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2 mai 2025
Economie
UN SYNDICAT DE L’AÉRONAUTIQUE TROUVE INÉGALE LA RÉPARTITION DES FONDS
‘’Les premiers pas dans la mise en œuvre de ce plan, dans notre secteur d’activité, posent problème, parce que le partage est terriblement déséquilibré et risque de laisser en rade plusieurs sociétés de la plateforme aéroportuaire’’,soutient le Synpaas
Thiès, 26 avr (APS) - Le Syndicat des personnels des activités aéronautiques du Sénégal (Synpaas) déplore dans un communiqué la répartition ‘’terriblement déséquilibrée’’ des 77 milliards de francs CFA alloués au tourisme et aux transports aériens dans le cadre du Programme de résilience économique et sociale.
‘’Les premiers pas dans la mise en œuvre de ce plan, dans notre secteur d’activité, posent problème (...) parce que le partage est terriblement déséquilibré et risque de laisser en rade plusieurs sociétés de la plateforme aéroportuaire’’, soutient le Synpaas.
Le syndicat salue toutefois les mesures prises par le chef de l’Etat, dans le cadre du Programme de résilience économique et sociale, pour atténuer l’impact de la pandémie de coronavirus sur l’économie sénégalaise, y compris les secteurs du tourisme et des transports aériens.
Quarante-cinq milliards de francs CFA seront affectés au hub d’Air Sénégal en vue de l’‘’opérationnalisation’’ de son plan de développement, selon la clé de répartition des 77 milliards de francs CFA dont le Synpaas dit avoir pris connaissance.
‘’Une enveloppe de 15 milliards de francs CFA sera allouée au crédit hôtelier et touristique, tandis que 12 milliards seront affectés au paiement des hôtels réquisitionnés pour le confinement des cas contacts du Covid-19’’, indique le communiqué.
Cinq milliards de francs CFA sont destinés aux entreprises et agences du portefeuille de l’Etat, selon le texte.
Le Synpaas trouve inéquitable cette répartition des fonds et estime qu’elle va ‘’inéluctablement sonner la mort de plusieurs entreprises du secteur [du tourisme et des transports aériens], et créer les conditions de pertes d’emplois pour des centaines de travailleurs’’.
‘’Au même titre que les hôteliers et la compagnie nationale (Air Sénégal), le gestionnaire et tous les prestataires de l’aéroport vont être impactés avec l’arrêt du trafic’’, avertit le syndicat, soulignant que ‘’l’absence de trafic signifie l’absence de revenus’’.
Il y aura ‘’2,6 millions de passagers de moins au Sénégal en 2020’’, affirme le Synpaas sur la base d’estimations faites par l’Association du transport aérien international, selon lesquelles la reprise du trafic devrait avoir lieu en juillet.
‘’D’ici là, ajoute-t-il, une entreprise comme LAS (Limak-Aibd-Summa), gestionnaire de l’aéroport [Blaise-Diagne], et les autres sociétés ont besoin d’appui et de garantie pour pouvoir assurer les salaires de leurs agents avant un début de rentrée de fonds vers août et septembre’’, affirme le syndicat.
Il laisse entendre, sur la base de ces prévisions, que le montant alloué par l’Etat aux entreprises du tourisme et des transports aériens est insuffisant.
GUY MARIUS SAGNA, LE DON QUICHOTTE DU SÉNÉGAL QUI CROISE LE FER AVEC L’IMPÉRIALISME
C’est en ferraillant contre les déclinaisons de «l’impérialisme» que ce natif de Casamance s’était forgé, ces dernières années, une réputation de militant aguerri, d’insurgé à tout-va, prêt à en découdre pour défendre ses idées
Sputnik France |
Momar Dieng |
Publication 25/04/2020
Au Sénégal, les entreprises françaises reviennent au cœur de l’économie après avoir pâti, sous Abdoulaye Wade, prédécesseur de l’actuel Président, d’une politique de diversification des partenaires. De quoi alimenter le ressentiment des uns et des autres, et notamment de Guy Marius Sagna, héraut de la «lutte contre le néocolonialisme».
Au pays de la Teranga (hospitalité, en wolof), l’avènement du coronavirus ne semble guère avoir arrangé les choses au regard d’un certain ras-le-bol anti-français. Après l’assimilation du virus à un «hôte étranger», en réaction à la provenance française du premier cas importé, le grief a muté vers le néocolonialisme et ne cesse de se propager dans certains milieux politiques et militants, coutumiers des procès intentés à l’ancienne métropole.
Entre-temps, et devant les conséquences de la pandémie sur le tissu économique sénégalais, le gouvernement a décidé de débloquer une aide de près d’un milliard d’euros en faveur des entreprises concernées. Depuis, c’est la queue au portillon des ministères pour être éligible à l’aide gouvernementale.
Bien que dérisoire, l’éligibilité à cette aide devrait se faire en fonction de certains autres critères, plaide le Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP/ France Dégage). Un véritable tri, selon Guy Marius Sagna, son emblématique leader, qui s’est confié à Sputnik, devrait alors se faire, pour privilégier le capital national. Le tout sans compter le fait que les entreprises bénéficiaires de l’aide doivent opérer aussi bien dans le secteur formel qu’informel, «avec un respect total de la réglementation et des droits des travailleurs. Pour nous, ces éléments sont importants», proclame-t-il.
Un militant aguerri
Les entreprises étrangères qui exercent des activités au Sénégal sont nombreuses. Elles sont marocaines, turques, chinoises, indiennes. Mais les plus puissantes d’entre elles sont d’origine française et fonctionnent le plus souvent comme des entités de droit sénégalais. Une posture qui les place au même niveau que les entreprises locales.
Sur le principe, rien n’empêche que ces différentes sociétés puissent être concernées par l’aide que l’État du Sénégal entend apporter aux entités économiques impactées par la crise sanitaire du Covid-19, selon le Programme de résilience économique et sociale (PRES) décidé par le Président de la République Macky Sall. D’un autre côté, rien n’est dit que les puissantes (et donc les plus résistantes) d’entre elles réclament effectivement leur part d’une aide réservée aux plus affectées. Celle-ci pourrait, d’ailleurs, s’avérer bien dérisoire vu le grand nombre d’entreprises éligibles. Qu’importe, puisque l’attribution de ce soutien gouvernemental ne semble être, pour Guy Marius Sagna, qu’un énième casus belli pour enfourcher son vieux cheval de bataille.
C’est en ferraillant contre les déclinaisons de «l’impérialisme» que ce natif de Casamance s’était forgé, ces dernières années, une réputation de militant aguerri, d’insurgé à tout-va, prêt à en découdre pour défendre ses idées.
Opposant le plus assidu des prisons sénégalaises, il quittait, le 4 mars dernier, le Camp pénal de Liberté VI à Dakar, après trois mois de détention provisoire. Il a été écroué, le 29 novembre 2019, après avoir pris part à une manifestation interdite contre la hausse du prix de l’électricité… et s’être agrippé aux grilles du Palais présidentiel. Une allégorie, sans doute, de la lutte, bec et ongles, qu’il mène sur tous les champs de batailles ?
Mais la défense de la souveraineté économique de son pays contre de présumées «ingérences» et autres manifestations de «néocolonialisme économique» demeure son combat de prédilection, et le bâton de pèlerin qu’il a repris sitôt libéré de prison.
Pour autant, il ne fait pas de la France son Delenda Carthago, nonobstant le nom donné au collectif créé en 2017 et dont il est l’un des leaders les plus médiatiques. Son objectif est simplement de défendre les intérêts fondamentaux de son pays et de l’Afrique.
«En réalité, nous luttons contre le néocolonialisme, l’impérialisme. Tous les impérialismes. Parmi ces impérialismes, il y a des magasins de grande distribution, il y a un opérateur qui contrôle la téléphonie sénégalaise, un autre l’eau sénégalaise. Dans une telle situation, l’aide de l’État du Sénégal doit aller aux entreprises sénégalaises. Il n’est même pas possible d’en faire bénéficier des entreprises africaines en l’absence d’un gouvernement fédéral africain», rétorque Guy Marius Sagna.
Pour une «taxe Covid» sur les multinationales
Il s’oppose à la socialisation des aides car, dit-il, «nous allons assister à une privatisation des bénéfices qui vont aller aux bourgeois capitalistes des pays de la Triade. C’est pourquoi, qu’elles soient françaises, états-uniennes, allemandes… elles doivent être écartées, toutes. Mieux, le FRAPP propose une taxe Covid-19 appliquée aux entreprises impérialistes qui ont bénéficié de contrats importants».
Réfutant toute fixation aveugle sur les entreprises hexagonales, le leader de «Frapp/France Dégage» précise : «Le FRAPP n’a aucun problème avec les entreprises françaises en particulier. Il a un problème avec les multinationales qui sont des instruments du capitalisme et donc de l’impérialisme qui est le cancer qui ronge l’Afrique. Nous ne cherchons pas à quitter un impérialisme pour rejoindre un autre impérialisme.»
«Nous ne cherchons pas à faire dégager l’armée française de l’Afrique pour accepter la présence d’Africom, compare-t-il. Ainsi en est-il également sur le plan économique. Il est plus que temps que nos dirigeants identifient les entreprises appartenant à des Sénégalais et créées avec des capitaux sénégalais.»
La bonne représentation des entreprises françaises au Sénégal est une constante dans l’économie locale. La politique de diversification des partenariats menée par l’ancien Président Abdoulaye Wade a consolidé la présence chinoise et facilité l’émergence d’autres alliés, asiatiques en particulier. Selon Christophe Bigot, ancien ambassadeur de France à Dakar, cette diversification a eu pour effet de faire baisser la part de marché des entreprises françaises au Sénégal de 25% à 15% entre 2006 et 2016 (de 24,3% à 15,9%, selon le site Africa Check se basant sur les données de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Depuis, les grands projets d’infrastructure lancés par le Président Macky Sall ont remis la France au centre des enjeux économiques et financiers sénégalais.
Un officiel sénégalais, qui a requis l’anonymat, considère qu’il y a clairement un basculement du régime sénégalais vers la France.
«Bolloré, qui a connu des déboires avec Abdoulaye Wade, règne désormais en maître au port de Dakar après avoir racheté en partie son concurrent… français Necotrans. Suez vient juste de prendre la place de la Sénégalaise des eaux (SDE) pour la distribution de l’eau. Total a eu certes tardivement sa part du gâteau des découvertes pétrogazières mais elle l’a eue quand même, provoquant au passage la démission du ministre des Énergies.»
Il poursuit, citant encore le méga-contrat du Train express régional (TER) remporté par le trio Alstom-Thales-Engie prévu pour relier Dakar à l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD), le projet d’Omnibus entre la capitale et la banlieue confié au duo SNCF-RATP pour démontrer que «la France est bel bien au cœur de notre économie».
Le basculement de Macky Sall
Avec une main-d’œuvre locale bien présente dans ces divers chantiers, les entreprises françaises peuvent se prévaloir d’une certaine participation au bien-être des Sénégalais. En effet, «les filiales de sociétés françaises et entités de droit sénégalais détenues par des ressortissants français représentent plus du quart du PIB et des recettes fiscales au Sénégal. Selon les dernières estimations, il existerait plus de 250 entreprises françaises présentes dans le pays, qui emploieraient plus de 30.000 personnes. La présence française concerne tous les secteurs d’activité», peut-on lire sur le site de l’ambassade de France au Sénégal.
Mais il en faut plus pour en convaincre Guy Marius Sagna et son constat est amer : «Le plus important n’est pas que ces entreprises emploient ou pas un personnel sénégalais ou africain. Dans leur propre pays, sur leur propre continent, les sociétés africaines sont concurrencées, elles sont perdantes. À l’extérieur, elles sont inexistantes.» La faute exclusivement à «l’impérialisme» ?
"TOUT NOUS RAMÈNE À L’ÈRE KARIM WADE"
La sortie du président sur l’affaire de la distribution du marché de riz est une «façon d’évacuer le scandale du coronagate». Mais au-delà, estime Fatou Blondin Ndiaye Diop, «attribuer autant de responsabilités à son beau-frère rappelle le cas Karim Wade»
La sortie du président de la République sur l’affaire de la distribution du marché de riz est une «façon d’évacuer le scandale du coronagate». Mais au-delà, estime Fatou Blondin Ndiaye Diop, «attribuer autant de responsabilités à son beau-frère rappelle le cas Karim Wade». Par ailleurs, la coordonnatrice du mouvement Aar li ñu bokk prend position en faveur d’un confinement pour endiguer la pandémie du Covid-19.
Le confinement est incontournable pour endiguer la propagation du Covid-19, selon le Président Macky Sall. Peut-on vraiment adopter cette mesure au Sénégal avec nos réalités socio-économiques ?
Nous allons très certainement vers le confinement des communes où les cas communautaires croissent à grande vitesse. Nous n’avons pas imposé le port de masque en son temps. Et maintenant que c’est fait, nous n’en disposons pas en quantité suffisante et aux normes certifiées. Nous n’avons pas non plus assez de tests rapides pour isoler les populations en fonction de leur statut sérologique : testés négatifs, porteurs sains et malades à suivre. Alors, la seule issue, si la courbe d’infections continue de monter, sera le confinement. Les conséquences économiques et sociales seront catastrophiques. Elles méritent que le gouvernement et les citoyens s’y préparent, mais on n’aura pas le choix.
Pour Macky Sall, le débat autour de l’attribution des marchés de vivres qui implique son beau-frère, Mansour Faye, est un débat au ras des pâquerettes. Est-ce votre avis ?
C’est une façon d’évacuer le scandale du coronagate. Premièrement, attribuer autant de responsabilités à son beau-frère nous rappelle le cas Karim Wade. Deuxièmement, tout porte à croire que les attributions se sont opérées très rapidement, dans l’opacité et sans respecter les règles en vigueur. Aujourd’hui, notre inquiétude se porte sur la distribution. Le ministre du Développement communautaire, de l’équité sociale et territoriale a l’air d’avoir l’onction du Président Macky Sall dans ses agissements. Si tel est le cas, le Peuple qui aura beaucoup souffert de cette pandémie s’en souviendra. Ils rendront des comptes d’une façon ou d’une autre.
Etes-vous de ceux qui redoutent le syndrome Karim Wade avec la gestion des fonds de l’Anoci ?
Tout nous ramène à l’ère Karim Wade : le népotisme, la multiplicité des casquettes pour tout ce qui va en direction de la demande sociale. Tout porte à croire qu’on lui trace le chemin de la succession. Mais les Sénégalais décideront in fine de leur avenir.
Etes-vous rassurée quant à une gestion transparente du Force-Covid-19 après la nomination du Général François Ndiaye à la tête du Comité de suivi ?
Je note d’abord le retard dans sa création et surtout après avoir passé les marchés des denrées alimentaires. Je note aussi la composition qui montre le souci de gérer les équilibres plus que le contrôle de la gestion efficace des fonds. On attend le plan d’action au sommet et à la base. Les arguments de Mansour Faye, lors de sa conférence de presse, éclipsaient le fond de l’interpellation des journalistes sur l’achat et le transport du riz. C’était la surprise générale des majeurs du domaine du transport, de la vente de riz, de voir tout d’un coup des acteurs sortir pour gagner ces marchés à coup de milliards. Alors qu’un petit tour au ministère du Commerce aurait permis de savoir que ce n’étaient pas des acteurs majeurs. Et quant à Diop Sy, d’aucuns supputent que sa société n’existerait plus. Donc, c’était ça le fond de la question. Et sa réponse était plutôt autour de «nous avons fait un appel d’offres», alors que déjà les transporteurs lui avaient dit qu’ils étaient disposés à transporter gratuitement. Donc il préfère répéter qu’un appel d’offres a été lancé, qu’ils ont choisi les moins chers, etc. Il ne rentre pas dans le fond du sujet, à savoir que ces entreprises qui ont gagné ces marchés n’étaient pas connues dans le domaine des marchés en question. En plus, les montants étant très élevés, tout le monde s’attendait, dans le cadre d’une offre de gratuité, que le gouvernement s’en saisisse et qu’on vienne apporter un certain soutien à un secteur national qui sera très certainement durement touché par la crise. Pour moi, le ministre est passé à côté.
par l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
LES PROPHÈTES DE LA DISRUPTION
EXCLUSIF SENEPLUS - Comment prétendre à un nouvel ordre en quémandant l’annulation de sa dette auprès de ceux qu’on rêve chimériquement de dépasser ? Le miracle post-covid tant rêvé ne sera que mirage
Serigne Saliou Guèye de SenePlus |
Publication 24/04/2020
En moins de cinq mois, le Sars-Cov2, qui est à l’origine du Covid-19, a réussi à neutraliser la planète toute entière obligeant plus de trois milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, au confinement. Les pays que l’on croyait au summum de leur puissance sanitaire sont aujourd’hui les plus affectés par le virus. La Chine, premier épicentre de la pandémie au coronavirus, a souffert le martyre avec à la clé près de 70 mille cas de contamination et 4 642 morts même si de sérieux doutes planent sur l’authenticité des chiffres officiels publiés par les autorités du pays de Mao. Ensuite, l’axe s’est déplacé en Europe où les premières puissances économiques (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et l’Espagne) sont les plus touchées par le Covid-19. Espagne, plus 200 mille cas de contamination avec plus de 22 mille morts, Italie plus de 190 mille avec plus de 25 mille morts, l’Allemagne plus de 150 mille contaminés avec plus 5000 décès, le Royaume-Uni plus de 135 mille contaminés et plus de 18 mille morts et la France plus de 120 mille contaminés et plus 21 mille pertes en vies humaines. Aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis, première puissance économique et militaire du monde qui occupent la première place dans le hit-parade des pays infectés par le Sars-Cov2. Plus de 860 mille contaminés avec plus de 48 mille décès au moment de la rédaction de cet article. Aujourd’hui, les fondations de l’économie américaine commencent sérieusement à être ébranlées tant et si bien que le président Trump veut la cessation du confinement et un redémarrage de la machine économique. Mais il se heurte au mur de résistance de certains gouverneurs d’Etat démocrates qui ne veulent pas exposer leurs populations davantage à la contagion rapide au coronavirus.
La Chine, leader d’un nouveau monde
Aujourd’hui, la pandémie a mis à nu la fragilité et la vulnérabilité du système sanitaire de ces puissances qui, paradoxalement, comptent sur la Chine pour se ravitailler en logistiques et consommables médicaux. En véritable patronne du monde, l’Empire du Milieu est en train de bouleverser le monde en se comportant en superpuissance salvatrice. La Chine qui envoie des équipes et équipements médicaux en Europe et aux Etats-Unis, c’est là un signe d’un nouvel ordre mondial entre puissances occidentale et asiatique. Au moment où les USA accusent la Chine de n’avoir pas donné les vraies informations sur cette maladie qui s’est manifestée pour la première fois à Wuhan dans la province de Hubei, le pays de Mao rassérène et se montre en leader, philanthrope et sauveur du monde de cette pandémie qui a terrassé les grandes puissances occidentales. « Nous sommes vraiment dans le même bateau. Nous devons donc travailler ensemble en tant que partenaires pour combattre le virus, pour restaurer la situation normale de l'économie, pour reconstruire la confiance de la population en l'économie planétaire, et pour construire la capacité de répondre à toutes les crises de ce type », a déclaré l’ambassadeur de Chine aux Etats-Unis, Cui Tiankai après les jérémiades d’un Trump irascible. En mi-mars au moment où la crise sanitaire n’avait pas encore pris des proportions alarmantes au pays de l’Oncle Sam, la Fondation du milliardaire Jack Ma offrait 500 000 kits et un million de masques au gouvernement américain. Et les mêmes aides « humanitaires » ont été déployées pour le Japon, la Corée, l'Italie, l'Iran, la France, l'Espagne et aux 54 pays africains. L’hégémonie chinoise devient une réalité.
Tout cela s’inscrit dans le cadre de l'initiative chinoise Belt and Road (BRI), appelée la Nouvelle route de la soie, un des projets d'infrastructure les plus ambitieux jamais conçus par le président Xi Jinping. Ce projet pharaonique estimé à 1.200 milliards de dollars dans les sept années à venir, s'étend de l'Asie de l'Est à l'Europe et élargirait considérablement l'influence économique et politique de la Chine. Mais il faut souligner que les ambitions dominatrices de l’Empire du Milieu ont véritablement été déclinées par le président Deng Xiaoping depuis 1978 avec ses réformes économiques libérales dans une Chine d’idéologie communiste et sa politique nataliste. Aussi est-il permis aux Chinois de revendiquer un nouvel ordre économique mondial post-covid parce qu’ils ont réussi lors de cette crise sanitaire à éclipser la suprématie de l’Occident assise depuis la fin de la deuxième conflagration mondiale et à s’imposer en sauveurs du monde.
Basculement illusoire
Mais la crise sanitaire que vivent les pays africains avec moins de désastre humain et non humanitaire ne doit pas autoriser certains intellectuels et politiques prétentieux du continent à vouloir vaticiner un nouveau bouleversement mondial. C’est dans cette optique que le président Macky Sall, dans un texte kilométrique et soporifique paru dans le journal d’Etat, le Soleil, a parlé de « l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui met l’humain et l’humanité au cœur des relations internationales ». Pour lui, « il est temps de considérer les questions de santé publique au même titre que la paix, la sécurité, l’environnement, la lutte contre le terrorisme et autres criminalités transfrontalières ». C’est un aveu d’échec de savoir seulement en cette période de crise sanitaire que la santé est un pilier fondamental pour le développement d’un pays. Jamais la santé n’a été la priorité de nos gouvernants. Sur un budget national de 4 000 milliards de francs CFA, la santé ne se retrouve qu’avec la portion congrue de 200 milliards. Ce qui représente 5 à 6 % du budget. Alors que la norme est au moins à 15 %. Après 60 ans d’indépendance, notre pays totalise 14 régions médicales, 76 districts sanitaires, 10 hôpitaux départementaux, 13 hôpitaux régionaux, 12 hôpitaux nationaux, 101 centres de santé, 1380 postes de santé et 2227 cases de santé. Et il faut préciser que les trois centres hospitaliers de référence en matière de soins qualitatifs et de recherches que sont l’Hôpital Principal de Dakar, l’Hôpital Aristide Le Dantec et le Centre hospitalier national universitaire de Fann sont construits respectivement en 1886, 1912, 1956, donc bien avant l’indépendance en 1960.
Et selon l’annuaire des statistiques sanitaires et sociales du Sénégal 2016, les ressources humaines de la santé (y compris l’hygiène) sont au nombre de 14 253 agents dont 267 médecins généralistes, 91 gynécologues, 37 chirurgiens généralistes, 120 chirurgiens-dentistes, 79 autres chirurgiens, 84 pédiatres, 56 cardiologues, 49 anesthésistes réanimateurs, 1524 sages-femmes d’Etat, 1445 infirmiers d’Etat et 1404 pour le personnel administratif. Et ce chiffre n’a probablement que peu évolué en trois ans. Pourtant, c’est en 1916 que fut créée l’Ecole Africaine de Médecine et de Pharmacie de Dakar. Et c’est le 24 février 1957 qu’est fondée officiellement l’université de Dakar dans laquelle est intégrée l’Ecole de Médecine. C’est dire qu’aucun des quatre présidents du Sénégal, depuis les indépendances, n’a réussi à construire un hôpital de haut niveau comparable à ceux susnommés. En effet, la construction d’infrastructures de qualité pour le bien-être des populations n’a jamais été une priorité dans leurs choix et programmes politiques. Pour preuve, les hommes politiques et autres Sénégalais au portefeuille lourd préfèrent faire leurs check-up et autres soins dans les hôpitaux modernes occidentaux. Et leurs femmes, pour donner naissance, prisent plus leurs cliniques super-équipées que les nôtres.
Alors, que ces prophètes de la disruption avec en premier le président de la République, Macky Sall, cessent de rêver d’un éventuel nouvel ordre mondial teinté d’irréalisme au lendemain de la disparition du Covid-19. La Chine n’a pas attendu la crise sanitaire d’aujourd’hui pour renverser la domination occidentale. Il appert, comme l’a déclaré le docteur et maitre de conférences, Murat Yesiltas, directeur des Etudes sécuritaires au think-tank SETA, basé à Ankara, que « toutes les grandes guerres ont engendré un nouvel équilibre dans le partage des puissances courantes. Après chaque guerre, l’ordre mondial se forme sur un nouveau paradigme. Et pour qu’un nouvel ordre mondial apparaisse après le coronavirus, il faut que la pandémie engendre un changement dans l’équilibre actuel des puissances, et qu’en parallèle, la structure économique, ainsi que le ou les acteurs qui contrôlent cette structure, réalisent des aménagements structurels pouvant causer un changement dans les mécanismes de fonctionnement du système et forment de nouveaux régimes mondiaux sur l’axe de nouvelles normes ». Sauf que nous ne sommes pas en guerre comme aiment naïvement claironner le président, certains hommes politiques et journalistes panurgistes. Nous sommes simplement en crise sanitaire qui teste notre capacité de résilience devant une pandémie qui ne nous a point surpris. Nous sommes simplement en crise sanitaire qui requiert des prises de décision courageuses et lucides et non le colportage populiste d’un lexique martialisé inapproprié qui veut faire la promotion d’un général sans cicatrices ou blessures de guerre.
Aujourd’hui les data des paramètres des puissances actuelles économiques et militaires sont assez édifiantes pour dire avec force qu’il n’y aura pas ce big-bang dont rêvent nos illusionnistes disrupteurs. C’est donc dire qu’il n’y aura pas ce grand chamboulement dans l’ordonnancement des rôles actuels.
La mauvaise passe sanitaire et économique que traversent les puissances occidentales, qui semblent être impuissantes devant le Sars-Cov2, a réveillé, chez les peuples africains non encore dévastés par la pandémie, la conscience d’une intro-puissance endormie qu’il faille fouetter pour être au-devant de ce nouvel ordre mondial inéluctable tant rêvé. Pour nos prophètes du Grand Soir africain, après le Covid-19, commencera la grande disruption et s’amorcera le grand basculement. Il y aura une redistribution des cartes. Mais qu’on ne se leurre pas. Rien ne changera dans nos "Républiquettes" en particulier au Sénégal ! Il n’y a aucune conscience, ni une volonté politique de bâtir autrement notre pays en arrimant toute sa politique monétaire et ses choix économiques à la métropole. Déjà, le parfum de corruption qui fleure l’attribution non transparente des marchés afférent à l’appui alimentaire de l’Etat en direction des ménages vulnérables est une preuve de notre récalcitrance indécrottable aux vertus de bonne gouvernance, condition sine qua non pour amorcer un nouveau virage.
Comment peut-on vouloir changer les colonnes de l’ordre mondial en quémandant l’annulation de sa dette auprès de ses créanciers qu’on rêve chimériquement d’égaler ou de dépasser ? Les rapports de force entre les Etats sont déterminés par leurs puissances économique, militaire, politique et démographique. Et en dépit de la persistance de la crise sanitaire assortie du fléchissement de ces grandes puissances qui n’est pas synonyme d’impuissance mais précurseur d’un nouveau départ, les propriétés sus-évoquées de ces Etats demeurent toujours intactes. Alors, d’où viendrait le grand basculement tant annoncé par les prophètes de la disruption ?
Nonobstant l’ampleur de la crise sanitaire, on se rendra compte que nos gouvernants n’ont pas de TINA (There is no alternative) comme disait la défunte Première ministre anglaise, Margaret Thatcher. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas d'alternative, voire d’initiative pour amorcer un nouveau départ. Le miracle post-covid tant rêvé ne sera que mirage. La lueur ne sera que leurre.
Observons la sémantique qui nous a fait évoluer de « Force Covid19 » à « Fonds Force Covid19 » puis vers un inquiétant « Comité de suivi des Fonds de la Force Covid 19 ». Que de monde ! Quelle chaîne d’irresponsabilités !
Il flotte dans notre atmosphère, ici au Sénégal, un « je-ne-sais-quoi », une sensation d’un « presque-rien », qui appelle à prendre et du recul et de la hauteur, vis-à-vis du torrent tumultueux d’informations, qu’elles soient approximatives, péremptoires ou définitives, que nous recevons, absorbons, comprenons, ou pas, sur cette pandémie mondiale du Covid-19, appelée Coronavirus partout, sauf dans notre pays où nous l’avons baptisée, histoire de la minimiser, « CORONA ». « VIRUS » est en option. C’est facultatif… Alors que « CORONA » a un côté primesautier, qui pourrait être une danse, ou le surnom d’un copain. « Corona », ça s’apprivoise… « Virus », ça trimballe une sonorité honteuse pour nos augustes personnes forcément admirées par la terre entière, ringardisée par notre punchline nationaliste « Fi Sénégal la », dès qu’on évoque un tant soit peu, l’idée même de normalité. « Virus », c’est bon pour ces peuples qui n’ont même pas des Saints protecteurs, capables de faire leurs prières sur des océans démontés, qui ont construit des villes scintillantes et propres, abritant les plus grosses fortunes du monde, qui nous attirent au point de nous faire braver les océans et déserts les plus dangereux, et qui à cause d’un truc plus petit qu’un moustique, décèdent par centaines de milliers, et mettent des millions de gens au chômage. C’est grâce à ce « je-ne-sais-quoi » et à ce « presque rien », que notre exceptionnalité sénégalaise permet de dissocier « Corona » et « Virus ».
De là naissent alors tous les problèmes de compréhension de cette situation inédite provoquée par le Coronavirus, incompréhensions qui ont pour effet, par exemple, de fêter le retour de quarantaine de personnes accueillies au seuil de leurs maisons comme Sadio Mané de retour d’une CAN victorieuse, ce qui n’est pas recommandé en guise de respect de la distanciation sociale. Ou alors quand les chauffeurs de taxis et leurs passagers mettent leurs masques juste à la vue d’un policier, par peur du gendarme et non du Corona. En fait, on a du mal à y croire, à cette prétendue pandémie qui ne fait que sept morts chez nous, singularité qui vient nous conforter dans l’idée, que déjà rescapés de la sélection naturelle que nous imposent un environnement et un système hospitalier mortifères, on n’allait pas se laisser abattre par un truc invisible, qui ne va tout de même pas se mesurer aux nids de microbes, bactéries et virus qui se pavanent allègres, dans une indifférence générale, à travers nos rues, nos canaux et nos marchés. Alors on danse…
Si en plus notre « compatriote » chercheur et sauveur Raoult affirme que ce virus va non seulement disparaître de lui-même dès les grosses chaleurs, ce qui semble se dessiner en France où il peine à trouver corps à infecter de nouveau, et si comme le divulgue notre Saint Raoult de la Blanche Chloroquine, son remède soigne des malades comme ils le sont bien d’ailleurs au Sénégal, et que nos esprits l’associent à notre bonne nivaquine, dont nos organismes de paludéens chroniques seraient imbibés, alors oui, rajoutés à notre solidité présumée historique de rescapés de la sélection naturelle, il ne pourra rien nous arriver de fâcheux. On a donc du mal à y croire… Tout ce chaos s’évaporera dans 6 semaines, se dit-on.
Les interrogations qui nous viennent à l’esprit suggèrent de la vigilance citoyenne. Quelles informations, le cas échéant, auraient nos gouvernants pour valider une telle issue positive, et en fait, « faire comme si »…le désastre était toujours imminent ? 1000 milliards mobilisés et déjà distribués en partie dans une certaine cacophonie, les versements prochains du FMI, de la Banque mondiale, de l’UE, de la BCEAO, de la BAD, de la BOAD, la liste est non exhaustive, ont mis à la disposition de notre pays et de son gouvernement un énorme trésor de guerre pour lutter contre une pandémie qui a fait perdre la vie à…7 personnes. Cette manne tombée de la peur du virus, à laquelle il faudra rajouter les effets de l’annulation de nos dettes, que va-t-on en faire si d’aventure, toute cette paranoïa du Covid-19 faisait « pschitt » ? Et si ils faisaient comme si… Vigilance donc. Observons la sémantique qui nous a fait évoluer de « Force Covid19 » à « Fonds Force Covid19 » puis vers un inquiétant « Comité de suivi des Fonds de la Force Covid 19 ». Que de monde ! Quelle chaîne d’irresponsabilités ! C’est vrai qu’il était devenu urgent de poser un faux-nez aux images d’un ministre dégoulinant de sueur à l’évocation d’une possible évaporation de milliards de francs dans des marchés de transports de riz. Il a été utile de nommer un Général pour mettre de l’ordre à tout ça, ce qui faisait un peu vaciller le plan de secours proposé aux institutions financières internationales, qui voyaient déjà ces milliards finir en piscines, villas et 4x4 rutilants.
Vigilance donc. Et pourquoi ne pas associer la presse et ses instances comme le CNRA, le Synpics ou le CDEPS, à ce comité de suivi d’ailleurs, car en plus d’éviter les bourdes qui désinforment nos populations, elle pourrait diffuser les bonnes informations, tout en jouant le rôle d’un regard sous lequel ils ne pourront pas forcément tout faire et n’importe comment.
Car si ce scénario favorable se dessine et prospère, et que la réalité rencontre la décrue du virus, ce trésor de guerre devra alors servir à autre chose qu’à trouver du gel hydro-alcoolique, des masques, soigner et acheter des respirateurs en urgence. Ce trésor mis à la disposition de nos gouvernants devra être orienté avec le contrôle de nos citoyens et aussi des bailleurs, vers ce qui devrait nous mettre à l’abri d’un futur tsunami sanitaire, sachant que ce virus qui affole la planète sera alors devenu saisonnier, mais aussi servir à la reconstruction de tout notre système sanitaire dont nos gouvernants ne connaissaient point les contours, puisqu’allant se faire soigner la moindre grippe en Europe. Ces milliards pourraient-ils être orientés vers l’amélioration de notre plateau technico-médical, vers de la formation, vers la recherche scientifique, l’éducation, l’assainissement, l’hygiène, le renforcement des secteurs productifs pour notre économie en dépendance, pour notre agriculture et la consolidation de notre tissu économique, notamment nos PMI et PME, sans oublier l’éducation, pour être au sortir de cette crise en situation de réécrire notre histoire, ou au moins de nous insérer avec fierté et puissance créatrice dans l’histoire du monde nouveau qui s’ouvre devant nous et qui va être celui dans lequel évoluera notre jeunesse. Entre le Coronavirus qui nous guette et le monde qui nous observe en cas de sa disparition temporaire, notre citoyenneté doit être toute en vigilance et en exigences de salut. Pour une émergence qui ne serait pas qu’un slogan de campagne abscons.
Si ça, ce n’est pas un programme politique d’un grand homme d’Etat, c’est qu’on est définitivement confiné dans la malédiction dans laquelle nos irresponsabilités prennent leurs aises et prospèrent.
SUR LA PISTE DE LA "PANGOLIN CONNECTION"
Le paisible animal des forêts tropicales et des savanes, suspecté d’être un acteur de la pandémie du coronavirus, fait l’objet d’un commerce illégal et fructueux organisé par des syndicats du crime
Le Monde |
Laurence Caramel , Marie-Béatrice Baudet et Youenn Gourlay |
Publication 24/04/2020
Le paisible animal des forêts tropicales et des savanes, suspecté d’être un acteur de la pandémie, fait l’objet d’un commerce illégal et fructueux organisé par des syndicats du crime.
Lui qui aime tant vivre la nuit, le voilà en pleine lumière. Paisible quadrupède des forêts tropicales et des savanes, le pangolin est devenu l’objet de toutes les attentions. Le petit mammifère édenté est soupçonné d’être l’un des acteurs majeurs de la pandémie de Covid-19 qui a déjà tué près de 160 000 personnes dans le monde en quatre mois à peine. Comme la chauve-souris, le fourmilier dont la démarche rappelle celle du bossu de Notre-Dame, est porteur d’un coronavirus proche du SARS-CoV-2, à la source de la crise sanitaire qui a stoppé net la planète.
Le « perceur de montagnes »
Se retrouver à la « une » des journaux ? Pauvre bête, il n’en demandait pas tant. Peu lui importe d’être un sans-grade. Son physique ingrat ne lui permet pas de faire de l’ombre au panda, emblème du Fonds mondial pour la nature (WWF) et grand favori des enfants, avant l’éléphant, la girafe et le rhinocéros. Le pangolin préfère rester discret et se plaît à la solitude. Son seul titre de gloire est d’être l’unique mammifère au monde recouvert d’écailles. Ses techniques de chasse suscitent l’admiration. Friand de termites et de fourmis, l’animal étire son interminable langue gluante pour les attraper mais il agit aussi avec malice. Après avoir pénétré fourmilières et termitières grâce à ses griffes puissantes – les Chinois le surnomment le « perceur de montagnes » –, il soulève ses écailles puis les referme comme des persiennes, une fois les insectes pris au piège. Son dos lui fait office de garde-manger, en somme.
Qui savait tout cela il y a encore quelques mois ? Rares étaient les scientifiques à s’intéresser aux huit espèces de pangolin recensées dans le monde, quatre en Afrique et quatre en Asie. Quand on évoquait ce drôle d’animal présent sur terre depuis des millions d’années, c’était plutôt pour s’en moquer. Dans son Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis publié en 1985 (Seuil), Pierre Desproges écrit que « le pangolin ressemble à un artichaut à l’envers, prolongé d’une queue à la vue de laquelle on se prend à penser que le ridicule ne tue plus ».
« Un seul coupable, l’homme »
Mais alors, pourquoi et comment expliquer que ce fourmilier taciturne soit aujourd’hui sous les feux de la rampe ? « Un seul coupable, l’homme », répond sans hésiter le biologiste Gilles Bœuf. « Bien sûr que c’est nous », confirme Didier Sicard, professeur de médecine et spécialiste des maladies infectieuses. A l’instar du Covid-19, 75 % des maladies nouvelles qui affectent aujourd’hui les humains sont des zoonoses, c’est-à-dire des pathologies transmises par les animaux, rappellent les deux scientifiques.
« Notre total irrespect pour la faune et la flore conduit à réunir dans des conditions sanitaires scandaleuses des animaux vivants qui en principe ne se côtoient pas », s’insurge Gilles Bœuf, professeur invité au Collège de France. « Pensez par exemple à ces marchés asiatiques comme celui de Wuhan, la métropole chinoise d’où serait partie la pandémie. On y croise des civettes, des serpents, des crocodiles, des cygnes, des ânes, des chiens et, sous le manteau, des espèces interdites de vente comme les pangolins, notamment », décrit, tout aussi exaspéré, Didier Sicard, membre du conseil d’administration de l’Institut Pasteur du Laos, pays où il a vécu pendant plusieurs années. Cette promiscuité marchande forcée facilite les échanges de gènes de virus entre voisins de cage et multiplie les dangers d’infection.
L’homme joue depuis longtemps avec le feu, en réalité. La déforestation à marche forcée chasse les espèces sauvages de leurs habitats naturels. Les animaux approchent des villages et les écosystèmes vacillent. Quand les forestiers coupent les arbres, les moustiques familiers de la canopée volent plus près du sol et piquent davantage les intrus. Le pangolin n’échappe pas à cette frénésie de développement mais il détient aussi un triste record : il est le mammifère le plus braconné au monde. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), un pangolin est retiré de la vie sauvage toutes les cinq minutes. « Ce commerce illégal progresse à une vitesse alarmante et engendre des profits très importants », juge Paul Stanfield, directeur de la criminalité organisée et émergente à Interpol.
Sa chair est considérée comme un mets de choix en Afrique et en Asie, mais surtout ses écailles seraient parées des plus grandes vertus thérapeutiques, à en croire la médecine traditionnelle chinoise
Loin d’être de vulgaires amateurs, les trafiquants appartiennent à des réseaux mafieux également impliqués dans le commerce illicite d’armes, de drogue, d’ivoire ou d’êtres humains, bref de tout ce qui peut rapporter gros. Or, le fourmilier attise les convoitises. Sa chair fondante et peu grasse est considérée comme un mets de choix en Afrique et en Asie, mais surtout ses écailles seraient parées des plus grandes vertus thérapeutiques, à en croire la médecine traditionnelle chinoise.
Dans un article publié fin 2019 dans Pangolins. Science, Society and Conservation (Elsevier, non traduit), Shuang Xing, de l’université de Hongkong, et ses coauteurs font remonter au VIe siècle la première référence aux propriétés médicinales de l’animal qui, à l’époque, auraient apaisé les piqûres de fourmi. Le mammifère rejoint la bibliothèque impériale de la médecine traditionnelle deux siècles plus tard pour ses capacités à stimuler la lactation, traiter l’infertilité ou fluidifier le sang.
Ces attributs sont toujours présents dans la nomenclature officielle validée par Pékin, auxquels se sont ajoutés, parmi beaucoup d’autres, le traitement du cancer des ovaires et celui du sein, la lutte contre la maladie de Parkinson, l’anorexie et les hémorroïdes. Comment renoncer à des croyances transmises depuis si longtemps ? « Ces hypothèses sont grotesques, conteste avec virulence Gilles Bœuf. Comme les cornes de rhinocéros et nos propres ongles, il n’y a que de la kératine dans ces écailles. »
Avant de figurer au tableau d’honneur du trafic des espèces, le mammifère a d’abord emprunté les routes officielles du commerce mondial afin d’alimenter les tanneries américaines et mexicaines productrices de sacs à main, de bottes de cow-boy et de ceinturons. Le filon exploité par l’Indonésie, la Thaïlande ou la Malaisie prit fin dans les années 1990. A partir de cette date, la Chine, qui avait d’abord puisé – jusqu’à les faire pratiquement disparaître – dans ses propres spécimens, est devenue le principal client d’un commerce de plus en plus souterrain. L’animal n’est plus seulement convoité pour la qualité de sa peau mais pour ses soi-disant bienfaits médicinaux.
L’hécatombe se traduit dans les statistiques douanières que traquent, tels des enquêteurs sur la piste de criminels, les scientifiques chargés d’éclairer les débats de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites). Cette enceinte créée en 1975, et où siègent plus de 180 pays, a le pouvoir d’interdire un commerce lorsque la survie d’une espèce est en jeu. Entre 1975 et 2000, 776 000 pangolins asiatiques ont été officiellement exportés. Mais les chercheurs estiment qu’une quantité comparable a été prélevée dans la nature pour satisfaire les circuits illicites. Il faut en moyenne tuer trois ou quatre individus de 5 kilos pour obtenir un kilo d’écailles.
« Il est temps de prendre la criminalité faunique au sérieux. On n’en viendra pas à bout uniquement avec des rangers et des protecteurs de la nature »
John Scanlon, juriste
En 2000, la Cites classe les quatre espèces asiatiques dans l’annexe 1 de la convention, celle qui interdit toute exportation sauf pour des motifs exceptionnels de recherche scientifique. Il ne reste plus alors aux opérateurs asiatiques qu’à se tourner vers l’Afrique, comme ils l’ont fait pour l’ivoire ou le bois de rose après avoir épuisé leurs propres ressources. Le transfert apparaît d’autant plus facile que la Chine investit massivement sur le continent, où une communauté d’entrepreneurs et de simples travailleurs s’installe dans les régions les plus reculées pour exploiter les bois précieux et les minerais. Il faudra attendre dix-sept ans pour que les quatre espèces africaines, désormais aussi considérées par l’UICN en « danger d’extinction » ou « vulnérables », rejoignent à leur tour l’annexe 1.
John Scanlon, l’ancien secrétaire général de la Cites qui fut à la manœuvre pour arracher cette avancée, ne se fait aucune illusion sur sa portée : « Le classement d’une espèce n’assure pas sa protection. Au cours des trois dernières années, 206 tonnes d’écailles ont été saisies. La mission initiale de la Cites n’est pas de combattre le crime organisé. Pour cela, il faut des policiers, des procureurs et une justice qui condamne. » Le juriste australien plaide pour que le trafic d’animaux sauvages soit intégré dans la Convention des Nations unies contre le crime transnational organisé au même titre que le trafic d’êtres humains, de drogue ou des armes. « Il est temps de prendre la criminalité faunique au sérieux. On n’en viendra pas à bout uniquement avec des rangers et des protecteurs de la nature. »
Quand le kilo de viande de pangolin est proposé à 300 dollars (276 euros) dans les restaurants d’Ho Chi Minh-Ville, au Vietnam, ou que celui d’écailles payé 5 dollars dans un village de brousse se monnaie 160 fois plus dans les officines chinoises, il faut se décider à ouvrir les yeux, comme le réclame depuis longtemps Ofir Drori. Cet activiste d’origine israélienne aux allures d’aventurier romantique a créé, depuis le Cameroun, un redoutable bataillon de militants dont la détermination à infiltrer les organisations de trafiquants a permis de faire tomber quelques barons parmi les prédateurs d’ivoire, de chimpanzés ou de serpents.
Innombrables relais
Baptisé « Eagle » (Eco Activists for Governance and Law Enforcement), ce réseau est présent dans neuf pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest. « Les petits braconniers ne nous intéressent pas. Ils ne sont que l’ultime maillon d’une chaîne qui mène à de puissants syndicats transnationaux du crime. Le pangolin a trouvé sa place dans ces circuits obscurs et représente aujourd’hui la majorité de nos opérations », explique-t-il.
Acheminer plusieurs tonnes d’écailles vers les ports d’embarquement les plus prisés comme Douala, au Cameroun, ou Lagos, au Nigeria, suppose d’avoir d’innombrables relais pour assurer l’insatiable demande de la Chine ou du Vietnam. Tout en déjouant la surveillance des douaniers. Ce qui, dans cette partie du continent, n’est pas le plus insurmontable.
« Nos frontières sont pourries. Tout rentre et tout sort comme on veut, lâche sans détour Claude Keboy, membre du Groupe des spécialistes des pangolins de l’UICN en République démocratique du Congo (RDC) et coordonnateur de l’ONG Synergie rurale - Action paysanne. Les policiers ignorent la loi, ils ne savent pas que le pangolin est protégé comme l’okapi ou l’éléphant. Lorsque nous arrêtons des braconniers, ils sont vite relâchés. Les pangolins, eux, sont vendus sur les trottoirs de Kinshasa et on voit même des ministres en acheter. »
Le 22 février, 500 kilos d’écailles en provenance de RDC ont été saisis dans les environs de Bangui, la capitale centrafricaine. Ce pays enclavé, toujours en proie à l’insécurité cinq ans après la fin de la dernière guerre civile, offre, tout comme son voisin le Soudan du Sud, de tranquilles itinéraires de transit aux trafiquants, habiles pour se mouvoir dans ces Etats faillis. « Jusqu’à maintenant, les gens jetaient les écailles à la poubelle mais ils commencent à réaliser qu’elles peuvent représenter beaucoup d’argent », s’inquiète Jérémy Ndallot, ancien directeur de la faune au ministère des eaux et forêts, à Bangui.
La Centrafrique est le seul pays du continent à abriter les quatre espèces de fourmilier, et leur viande y est particulièrement recherchée. En Côte d’Ivoire, le 3 mars, plus de 3,5 tonnes d’écailles issues de saisies ont été incinérées devant la presse pour « lancer un signal » aux trafiquants. Mais les peines encourues – un an de prison maximum et 300 000 francs CFA (457 euros) d’amende en vertu d’une loi datant de 1965 – sont dérisoires pour dissuader des criminels dont le butin se chiffre en millions d’euros.
Les triades chinoises
De la collecte à la livraison finale, une cinquantaine de pays seraient impliqués dans ces circuits sinueux dont vingt-cinq en Afrique, selon l’UICN. Et qu’il s’agisse des ONG, des forces de police ou des douaniers, tous conviennent des difficultés à contrer un trafic aussi bien organisé dont l’une des têtes de pont serait les triades chinoises. Une véritable industrie.
Pour faire simple, le premier maillon de la filière récolte les écailles dans les villages africains, le deuxième les transporte dans des boutiques souvent tenues par des commerçants asiatiques ou ouest-africains, où elles sont stockées. Le troisième les transfère dans un port où une quatrième équipe a déjà préparé les faux documents douaniers et organisé « le couvre-bagage » c’est-à-dire les cargaisons alibis : bois creux, sacs de cacao, plastique à recycler, etc. « Sur ce point, les réseaux font preuve d’une incroyable imagination, témoigne Charlotte Nithart, directrice de campagne de l’association Robin des bois. Des écailles ont été saisies à Roissy cachées dans des boîtes de pop-corn et des sacs de croquettes pour chiens. Au Vietnam, elles étaient à l’intérieur du réservoir à gaz GPL d’une voiture. »
Le bateau est préféré à l’avion pour le transfert d’Afrique en Asie. Les volumes embarqués sont plus importants. Au départ du voyage, peu de difficultés. Les services douaniers – et ils le reconnaissent – s’intéressent en priorité à ce qui entre sur leurs territoires, pas à ce qui en sort, à la fois pour des raisons de sécurité nationale et de recettes fiscales. Les taxes sur les marchandises importées représentent des rentrées budgétaires substantielles notamment pour les Etats africains.
Zones franches non contrôlées
Les routes maritimes choisies ne doivent pas éveiller les soupçons. « Vous n’imaginez pas une seconde qu’un cartel colombien cache sa cargaison d’héroïne dans un navire reliant directement Carthagène à Marseille, et bien c’est pareil pour les écailles de pangolin, les pistes sont brouillées », explique-t-on, comme une évidence, à la direction générale des douanes, à Paris. Les conteneurs où sont dissimulées les écailles du quadrupède transitent beaucoup. Djebel Ali, neuvième port commercial mondial situé dans le sud de l’émirat de Dubaï, sert régulièrement de première escale. La marchandise illicite est alors transbordée – sans aucune intervention douanière puisqu’elle n’entre pas dans le pays – puis repart sur un autre bâtiment à destination de l’Europe où, après un nouveau stop, elle file vers Hongkong ou Singapour, de préférence dans les zones franches non contrôlées.
Directrice du renseignement de la fondation internationale Wildlife Justice Commission, créée en 2015 afin de lutter contre la criminalité environnementale, la Britannique Sarah Stoner souligne également les incroyables capacités d’adaptation des trafiquants aux fluctuations de la demande. La jeune femme dispose de trente enquêteurs dont la majorité travaille sous couverture. « D’après nos informateurs, le cours de l’ivoire, un bien de plus en plus difficile à écouler sur les marchés, serait en baisse depuis deux ans. Les mafias que nous avons identifiées, notamment celles spécialisées dans les faux papiers, lui préfèrent désormais l’écaille de pangolin. »
Les réseaux réagissent vite dès qu’ils se sentent menacés. Quand une compagnie maritime suspecte est repérée, « elle disparaît comme par enchantement, confie Igor Jakupic, agent à l’Organisation mondiale des douanes (OMD). Peu de temps après, une nouvelle firme apparaît, créée de toutes pièces avec un faux historique de navigation et de chargements. »
Sociétés-écrans et paradis fiscaux
L’OMD et Interpol coopèrent avec les forces de police nationale et coordonnent des coups de filet menés simultanément dans plusieurs pays. En juillet 2019, grâce à l’opération Thunderball, neuf tonnes d’ivoire et douze tonnes d’écailles de pangolin ont été confisquées à leur arrivée dans le port de Singapour. « Le réseau à l’œuvre était également spécialisé dans la contrefaçon de produits de luxe, indique Henri Fournel, coordinateur biodiversité à Interpol. Ce syndicat du crime disposait d’une solide base arrière qui payait, entre autres, l’ensemble des acteurs de la chaîne et versait des pots-de-vin à des officiels. » L’argent sale circule soit par des sociétés-écrans et des paradis fiscaux, ou, afin de ne laisser aucune trace, passe par les systèmes traditionnels de paiement informel comme l’hawala, fondés sur la confiance entre agents de change.
Les saisies perturbent les réseaux mais ne suffisent pas à les démanteler. « Arrêter des trafiquants est un début, il faut ensuite réussir à les condamner à des peines de prison importantes », insiste Henri Fournel, conforté par son confrère de l’OMD Igor Jakupic : « Quand 20 kilos de drogue sont interceptés, une équipe d’enquêteurs va immédiatement se mettre sur la piste des criminels. S’il s’agit d’écailles de pangolin ou de peaux de tigre, les troupes sont moins mobilisées, voilà la réalité. »
Pointé du doigt pour son laxisme, le gouvernement chinois a banni la consommation de viande de pangolin en 2017. L’utilisation d’écailles pour la médecine est, elle, contrôlée en théorie depuis 2007 par la création de « stocks certifiés » sous la tutelle de l’Administration nationale des forêts. Mais ce dispositif, qui attribue des licences à quelque 200 entreprises pharmaceutiques chargées d’approvisionner les hôpitaux publics en traitements traditionnels, est loin d’être étanche à la contrebande.
Manque de volonté politique ?
Fin 2019, China Biodiversity Conservation and Green Development Fondation, une importante ONG locale, membre de l’UICN, a interpellé les autorités sur la certification, par la province du Hebei, de trois lots représentant plus de 1,6 million de tonnes d’écailles en provenance d’Afrique. Selon les déclarations de son secrétaire général, Zhou Jinfeng, au magazine News China, « une grande quantité des écailles vendues en Chine sont illégales car les grossistes peuvent très facilement mélanger des marchandises certifiées avec celles de la fraude et échapper à toute régulation ».
Afin d’endiguer les méfaits du SARS-CoV-2, le régime autoritaire a pourtant su actionner ses réseaux de surveillance incarnés par les impitoyables comités de quartier. Comment dès lors ne pas s’interroger sur sa détermination à mettre fin au trafic de pangolins ? Est-ce par manque de volonté politique ? Pékin doit accueillir le prochain sommet de la Convention des Nations unies sur la biodiversité dès que la situation sanitaire mondiale le permettra. Les défenseurs de l’environnement confortés par le lien entre la maltraitance des espèces animales et la propagation de virus mortels pourraient alors mettre le président Xi Jinping, fervent défenseur de la médecine traditionnelle, face à ses contradictions.
D’ici là, le business continue. Dans le sud de la Chine, les marchés aux animaux sauvages ont rouvert. Et, le 31 mars, les douanes malaisiennes ont découvert 6 tonnes d’écailles de pangolin dans une cargaison de noix de cajou partie du Nigeria à destination de la Chine. Le Covid-19 enflammait déjà le monde depuis quelques semaines.
par Papa Demba Thiam
CONSTRUIRE L'AFRIQUE AVEC MOINS DE DETTE
Impulsés par des fonds publics limités, des investissements privés seront le moteur d'une croissance inclusive portée par plus de création de valeur dans un ensemble intégré
Le Point Afrique |
Papa Demba Thiam |
Publication 24/04/2020
Dans le contexte des mesures d'urgence de lutte contre les conséquences sanitaires et économiques de la crise du Covid-19, il importe de décrypter la réalité des financements proposés à l'Afrique. Certains de ses pays, parmi les 25 les plus pauvres du monde, bénéficient d'aides spéciales du FMI pour rembourser leurs dettes pendant ces six prochains mois. Ce sont des dons. D'autres utilisent des droits de tirage spéciaux (DTS) pour obtenir des prêts sans intérêts. Mais tous bénéficient d'un moratoire de six mois qui leur permet de ne pas payer les intérêts de leurs dettes pour cette période. Enfin, la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale (BM) offrent des ressources supplémentaires y compris par la réallocation des fonds de certains projets qui étaient déjà approuvés.
Dette africaine : un puits sans fond
Bien qu'appréciés par les gouvernements africains, ces efforts ne réduisent pas leurs dettes de manière significative. Certaines de ces mesures en augmentent même le volume. Ce sont pourtant les institutions financières multilatérales qui s'étaient récemment alarmées du poids grandissant de la dette africaine. Le sujet était même au centre de la Conférence de Dakar du décembre dernier sur le thème « Développement durable et dette soutenable : trouver le juste équilibre ». Peu après, s'est ensuivie une polémique entre la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) quant à leurs responsabilités respectives dans l'accroissement de la dette africaine. Au même moment, le cataclysme de la crise du Covid-19 était sournoisement en marche en Chine et vraisemblablement en Italie aussi. Et voilà donc qu'en trois mois, l'urgence de réduire la dette semble rangée au placard par ces mêmes institutions pour parer aux destructions du Covid-19. C'est que les institutions financières multilatérales ne font qu'avec ce qu'elles savent faire le mieux.
Dans ce contexte nouveau, ce sont donc paradoxalement les États africains, encore tout récemment accusés de « frivolité » envers les emprunts, qui ont pris conscience de la nécessité de sortir des cycles d'endettement sans fin qui risquent de noyer leurs économies. L'Afrique, dans le sillage de l'appel lancé par le président du Sénégal Macky Sall, réclame maintenant l'annulation pure et simple de la totalité de sa dette publique ainsi que la restructuration et le rééchelonnement de sa dette privée. Même le pape François s'y est mis lors de son homélie de la messe de Pâques, suivi par le président français Emmanuel Macron. Au-delà même de la faisabilité d'une telle opération, il convient de replacer la dette dans le contexte de son expansion.
L'endettement, fruit d'un système
À chaque modèle économique, son système d'endettement. Celui hérité du « consensus de Washington » n'a été le bon ni pour l'Afrique ni pour les pays développés. Parce que dans les pays occidentaux, l'endettement public massif a été favorisé par la mise en œuvre des dix « commandements du consensus de Washington » pendant les années où Margaret Thatcher était Premier ministre de Grande-Bretagne (1979-1990) et où Ronald Reagan a présidé les États-Unis d'Amérique (1981-1989). Concrètement, il s'agissait de libéraliser toutes les économies et de privatiser la plupart de leurs entreprises publiques.
Le désinvestissement dans l'industrie et les infrastructures
Des arrangements devant donner naissance à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont préparé presque tous les pays à s'ouvrir au libre mouvement des biens et services. Résultat : beaucoup d'entreprises des pays de l'hémisphère nord se sont délocalisées vers les « économies des marchés émergents ». Ayant laissé faire, les États ont littéralement cessé d'investir dans les infrastructures, la santé, la recherche-développement et bien d'autres domaines d'importance comme l'industrie, pour laquelle presque plus aucune politique n'a été poursuivie dans plusieurs pays…
En effet, excepté les pays du nord de l'Europe, l'Allemagne et la Suisse, qui ont maintenu leurs bases industrielles avec force internalisation de chaînes de valeurs pour la protection de leurs labels économiques, la plupart des économies occidentales se sont mises en mode « pilotage automatique » sous la férule d'institutions nationales et multilatérales dont la particularité était d'être administrées par des bureaucrates.
L'affaiblissement de pays développés
Ainsi a été poursuivi un modèle de globalisation qui a, petit à petit, fabriqué de la pauvreté dans des pays dits développés. L'explication en est simple. Les investisseurs privés occidentaux eux-mêmes étant allés ailleurs financer et monter des usines pour fabriquer à bas coûts, ont exporté vers les économies des marchés émergents, technologie, savoir-faire et emplois. Ils ont contribué à augmenter la masse de produits importés en Europe, aux USA et en Afrique. Pire, même les services s'y sont mis. Il en est ainsi de la comptabilité qui, entre autres services, a été délocalisée.
La conséquence en est que les pays occidentaux et l'Afrique sont peu à peu devenus des marchés de consommation alors que le chômage et la pauvreté s'y développaient. Dans cette affaire, ils ont tous beaucoup perdu. Non seulement les États concernés ont perdu d'énormes recettes fiscales et budgétaires, mais encore, ils ont été obligés de financer leurs filets de sécurité sociale par de l'endettement public. Ainsi, l'essentiel de leurs dépenses publiques financées par l'endettement n'étaient plus des investissements publics pouvant générer des ressources pour les rembourser. La crise fiduciaire et financière de 2008 a achevé d'installer ces États dans un endettement structurel que la lutte contre la crise du Covid-19 risque d'aggraver.
La dévastation de l'Afrique
Les économies africaines, qui souffrent depuis les années 1970 des sécheresses combinées avec la détérioration des termes de l'échange et des crises pétrolières, ont été plus encore touchées par le diktat du « consensus de Washington ». Parce que les conditions drastiques mises à l'accès aux ressources financières bilatérales et multilatérales se sont multipliées : mise en œuvre de « programmes de stabilisation » et de « programmes d'ajustement structurel » avec le FMI et la BM, conformité aux règles et disciplines de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), désengagement public d'« entreprises non essentielles », « privatisation » de la fourniture de services publics, embargo sur tous les investissements à « coefficient de capital élevé », etc. Conséquence : les investissements dans les infrastructures, la recherche, l'éducation, la santé et d'autres systèmes et structures de développement économique et social ont été abandonnés. Dans le même temps, l'ouverture progressive au commerce consacrée par les accords instituant l'OMC qu'ils ont signés s'est imposée aux États africains.
Le contre-système des économies des marchés émergents
Si l'Europe, l'Afrique et les États-Unis se sont laissé entraîner dans une fabrique de pauvreté, à des degrés divers, par la mise en œuvre du « consensus de Washington », les économies des marchés émergents ont opté pour une autre approche. Dirigés par des « gouvernements stratèges » qui croient dans la politique de développement, des pays comme la Chine, la Corée du Sud, le Vietnam, Taïwan, Hongkong, Singapour, la Malaisie, l'Indonésie, les Émirats arabes unis, la Turquie entre autres, ont utilisé de l'argent public en quantité plus limitée pour construire des « plateformes de compétitivité intégrées » (PCI) dans de nombreux secteurs économiques. Cela leur a permis d'attirer massivement des « investissements directs étrangers » (IDE).
De fait, alors que l'Europe et les États-Unis d'Amérique délocalisaient massivement leurs entreprises et que l'Afrique se confinait davantage dans son rôle de fournisseur de matières premières, les économies des marchés émergents accumulaient du capital financier grâce à leurs recettes fiscales et douanières accrues. Ceci a été rendu possible par des politiques volontaristes, interventionnistes et rigoureuses par lesquelles elles ont soigneusement évité de financer leur essor par un endettement massif.
Voilà pourquoi, alors que la question de la dette publique est sur toutes les lèvres, il n'y est pas beaucoup question de celle de ces pays. Ceux-ci ont plutôt acheté de la dette publique des pays occidentaux, investi dans leurs infrastructures, prêté de l'argent et soutenu leur secteur privé en Afrique avec des stratégies interventionnistes qui ont permis de renforcer leur présence dans des secteurs comme les infrastructures, les mines et les grands travaux. C'est comme cela que la Chine est devenue créancière pour environ 40 % de la dette africaine. Elle dispose ainsi d'un pouvoir de négociation qui la rend incontournable dans toutes les discussions concernant la dette africaine. La prise de conscience que permet la crise du Covid-19 est donc une chance pour l'Afrique de changer son modèle de développement ainsi que son mode de financement.
Comment l'Afrique peut-elle prendre sa chance ?
Les investisseurs des économies des marchés émergents ayant tendance à développer l'expertise nécessaire pour suivre des opportunités, il convient d'élaborer et de présenter des notes de politique à des communautés financières et industrielles auxquelles il faut démontrer la transparence et la cohérence de nouvelles stratégies d'allocation d'actifs financiers en Afrique. L'avantage est que cela met en évidence des opportunités d'investissements rentables en Afrique, même à court terme. Une telle approche pourrait donner lieu à des programmes de « coentreprise » et faire naître des « consortia d'investissements » avec des « Partenariats Stratégiques Public-Privé sur les Chaînes de Valeurs » (PSCV).
Les modèles de partenariat proposés s'appuient sur la transformation industrielle des ressources en Afrique pour créer des pôles de croissance qui sont reliés entre eux par des plateformes logistiques qu'il faut installer sur des chaînes de valeurs. Ils s'appuient sur une logique d'intégration économique et spatiale qui distribue des potentiels de croissance intégrés et complémentaires en Afrique. C'est comme cela qu'on pourrait graduellement construire en Afrique une constellation de « centres de croissance multipolaires » (CCMP) qui seront reliés par une capillarité de chaînes de valeurs qui traversent les espaces régionaux et sous-régionaux du continent. C'est là une manière de bâtir des économies africaines coémergentes et résilientes sur leurs forces, tout en y créant des millions d'emplois durables pour éradiquer la pauvreté, définitivement.
Il s'agit bien de créer toute une machinerie économique intégrée et de la mettre progressivement en branle. Il faut donc commencer par identifier des pays africains qui abritent une masse critique de systèmes et structures qui leur permettent de fonctionner comme des locomotives pour la coémergence du continent. L'analyse montre que plusieurs pays sont conséquemment configurés pour être renforcés et pour jouer ce rôle. Il est possible d'illustrer cela avec le cas du Maroc.
Pourquoi le Maroc pourrait être un exemple de locomotive
D'abord, le Maroc était déjà assez engagé à revoir entièrement son modèle de développement avant l'avènement du Covid-19, avec sa « commission spéciale sur le modèle de développement » (CSMD). Le pays est aussi géotratégiquement bien situé entre l'Afrique et l'Europe qui est à seulement 14 kilomètres de ses côtes maritimes. Il est voisin immédiat avec l'Afrique subsaharienne, ce qui a encouragé ses dirigeants à demander son adhésion à la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest » (Cedeao)). Donc rien que de par sa position géostratégique, le pays pourrait jouer un rôle important dans le cadre de la Zone de libre échange continentale africaine (ZLECA). Il pourrait donc devenir un « centre de croissance multipolaire » (CCMP) avec aussi bien des effets de polarisation d'activités économiques au Maroc que des effets de diffusion de nouvelles opportunités économiques sur l'Afrique. Cet élément est essentiel pour la construction de chaînes de valeurs continentales et pour des partenariats en coentreprise qui connectent l'Afrique et le reste de l'économie mondiale.
De plus, dans le cadre de la lutte immédiate contre les effets sanitaires et économiques du Covid-19, la base industrielle naissante et en pleine dynamique du pays, a démontré beaucoup de flexibilité et d'agilité en convertissant rapidement des lignes de production industrielle pour fabriquer des produits prophylactiques qui sont indispensables pour limiter la propagation du Covid-19. Par exemple, des usines pour produire des masques et du gel hydroalcoolique y ont été mis en place en très peu de temps au moment où des pays développés se battaient sur des cargaisons de ces mêmes produits venant d'Asie. Il faut encore noter que le pays est en train de se doter rapidement d'une culture industrielle qui essaie de maximiser le contenu local des chaînes de valeurs globales, ce qui contribue à y changer mentalités et comportements. Par exemple, les initiatives prises dans le domaine de l'industrie automobile où la valeur locale n'a cessé d'augmenter, illustrent le volontarisme efficace porté notamment par son ministère du Commerce, de l'Industrie, de l'Investissement et de l'Économie numérique qui est déterminé à pousser le pays à bâtir son économie sur ses forces.
Tout cela prédispose le Maroc à tester l'efficacité des « partenariats stratégiques public-privé sur les chaînes de valeurs » (SPCV) en utilisant des fonds publics limités pour attirer des investissements privés massifs avec une combinaison d'ingénieries technique, économique et financière taillées sur mesure.
À court terme, le gouvernement marocain pourrait émarger des fonds d'amorçage pour identifier des grappes potentielles dont le développement pourrait soutenir la transition du secteur informel et le restructurer pour augmenter sa productivité, sa compétitivité, et ainsi créer des centaines de milliers d'emplois durables pour les jeunes. L'utilisation de ressources financières publiques limitées permettrait aussi d'identifier des possibilités d'investissement dans des grappes économiques et des chaînes de valeurs aptes à soutenir ce modèle d'intégration économique inclusive en Afrique, parce que fondé sur la transformation de ses « avantages comparatifs » en « avantages compétitifs ».
À moyen terme, la mise en place d'un « fonds de développement de projets » (FDP) pourrait aider à financer le développement de projets jusqu'à des niveaux de maturité et d'appréciation des risques qui permettent de les « revendre » aux investisseurs privés.
L'identification, le développement et la coordination d'un tel modèle de croissance inclusive et progressivement intégrante à l'échelle du continent, passe par le développement des capacités d'« entrepreneuriat institutionnel » au Maroc et progressivement dans d'autres pays. Les bureaucrates peuvent être aidés à se muer en « entrepreneurs institutionnels » par de la formation dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie proposée. Cela permettrait de concevoir et multiplier plus rapidement des « partenariats stratégiques public-privé sur les chaînes de valeurs » multidimensionnels autour de projets en grappe et présenter des opportunités concrètes d'investissements solidaires aux investisseurs privés et institutionnels. Cette opération de « promotion proactive des investissements » (PPI) pourrait se faire avec la mise en place de systèmes et structures d'une « conférence permanente des investisseurs du Maroc » (CPIM). Une manière d'y réorienter et de restructurer la promotion des investissements et de l'adapter à la stratégie proposée.
Ce sont là des éléments de stratégie dont la diplomatie économique marocaine pourrait rapidement se servir pour soutenir ses discussions en cours avec les dirigeants africains et qui pourraient aboutir à un projet de coémergence africaine. Le Maroc n'en serait qu'une des premières étapes dans la construction de « centres de croissance multipolaires » (CCMP) partout en Afrique, avec la même doctrine et les mêmes principes. Dans le contexte actuel, un tel modèle fait sens. Il réduit l'usage de fonds publics au minimum et élimine la tendance à l'endettement public. Un pas important pour reconstruire les économies africaines sur des bases endogènes plus saines pour, enfin, hâter l'intégration économique et spatiale du continent dans des directions pertinentes et acceptables pour tous ses États.
Papa Demba Thiam est un économiste sénégalo-suisse, ex-cadre de la Banque mondiale est professeur et entrepreneur privé pour le développement des chaînes de valeurs.
LA DETTE DIVISE L’AFRIQUE
Annulation ou moratoire ? L’Afrique peine à accorder ses violons sur sa dette afin de faire face à la pandémie du coronavirus.
Annulation ou moratoire ? L’Afrique peine à accorder ses violons sur sa dette afin de faire face à la pandémie du coronavirus. Alors que Dakar plaide pour son annulation, Cotonou par la plume de son ministre de l’Economie et des finances, Romuald Wadagni, démontre dans une tribune publiée par le site jeuneafrique.com, «pourquoi l’allégement de la dette africaine n’est pas une solution». Au niveau sous-régional, alors que Macky Sall a réussi à faire adopter l’appel de Dakar hier, jeudi 23 avril, par treize pays de la CEDEAO, la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), navigue à contre-courant. Dans une interview accordée à Rfi et à France24, la Rwandaise, Louise Mushikiwabo, soutient que «l’Afrique ne veut pas de traitement spécial». «Nous demandons plutôt un moratoire (…) qui va jusqu’en fin 2020 (…) Nous aimerions beaucoup que cette période s’étend jusqu’à la fin de 2021 », a plaidé Mme Mushikiwabo.
ROMUALD WADAGNI, MINISTRE BENINOIS DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES : «L’allégement de la dette africaine n’est pas une solution»
«Les dépenses des États sont appelées à croître rapidement pour contrer la propagation de la pandémie alors même qu’il faut continuer à faire face aux défis du développement. À ce constat, s’ajoute la chute importante des recettes qui vient réduire davantage les marges budgétaires. L’allègement de la dette ou un moratoire constitue dans ce contexte, un appel à l’indulgence des créanciers et n’apporte pas de solutions structurelles aux difficultés des États». C’est l’avis ministre béninois de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni qui s’exprimait dans une Tribune publiée par le site de Jeune Afrique.
Contrairement au Président de la République Macky Sall, il estime qu’un allègement de la dette ou un moratoire pour le paiement des échéances ternira davantage l’image des États et compromettra leur accès aux financements futurs. «Nos pays subiront un effet induit sur la perception de leur qualité de crédit ; ce qui les exposerait à des sanctions ultérieures inévitables de la part du marché. Un moratoire pourrait même être considéré dans certaines documentations de prêt comme un événement de défaut par les créanciers privés, qu’il soit voulu ou subi et quand bien même il ne concernerait que les créanciers publics bilatéraux», a-t-il laissé entendre.
Selon lui, au-delà des agences de notation qui pourraient sanctionner le non-respect d’une échéance de prêt, tous les efforts fournis par nos pays pour améliorer le climat des affaires et la perception de risque présentée dans les classifications de l’OCDE notamment et utilisée pour définir le taux d’emprunt de nombreux prêts, ne seront qu’anéantis.
Par ailleurs, le Ministre des finances béninois a rappelé que les annulations de dettes opérées dans la décennie passée n’ont pas manqué de laisser de mauvais souvenirs. «C’est le lieu de rappeler que les annulations de dettes opérées dans la décennie passée à la suite de l’initiative PPTE, n’ont pas manqué de laisser de mauvais souvenirs tant au niveau des créanciers privés que des prêteurs bilatéraux publics dont certains ne sont d’ailleurs plus jamais revenus financer nos États, si ce n’est par l’octroi de dons», indique-t-il.
Or, au regard de la faiblesse de l’épargne intérieure et du secteur privé, la dette, la bonne, aux meilleures conditions de coût et de durée, est essentielle pour mettre nos économies sur un sentier de croissance soutenue et durable.
Soulignant que les besoins urgents exprimés par l’Afrique se chiffrent à 100 milliards de dollars (dont 44 milliards pour le service de la dette), il pense qu’une nouvelle allocation en Droits de tirages spéciaux du FMI tant débattue devrait être envisagée. Selon lui, elle permettrait d’apporter une réponse rapide et efficace aux besoins des pays les plus vulnérables tout en préservant la soutenabilité de leur dette.
«Cette solution n’est pas nouvelle et fut mise en œuvre avec succès lors de la précédente crise financière mondiale de 2008 où 250 milliards de dollars furent débloqués rapidement. Par ailleurs les importantes liquidités mises en œuvre dans plusieurs grands espaces économiques ces derniers jours sont édifiantes», soutient-il.
LOUISE MUSHIKIWABO, LA SECRETAIRE GENERALE DE L’ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE : «L’Afrique ne veut pas de traitement spécial»
«Concernant l’annulation de la dette, moi-même et cette équipe d’Africains internationalistes, beaucoup d’entre nous, des sommités dans le domaine de la finance et de l’économie internationale, nous demandons plutôt un moratoire, un gel sur le paiement de la dette puisque l’Afrique, comme le reste du monde, doit trouver l’espace et le temps de s’adresser à cette question très épineuse de la maladie et puis ensuite remettre ses économies sur les rails.
En réalité, l’Afrique ne veut pas de traitement spécial, l’Afrique veut comme tous les autres grands pays en Europe et ailleurs qui ont pris des mesures économiques importantes, ont même changé des lois pour pouvoir gérer cette crise et ensuite se préparer à remonter leurs économies après la crise. Donc pour nous ce qui est important c’est ce gel si vous voulez. Il y a encore à faire effectivement, c’est ce qu’on a publié dans cette tribune parce que d’abord il faudrait considérer tous les pays africains. Aujourd’hui, ce ne sont pas tous les pays, c’est un bon nombre, c’est un bon début mais cette maladie ne discrimine pas les grands ou les petits, ça se voit même à travers le monde.
Ensuite le moratoire qui va jusqu’en 2020, ce n’est même pas jusqu’à fin 2020, c’est moins d’un an. Nous aimerions beaucoup que cette période s’étende jusqu’à la fin de 2021, ensuite, un échange franc et productif sur le secteur privé africain. Beaucoup de pays ont pris des mesures pour accompagner et faire en sorte que les entrepreneurs et les grandes sociétés à travers le monde puissent ne pas être emportés par cette crise et l’Afrique en a vraiment besoin. Il en va aussi de la nécessité d’emploi.
Beaucoup d’Africains aujourd’hui, surtout dans le secteur informel, se retrouvent sans emploi donc cela aussi une discussion que l’on aimerait voir entre les dirigeants africains et leurs créanciers», a déclaré la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dans une interview accordée à Rfi et à France24. Louise Mushikiwabo prend ainsi le contrepied du président de la République française, Emmanuel Macron et de son homologue du Sénégal, Macky Sall qui demandent carrément l’annulation de la dette africaine.
LA CEDEAO ADOPTE L’APPEL DE DAKAR
Treize pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont appelé hier, jeudi 23 avril à Abuja à l’annulation de la dette pour faire face à la pandémie de coronavirus. Le sommet extraordinaire par téléconférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO a passé en revue les effets du Coronavirus sur leurs économies.
Le président de l’organisation sous-régionale et président de la République du Niger, Alhaji Mahamadou Issoufou, a souligné les effets dévastateurs du virus sur les populations et les économies des Etats membres. Une déclaration du Secrétariat de la CEDEAO hier, jeudi à Abuja, a indiqué que M. Issoufou a appelé à des efforts de collaboration entre les États membres pour lutter contre la pandémie, qui, selon lui, a déjà fait de nombreuses victimes dans la région et au-delà. Le président en exercice a plaidé pour une annulation totale de la dette des pays africains afin de permettre au continent de survivre à l’ère post-coronavirus.
Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (RSSG), M. Mohamed Ibn Chambas a également appelé à l’annulation de la dette des pays africains dans le cadre palliatif visant à amoindrir les effets du virus sur leurs différentes économies.
LES DONS PARVENUS AU FORCE COVID-19 S’ÉLÈVENT À 298,6 MILLIARDS DE FRANCS CFA
Des institutions, des entreprises, des organisations, des particuliers font partie des donateurs qui ont répondu à l’appel à la solidarité nationale et internationale lancé par l’Etat du Sénégal, dans le cadre de la riposte contre le Covid-19, précise un
Dakar, 23 avr (APS) - Les dons remis au fonds Force Covid-19 s’élèvaient, mercredi 22 avril, à 298 milliards 618 millions 285 mille 771 francs CFA, a-t-on appris de la direction générale du Trésor et de la comptabilité publique (DGTCP).
Des institutions, des entreprises, des organisations, des particuliers font partie des donateurs qui ont répondu à l’appel à la solidarité nationale et internationale lancé par l’Etat du Sénégal, dans le cadre de la riposte contre le Covid-19, précise un communiqué de la DGTCP.
Cet appel à la solidarité nationale et internationale a pour but de susciter ‘’la mobilisation de ressources nécessaires au financement des actions d’endiguement de la pandémie et de soutien aux entreprises et des ménages dans le besoin’’, rappelle le communiqué.
Le ministère des Finances et du Budget a annoncé, le 27 mars, l’ouverture d’un compte bancaire dénommé ‘’Compte spécial fonds coronavirus/Covid-19)’’, auprès de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Ce compte est destiné à recueillir les contributions financières à la lutte contre le Covid-19. Il est ouvert sous le numéro bancaire SN0000100100000006025215/CODE BIC BCEAO : BCAOSNDA.
Les virements effectués de l’étranger (hors UEMOA) doivent être destinés à ce compte.
Pour les transferts effectués au Sénégal et dans les autres pays de l’UEMOA, les contributeurs doivent les destiner au compte N° : SN750 01010 000003683106 74 Code BIC : TRPNSND1. Ce compte est intitulé : ‘’FORCE COVID-19’’.
Les versements en espèces ou remises de chèques sont admis auprès de tous les guichets du Trésor public, partout au Sénégal.
Les chèques sont libellés à l’ordre du Trésorier général du Sénégal Covid-19, précise le communiqué. Il assure que ‘’toutes les contributions se feront contre délivrance d’un reçu bancaire, d’une quittance du Trésor ou tout autre document en tenant lieu pour les versements effectués auprès de ses guichets’’.
Le ministère des Finances assure que les services de la direction générale du Trésor et de la comptabilité publique ‘’restent disponibles à l’échelle du territoire national et dans les missions diplomatiques’’.
UN SIÈCLE QUI COMMENCE MAL
Le Covid-19 est à la fois un accélérateur d’égoïsmes, un forgeur d’humilité, un révélateur de priorités. L’Afrique a beaucoup trop donné et il est temps qu’elle pense à elle-même. L'UA fait honte - ENTRETIEN AVEC AMADOU LAMINE SALL
La pandémie du Covid-19 continue de causer des bouleversements à l’échelle planétaire. Au vu des chiffres communiqués quotidiennement, on est encore loin du reflux attendu pour soulager l’humanité de cette souffrance et cette peur indicible.
Aux conséquences socio-économiques déjà visibles, s’ajoutent aussi de brûlantes questions sur l’avenir, sur l’homme, sur notre humanité. Après l’éclairage de l’anthropologue Abdou Ndao, Ouestaf News donne la parole à un autre intellectuel africain de renom : le poète sénégalais Amadou Lamine Sall, lauréat des Grands prix de l’académie française. Dans cet entretien réalisé via courrier électronique, il livre un regard lucide sur le Covid-19. Une catastrophe sanitaire qui, selon lui, fait partie des multiples manifestations d’un siècle « puant et ténébreux », mais surtout qui « commence mal ».
Ouestafnews –Le Covid-19 fait des ravages dans le monde, avant d’aborder les grandes questions, dites-nous, à un niveau plus personnel, avez-vous peur ? Pour vous ? Vos proches ?
Amadou Lamine Sall –Peur pour moi, non ! Peur pour mes proches, oui. Peur pour tous ceux qui se réveillent le matin pour aller chercher une pitance, oui. Je suis bouleversé par la disparition de Pape Diouf, de Manu Dibango que le Covid-19 a vaincu. Non, je n’ai pas peur. Les pandémies ont toujours existé avec, souvent, des millions de morts. A l’État de jouer. Aux populations d’assumer leurs responsabilités de sécurité édictée par les corps soignants.
Ouestafnews –Dans le regard du poète que vous êtes, comment est perçu ce chaos planétaire, provoqué par la pandémie ?
Amadou Lamine Sall –Au delà de la punition divine évoquée, au delà des vanités, des élucubrations, des milliards de vidéos menteuses et amusantes qui embouteillent les réseaux sociaux, il y a cette réalité effrayante que ce monstre de virus s’est bien échappé d’un laboratoire où tout a échappé aux rigueurs d’un protocole médical non respecté. Nous devons méditer cette coûteuse bavure qui plonge le monde dans la terreur, le silence et le deuil. Les progrès de la science auxquels nous avons confié notre santé, notre avenir, nous assassinent froidement. La littérature, la poésie, la musique, comme science douce, apaisante et purificatrice, n’auraient pas commis un tel crime. La science ne devrait pas nous faire peur. Elle devait nous apaiser.
Ouestafnews – Parlant du chaos actuel, vous dites sur votre page Facebook que ce siècle « n’aura pas 100 ans ». C’est quand même une grosse affirmation. Qu’est-ce que vous entendez par là, le Covid-19 signe-t-il l’apocalypse ? La fin du monde ?
A.L.S – Ce siècle commence mal. Les grandes puissances marchandes et conquérantes ont aiguisé leurs coutelas. Voyez la géopolitique mondiale entre la Chine, les États Unis, l’Europe, pour s’en arrêter là. Regardez la rage et la complexité des conflits au Proche et au Moyen-Orient. Observez les sommets luxueux et la pitoyable vanité du G8. Pensez au réchauffement climatique et aux politiques désastreuses sur l’environnement et l’écologie malgré des signatures pompeuses et des accords trahis. Pensez à la longue mainmise de Boko Haram sur les pays du Sahel et la pétrification de nos États et de l’Union Africaine qui confient à la pauvre France notre destin. Oui, ce siècle est déjà puant, ténébreux, tendu, pessimiste. Et comme si cela ne suffisait pas, voici le Covid-19 qui s’invite et qui nous creuse des tombes comme si celles déjà creusées par les conflits ne suffisaient pas. Comment alors ce siècle pourrait-il avoir 100 ans ? Les poètes sont par nature de joyeux optimistes, mais notre terre va mal. C’est pour le moment un enfer climatisé, mais jusqu’à quand le peu de fraîcheur tiendra ?
Ouestafnews –Malgré son extraordinaire potentiel scientifique, l’Europe se retrouve dans le gouffre fatal d’une maladie infectieuse, pensez-vous que l’orgueil des grandes puissances peut s’en retrouver blessé ?
A.L.S –Il n’existe plus de grandes puissances. C’est un leurre et le Covid-19 l’a mis à nu. Il a mis à découvert toute leur fragilité, leur peur, leur pauvreté même. Désormais, plus notre terre se mondialisera plus elle se tribalisera. Chacun pour soi et tous pour soi. L’Union Européenne en a administré la preuve en laissant crever l’Italie, l’Espagne. Les solidarités ont vite pris la fuite. C’est une prodigieuse et inespérée leçon de politique internationale en temps de mort. A l’Afrique d’anticiper et de veiller à ce que personne désormais ne se lève avant elle pour lui couvrir les fesses. Le Covid-19 est à la fois un accélérateur d’égoïsmes, un forgeur d’humilité, un révélateur de priorités de santé et d’autosuffisance alimentaire. Que personne ne vienne plus faire le gros dos avec sa puissance nucléaire, ses industries, ses réserves d’or, son pétrole.
Ouestafnews-« Vaincus, nous nous relèverons mais nous ne serons plus les mêmes », dites-vous. Vous pensez vraiment que l’après pandémie sera différente, que la crise va accoucher d’un nouveau monde ?
A.L.S –Il n’y aura pas un nouveau monde. Ce monde-ci n’avait rien de nouveau. Il était le résultat de la victoire du néolibéralisme sur toutes les autres idéologies. Avant même la chute du mur de Berlin. A Moscou, Coca-cola, Christian Dior occupent aujourd’hui la place. Le monde a changé. C’est le règne de l’argent et du luxe. C’est le règne des oligarchies. Les pays arabes ne sont pas épargnés. Rien ne sera différent après l’émotion du Covid-19. La vraie nature qui gouverne le monde reprendra vite sa place. C’est plutôt maintenant que tout le monde en profitera, riches et pauvres, à tenter de se mettre à l’abri en accumulant mieux et plus et en ne comptant que sur soi-même, d’abord. D’autres virus arrivent.
Ouestafnews -Seriez-vous d’accord pour dire avec certains que cette pandémie montre quand même que l’Afrique n’est pas en marge de la mondialisation ?
A.L.S –A moins que je ne me trompe, vous semblez crier victoire pour l’Afrique face à sa posture actuelle et des conséquences moindres pour le moment que l’impact du Covid-19 a sur ses populations, contrairement à la catacombe en Chine, en Europe et les USA qui se liquéfient. Certes, mais attendons de voir. Ne crions pas victoire trop tôt. Le Sénégal n’est pas l’Afrique. Notre pays a fait jusqu’ici admirablement face à ce virus monstrueux. Prions pour que l’Afrique soit moins atteinte et que les mauvais chiffres s’arrêtent loin des frontières de notre continent. A la vérité, nous n’avons jamais été en marge de la mondialisation.
On s’est mis nous-mêmes en marge de la mondialisation en choisissant de gouverner nos peuples avec le diable et les hyènes. C’est une vérité connue et reconnue : l’Afrique est prodigieusement riche, mais on l’appauvrit et par commencer par ses propres enfants. Laissons enfin l’Europe tranquille. Elle ne fait que son job de brigand qu’elle n’a jamais cessé d’être depuis les conquêtes coloniales : voler, spolier, corrompre, conquérir, maquiller, trahir, “déculturer”. A l’Afrique de cesser d’accepter d’être son terrain de chasse et de jouissance. Coopérons mais sans émotion, sans faiblesse coupable. Nous sommes si beaux, si forts quand nous le voulons. Coopérons dans le respect, la justice, l’éthique.
Ouestafnews – On a vu de l’extérieur beaucoup « d’intérêt » pour l’Afrique, y compris dans des pays rudement touchés : vraie compassion ? Condescendance ? Ou simples vieilles habitudes ?
A.L.S –Le premier intérêt qui s’est manifesté pour l’Afrique, c’est de venir y expérimenter de douteux vaccins. Nous avons gueulé. Les hyènes démasquées ont pris la poudre d’escampette. Ensuite est arrivée une seconde vague de compassion. Les Grands Blancs ne peuvent pas comprendre que l’Afrique puisse résister au Covid-19. Cela leur est presque insoutenable ! Il faudrait que quelqu’un puisse nous expliquer pourquoi l’Union Européenne vient-elle nous apporter une aide financière, alors qu’elle a pris le temps de laisser crever l’Italie et l’Espagne, la pauvre France se traînant comme elle peut elle aussi, pour s’en sortir.
Est-ce également par orgueil que l’Europe ne profite pas de ce chaos planétaire, pour demander comme l’Afrique l’annulation de sa propre dette ? Prenez le temps d’aller voir l’ampleur de la dette de certains pays européens, pour se dire que l’Afrique n’a rien à se reprocher. La dette est nécessaire au développement, si on sait bien utiliser l’argent emprunté. Que ceux qui veulent nous aider dans cette crise mondiale viennent donc. Pourquoi leur dire non, même quand ils ont le Covid-19 sur le chèque ?
Ouestafnews – Quelle doit être désormais la posture de l’Afrique vis-à-vis de l’Occident à votre avis, en tirant les leçons de ce que nous sommes en train de vivre ?
A.L.S –La meilleure posture à tenir, c’est de commencer par travailler d’abord pour nous-mêmes, pour nos peuples. Commencer par bâtir avec ce que nous possédons. Commencer par nous respecter nous-mêmes, être dignes. L’Afrique a beaucoup trop donné et il est temps qu’elle pense enfin à elle-même. Il est aussi temps de réformer l’Union Africaine, d’en faire un outil enfin fiable, producteur de pensées, de concepts, d’actions, de solidarités.
Il faut réinventer l’UA. Elle fait honte. Il faut aller vite, très vite dans l’affirmation et la consolidation des cercles concentriques pour une unité régionale d’action et d’ensemble plus opérationnelle. Essayons d’avoir dans nos agendas de la semaine, un jour ou deux, où nous ne prononçons pas le nom de l’Europe, de la Chine, des USA, des pays du Golfe, où nous n’avons pas à la bouche la dette africaine, le retard de l’Afrique, mais seulement ce qui a trait à notre continent, à son développement, son indépendance, sa solidarité, son identité.
Laissons un moment tranquille les autres. Mais ce n’est pas vrai, par contre, que l’Afrique vivra seule et se développera seule sans les autres, sans la coopération internationale. L’Europe s’est développée avec nos ressources et nos richesses. Alors, pourquoi refuserions-nous l’argent qu’elle nous montre. Mais, commençons par coopérer entre nous Africains, nous développer entre nous Africains, respecter nos peuples démunis sinon dépouillés par les gouvernants Africains eux-mêmes. Respectons la démocratie, respectons nos Constitutions.
Ouestafnews – Pour prévenir les prochains virus et des crises à venir, vous professez « le règne de l’esprit », concrètement comment celui-ci doit se manifester ?
A.L.S –Comme j’aimerai justement que chaque sac de riz distribué au Sénégal soit accompagné d’un livre. Nous avons des milliers de tonnes de vivres distribués et pas un seul kilo de livres. Des centaines de camions qui sillonnent le pays sans un seul carton de livres. C’était là une belle occasion pour que les livres des écrivains sénégalais et africains soient distribués, que le Coran et la Bible soient distribués. Un livre c’est aussi un vivre. Dans le couvre-feu et le confinement, il sert. Pour vous dire que nous ne devons jamais marginaliser le savoir, la pensée, l’esprit. C’est par eux que nous résistons le mieux à la déperdition.
C’est par eux que nous nous renforçons intérieurement.Si le Covid-19 se révélait comme un virus que seule la lecture d’un livre par jour pouvait guérir, je serai le plus heureux des hommes car notre monde changerait. Voyez-vous, ceux qui lisent, ceux qui nourrissent la pensée, ceux qui chérissent l’esprit, ne se rendent même pas compte ni d’un couvre-feu ni d’un confinement. C’est une discipline personnelle du corps et de l’esprit. Voyez-vous, si vous désertez l’esprit il est alors temps de mettre l’espèce humaine sur la liste des espèces menacées à court terme.
Ouestafnews – Vous pensez que cela suffira pour sauver le monde ?
A.L.S –Je suis un croyant. Je crois aux forces de l’esprit. Rien ne sauvera le monde si ce n’est notre propre posture face au monde. Voyez ce que les hommes ont fait de notre terre. Dans moins de vingt ans, tous les glaciers vont fondre à chaque été. Cela changera beaucoup de paramètres dans notre vie sur terre. D’ailleurs, elle a déjà beaucoup changé notre vie sur terre. Nous avons fait beaucoup de mal à la nature. Ne disons pas qu’elle se venge ou qu’elle se vengera. La nature est meilleure que nous. Elle est plus généreuse, plus offerte, plus digne que nous. Elle ne se vengera pas. Elle laissera faire et quand nous ne la verrons plus, quand nous ne la sentirons plus nulle part dans nos vies, alors nous saurons mesurer le poids de notre crime et nous verrons de nos propres yeux la mort venir vers nous. Il sera trop tard. Vous avez vu et entendu comment la terre chante, comment les oiseaux volent, comment le ciel est bleu depuis que les avions ne décollent plus, que les usines ne fonctionnent plus à temps plein ? N’est-ce pas là un formidable message pour nous indiquer la voie ?