SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
9 février 2025
LEOPOLD SENGHOR
Par Fadel DIA
SENGHOR EST MORT
L'arbre du ministre de l'Enseignement supérieur cache la forêt des Sénégalais qui font croire que le pays à l’origine de la Francophonie est devenu celui où la langue française est la plus mal parlée
«Nous sommes le seul pays africain francophone qui ont des UVS…Nous sommes le seul pays africain…qui vont recevoir un lot de 6000 ordinateurs...». Je voudrai d’abord rassurer tous ceux qui me font le plaisir de me lire quelquefois dans les colonnes de ce journal : ces propos ne sont pas de moi. Hélas! Hélas, parce qu’on aurait pu me les pardonner en invoquant mon âge, car la presse n’est pas souvent tendre pour les personnes dites du troisième âge, puisqu’on y lit souvent ce genre de fait divers : « un vieillard de 60 ans a été renversé par une charrette»
Hélas, parce qu’on aurait pu penser qu’il s’agit forcément de propos tenus dans l’intimité, puisque je ne suis pas de ceux auxquels on tend un micro, qu’il s’agit d’une opinion personnelle, lancée à la légère, au fil d’une conversation…
Hélas, parce que ces propos ont été tenus par un ministre de la République et que le seul fait que celui-ci leur ait survécu est la preuve, pour ceux qui en doutaient encore, que Senghor n’est plus aux affaires.
Parce que ces propos ont été tenus sur une télévision à vocation nationale, face à l’interviewer vedette de la chaine, et à une heure de grande écoute et qu’ils n’ont pas échappé à la presse.
Parce qu’il ne s’agit pas d’un simple lapsus, puisque le bafouement d’une règle aussi élémentaire que l’accord du verbe avec son sujet, qui attire ici notre attention, a été répété à plusieurs reprises.
Parce qu’il ne s’agit pas de n’importe quel ministre, mais de celui qui est chargé de l’enseignement supérieur, censé être la référence suprême du bon usage de la langue française.
Parce que c’est précisément en français, langue officielle du Sénégal, que s’exprimait le ministre, la langue par laquelle se fait l’acquisition du savoir dans nos écoles, nos collèges, nos lycées et nos universités. Une langue dont les règles fondamentales sont fixées depuis des siècles, gravées sur du marbre et que nos maitres et nos professeurs s’acharnent à enfoncer dans la tête de nos enfants, même quand elles heurtent leur raisonnement, car le français qu’on écrit n’est pas forcément celui qu’on entend !
Quelle sera désormais la crédibilité de nos éducateurs, si celui qui aurait dû donner l’exemple foule aux pieds ces règles ? Au fond, tous ceux qui enseignent la grammaire française auraient dû manifester dans la rue, voire observer un jour de grève, car c’est la fiabilité même du savoir qu’ils dispensent qui est remise en cause. Je ne sais pas si notre pays est « le seul pays africain qui ont des UVS », mais je peux dire que c’est le seul pays francophone qui ont si peu de respect pour Grevisse et les Robert ! Car l’arbre du ministre cache la forêt des Sénégalais, étudiants, enseignants, hommes et femmes de la politique ou de la société civile qui, sur les ondes des radios (y compris sur RFI, la « radio mondiale »), ainsi que sur les écrans de télévision, font croire que le pays qui a été à l’origine de la Francophonie est devenu celui où la langue française est la plus mal parlée.
Senghor est bien mort, et une autre preuve est que le théâtre Daniel Sorano, qu’il avait fondé, est fermé : ses portes sont ouvertes mais sa scène est désespérément vide. Depuis combien de temps n’y a-t-on pas joué une pièce de théâtre, une vraie, avec un texte de qualité, quelle que soit sa langue, qui enrichit le cœur et l’esprit ? Le théâtre n’est pas le seul à avoir déserté Sorano où ne retentissent plus les sonorités de l’ensemble instrumental, où ne résonnent plus les pas des danseurs de Sira Badral. Mais il n’y a pas que le théâtre. Le premier long métrage cinématographique « négro-africain » réalisé en Afrique est l’œuvre d’un cinéaste sénégalais, et notre pays ne compte pratiquement qu’une salle de cinéma.
Le premier artiste noir admis à l’Académie française des beaux-arts est sénégalais, et aucune de ses œuvres ne figure dans nos rues et dans nos places. Il est vrai que ce paradoxe ne se limite pas à la culture puisque le Sénégal qui, depuis des années, figure au premier rang africain dans le classement des équipes nationales de football, ne possède aucun terrain de football homologué pour une rencontre internationale !
Senghor est mort, lui qui cultivait la ponctualité, et si l’exactitude est la politesse des rois, alors tous nos politiques sont d’une incorrigible incivilité. Toutes les réunions qu’ils président, toutes les rencontres auxquelles ils sont conviés, se tiennent avec des retards qui ne se résument pas au quart d’heure de courtoisie mais peuvent s’étirer sur des heures.
L’imponctualité est devenue le travers le mieux partagé au Sénégal et elle est à l’origine d’un cercle vicieux : l’important ce n’est plus de venir à l’heure, mais juste de venir avant les officiels, forcément en retard, dont l’arrivée conditionne le début des travaux ! Ce manque de ponctualité n’est pas seulement une marque d’impolitesse, c’est aussi un énorme gaspillage de temps et d’énergie qui contribue à administrer chaque jour la preuve qu’au fond, si nous ne sortons pas du sous-développement, c’est que nous ne travaillons pas assez.
Dis-moi avec quel retard se tiennent les réunions chez toi, et je te dirais dans quelle catégorie de pays tu vis ! Senghor est mort, lui qui se tenait à égale distance des religieux, alors qu’aujourd’hui entrer en politique c’est commencer par se chercher un guide religieux et que nos présidents ont besoin d’un copilote pour nous gouverner. C’est un attelage périlleux, d’abord pour le religieux car la politique est toujours une forme de compromis, voire de compromission, mais aussi pour les gouvernants, parce que l’affaissement du politique marque le début du désordre.
Cette confusion des rôles est un frein à nos libertés, et si au temps de Senghor on pouvait aller en prison pour avoir critiqué le pouvoir, aujourd’hui on peut se faire lyncher pour avoir exprimé une opinion religieuse qui ne reflète pas, dans ses moindres détails, la doxa ambiante. J’aurai pu multiplier les exemples et, contrairement à ce que pensent certains, les reproches formulés plus haut ne sont pas « un détail de notre histoire ».
Evidemment tout l’héritage de Senghor n’est pas à perpétuer et il y a aussi des usages qu’il avait instaurés ou maintenus dans notre pays et que nous avons eu bien raison de jeter aux oubliettes. Je citerai, à titre d’exemple, ces vestes à queue de pie qu’il s’imposait et imposait à son protocole, par tous les temps, ainsi que son mépris des tenues africaines. Il n’était pas non plus un modèle de démocrate, son patriotisme était pour le moins trouble, et les vingt ans pendant lesquels il a gouverné notre pays ont été de dures années pour ceux qui se battaient pour le desserrement de la pression de l’ancienne métropole sur notre économie et sur nos esprits. Mais il faut lui reconnaitre ce mérite qu’il avait tenté de nous guérir de ce qu’il appelait nos « thiakhaneries » où se mêlent à la fois le culte de l’arrangement (le massala), une grande légèreté (« garaawul ! »), et l’illusion que notre pays est béni de Dieu.
Senghor avait fait plus que prêcher l’exemple, il avait créé ex nihilo une administration pour nous apprendre « l’organisation et la méthode ». Malheureusement les résultats n’avaient pas été à la hauteur de ses espérances et aujourd’hui, plus de quarante ans après son départ du pouvoir, on peut dire que, dans ce domaine comme dans d’autres, nous avons peu appris et beaucoup oublié…
UN TABLEAU DE SOULAGES AYANT APPARTENU À SENGHOR AUX ENCHÈRES SAMEDI EN FRANCE
Cette huile sur toile abstraite constituée de larges traits noirs faisant penser à une sorte de totem asymétrique est estimée "de 800.000 à un million d'euros", précise l'hôtel des ventes
Un tableau de l'artiste français Pierre Soulages ayant appartenu au poète et ancien président du Sénégal Léopold Sédar Senghor va être mis en vente samedi à Caen dans l'ouest de la France, selon l'organisateur Caen Enchères.
Cette huile sur toile abstraite constituée de larges traits noirs faisant penser à une sorte de totem asymétrique est estimée "de 800.000 à un million d'euros", précise l'hôtel des ventes.L'oeuvre intitulée "Peinture 81 x 60 cm, 3 décembre 1956" a été acquise par Léopold Sédar Senghor peu de temps après sa réalisation par "son ami" Pierre Soulages, relate Caen Enchères. Son actuelle propriétaire, qui souhaite rester anonyme, est une amie de la soeur de l'épouse du poète décédé en 2001.
Disparue en 2019, Colette Senghor avait légué le tableau à sa soeur décédée en 2020.L'oeuvre se trouvait dans la maison des Senghor à Verson, près de Caen, où le couple a vécu à partir des années 80.Elle est caractéristique du travail du peintre dans les années 50, avant qu'il passe à l'outrenoir, cet univers imaginé par Soulages en 1979 lorsqu'il a pris le virage du noir complet.En 2019 un Soulages a atteint 9,6 millions d'euros (frais compris) aux enchères à Paris.
L'ancien président sénégalais était un fervent admirateur du peintre aujourd'hui âgé de 101 ans."La première fois que je vis un tableau de Pierre Soulages ce fut un choc. Je reçus au creux de l'estomac un coup qui me fit vaciller, comme le boxeur touché qui soudain s'abîme", écrit le premier Africain devenu académicien dans Lettres Nouvelles (1958)."Les peintures de Soulages me rappellent toujours les peintures, voire les sculptures négro-africaines", ajoute le chantre de la négritude, mouvement pour la défense des valeurs culturelles du monde noir qu'il a inventé avec l'Antillais Aimé Césaire.
Outre ce tableau, Léopold Sédar Senghor possédait également "un petit croquis" du peintre "où il avait écrit +amitiés Pierre Soulages+", selon Me Solène Lainé, commissaire-priseur.
par Hamidou Anne
LES MASSES DE GRANIT DE SENGHOR
Aujourd’hui, les critiques légitimes du président-poète foisonnent. Mais de nombreux imprudents profanent son œuvre non sans une certaine mauvaise foi. Personne ne niera la hauteur de l’homme qui a imaginé un grand dessein pour un petit pays
Il y a 40 ans, Senghor quittait volontairement sa fonction de président de la République. Fait inédit dans une Afrique où la mode était plutôt aux autocrates assoiffés de pouvoir. Le père de la Nation sénégalaise devrait d’ailleurs inspirer de nombreux chefs d’Etat qui rêvent encore de mourir au pouvoir.
Il y a 19 ans, il nous quittait après avoir eu une vie politique et intellectuelle exceptionnelle. Senghor est le plus grand Président africain. Il est le plus illustre des Sénégalais. Le devoir d’inventaire continue de s’exercer au sujet de l’œuvre de l’homme qui, comme toute œuvre humaine, par essence imparfaite, contient des impasses et des horreurs. Mais personne ne niera la hauteur de l’homme qui a imaginé un grand dessein pour un petit pays. Il a compris très tôt que l’homme est la plus grande ressource pour un pays et non l’or, le pétrole ou le gaz.
En 2020, Senghor apparaît encore plus moderne que nombre de ses détracteurs ; lui qui a bâti notre pays par l’arme miraculeuse de la culture. Par elle, il a érigé l’enracinement, l’ouverture et le recours aux humanités au rang de culte. Au rendez-vous du donner et du recevoir, le Sénégal, pays de lettrés, de peintres, de comédiens, offre des réponses aux questions existentielles de notre contemporanéité.
Napoléon a laissé à la France ce qui s’appelle des «masses de granit», c’est-à-dire les institutions républicaines comme le préfet ou le lycée qui, deux siècles plus tard, demeurent. Les masses de granit dispersées sur le sol de la Nation par Senghor constituent le socle de notre politique culturelle. L’Université des mutants, le musée dynamique, le Festival mondial des arts nègres, le théâtre Daniel Sorano, l’Orchestre national, le Ballet national la Linguère, les Manufactures des arts décoratifs, l’Ensemble lyrique et l’Ecole artistique de Dakar sont l’œuvre de Senghor. Le Sénégal venait ainsi avec ses apports fécondants pour contribuer aux communs de l’universel.
Senghor définissait la culture comme l’ensemble des valeurs de création d’une civilisation. Par la culture, l’homme crée, dépasse le présent, prolonge l’histoire et dispose pour l’avenir. C’est aussi par la culture qu’un génie a fait d’un minuscule point sur le globe qui s’appelle Sénégal un contributeur majeur à la «Civilisation de l’Universel». Cette civilisation dont il nous dit qu’elle «serait composée des apports, complémentaires, de tous les continents et de toutes les races, sinon de toutes les Nations». «Tout ce qui monte converge», dit Teilhard de Chardin. Senghor a propulsé le Sénégal au rendez-vous des convergences créatrices du monde par la culture.
Aujourd’hui, les critiques légitimes de Senghor foisonnent. Mais de nombreux imprudents profanent son œuvre non sans une certaine mauvaise foi, voire une méconnaissance coupable. Taper sur Senghor est un sport national, notamment pour expliquer que notre retard économique est du fait d’un poète occupé par ses vers et non par la production de richesses. Critique absurde, car c’est par la culture qu’une Nation produit pour se mesurer à l’universel. La culture est le lieu de sophistication de la société, la base du commerce et donc de l’économie.
Les impasses épistémiques actuelles du capitalisme donnent raison à Senghor. Plutôt que l’économie, il a commencé par la culture pour bâtir une humanité non dépouillée de sens et de spiritualité qui font défaut à un monde des évidences technologiques.
Senghor demeure plus qu’actuel, notamment durant cette période de pandémie qui confine les artistes et les créateurs et les coupe de leurs lieux d’expression et de monstration. Les artistes vont continuer à souffrir, car il n’y a pas, depuis 40 ans, une politique culturelle ambitieuse capable de porter un progrès économique et social. Nous n’avons pas structuré une économie de la création en vue d’intégrer pleinement les artistes au cœur de notre outil productif.
Le Sénégal est l’œuvre de Senghor. A la négation de la dignité noire, il opposa la négritude. Président de la République, il utilisa la culture comme instrument de construction d’un discours et d’une identité africaine afin d’extirper notre pays de la Grande nuit. Si le Sénégal est une Nation debout, une et indivisible, c’est d’abord grâce à Senghor. Ses successeurs n’ont pas été à sa hauteur. Un rapide tour d’horizon de la classe politique suffit pour se dire que nous n’aurons peut-être plus jamais un homme d’Etat à la hauteur de Léopold Sédar Senghor.
CES COMPAGNONS DE L'INDÉPENDANCE SACRIFIÉS PAR SENGHOR
Qu’a retenu l’Histoire du rôle de Mamadou Dia et de Valdiodio Ndiaye dans l’accession du pays à l’indépendance ? Éclipsés par la trace indélébile laissée par le président-poète, leurs noms ont été jetés aux oubliettes par l’écriture d’une histoire biaisée
Jeune Afrique |
Manon Laplace |
Publication 25/10/2020
En 1962, le président Léopold Sedar Senghor fait arrêter puis condamner son Premier ministre, Mamadou Dia, et quatre de ses ministres, qui voulaient bousculer les intérêts français au Sénégal. À l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance, Jeune Afrique revient sur cette page méconnue de l’histoire post-coloniale.
Qu’a retenu l’Histoire du rôle de Mamadou Dia et de Valdiodio Ndiaye dans l’accession du Sénégal à l’indépendance, le 4 avril 1960 ? Éclipsés par la trace indélébile laissée par Léopold Sédar Senghor, président-poète et « père de l’indépendance », leurs noms ont été « jetés aux oubliettes par l’écriture d’une histoire politique et biaisée », tranche d’emblée l’historien sénégalais Iba Der Thiam.
Pourtant, Mamadou Dia, chef du premier gouvernement indépendant du Sénégal, et Valdiodio Ndiaye, qui fut un temps son ministre de l’Intérieur, ont été bien plus que des seconds couteaux dans l’histoire contemporaine du pays.
Disgrâce
Longtemps considéré comme le protégé de Senghor, auprès de qui il siégea à l’Assemblée nationale française, Mamadou Dia est président du Conseil dès 1956, avant de rempiler en 1960 lors de l’Indépendance. Il est l’homme de la politique intérieure et des affaires économiques. Léopold Sédar Senghor, lui, a la main sur la politique extérieure. Une organisation bicéphale du pouvoir, calquée sur celle de la IVe République française, qui va rapidement mettre à nu les dissensions entre les deux hommes et valoir à Mamadou Dia de tomber en disgrâce, dès 1962.
Au sein du premier gouvernement Dia, une autre figure montante de la politique sénégalaise : Valdiodio Ndiaye, charismatique avocat à qui l’on a confié le portefeuille de l’Intérieur. De son nom, il ne reste aujourd’hui que les lettres noires qui ornent l’enceinte du lycée éponyme, sis à Kaolack, ville fluviale du bassin arachidier dont il était originaire.
Toute une génération a pourtant été marquée par son discours sur la Place Protêt (rebaptisée Place de l’Indépendance en 1961), à Dakar, le 26 août 1958. Alors que le président est en Normandie et que Mamadou Dia est retenu en Suisse pour une cure, c’est Valdiodio Ndiaye qui reçoit le Général de Gaulle, lequel achève à Dakar un périple africain qui l’a mené à Fort-Lamy (actuelle N’Djamena), Alger, Brazzaville, Abidjan ou encore Conakry.
Une tournée dans les colonies, un mois seulement avant le référendum constitutionnel qui posera les bases de la Ve République. À travers ce vote, les colonies africaines doivent choisir : la « communauté avec la France », en votant oui ; ou « l’indépendance dans la sécession », en votant non.
Plaidoyer indépendantiste
Devant une foule galvanisée et un général de Gaulle « visiblement irrité », selon certains récits de l’époque, Valdiodio Ndiaye déroule son plaidoyer en faveur de l’indépendance sénégalaise. « Le peuple d’Afrique, comme celui de France, vit en effet des heures qu’il sait décisives et s’interroge sur le choix qu’il est appelé à faire. Dans un mois, le suffrage populaire, par la signification que vous avez voulu donner à sa réponse Outre-mer, déterminera l’avenir des rapports franco-africains. Il ne peut donc y avoir aucune hésitation. La politique du Sénégal, clairement définie, s’est fixé trois objectifs qui sont, dans l’ordre où elle veut les atteindre : l’indépendance, l’unité africaine et la Confédération », tonne-t-il.
Amnésie collective
Aujourd’hui, peu de traces subsistent de ces premières revendications indépendantistes. Dans une forme d’amnésie collective, le Sénégal n’a retenu que la chute de Mamadou Dia et de ses ministres Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall.
« On les a décrit comme ceux qui avaient conjuré contre la sécurité de l’État, éludant complètement le rôle qu’ils ont joué dans l’indépendance sénégalaise. Pourtant, si la question de l’indépendance avait été uniquement entre les mains de Senghor, nous serions peut-être encore sous domination française », analyse Iba Der Thiam.
En décembre 1962, les cinq hommes sont arrêtés, accusés par le président Senghor de fomenter un coup d’État. En mai 1963, alors que le procureur général n’a requis aucune peine, Mamadou Dia est condamné à perpétuité, tandis que ses quatre ministres écopent de 20 ans d’emprisonnement. Ils seront graciés onze ans plus tard, avant d’être finalement amnistiés en 1976.
Le président et poète a fréquenté le Petit séminaire de Ngazobil de 1914 à 1922. Selon l’abbé Étienne Sène, cela a permis au jeune apprenant de mieux développer sa vie spirituelle, intellectuelle et communautaire. Découverte de ce lieu d’apprentissage
En cette période de l’année, la route Mbour-Joal, bordée par une flore verdoyante et des champs de mil et d’arachide en arrière-plan, offre un paysage féérique aux voyageurs. À trois kilomètres de Joal, après les villages de Mbaling, Warang, Nianing, Mbodiène et Pointe Sarène, le vaste domaine du séminaire de Ngazobil se dévoile à droite, juste en face de l’intersection de la voie menant à Nguéniène. Bien gardé et entouré de fils barbelés, il faut montrer patte blanche pour y entrer. Après une présentation au portail, le préposé à la sécurité nous indique que seul l’abbé Étienne Sène, directeur du Petit séminaire, est habilité à donner des informations. Le Petit séminaire Saint Joseph se trouve dans ce grand domaine boisé de l’église. Pour arriver au bâtiment principal, le véhicule roule encore près de deux kilomètres. Les locaux du séminaire, qui ont servi de première école au Président Léopold Sédar Senghor, trônent à côté du site de la première chapelle construite dans ce domaine en 1804.
En ce samedi 22 août, les lieux sonnent creux parce que les élèves sont libérés pour 10 jours. Le bâtiment principal qui a accueilli Senghor en 1914 est cerné par plusieurs variétés d’arbres bien entretenus. En contrebas de la cour de l’établissement, l’océan Atlantique se déploie dans toute sa grandeur et avec son éclat bleu. La salle de cours de l’ancien Président accueille d’autres écoliers, mais elle est laissée en l’état par les responsables pour conserver son authenticité, car servant souvent de lieu de pèlerinage. Comme lors du passage du jeune Léopold Sédar Senghor, le dortoir des pensionnaires se trouve toujours au premier étage. La cantine, elle, se situe dans un bâtiment non loin de la mer.
C’est ce cadre qui a accueilli l’enfant Senghor âgé de huit ans. Après avoir quitté son oncle maternel à Djilor, en 1913, Senghor est venu à Joal où il est confié au révérend père Dubois, de la mission catholique de Joal. Ce dernier s’occupe de lui une année avant de l’envoyer à Ngazobil. Il y a été admis en 1914. Le poète s’en souvient dans son œuvre « Poésie de l’action » : « À l’âge de 7 ans, il (mon père) m’enleva des bras de ma mère et de mon oncle pour m’envoyer à la mission catholique de Joal. Pendant un an, le père Dubois, un Normand, m’a dégrossi avant de me faire entrer à la mission catholique de Ngazobil, à 6 km au nord de Joal, sur les bords de l’Atlantique ». Au passage de Senghor, les Noirs étaient minoritaires dans le collège. Il y avait en majorité des Européens, notamment des Français, des Libano-Syriens et des métis. « En somme, c’étaient des fils de bourgeois qui étaient à Ngazobil. Ils vivaient dans une relative harmonie. Il y avait des musulmans mêlés aux chrétiens. Ses parents ont très tôt choisi de l’envoyer ici ; ce qui n’était pas évident parce que le Sérère n’envoyait pas comme ça son fils à l’école. Son père a été courageux », confie abbé Étienne Sène, teint noir et grand de taille. Depuis, dit-il, Ngazobil a été pour la Petite-côte un centre de rayonnement spirituel et intellectuel, en plus des corps de métier, notamment l’imprimerie, la menuiserie et l’agriculture qui y étaient pratiqués. À l’époque de Léopold Sédar Senghor, l’enseignement était donné en français mais aussi en wolof, « des langues dans lesquelles on devait savoir lire et écrire pour enraciner les élèves dans les valeurs culturelles des terroirs ». C’est pourquoi Senghor parlait bien le français, le sérère ainsi que le wolof, même si jusqu’à six ans, il ne comprenait que sa langue maternelle, explique le religieux.
Le Président-poète a été reconnaissant concernant les connaissances et les valeurs apprises à l’école. Lors de son passage dans le sanctuaire du savoir, le 12 février 1970, il révéla : « C’est à Ngazobil que je suis formé intellectuellement. J’ai appris le français et le wolof en même temps, j’ai appris le latin de 1914 à 1922. Mais, j’ai appris autre chose à Ngazobil. J’ai appris à travailler de mes mains, le travail manuel. J’ai appris aussi à soigner les animaux, les lapins, les tourterelles. Et j’ai appris à aimer les animaux et les arbres ».
Avec le cadre qui place ce Petit séminaire entre les plantations, la mer et les fontaines, Senghor ne pouvait que vivre en harmonie avec la nature. Abbé Étienne Sène fait savoir que l’activité au séminaire tournait autour de trois aspects : la vie spirituelle, la vie intellectuelle et la vie disciplinaire ou communautaire ; et Senghor avait bien assimilé cela à travers l’étoile sérère. D’après ce dernier, la tête de l’Homme est en relation avec Dieu ; avec ses bras, il est relation avec les autres ; avec ses pieds, l’Homme est en relation avec la nature en plus d’être, en général, en relation avec lui-même.
Pour le directeur du Petit séminaire de Ngazobil, Senghor y a marqué son passage en tant qu’élève brillant avec une bonne vie intellectuelle. « Il a lui-même confié qu’il était d’un caractère difficile, qu’il ne se laissait pas faire, même face aux grands. Mais, Ngazobil a transformé sa personnalité et l’a aidé justement à pouvoir vivre en communauté. Il a mis l’accent sur l’organisation, la méthode et le travail », analyse-t-il, les yeux rivés sur des documents de son bureau retraçant le parcours du Président-poète.
Senghor et la possibilité de devenir prêtre
Même si, d’après certaines thèses, Senghor caressait le vœu d’être prêtre, Abbé Étienne Sène nous dit que cela n’a pas pu être prouvé. Ce qui est clair, Senghor, à cette époque de l’assimilation, était « fier de sa culture sérère et voulait préserver ses valeurs culturelles ». « L’éducation sérère a beaucoup marqué la vie de Senghor. Il a grandi auprès de son oncle maternel ; ce qui est important chez les Sérères. Il pratiquait l’élevage et l’agriculture ; il a été berger comme tous les petits Sérères. Il était aussi un bon lutteur. Et, malgré sa petite taille, il était teigneux. Il était enraciné et n’a pas voulu être assimilé en étant prêtre à l’époque », résume-t-il. Devenu Président de la République, Senghor est passé à Ngazobil pour rendre visite aux séminaristes. D’ailleurs, sur les murs du bâtiment, plusieurs de ses clichés et citations évoquant ses liens avec le séminaire décorent les allées. Après huit ans au Petit séminaire de Ngazobil, il rejoint le collège Libermann de Dakar où le père Albert Lalousse a imprimé sa marque dans le cursus de l’étudiant Léopold Sédar Senghor.
Historique de Ngazobil
Le site de Ngazobil ou « puits de pierre » en langue sérère a été découvert en 1848 par le révérend père Bessieux qui se rendait à la mission catholique de Joal. Du fait de la bonne position géographique du site, le missionnaire décide d’en faire un établissement pour éloigner les enfants des rapports très fréquents avec le monde et le mouvement des affaires de Dakar. Mais aussi pour leur apprendre à cultiver la terre tout en poussant aux études ceux qui montreraient le plus d’aptitude.
En mars 1849, Aloys Kobes envoie le père Chevalier, avec un autre père et six frères, pour fonder l’établissement, souligne l’actuel directeur du Petit séminaire de Ngazobil. Toutefois, les débuts ont été difficiles parce que le roi du Sine et ses « ceedo » (guerriers) étaient contre l’établissement. En janvier 1851, le roi envoya des représentants à Gorée pour demander la suppression du Petit séminaire Saint-Joseph de Ngazobil. À ces difficultés et celles dues aux intempéries vinrent s’ajouter les maladies qui forcèrent les missionnaires à partir les uns après les autres quand ils ne mouraient pas sur place. Toutefois, Mgr Kobes n’abandonne pas cette idée du Petit séminaire de Ngazobil et l’œuvre a vu le jour dès que les circonstances ont été meilleures. Au début, ce séminaire avait aussi une vocation agricole aux côtés de l’éducation avec au moins 1000 hectares pour la culture du coton, de l’arachide, du mil, etc. Jusqu’à présent, en face de la chapelle, la forge qui regroupait les différents ateliers est toujours sur le site. Depuis 1940, la structure accueille les enfants en fin de cycle élémentaire et qui ont émis le souhait de devenir prêtre, informe abbé Étienne Sène. Par ailleurs, elle prend maintenant en compte les diocèses de Thiès et de Dakar pour la formation des prêtres. Cette année, le Petit séminaire de Ngazobil a 123 pensionnaires qui sont tous en mode internat. Ils ont les mêmes activités que Senghor et ses camarades d’alors. Lors du passage de l’élève Senghor, les pensionnaires n’étaient pas sélectionnés pour devenir prêtres prioritairement, mais ceux qui avaient la vocation étaient accompagnés et les autres poursuivaient leurs études classiques.
À PROPOS DE SENGHOR
Le 31 décembre 2020, cela fera exactement 40 ans que l'ancien président aura renoncé à l’exercice du pouvoir. Existera-t-il un jour en terre sénégalaise, aventure humaine plus fabuleuse que celle de Léopold Sédar Senghor ? Si Sédar Gnilane m’était conté…
Ce 31 décembre 2020, cela fera exactement 40 ans que Léopold Sédar Senghor aura renoncé à l’exercice du pouvoir.
Existera-t-il un jour en terre sénégalaise, aventure humaine plus fabuleuse que celle de Léopold Sédar Senghor ? Si Sédar Gnilane m’était conté…
C’est le 31 décembre 1980 que Léopold Sédar Senghor fait ses adieux au peuple sénégalais, cédant le pouvoir à Abdou Diouf, à la suite d’un processus enclenché quelques années plus tôt.
La légende prête surtout à Senghor le dessein de vouloir très tôt lâcher les rênes du pouvoir pour se consacrer à sa passion, la littérature. Il rêve, dit-on, de son siège au Collège de France au début des années soixante. La crise de 1962 bouleverse ses plans… Il reste finalement deux décennies à la barre.
Sa démission en 1980 est par-dessus tout l’acte fondateur qui pose une tradition de successions apaisées au pouvoir. Abdou Diouf part élégamment après sa défaite contre le Père Wade en 2000, tout comme le « Pape du Sopi » tire sa révérence en 2012 face à son tombeur Macky Sall. Ils ne peuvent pas faire moins que Senghor, qui aura fixé le seuil de l’intolérable en renonçant volontairement à ses fonctions suprêmes.
Après avoir conduit à l’indépendance, sans effusion de sang, ce peuple qui n’a pas une âme de martyr et que sa vertu n’étouffe pas, Senghor lègue à la postérité un Etat solide et une aura diplomatique spéciale. Une république dont l’ADN fait parfois dire que le Sénégal est, non pas un pays africain, mais un pays en Afrique…
Dans le monde francophone, bien après son retrait de la vie publique, Léopold Sédar Senghor sera constamment célébré : l’homme du monde, l’homme de lettres, l’homme d’Etat, le militant de la dignité noire et le chantre de la francophonie. Il y a de tout cela et bien plus dans ce personnage exceptionnel. Une université, des ponts, des rues, des lieux publics portent son nom, des statues le célèbrent, et les distinctions l’honorent partout sur la planète.
Le p’tit gars de Djilor, ce lieu-dit du Sine, en plein pays sérère, est né officiellement le 9 octobre 1906. Le rejeton de Gnilane Bakhoum, prénommé d’abord Sédar, puis baptisé Léopold par son polygame de paternel, traversera son époque de part en part, lui laissant une marque qu’aucun Sénégalais ne pourra sans doute jamais égaler. Poète, intellectuel, homme politique, homme d’Etat, citoyen du monde…
Il aura endossé tous les manteaux avec une égale classe.
Le garnement, sous l’œil bienveillant de « tokor » Waly Bakhoum avec lequel il garde des vaches, devient le brillant élève de lettres classiques auquel le député Blaise Diagne donne sa chance en lui permettant de poursuivre ses études supérieures en France. Frappé de plein fouet par la culture française, ce prodigieux cerveau se mettra en ébullition. Avec Césaire, Damas, Alioune Diop et compagnie, l’intellectuel surgi du pays sérère portera en France le débat sur la condition de l’homme noir que l’artiste, le poète, déclamera.
Lorsqu’il croise en 1945 Maître Lamine Coura Guèye, alors qu’il poursuit des recherches en linguistique sur le sérère, l’agrégé de grammaire ne se doute pas qu’il signe un long bail avec la politique, en passant par le portail communiste… Le rural, ce sujet français qu’il est, s’apprête à détrôner le citadin, le citoyen des « Quatre Communes » sevré de pouvoir suprême depuis ce temps.
Après leur réconciliation qui accouche de l’UPS, Lamine Guèye ayant perdu de sa superbe, finira au Perchoir jusqu’à sa mort en 1968. Et aucun des présidents qui se succèderont au Palais présidentiel depuis soixante ans ne viendra des fameuses « Quatre communes ».
Quant à Senghor, son ascension est irrésistible : député, maire, conseiller général, ministre français, puis, au final, président de la République du Sénégal en 1960, après l’échec de la Fédération du Mali. Il le restera vingt longues années.
En 1980, lorsque ce poète-chef d’Etat renonce solennellement à sa fonction officielle, il a 74 ans, est apparemment en bonne santé ; le pays, en dépit des fatales difficultés du sous-développement, est sous contrôle. Senghor est à mi-mandat suite à l’élection de 1978, durant laquelle Abdoulaye Wade, son principal challenger est loin derrière lui. Les troubles qui auraient pu mettre à mal la République ou faire s’effondrer l’Etat, sont derrière nous.
Senghor tient son gouvernail d’une main de fer depuis deux décennies et rien ne semble mettre en péril son autorité grandissante, contrairement à ses scores électoraux qui se rabotent, certes, mais si peu. Il survit à la crise de 1962, aux tensions sociales de 1968 et 1973, aux changements climatiques brusques de la Françafrique. Une première décennie de quasi totalitarisme… Au total, deux peines capitales, une quarantaine de morts dans un soulèvement populaire au cours duquel les forces de l’ordre tirent sur la foule. La fin du bicéphalisme, des emprisonnements à la pelle, la fermeture de l’université en 1968, une rugueuse chasse à l’homme, l’enrôlement sous les drapeaux des grévistes et l’expulsion des agitateurs étrangers, quelques bavures mortelles, dont celle qui coûte la vie à Oumar Diop Blondin…
Lorsque Senghor quitte le pouvoir, les scores à la soviet du parti unique sont du passé, la République s’ouvre à la démocratie avec ses « quatre courants » depuis 1974 : sur la scène politique, on croise des communistes, des socialistes, des libéraux et des conservateurs. Ça ne cache pas vraiment une autre opposition, plus virulente celle-là, plus ou moins clandestine mais toujours républicaine. Cheikh Anta Diop lui dispute le leadership de la défense du monde noir, Mamadou Dia, libre depuis 1974, dénonce la mal-gouvernance, et les gauchistes radicaux dissidents du PAI, le néocolonialisme. Rien de bien méchant. Y a un début de revendication islamiste avec Ahmed Khalifa Niasse, « l’Ayatollah de Kaolack » plus versatile qu’une girouette.
Et, en 1977, un journal satirique, Le Politicien, rajoute de la gouaille au tableau d’une animation culturelle et sociale bon enfant où la populace plébiscite ses artistes populaires tandis que l’élite adule sa propre sophistication.
Au plan économique, la vie n’est pas rose, il est vrai : une longue période de sècheresse dans la décennie ’70 vide les greniers et assèche les cours d’eaux. Les ruraux désertent les champs et se ruent vers les villes pour surtout y gonfler les rangs des chômeurs. Y a un début de bourgeoisie affairiste locale mais l’essentiel de l’économie est aux mains des entreprises françaises : les marchés publics sont leur chasse gardée et les ressources naturelles, leurs propriétés privées.
Question couleur locale, quelques « diamantaires » sur le retour sonnent la révolte économique et mènent grand train. Mais, en réalité, les Sénégalais jouent dans la cour des petits.
La stabilité politique est-elle à ce prix ? Ailleurs sur le continent, le nationalisme économique des nouvelles républiques accouche de coups d’Etat… Les dictatures qui se mettent en place ont pour mission de veiller sur les biens de la Françafrique. Bongo, Mobutu, Eyadéma, Sassou-Nguesso, Moussa Traoré, Bokassa… Ceux qui échappent au contrôle de l’ancienne puissance coloniale, même s’ils sont le soutien du bloc de l’Est, virent à la paranoïa. En Guinée, Sekou Touré ne dort que d’un œil et les Guinéens ont perdu le sommeil, tandis qu’au Bénin, Kérékou mène son monde à la trique, comme Boumédienne en Algérie. Les seuls régimes « stables » sont ceux qui obéissent au doigt et à l’œil à l’Elysée : Hassan II, Ould Dada, Ahidjo, Senghor, Houphouët prennent régulièrement la température de Paris, pour être informés à temps des avis de tempête…
Quand arrivent les années 80, l’ère de l’exercice solitaire du pouvoir touche à sa fin. Dans le monde, les premières fissures des régimes autoritaires sont béantes. La chute du Shah d’Iran en sera sans doute l’illustration la plus symbolique. S’y ajoute l’exécution de William Tolbert, au Libéria, lui qui fut président de l’OUA, pour faire parcourir un frisson d’horreur sur tout le continent africain en avril de cette année 1980.
Cet épisode tragique convainc définitivement Senghor de ne pas s’éterniser au pouvoir. Certes, des renseignements exagérément alarmistes sont distillés par ses successeurs devenus impatients de prendre sa place. Mais vous savez bien, quand on s’accroche à son fauteuil, rien ni personne n’y peut grand-chose de raisonnable. Senghor et Colette partiront sans se retourner ; lui, entrera à l’Académie française et se fera oublier des Sénégalais, pour finir cloîtré à Verson jusqu’à sa mort, le 20 décembre 2001.
Et depuis, même si le nom de Sédar Gnilane semble évoquer une maladie honteuse chez bon nombre de nos compatriotes, jamais Sénégalais n’aura plus fait pour le Sénégal…
VIDEO
SENGHOR RACONTÉ DANS WENDELU
C'est une plongée profonde et riche en enseignements que les animateurs et invités de l'émission Wendelu ont effectué dans la vie du président poète.
C'est une plongée profonde que les animateurs et invités de l'émission Wendelu ont effectué dans la vie du président poète.
par Siré Sy
MULTIPLE PHOTOS
LA GAUCHE SÉNÉGALAISE, UNE HISTOIRE EXPLICATIVE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il s’agit, à travers cette série en collaboration avec le Think Tank Africa WorldWide Group, de revenir sur la trajectoire des mouvements révolutionnaires et nationalistes depuis Léopold Sédar Senghor
A la suite de la série du Feuilleton Managérial ‘’Président et Gestion de crise : quand l'heure est grave !’’, le Think Tank Africa WorldWide Group, en partenariat avec votre portail d’informations www.seneplus.com, vous propose une nouvelle série du feuilleton Managérial intitulé ‘’La Gauche sénégalaise, une histoire explicative’’.
Ainsi, il s’agira dans un jet d'articles, de revenir sur la trajectoire, les espérances, les obstacles et les échecs des partis de la Gauche et des mouvements révolutionnaires et nationalistes, sous les régimes du président Senghor (1960-1981), du président Abdou Diouf (1981-2000), du président Abdoulaye Wade (2000-2012) et du président Macky Sall. Et des futurs possibles des partis de la Gauche et des mouvements révolutionnaires nationalistes (2020-2050).
Pour rappeler, témoigner, célébrer, analyser et mettre en perspective, les contextes historiques, les luttes épiques, les batailles idéologiques, les combats politiques, les contradictions internes, les espérances collectives, les victoires remportées et les échecs subis, de cette Gauche sénégalaise dont l'une des manifestations des promesses du ‘’Grand Soir’’, aura été aussi l'arrivée au pouvoir de l'homme Macky Sall, fondamentalement épris et traversé par des idéaux de la Gauche et foncièrement pragmatique de la praxis de droite.
Feuilleton Managérial ‘’La Gauche sénégalaise, une histoire explicative’’, parce que ce sont les Hommes (hommes et femmes) qui font et écrivent l’Histoire qui en retour les révèle au grand jour. Nous reviendrons sur le militantisme, l'intégrité et les sacrifices d’illustres camarades - connus ou inconnus du grand public - et dont la contribution a été fondamentale dans la lutte, pour que le combat continue.
Feuilleton Managérial ‘’La Gauche sénégalaise, une histoire explicative’’, sera aussi une histoire ‘’clandestine’’ parce que la Gauche sénégalaise a été longtemps dans la clandestinité. Feuilleton Managérial ‘’La Gauche sénégalaise, une histoire explicative’’, sera aussi une histoire à visage découvert et à cœur ouvert, parce que depuis 1974 (multipartisme limité) puis 1993 (ouverture démocratique et ‘’entrisme’’) et depuis, ses épisodes se sont joués et se jouent encore au grand jour.
Feuilleton Managérial ‘’La Gauche sénégalaise, une histoire explicative’’, ce sera au courant du mois de Septembre 2020, en exclusivité sur seneplus.com.
Retour sur la trajectoire de l’intellectuel maoïste Omar Blondin Diop, figure de l’opposition au président Sédar Senghor, disparu dans des circonstances troubles, à travers le puissant essai politique et cinématographique de Vincent Vincent Meessen
Dans un puissant essai politique et cinématographique, Vincent Meessen explore la trajectoire de l’intellectuel maoïste sénégalais Omar Blondin Diop, figure de l’opposition au président Léopold Sédar Senghor, disparu dans des circonstances troubles.
"Omar est une figure dans laquelle n’importe quel jeune Africain, peut se reconnaître." Né en 1946, Omar Blondin Diop grandit dans une famille musulmane peu pratiquante et bercée de théorie révolutionnaire. Militant maoïste, le jeune homme brandit ses convictions politiques dans La Chinoise de Godard et dans les amphis de Nanterre, participant au Mouvement du 22 mars emmené par Daniel Cohn-Bendit, puis à Mai 68. Expulsé de France pour "activités subversives", il intègre l’Institut fondamental d’Afrique noire à Dakar, se nourrit de lectures situationnistes et bouscule le pouvoir de Léopold Sédar Senghor avec ses discours égalitaires et anticolonialistes. En 1971, les membres du "groupe des incendiaires", dont deux frères d'Omar, sont condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour avoir mis le feu au ministère des Travaux publics et pour avoir tenté d’attaquer le cortège du président Georges Pompidou, en visite à Dakar. Face à cette répression, Omar Blondin Diop quitte l’École normale supérieure de Saint-Cloud, et suit une brève formation militaire dans un camp de fedayin en Syrie. Arrêté à son tour, le jeune révolutionnaire est retrouvé pendu dans sa cellule le 11 mai 1973. Sa mort, que ses proches dénoncent comme un assassinat politique, soulève un vent de colère à travers le pays, qui conduit à une libéralisation du pouvoir et à la naissance d’une avant-garde artistique.
Héritage
Dans ce fascinant essai cinématographique et politique, Vincent Meessen met en regard La Chinoise avec la destinée tragique du militant maoïste, tout en traçant des parallèles entre le processus créatif de son propre film et celui de Jean-Luc Godard. Traversé d’images saisissantes et nourri des confidences de ses frères et compagnons de lutte – qui réclament toujours justice –, le documentaire explore l’héritage culturel et contestataire d’Omar Blondin Diop, du Laboratoire Agit’Art au collectif Y en a marre, de la Françafrique à la Chinafrique.
par Khadim Ndiaye
AU-DELÀ DES INTERROGATIONS DE MBOUGAR SARR
EXCLUSIF SENEPLUS - Le processus de mémoire est sélectif et évolutif. Le fait même de s’appesantir sur le choix de noms qui devront remplacer la statue de Faidherbe est un piège dans lequel il ne faut pas tomber
D’emblée, je peux dire qu’il y a un point sur lequel nous sommes d’accord : la statue de Faidherbe doit être retirée. Il le dit sans ambages : « Je suis pour qu’on la descende de son socle et qu’on la déplace en un lieu où il sera possible d’évoquer cette mémoire douloureuse, et de la penser en toute lucidité. »
L’auteur pose par ailleurs beaucoup de questions. On sent une volonté de savoir, de « creuser », d’aller au-delà du présent. Indécis, il se demande même si ses propres questionnements sont appropriés («…peut-être d’ailleurs mes questionnements n’ont-ils aucune pertinence »). C’est une démarche positive, empreinte d’humilité. Des réponses ont toutefois été données à certaines de ses interpellations. Par exemple, quand il se demande pourquoi durant « toutes ces décennies, cette statue a-t-elle tenu sans qu’on ne soit jamais vraiment intéressé à son sens ? » La réponse est simple : durant la période coloniale, la propagande faidherbienne a été mise en branle. En 1949, le manuel d'histoire de Jaunet et Barry destiné aux écoliers de l'Afrique-Occidentale française, présentait Faidherbe en bienfaiteur. On y lit que « Faidherbe était un homme honnête et droit. Il aimait protéger les faibles et les pauvres, châtier les oppresseurs…Il voulait hâter l'évolution des peuples noirs ». Après l’indépendance, les autorités du Sénégal par la voix du président de la République, nous ont dit que Faidherbe est notre ami : « Si je parle de Faidherbe, écrivait le président Senghor, c’est avec la plus haute estime, jusqu’à l’amitié, parce qu’il a appris à nous connaître... ». En clair : circulez il n’y a rien à voir ! Faidherbe était gentil.
Il y avait pourtant tout à voir. Contrairement à l’attitude du Sénégal, les autorités algériennes, dès l’accession à l’indépendance, avaient décidé de mettre de l’avant la mémoire de la résistance et de déboulonner la statue de Bugeaud, maréchal sanguinaire, parangon de Faidherbe, et de la remplacer par celle d’un de ses adversaires locaux : l’émir Abdel Kader. La statue de Bugeaud à Alger est pourtant plus ancienne (1852) que celle de Faidherbe à Saint-Louis du Sénégal, inaugurée en 1887.
Cela nous amène donc à poser avec l’auteur la question de la transmission des faits d’histoire. Les historiens professionnels sont conscients que des efforts doivent être menés pour disséminer plus largement le savoir historique. En 2008, répondant aux propos de Nicolas Sarkozy tenus à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, l’historien Élikia M’Bokolo relevait une « double urgence » chez les historiens africains : « Une urgence à réagir, à multiplier les lieux et les formes de réactions, et, surtout, une urgence à prendre l’initiative », car la jeunesse africaine, pensait-il, était avide de savoir. Il est bien vrai que si la production scientifique relative à l’Afrique est appréciable par sa quantité et sa qualité, il n’en demeure pas moins qu’il reste des efforts à faire pour la diffusion auprès du grand public de ces travaux dont M’Bokolo trouvait qu’un trop grand nombre reste dans les rayonnages des centres de recherche spécialisés. Conséquence : la jeunesse africaine ne sait presque rien d’un passé qui a pourtant un impact énorme sur son présent.
Mbougar Sarr veut surtout, par-delà Faidherbe, qu’on pose « tout de suite » (le « tout de suite » est important pour lui), « le sens et la connaissance de tout symbole dans notre espace public et dans notre histoire. » Malheureusement pour lui, les choses ne fonctionnent pas de cette manière. Le « tout de suite » est problématique. Quand on est une ex-colonie ayant vécu un traumatisme important qui a tout bouleversé, on se doit de procéder avec stratégie quand arrive le moment de panser les blessures et de relater les faits relatifs à la mémoire. N’oublions pas : par la politique du « diviser pour mieux régner », le colonisateur a monté les uns contre les autres et a suscité et amplifié des fractures au sein de la société. L’historien Joel Glassman a par exemple montré comment Faidherbe a initié des manipulations raciologiques et a joué un rôle fondamental dans l’apparition de catégories ethniques figées. Ces cloisons ethniques ont servi plus tard de terreau à des guerres fratricides.
C’est d’ailleurs là que la fonction sociale de l’historien devient cruciale, à fortiori dans un pays colonisé. L’historienne malienne Adam Ba Konaré a bien perçu cet aspect des choses lorsque qu’elle dit, parlant de l’historien, que cet « observateur du temps doit éviter à la fois l’amnésie et le trop-plein de mémoire, dans la mesure où ces pathologies menacent la cohésion sociale ». Toute chose doit être faite en son temps et toute parole a un moment pour être dite. L’historien doit toujours avoir en vue les clivages qui traversent la société : « Dans la restitution des faits révolus, reprend-elle, le dépositaire du savoir – l’historien – doit prendre en compte les débats et les conflits qui agitent la société. L’intelligence du moment idoine pour fournir une information est donc une responsabilité dont il est investi. »
« L’intelligence du moment idoine » : le mot est lâché. C’est pour cette raison d’ailleurs que le processus de mémoire est sélectif et évolutif. Il est fait d’une série de choix et d’exclusions. Il est constitué d’éléments que nous considérons à un moment donné comme cruciaux et que nous choisissons de mettre en exergue, et d'autres que nous considérons comme secondaires. Chaque pays décide quels personnages historiques il va mettre de l’avant et autour de quels objets et lieux historiques il doit rassembler ses populations. Les statues des soldats et responsables confédérés esclavagistes étaient célébrées dans le Capitole aux États-Unis avant de devenir insupportables pour de nombreux Américains. Ce qui a d’ailleurs poussé la Chambre des représentants à voter pour leur retrait. La mémoire française ne veut pas de portraits du maréchal Pétain sur la place publique. Pourtant ce dernier a été un des grands artisans de la victoire de Verdun en 1918. Dans la même veine, les meilleurs spécialistes de la période de l’Occupation en France, pendant longtemps, ont été des étrangers, parce que la mémoire de Vichy est sensible. On se souvient des travaux marquants de l’Américain Robert Paxton, qui a relevé cette fameuse « équivoque » que Vichy a créée selon lui dans l’opinion publique française et dont toutes les conséquences ne sont pas encore apaisées. Aucun Français n’est à l’aise quand il s’agit d’évoquer ces milliers de lettres anonymes envoyées par des Français aux Allemands pour dénoncer leurs compatriotes.
Donc, si les pays colonisateurs eux-mêmes sont exposés à de lourds enjeux de mémoire, imaginons la lourdeur de la tâche pour des ex-colonisés dont l’histoire a été reniée, la morale bafouée, les structures sociales bouleversées et l’être psychologique tourmenté ! Si les ex-colonisés n’ont pas une claire conscience de cette notion d’« intelligence du moment idoine », ils feront le jeu de l’ex-colonisateur, qui se satisfera d’une déflagration sociale, conséquence d’une guerre des colonisés entre eux. Où sera le mal, disait l’administrateur colonial français Paul Marty en 1917, « quand dans un demi-siècle les islamisés du Sénégal seront partagés en cinq ou six sectes différentes, très divisées entre elles, d’autant plus divisées que chaque secte sera un produit national, et que ces rivalités religieuses viendront se greffer sur des animosités de race ? »
La guerre des colonisés est à éviter pour une ex-colonie qui vit encore les stigmates de la colonisation et qui s’attèle péniblement à construire une véritable nation. Frantz Fanon avait d’ailleurs bien perçu cette possible guerre des colonisés lorsqu’il écrivait que « les blancs s’en vont mais leurs complices sont parmi nous, armés par eux ; la dernière bataille du colonisé contre le colon ce sera souvent celle des colonisés entre eux. » On ne peut pas en effet mettre l’emphase sur des contradictions que nous considérons comme secondaires sans avoir une stratégie claire pour se faire entendre et amorcer le changement voulu. C’est là une approche méthodique et une exigence d’une pensée qui se veut utile et productive. C’est aussi conforme à la sagesse africaine : « Wax fañ ko war a waxe », « Xam lépp wax lépp baaxul », « Su jàmm yendoo cib dëkk, am na ku fa xam dara te waxu ko », « Remuer les paroles anciennes est mauvaise chose », « Toute parole a un moment pour être dite ; toute parole n’est même pas faite pour être dite ».
La pensée ne s’incruste pas simultanément dans tous les méandres qui s’offrent à elle. Il est important, à certaines étapes, de se focaliser sur une contradiction jugée principale et de reléguer au second plan les contradictions porteuses de divisions. C’est pourquoi, le fait même de s’appesantir sur le choix de noms qui devront remplacer la statue de Faidherbe est un piège dans lequel il ne faut pas tomber. En se querellant sur des noms, on fait le jeu du « dominant ». Un monument célébrant la mémoire des résistants à la colonisation suffira amplement à la place de la statue de Faidherbe.
Pour finir, j’invite Mbougar Sarr à aller véritablement au-delà de son « au-delà ». Aller au-delà de Faidherbe, ce n’est pas donc susciter une bataille entre colonisés ; c’est pour nous, questionner son héritage véritable dont les conséquences affectent encore négativement la marche de nos nations balbutiantes. Aller au-delà de Faidherbe, c’est poser un regard lucide sur cette Afrique qui traîne comme un boulet les statues et structures coloniales. C’est voir que dans ce Sénégal où il a imposé l’assimilation culturelle, le français, langue officielle, est seulement compris par 20 % à 30 % de la population. Aller au-delà de Faidherbe, c’est aussi s’interroger sur les écueils actuels du Franc CFA-Eco, sur la fièvre du troisième mandat en cours dans le « pré-carré » et sur les réseaux mafieux de la Françafrique dont il a été le grand précurseur.