Le viol est un crime. Un crime violent, dévastateur, qui ne laisse aucune victime indemne. Il détruit le corps, bouleverse l’esprit, érode l’estime de soi, fracture les liens familiaux et sociaux. Il peut engendrer des troubles post-traumatiques, des dépressions chroniques, de l’isolement, voire des pensées suicidaires. Et pourtant, malgré cette gravité, le viol est aujourd’hui traité comme un sujet de débat banalisé. Un fait dont chacun peut se saisir sans en comprendre ni la portée ni la douleur.
La sensibilité du sujet n’impose plus, hélas, une quelconque retenue ou maîtrise avant de s’exprimer. Dès qu’un cas de viol émerge, c’est une course à l’opinion. Comme des vautours, beaucoup se précipitent sur l’affaire, non pas pour comprendre ou compatir, mais pour juger, spéculer, et surtout jeter l’opprobre sur celle qui a osé parler. Le réflexe est trop souvent de protéger l’agresseur présumé et de culpabiliser la victime, comme si son malheur était suspect, comme si sa souffrance devait être justifiée.
La loi n°2020-05 du 10 janvier 2020, qui a renforcé la législation existante en criminalisant explicitement les actes de pédophilie et de viol, a été adoptée dans un contexte d’urgence sociale. Cette avancée législative, bien que salutaire, ne résulte ni d’un éveil soudain des institutions ni d’un simple élan humanitaire. Elle est le fruit de longues luttes menées par les organisations féminines et féministes, mais aussi -et surtout- d’une série de faits divers dramatiques, notamment des cas de viols suivis de meurtres, qui ont profondément choqué l’opinion publique. Le meurtre de Bineta Camara en 2019, tout comme d’autres affaires similaires à Thiès ou Kaolack, a mis à nu l’inaction chronique de l’Etat face à ces violences sexuelles, forçant ainsi l’Exécutif à réagir sous la pression populaire.
Nous étions tous d’accord : le viol et la pédophilie sont des réalités au Sénégal. Cette loi, bien que tardive, était devenue inévitable face à l’horreur répétée de faits divers qui mettaient en lumière notre incapacité à protéger les femmes. Mais si l’on ne prête pas attention au discours qui émerge aujourd’- hui, nous risquons de perdre ces acquis fragiles. Une partie de la population sénégalaise semble frappée d’amnésie collective : on oublie si vite la situation dramatique qui a précédé cette loi, les cris des familles brisées, l’indignation populaire et les mobilisations sans relâche des militantes. Aujourd’hui, ce que nous constatons, c’est une banalisation inquiétante du viol dans les discours publics. La manière dont les gens s’expriment sur ces sujets témoigne soit d’une ignorance totale, soit d’un mépris qui ne dit pas son nom. Cela révèle à quel point une clarification est nécessaire.
Le viol, selon la loi sénégalaise, est défini à l’article 320 du Code pénal comme «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur une personne par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise». Cependant, un flou persiste autour de cette notion, alimenté par des ambiguïtés juridiques, des résistances sociales et un traitement inadéquat des victimes.
Si l’on se base sur cette définition, il devient évident que la question de la virginité de la victime n’a aucune pertinence. Pourtant, dans les discussions publiques et même parfois dans les procédures, cette question revient comme un critère d’authenticité ou de gravité du viol, ce qui constitue une forme grave de stigmatisation. Cette logique perversement morale continue d’alimenter la stigmatisation des survivantes et empêche une prise en charge objective et juste des cas de violences sexuelles.
De plus, les gens semblent largement ignorer le rôle crucial du certificat médical dans la procédure. Ce document ne sert pas à juger de la moralité ou de l’historique sexuel de la victime, mais à établir des preuves médicales de violences subies : lésions, traumatismes, traces d’Adn, etc. Il est un outil juridique permettant d’appuyer la plainte et de protéger les droits de la victime.
La banalisation actuelle du viol dans l’espace public est aussi le fruit d’une histoire récente qui a profondément marqué le pays. En effet, le viol s’est invité au cœur du débat politique et médiatique national, exposé à travers une affaire très médiatisée impliquant une figure politique influente. Pendant des mois, cette affaire a polarisé l’opinion, éclipsant les enjeux de fond et réduisant les violences sexuelles à un terrain de querelles partisanes. Cette politisation du viol a contribué à brouiller les repères et à affaiblir la gravité perçue de ce crime. En lieu et place d’un débat sur la protection des femmes, nous avons assisté à une lutte d’influence où les paroles des victimes ont été minimisées. Cette séquence a laissé des séquelles durables : aujourd’hui, évoquer un cas de viol dans l’espace public suscite davantage de suspicion que de solidarité.
La culture patriarcale profondément ancrée dans la société sénégalaise joue un rôle-clé dans la persistance de ce flou. Les stéréotypes de genre, le manque de sensibilisation et le tabou entourant les violences sexuelles participent à la banalisation du viol. Souvent, la victime est perçue comme responsable, qu’elle ait provoqué l’agression par son comportement, sa tenue vestimentaire ou sa manière d’interagir. C’est une culture du silence qui protège l’agresseur et culpabilise la victime.
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est cette étrange tendance de la société à accorder plus d’empathie aux bourreaux qu’aux victimes. On observe de plus en plus fréquemment des familles d’auteurs présumés de viol se présenter devant la presse, non pas pour exprimer leur compassion envers la victime, mais pour dénoncer des complots, accuser d’autres femmes ou chercher à discréditer la parole de celle qui accuse.
Il n’est pas rare de voir émerger des élans de solidarité en faveur de l’accusé : des campagnes de soutien, des collectes de fonds, des hashtags de réhabilitation. Cette inversion morale inquiète. Car, en réalité, il est extrêmement difficile d’inculper une personne de viol si elle n’a rien à se reprocher. Le système judiciaire, déjà lent et lourd, exige des preuves tangibles. Si la procédure aboutit, c’est que des éléments solides ont été retenus.
Par ailleurs, l’un des arguments les plus fréquemment brandis pour discréditer les victimes est celui des fausses accusations. Il faut pourtant rappeler que les fausses accusations de viol représentent une minorité infime des cas. Les études internationales sérieuses, notamment celles de l’Onu ou d’Amnesty International, estiment qu’elles représentent entre 2 et 8% des plaintes. En d’autres termes, plus de 90% des accusations sont fondés.
Les femmes victimes de viol, déjà souvent isolées par la violence qu’elles ont subie, doivent aussi faire face à la stigmatisation sociale. La peur du jugement, de la non-reconnaissance de leur souffrance et le manque de soutien font que de nombreuses victimes choisissent de ne pas porter plainte. Elles se retrouvent dans une situation de vulnérabilité encore plus grande, ce qui perpétue la culture de l’impunité et de la souffrance silencieuse.
Le flou persistant autour de la notion de viol au Sénégal appelle non seulement à une réforme juridique plus rigoureuse, mais surtout à un changement profond des mentalités. Il est urgent d’éduquer sur le consentement, de déconstruire les stéréotypes qui culpabilisent les victimes et de créer des espaces de parole et de protection.
La société tout entière doit se sentir concernée. Cela commence par écouter, croire, accompagner, mais surtout par refuser de banaliser.
Nous devons refuser collectivement ce glissement vers l’indifférence. Il est temps d’agir, chacun à son niveau, pour bâtir une société qui protège les corps, respecte les voix et rend justice aux silences trop longtemps ignorés. Le viol n’est pas une simple question de définition juridique : il est le reflet de résistances sociales, d’un manque de conscience collective et d’une justice souvent inadaptée aux réalités des victimes. Tant que ce flou persistera, les femmes continueront à être les premières victimes de la violence et du silence. Ce flou ne doit plus couvrir nos silences : il est temps de faire la lumière, ensemble.
Par Ousmane Camara GUEYE
L'OPPORTUNITÉ STRATÉGIQUE QUE LE SÉNÉGAL NE DOIT PAS RATER
Le Sénégal peut, et doit, jouer un rôle central dans ce basculement. Il peut devenir, à la fois, une terre d’accueil pour les industries en quête de stabilité, et un débouché alternatif pour les produits chinois en butte aux restrictions occidentales
Depuis 2018, la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine fait trembler les fondations de la mondialisation telle que nous l’avons connue. Taxations douanières en cascade, restrictions technologiques, relocalisations industrielles à marche forcée : c’est un changement d’ère que peu de pays ont réellement anticipé. À mesure que les géants économiques mondiaux redessinent leurs chaînes de valeur, l’Afrique reste, une fois encore, en retrait. Pourtant, dans ce chaos géoéconomique, se cache une opportunité stratégique majeure pour le continent — et en particulier pour le Sénégal.
Car cette guerre n’est pas qu’un affrontement entre deux puissances. C’est une reconfiguration mondiale des flux industriels, une relecture brutale des équilibres commerciaux, et une chance historique pour les pays qui sauront se rendre utiles à cette nouvelle donne. Le Sénégal peut, et doit, jouer un rôle central dans ce basculement. Il peut devenir, à la fois, une terre d’accueil pour les industries en quête de stabilité, et un débouché alternatif pour les produits chinois en butte aux restrictions occidentales.
Un contexte mondial en recomposition
Le tournant a été amorcé sous l’administration Trump, avec l’imposition de droits de douane sur plus de 500 milliards de dollars de produits chinois. Sous Biden, la stratégie a évolué, mais l’objectif reste le même : freiner l’ascension industrielle de Pékin. L’interdiction faite aux entreprises américaines de collaborer avec des firmes comme Huawei ou SMIC dans le domaine des semi-conducteurs, l’embargo sur certains métaux rares, et les alliances industrielles avec le Japon, la Corée ou les pays européens pour sécuriser les approvisionnements montrent bien que la bataille ne fait que commencer.
Face à ces pressions, de nombreuses multinationales ont engagé un vaste mouvement de diversification. On parle désormais du « China +1 » : une stratégie qui consiste à conserver une base en Chine tout en développant des capacités industrielles dans d'autres pays. Le Vietnam, l’Inde, l’Indonésie, et même le Mexique, sont devenus les nouvelles destinations phares pour les industries à la recherche de résilience. Dans cette recomposition, l’Afrique, étonnamment, reste marginale.
Pourquoi le Sénégal — et pourquoi maintenant ?
Le continent ne manque pourtant pas d’atouts. Une jeunesse dynamique, un potentiel énergétique immense, une urbanisation galopante, et une vaste zone de libre-échange continentale (la ZLECAf) en cours d’opérationnalisation. Le Sénégal, en particulier, présente un profil prometteur : stabilité politique, ouverture sur l’Atlantique, proximité avec l’Europe, et volonté affichée de se positionner comme un hub logistique et industriel de l’Afrique de l’Ouest. Cette volonté s’incarne aujourd’hui dans la vision stratégique « Sénégal 2050 » récemment évoquée par le Président Bassirou Diomaye Faye, et appuyée par le Premier ministre Ousmane Sonko, qui ne cesse de rappeler l’urgence d’un « New Deal technologique africain » pour sortir du cycle de dépendance économique. Dans ses premiers discours, le président Faye a souligné l’importance de la souveraineté industrielle et technologique, ainsi que le rôle clé de l’État dans la structuration de chaînes de valeur locales.
Mais une vision, aussi claire soi-telle, ne suffit pas. Elle doit impérativement s'accompagner d'une mise en œuvre rigoureuse, cohérente et suivie dans le temps. C’est à cette condition que les ambitions formulées par le nouveau pouvoir prendront corps. Car pendant que certains pays africains avancent concrètement, d'autres tardent encore à formuler et traduire leur stratégie en actions concrètes. L’Égypte, par exemple, a su séduire de grands groupes chinois du textile qui, fuyant les sanctions américaines, ont installé des usines géantes dans la zone économique du Canal de Suez. Ces usines produisent pour l’Europe et les pays du Golfe, tout en bénéficiant d’un accès préférentiel aux marchés africains. En Algérie, le gouvernement a entamé des discussions avec des constructeurs automobiles chinois pour l’implantation d’usines d’assemblage de véhicules électriques. Le Nigeria, lui, a vu plusieurs groupes chinois tester des chaînes de production locales pour contourner les coûts logistiques et les barrières douanières croissantes. Ces exemples montrent que l’Afrique n’est pas condamnée à l’inaction. Mais ils soulignent aussi à quel point l’absence d’une stratégie concertée nous fait perdre du temps, et surtout, du terrain.
La chine a besoin de relais. Le Sénégal peut l’être
De son côté, la Chine est à la recherche de nouveaux alliés économiques. Avec la fermeture progressive de certaines portes occidentales, Pékin regarde vers le Sud. L’Afrique est au cœur de cette stratégie. Mais attention : il ne s’agit plus de l’Afrique extractive des années 2000, ni de l’Afrique "marché captif" qui consommait sans produire.
Aujourd’hui, la Chine veut investir dans des zones franches, transférer une partie de ses chaînes de production, et construire des partenariats à long terme avec les États capables d’offrir à la fois un cadre juridique stable, une main-d’œuvre formée, et un accès fluide aux marchés régionaux.
Nous pouvons être ce partenaire. Mais nous ne le serons que si nous agissons vite. Et si nous l’inscrivons dans une vision long terme, articulée autour du triptyque : formation – souveraineté – innovation.
L’industrialisation par les crises : une constante historique
Ce que beaucoup oublient, c’est que les grandes phases d’industrialisation de l’histoire contemporaine sont souvent nées des fractures géopolitiques. Le Japon a bénéficié de la guerre de Corée pour asseoir son industrie. La Corée du Sud a surfé sur la guerre froide pour se hisser au rang de puissance manufacturière. Même le Vietnam, longtemps sous embargo, est aujourd’hui l’un des pays les plus courtisés par les grandes marques occidentales. Pourquoi pas nous ? Le Sénégal ne doit pas attendre que les flux arrivent à lui. Il doit se positionner, attirer, convaincre. Cela suppose une vision, une diplomatie économique offensive, mais aussi une capacité à créer des écosystèmes industriels crédibles. Cela passe par des zones économiques spéciales sectorielles, des incitations fiscales ciblées, une politique de formation axée sur les métiers industriels, et une coordination publique-privée intelligente.
Il est également temps de penser à des instruments plus audacieux : un fonds souverain dédié à l’industrialisation, adossé à nos futures recettes pétrolières et gazières, permettrait de co-financer des partenariats industriels avec des acteurs asiatiques, européens ou africains.
C’est dans cette logique que le «NewDeal technologique » évoqué par Ousmane Sonko prend tout son sens : créer des pôles technologiques et industriels intégrés, appuyés sur le numérique, la transformation locale, et des alliances stratégiques nouvelles.
Une chance à saisir, une place à prendre
Nous vivons une période de bascule. Les cartes du commerce mondial sont redistribuées. Et pour une fois, l’Afrique ne part pas sans atouts. Il nous manque seulement la volonté de jouer la partie.
Il ne s’agit plus de quémander des investissements. Il s’agit de dire, avec clarté et ambition : « Vous cherchez une alternative à la Chine ? Le Sénégal est prêt. »
Sous la conduite du Président Bassirou Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko, le Sénégal peut ouvrir une ère nouvelle : celle d’un leadership industriel africain, fondé sur la vision, la souveraineté, l’innovation — et surtout, sur une capacité à transformerles intentions en actions concrètes.
PAR ZAYNAB SANGARÈ
N’AYEZ PAS PEUR DE DÉMISSIONNER, CHERS CONFRÈRES
La presse devrait être à la fois chien de garde et moteur de propulsion du développement national. Nous avons besoin d’une presse libre, indépendante et profondément patriotique
Au Sénégal, la presse représente aujourd’hui un véritable problème pour le développement économique, culturel et social du pays, alors qu’elle devrait en être un levier.
La presse devrait être à la fois chien de garde et moteur de propulsion du développement national. Nous avons besoin d’une presse libre, indépendante et profondément patriotique. Notre métier est de raconter de vraies histoires au profit de nos communautés, afin que des solutions soient apportées.
Mais actuellement, nos maisons de presse se transforment trop souvent en boucliers politiques, et plus visiblement, en bras armés de l’opposition. Lorsque la presse se positionne de manière partisane contre un pouvoir en place, que reste-t-il du journalisme ? Ce métier pourtant noble, passionnant et profondément spirituel, pourrait véritablement soulager les communautés, si ses acteurs jouaient pleinement leur rôle d’informer avec justesse, révéler avec intégrité.
Le Sénégal est à un tournant historique de son existence économique. Le rapport récent de la Cour des Comptes en est une preuve retentissante. Ce contexte exige de chaque citoyen éveillé et responsable qu’il se positionne au premier rang pour défendre la nation. Cette nation qui nous lit, par le sang, par la terre, ou par l’histoire.
Société civile, opposition, toutes les forces vives doivent adopter une posture républicaine, à la lumière des irrégularités graves relevées. Si nous aimons vraiment ce pays, alors l’heure de l’engagement citoyen et du patriotisme économique a sonné.
Les investisseurs sénégalais viennent de lancer un message fort ce vendredi 11 avril 2025. En effet, ils ont répondu favorablement à l’Appel Public à l’Epargne (APE) de l’Etat du Sénégal. Prévu pour un montant de 150 milliards de FCFA d’ici le 18 avril 2025, les souscripteurs ont dépassé l’objectif avant l’échéance pour proposer 405 milliards de FCFA. Ce qui représente un message fort de l’engagement de nos compatriotes pour sortir ce pays de ses difficultés financières. Une leçon de confiance, d’engagement, et de capacité. En tant que journalistes, notre rôle est aussi de décrypter, d’accompagner les intérêts de notre communauté, car les politiciens ont un mandat, mais le peuple est permanent.
En tant que journaliste d’investigation, j’ai récemment, au cours de mes recherches, découvert une localité que des consoeurs hors du continent africain m’ont révélée. Elles, à distance, ont vu ce que nous n’avons pas vu, nous, journalistes du terroir. Sur place, les habitants m’ont dit que j’étais la première journaliste à mettre les pieds chez eux. Incroyable, mais vrai.
Et pourtant, nous sommes plus de 2000 journalistes titulaires de cartes de presse, sans compter les journalistes citoyens sur les réseaux sociaux. Devons-nous faire une pause et repenser notre modèle de journalisme ? Car dans cette précarité extrême, certains, par peur, acceptent des salaires misérables et s’éloignent des bonnes pratiques pour satisfaire des patrons aux agendas déconnectés du peuple.
« Le journalisme en Afrique est une preuve d’amour », disait un confrère du Tchad. Je dirais plus : le journalisme est une preuve de Foi en Afrique. Démissionnez autant de fois que nécessaire. Vous trouverez toujours de quoi vivre dignement. Allah (swt) n’abandonne jamais ceux qui agissent avec sincérité, valeurs et convictions.
Oui, rien n’est facile. Mais il est de notre devoir de partager nos expériences, pour éclairer la voie de celles et ceux qui sont encore coincés dans des rédactions esclavagistes.
Je n’ai peut-être pas le record de démissions dans la presse, mais j’ai un parcours qui résonne encore. En mars 2021, pendant l’affaire Sweet Beauty, j’ai démissionné en silence. J’ai subi des animosités extrêmes, que je révélerai peut-être un jour. Mais j’ai démissionné, car c’était la seule décision humaine possible. J’avais pressenti que le pays allait sombrer, et nous avons vu ce qui s’est passé. Des morts, puis un procès concluant à l’inexistence de viol. N’avais-je pas raison ?
N’ai-je pas le droit d’exister, de vivre, d’exercer mon métier par passion, en silence, malgré les horreurs que je continue à subir ? Ma Foi, et le soutien spirituel de ma famille et de mes proches me sauvent chaque fois que je sens la manipulation ou les forces de l’ombre approcher depuis lors.
Prenez vos responsabilités. Démissionnez ! C’est cela, être en phase avec soi-même.
Depuis mars 2021, notre presse n’est plus la même. Elle ne l’était peut-être pas déjà, mais depuis cette date, elle est devenue un outil national de lutte contre un seul homme de surcroît, Ousmane Sonko. Osons le dire, les faits sont sacrés, le commentaire est libre. Une presse entière contre un homme, dans un pays de 18 millions d’habitants, cela n’existe qu’au Sénégal.
Ailleurs, on parle de tous. On débat de tout. Chez nous, depuis 2021, un seul homme fait vivre une presse entière, animée par des hommes tapis dans l’ombre, qui nient les signes divins malgré leur évidence.
Il ne s’agit pas ici de défendre un homme politique, car il a ses militants et ses institutions pour cela. Il s’agit d’un cri du cœur citoyen, pour dénoncer un acharnement qui freine notre pays. Nous devons viser le leadership qui nous est destiné, pas l’auto-sabotage.
Ce fut le cas avec Senghor et Mamadou Dia. Aujourd’hui, un homme a osé sonner la résistance. On l’a ciblé par un kompromat, mais il a tenu debout, historiquement. Qui dira le contraire avec des preuves ?
Soyons mobilisés. Menons ce pays à bon port, à l’ère où la géopolitique redéfinit les destins des nations. Ousmane Sonko et le président Bassirou Diomaye Faye sont en train de réaliser le rêve de Cheikh Anta Diop, Omar Blondin Diop, Kwame Nkrumah, Nelson Mandela, Thomas Sankara au vu et au su de tous.Ne laissons pas des groupuscules occultes noyer ces pas historiques juste par peur ou manque de confiance en soi.
Au Sénégal, nous, journalistes indépendants, ne pouvons même plus décrocher des bourses pour financer nos recherches, car on nous assimile à une presse politique. Jusqu’à quand refuserons-nous d’assumer nos positions, de nous lever pour nos missions ?
Chers concitoyens, chers confrères et consœurs, relevons-nous de nos cendres. Osons faire du journalisme. Laissons un véritable legs aux générations dignes qui viendront après nous. Brisons les chaînes tant qu’il est temps. Un salaire ne vaut pas votre dignité.
Rien n’égale un esprit indépendant et engagé pour servir sa communauté. Malgré les difficultés économiques, c’est possible. Un seul reportage peut sauver des vies. Créer de l’espoir.
Et la situation alarmante de notre pays nous impose un engagement personnel, sincère et participatif.
PAR SALLA GUEYE
INNOCENCE BAFOUÉE
Une vidéo récemment devenue virale a mis en lumière une réalité alarmante: un jeune garçon, identifié, est violemment roué de coups par un homme présenté comme son oncle paternel, sous le regard indifférent des adultes présents...
Une vidéo récemment devenue virale a mis en lumière une réalité alarmante: un jeune garçon, identifié, est violemment roué de coups par un homme présenté comme son oncle paternel, sous le regard indifférent des adultes présents. Cette scène insoutenable a suscité une onde de choc et une vague d’indignation sur la toile. Peu après, une seconde vidéo dévoile les marques laissées par les coups, des blessures profondes, dont des plaies sanglantes sur le dos du garçon. Cet épisode tragique n’est malheureusement pas un cas isolé.
II met en lumière des pratiques fréquentes au Sénégal, où la violence contre les enfants est répandue, bien qu’elle ne soit pas documentée de manière cohérente. Pour trop d’enfants, les endroits où ils devraient se sentir en sécurité à la maison, à l’école, dans leur communauté sont les premiers et les plus fréquents sites de violence, d’abus et d’exploitation. Parmi les plus vulnérables figurent les talibés, ces enfants confiés dès leur plus jeune âge à des maîtres coraniques. Souvent contraints à mendier pour subvenir à leurs propres besoins et rapporter de l’argent à leur maître, ils sont exposés à des conditions de vie précaires et à diverses formes de maltraitance. Une étude de l’Ong Global Solidarity Initiative (GSI) estimait en 2018 qu’il existait plus de 2.000 daaras à Dakar, accueillant près de 200.000 talibés, dont 25% sont forcés à mendier.
Les abus subis par ces enfants sont multiples: violences physiques, abus sexuels, enchaînement, négligence sanitaire et alimentaire. Des cas tragiques ont été rapportés, tels que celui d’un talibé de 10 ans mort en janvier 2022 à Touba après avoir été frappé à la tête par son maître pour ne pas avoir su sa leçon du jour. Face à cette situation, des initiatives ont été lancées pour améliorer les conditions de vie des talibés. Le projet « Un talibé, un métier », lancé à Tivaouane, vise à offrir une formation professionnelle aux élèves coraniques pour faciliter leur insertion socio-économique. De même, l’Ong Save The Children a lancé le projet « Wallu talibé yi » pour réduire la mendicité des enfants talibés et promouvoir l’implication communautaire. Cependant, malgré ces efforts, les défis restent immenses. L’absence d’un cadre juridique clair pour les daaras et la non-application des lois existantes contribuent à la persistance des abus. Amnesty International souligne la nécessité d’adopter le projet de Code de l’enfant et la loi portant statut du « daara » pour renforcer la protection des talibés.
Il est impératif que l’État du Sénégal prenne des mesures concrètes pour protéger les enfants contre la violence, l’exploitation et les abus. Cela passe par une application rigoureuse des lois, une surveillance accrue des daaras, une sensibilisation des communautés et un soutien aux initiatives visant à offrir des alternatives éducatives et professionnelles aux enfants talibés. L’enfance est sacrée. Elle ne peut continuer d’être un territoire de souffrances. Il est temps d’agir pour que chaque enfant sénégalais puisse grandir dans un environnement sûr, respectueux et propice à son épanouissement.
Par Bachir FOFANA
CI-GIT L’ETAT DE DROIT
Mamadou Badio Camara quitte ce monde au moment où Pastef semble dire «l e parti avant la patrie ».
Mamadou Badio Camara, figure éminente de la Justice sénégalaise, nous a quittés. Né en 1952 à Dakar, il a gravi les échelons de la Magistrature, débutant comme substitut du procureur avant de devenir président de la Cour suprême en 2015. En 2022, il a été nommé président du Conseil constitutionnel, où il a joué un rôle-clé dans des décisions historiques, notamment en s’opposant au report de l’élection présidentielle de 2024. Son courage face aux pressions politiques et son respect des principes constitutionnels ont marqué son mandat. En effet, si le Sénégal a connu une alternance démocratique en 2024, nous le devons en partie au Conseil constitutionnel qui a su dire «Non» à l’Exécutif et au Parlement dans leur volonté de repousser la date des élections au 15 décembre 2024. L’on peut aisément dire que le Conseil constitutionnel de 2024 a été plus courageux que celui de 1993, et a su prendre ses responsabilités face à l’Histoire. L’on se rappelle que le Juge Kéba Mbaye avait rendu le tablier face à l’imbroglio de la Présidentielle de 1993.
Mamadou Badio Camara quitte ce monde au moment où Pastef semble dire «le parti avant la Patrie». En effet, lors d’un entretien le 4 avril dernier, le président de la République avait affirmé qu’il revenait au Peuple sénégalais de mettre la pression sur la Justice pour accélérer le traitement de certains dossiers. «Il appartiendra aux Sénégalais de mettre la pression qu’il faut sur la Justice pour que mu def ligéeyam (fasse son travail)», dit-il. Des propos graves, inquiétants et dangereux qui remettent en cause la prérogative présidentielle de garant du bon fonctionnement des institutions et le principe fondamental d’indépendance de la Justice. La Constitution du Sénégal, en son article 88, est très claire sur le statut du pouvoir judiciaire. Elle dispose : «Le Pouvoir judiciaire est indépendant du Pouvoir législatif et du Pouvoir exécutif.» Cette indépendance est la garantie fondamentale d’une Justice impartiale, équitable et à l’abri de toute pression, qu’elle soit politique, économique, religieuse ou même populaire. La justice est certes rendue au nom du Peuple, mais elle n’est pas rendue par le Peuple. De plus, elle n’est pas censée être influencée par lui, encore moins par des pressions externes. Parler ainsi, c’est admettre une fuite en avant du pouvoir et une façon pour ce dernier de dessaisir la Justice de ses prérogatives, pour faire eux-mêmes, avec leurs militants, la justice «populaire», en lieu et place de la Justice républicaine. C’est en quelque sorte vouloir légitimer le règlement de comptes à la place d’une administration sereine de la Justice. Demander à l’opinion de faire pression sur la Justice pour procéder à une vendetta politique, c’est exactement le contraire de la Justice.
Appel à l’insurrection judiciaire
C’est une démarche anticonstitutionnelle, dictatoriale et hors la loi. En effet, tout comme la démarche de reddition de comptes est acceptée par l’opinion, il est nécessaire de faire en sorte que les lois et règlements soient respectés. Il est légitime que le Peuple, attaché à la transparence et à la lutte contre l’impunité, manifeste un vif intérêt pour le fonctionnement de la Justice. Mais il est tout aussi important de comprendre que la pression populaire, même de bonne foi, peut avoir des effets contre-productifs si elle est perçue comme une tentative d’influencer les décisions des magistrats. Ces derniers, investis d’une mission délicate et noble, doivent pouvoir travailler dans la sérénité, le respect et la dignité que leur fonction exige.
Le citoyen sénégalais, à travers les Assises nationales, les Concertations de la Commission nationale sur les réformes institutionnelles (Cnri), les Assises de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums)…, a clairement exprimé son souhait d’avoir une Justice indépendante de toutes pressions. C’est d’ailleurs dans ce sens que la promesse du chef de l’Etat de sortir du Conseil supérieur de la Magistrature est très bien accueillie ; même si le Président semble désormais s’inscrire dans le reniement et veut rester dans ledit conseil.
Ces propos du président de la République, à la limite un appel à l’insurrection judiciaire, n’ont rien d’innocent. Ils flattent les passions, attisent les frustrations légitimes et détournent l’attention des véritables enjeux. Diomaye transforme l’Exécutif embourbé dans l’inaction et l’indécision en spectateur et la Justice en fusible politique, en bouc émissaire. C’est une façon subtile, pour ne pas dire habile, mais dangereuse, de soumettre l’autorité judiciaire à la vindicte populaire, au risque de compromettre son indépendance déjà fragile. «Les fausses opinions ressemblent à la fausse monnaie qui est frappée d’abord par de grands coupables et dépensée ensuite par d’honnêtes gens qui perpétuent le crime sans savoir ce qu’ils font», disait Joseph de Maistre.
Le supplice de Mansour Faye, Lat Diop otage politique
Sommes-nous toujours dans un Etat de Droit ? Un partisan du pouvoir dirait certainement «Oui». Cependant, nous assistons à des dérives qui semblent se banaliser. Mansour Faye, ancien ministre, est encore victime du banditisme d’Etat consistant à l’empêcher de circuler librement, sans qu’aucune notification d’interdiction de sortie du territoire ne lui soit servie. «Ils ont osé ! Oui, ils ont osé franchir le Rubicon ! Je voudrais informer l’opinion nationale et internationale que j’ai été une nouvelle fois interdit d’embarquer dans le vol HF 0701 de ce jour jeudi 10-04-25, malgré la mise à disposition de la notification de l’ordonnance de la Cour suprême numéro 12/2025 me rétablissant dans mes droits ! Dans quel Etat sommes-nous ? Qui peut nier, aujourd’hui, que la dictature s’est installée au Sénégal ? Mais, grande et intacte, demeure ma détermination à jouir de tous mes droits de citoyen libre !», peste-t-il sur sa page Facebook, ce jeudi 10 avril 2025.
Pourtant, le Juge des référés de la Cour suprême s’est voulu très clair dans sa décision le concernant. En effet, il était fait exigence au ministre de l’Intérieur de deux choses : soit donner à Mansour Faye les motifs de l’interdiction qui le frappe, soit le laisser circuler librement. L’Etat pastéfien dont nous prévenait Alioune Tine, refuse d’exécuter cette ordonnance de la Justice.
Le journaliste Simon Faye du groupe DMédia est la énième victime de l’auto-saisine très sélective du procureur de la République. Il est actuellement placé en garde à vue pour un article publié sur le site du groupe. Il est le seul convoqué alors qu’il n’est pas le seul à avoir repris l’article d’Afrique Confidentielle. Les atteintes à la liberté de la presse et à la liberté d’opinion se banalisent.
Samuel Sarr, ancien ministre et non moins promoteur principal de la centrale électrique West Africa Energy, serait, selon ses avocats, dans un état de santé préoccupant. Pourtant, une contre-expertise demandée par le juge d’instruction semble lui être favorable. En effet, accusé d’abus de biens sociaux à la suite d’un rapport d’audit, la contre-expertise ordonnée par le juge d’instruction l’a, d’après la presse, blanchi. Mieux, la plainte qu’il a déposée contre son accusateur est bizarrement restée dans les tiroirs de Ibrahima Ndoye.
Cette semaine également, le quotidien «Les Echos» a rapporté l’arrêt de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel financier, saisi d’un recours par les avocats de l’ancien Directeur général de la Lonase. Cet arrêt indique en filigrane que Lat Diop, dans le cadre des accusations portées contre lui, est en réalité un otage politique. D’abord, là où l’accusation portait sur 8 milliards de francs Cfa de fonds présumés détournés et extorqués, les juges ont estimé que cela ne résulte que des seules déclarations de Mouhamed Dieng, son accusateur ; «que les échanges par messagerie WhatsApp que ce dernier a produits ne font ressortir qu’un montant de 15 millions F Cfa qui, au regard des sommes colossales déclarées, apparaît très dérisoire, voire insignifiant». Ensuite, aucun document émanant de la Lonase ou d’un quelconque corps de contrôle ne vient corroborer les accusations de détournement de fonds ; surtout que la Lonase n’a jamais porté plainte, ni ne s’est constituée partie civile. Selon toujours les magistrats, rapportés par la presse, la double qualification (extorsion de fonds et détournement de deniers publics) retenue apparaît difficilement soutenable en l’espèce parce qu’il s’agit soit de fonds privés, soit de deniers publics. «Considérant qu’après environ sept mois d’enquêtes d’instruction, l’accusation n’a toujours pas réussi à mettre sur la balance des éléments de preuve tangibles et solides pour battre en brèche les dénégations constantes et invariables de l’inculpé», la Chambre a prononcé la mainlevée du mandat de dépôt et ordonné l’assignation à résidence sous surveillance électronique à Lat Diop, qui reste toujours en prison parce que le Procureur financier (donc l’Exécutif) s’y oppose.
Pulsion vengeresse et fascination pour Mamadou Dia
Ce même Pool financier, à travers le Collège des juges d’instruction, refuse à Farba Ngom et à Tahirou Sarr leurs cautionnements. Et pendant ce temps, la caution versée par le promoteur et homme d’affaires Aziz Ndiaye est acceptée. Les pressions du Peuple dont parlait le président de la République sont-elles passées par là ? Voudrait-on nous dire que Aziz Ndiaye est plus Sénégalais que l’honorable député et maire des Agnam Farba Ngom et l’homme d’affaires Tahirou Sarr ?
Il est clair que l’Etat de Droit est sous l’emprise de l’influence de l’Etat-parti Pastef. Les nouvelles autorités semblent être prises en otage par cette pulsion vengeresse qui conduit inexorablement le Sénégal à renier la République et l’Etat de Droit sous le regard complice de la Société civile, des magistrats insultés et calomniés, et surtout des universitaires qui, sous Macky Sall, étaient prompts à produire des pétitions pour dénoncer les régressions et atteintes aux libertés. «Sur les actes empreints de légèreté et d’abus divers, je suis en revanche préoccupé par la disparition des intellectuels pétitionnaires qui ont animé le débat public entre 2021 et 2024. Devenus subitement aphones, ces ligues spontanées de grands penseurs de la démocratie, de l’Etat de Droit et des libertés ont préféré regarder ailleurs quand journalistes et hommes politiques sont convoqués et condamnés, pour certains, pour des délits d’opinion. Même les deux laquais du parti Pastef, Alioune Tine et Seydi Gassama, et les activistes du mouvement «Y’en a marre» ont émis du bout des lèvres quelques timides réserves», disait l’essayiste Hamidou Anne en octobre dernier. Que dirait-il aujourd’hui ?
Tout le monde devrait commencer à s’inquiéter et alerter l’opinion nationale et internationale, avant de se réveiller un jour et de se retrouver dans une situation regrettable. L’Etat de Droit se meurt à petit feu. Aujourd’hui, le sentiment le plus partagé est que nous sommes en train de vivre la justice des vainqueurs, les règlements de comptes et la judiciarisation des conflits politiques. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a plus d’Etat de Droit et que Ousmane Sonko est en train de mettre en œuvre sa promesse de dictature. Et l’on comprend alors la fascination de Pastef pour Mamadou Dia, l’homme qui a théorisé la primauté du parti sur l’Etat. Celui-là même qui a voulu empêcher les députés d’exercer une prérogative constitutionnelle en faisant envahir l’Assemblée nationale par les Forces de l’ordre. Le même Dia qui a dissous le Pai de Majmouth Diop et le parti de Cheikh Anta Diop. Qui a également sévèrement réprimé les syndicalistes au début des années 60, avec sa fameuse phrase : «Kou fi mbaam mbaam lou, niou laobé laobé lou sa kaw» (littéralement : qui fait l’âne, se verra administrer une sévère correction).
PAR PAPA MALICK NDOUR
SUCCÈS DE L'APPEL PUBLIC À L'ÉPARGNE, QUEL COMMENTAIRE ?
D'ici quelques jours, la machine de manipulation de Pastef s’activera à plein régime. On vous fera croire que l’opération d’appel public à l’épargne de 150 milliards, récemment lancée sous forme d’emprunt obligataire a été un succès franc
D'ici quelques jours, la machine de manipulation de Pastef s’activera à plein régime. On vous fera croire que l’opération d’appel public à l’épargne de 150 milliards, récemment lancée sous forme d’emprunt obligataire (pompeusement baptisée par certains communiquants de Pastef comme une « prise exceptionnelle de participation dans l’actionnariat des projets du Sénégal juste et prospère ») a été un succès franc, remarquable et inédit. Les superlatifs fuseront, les plateaux s’animeront, et les non-initiés penseront assister à un événement économique inédit dans l’histoire du pays.
La réalité, pourtant, est bien moins spectaculaire. Rien de nouveau sous le soleil : ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’un emprunt obligataire soit clôturé avant la date prévue. Pour rappel, en août 2022, le Sénégal avait déjà bouclé une opération similaire en seulement ...six jours (je dis bien six jours seulement), récoltant plus de 138 milliards de FCFA alors que l’objectif était fixé à 120 milliards. Et cela, avec des taux nominaux moins attractifs que ceux proposés aujourd’hui.
Encore mieux : en mars 2022, soit cinq mois auparavant, une autre émission obligataire avait été sursouscrite à 200 % en un temps record et cloturé avant la date limite. Les exemples font foison..
Présenter aujourd’hui cet engouement comme une soudaine démonstration de patriotisme financier de la part des senegalais en guise de confiance aux nouvelles autorité serait donc malhonnête. Les Sénégalais – et au-delà, les investisseurs de la zone UEMOA – ont toujours répondu présents, qu’il s’agisse de prêteurs burkinabès, ivoiriens, togolais, béninois ou sénégalais. Il convient donc de relativiser : non, l'operation n’a rien d’exceptionnel ni de miraculeux. Elle confirme seulement que le marché fait encore confiance au pays soit disant en ruine avec des marges de manoeuvre budgetaires et financières quasi-inexistantes...
Par Mamadou Doudou SENGHOR
PROPOSITIONS POUR UNE CONSOLIDATION DE L’ETAT DE DROIT AU SENEGAL
La Constitution du Sénégal proclame, dans son préambule, « le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel l’Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale ».
Nécessité d’une responsabilité pénale effective du Chef de l’Etat, des membres du Gouvernement, des députés et des magistrats
La Constitution du Sénégal proclame, dans son préambule, « le respect et la consolidation d’un Etat de droit dans lequel l’Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale ».
L’état de droit ou « Rule of Law » (traduction du principe de la « Rechtsstaat ») suppose la prééminence, dans un Etat, du droit sur le pouvoir politique (exécutif et législatif), ainsi que le respect de la loi par les gouvernants et les gouvernés.
En donnant un contenu à cette notion, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme ont indiqué qu’elle tourne autour de six principes : la légalité (adoption des lois selon un processus transparent et démocratique), la sécurité juridique (exercice non arbitraire du pouvoir exécutif), une protection juridictionnelle effective (à travers des juridictions indépendantes et impartiales), la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et l’égalité devant la loi (ou égalité en droit).
Le Sénégal satisfait à la plupart de ces caractéristiques d’un Etat de droit. Néanmoins, tout système politique, juridique et philosophique est en perpétuelle amélioration et l’impression d’une impunité des autorités étatiques, favorisée par nos textes, peut incommoder le peuple.
Les articles 1er et 7.4 de la Constitution rappellent l’égalité devant la loi et devant la justice, conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme. Ce principe suppose qu’il faut un traitement égal pour les situations similaires, mais le législateur reconnait la possibilité d’un traitement différencié pour des situations distinctes. Reprenant Kelsen, le Conseil constitutionnel français a précisé, à ce propos, que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général » (arrêt du 18 mars 2009) ; et qu’ « il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure pénale différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquels elles s’appliquent, pourvu que les différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées des garanties égales aux justiciables » (décision des 19 et 20 janvier 1981).
Tout en restant dans cette dynamique, nous formulons les propositions suivantes pour une consolidation de l’Etat de droit au Sénégal. Elles concernent la responsabilité pénale des personnes incarnant les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
RESPONSABILITÉ PÉNALE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
En l’état actuel de notre législation, la responsabilité pénale du Président de la République, prévue à l’article 101 de la Constitution, ne peut être engagée, qu’en cas de haute trahison, par une mise en accusation votée à la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée nationale. Il ne peut être jugé que par la Haute Cour de Justice présidée par le Premier Président de la Cour suprême ayant comme assesseurs huit députés élus par leurs pairs (récusables en cas, entre autres, d’inimité capitale avec l’accusé).
Interprétant une disposition similaire dans la Constitution française, le Conseil constitutionnel français a indiqué que ce régime de responsabilité pénale du Chef de l’Etat est applicable pour toutes les infractions qu’il commettrait, à savoir les actes qualifiables de haute trahison et tous crimes ou délits.
Même si, selon le constitutionnaliste Dominique Chagnollaud, la haute trahison « absorbe (…) tous les crimes et délits prévus par le code pénal », force est de constater que cette notion ne figure pas dans le code pénal et que la Haute Cour de justice pourrait ne pas lier la haute trahison (pourquoi « haute » d’ailleurs) à une infraction caractérisée par le code pénal, et ne pas retenir une peine édictée par ce code.
C’est pour cette raison que nous osons affirmer que la Haute Cour de justice exerce, à l’endroit du Président de la République, une justice politique (un oxymore) ; et que donc il n’y a pas de responsabilité pénale de ce chef d’Etat, mais une responsabilité politique, ce qui est une entorse à l’Etat de droit.
Par ailleurs, la notion de « haute trahison » date de la première constitution française du 22 août 1795 et est restée indéfinie. Il revient à la Haute Cour de justice, une fois qu’elle est saisie, d’apprécier les faits constitutifs d’une haute trahison et de prononcer une sanction. Ce qui ne satisfait pas au principe de légalité des incriminations et des sanctions prévu par la Constitution, les Conventions internationales et la loi pénale.
Quant à la Haute Cour de justice, d’aucuns s’interrogent sur ladite sanction qu’elle peut prononcer et sur le caractère juridictionnel de la procédure.
Aussi, à l’instar de certains pays considérés comme des démocraties avancées, la responsabilité pénale du Chef de l’Etat doit être actée au Sénégal. Cette responsabilité pénale, pour les actes liés à l’exercice des fonctions, pourrait toujours être mise en jeu par un organe dont la composition est essentiellement politique, et l’initiative devrait demeurer entre les mains des représentants de la nation, comme on le remarque dans la plupart des Etats. A titre illustratif, en Allemagne et en Autriche, les poursuites sont autorisées par un vote parlementaire, en cas de violations délibérées de la Constitution ou de la loi pénale et la juridiction constitutionnelle est chargée de prononcer la sanction. En plus de cela, la sanction politique (destitution ou bannissement) devrait être assortie de sanctions pénales et/ou civiles. En guise d’exemple, en plus de la destitution, certains Etats ont prévu, à l’encontre du Chef de l’Etat, des sanctions de droit commun (c’est le cas de l’Autriche, la Finlande, l’Italie, la Grèce, le Portugal, …).
Ainsi, pour rester dans l’esprit de l’article 101 qui établit un privilège de juridiction et de procédure au bénéfice du Président de la République, en combinant les principes constitutionnels d’égalité devant la justice, de séparation des pouvoirs et de continuité de l’Etat, nous proposons de réécrire ainsi qu’il suit cette partie de la Constitution (cette nouvelle disposition aura un caractère rétroactif comme toute loi pénale de forme) :
« Le Président de la République est responsable des crimes et délits commis durant l’exercice de ses fonctions.
La responsabilité pénale du Président de la République ne peut être engagée que par l’Assemblée nationale, statuant par un vote identique au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes des membres le composant ; il est jugé par la Chambre criminelle de la Cour suprême dont la décision est susceptible de recours devant les Chambres réunies. La décision des Chambres réunies ne peut faire l’objet d’aucun recours. Toutefois, elle est susceptible de révision dans les formes et conditions légales. »
RESPONSABILITÉ PÉNALE DU PREMIER MINISTRE ET DES MINISTRES
L’article 101 de la Constitution prévoit la responsabilité pénale du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement pour les crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leur jugement par la Haute Cour de Justice.
Même si la bonne compréhension de ce texte est que le Premier ministre et les ministres ne sont justiciables de la Haute Cour de justice que pour les actes commis pendant l’exercice de leurs fonctions (critère temporel) et ayant un lien direct avec l’exercice de leurs fonctions (critère matériel), ce qui exclut les actes commis sans lien avec les attributions du ministre, même pendant l’exercice des fonctions, pour lesquels les juridictions ordinaires sont compétentes, ce régime de responsabilité n’est pas très satisfaisant dans un Etat de droit. En effet, elle favorise l’irresponsabilité pénale des membres du gouvernement, puisqu’en plus d’être difficile à faire fonctionner, la Haute Cour de justice, essentiellement composée de députés, peut pêcher, comme cela a été constaté en France, par une incompétence juridique, une passivité suspecte et une indulgence énigmatique.
Même s’il est important de garantir la séparation des pouvoirs et de protéger les membres du gouvernement contre des procédures abusives qui pourraient leur faire perdre le temps et la sérénité indispensables à l’exercice de leurs fonctions, un Etat de droit doit avoir un mécanisme efficient de poursuite et de jugement de ces autorités étatiques pour toutes les infractions qu’ils commettent, même dans l’exercice de leurs fonctions.
Dès lors, seul un privilège de juridiction doit être aménagé, mais les poursuites doivent avoir un caractère plus efficient que la situation actuelle. Dans ce cadre, l’initiative des poursuites peut relever du Procureur général près la Cour suprême dont l’acte de poursuite pourrait être soumis à la censure de l’Assemblée nationale (uniquement pour vérifier le sérieux et l’objectivité des éléments à charge), avant la saisine de la Chambre criminelle de la Cour suprême pour le jugement du ministre mis en cause. Les Chambres réunies, saisies en cas d’un recours, devraient rendre une décision qui ne sera susceptible que d’un recours en révision.
La Belgique a un modèle similaire car les ministres sont jugés par la cour d’appel, à la requête du Ministère public dont l’acte de saisine est préalablement soumis à la Chambre des représentants qui vérifie s’il est fondé.
Il n’est pas inutile de faire remarquer qu’au Royaume Uni et au Danemark, le Premier ministre et les ministres sont justiciables des juridictions ordinaires, suivant la procédure pénale ordinaire, et ne jouissent donc d’aucune immunité ou privilège de juridiction. Malgré tout, leur gouvernement fonctionne sans entrave autre que le challenge politique.
En Allemagne, les membres du gouvernement sont réputés exercer une fonction publique et sont donc des agents publics et ainsi, le chancelier et les ministres sont soumis aux règles de droit commun de la responsabilité pénale des fonctionnaires. Seulement, les ministres qui ont la qualité de membres du Parlement (dont le chancelier qui est le chef de la majorité parlementaire) jouissent de l’immunité parlementaire.
Au sillage, nous proposons que les dispositions constitutionnelles y afférentes soient réécris ainsi (cette nouvelle disposition aura également un caractère rétroactif puisqu’elle porte sur la compétence et la procédure) :
« Le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits.
La poursuite relève du Procureur général près la Cour suprême dont l’acte de poursuite est soumis à l’Assemblée nationale qui, par un vote secret à la majorité simple intervenant dans le délai d’un mois à compter de sa saisine, autorise les poursuites ou les annule si les éléments à charge ne reposent pas sur des bases sérieuses et objectives.
La Chambre criminelle de la Cour suprême est compétente pour le jugement du ministre poursuivi ainsi que ses co-auteurs et complices.
La décision de la Chambre criminelle est susceptible de recours devant les Chambres réunies.
La décision des Chambres réunies ne peut faire l’objet d’aucun recours. Toutefois, elle est susceptible de révision dans les formes et conditions légales. »
RESPONSABILITÉ PÉNALE DES DÉPUTÉS
Suivant la Constitution, en son article 61, et la Loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale, en son article 51, le député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Il ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale. En dehors des sessions, il ne peut être arrêté qu’en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation pénale définitive ; et sa détention du fait de cette poursuite est suspendue si l’Assemblée nationale le requiert.
Si l’irresponsabilité parlementaire est justifiée (opinions ou votes émis dans l’exercice des fonctions de député), l’inviolabilité suscite des interrogations légitimes, surtout qu’elle porte sur des actes qui sont en dehors de la fonction parlementaire.
Ces deux immunités sont distinctes. La première, qui doit être maintenue, est quasi universelle puisqu’elle protège la liberté de parole des députés. La seconde doit être supprimée.
L’immunité-inviolabilité ne peut pas s’adosser au principe de la séparation des pouvoirs (comme l’immunité-irresponsabilité, car le crime ou le délit commis par un député n’a pas de lien intrinsèque avec l’exercice des fonctions parlementaires (vote ou opinion). Ces infractions sont, par essence, extérieures aux fonctions du député et le juge ne se penchera pas sur un acte commis par un représentant de la Nation, mais sur celui commis par un individu, et ne devra pas faire de confusion entre la personne et la fonction.
En outre, l’argument selon lequel l’immunité-inviolabilité garantit la présence physique du député à l’Assemblée nationale ne saurait prospérer puisque les parlementaires bénéficient d’une investiture collective et d’un mandat national et le bon fonctionnement de l’Assemblée nationale représentative de l’Etat ne peut être entravé par l’absence d’un député (l’Assemblée nationale est d’ailleurs rarement au complet à cause des députés « absentéistes »).
L’argument de poursuites pénales de députés par une justice influencée par le pouvoir exécutif n’est pas pertinent dès lors que l’indépendance de la justice est assurée.
De ce qui précède, une suppression des dispositions prévoyant l’immunité-inviolabilité est nécessaire, tant dans la Constitution que de la Loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
En guise d’exemple, le Royaume Uni et les Etats-Unis n’ont pas prévu, dans leurs législations, des dispositions tendant à l’inviolabilité des parlementaires. La Turquie a procédé à sa suppression en 2006.
Dès lors, nous proposons une réécriture des articles 61 de la Constitution et 51 la Loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale ainsi qu’il suit :
« Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.
Les membres de l’Assemblée nationale sont pénalement responsables des actes commis durant leur mandat et qualifiés crimes ou délits.
La poursuite relève du Procureur général près la Cour suprême dont l’acte de poursuite est soumis à l’Assemblée nationale qui, par un vote secret à la majorité simple intervenant dans le délai d’un mois à compter de sa saisine, autorise les poursuites ou les annule si les éléments à charge ne reposent pas sur des bases sérieuses et objectives.
La Chambre criminelle de la Cour suprême est compétente pour le jugement du député poursuivi durant son mandat ainsi que ses co-auteurs et complices.
La décision de la Chambre criminelle est susceptible de recours devant les Chambres réunies.
La décision des Chambres réunies ne peut faire l’objet d’aucun recours. Toutefois, elle est susceptible de révision dans les formes et conditions légales.
Le membre de l’Assemblée nationale qui fait l’objet d’une condamnation pénale définitive est radié de la liste des parlementaires sur initiative du Procureur général près la Cour suprême. »
RESPONSABILITÉ PÉNALE DES MAGISTRATS
La responsabilité pénale des magistrats est prévue par l’article 93 de la Constitution et la Loi organique portant Statut des magistrats.
Sauf cas de flagrant délit, est obligatoire l’autorisation du Conseil constitutionnel, pour la poursuite des magistrats membres dudit conseil et celle du Ministre de la Justice, pour les magistrats de la Cour des Comptes et du corps judiciaire (Cour suprême, administration centrale du Ministère de la Justice et cours et tribunaux). Dans les deux cas, le jugement relève de la compétence de la chambre criminelle de la Cour suprême (pour les délits) et des chambres réunies de ladite juridiction (pour les crimes) et leurs décisions sont insusceptibles de recours.
Si le privilège de juridiction est justifié en ce sens qu’il évite à des magistrats de rang inférieur ou égal au magistrat poursuivi d’être influencés par les fonctions qu’occupe ce dernier, et de garantir ainsi une justice sereine et indépendante, l’autorisation préalable peut être un facteur d’impunité.
En outre, le droit à un double degré de juridiction en matière pénale doit être préconisé, même s’il est admis que ce principe peut souffrir d’exceptions, comme dans le cas d’infractions mineures ou de jugement en première instance par la plus haute juridiction.
Comme nous l’avons proposé à l’endroit des membres du Gouvernement et du Parlement, le droit de faire examiner la décision rendue par la juridiction de jugement doit être préservé.
Ainsi, l’initiative de poursuites contre un magistrat, qu’il soit membre du Conseil constitutionnel, de la Cour des Comptes ou du corps judiciaire, doit souverainement relever du Procureur général près la Cour suprême (ou le Premier avocat général si le mis en cause est le Procureur général) et le jugement doit relever de la Chambre criminelle de cette juridiction.
Si la décision de la Chambre criminelle doit pouvoir faire l’objet de recours devant les Chambres réunies, la décision de ces dernières ne saurait faire l’objet d’aucun recours, excepté le recours en révision.
C’est ainsi que nous proposons, outre une suppression de l’article 7 de la Loi organique portant Statut des magistrats de la Cour des comptes, une réécriture des dispositions consacrant la mise en œuvre de la responsabilité pénale des magistrats.
Article 93 de la Constitution :
« Les magistrats membres du Conseil constitutionnel, de la Cour des Comptes et du corps judiciaire sont poursuivis et jugés en matière pénale dans les conditions prévues par la loi organique portant statut des magistrats. »
Article 25 de la Loi organique portant Statut des magistrats :
« Le magistrat, qui commet une infraction pénale, est poursuivi sur initiative du Procureur général près la Cour suprême.
Il ne peut être auditionné en enquête préliminaire que par le procureur général près la Cour suprême ou un magistrat désigné par ce dernier et ayant au moins le même grade que le mis en cause.
Les fonctions du ministère public et de l’instruction sont respectivement exercées par le procureur général près la cour suprême et par le premier président de la Cour suprême ou par leurs délégués choisis parmi les membres de ladite Cour.
C’est la chambre criminelle de la Cour suprême, saisie par citation directe ou sur renvoi, qui statue.
La décision de la Chambre criminelle est susceptible de recours devant les Chambres réunies.
La décision des Chambres réunies ne peut faire l’objet d’aucun recours. Toutefois, elle est susceptible de révision dans les formes et conditions légales ».
Pour une mise en œuvre effective de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat, des membres du Gouvernement, des députés et des magistrats, d’autres textes doivent être révisés ou modifiés.
Il en est ainsi de l’alinéa 2 de l’article 90 de la Constitution pour lequel le mot « juge » doit être remplacé par « magistrat » pour une meilleure indépendance de la justice. En effet, qu’ils soient du siège ou du parquet, ils sont d’abord des magistrats et ne doivent être soumis qu’à l’autorité de la loi dans l’exercice de leurs fonctions. Cela devra être couplé avec une suppression des articles 28 et 29 alinéa 2 du code de procédure pénale (CPP) (prévoyant les pouvoirs hiérarchiques du Ministre de la Justice à l’endroit du Procureur général près la Cour d’appel) et de l’article 40 alinéa 1 du CPP (prévoyant la désignation du juge d’instruction par le Ministre de la Justice (cette prérogative devant revenir au Conseil supérieur de la magistrature), une réécriture des articles 639 à 643 du CPP fixant les modalités des dépositions des membres du Gouvernement et de l’article 112 du code pénal.
Les textes organisant la Cour suprême devront être adaptés aux propositions sus énoncées.
Mamadou Doudou SENGHOR
Docteur en droit, Magistrat
par Sidy Diop
BEAUTÉ SOUS CAUTION
Le maquillage, ce miracle moderne qui transforme, embellit et parfois méduse. Certaines émissions de téléréalité nous vendent du rêve : elles sont toutes belles, toutes parfaites. Évidemment, à condition de ne pas pleurer sous la pluie
Le maquillage, ce miracle moderne qui transforme, embellit et parfois méduse. Un peu de fond de teint, un trait d’eye-liner, et voilà qu’on redessine les traits comme un peintre retouche son tableau. Certaines émissions de téléréalité nous vendent du rêve : elles sont toutes belles, toutes parfaites. Évidemment, à condition de ne pas pleurer sous la pluie.
Car c’est là le drame : cette beauté-là est sous caution. Un sourire trop large, et le rouge à lèvres migre vers les joues. Une larme mal placée, et les cils s’effondrent en cataclysme. Quant au contouring, cette magie qui sculpte un visage en trois dimensions, il fond à la première goutte de sueur. Tout est illusion, sauf la facture du salon de beauté.
Et pourtant, on persiste. On colore, on rectifie, on poudroie. Comme si la vraie beauté n’était pas celle du matin, sans filtre ni artifices. Celle qui ne s’efface pas avec un simple coton imbibé de démaquillant. Mais qui osera l’assumer ? À croire que le seul fond de teint qui tienne vraiment, c’est la confiance en soi.
PAR KHADY SOW
LA FRANCOPHONIE COMME LEVIER D’INFLUENCE POUR L’AFRIQUE
Dans un monde où incertitudes et fragmentations géopolitiques ne font que croître, asseoir une influence africaine doit être une priorité stratégique. La Francophonie politique et institutionnelle pourrait être le levier de cette influence africaine
« Les pays de l’AES se retirent de l’OIF » « L’AES tourne le dos à la Francophonie » « Le Niger abandonne le français comme langue officielle »
Tels sont les titres de journaux qui ont suivi les annonces, entre mars et avril, des États membres de l’AES, le Mali, le Burkina-Faso et le Niger. La toute dernière, l’abandon du français comme langue officielle par le Niger est d’un symbolisme affligeant ; le premier président de la République du Niger, Hamani Diori fut un des «pères fondateurs» de la Francophonie institutionnelle, avec le Président sénégalais Senghor, tunisien, Bourguiba et le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge.
C’est également au Niger, à Niamey, que fut signé le 20 mars 1970 la convention portant création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), une organisation de 21 États et gouvernements, autour d'une langue commune, le français afin de promouvoir les cultures de ses membres et d'intensifier la coopération culturelle et technique entre eux ». L’ACCT est devenue l'Agence intergouvernementale de la Francophonie en 1998 et en 2005 l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
La Francophonie politique et institutionnelle aujourd’hui, c’est :
93 États et gouvernements, dont 56 membres de plein droit, 5 membres associés tels que les Émirats arabes unis et le Quatar, 32 observateurs comme l’Angola, l’Argentine, la Gambie, l’Irlande, le Mexique, le Mozambique, la Pologne, la Thaïlande, l’Uruguay.
1,2 milliards d’habitants sur 5 continents et 16% de la richesse mondiale
La 5e langue dans le monde, après l’Anglais, le Mandarin, le Hindi et l’Espagnol, avec 380 millions de locuteurs estimés.
Et La 4e langue sur Internet.
Ces chiffres sont disponibles en ligne, sur le site de l’OIF également ; je les reprends pour illustrer l’absurdité d’avoir fait partie de ceux qui ont initié une telle organisation pour la lâcher. Un mouvement gigantesque, qui va au-delà de la France, à qui ces États semblent malheureusement circonscrire cet outil de coopération multilatérale. La Francophonie ce n’est pas la France et aujourd’hui, ce n’est pas seulement « cet outil merveilleux, la langue française » trouvé « Dans les décombres du colonialisme » pour reprendre Léopold Sédar Senghor, mais un outil puissant d’influence géopolitique.
Un levier d’influence qui était principalement aux mains des dirigeants africains, de par leur légitimité dans son existence d’abord mais également par le nombre de locuteurs en français et la représentativité en perpétuelle progression de leur population dans l’espace francophone. Les estimations en 2070, selon l’OIF, sont de 500 à 800 millions de francophones dans le monde dont une majorité de jeunes qui vivront en Afrique.
Dans un monde où incertitudes et fragmentations géopolitiques ne font que croître, asseoir une influence africaine doit être une priorité stratégique. La Francophonie politique et institutionnelle pourrait être le levier de cette influence africaine, mais pour cela, ne faudrait-t-il pas continuer à se l’approprier et non s’en désengager ? Ne faudrait-t-il pas la voir comme partie prenante de notre souveraineté internationale, « partagée », et non comme une menace ? Une Afrique forte dans une Francophonie forte, continuant à présider aux destinées d’une structure mondiale influente comme elle l’a toujours fait, à une exception près*, s’impliquant activement dans les actions de coopérations multilatérales éducatives, culturelles et politiques pour le bénéfice de ses membres et de leur population. Le champ politique, l’économie, les enjeux environnementaux, l’innovation technologique, le numérique, la solidarité internationale, la formation et l'insertion professionnelle des jeunes, l'égalité de genre, le développement durable, sont tous des domaines d’influence à investir pour les États africains au sein de la Francophonie.
Dans un contexte de guerre de l’information, une perspective francophone solide, avec une expertise avérée, des médias de référence ainsi qu’une langue et des contenus très présents sur Internet participent à établir l’influence de la Francophonie. De par des initiatives de luttes contre les désordres de l’information et pour la régulation mondiale des plateformes numériques, l’OIF joue également sa partition dans la cyber-géopolitique.
Quant à la Francophonie économique, en cette période de guerre tarifaire imposée par le géant hégémonique américain, elle pourrait également avoir un rôle crucial dans la restructuration qui est train de se jouer sous nos yeux. Il est important de se rappeler que la Francophonie c’est 20% du commerce mondial de marchandise, 14% des réserves de ressources énergétiques et minières, 16% du PNB brut mondial, 1,2 milliards d’habitants et 93 États et gouvernements. Une force économique, politique et culturelle dont la locomotive est le continent africain. Une réalité qu’il faut embrasser afin d’en tirer le meilleur profit.
Les clés d’une Afrique souveraine
La paix et la stabilité que peuvent garantir des institutions démocratiques fortes ainsi que des partenariats stratégiques mondiaux sont les clés d’une Afrique souveraine.
Un continent qui subit certes des transformations politiques, sociales et économiques inédites mais qui est la deuxième région du monde à la croissance économique la plus rapide après l’Asie. L’Afrique abritera également 29,9% de la population mondiale projetée en 2063 dont 30,8% en âge de travailler seront en Afrique subsaharienne. Un fort potentiel pour le continent, mais aussi d’énormes défis à relever pour assurer de meilleurs lendemains à cette jeunesse.
Une jeunesse « panafricaine » qui rêve de souveraineté, de ce qu’on entend le plus souvent. Cependant, il serait opportun de faire la distinction entre la souveraineté et un souverainisme aveugle, qui prône, le repli sur soi au détriment de son peuple. Un souverainisme prôné par des régimes qui n’ont pas été élu démocratiquement, sont autoritaires, peu enclins à la contestation civile démocratique et qui ont paradoxalement délégué la défense de leur intégrité territoriale à des troupes étrangères, de mercenaires, comme Wagner. Un autre paradoxe est que ces souverainistes ne trouvent aucun problème à se lier à un régime comme celui de la Russie qui n’hésite pas à menacer la souveraineté d’autres États. Cet élan populiste, entretenu par les rancœurs envers la France, amène peu à peu à une mise au ban des institutions internationales et à une dangereuse dépendance envers un allié de circonstance qui fait lui-même face à de grands défis.
La Souveraineté de nos États africains pourrait reposer sur des institutions fortes, un processus démocratique ainsi que sur « une souveraineté partagée », gage d’une certaine représentativité dans les affaires internationales et dans la coopération multilatérale dont nos pays sont tributaires au même titre que la plupart des moyennes puissances.
À l’Assemblée générale des Nations Unies, le bloc africain constitue le plus grand regroupement régional avec 54 votes et trois sièges non permanents au Conseil de sécurité, ce qui en fait une voix décisive. Le rôle central de l’Afrique dans l’ordre international s’est fait sentir au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, par les nombreuses abstentions africaines aux résolutions condamnant la Russie et le non-alignement de nombreux États africains. Le ballet diplomatique qui s’en est suivi pour rallier des États africains, en une succession de visites de Hautes délégations et de Chefs d’État de la Russie, de la Chine et des pays occidentaux a sonné comme une reconnaissance de l’influence africaine.
Sur le plan économique L’Union africaine (UA) avec L’Agenda 2063, se veut « le moteur de la croissance et du développement économique de l’Afrique » par une coopération et une intégration accrue des États africains ». La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), mise en place le 1er janvier 2021 à cet effet, vise à créer un marché de 1,3 milliard de personnes, basé sur la libre circulation des activités et des investissements. Ce qui représenterait un PIB de près de 2600 G$ US, l’Afrique devenant ainsi l’une des plus importantes zones de libre-échange du monde.
L’Afrique dont nous rêvons, celle que nous voulons intégrée, souveraine et prospère est donc à portée de main. Pour l’achever il serait important de faire taire les armes, de travailler à la cohésion et à la cohérence de nos États. Il serait également opportun d’user de tous les leviers d’influence qui sont à notre portée, dont la Francophonie.La Canadienne Michaëlle Jean qui a dirigée la Francophonie du 5 janvier 2015 au 3 janvier 2019.
Par Serigne Saliou DIAGNE
LE PARFAIT RETOUR A L’ENVOYEUR
C’est par la voix du député Thierno Alassane Sall que les parlementaires de l’opposition disent s’opposer aux «violations répétées et délibérées du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale».
L’opposition parlementaire avait décidé de boycotter la session de «Questions au gouvernement» qui sera malheureusement reportée, suite à la disparition du Khalife général des Layènes. La rencontre est programmée de nouveau pour lundi, mais après les premiers exercices de ce supposé échange sous ce nouveau régime, on peut présager qu’invectives, menaces plates, outrages et enfumages auront encore la part belle. Triste de penser de la sorte d’un des rouages du système démocratique ! Mais quand tout se nivelle par le bas dans une cité, on ne peut attendre des échanges de nos consuls que des ragots mal nourris, des brèves de comptoirs et des discours trempées d’inexactitudes.
C’est par la voix du député Thierno Alassane Sall que les parlementaires de l’opposition disent s’opposer aux «violations répétées et délibérées du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale». Au banc des accusés, tous les doigts de la nouvelle opposition indexent le président de l’Assemblée nationale, M. El Hadj Malick Ndiaye, lui reprochant d’agir comme un «surveillant de camp», bafouant les équilibres dans la représentativité et le fonctionnement serein du Parlement. On peut comprendre que dans une Assemblée nationale où Pastef détient une majorité écrasante, mêlant fonctionnement mécanique, dynamique belliciste et postures outrancières, les forces d’opposition peuvent trouver beaucoup de mal à se faire entendre. Si le président du Parlement pèse de son poids dans l’interprétation du Règlement intérieur, la mise en avant de ses alliés et son gouvernement, ainsi que la quête de faveur envers ses camarades de parti, l’équilibre est vite rompu. Cela annihile toute balance démocratique entre les forces en concurrence, faisant de l’Assemblée nationale une caisse de résonance d’un Etat-parti, au lieu d’être un prétoire où toutes les voix se font entendre et où tous les maux du pays sont conjurés.
La soumission totale à l’Exécutif que l’opposition reproche au Parlement sénégalais a de quoi tordre le jeu démocratique. On nous explique qu’avec les «Questions au gouvernement», tout est mis en œuvre pour offrir au Premier ministre Ousmane Sonko, une tribune pour tirer sur tout ce qui bouge, cogner les crânes qui dépassent d’un cheveu et satisfaire une base militante, toujours dans la ferveur des premiers lendemains d’une «révolution». En lieu et place des échanges d’idées, c’est une foire d’invectives et de règlements de comptes qu’on note au Perchoir. On ne manquera pas, avec cette nouvelle législature, de voir des ministres acculés par les députés de leur propre majorité sortir de leurs gonds et user d’un langage qui surprend. Si l’on se combat autant dans la même armée, les ennemis n’ont qu’à bien se tenir.
Le vice est tellement poussé dans cette volonté de ne pas créer d’équilibre que dans les temps de parole alloués aux différents protagonistes, tout est fait pour que le chef du gouvernement ait la latitude d’ergoter alors que ses contradicteurs se partagent des tours de parole d’une brièveté sidérante. Un peu d’élégance aurait aidé à donner un semblant démocratique et des relents d’échanges lucides d’idées et d’arguments, mais tout amène à se faire à l’idée qu’au Sénégal, tout détenteur d’une once de pouvoir ou d’autorité se doit d’écraser et de mettre au pas tout ce qui l’entoure. Pire est le sort de ceux qui n’obéissent guère !
Le boycott des «Questions au gouvernement» est un acte, avec les arguments qui le motivent pour l’opposition, à encourager. Tant qu’à ne pas s’entendre et échanger dans des logiques conviviales, mieux vaut rompre tous les ponts pour un moment. Et ce ne serait pas un crime de lèse-majesté que de retourner un tel signal au Premier ministre Sonko. Ses passages au Parlement ont été rythmés par des actes de défiance aux autorités de l’époque et il n’aura usé de ses interventions qu’au service de ses propres gains et intérêts politiques. Si des opposants, après deux exercices de ce type, trouvent que les règles du jeu sont faussées dès le départ, ils sont libres de s’inspirer du chapelet d’œuvres anti-conformistes et d’actions de résistance laissé par le chef du parti Pastef lors de la 13e Législature. Il aura demandé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire en refusant de déférer devant celle-ci. Il aura boycotté des interventions de membres du gouvernement. Il se sera battu avec un député, «Douma nako» (je l’ai battu) ne peut s’oublier si vite ! Il aura servi sans gêne des coups de gueule assassins. Si dans une Assemblée comme le Parlement sénégalais, les députés ne peuvent guère ouvrir leur bouche, rien ne sert d’y débattre. La vie ici-bas est une belle foire d’échanges équivalents, les retours à l’envoyeur ont le charme de ne porter que toutes les tares et qualités des expéditeurs.
PS : Le Sénégal a perdu en moins d’une journée, le Khalife général des Layènes, Mouhamadou Makhtar Laye, et le président du Conseil constitutionnel, le juge Mamadou Badio Camara. Je tiens à m’incliner devant leur mémoire et saluer ces deux grands Sénégalais qui auront, chacun à sa manière, contribué à faire de cette terre l’îlot de stabilité qu’elle est.