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2 mai 2024
LEOPOLD SENGHOR
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LES BONS RESSENTIMENTS, UN ESSAI SUR LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET L'AFRIQUE
Les écrivains africains sont-ils culturellement aliénés ? Y-a-t-il un malaise entre les auteurs et l’ancienne puissance coloniale française ? L'écrivain Elgas analyse ces questions dans son dernier livre
Les écrivains africains sont-ils culturellement aliénés ? Y-a-t-il un malaise entre les auteurs et l’ancienne puissance coloniale française ? L'écrivain Elgas analyse ces questions dans son dernier livre : "Les bons ressentiments - Essai sur le malaise post-colonial".
par Cheikh Anta Diop (Février 1978)
SENGHOR ME DÉNIGRE À LA TÉLÉVISION
En quoi Senghor, qui n’a jamais contribué au progrès d’aucune science, fût-elle linguistique, se sentirait-il qualifié pour porter un jugement sur mes travaux ?
Aussi difficile que cela puisse être pour moi, je suis obligé de rétablir la matérialité des faits, sans pour autant, suivre Senghor sur le terrain primaire et scolaire où il se place d’emblée.
D’abord, il dispose des médias pour me dénigrer régulièrement, sans m’accorder le droit de réponse dans les mêmes conditions : cela témoigne d’un manque d’esprit sportif.
Comme d’habitude, toutes ses affirmations me concernant sont radicalement fausses ainsi que cela va apparaître : en premier lieu, contrairement à ce qu’il dit, j’ai obtenu la peau d’âne qu’est le doctorat de Lettres, doctorat d’État, avec la mention honorable, il y a de cela 18 ans, et ce fait s’était estompé dans mon esprit d’adulte comme tant d’autres du même genre. Donc, Senghor a dit sciemment une contrevérité à la télévision, à des fins d’intoxication.
En second lieu, l’ouvrage qu’il cite comme étant ma thèse (‘Antériorité des Civilisation Noires’) et dont il aurait lu la partie linguistique, je ne l’ai écrit qu’en 1967, c’est-à-dire sept ans après ma soutenance, et il ne contient presque pas de partie linguistique, à peine quelques comparaisons entre le Wolof et l’égyptien ancien, mais, qui de ce fait, échappent à la compétence de Senghor. Par conséquent, il s’agissait seulement de prendre une attitude pédante et avantageuse devant les téléspectateurs.
En troisième lieu, mes thèses ne se confondent pas avec celles d’aucun auteur, Rivet, Moret, Breuil, etc. Sinon comment expliquer l’acharnement avec lequel les milieux conservateurs et nationalistes me combattent et me vouent une haine tenace depuis près de trente ans.
Quatrièmement, j’ai déjà dit dans ‘Nations Nègres’, page 138, (1re édition) et 187 (2e édition) et dans ‘Taxaw’ numéro 3, page 6, que mes travaux apportent du nouveau par rapport non seulement aux thèses de Hamburger, mais aussi de M. N. Reich. C’est à cette occasion que j’ai défini la déontologie du chercheur à laquelle Senghor est bien incapable de s’astreindre. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Senghor a dit à la télévision une phrase digne de maître Aliboron, qu’il ne répétera jamais, ‘mélangeant’ les noms Aurignacien, Moret, Breuil, Rivet, etc. ; que l’on s’est bien gardé de reproduire le lendemain dans la presse et qui montre qu’il prend les téléspectateurs sénégalais pour des ignorants. Nous attendons toujours des traces écrites dans une revue scientifique de ces idées qu’on prétend avoir recueillies dans les cours imaginaires desdits professeurs pendant la période qui va de 1930 à 1954, date de parution de ‘Nations Nègres’ ; j’aurais pu m’arrêter même en 1948, date de mon article intitulé ’Quand pourra-t-on parler d’une véritable renaissance culturelle africaine ?’. Oui en attendant un texte, même antidaté.
Si Senghor a suivi réellement ou même en imagination, les enseignements qu’il cite sur les idées que nous débattons aujourd’hui, pourquoi n’a-t-il pas fait dans ce domaine des travaux qui devraient précéder les miens de plusieurs décennies ? Comment expliquer cette carence ?
Dans le chapitre 2 de ‘Nations Nègres’ et dans le numéro 3 de ‘Taxaw’, page 3, j’ai montré clairement la nocivité pour l’âme africaine de ce que Senghor appelle la ‘négritude’. Que celle-ci triomphe et l’Afrique noire ne sera plus.
Comment donc des idées que j’ai passé toute ma vie à combattre, pour la survie de nos peuples, pourraient-elles m’influencer ?
Revenant à ma soutenance, je rappelle que plus d’un demi-millier de personnes y avaient assisté à la Sorbonne, elle dura sept heures et fut un vrai combat intellectuel sans concession, sous les yeux de toute la jeunesse estudiantine africaine présente à Paris. À la fin, ce fut un sentiment général de fierté très communicative qui anima toute l’assistance africaine car personne ne s’était trompé sur la profonde signification et l’importance de l’évènement : la culture africaine non folklorique venait de forcer les portes de la vieille Sorbonne. Les Africains commençaient à perdre leur complexe pour de bon.
D’autres Africains, aujourd’hui présents à Dakar, seraient mieux placés que moi pour décrire le contexte général de ces faits.
Les choses s’étaient passées ainsi parce que j’avais refusé, comme on le sait, toutes les solutions de facilité habituelle, qui auraient hypothéqué ma liberté de pensée. Il est de tradition à l’Université que tous ceux qui prennent pareils risques le paient. C’est le cas des meilleurs penseurs français à l’heure actuelle, surtout quand ils sont progressistes et c’est à leur honneur : Roger Garaudy, Henri Lefebres, Gilbert Murry, Michel Butor, Louis Althusser… celui-là même dont Senghor faisait l’éloge à la télévision.
Dans le journal Le Monde du 16 juin 1976 page 19, le professeur Olivier Reboul de l’Université de Strasbourg écrit : «Depuis le Vatican II, on se demandait ce qu’était devenu le Saint Office. Il semble bien qu’il fonctionne toujours sinon à Rome, du moins en France au sein de l’Université, sous le titre anodin de Comité Consultatif.»
Dans Le Monde de l’éducation, de février 1976, on lisait que le Comité consultatif des Universités avait refusé d’inscrire Michel Butor sur la liste d’aptitude aux fonctions de Maître de conférence, moyennant quoi l’Université de Genève a pu recruter Michel Butor. On apprend maintenant que le philosophe Louis Althusser vient d’essuyer le même refus. Cela signifie que des professeurs mondialement connus ayant enseigné quinze ans à l’étranger- je puis attester que Louis Althusser est un des très rares philosophes français dont on parle- ne peuvent avoir rang de professeur ou mieux de Maître de conférence chez nous. On rédige des thèses sur eux, mais eux n’ont pas le droit de diriger des thèses… Althusser est un de ces penseurs grâce auxquels on ne peut plus penser tout à fait comme avant.
Je ne suis pas fier d’être professeur dans une Université qui dénie ce titre à Butor et à Althusser.
Un agrégé de Lettres est un professeur de lycée qui doit travailler encore une dizaine d’années pour devenir Docteur d’État, afin de posséder ainsi le grade le plus élevé que l’université délivre dans sa branche. Senghor traîne le complexe de la thèse de Docteur d’État, cette peau d’âne qu’il n’a jamais pu posséder. Aussi ne sait-il pas qu’en Doctorat de Lettres, les mentions Bien et Très Bien, dont il a parlé d’un air docte à la télévision, n’existent pas. C’est ce complexe qui l’amène à collectionner les titres bidons, sans valeur, de docteur honoris causa glanés dans toutes les universités du monde, pour en vain tenter de remplir le vide qu’aurait occupé le vrai doctorat. Ce qui ridiculise le peuple sénégalais aux yeux du monde cultivé.
Demain, afin d’utiliser les moyens de l’État à des fins de promotion personnelle, il faudra faire voter une loi rendant incompatible la fonction de président de la République du Sénégal avec la quête ou l’obtention de distinctions sans rapport avec le développement du pays. Un jour on créera une commission chargée d’étudier les incidences budgétaires des complexes intellectuels de Senghor.
À propos de la question du plagiat, je renvoie à ‘Taxaw’ numéro 3, je ne suis que la énième victime avec Hamani Diori (Détérioration des termes de l’échange); le Président Bourguiba (Francophonie); la Pira (Civilisation de l’universel); Camus (Politique politicienne); Ousmane Socé (Métissage culturel); Césaire (Négritude); André Blanchet (Balkanisation); Gaston Deferre (Horizon 80, devenu horizon 2000 ou 2001).
On ne doit être fier que de ces travaux. Rien n’est plus triste qu’un chercheur qui ne trouve rien. Si l’on se bornait à réciter le savoir acquis à l’école, sans rien y ajouter par nos propres découvertes, l’humanité en serait à l’âge primitif. Ce qui fait donc la valeur de l’intellectuel, c’est sa contribution réelle au progrès des connaissances de son temps.
Donc, dans le cas précis de mise au point, il faut que chacun indique de façon explicite son apport; il suffit de se reporter à mes travaux pour constater qu’en sciences humaines ils ont fait progresser les connaissances dans les disciplines suivantes : archéologie, préhistoire, anthropologie, physique, histoire, égyptologie, linguistique, histoire de la philosophie, sociologie, ethnologie, etc.
En sciences exactes, nous avons introduit au Sénégal, dans le cadre du transfert des technologies, un ensemble de techniques nucléaires d’avant-garde ; nous contribuons régulièrement au progrès des sciences de la terre, même dans le cadre de programmes internationaux, etc.
En quoi Senghor, qui n’a jamais contribué au progrès d’aucune science, fût-elle linguistique, se sentirait-il qualifié pour porter un jugement sur mes travaux ?
Enfin, sur un plan plus général, nous avons donné à la culture africaine ses lettres de noblesse, en la réconciliant avec l’histoire et en créant pour la première fois les bases scientifiques d’une linguistique diachronique africaine.
Les linguistes africains ne tarderont à s’apercevoir que notre ouvrage intitulé : Parenté génétique entre l’Égyptien pharaonique et les langues négro-africaines inaugure l’ère de la révolution linguistique africaine. Aussi j’espère que cet ouvrage, ainsi que Antiquité Africaine par l’image et Physique nucléaire et Chronologie absolue seront diffusés correctement sans délai au Sénégal, sinon je serai bien obligé de prendre des mesures.
Aujourd’hui presque toutes les idées que j’ai défendues dans le temps sont tombées dans le domaine commun. Mais que ceux qui étaient alors restés sur la touche veuillent bien me les resservir avec désinvolture.
Aimé Césaire, le vrai père de la négritude, l’inventeur de ce concept, dit de notre ouvrage Nations nègres et culture dans Discours sur le colonialisme qu’il est le ‘livre le plus audacieux qu’un nègre ait jamais écrit’, témoignant, par ce jugement de la nouveauté des idées contenues dans Nations Nègres par rapport même à la négritude et des difficultés que les intellectuels africains éprouvaient alors, à croire ces thèses qui leur paraissaient trop belles pour être vraies.
Nous avons décidé d’éliminer Senghor de la vie politique sénégalaise pour le plus grand bien du peuple sénégalais.
Cheikh Anta Diop, 13 février 1978.
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L'HÉRITAGE ADMIRÉ ET CONTROVERSÉ DE SENGHOR
Négritude, francophonie, diplomatie culturelle… son héritage continue à susciter de l’admiration et des débats. Entretien avec Mamadou Diouf, historien sénégalais et co-commissaire de l'exposition consacrée à l'ancien président au musée du Quai Branly
Avec son credo « enracinement et ouverture », Léopold Sédar Senghor a profondément marqué l’histoire intellectuelle et culturelle du XXe siècle. Président du Sénégal de 1960 à 1980, il a ancré les arts et la culture au cœur de son action politique. Négritude, francophonie, diplomatie culturelle… son héritage continue à susciter de l’admiration et des débats.
Entretien avec Mamadou Diouf, historien sénégalais et co-commissaire de l'exposition au musée du Quai Branly.
SENGHOR MIS À L'HONNEUR AU MUSÉE DU QUAI BRANLY
À partir du 7 février, une exposition du Musée du quai Branly - Jacques Chirac revient sur l'héritage laissé par l'ancien président. Pionnier de la "négritude", il a toujours voulu revendiquer une place pour l'Afrique dans le monde
Faire briller l'art africain, le combat de la vie de Léopold Sédar Senghor. Le poète-président sénégalais et son universalité artistique sont à l'honneur dans la nouvelle exposition du quai Branly.
À partir du 7 février, les visiteurs vont pouvoir retracer la vie et l'oeuvre de Senghor à travers de nombreux documents, photos, tableaux ou dessins.
Une vie dédiée à l'art africain
Pionnier du concept de "négritude", Léopold Sédar Senghor a toujours oeuvré pour la reconnaissance des arts africains dans le monde. Pour lui, "c'est à la fois l'enracinement et l'ouverture", a expliqué Mamadou Diouf, professeur d'études africaines et d'histoire à l'Université de Columbia, à New York.
Mais la confrontation entre les arts sénégalais et étrangers vont être pour lui une source d'inspiration primordiale pour ses projets artistiques.
En 1960, il devient président d'un Sénégal tout juste indépendant. Même à travers ses décisions politiques, il va participer à faire briller l'art sénégalais. Au cours de son mandat de 20 ans, plus d'un quart du budget de l'État sera dévolu à l'éducation, la formation et la culture. Une manière de développer le "soft power" du pays.
En 1966, le poète président déclare qu'"il ne s'agit pas seulement de défendre l'art nègre du passé", mais de montrer que l'art africain est "une source jaillissante qui ne tarit pas".
Une reconnaissance internationale
Ses travaux et sa manière de mélanger les cultures lui permettent de lier les arts européen au Sénégal. Dans les années 1970, il organise plusieurs expositions sur plusieurs grands artistes du vieux continent.
En 1974, les tableaux de Pierre Soulages sont par exemple exposé à Dakar. L'une des toiles de l'artiste à d'ailleurs longtemps trônée au-dessus du bureau du poète-président et sera présentée dans l'exposition du quai Branly.
Francophile et premier Africain à siéger à l'Académie française, Senghor resta attaché à la France, même après l'indépendance du Sénégal.
UN NOUVEAU GROUPE DE RECHERCHE POUR RENOUVELER LE REGARD SUR SENGHOR
Plus de 20 ans après la mort de Léopold Sédar Senghor, l’œuvre et l’action du « poète-président » comprend encore des énigmes et suscite des débats
Au Sénégal, plus de 20 ans après la mort de Léopold Sédar Senghor, l’œuvre et l’action du « poète-président » comprend encore des énigmes et suscite des débats. Un groupe de recherche international vient d’être lancé à Dakar pour « revisiter » Senghor, homme aux multiples facettes.
Rien n’a bougé ou presque dans la maison dakaroise de Léopold Sédar Senghor, qu’il a habitée lorsqu’il a quitté la présidence en 1980. Devenue un musée, elle abrite environ 2 000 livres. « On les a laissés dans l’ordre où le président les a rangés », assure son ancien garde du corps, Barthélémy Sarr, le guide des lieux.
La conservatrice Mariama Ndoye occupe désormais le bureau de l’ancien président, au rez-de-chaussée. Le lieu raconte une partie de la vie de Léopold Sédar Senghor, mais « tout n’a pas été dit, loin de là » sur le Poète Président, affirme Alioune Diaw, professeur de littératures africaines et coordonnateur du projet de recherche à l’UCAD. Selon lui, le moment est venu pour « une relecture des études senghoriennes ». « Beaucoup de choses ont été dites sur Senghor, mais ce qu'il manquait, c’est cette distance-là. Ça va nous permettre de lire Senghor de manière "dépassionnée". Nous n’avons pas vécu cette histoire politique ou bien cette histoire philosophique qui faisait que soit on s’opposait à Senghor, soit on le défendait. »
Une plaque commémorative sera déposée, ce samedi 17 décembre, sur la place Mamadou-Dia de Thiès, ville située à 70 kilomètres de Dakar, pour rendre hommage à cet acteur oublié de l’indépendance du pays
Il y a soixante ans, celui qui était alors le président du Conseil des ministres avait été arrêté pour « tentative de coup d’État » après avoir fait intervenir la gendarmerie à l’Assemblée nationale pour empêcher le vote d’une motion de censure contre son gouvernement qu’il estimait abusive, un tournant pour le jeune Sénégal de l’époque qui passe d’un régime parlementaire bicéphale à un régime présidentiel dominé par Léopold Sedar Senghor.
Babacar Diop, maire de Thiès, se rappelle toujours avec émotion de Mamadou Dia qu'il a rencontré lorsqu'il était étudiant et avec qui il a collaboré pendant des années, avant son décès, en 2009.
« Il ne voyait plus à la fin de sa vie. Je lisais donc pour lui et il me dictait aussi des lettres. Il était très âgé mais il avait une certaine énergie qu’il avait gardée », se souvient-il.
Né en 1910, cet ancien instituteur a milité pour l’indépendance du Sénégal, main dans la main, avec Léopold Sedar Senghor avec qui il a fondé le Bloc démocratique sénégalais (BDS).
Devenu président du Conseil des ministres, Mamadou Dia signe les accords d’indépendance, en 1960, puis partage le pouvoir exécutif avec Léopold Sedar Senghor, avant la crise de décembre 1962.
« Mamadou Dia était un nationaliste. Il était pour le socialisme autogestionnaire et pour l’indépendance économique de notre pays, contrairement à Senghor plus conciliant et plus Français. Donc la crise va éclater et cette crise oppose deux visions différentes », explique Babacar Diop.
L'influence de Cheikh Anta Diop, les langues africaines et la littérature, le Prix Neustadt... L'auteur de "Murambi, le livre des ossements" répond à Eric Manirakiza de VOA Afrique - ENTRETIEN
VOA Afrique |
Eric Manirakiza |
Publication 08/11/2022
Boris Diop a reçu le 24 octobre 2022 le Neustadt, le prix international de littérature qui lui a été décerné dans l'Etat américain de l'Oklahoma. Dans un entretien exclusif à VOA Afrique, Boris raconte ce que le prix qu’il a reçu, équivalent du Nobel de littérature, représente pour lui.
PAR Siradiou Diallo
CE JOUR-LÀ : SENGHOR QUITTE LE CLUB DES CHEFS D'ÉTAT
Le 31 décembre 1980, Léopold Sedar Senghor annonçait sa démission. Comment ses homologues africains avaient-ils à l’époque réagi au départ volontaire du premier président du Sénégal ?
Jeune Afrique |
Siradiou Diallo |
Publication 31/12/2021
En Afrique, peu de gens croyaient à une démission volontaire du président Senghor. « Vous verrez, il ne cherche qu’à amuser la galerie… » Malgré les fuites plus ou moins calculées qui, entre août et décembre 1980, se développèrent à différents niveaux, l’opinion demeurait étrangement sceptique.
L’incrédulité n’était pas le seul fait des masses ou des intellectuels. Elle se retrouvait au niveau des responsables politiques. Plus exactement, jusqu’au sommet des États. « Vous croyez à ce conte de fées imaginé par un poète ? », nous demandait en septembre un chef d’État. Et, sans attendre notre réponse, il partait d’un grand éclat de rire ! Notre interlocuteur était si convaincu que Senghor faisait une farce que nous ne cherchâmes nullement à le dissuader.
Vibrant témoignage
Depuis, les rires sarcastiques ont fait place à la surprise d’abord, à l’embarras ensuite, pour finir par une profonde furie du pouvoir. Certes des chefs d’État sont parfois sortis de leur rêve éveillé pour envoyer des messages de sympathie à l’ex-président sénégalais. Au Maroc, il a reçu un vibrant témoignage d’admiration de Hassan II. Le président Moussa Traoré, du Mali, a exprimé sa « profonde admiration pour cette élévation de pensée rare et cette marque de grandeur qui honore l’Afrique ».
Mais, dans l’ensemble, nos chefs d’État ont mal accueilli le scénario de sortie conçu et joué par leur ancien collègue. Certains, parce qu’il ne les a pas tenus informés. Cas du président Houphouët-Boigny, qui a espéré jusqu’au dernier moment que son vieil ami Senghor ne quitterait pas ainsi la magistrature suprême sans qu’ils en aient parlé ensemble. Ne serait-ce, ajoute leader ivoirien, qu’à cause des lourdes responsabilités que nous avons tous les deux assumées sur la scène politique africaine.
L’escalope normande et le Thiéboudiène sénégalais se marient bien pour donner un plat succulent. Néanmoins, l’absence de matérialisation de cette relation séculaire par un jumelage ou échanges culturelles interroge
Poète, Agrégé de grammaire, Docteur honoris causa de 37 universités dans le monde, chantre de la négritude, Léopold Sédar Senghor est le président africain le plus connu en France. De nombreuses rues et établissements scolaires (Collèges, Lycées) portent son nom. Son charisme, sa culture, ses positions avant-gardistes, notamment sur la civilisation de l’universel, l’ont mis au sommet de la pyramide en France.
Le vingtième anniversaire de sa mort a donné lieu à plusieurs cérémonies dans le pays de son vieil ami, Georges Pompidou, deuxième Président français de la cinquième République. La Normandie, sa terre d’adoption, où il est décédé à l’âge de 95 ans, a voulu lui rendre un hommage à la hauteur du grand homme qu’il était. Senghor avait embrassé la région normande et a fait de Vierzon, ville située en basse Normandie, à 90 Kilomètres de Rouen, «une annexe de Dakar».
Il y séjournait souvent avec sa femme Colette Hubert qui était originaire de cette bourgade. C’est en Normandie, qu’il écrivait ses poèmes et ses discours, parce que, selon ses proches, il voulait avoir une certaine distance avec l’Afrique. Senghor a conceptualisé la négritude avec Aimé Césaire, et a aussi inventé la «Normandité» en 1986, «désignée comme le caractère issu du métissage entre différents peuples celtiques et germaniques».
Le premier Président du Sénégal a toujours eu des relations particulières avec les travailleurs sénégalais installés dans cette région, à tel point, qu’il s’est démené avec le soutien de Jean Lecanuet, ancien candidat à la Présidence de la République et maire de Rouen, Pierre Lendemaine (qui deviendra Consul honoraire du Sénégal à Rouen) et Ahmed Ould Dada, ancien Président de la République Islamique de Mauritanie, pour accéder à la construction des foyers de migrants afin de loger dignement ces ouvriers qui travaillaient dans l’industrie automobile, la Chimie et le textile. Il inaugurera la «Résidence El hadj Omar», située au 71, rue du Renard, à Rouen, en 1974. Vingt ans après sa mort, la Mairie de Rouen a voulu marquer l’empreinte de Senghor dans sa commune.
La commune, représentée par Mamadou Saliou Diallo, conseiller municipal, qui a été, par ailleurs directeur du Foyer situé au 50 rue Stanislas Girardin, accompagné d’une forte délégation municipale, notamment de Sileymane Sow, adjoint au maire chargé des relations internationales et d’autres élus de la municipalité. La députée, originaire du Sénégal, Sira Sylla, était présente également. Ils ont tous montré que Senghor était aussi rouennais et qu’il demeure encore dans l’inconscient collectif des citoyens de cette ville. Un de ses poèmes a été lu par Diallo Coulibaly qui connait très bien l’histoire des foyers qui s’appelaient : «Abri des travailleurs Sénégalais et Mauritaniens».
Etudiant, il a été aussi présent lors des rencontres entre le premier Président du Sénégal et ses compatriotes. La presse écrite et audiovisuelle s’était mobilisée pour donner une visibilité à ce moment solennel. En effet, depuis le 20 décembre 2021, la résidence située au 50, rue Stanislas Girardin porte officiellement le nom de Léopold Sédar Senghor. Une plaque descriptive de son parcours, y a été également installée. Nous pouvons dire encore que Senghor avait eu raison de parler de la civilisation de l’universel. En effet, ce foyer qui accueillait uniquement des sénégalais et mauritaniens, est désormais ouvert au monde. Il est devenu une résidence sociale et ses locataires sont originaires de différents pays : sénégalais, mauritaniens, soudanais, syriens, etc.
La mixité culturelle, chère à Senghor, a pris vie dans ce foyer de 149 chambres. Cette résidence gérée par ADOMA accueille également une association de chantiers d’insertion, dirigée par Djibril Soumaré et présidée par Djiby Diakité, qui emploie une vingtaine de personnes et concocte des plats (Thieb, Mafé, Yassé, etc .)
L’escalope normande et le Thiéboudiène sénégalais, (qui vient d’être inscrit au patrimoine immatérielle de l’humanité, par l’UNESCO), se marient bien pour donner un plat succulent. Néanmoins, l’absence de matérialisation de cette relation séculaire par un jumelage ou échanges culturelles interroge. Nous pouvons dire que le Sénégal a marqué définitivement son empreinte dans la ville aux cent clochers et feu Senghor pourrait prendre le titre : «Duc de Normandie».
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SENGHOR, DERRIÈRE LE MYTHE
Vingt ans après sa mort, le « poète président » suscite toujours des débats. Abdoulaye Bathily et Mamadou Diouf décryptent cette figure majeure de la période postcoloniale et expliquent pourquoi, au Sénégal, elle a été effacée de la mémoire collective
Vingt ans après sa mort, le « poète président » suscite toujours des débats, expliquent les historiens Mamadou Diouf et Abdoulaye Bathily.
Si sa posture de « poète président », d’incarnation de l’« humanisme universel » et de chantre de la fierté noire le précède, Léopold Sédar Senghor a aussi eu ses détracteurs. Au Sénégal, où il fut président de 1960 à 1980, il est perçu comme un défenseur du « néocolonialisme » imaginé par la France pour perpétuer sa domination sur l’Afrique, mais aussi comme un chef d’Etat autoritaire.
Léopold Sédar Seghor est « une ombre, une énigme pour la génération des jeunes Sénégalais », selon Mamadou Diouf. Le Sénégal a vécu une période de « désenghorisation » avec l’arrivée d’Abdou Diouf, explique Abdoulaye Bathily, auteur de Mai 1968 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie. Les deux historiens décryptent cette figure intellectuelle majeure de la période postcoloniale et donnent des clés pour comprendre pourquoi, au Sénégal, elle a été effacée de la mémoire collective.