SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
6 mai 2025
International
MACKY SONNE LA CHARGE
À l'heure où s'ouvre la course à sa succession, le chef de l'État répond aux questions sur la compétition à venir et surtout sur son challenger le plus redoutable, Ousmane Sonko, qu'il semble déterminé à tenir à distance du palais présidentiel
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 21/11/2023
Dans une interview exclusive accordée à Jeune Afrique, le président sénégalais Macky Sall est revenu sur les douze années passées à la tête du pays, à quelques mois de quitter le palais de la République. Comme le souligne le média panafricain qui a rencontré le chef de l'État à Dakar, il est rare que ce dernier accorde de longs entretiens en profondeur. Macky Sall s'est pourtant prêté au jeu de façon détendue, répondant sans détour aux questions pendant plus d'une heure.
Interrogé sur sa décision de ne pas se représenter pour un troisième mandat, annoncée en juillet dernier, Macky Sall a indiqué vouloir "respecter [son] engagement" et "apaiser les tensions", alors que cette hypothèse avait longtemps suscité la polémique. Sur le choix de son dauphin Amadou Ba, il a mis en avant sa "capacité à rassembler", face à ses concurrents Mahammed Boun Abdallah Dionne, Aly Ngouille Ndiaye et Abdoulaye Daouda Diallo.
Concernant la compétition électorale à venir, le président sortant estime qu'elle sera "la plus ouverte" de l'histoire du pays, sans lui à sa tête. Tout en concédant que le scrutin pourrait impliquer "des combinaisons politiciennes", il juge que le candidat de sa majorité, Amadou Ba, "part quand même favori". Sur la figure d'Ousmane Sonko, il dit considérer "tous ceux qui ne sont pas avec [lui] comme des adversaires politiques, rien de plus", même s'il reste "intransigeant quand on veut faire basculer le pays dans le chaos".
Interrogé sur les critiques visant des atteintes présumées aux libertés, Macky Sall a répondu que les opposants "ne seraient pas justiciables". Sur la dette du Sénégal, il souligne qu'elle a servi à "construire des infrastructures indispensables". Enfin, il a évoqué avec fierté les politiques sociales mises en place, tout en exprimant sa frustration de ne pas avoir pu lancer les travaux du Mémorial de Gorée.
Prochain retraité de la politique, Macky Sall assure qu'il s'impliquera sur des sujets comme "le leadership de l'Afrique" ou "la gouvernance mondiale". S'il dit comprendre les coups d'État qui secouent le continent, il appelle à "repenser les armées" pour éviter qu'elles ne prennent le pouvoir. Sur la montée d'un sentiment antifrançais en Afrique, il estime que si des "erreurs" ont été commises, la France "ne peut être tenue responsable de tous les maux" du continent.
LE LIBÉRIA DONNE L'EXEMPLE D'UNE TRANSITION PACIFIQUE
Leçon ouest-africaine. Reconnaissant sa défaite électorale, le président libérien George Weah salué pour son fair-play démocratique dans une région secouée par les coups d’État
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 20/11/2023
La reconnaissance rapide de sa défaite par le président sortant du Liberia, George Weah, à l'issue du second tour de l'élection présidentielle, a été saluée par la communauté internationale comme un exemple rare en Afrique de l'Ouest.
"Les Libériens ont démontré une fois de plus que la démocratie est vivace dans l'espace Cedeao et que le changement par des voies pacifiques est possible", a déclaré la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) dans un communiqué, citant le Liberia comme un "modèle" à suivre dans une région secouée ces dernières années par une série de coups d'Etat militaires.
Dans une intervention télévisée le 8 décembre, George Weah a reconnu sa défaite face à son opposant et ancien vice-président Joseph Boakai, donné vainqueur par les résultats préliminaires. "Ce soir, le CDC (sa formation politique) a perdu l'élection mais le Liberia a gagné", a déclaré l'ancien footballeur, assurant avoir félicité son "adversaire, que j'appelle le président élu".
"C'est le temps de l'élégance dans la défaite", a ajouté George Weah, se disant "fier" d'avoir respecté ses engagements en matière de "justice, de paix, d'inclusivité, de transparence et de crédibilité". Il a appelé ses partisans à "accepter les résultats".
Cette annonce rapide a été saluée par la communauté internationale. La Cedeao a souligné qu'"il s'agissait des premières élections libériennes sans supervision de l'ONU depuis la fin de la guerre civile en 2003", note Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU.
L'ancien président nigérian Goodluck Jonathan, qui avait supervisé le scrutin, a estimé que George Weah avait "fait preuve de qualités d'homme d'État exemplaires". Le président nigérian Bola Tinubu a quant à lui loué son "leadership hors du commun" et sa "sportivité démocratique".
LES PAYS AFRICAINS INVITÉS À ASSEOIR DES SYSTÈMES ALIMENTAIRES ADAPTÉS ET DURABLES
La secrétaire exécutive du Conseil national pour le développement de la nutrition (CNDN) a invité lundi les pays africains à ‘’poursuivre’’ leurs efforts ‘’visant à asseoir des systèmes alimentaires adaptés et durables’’.
Dakar, 20 nov (APS) – La secrétaire exécutive du Conseil national pour le développement de la nutrition (CNDN) a invité lundi les pays africains à ‘’poursuivre’’ leurs efforts ‘’visant à asseoir des systèmes alimentaires adaptés et durables’’.
‘’Pour une amélioration durable de la situation nutritionnelle dans nos pays, nous devons poursuivre nos efforts visant à assoir des systèmes alimentaires adaptés et durables’’, a déclaré Aminata Ndoye Diop.
Elle s’exprimait à l’ouverture de la 5e Conférence de la Fédération africaine des sociétés de nutrition, qui se tient du 19 au 24 novembre à Dakar.
Le thème de la conférence est : ‘’Approche multisectorielle pour renforcer les systèmes alimentaires et atteindre les objectifs nutritionnels durables en Afrique’’.
Elle a indiqué que ‘’pour matérialiser notre appropriation de l’objectif mondial visant à disposer d’un capital humain durable, le Sénégal a élaboré (…) la politique nationale de développement de la nutrition ainsi que le plan stratégique multisectorielle de la nutrition’’.
Les deux documents ont été conçus ‘’dans le sillage du Plan Sénégal émergent (PSE), cadre de référence de nos politiques publiques’’, a-t-elle précisé.
Elle estime que la garantie d’une bonne nutrition des populations africaines passe par l’agro-industrie face à la croissance démographique, à l’urbanisation et au changement climatique.
Cela requiert aussi la mise en place de politiques publiques capables de développer des systèmes alimentaires durables et simples.
La mobilisation des ressources, principal défi
‘’Aujourd’hui, nous sommes dans une approche multisectorielle pour pouvoir mieux adresser les déterminants de la malnutrition’’, a informé la secrétaire exécutive du CNDN.
Elle estime que la ‘’mobilisation des ressources pour la nutrition’’ constitue aujourd’hui le principal défi à relever.
‘’Cela montre que le plan n’était pas mis en œuvre en intégralité. Donc, le défi aujourd’hui, c’est la mobilisation des ressources destinées à la nutrition’’, a-t-elle insisté.
Le docteur Valérie Ndiaye, présidente de l’Association de nutrition et d’alimentation du Sénégal (ANAS), affirme que compte tenu de l’existence au Sénégal d’’’une approche multisectorielle’’, il convient de ‘’passer au financement de tous ces plans qu’on élabore et mettre en pratique ce qu’on a écrit dans les plans d’actions’’.
Elle relève que ‘’la nutrition n’est pas bien financée’’, contrairement à d’autres programmes comme ceux relatifs à la vaccination, au paludisme, au sida.
Cette situation semble paradoxale à ses yeux, étant donné qu’’’une personne bien nourrie, bien alimentée pourrait résister correctement à beaucoup de maladies’’.
‘’Nous lançons un appel aux partenaires pour qu’ils financent les programmes, parce qu’il s’agit du gros défi aujourd’hui’’, a conclu le docteur Ndiaye.
MACKY SALL RÉPOND À SES DÉTRACTEURS
Le président de la République affirme n'avoir "aucun regret" concernant le traitement judiciaire réservé à l'opposant Ousmane Sonko, mettant notamment en garde "ceux qui veulent l'anarchie et le chaos pour assouvir leurs ambitions"
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 20/11/2023
Dans un entretien accordé à Jeune Afrique cette semaine, le président Macky Sall affirme n'avoir "aucun regret" concernant le traitement judiciaire réservé à l'opposant Ousmane Sonko.
Interrogé sur les critiques pointant un acharnement du pouvoir à l'encontre de ses principaux adversaires politiques, le chef de l'Etat a fermement réfuté ces accusations. "Les opposants, ou les hommes politiques de façon générale, ne seraient pas justiciables ?", a-t-il demandé au journaliste.
Macky Sall a notamment rappelé les "menaces de mort" et les appels "à me destituer ou à l'insurrection" lancés à son encontre par Ousmane Sonko. "Si le Sénégal était une dictature, comme certains veulent le faire croire, pensez-vous sincèrement qu'il aurait pu passer une seule journée à m'insulter en boucle ?", a-t-il interrogé.
Le président sénégalais a par ailleurs dénoncé avec vigueur les violences commises lors des manifestations en soutien à l'opposant en mars 2021. "De soi-disant militants de son parti ont tué des femmes innocentes en lançant des cocktails Molotov contre un bus de transport public dont ils avaient bloqué la porte", a-t-il déploré.
Citant ces "atrocités", Macky Sall s'est dit déterminé à ne pas céder à "ceux qui veulent l'anarchie et le chaos pour assouvir leurs ambitions". "Force doit rester à la loi", a-t-il martelé, réaffirmant que "tout ce qui a été fait" dans cette affaire s'était déroulé "selon les normes démocratiques les plus élevées".
Cet entretien confirme la fermeté du chef de l'État face aux critiques récurrentes sur la judiciarisation de la vie politique sous son régime, qu'il continue de rejeter avec vigueur.
par Jacques Habib Sy
QUELQUES REPÈRES DANS LA PENSÉE POLITIQUE DE CHEIKH ANTA DIOP
EXCLUSIF SENEPLUS - L'acculturation des intellectuels nègres a été d'une violence telle que même lorsqu'ils sont dotés des meilleures dispositions à la réflexion et l’organisation, ils se sentent mal à l'aise sans une tutelle (3/5)
A trente ans, et alors qu'il préside aux destinées de l'A.E.-R.D.A. Cheikh Anta Diop conçoit dans le feu de l'action anticolonialiste et antiimpérialiste un projet politique capital.
En février 1952, il en présente les conclusions de façon ramassée et limpide dans l'organe mensuel de l'Association, "La Voix de l'Afrique Noire". L'article est intitulé "Vers une idéologie politique africaine".
Cheikh Anta Diop restitue ainsi qu'il suit la dimension historique de ces moments :
« C'est en février 1952, écrit-il dans "Les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral d'Afrique noire", alors que j'étais Secrétaire général des Étudiants du R.D.A. que nous avons posé le problème de l'indépendance politique du continent noir et celui de la création d'un futur État fédéral.
« Cet article qui n'était que le résumé de "Nations Nègres", en cours de publication, traitait des aspects politique, linguistique, historique, social, etc., de la question.
« Il est certain qu'à l'époque, les députés malgaches et le leader camerounais, Ruben Um Nyobe, mis à part, aucun homme politique africain noir francophone n'osait encore parler d'indépendance, de culture, oui de culture et de Nations africaines. Les déclarations qui ont cours aujourd'hui, à ce sujet, frisent l'imposture et sont, pour le moins, des contre-vérités flagrantes ».
Prise de conscience africaine
De nombreux témoins encore vivants de cette période reconnaissent qu'entre 1946 et 1954, Cheikh Anta Diop s'est dépensé sans compter dans le mouvement politique et syndical africain en Europe et au cours de rencontres internationales réunissant l'intelligentsia nègre mondiale ou pendant les réunions parisiennes de la salle de conférence surchauffée du Palais de la Mutualité. Et souvent, c'est sur les terrasses du Petit Cluny en plein cœur du Quartier Latin de Paris que venaient le retrouver des étudiants de plus en plus nombreux avides d'entendre son message politico-culturel sur la fédération et l'indépendance africaines, l'héritage égypto-nubien de l'Afrique, la réhabilitation des langues nationales, le danger nucléaire Sud-africain, et les fondements de l'unité africaine, thème repris par Nkrumah en 1963 lors de la création de l'Organisation de ]'Unité Africaine et en 1964 dans "L'Afrique doit s'unir".
Écrit d'un jet, "Vers une Idéologie Politique Africaine" représente une ligne programmatique, mais surtout une véritable doctrine politique doublée d'un manifeste du colonisé africain. Le texte pose de façon remarquable tous les problèmes politiques, économiques et culturels que Cheikh Anta va s'appliquer pendant plus de quarante ans à développer dans ses écrits ultérieurs. C'est à partir de la même charpente qu'il se mobilise concrètement sur le terrain politique panafricain (AE-RDA, FEANF, soutien aux fronts de libération nationale algérien (FNLA) et sénégalais (Bloc des Masses Sénégalaises ; Front National Sénégalais ; Rassemblement National Démocratique).
D'entrée de jeu, Cheikh Anta va à l'essentiel. Notre objectif central en tant qu'opprimés luttant pour le salut national, écrit-il, est d'œuvrer à la prise de conscience populaire parmi les classes qui ont intérêt au changement. Celles-ci englobent ouvriers et paysans, notables et artisans, fonctionnaires, chrétiens, musulmans et adeptes des "religions paléonigritiques". Les objectifs centraux de ce front de salut national se posent contre l'exploitation capitaliste, pour "la suppression totale du colonialisme", le bienfondé de la confiance en la force et la primauté du peuple, l'utilisation du progrès scientifique comme arme de transformation de l'environnement socio-culturel, la lutte collective dirigée par une avant-garde contrôlée par la vigilance populaire, la nécessité historique de lutter jusqu'à "l'indépendance nationale du continent noir" et, par conséquent, le bannissement du culte de la personnalité et de toute tentative "d'un retour à un passé féodal et d'une domination du Nègre par le Nègre".
Vaste programme qui recentre la tragédie africaine en plein cœur de la problématique du développement humain vu sous l'angle de la libération nationale et du progrès social !
Il faut, insiste Cheikh Anta, amener la conscience populaire à atteindre ces objectifs. Faire comprendre au peuple qu'« il est maître de son sort et qu'il peut l'améliorer par des moyens naturels dont il est convaincu de l'efficacité pour les avoir expérimentés équivaudra à lui faire faire un saut qualitatif, une découverte dont l'importance sur le plan africain est comparable à celle de la découverte de l'énergie atomique dans le domaine scientifique ».
Pour déclencher la prise de conscience souhaitée chez l'Africain, « il convient d'abord d'identifier et d'analyser les obstacles sociaux et psychologiques qui s'opposent ( ... ) à une prise de conscience ». Cheikh Anta résume ces obstacles à travers les facteurs suivants :
« 1. Flottement de la personnalité de l'Africain ;
« 2. Barrières ethniques, sociales, linguistiques et liées à l'éducation populaire parascolaire ;
« 3. Contraintes liées à l'action politique sur le terrain africain et l'absence d'une véritable idéologie politique africaine ».
Le premier obstacle à la prise de conscience, que ce soit chez l'élite intellectuelle ou parmi les masses travailleuses, est d'ordre psychologique. Comme le constatera Fanon une décennie après dans ses "Damnés de la Terre", "la revendication d'une culture nationale passée ne réhabilite pas seulement, ne fait pas que justifier une culture nationale future. Sur le plan de l'équilibre psycho-affectif elle provoque chez le colonisé une mutation d'une importance fondamentale (... ). Le colonialisme ne se satisfait pas d'enserrer le peuple dans ses mailles, de vider le cerveau du colonisé de toute forme et de tout contenu. Par une sorte de perversion de la logique, il s'oriente vers le passé du peuple opprimé, le distord, le défigure, l'anéantit" (voir « Les damnés de la Terre », ouvrage lucide de cet auteur).
Dans ces conditions il faut restaurer au peuple la conscience de sa dignité, de la force irrésistible qu'il représenterait en décidant de s'impliquer totalement dans la lutte de libération nationale et d'imprimer au mouvement démocratique la marque indélébile de ses aspirations les plus profondes à la justice sociale et à la construction d'une nation fondée hors des canons de l'oppression sociale et de l'exploitation de l'homme par l'homme. Face au panorama culturel émacié que présente le tableau continental, d'Alger au Cap, il faut lui substituer de nouvelles tensions prenant racine dans la maîtrise des réalités historiques et culturelles nationales. Dans cette formidable entreprise de transmutation de la culture autochtone en une culture nationale désaliénée, il est vital de comprendre que tel un fauve à l'affût de sa proie, l'impérialisme envisage depuis trois siècles de tuer la culture africaine pour mieux asservir le peuple qui en a la charge historique.
"La personnalité de l'Africain, écrit Cheikh Anta Diop, ne se rattache plus à un passé historique et culturel reconnu par une conscience nationale. Les puissances colonisatrices ont compris dès le début que la culture nationale est un rempart de sécurité, le plus solide que puisse se construire un peuple au cours de son histoire et que tant qu'on ne l'a pas atrophiée, ou désintégrée, on ne peut pas être sûr des réactions du peuple dominé, de l'achèvement de son assimilation et de son asservissement total. Aussi le colonialisme a-t-il introduit l'aliénation, sous toutes ses formes, depuis l'école jusqu'au chantier. Diop en conclut que :
« (...) Il en résulte un manque de confiance en soi et en ses propres possibilités, ce qui est fatal à une œuvre aussi positive qu'une lutte de libération nationale. Il nous a paru donc nécessaire de tenter un travail qui, en permettant à l'Africain de retrouver la continuité de son histoire et la consistance de sa culture, en même temps que les moyens d'adapter celle-ci aux exigences modernes, lui permette de reconquérir cette assurance et cette plénitude intérieure différentes de la suffisance et sans lesquelles l'effort humain est difficilement efficace ».
Dès cette époque, il ne fait aucun doute aux yeux de Cheikh Anta que les finalités positives d'une dénonciation sans compromission de "la plus monstrueuse falsification de l'humanité", falsification liée "aux nécessités de l’exploitation impérialiste" par le biais d'idéologues historiens et d'égyptologues sans scrupules, vont permettre à l'Africain "de retrouver une confiance en soi" et d'acquérir une fierté légitime incompatible avec l'idée d'un joug étranger sous quelque forme que ce soit".
En 1952, Cheikh Anta a déjà construit la charpente théorique et méthodologique de sa démonstration que l'Égypte pharaonique est d'essence africaine et que les Africains ont le devoir de s'inspirer de cette donnée fondamentale pour guider leurs choix de société, rédiger leur propre histoire et atteindre la plénitude intellectuelle en élaborant les "humanités africaines à base d'égyptien ancien". Mais il répète en insistant que la contemplation inquisitrice du passé ne devrait pas déboucher sur la capitulation politique, le snobisme, l'arrogance et le mimétisme intellectuels alors largement répandus sous des formes différentes certes mais convergentes parmi les grands pontes du parlementarisme colonial, les tenants d'une négritude de service courbant l'échine devant l'oppresseur étranger, et les jeunes activistes marxisants qui "ont oublié de soigner leur formation" politique et substituent à la connaissance objective des faits un langage cacophonique d'autant plus prompt au recours à l'injure. L'ambiguïté sur le plan des objectifs stratégiques à assigner à la lutte pour la révolution démocratique africaine est donc absente dès les premiers pas politiques de Cheikh Anta.
A la seconde série de barrières nées de l'exploitation capitaliste qui ne peut cesser qu'avec la lutte du peuple tout entier "pour la suppression totale de cette exploitation", il oppose la démonstration de l'unité linguistique africaine basée sur la parenté génétique et généalogique entre l'égyptien pharaonique et les langues africaines. Mais aussitôt posé cet axiome Cheikh Anta se meut sur le terrain de la lutte dans l'Afrique contemporaine : "En démontrant d'une façon indiscutable, écrit-il, la parenté des Sérères, des Valafs, des Saras (...), des Sarakolés, des Toucouleurs, des Peuls, des Laobés, je rends désormais ridicule tout préjugé ethnique entre les ressortissants conscients de ces différents groupements. Ce principe doit être étendu à toute l'Afrique par nos frères des autres régions". A cette action sur le terrain linguistique, il convient d'ajouter celle visant à décloisonner la société de ses barrières sociales et de sa stratification en castes afin que tous s'impliquent dans la résistance anti-impérialiste.
Impérium des langues nationales
Jetant un regard cru sur les exigences de l'agitation et la propagande politiques, il stigmatise "l'absence de moyens d'expression modernes à l'échelle du peuple" et suggère qu'il faudrait envisager sans délai "I' étude et le développement des langues africaines de façon à rendre celles-ci aptes à exprimer les sciences exactes ( ... ), la technique, la philosophie" et les concepts politiques les plus complexes visant à rendre au peuple le pouvoir, tout le pouvoir.
Dans cet ordre d'idées, la voie royale pour faire accéder le peuple à la nécessité de prendre en charge son propre destin, c'est l'éducation populaire parascolaire et l'utilisation des langues nationales à tous les échelons de la vie sociopolitique. La langue doit être le catalyseur d'une vie politique nationale autocentrée. Elle n'est pas seulement un attribut de la culture, elle est aussi fondamentalement le vecteur principal de la démocratie populaire. Sans langues nationales en tant que catalyseur de la vie constitutionnelle et politique nationales, il n'y a pas de démocratie. L'absence des langues nationales du champ scientifique et technologique équivaut à tuer l'esprit d'innovation scientifique et donc tout progrès social. La langue nationale est le capital le plus précieux qui puisse appartenir à un peuple.
En utilisant sa propre langue dans l'action politique, l'Africain conscient rompt par là même avec les siècles antérieurs de négation de son histoire et donc de sa langue par le colonisateur. La politique d'assimilation colonialiste va même plus loin en interdisant l'utilisation des langues autochtones dans les écoles qu'elle crée en vue de rationaliser son projet d'abrutissement culturel. Grâce à l'appui criminel des missionnaires chrétiens Blancs à la politique d'assimilation culturelle, le colonialisme en vient à détruire les autels traditionnels séculaires où les Africains communiaient naguère avec l'ancêtre des temps premiers, dans la transcendance de l'Esprit Absolu immanent au Noun et au Maat égypto-nubiens. Lorsque les autels sacrés, véhicules d'une pensée religieuse vitaliste authentiquement nationale, sont foulés au pied, on convainc l'Africain "évolué" de n'utiliser sa langue ni au foyer familial encore moins sur les lieux de travail. Il doit désormais prier, étudier, travailler, penser, spéculer et même roter en se servant des langues de l'envahisseur étranger. La boucle est ainsi bouclée.
Et l'impérialisme peut tranquillement, dans le cynisme le plus révoltant, couper l'Africain de son soubassement culturel égypto-nubien, lui faire croire que ses "ancêtres sont des Gaulois" et que ceux du Blanc sont des égyptiens anciens, les mêmes reconnus par Hérodote plusieurs siècles auparavant comme des créatures "à la peau noire et aux cheveux crépus" (voir les écrits d’Hérodote). L'impérialisme tente ainsi de faire prendre à l'Africain les vessies pour des lanternes. C'est contre cette politique d'asservissement, d'oppression et d'exploitation que s'élève Cheikh Anta et contre laquelle il oppose une parade mortelle : la réhabilitation des langues nationales, la création d'une littérature moderne écrite dans ces mêmes langues, l'irruption de celles-ci dans le champ politique non pour perpétuer l'infirmité issue du clientélisme partisan ou ethnocentriste, mais pour les faire accéder au statut d'instruments privilégiés de la libération culturelle, scientifique et politique.
Il y a une troisième série d’obstacles à la prise de conscience politique chez l'Africain. "L'incompatibilité en Afrique, écrit-il, de la fonction publique et de la position du militant de carrière, les nouvelles perspectives d'embourgeoisement, le caractère infâmant de la peine de prison, même pour raison politique, la fausse interprétation du fatalisme, l'absence d'une idéologie politique définissant clairement les problèmes, sont, entre autres et pour ne citer que ceux-là autant de facteurs qu'il faut évoquer ... ".
Ici est clairement perçue la nécessité de la spécialisation dans l'action révolutionnaire permanente et le fait que l'efficacité du militant africain dépend dans une large mesure de sa capacité d'autonomie financière face au pouvoir central. L'indépendance de jugement sur le terrain de la lutte idéologique est également mise en relief pour indiquer que l'idéologie politique est par essence, et avant d'être une explication du monde, une philosophie de l'action et de la rupture avec l'ordre ancien, une conception historico-culturelle qui se définit et n'a de sens que par rapport aux réalités concrètes du foyer "national" où elle se meut.
L'idéologie politique africaine qui se déploierait sur le terrain stratégique en vue d'édifier l'architecture culturelle, politique et économique d'une société de type nouveau délestée de l'oppression et de l'exploitation ne saurait faire l'économie d'une connaissance approfondie des réalités et de l'histoire nationales. Rien ne saurait l'en dispenser. A défaut de cette immersion absolue dans le milieu social et donc d'une connaissance intime des formes autochtones et externes de l'exploitation et de l'oppression, la triple révolution pour le triomphe de la nation, de la démocratie et du peuple au sens révolutionnaire de ces termes est impossible.
Évaluer la citadelle « marxiste »
Que le marxisme soit une approche féconde pour bâtir l'idéologie politique qui fait si cruellement défaut à l'Afrique, ne fait aucun doute aux yeux de Cheikh Anta. Mais comme toute idéologie, le "marxisme" et le communisme représentent un ensemble d'idées, de croyances, de pratiques et de doctrines propres aux contradictions de leur terrain d'enfantement, en l'occurrence, les luttes sociales de l'Europe du XIXe siècle puis de la Russie du début du siècle suivant. La critique "sans complaisance" des abus conceptuels et idéologiques du marxisme sur le terrain de l'histoire africaine et asiatique devient donc, aux yeux de Cheikh Anta, une nécessité historique, une sorte de passage obligé du stade de la révolution pensée en termes étrangers à celui de la révolution authentiquement nationale. Cette dernière seule peut garantir à la révolution africaine un succès durable et la pleine participation aux progrès et aux exigences de la révolution mondiale.
Cheikh Anta mesure parfaitement l'ampleur de ce projet titanesque puisqu'il prend acte des erreurs de jugement du Parti Bolchévique, en particulier sous Staline, devant les exigences de l'indépendance nationale en Inde, puis en Chine. Il pressent déjà comment, à partir d'une vision bureaucratique et, il faut bien le dire paternaliste et condescendante des rapports entre partis communistes "frères", le Parti Communiste Français a pu exiger des révolutionnaires algériens qu'ils se détournent de la lutte pour l'indépendance nationale immédiate sous le prétexte incroyable que celle-ci est jugée "prématurée". Cheikh Anta se rend compte que les particularités de l'histoire projettent sur la question de la lutte des classes en Afrique une dimension d'autant plus singularisée par l'absence de véritables patrons nationaux d'industrie, donc d'une bourgeoisie de type classique européen et son antithèse ouvrière typique du contexte de développement du niveau de production et des forces productives des deux siècles qui précèdent la première révolution bolchévique de l'histoire.
Et finalement, cet héritage hégélien de l'histoire des formations sociales que l'on retrouve chez Marx et Engels de façon à peine atténuée ! Bien que Cheikh Anta n'ait cru à aucun moment qu'un "rendez-vous avec Engels", selon la formule du Professeur Massamba Lame, constituait un déterminisme, une sorte d'à priori pour aborder l'étude des sociétés africaines, la "rencontre" des deux hommes sur le champ scientifique relève presque de la fatalité. A partir du moment où Marx, mais surtout Engels, reprennent des idées erronées et des contrevérités sur l'histoire africaine, notamment sur la question du matriarcat dans le développement de l'humanité, les modes de production successifs de la plus haute antiquité au Moyen Age, l'histoire des migrations intercontinentales, la nature des luttes sociales et politiques dans la Grèce antique et l'ancienne Égypte, Cheikh Anta a dû réexaminer ces questions avec la plus grande minutie mais selon un axe de raisonnement jusque-là ignoré par Marx et Engels.
L'absence de faits précis et de détails à caractère ethnographique et anthropologique sur les formations sociales africaines et asiatiques étudiées ou parfois seulement survolées par Marx et Engels au moment où ils observent ces sociétés est réelle. Mais l'argument n'est pas décisif. Le fait important qu'il convient de souligner ici c'est que les témoignages des anciens sur la nature du peuplement dans l'ancienne Égypte sont disponibles depuis longtemps. Mais ils ne revêtent aucun intérêt pour les historiens Européens de la période qui précède les grandes expéditions françaises et anglaises en Égypte. De plus, l'Afrique occidentale et équatoriale a été parcourue depuis belle lurette par des explorateurs qui ont consigné des observations plus ou moins dignes de foi par écrit.
Du vivant d'Engels, l'énorme entreprise de négation de l'histoire africaine atteint des sommets rarement égalés. Le mythe du nègre « sauvage » est déjà largement répandu cependant que les idéologues-historiens de l'impérialisme occidental s'évertuent rageusement à blanchir l'Égypte pharaonique nubienne. A ce moment-là, l'Afrique noire est déjà exsangue, dépeuplée par trois siècles d'esclavage, la traite nègrière étant encore pratiquée à une échelle considérable cependant que la diaspora noire de l'Europe, des Amériques et des Caraïbes n'arrive, qu'à d'insignifiantes exceptions près à faire entendre la voix d'érudits nègres (Amos, par exemple) disant leur humanité.
La récente publication des "Cahiers ethnologiques de Karl Marx" par Lawrence Krader donne raison à Cheikh· Anta Diop d'avoir eu le courage de s'être élevé sur le terrain scientifique et de la lutte politique contre la déformation de l'histoire africaine. On oublie trop souvent que les matériaux de recherche sur lesquels Marx et Engels fondent leur argumentation principale sur l'aspect prétendument généralisé du matriarcat dans les sociétés indo-européennes sont fondamentalement erronés. Les arguments fournis par Lewis Henry Morgan, et, à contrario, par Henry Sumner Maine et John Lubbock conduisent Marx et Engels à penser que le berceau de l'humanité se trouverait en Asie, que le culte du serpent en Afrique de l'Ouest serait indicatif d'une étape "supérieure" du culte des anciens dieux, etc. Engels en arrive même à écrire dans son "Origine de la famille, de la propriété et de l'État" que "c'est peut-être à l'abondance de la viande et du lait dans l'alimentation des Aryens et des Sémites et particulièrement à ses effets favorables sur le développement des enfants, qu'il faut attribuer le développement supérieur de ces deux races" ! On croirait rêver, et l'on est en droit de se demander si Cheikh Anta n'a pas eu raison d'écrire : "Posez le problème des patrimoines culturels, aussitôt les teintes politiques s'effacent, et à quelques exceptions près, l'unanimité des savants occidentaux se réalise spontanément contre l'Afrique".
Briser le dogmatisme idéologique
Amady Ali Dieng reconnaît avec justesse l'aspect pionnier de l'œuvre de Cheikh Anta :
« Il a eu le mérite, écrit-il, d'avoir contesté les thèses de Engels sur le problème de la famille très tôt et notamment dans sa thèse complémentaire élaborée durant les années 1958-1959. II a eu raison sur les marxistes européens et africains qui étaient encore enfermés dans le dogmatisme "stalinien". C.A. Diop a été, sur le problème de l'étude de la famille, en avance sur les marxistes européens et en particulier J. Suret-Canale, car celui-ci n'a pas mis en cause la thèse du passage universel du "matriarcat" au ''patriarcat" défendu par Engels sur la base des travaux de L. Morgan au moment où C.A. Diop le faisait dans « L'unité culturelle de l'Afrique noire ».
Soulignant le caractère méritoire de l'œuvre de Cheikh Anta en particulier dans sa remise en cause du "miracle grec", l'un des mythes les plus ténus de la panoplie impérialiste de l'Occident, Dieng rappelle aux marxistes africains le "grand intérêt à tirer profit des travaux de C.A. Diop". Et Dieng de conclure :
« Le silence à l'égard de ses thèses (celles de Cheikh Anta) ne serait ni honnête ni courageux. Son examen critique sur la base de recherches sérieuses est une tâche qui est venue à son heure, car dans le domaine de la philosophie de l'histoire africaine, il a été à l'antipode de Hegel, le grand théoricien de la bourgeoisie européenne conquérante ».
On mesure l'importance de ce témoignage repère lorsqu'on réalise que plus d'un quart de siècle sépare cette prise de position de la période où Cheikh Anta procède à la première révolution de type copernicien dans le domaine de l'histoire africaine et universelle et non de la philosophie de l'histoire comme il l'a lui-même précisé au cours du Symposium sur son œuvre organisé en 1983 à Dakar.
Si le marxiste sénégalais Amady Ali Dieng, dans son "Hegel, Marx, Engels et les problèmes de l'Afrique Noire", a reconnu les lacunes de Marx et Engels au sujet de l'histoire africaine, on ne peut pas en dire autant de la plupart des marxistes africains. Quand il leur arrive de reconnaître les erreurs des fondateurs du marxisme, c'est toujours avec un complexe d'infériorité et une révérence devant les travaux de Marx et Engels encore trop marquée par la gêne, la peur presque de mettre à nu, sans faux-fuyants les insuffisances théoriques des fondateurs du marxisme. Cette timidité idéologique et politique est d'autant plus grave qu'on en perçoit les conséquences sur le terrain des luttes de libération africaines. L'héritage stalinien parmi les marxistes africains, bien qu'il ne soit pas toujours reconnu comme tel, constitue l'un des malentendus politiques les plus tragiques au sein de l'intelligentsia radicale africaine.
On y confond trop souvent catéchisme et connaissance -au sens étymologique dérivé du latin cognoscere, c'est-à-dire observer, expérimenter, ressentir un objet-réalité dans toute son authenticité. Il faut, bien entendu, arriver à observer la situation sans œillères idéologiques et politiques, en toute autonomie, pour être capable de la transformer. Là se trouve l'une des plus grandes difficultés du patriotisme révolutionnaire africain. L'acculturation des intellectuels nègres a été d'une violence telle que même lorsqu'ils sont dotés des meilleures dispositions à la réflexion et l’organisation, ils se sentent mal à l'aise sans une tutelle et une approbation idéologiques externes à l'Afrique.
Ainsi, critiquer l'ethnocentrisme de Marx est considéré comme une trahison insupportable ou relève de l'effronterie réactionnaire. Cette attitude est d'autant plus affligeante qu'elle dénote chez leurs auteurs le manque d'audace intellectuelle et, en conséquence, l'incapacité de poser les problèmes à partir de matériaux primaires, ouvrant ainsi aux Africains, et selon les vœux maintes fois exprimés par Cheikh Anta, « l’accès aux débats scientifiques les plus élevés de notre temps, où se scelle l'avenir culturel » du monde négro-africain.
C'est à ce titre que l'on est en droit de parler d'une véritable rupture épistémologique introduite par Cheikh Anta dans la réflexion politique et la pratique idéologique. Car avant lui, l'Afrique noire d'expression officielle francophone, à de très rares exceptions, ne manifeste sa volonté politique, au moment de la publication de "Vers une idéologie politique africaine", qu'à travers des pamphlets dérisoires ou le cliché idéologique. On se spécialise presque dans le badin pseudo-idéologique et l'art de la pastiche oratoire bon marché. Ces révélateurs d'un gauchisme d'apparat sont encore visibles, quoique de façon atténuée, dans les rangs du mouvement étudiant africain et trahissent l'aliénation culturelle et une profonde méconnaissance des réalités de l’espace sociopolitique africain.
NIGER-CÔTE D'IVOIRE, LE BRAS DE FER PAR PROCURATION
Certains opposants, à l'image de Guillaume Soro, "savent identifier les dirigeants hostiles aux leurs, pour se voir offrir de quoi les mettre dans l’embarras". C'est sans doute le but recherché par le général Tiani en recevant l'opposant ivoirien
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 19/11/2023
L'ancien Premier ministre ivoirien Guillaume Soro, en disgrâce auprès du président Alassane Ouattara depuis 2019, multiplie les déplacements à l'étranger ces derniers mois. Selon Jean-Baptiste Placca, éditorialiste à RFI, "Guillaume Soro semble en vouloir tout particulièrement à l'actuel chef de l'État ivoirien, dont il se dit « le bienfaiteur », sans pour autant préciser en quoi ont effectivement consisté lesdits bienfaits".
Plus récemment, c'est au Niger que l'opposant ivoirien s'est rendu, accueilli par le chef de la junte au pouvoir, le général Mohamed Ouhoumoudou. "Pourquoi le général Tiani, chef de la junte nigérienne, qui a déjà tant de mal à se faire accepter par les autres États, reçoit-il de la sorte un opposant en délicatesse avec le pouvoir ivoirien ?" s'interroge Jean-Baptiste Placca.
En effet, comme le souligne l'éditorialiste, "en Afrique, nombre de chefs d’État affectionnent régler les inimitiés avec leurs pairs par un soutien perfide à leurs opposants respectifs. Accueil, facilités financières et, à l’occasion, de quoi déstabiliser franchement un régime". Certains opposants, à l'image de Guillaume Soro, "savent identifier les dirigeants hostiles aux leurs, pour se voir offrir de quoi les mettre dans l’embarras". C'est sans doute le but recherché par le général Tiani en recevant l'opposant ivoirien.
Cependant, une telle manœuvre n'est pas sans risque. Jean-Baptiste Placca prend l'exemple de "Salif Diallo, homme d’État burkinabè, en rupture ouverte avec Blaise Compaoré, accueilli à Niamey, discrètement, mais à bras ouverts, par l’ancien président Mahamadou Issoufou. Sachant la capacité de nuisance du président du Faso, son homologue nigérien avait pris soin de le prévenir. Blaise Compaoré feignit de comprendre. Mais, se préparait aussitôt à déstabiliser le Niger, notamment en soutenant son principal opposant".
Selon l'éditorialiste, "la pratique était-elle aussi répandue que cela ? Répandue à un point que vous ne pouvez imaginer". Il cite notamment les exemples des opposants guinéens accueillis en Côte d'Ivoire ou des opposants de Sao Tomé soutenus en Angola. Mais ces soutiens pouvaient aussi rapidement cesser si les chefs d’État concernés rétablissaient de bonnes relations.
En conclusion, Jean-Baptiste Placca estime qu'"il n’y a, finalement, rien d’anormal dans ce qui vient de se produire à Niamey. Rien à reprocher à Soro et Tiani". Mais il souligne que Guillaume Soro devra désormais "se contenter d’user de la seule arme qu’il lui reste : le verbe. En espérant que les Nigériens ne se lasseront pas trop vite de ses vociférations, et de ce besoin de rappeler sans cesse qu’il est « le bienfaiteur » d’Alassane Ouattara".
VIDEO
MAMADOU IBRA KANE APPELLE À UNE REFONDATION DÉMOCRATIQUE
Du parrainage dévoyé à la nécessité d'une gouvernance plus exemplaire et co-construite avec les citoyens, le patron du groupe Émedia dresse un état des lieux sans concession de la politique sénégalaise, dans l'émission Objection sur Sud FM
Le journaliste et homme politique Mamoudou Ibra Kane, qui s'est retiré de la course à la présidentielle, a livré une analyse sans concession de la situation politique au Sénégal, dans l'émission Objection de Sud FM ce dimanche.
L'invité de Baye Omar Gueye a énoncé les dérives du parrainage des candidats à la présidentielle, devenues selon lui "un grand business" d'achat de signatures. Il appelle à une refonte en profondeur des politiques publiques, axée sur la co-construction avec les citoyens, qui ont été peu associés depuis l'indépendance.
Mamoudou Ibra Kane prône plus de dialogue entre gouvernants et gouvernés, un leadership construit sur l'exemplarité et l'empathie. Il a fixé comme chantiers prioritaires la lutte contre la corruption, l'emploi des jeunes via l'industrialisation et la décentralisation de l'économie.
Concernant les décisions de justice sur le processus électoral, le journaliste appelle au respect des décisions et des voies de recours légal. Il a souligné que l'opposition devrait revoir sa stratégie et privilégier le dialogue avec le pouvoir pour défendre l'inclusion et la transparence du contrôle.
QUAND LES CHERCHEUSES AFRICAINES FORCENT LE DESTIN
En Afrique, seules une chercheuse sur trois est une femme. Malgré leur excellence, les scientifiques africaines font face à de nombreux obstacles sur leur parcours
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 19/11/2023
Les femmes restent sous-représentées dans la recherche scientifique en Afrique, comme le révèle une enquête réalisée par Le Monde dans le cadre d'un partenariat avec la Fondation L'Oréal. Selon les chiffres de l'Unesco, un tiers seulement des scientifiques sur le continent sont des femmes, même si la parité progresse lentement. Les chercheuses témoignent d'un "parcours du combattant" pour embrasser une carrière scientifique en Afrique.
Le Forum économique mondial estime qu'il faudrait un siècle au rythme actuel pour atteindre la parité homme-femme chez les scientifiques africains. Si le Maghreb et l'Afrique du Sud progressent, le nombre de chercheuses stagne dans le reste de l'Afrique subsaharienne à environ un tiers. Cette région ne compte que 96 chercheurs tous genres confondus par million d'habitants, contre plus de 770 en Afrique du Nord et près de 5.000 en France.
Pourtant, les scientifiques africaines sont en pointe sur de nombreux défis comme les maladies, l'accès à l'eau, le changement climatique ou les énergies renouvelables. Elles représentent même désormais 35% des doctorants en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM).
Pour accélérer les progrès, l'Unesco et la Fondation L'Oréal ont décidé d'élargir leur Prix Femmes et Sciences en Afrique subsaharienne, récompensant désormais 30 lauréates contre 20 auparavant. "L'avenir est à la science et la science est aux femmes", commente Alexandra Palt, directrice de la Fondation L'Oréal.
Cependant, les chercheuses africaines font face à de nombreux obstacles. "Nous avons cumulé tant d'obstacles pour y arriver. Le parcours du combattant continue après le doctorat, alors que nous devrions nous sentir arrivées", témoigne Awa Bousso Dramé, doctorante sénégalaise. Outre les stéréotypes, elles doivent composer avec les pesanteurs sociales qui les assignent avant tout au foyer. Le harcèlement sexuel peut également mettre en péril leur carrière.
Depuis 2018, l'Unesco et la Fondation L'Oréal proposent donc aux lauréates une formation d'une semaine pour mieux les armer, qu'il s'agisse de leadership, négociation, communication ou lutte contre le harcèlement. "C'est vraiment un moment libérateur", souligne Alexandra Palt. Pour Awa Bousso Dramé, la partie sur la négociation a été "très importante" pour préserver son indépendance dans sa recherche.
Les scientifiques interrogées sont convaincues que plus les femmes seront incluses dans la recherche, plus vite les problèmes de l'Afrique pourront être résolus. En devenant des modèles, certaines poursuivent aussi une œuvre de sensibilisation auprès des jeunes pour susciter des vocations. Tel est le cas de Francine Ntoumi, pionnière de la recherche sur le paludisme en RDC, pour qui "le regard des filles et des garçons montre qu'avoir réussi leur donne le courage d'y aller".
SANGOMAR, LE PÉTROLE QUI FÂCHE DÉJÀ LE SÉNÉGAL ET LES MAJORS
A l'aube de l'exploitation de Sangomar, le Sénégal exige 42 millions d'impôts impayés mais les compagnies s'y opposent. Ce différend précoce cache-t-il en réalité une lutte d'influence pour le contrôle futur des milliards promis par le pétrole ?
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 19/11/2023
Alors que le Sénégal s'apprête à devenir un producteur pétrolier majeur grâce au gisement offshore de Sangomar, ce nouvel El Dorado apparaît déjà comme une pomme de discorde entre Dakar et les géants du secteur.
C'est ce que révèle le magazine panafricain Jeune Afrique dans son édition du 16 novembre. Selon les informations obtenues par le journal, l'autorité fiscale sénégalaise réclame pas moins de 42,7 millions de dollars d'impôts et taxes à Woodside Energy et Capricorn Energy, les exploitants du champ.
Problème, les majors australienne et britannique rechignent à payer la note, alléguant des raisons juridiques selon JA. S'annoncerait-il déjà des bisbilles en coulisses sur la répartition du magot pétrolier ?
Car avec ses réserves estimées à plus de 600 millions de barils de pétrole, Sangomar pourrait rapporter des milliards de dollars aux deux partenaires industriels. Le Sénégal, qui détient 18% via Petrosen, veut aussi sa part du gâteau...au risque d'envenimer les relations avec les géants du secteur.
Interrogé par Jeune Afrique, Woodside Energy fait la sourde oreille. Capricorn Energy promet de "se défendre" juridiquement. Les prémices d'un conflit à couteaux tirés pour le contrôle des futurs revenus pétroliers sénégalais ?
VIDEO
L'ONU EN CRISE EXISTENTIELLE
75 ans après sa création, l'ONU appelle à une réforme face aux divisions croissantes en son sein. Cela paraît cependant impossible sans l'accord de ses membres permanents. L'institution semble condamnée à l'impuissance
Créée en 1945, l'Organisation des Nations Unies fête cette année ses 75 ans. Mais l'euphorie des débuts a laissé place au doute : l'ONU est-elle encore capable de remplir sa mission première, garantir la paix et la sécurité dans le monde ?
Rassemblant 193 pays, l'ONU chapeaute de nombreuses agences traitant des grands défis mondiaux, du climat à la santé. Mais son organe clef dans la résolution des conflits, le Conseil de Sécurité, semble paralysé. La faute au droit de veto de ses 5 membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) qui bloque toute action concertée.
Un veto que la Russie n'hésite plus à utiliser pour défendre ses intérêts, empêchant toute sanction contre le régime Syrien ou l'invasion de l'Ukraine. Pékin suit le pas, formant avec Moscou un tandem rival des Occidentaux.
Dans ce climat de division croissante, une réforme du Conseil paraît indispensable. Mais impossible sans l'accord de ses membres permanents. L'ONU semble condamnée à l'impuissance.
Pourtant, elle reste le seul cadre permettant de rassembler toutes les nations face aux défis communs et de faire respecter le droit international. Son rôle est plus que jamais essentiel, à condition d'opérer sa mue. L'ONU parviendra-t-elle à se réinventer pour entrer pleinement dans le 21e siècle ? L'avenir de la gouvernance mondiale est en jeu.