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26 avril 2025
LEOPOLD SENGHOR
"N'EÛT ÉTÉ LE NON DE LA GUINÉE, LE SÉNÉGAL SERAIT UN TERRITOIRE FRANÇAIS"
Plus jeune prisonnier politique du Sénégal sous Senghor, Dialo Diop revient dans cet entretien sur les conditions d'acquisition de l'indépendance du pays
Plus jeune prisonnier politique du Sénégal sous Senghor, Dialo Diop revient dans cet entretien sur les conditions d'acquisition de l'indépendance du Sénégal.
M. Diop, frère de l'activiste sénégalais Oumar Blondin Diop, est aussi l'ancien secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND), formation politique fondée par le savant Cheikh Anta Diop,
Il dénonce la Françafrique et déclare que le processus d'indépendance n'est pas encore achevé.
A-t-on donné à l'Afrique une réelle indépendance en 1960?
60 ans après l'accession des pays africains à leur souveraineté, le Dr Dialo Diop est interrogé par Rose-Marie Bouboutou, Maxime Domegni et Alassane Dia.
par Florian Bobin
LE MYTHE SENGHOR À L’ÉPREUVE DU SOUVENIR DE L’INDÉPENDANCE
Rappeler qu’il fut et poète et président n’est, en soi, que factuel. Mais associer les deux et refuser de reconnaître l’autoritarisme dont il fit preuve, sous prétexte qu’il fut poète, relève d’un négationnisme historique dangereux
Le 4 avril 2020, Radio France Internationale a publié le portrait de Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal (1960-1980), dressé par le professeur de littérature et critique Boniface Mongo Mboussa. À l’occasion des soixante ans de l’indépendance du pays, le message est clair : « Senghor a dirigé son pays en professeur, avec méthode et esprit d’organisation. Pendant la saison scolaire, il est président au Sénégal ; en été, il est poète en Normandie ». En somme, Mboussa nous explique que son action politique s’est nourrie de son œuvre poétique car, « poète-président, Senghor ne fut pas l’un sans l’autre ».
Ce récit officiel, devenu monnaie courante depuis plus d’un demi-siècle, est périlleux car il fait l’éloge, en filigrane, de « celui dont la plume importa davantage que l’épée ». Quand bien même le Sénégal n’a pas connu les mêmes crises politiques que ses voisins, la mythification de « l’humanisme républicain » du « poète-président » Léopold Sédar Senghor a brouillé notre appréciation de son action politique. Sous l’Union progressiste sénégalaise (UPS), le parti unique qu’il dirigea, son régime déploya des méthodes brutales de répression ; intimidant, arrêtant, emprisonnant, torturant et tuant ses dissidents. Rappeler qu’il fut et poète et président n’est, en soi, que factuel. Mais associer les deux et refuser de reconnaître l’autoritarisme dont il fit preuve, sous prétexte qu’il fut poète, relève d’un négationnisme historique dangereux. Le pire des défauts est de les ignorer.
Né à Joal en 1906, Léopold Sédar Senghor quitte le Sénégal à l’âge de 22 ans. Arrivé en France en 1928, il y fréquente les cercles littéraires d’intellectuels noirs. Dans les colonnes de L’Étudiant Noir, aux côtés d’écrivains comme Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas, il décrit sa volonté de porter « un mouvement culturel qui a l’homme noir en but, la raison occidentale et l’âme nègre comme instruments de recherche ; car il y faut raison et intuition » [1]. Alors que se développe le courant de la négritude, Senghor poursuit ses études et obtient l’agrégation de grammaire en 1935, devenant ainsi professeur de lettres classiques. D’après son ancien collaborateur Roland Colin, la négritude pour Senghor est davantage un idéal qu’une réalité : heurté à une confiscation identitaire dès le plus jeune âge, à l’école des « pères blancs », il cherchera à la conquérir tout au long de sa vie. « Depuis l’âge de sept ans jusqu’à la fin de sa vie, Senghor a été un homme aux prises avec ses contradictions, avec des sensibilités intimes qui le portaient vers des projets qu’il n’avait pas les moyens d’installer dans sa vie personnelle, à la hauteur de ses aspirations », analyse Colin [2].
Au sortir de la Second Guerre mondiale, Senghor intègre la commission Monnerville, chargée d’assurer la nouvelle représentation des territoires sous occupation coloniale à la future Assemblée constituante française. L’année suivante, il rejoint les rangs de la Section française de l’internationale ouvrière et siège, aux côtés de Lamine Guèye, en tant que député du Sénégal et de la Mauritanie. Dans la foulée, Senghor participe à la création du Bloc démocratique sénégalais, ancêtre de l’UPS, avec Mamadou Dia et Ibrahima Seydou N’daw.
Aimé Césaire disait de Senghor qu’il « savait qu’un jour les Français partiraient ; seulement il prenait son temps. Au fond, il les aimait » [3]. Lorsque, dans son poème « Tyaroye », écrit au lendemain de la tuerie de centaines de tirailleurs au camp militaire de Thiaroye le 1er décembre 1944, Senghor déplore une France « oublieuse de sa mission d’hier », il ne se positionne pas en dehors du cadre colonial. Pour Lilyan Kesteloot, professeur des littératures africaines et critique littéraire, il « avoue [ici] que [la France] représente encore pour lui un idéal de justice, d’honneur, de fidélité à l’engagement pris » [4]. Sa légère défiance ne remet donc pas en cause un solide sentiment républicain qui le voit passionnément chanter, dans Hosties Noires (1948), la bravoure de Charles de Gaulle et Felix Éboué, deux figures de la résistance française à l’occupation allemande.
Naturellement, Senghor est tiraillé quand de Gaulle revient au pouvoir en 1958. Ce dernier promeut alors ardemment le projet de « Communauté française », prévoyant une relative autonomie des colonies en Afrique tout en les maintenant sous tutelle française. De nombreuses plateformes politiques africaines aspirent à trouver une position commune autour du référendum prévu pour septembre 1958 et décident de se regrouper à Cotonou dans un congrès tenu en juillet. L’UPS y envoie une délégation et décide, à son tour, de rallier la position du « non ». Mais à l’approche du vote, Senghor émet ses réserves, ne voulant pas déroger « à une promesse non avouée qu’il avait faite au gouvernement français – à Pompidou et à Debré en fait – de rester dans la Communauté ». Une séparation brutale avec la France n’est pas une option pour lui. « Oui, l’indépendance, personne ne peut y renoncer, mais prenons le temps », argumente-t-il. « Combien de temps ? », lui demande son camarade Dia, en apprenant ce soudain revirement de position. « Vingt ans ! », Senghor lui rétorque-t-il, avant que les deux ne tombent d’accord sur une échéance de quatre ans [5].
Les accords de transfert de compétences de la France à la Fédération du Mali sont finalement signés le 4 avril 1960, mis en application le 20 juin. En à peine deux mois, des tensions internes font cependant éclater l’ensemble fédéral. Au Sénégal, un régime parlementaire à deux têtes, dans lequel Senghor dispose du prestige de la fonction de président de la République, est instauré. Dia, pour sa part, est chargé d’appliquer les politiques intérieures en tant que président du Conseil des ministres et détient le véritable pouvoir décisionnel. Rapidement, les deux camps se polarisent.
En poussant pour la décentralisation de la fonction publique et le renforcement des collectivités paysannes, la politique de Dia met à mal les intérêts de la France. Une faction au sein de l’UPS prépare alors une motion de censure à l’encontre de son gouvernement. Le président du Conseil s’y oppose, au nom de la primauté effective du parti. Accusé de mener un coup d’État, il est arrêté dans la foulée, incarcéré jusqu’en 1974 aux côtés des ministres Valdiodio N’diaye, Ibrahima Sarr, Alioune Tall et Joseph Mbaye [6]. Tout juste deux semaines après les événements, Senghor estime que « dans un pays sous-développé, le mieux est d’avoir, sinon un parti unique, du moins un parti unifié, un parti dominant, où les contradictions de la réalité se confrontent entre elles au sein du parti dominant, étant entendu que c’est le parti qui tranche ». En refusant une motion de censure déposée par des membres du parti, sans que celle-ci soit discutée en interne au préalable, c’est précisément ce que Dia fait. Mais il n’a plus le soutien de Senghor qui, l’année suivante, renforce le poids du pouvoir exécutif en supprimant le poste de président du Conseil.
Dans le contexte international des mobilisations anti-capitalistes et anti-impérialistes de 1968, l’université de Dakar concentre les frustrations. Les tracts qui y circulent accusent Senghor d’être un « valet de l’impérialisme français » et de nombreux étudiants estiment que le pays n’est rien de plus qu’une « néo-colonie ». Le maintien de l’ordre confié à l’armée, les descentes sur le campus provoquent au moins un mort et des centaines de blessés. Étudiants et syndicalistes sont alors déportés et internés dans les camps militaires d’Archinard et Dodji. Non seulement Senghor fait-il appel aux troupes françaises stationnées à Dakar afin de protéger l’aérodrome de Yoff et la centrale électrique de Bel-Air [7], mais il tient également une correspondance régulière avec l’ambassadeur de France au Sénégal à propos de l’évolution de la situation [8]. Au plus fort de la crise, le président propose même au général Jean-Alfred Diallo de prendre le pouvoir s’il le souhaite [9].
Senghor accueille le président français Georges Pompidou au Sénégal pour la première fois en février 1971. À son arrivée, il déclare : « Le peuple sénégalais se sent particulièrement honoré de recevoir le président de la République française […]. Car l’amitié franco-sénégalaise remonte à près de trois siècles. […] Enfin, je suis heureux d’accueillir dans mon pays un vieux camarade de lycée et un ami ». Emblématique de l’ambiguïté des rapports post-coloniaux, cette visite d’État est contestée pendant des semaines par un groupe de jeunes militants. En guise de protestation, ils incendient le Centre culturel français de Dakar, symbole de la culture française au Sénégal. Au moment de la visite, leur tentative d’attentat sur le cortège officiel est déjouée de peu. Ses commanditaires écopent de lourdes peines d’emprisonnement.
Parmi les condamnés figurent deux frères d’Omar Blondin Diop, jeune militant et artiste devenu une figure emblématique du militantisme politique révolutionnaire au Sénégal. Emprisonné en mars 1972 sur l’île de Gorée, il est retrouvé mort dans sa cellule le 11 mai 1973. Les autorités défendent rapidement la thèse du suicide mais de nombreux témoignages, dont celui du juge d’instruction chargée de l’affaire, font état d’un crime maquillé. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, qui entretient avec vigueur le mythe des « conditions humaines de détention » des prisonniers politiques, est le sulfureux Jean Collin, neveu par alliance du président [10]. Le poème de Senghor « Il est cinq heures », paru dans le recueil Lettres d'hivernage (1973), semble faire part du drame : « Il y a Gorée, où saigne mon cœur mes cœurs / […] le fort d’Estrées / Couleur de sang caillé d’angoisse ».
Aux côtés d’autres camarades, Blondin Diop avait participé à la fondation du Mouvement des jeunes marxistes-léninistes, regroupement qui donnera naissance au front anti-impérialiste And Jëf. Frappé par plusieurs vagues d’arrestations massives en 1975, ses militants sont sévèrement torturés dans les geôles du régime de Senghor : mégots de cigarette sur la peau, pendaison par les pieds, chocs électriques dans les parties génitales.
Senghor annonce sa démission de la présidence du Sénégal le 31 décembre 1980. Après la réinstauration en 1970 du poste de Premier ministre, anciennement président du conseil, il modifie la Constitution en 1976 afin d’assurer que son dauphin Abdou Diouf puisse prendre l’intérim. Dès 1977, il lui expose son plan : « Je t’ai dit que je voulais faire de toi mon successeur et c’est pourquoi il y a cet article 35. Je vais me présenter au suffrage des électeurs en février 1978 et, si je suis élu, je compte partir […]. À ce moment, tu continueras, tu t’affirmeras et tu te feras élire après ». Senghor se retire ainsi du Sénégal pour s’installer en France, où il y conceptualise sa normandité.
Le temps où Léopold Sédar Senghor chante, dans « Prière de Paix » (1948), le peuple « qui fait front à la meute boulimique des puissants et des tortionnaires » semble lointain. Lui-même est décrié, au cours de sa présidence, comme incarnation de ces puissants, à la source de la gestion néo-coloniale du pays. Bien que déclarant en 1963 que « l’opposition est une nécessité, […] la dialectique de la vie, de l’Histoire », sa légalisation n’intervient au Sénégal qu’à partir de 1981, après un multipartisme limité initié en 1976. Jusque-là, certains partis politiques (comme le Parti africain de l’indépendance, le Bloc des masses sénégalaises ou le Parti du regroupement africain) existent pour un temps, mais sont rapidement dissous ou absorbés par le parti unique.
L’indépendance du Sénégal n’est ni une coïncidence de l’Histoire ni un généreux cadeau octroyé par la France. Elle est un idéal d’émancipation de la conquête du profit par les terres, les corps et les esprits d’ailleurs que le temps ne tarit pas, pour laquelle des générations successives se sont battues, de Lamine Arfang Senghor en 1927 devant la Ligue contre l’impérialisme à Valdiodio N’diaye en 1958 devant les fameux « porteurs de pancartes ». L’indépendance n’est pas une finalité, mais un préalable. Si, comme nous l’indique Boniface Mongo Mboussa, « rigueur et dignité » sont les valeurs qui caractérisent Léopold Sédar Senghor, nous nous devons de refuser la complaisance dans notre souvenir de sa présidence. Décisive dans l’édification de la nation sénégalaise, il nous est indispensable de continuer à nous pencher sur ses non-dits, la culture de répression politique qu’elle maintint et la porte ouverte qu’elle laissa à la permanence d’intérêts étrangers. Être poète permet à l’âme de s’exprimer, mais ce n’est pas la garantie d’une gestion poétique des affaires politiques.
Florian Bobin est étudiant en Histoire africaine. Ses recherches portent sur les luttes de libération en Afrique dans l’ère post-coloniale, notamment au Sénégal sous la présidence de Léopold Sédar Senghor.
[4] Lilyan Kesteloot. Comprendre les poèmes de Léopold Sédar Senghor (Issy les Moulineaux : Les Classiques africains, 1986), 40.
[5] Roland Colin. Op. cit., 117-118.
[6] Mansour Bouna Ndiaye. Panorama politique du Sénégal ou Les mémoires d’un enfant du siècle (Dakar : Les Nouvelles Éditions Africaines, 1986), 136-154.
[7] Omar Gueye. Mai 1968 au Sénégal, Senghor face au mouvement syndical (Paris : Éditions Karthala, 2017), 246.
A l'occasion des 60 ans de l'indépendance du Sénégal ce 4 avril, le professeur de littérature et critique Boniface Mongo Mboussa retrace le parcours de son premier président : Léopold Sédar Senghor
A l'occasion des 60 ans de l'indépendance du #Sénégal ce 4 avril, le professeur de littérature et critique Boniface Mongo Mboussa retrace le parcours de son premier président : Léopold Sédar Senghor, entre poésie et politique.
Avec la voix de Christophe Paget. ---
1- Construire un intellectuel
Léopold Sédar Senghor naît le 9 octobre 1906, à Joal, au sud de Dakar, dans une famille sérère bourgeoise. Elève dans diverses congrégations, passionné de littérature, il obtient son bac et une bourse pour étudier en France, où il débarque en 1928. Agrégé de grammaire en 1935, il enseigne à Tours et Saint-Maur ; il fréquente les intellectuels parisiens. Avec le Martiniquais Aimé Césaire et le Guyanais Léon Gontran-Damas, il exprime le concept de négritude. Mobilisé en 1939, captif pendant 20 mois, Senghor s’inspire de cette expérience pour son premier recueil, « Hosties noires ». Son « Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache » est préfacée par Jean-Paul Sartre.
2 - Construire une œuvre
L’œuvre de Senghor est une ode à l’Afrique. Cet éloge valorise l’art nègre, célèbre la femme et la civilisation africaine. Senghor est un poète de la mémoire. Un homme travaillé par la fuite du temps. Le poète se veut Dyali (griot), avec une mission bien précise : glorifier son lignage, ses amis, ses morts, son pays et sa civilisation. "Chants d’Ombre", "Ethiopiques", "Liberté" sont quelques-uns de ses plus célèbres recueils.
3 - Entrer en politique…
et en sortir Senghor a toujours dit qu’il était tombé en politique. Il ne mentait pas. La politique l’a rattrapé au pays en 1945, alors qu’il était venu collecter la poésie orale sérère pour sa thèse. Sollicité avec insistance par son aîné Lamine Gueye de la SFIO, il devient député à l’Assemblée nationale française. Réélu en 1951, il sera notamment secrétaire d’Etat dans le gouvernement d’Edgar Faure. Le 5 septembre 1960, il est élu président du Sénégal naissant, dont il écrit l’hymne national. Il sera réélu à la tête du pays jusqu’à sa démission le 3 décembre 1980, au profit de son dauphin Abdou Diouf.
4- Présider pendant l’année, être poète l’été
Senghor a dirigé son pays en professeur, avec méthode et esprit d’organisation. Pendant la saison scolaire, il est président au Sénégal ; en été, il est poète en Normandie, patrie de sa seconde épouse, Colette Hubert. Pour Senghor, « interpréter poétiquement le monde » ne s’oppose pas à le « changer » politiquement. D’où ce beau titre, Poésie de l’action, qu’il donne à son autobiographie parue en 1980.
5- Défendre les mêmes valeurs
Dans sa poésie, Senghor célèbre sa terre natale, la fraternité, la mémoire, l’honneur, la bravoure. En politique, il prône un digne enracinement tout en s’ouvrant au monde, à la France. D’où la francophonie. On le lui a reproché. C’était oublier son sens de la fidélité. Il savait ce qu’il devait à la France, à ses professeurs de Louis-Le-Grand, à Paris. Dans le conflit qui l’oppose, en 1962, au président du Conseil Mamadou Dia, Senghor agit là aussi avec bravoure et sang-froid, saisissant l’opportunité pour écarter celui qui commençait à lui faire de l’ombre.
6- Devenir immortel !
Poète-président, Senghor ne fut pas l’un sans l’autre. Il a assumé avec rigueur et dignité ses deux fonctions. Mais dès 1979, à la question : « S'il fallait choisir, que voudriez-vous sauver de votre triple vie d'homme politique, de professeur et de poète ? », Senghor répond : « Mes poèmes, c'est là l'essentiel. » Son élection à l’Académie française, en 1983, lui donnera raison.
"SENGHOR NE SÉPARE PAS LA POÉSIE DE LA POLITIQUE"
De Joal où il voit le jour en 1906, à Verson, où il meurt en 2001, Léopold Sédar Senghor marque le XXe siècle de ses talents littéraires autant que politiques. Le critique littéraire Boniface Mongo-Mboussa revient sur la dualité d’un homme exceptionnel
De Joal, au Sénégal, où il voit le jour en 1906, à Verson, en France, où il meurt en 2001, Léopold Sédar Senghor marque le XXe siècle de ses talents littéraires autant que politiques. Le critique littéraire Boniface Mongo-Mboussa revient sur la dualité d’un homme exceptionnel.
Boniface Mongo-Mboussa : L’œuvre de Senghor est une ode à l’Afrique. Cet éloge du continent s’opère à la fois sur le plan intellectuel et poétique. Du point de vue intellectuel, c’est la valorisation de l’art nègre ; sur le plan poétique, c’est la célébration de la femme africaine, des paysages et des civilisations du continent.
Senghor est un poète élégiaque, un poète de la mémoire. Un homme travaillé par la fuite du temps, partagé entre un passé harmonieux perdu à jamais - le fameux royaume d’enfance -, un présent violent, insaisissable, et un futur hypothétique, dont l’issue est fatalement la mort. Dans tout cela, le poète se veut Dyali(griot), avec une mission bien précise : glorifier son lignage, ses amis, ses morts, son pays et sa civilisation.
Pourquoi le Normalien passionné de littérature s’engage-t-il en politique ?
Senghor a toujours pensé qu’il était tombé en politique. On ne l’a jamais cru, du moins pas tout à fait. Et pourtant, il ne mentait pas en disant cela. La politique l’a rattrapé au pays en 1945, alors qu’il était venu collecter la poésie orale sérère pour l’écriture d’une thèse.
Sollicité avec insistance par Lamine Gueye pour être candidat au deuxième collège pour l’élection au poste de député de l’Union française à la Constituante, il a fini par accepter l’offre de Lamine Gueye et de la S.F.I.O. Ensuite, tout s’enchaîne. En 1956, il est nommé secrétaire d’État à la présidence du Conseil dans le gouvernement d’Edgar Faure. En 1959, il est élu président de l’Assemblée de l’éphémère fédération du Mali. Le 5 septembre 1960, il est élu président du Sénégal pour un mandat de 7 ans. Il sera réélu en 1963, 1968, 1973 et 1978. Le 3 décembre 1980, il se démet de ses fonctions présidentielles au profit d’Abdou Diouf.
Au long de ces vingt ans de présidence, est-il resté poète ?
Senghor a dirigé son pays en professeur. C’est-à-dire avec méthode et esprit d’organisation, deux valeurs chèrement acquises chez les Pères blancs et à Khâgne à Paris ! Sa vie dans l’année était ainsi organisée : pendant la saison scolaire, il est président au Sénégal ; en été, il est poète en Normandie, à Verson, patrie de sa seconde épouse Colette Hubert. Dans sa poésie, je l’ai dit, il célèbre la culture africaine ; dans sa politique, il donne la primauté à la culture sur l’économique. Senghor ne sépare pas la poésie de la politique. Pour lui, « interpréter poétiquement le monde » ne s’oppose pas à le « changer » politiquement. D’où ce beau titre, Poésie de l’action, qu’il donne à son autobiographie intellectuelle et politique, parue en 1980.
Les valeurs défendues dans son œuvre sont-elles celles appliquées dans sa politique ?
Dans sa poésie, il célèbre sa terre natale, la fraternité, la fidélité, la mémoire, la dignité, l’honneur, la bravoure. En politique, il a été très digne. Il prône l’enracinement tout en s’ouvrant en monde, à la France. D’où la francophonie. On le lui a reproché. C’était oublier son sens de la fidélité. Il savait ce qu’il devait à la France, aux Pères blancs qui l’ont éduqué, à ses maîtres de Louis-Le-Grand, à son condisciple Pompidou, à Paris.
Dans l’affaire qui l’oppose à Mamadou Dia, est-il encore fidèle à ces valeurs ?
À l'indépendance, Senghor hésite encore entre la vie politique et la carrière de professeur, surtout de poète. Il doute de la solidité des « républiquettes » issues de la balkanisation de l’Afrique. Mamadou Dia, lui, n'a pas ces états d'âme. Il prend sa fonction de président du Conseil - qui conduit l'action du gouvernement - très au sérieux. Il impose un système d'économie agricole qui prend de court les marabouts féodaux, la chambre de commerce de Dakar et les intermédiaires, dont certains sont membres de l'Assemblée nationale.
Irrités, ces derniers l'accusent d’autoritarisme - ce qui est en partie vra-, collectent des signatures pour une motion de censure. Dia se cabre, fait évacuer l'Assemblée et arrête quatre députés leaders. Mais les députés se retrouvent au domicile de Lamine Gueye, le président de l'Assemblée, et votent la motion de censure. Dia est accusé d'avoir fomenté un coup d'État - un coup d'État constitutionnel. Et il est condamné.
Une condamnation si sévère qu'elle divise encore la société sénégalaise. Ce que beaucoup de Sénégalais reprochent à Senghor, ce n'est pas tant le fait d'avoir arrêté Dia. Ce dernier avait par impulsivité violé la constitution. Ce qu’ils reprochent à Senghor, c'est la sévérité avec laquelle il s'est servi de cette opportunité pour se débarrasser de Dia, qui commençait à lui faire de l'ombre. Dans ce conflit, Senghor a agi avec méthode, sang-froid et ruse. Il avançait masqué derrière les députés ; Dia, lui, entier et droit, n’a pas fait dans la dentelle. D'où sa chute. Encore une fois, Senghor a prouvé qu'il pouvait être poète et politicien.
Mais, finalement, a-t-il été plutôt un président ou plutôt un poète ?
Finalement… Un poète-président ! Pas l’un sans l’autre. Mais s’il fallait choisir, sans hésiter, il aurait choisi le poète. Il n’était pas dupe de la vanité de la gloire politique. Il a toutefois assumé avec rigueur et dignité ses deux fonctions. En cela, il a porté un démenti à l’injonction de Platon, qui interdisait au poète le droit de diriger la cité.
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SOULEYMANE BACHIR DIAGNE À CŒUR OUVERT
L’Islam et les mille et une controverses qu’il suscite, l’universalisme, la pensée de feu Léopold Sédar Senghor, Boubacar Boris Diop, sont au menu de cet entretien spécial réalisé par e-media avec le brillant philosophe sénégalais
L’Islam et les mille et une controverses qu’il suscite, l’universalisme, la pensée de feu Léopold Sédar Senghor... Des sujets au menu de cet entretien spécial réalisé par Pape Alioune Sarr, avec le brillant philosophe Souleymane Bachir Diagne, diffusé mardi dernier sur iTV, la chaine du groupe Emedia Invest.
La pensée de l’intellectuel vivifie le dialogue presque inexistant entre croyants. Souleymane Bachir Diagne ne fuit pas le débat, il adore même la disputation avec les autres auteurs qui tranchent d’avec ses idées, ce dont les philosophe français Rémi Brague et Michel Onfray constituent la meilleure illustration.
« LE PLURALISME N’EST PAS LA NÉGATION DE LA VÉRITÉ »
Comment alors renouer avec la tradition qui faisait foi dans les sociétés anciennes comme celle de Bagdad ? Souleymane Bachir Diagne propose une autre lecture, une nouvelle approche pour les Musulmans. Si aujourd’hui les débats qui aliment les passions médiatiques surtout en Occident ne manque pas de mettre un trait d’union entre l’Islam et l’islamisme, l’auteur de Comment philosopher en islam ne décolère pas face à ce qu’il qualifie d’amalgame nourri par les semeurs du désordre qui veulent instrumentaliser la religion à d’autres fins. Pour lui, il est important de retenir qu’il est dans l’ordre des choses qu’il y ait du pluriel car « le pluralisme n’est pas la négation de la vérité » et c’est là, dit-il, une manière de comprendre que les religions puissent être universelles sans que cela ne signifie nécessairement un conflit ou un choc des civilisations, pour reprendre le politiste américain Samuel Huntington.
Loquace sur ce débat, Souleymane Bachir Diagne aura toutefois été laconique sur un autre qui a alimenté les passions médiatiques, cette fois-ci sous nos tropiques : ses divergences avec l’écrivain Boubacar Boris Diop à propos de l’éminent Cheikh Anta Diop. Il pose, à cet effet, le curseur sur Léopold Sédar Senghor dont il analyse les pensées sous le prisme de celles de Henri Bergson. Loin d’opposer le chantre de la Négritude et l’auteur de Nations Nègres et Culture, Bachir recommande de s’approprier leur héritage : « C’est absurde de considérer que Senghor - Cheikh Anta Diop, c’est un jeu à somme nulle où ce qui élève l’un, abaisse l’autre... »
Last but not least, le professeur s’est également exprimé sur le sujet de "prophètes" qui apparaissent et défraient la chronique au Sénégal. Mais, sans jamais verser dans l’humour mal placé. Il exprime plutôt son inquiétude sur la religiosité singulière au pays de la Téranga. « Ce qui est plus étonnant, c’est qu’apparemment, tous ceux qui se déclarent prophètes, ont quand même des gens qui les suivent... On a l’impression que toute aberration peut avoir quand même des fidèles et des disciples. Et ça, ce n’est pas très rassurant... »
AUDIO
MAMADOU DIA, LA BROUILLE AVEC SENGHOR
En décembre 1962, une crise politique oppose le président de la République au président du Conseil. Que s'est-il passé et comment ces désaccords aboutissent-ils ?
Il est l’une des personnalités marquantes de l’histoire contemporaine du Sénégal. Il était de tous les combats et rendez-vous qui ont abouti à l’indépendance de la jeune nation en 1960. Pourtant, Mamadou Dia aura finalement connu un destin tragique.
Suivez la suite de la série que lui consacre Alain Foka à travers son émission Archives d'Afrique.
« COLETTE NOUS LIVRE UNE ADMIRABLE LEÇON D’AMOUR ET DE FIDÉLITÉ »
Macky Sall a évoqué ce jeudi, la veuve de l'ancien président de la République, dont la levée du corps a lieu ce jeudi après son décès le 18 novembre dernier, en des termes on ne peut plus élogieux
Présent à la cérémonie de levée du corps de Colette Senghor, décédée le 18 novembre dernier en France, le président de la République, lui a rendu un vibrant hommage. Dans son discours, Macky Sall a d’emblée, relevé, le caractère triste de la cérémonie. Car, dit-il, Colette Senghor, était l’unique personne qui nous rattachait encore au premier président de la République du Sénégal. « Cette cérémonie est instructive parce que faisant vœu d’être enterrée auprès de son époux et de son fils. Colette Senghor nous livre une admirable leçon de vie, de dignité, d’amour et de fidélité, fidélité jusqu’à la mort. Ce, en ces temps où ces vertus cardinales sont si malmenées », a relevé Macky Sall.
Pour lui, cette cérémonie rappelle le rêve d’humanité du président poète, ardent défenseur de valeurs d’enracinement et d’ouverture, chantre infatigable de la culture qui mène à la civilisation universelle, symbiose de toutes les cultures et de toutes les civilisations. « Dans son amour fusionne le couple présidentiel, que formaient Léopold Sédar et Colette. Un couple qui symbolisait si bien les vertus du métissage biologique et socioculturel qui enjambent les barrières et ignorent les frontières. Colette a fait aimer sa Normandie à Senghor et, Senghor a fait aimer son Sénégal à Colette », magnifie Macky Sall. Qui, toujours dans ses éloges, déclame : « Je veux rendre hommage à celle qui, à l’ombre apaisante de son époux, fut une grande première dame, discrète dans l’espace public, présente, aimante et attentionnée dans l’intimité familiale. Colette s’était aussi l’épouse muse qui inspira à plusieurs fois la plume raffinée du président poète. La mort est un rappel et un avertissement pour les vivants ».
Après la cérémonie de la levée du corps, la dépouille a été acheminée à la Cathédrale de Dakar ou une messe sera dite en la mémoire de la défunte qui sera, après, inhumée au cimetière catholique de Bel-Air.
par Mamadou Kane
ÉLÉGIE À COLETTE SENGHOR
Le sol soluble de Bel Air est préparé, près des os du héro bien aimé. C'est ici la demeure éternelle. Après la collecte des saisons, Collette rejoint la maison, fluette silhouette de Verson. Ombre du poète des méandres, vient enfin se détendre !
Colette Hubert aurait eu 94 ans dans deux jours. Elle est décédée dans la demeure familiale de Verson. Elle avait épousé, en 1957, celui qui allait devenir président du Sénégal.
C’est avec une immense tristesse que la Ville de Verson apprend, ce 18 novembre 2019, le décès de Colette Senghor dans sa demeure familiale. Ce lundi 18 novembre 2019, la Ville de Verson rend hommage à une de ses plus illustres habitantes : Colette Hubert. Née le 20 novembre 1925 à Mouzay (Meuse), elle épouse, le 18 octobre 1957, Léopold Sédar Senghor, alors député.
Colette Hubert deviendra première dame du Sénégal. Muse, tendre compagne, elle a toujours veillé et épaulé son mari dans sa vie politique et a été la source de son inspiration dans sa vie artistique. Léopold Sédar Senghor lui a consacré le recueil de poèmes Lettres d’hivernage.
C’est également elle qui lia à jamais le poète président à la Normandie, et plus spécifiquement à Verson, où le couple prit l’habitude de venir en villégiature dans la maison familiale de Mme Senghor, au 150, rue du Général-Leclerc, puis d’y résider à partir des années 1980 , indique Michel Marie, le maire de la commune.
Colette Senghor a toujours veillé sur la mémoire de son mari. Elle a fait en sorte qu’une partie de ses archives soit conservée, notamment, au sein de la salle Djilor dans l’espace Senghor, à Verson.
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MAMADOU DIA, L'ENSEIGNANT
Il était de tous les combats et rendez-vous qui ont abouti à l’indépendance de la jeune nation sénégalaise en 1960. Pourtant, l'ancien président du Conseil aura finalement connu un destin tragique
Il est l’une des personnalités marquantes de l’histoire contemporaine du Sénégal. Il était de tous les combats et rendez-vous qui ont abouti à l’indépendance de la jeune nation en 1960. Pourtant, Mamadou Dia aura finalement connu un destin tragique.
Le journaliste camerounais de RFI, Alain Foka, revient dans ce premier épisode de son magazine Archves d'Afrique, sur l'histoire ce grand homme.