux font preuve d’une incroyable imagination, témoigne Charlotte Nithart, directrice de campagne de l’association Robin des bois. Des écailles ont été saisies à Roissy cachées dans des boîtes de pop-corn et des sacs de croquettes pour chiens. Au Vietnam, elles étaient à l’intérieur du réservoir à gaz GPL d’une voiture. »
Le bateau est préféré à l’avion pour le transfert d’Afrique en Asie. Les volumes embarqués sont plus importants. Au départ du voyage, peu de difficultés. Les services douaniers – et ils le reconnaissent – s’intéressent en priorité à ce qui entre sur leurs territoires, pas à ce qui en sort, à la fois pour des raisons de sécurité nationale et de recettes fiscales. Les taxes sur les marchandises importées représentent des rentrées budgétaires substantielles notamment pour les Etats africains.
Zones franches non contrôlées
Les routes maritimes choisies ne doivent pas éveiller les soupçons. « Vous n’imaginez pas une seconde qu’un cartel colombien cache sa cargaison d’héroïne dans un navire reliant directement Carthagène à Marseille, et bien c’est pareil pour les écailles de pangolin, les pistes sont brouillées », explique-t-on, comme une évidence, à la direction générale des douanes, à Paris. Les conteneurs où sont dissimulées les écailles du quadrupède transitent beaucoup. Djebel Ali, neuvième port commercial mondial situé dans le sud de l’émirat de Dubaï, sert régulièrement de première escale. La marchandise illicite est alors transbordée – sans aucune intervention douanière puisqu’elle n’entre pas dans le pays – puis repart sur un autre bâtiment à destination de l’Europe où, après un nouveau stop, elle file vers Hongkong ou Singapour, de préférence dans les zones franches non contrôlées.
Directrice du renseignement de la fondation internationale Wildlife Justice Commission, créée en 2015 afin de lutter contre la criminalité environnementale, la Britannique Sarah Stoner souligne également les incroyables capacités d’adaptation des trafiquants aux fluctuations de la demande. La jeune femme dispose de trente enquêteurs dont la majorité travaille sous couverture. « D’après nos informateurs, le cours de l’ivoire, un bien de plus en plus difficile à écouler sur les marchés, serait en baisse depuis deux ans. Les mafias que nous avons identifiées, notamment celles spécialisées dans les faux papiers, lui préfèrent désormais l’écaille de pangolin. »
Les réseaux réagissent vite dès qu’ils se sentent menacés. Quand une compagnie maritime suspecte est repérée, « elle disparaît comme par enchantement, confie Igor Jakupic, agent à l’Organisation mondiale des douanes (OMD). Peu de temps après, une nouvelle firme apparaît, créée de toutes pièces avec un faux historique de navigation et de chargements. »
Sociétés-écrans et paradis fiscaux
L’OMD et Interpol coopèrent avec les forces de police nationale et coordonnent des coups de filet menés simultanément dans plusieurs pays. En juillet 2019, grâce à l’opération Thunderball, neuf tonnes d’ivoire et douze tonnes d’écailles de pangolin ont été confisquées à leur arrivée dans le port de Singapour. « Le réseau à l’œuvre était également spécialisé dans la contrefaçon de produits de luxe, indique Henri Fournel, coordinateur biodiversité à Interpol. Ce syndicat du crime disposait d’une solide base arrière qui payait, entre autres, l’ensemble des acteurs de la chaîne et versait des pots-de-vin à des officiels. » L’argent sale circule soit par des sociétés-écrans et des paradis fiscaux, ou, afin de ne laisser aucune trace, passe par les systèmes traditionnels de paiement informel comme l’hawala, fondés sur la confiance entre agents de change.
Les saisies perturbent les réseaux mais ne suffisent pas à les démanteler. « Arrêter des trafiquants est un début, il faut ensuite réussir à les condamner à des peines de prison importantes », insiste Henri Fournel, conforté par son confrère de l’OMD Igor Jakupic : « Quand 20 kilos de drogue sont interceptés, une équipe d’enquêteurs va immédiatement se mettre sur la piste des criminels. S’il s’agit d’écailles de pangolin ou de peaux de tigre, les troupes sont moins mobilisées, voilà la réalité. »
Pointé du doigt pour son laxisme, le gouvernement chinois a banni la consommation de viande de pangolin en 2017. L’utilisation d’écailles pour la médecine est, elle, contrôlée en théorie depuis 2007 par la création de « stocks certifiés » sous la tutelle de l’Administration nationale des forêts. Mais ce dispositif, qui attribue des licences à quelque 200 entreprises pharmaceutiques chargées d’approvisionner les hôpitaux publics en traitements traditionnels, est loin d’être étanche à la contrebande.
Manque de volonté politique ?
Fin 2019, China Biodiversity Conservation and Green Development Fondation, une importante ONG locale, membre de l’UICN, a interpellé les autorités sur la certification, par la province du Hebei, de trois lots représentant plus de 1,6 million de tonnes d’écailles en provenance d’Afrique. Selon les déclarations de son secrétaire général, Zhou Jinfeng, au magazine News China, « une grande quantité des écailles vendues en Chine sont illégales car les grossistes peuvent très facilement mélanger des marchandises certifiées avec celles de la fraude et échapper à toute régulation ».
Afin d’endiguer les méfaits du SARS-CoV-2, le régime autoritaire a pourtant su actionner ses réseaux de surveillance incarnés par les impitoyables comités de quartier. Comment dès lors ne pas s’interroger sur sa détermination à mettre fin au trafic de pangolins ? Est-ce par manque de volonté politique ? Pékin doit accueillir le prochain sommet de la Convention des Nations unies sur la biodiversité dès que la situation sanitaire mondiale le permettra. Les défenseurs de l’environnement confortés par le lien entre la maltraitance des espèces animales et la propagation de virus mortels pourraient alors mettre le président Xi Jinping, fervent défenseur de la médecine traditionnelle, face à ses contradictions.
D’ici là, le business continue. Dans le sud de la Chine, les marchés aux animaux sauvages ont rouvert. Et, le 31 mars, les douanes malaisiennes ont découvert 6 tonnes d’écailles de pangolin dans une cargaison de noix de cajou partie du Nigeria à destination de la Chine. Le Covid-19 enflammait déjà le monde depuis quelques semaines.