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30 avril 2025
Opinions
par Madiambal Diagne
L'EC(H)O D'UN SILENCE BAVARD
Le silence de nos autorités après l’option de Paris laisse dubitatif. Peut-être que la France mérite tout ce dont on l’accuse, mais la situation révèle une impréparation des pays de l’Afrique de l’Ouest à assumer leur souveraineté monétaire
Les pays de l’Afrique de l’Ouest avaient clamé urbi et orbi vouloir mettre fin à la monnaie Cfa et réviser ainsi leurs accords de coopération monétaire avec la France. Les chefs d’Etat membres de la Cedeao, suivant les recommandations de leurs experts, avaient indiqué que 2020 sonnera le glas de la monnaie Cfa qui devra être remplacée par l’eco. Le 21 décembre 2019, les Présidents Emmanuel Macron (France) et Alassane Dramane Ouattara (Côte d’Ivoire) avaient confirmé cette échéance inéluctable pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. Il est à remarquer que les pays de l’Afrique centrale, membres de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) et les Comores, tous soumis au même régime, se sont encore gardés de trancher le débat. Le 24 mai 2020, le gouvernement français a initié un projet de loi entérinant la fin du franc Cfa en Afrique de l’Ouest et la restitution à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) de la totalité des réserves de change déposées dans les comptes du Trésor français. Le ministre des Affaires étrangères de la France, Jean-Yves Le Drian, prenant les airs d’un Charles de Gaulle sur la Place Protêt à Dakar en 1958, a déclaré devant l’Assemblée nationale française que son pays répondait ainsi à une demande des huit pays membres de l’Uemoa (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Niger, Mali, Sénégal, Togo).
La France se retire également des organes de gestion de la monnaie, permettant aux pays africains de recouvrer leur souveraineté monétaire pleine et entière. Elle ne s’engage pas moins à continuer à assurer la garantie de la convertibilité de la prochaine monnaie eco. Est-ce de la mansuétude ou juste une pudeur diplomatique ? En tout cas, on peut se demander combien de temps cette offre de garantie de la convertibilité pourra durer, d’autant que le pays garant n’aurait désormais aucune autorité ou emprise sur le cours des choses. Quel pays garantirait une monnaie adossée à des économies de pays dont il ne participe pas à la définition des politiques économiques ? En outre, garantie pour garantie, qu’est-ce qui assure que le successeur de Emmanuel Macron en France adoptera la même position ou que le successeur de Alassane Dramane Ouattara ne voudra pas changer de stratégie quant à la politique monétaire ?
Les polémistes deviennent subitement aphones
Le débat avait pris en haleine les élites africaines autour de la question du franc Cfa. Cette monnaie qualifiée de «coloniale» était présentée comme le mal provoquant les retards économiques des pays africains. Qu’à cela ne tienne ! Seulement, il ne se trouvait pas un économiste africain en mesure de présenter une expérience monétaire africaine plus efficace ou étant plus avantageuse que le franc Cfa. Au contraire, tous les pays qui encourageaient à pourfendre le Cfa comme le Nigeria, la Guinée ou le Ghana faisaient en quelque sorte du Cfa une monnaie refuge pour leurs transactions. Dans certains de ces pays, le Cfa est même accepté dans les transactions quotidiennes domestiques comme l’est aussi le dollar américain dans de nombreux autres pays africains. C’est dire !
Dans une chronique en date du 24 juin 2019, intitulée «Qui voudrait d’une monnaie de singe ?», nous mettions en garde, car «personne ne voudra porter la responsabilité d’être mis au ban de la communauté pour cause de manque de sentiment panafricaniste ou de volonté d’intégration régionale africaine. Personne ne voudra apparaître comme étant le support de supposés intérêts étrangers à l’Afrique. Les chefs d’Etat risquent ainsi de donner leur onction à un projet que tout le monde sait prématuré, tant les conditions préalables et nécessaires à sa réussite ne sont pas encore satisfaites. L’eco risquera en effet de se révéler comme une monnaie de singe, à l’instar de la plupart des monnaies en cours dans bien des pays africains». Nous demandions en conséquence de ne pas lâcher la proie pour l’ombre.
On peut présumer que le contexte de la pandémie du Covid-19 devrait y être pour quelque chose. Les esprits sont tournés à chercher à se sauver, mais on ne peut pas ne pas constater que c’est le silence radio après l’annonce par la France de son retrait des organes de l’Union monétaire. Les chefs d’Etat africains, qui avaient officiellement demandé la fin du franc Cfa, se gardent encore de se féliciter de la décision de la France. Le Nigeria, qui caressait le dessein de prendre la place de la France dans l’espace monétaire, ne montre plus un enthousiasme débordant pour l’eco, dès l’instant que les pays de l’Uemoa ont montré ne pas vouloir être sous le joug du Naira. Le Nigeria, dont les plans sont contrariés, dispute à l’Uemoa le droit d’utiliser le nom eco. Jusqu’où cette querelle de baptême va-t-elle aller ? Va-t-on voir circuler deux monnaies appelées toutes «eco» dans le même espace de la Cedeao ?
Les activistes qui criaient à tue-tête pour la fin immédiate du Cfa ont déserté les plateaux des télés, des radios et les colonnes des journaux. Les rares et assez timides réactions encore enregistrées sont pour accuser la «France de chercher à torpiller l’eco en se retirant de manière aussi précipitée». Peut-être que la France mérite tout ce dont on l’accuse, mais la situation révèle une impréparation des pays de l’Afrique de l’Ouest à assumer leur souveraineté monétaire. Force est de dire que les Chefs d’Etat africains avaient fini par céder à une certaine clameur des réseaux sociaux, aux invectives de quelques grandes bouches d’activistes qui ont investi les nouvelles manufactures d’opinions et donc avaient fini par prendre des décisions pas suffisamment mûries. Ils sont coupables de n’avoir pas assumé toutes leurs responsabilités de Chefs d’Etat, même au prix de passer pour des vilains. Il était de mauvais ton de chercher à défendre la qualité du franc Cfa face aux attaques dont il faisait l’objet. Ainsi, a-t-on laissé prospérer tous les fantasmes sur le Cfa, voulant par exemple que la France profite des réserves de change déposées dans les coffres de la Banque de France pour financer son économie. Or le montant des liquidités déposées par la Bceao sur le compte d’opérations ouvert auprès du Trésor français est de l’ordre de 10 milliards d’euros à la fin de l’année 2019. Un tel montant ne suffirait même pas pour payer la dette du seul Sénégal ou pour financer la phase II de son Plan Sénégal-émergent (Pse). 40% des 10 milliards d’euros appartiennent à la Côte d’Ivoire et les 19% au Sénégal. Les réserves de change étaient rémunérées au taux de 0,75%. La France peut placer cette somme sur les marchés et peut-être récolter un meilleur taux ou l’utiliser dans ses transactions courantes. Qui sait ? La France n’a jamais dit comment elle utilise cette somme, mais on ne peut pas ne pas remarquer qu’elle est dérisoire à l’aune d’une économie d’un pays comme la France. Le Pib de la France est évalué à plus de 2 500 milliards d’euros et les taxes sur les transactions financières rapportent plus de 3 milliards d’euros par jour à la France.
Le Cfa est parti pour rester encore pendant quelques bonnes années
Le vin est tiré, il faut le boire. Il ne semble pas envisageable de demander à la France de revenir sur sa décision. Le cas échéant, le ridicule tuerait. Il n’en demeure pas moins que la circulation du Cfa est partie pour demeurer quelques bonnes années encore. L’appellation de la monnaie pourrait changer dans les livres comptables, mais la monnaie fiduciaire va demeurer. Mettre en circulation une nouvelle monnaie se fait dans le long terme. L’expérience enseigne que même pour changer une série de coupures de billets de banque, les autorités monétaires déroulent l’opération sur une longue période. Il faudrait aussi s’assurer de la fiabilité des nouveaux billets de banque qui seront mis en circulation. On a vu qu’en dépit des nombreux filets de sécurité censés protéger et rendre les billets de banque inviolables, des pays comme les nôtres sont régulièrement victimes de grandes opérations de faux monnayage. Va-t-on aussi pousser le bouchon du nationalisme africain jusqu’à préférer battre monnaie dans nos propres unités industrielles qui n’offrent pas toujours les meilleures garanties de sécurité ? Ou bien voudrait-on éviter de s’approcher de la France et aller faire battre notre monnaie en Chine ou en Russie ?
Au demeurant, Dans une tribune publiée dans ces colonnes en mars 2017, l’économiste Ndongo Samba Sylla présentait des faits intéressants sur la question du franc Cfa, qui se doivent d’être lucidement analysés pour toute transition vers une nouvelle monnaie. Les limites que le franc Cfa a représentées pour l’intégration économique du continent, le «déficit chronique de crédits bancaires des pays» de l’espace Cfa, ainsi que l’effet néfaste des flux financiers illicites sur les économies des pays de cette zone monétaire sont des arguments abordés par l’économiste sénégalais. Ces pistes bien intéressantes méritent une étude rigoureuse des gouvernants et des acteurs de la transition monétaire dans notre zone. Le silence de nos autorités après l’option faite par la France laisse dubitatif tout observateur. Il est bien de sortir d’une situation préjudiciable, mais encore faudrait-il une prise de responsabilités assez conséquente des élites politiques et économiques pour impulser une démarche nouvelle. Il faudrait de toute force que cette sortie du franc Cfa ne soit pas un «chaos monétaire programmé» comme bien des milieux pourraient être amenés à l’envisager. Une logique dans laquelle nos Etats attendraient un fait accompli, et prôner une navigation à vue sera plus que dommageable aux plans économiques et sociaux.
par Oumou Wane
STOP À LA POLITIQUE DE L’INSULTE !
Peut-on laisser tout dire et n’importe quoi sur tout le monde à l’instar de ce « commissaire divisionnaire de police de classe exceptionnelle à la retraite », comme il signe ses diatribes fielleuses ?
Rien de tel pour opposer les peuples que les vociférations haineuses. Voilà pourquoi l’insulte connait un tel succès dans l’arène politique comme sur les réseaux sociaux. Parce qu’elle excite la foule.
Dans la lettre récente au président Macky Sall d’un certain commissaire en retraite que je ne nommerai même pas, tant ses propos m’inspirent une profonde horreur, l’insulte crasse trahit l’absence d’arguments, l’impuissant devant un adversaire tellement au-dessus, que son détracteur n’a plus que cette ressource pour l’atteindre.
Ce besoin d’insulte s’agite dans l’esprit de ce pauvre commissaire, en quête de succès faciles, surtout parmi les âmes basses. Je crois malheureusement pour lui, que ses torpilles locutoires manquent parfaitement leur but et que ses insultes défendent une mauvaise cause.
L’esprit critique et la liberté d’expression permettent, il va de soi, de tout reprocher à notre président, sauf pour être honnête, qu’il est un esprit cultivé, ferme, visionnaire dans ses conceptions, entreprenant et infatigable au travail.
Alors si j’ai le choix entre être persuadée de haïr ou persuadée d’agir, je préfère me démarquer des insulteurs professionnels et même féliciter notre président pour sa clairvoyance.
De la même manière, plutôt que d’entraîner les esprits de mes concitoyens dans un ignoble combat, je préfère leur dire qu’ils méritent toute la reconnaissance de la nation pour leurs comportements responsables et leur abnégation face à la crise sanitaire qui nous frappe et nous fait peur.
Le problème de l’insulte, en ces temps troublés, est qu’elle ne cherche pas seulement à poser une sentence négative sur un adversaire, elle vise un autre dessein, celui d’exaspérer l’ennemi, d’atteindre son moral, surtout si cet adversaire est intelligent, sensible et peu enclin à ces jeux haineux.
Je ne reviendrai pas sur le contenu de cette lettre calomnieuse que je n’ai même pas terminée de lire tant elle manque d’invention et de persuasion, mais notre jeune démocratie ne devrait-elle pas réfléchir, face à des propos baveux et vomitoires, qui n’ont guère le goût de chercher des arguments et des preuves, à une façon de légiférer, au même titre que l’on interdit les déjections et les crachats dans l’espace public ?
Ce climat de haine indigne de notre démocratie met la République et notre vivre-ensemble en danger. N’est-il pas temps que l’Assemblée nationale se penche sur l’examen d’une proposition de loi contre les propos haineux en ligne et dans l’arène politique en général ? D’une part afin de contraindre les géants du net à retirer plus rapidement les contenus manifestement illicites de leurs sites, et notamment les injures, et d’autre part de limiter les incitations à la haine républicaine dans le paysage politique sénégalais.
Bien sûr, le Sénégal ne serait pas le Sénégal sans une certaine dose de polémiques oratoires, jusqu’à l’excès et l’injure parfois. C’est de bonne guerre. Mais peut-on laisser tout dire et n’importe quoi sur tout le monde à l’instar de ce « commissaire divisionnaire de police de classe exceptionnelle à la retraite », comme il signe ses diatribes fielleuses ?
Au moins si nous ne légiférons pas sur la question, que les insulteurs professionnels s’appliquent à le faire avec conscience et précision. Oui, conscience et précision ! Car comme pour ce pauvre commissaire, l’insulte ne marche pas à tous les coups. Il ne suffit pas d’injurier, mais de le faire avec un certain à-propos et sur un fond de vérité, afin que l’injure porte. N’insulte pas qui veut !
Par Thomas LESAFFRE
FAIDHERBE DOIT TOMBER A LILLE ET SAINT-LOUIS
Disons-le franchement, quel Lillois voudrait spontanément déboulonner Faidherbe? Aucun. Et pour cause, quel Lillois ne s’est jamais donné rendez-vous face à ‘Faidherbe’ pour éviter la foule de la place de la République ou pour aller ensuite à l’UGC ?
Amis du Nord, de Lille ou de Roubaix, une chance historique nous est donnée ce samedi. Amis du Nord, de Lille ou de Roubaix, une chance historique nous est donnée ce samedi. Celle de faire tomber la statue de gouverneur Faidherbe, un homme né à Lille, comme vous et moi, d’une famille modeste du Vieux-Lille, comme ma grand-mère. Il s’agit ici bel et bien de notre histoire directe.
Disons-le franchement, quel Lillois voudrait spontanément déboulonner Faidherbe? Aucun. Et pour cause, quel Lillois ne s’est jamais donné rendez-vous face à ‘Faidherbe’ pour éviter la foule de la place de la République ou pour aller ensuite à l’UGC ? Mon propre grand-père, durant l’occupation allemande passait fièrement en face de troupes allemandes en faisant le V de la victoire avec ses doigts. Il attendait qu’un autre Lillois viennent les libérer, le Général De Gaulle. Étant petit, Faidherbe et son cheval m’impressionnaient énormément.
Cette statue fait partie de mon histoire, les anciens @aurelien , @Joffrey ou @Camille pourront vous le confirmer. Qui aurai crue que j’allais retomber sur cette statue à des milliers de kilomètres de Lille et non pas à Lyon ou ailleurs en France ? Quel ne fut pas mon étonnement, et je dois bien me l’avouer ma fierté initiale lorsque j’ai vu pour la première fois la statue de ce Lillois au cœur de la ville de Saint-Louis (où j’étais allé poursuivre mes études africaniste). En marchant dans cette ville qu’il a développé comment ne pas se sentir ‘un peu’ chez soi, lorsque l’on découvre les briques rouges, qui me manquaient tant à Lyon ou à Bordeaux .
Comment ne pas s’identifier à une histoire commune lorsque l’on traverse le pont Faidherbe ou que l’on s’attarde place de Lille à Saint-Louis. Comment ne pas se dire qu’une partie de mon histoire se cachait dans ces rues et ces murs? J’ai donc commencé mes petites recherches sur l’- homme et cette histoire commune qui me liaient avec les gens qui désormais partageaient mon quotidien à l’université.
MON ARDEUR REGIONALISTE S’EST VITE DEGONFLEE.
L’Histoire de Faidherbe commence dans une famille modeste du vieux-lille, à l’époque où le quartier est encore très populaire. Fils d’un soldat volontaire le jeune Louis fait des études brillantes à Lille puis à Douai. Il se dirige presque naturellement vers polytechniques et devient ingénieur civil dans l’armée. Très vite il rejoint l’Algérie où l’armée se livre à d’importantes conquêtes, et participe avec véhémence et ardeur aux différentes expéditions.
Dans le Djudjura, mais surtout en petite Kabylie. Je ne vais pas vous refaire ici toute la guerre de conquête de l’Algérie, mais on estime que 4 millions d’Algériens étaient présents en Algérie au début de la conquête en 1830 et qu’on en comptait plus que 2,3 millions lors que celle-ci fut achevé en 1858. La pratique de la terre brûlée ou de l’étouffement de villageois regroupés dans des caves par asphyxie était courante. On ne va pas passer par quatre chemins, je ne sais pas si Faidherbe luimême s’est livré à de telles atrocités. L’histoire retient uniquement que son action sur le terrain est appréciée par sa hiérarchie militaire, qui le recommandera pour prendre en charge un bataillon de tirailleurs sénégalais situé à Saint-Louis.
Et c’est la que Faidherbe va réaliser le plus grand de son œuvre, il étend l’empire d’Afrique Occidental Française jusqu’au tréfonds du Sahara, avec ses troupes sénégalaises il remporte de nombreuses batailles contre la résistance locale, El Hadj Omar est vaincu, le pays Wolof et Kayor sont, entre autre, annexés, disciplinés et mis sous le joug de l’économie coloniale. Arriver dans le sang de la conquête, notre ingénieur Lillois s’est par la suite distingué dans la construction, celle d’une société coloniale nouvelle.
Des millions de vies seront transformées à jamais, des économies dynamiques sont patiemment démantelées, re-organisées. Il impose la culture du Coton, dans la boucle du Niger au détriment du développement des économies existantes, inscrivant à jamais cette région dans les griffes d’un capitalisme mercantile dans lesquels elle se trouve encore aujourd’hui. Il projette la ligne de chemin de fer Dakar-Niger, chantier titanesque dans lesquelles des millions d’Africains de l’Ouest perdront la vie dans des conditions de travail proche de celle de l’esclavage. On lui doit aussi l’instauration de taxes coloniales, qui ne se payait quasiment qu’en heure de travail, aussi appelé travail forcé. À coup de décrets et de fusils, Faidherbe met au pas des millions d’Africains et les inscrit dans une économie nouvelle, mercantile et prédatrice. Faidherbe participe à la transformation de cette petite ville de traite, en puissante capitale coloniale. Il y fait construire la plupart des rues dans lesquels les St Louisiens aiment à déambuler encore aujourd’hui. Petit à petit il brise les résistances locales, façonne un nouvel ordre et devient gouverneur de la Colonie la plus puissante de l’Afrique Française.
En rentrant à Lille après mon séjour d’études à Saint-Louis je suis retourné face à la statue de Faidherbe. Je l’ai regardée et me suis posé les questions suivantes : S’agit-il d’un homme dont je dois être fier ? Le Lillois de 2020 que je suis a-t-il vraiment envie que son histoire soit glorifiée ? Notre région est une terre d’accueil du monde, comment ne pas penser aux milliers de Kabyles vivant ici? Savent-ils seulement? Notre ville a vu naître de nombreux héros, des hommes et des femmes qui chaque jour pourraient représenter nos valeurs dans nos rues. Pourquoi se borner à mettre Faidherbe plutôt que des Lillois dont nous pourrions tous être fiers aujourd’hui ?
Au Sénégal j’ai eu honte de dire à mes amis ce que j’ai découvert sur l’homme et ses pratiques. Honte de savoir que je passais chaque samedi pendant une partie de ma jeunesse devant la statue d’un tel homme. En soit je ne peux pas être tenue pour responsable des atrocités de Faidherbe. Par contre en tant que Lillois, je suis responsable du fait qu’une statue à la gloire d’un colonel colonialiste trône au milieu de ma ville, eût-il été conseiller général de Lille ou non.
Faidherbe devrait être dans un musée, nos musées, à côté d’un panneau explicatif et pédagogique qui nous rappellerait à tous comment cet homme à contribué à façonner notre relation au monde. Lillois je m’adresse directement à vous, qu’avons-nous réellement à ‘sauver’ ici ? Oui Faidherbe fais partie de notre histoire, et nous ne pourrons pas la changer, cependant il nous est donné l’opportunité historique de façonner une autre histoire, une histoire plus inclusive, celle de la société de 2020, dans laquelle chaque petit Lillois pourrait se reconnaître et aspirait à grandir dans la tradition des grandes femmes et des grands hommes de cette ville. Enfants de la déesse, mettons Faidherbe dans les sous-sols du palais des Beaux-Arts, ou au musée d’Art et de d’Industrie André Diligent à Roubaix et construisons d’autres héros pour notre jeunesse.
Thomas LESAFFRE
#JUSTICE #JUSTICEPOURTOUS #LILLE #FAIDHERBEDOISTOMBER SOURCE : SENENEwS.COM
par Fadel Dia
IL FAUT (AUSSI) DÉBOULONNER LES TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS
Pratiquer la politique de l’autruche ne nous empêchera pas de faire face à ce dilemme : peut-on déboulonner les indéfendables conquérants coloniaux et hisser sur un piédestal ceux qui furent leurs infatigables bras armés ?
J’ai bien conscience que, par ces mots, je touche à un tabou, mais notre pays cultive les tabous comme il cultive l’arachide, sans réaliser que c’est quelque fois un produit désuet, dégradé, improductif, exténué ou invendable. Pratiquer la politique de l’autruche ne nous empêchera cependant pas de faire face à ce dilemme : peut-on déboulonner les indéfendables conquérants coloniaux et hisser sur un piédestal ceux qui furent leurs infatigables bras armés, même si ce fut souvent à leur corps défendant ?
«Les statues ne sont qu’une mise en récit...»
Le Sénégal est probablement l’un des rares pays au monde qui, soixante ans après son émancipation politique, continue à vouer la plus belle place et l’icône de sa plus vieille ville à un homme élevé pratiquement au rang d’un héros national, un autocrate qui a sabré les défenseurs de son intégrité, méprisé ses cultures et ses peuples, semé les premières graines de la balkanisation de la sous-région.
Si le Général Faidherbe, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’est pas le seul anachronisme de notre paysage urbain, il est la preuve qu’il y a un travail de salubrité mémorielle qui s’impose à nous et qui s’est fait partout dans le monde, et notamment dans les pays africains anglophones. Emmanuel Macron nous la baille belle lorsqu’il affirme, péremptoirement, que la France « n’effacera aucune trace ni aucun nom de l’Histoire (et) n’oubliera aucune de ses œuvres » et il est facile de lui rétorquer qu’il se trompe doublement. Il se trompe parce qu’au cours de sa longue histoire son pays n’a jamais cessé de relifter son panthéon et d’effacer des noms et des symboles.
Après 1789 on y a fait plus que déboulonner des statues, on a brulé des édifices, violé des sépultures et piétiné des restes humains. Après la deuxième guerre mondiale, on y a effacé les traces du Maréchal Pétain, héros de la « défense victorieuse » de 1916, l’homme qui, si l’on en croit Paul Valéry, « avait sauvé l’âme de l’armée française » parce que la bataille de Verdun avait été « une guerre tout entière insérée dans la Grande Guerre ».
Cette remise en cause mémorielle, comme celles qui la suivirent, n’est pas une spécificité française, nulle voix officielle ne s’est élevée dans le monde pour s’offusquer que Leningrad soit redevenu Saint-Pétersbourg ou que Stalingrad ait retrouvé son ancien nom de Volgograd ! Macron se trompe aussi parce qu’il mélange histoire, mémoire et patrimoine comme nous le rappelle l’historien Sébastien Ledoux et que les statues « ne sont pas des traces directes de l’Histoire, mais des traces au second degré ». Elles ne sont qu’une « mise en récit de l’Histoire », et, poursuit-il, lorsqu’une autorité en dresse une pour rendre hommage à un personnage, elle « formule publiquement une dette à son égard pour ce qu’il a apporté à la nation… »
La question est donc de savoir ce que le Général Faidherbe a fait pour le Sénégal pour mériter que sa statue trône encore sur la place de son ancienne capitale ? Devons-nous pour autant, comme en contrepartie, statufier les « Tirailleurs Sénégalais », élever au rang de héros nationaux les membres d’un corps d’armée qui, nous ne pouvons pas l’ignorer, a été créé pour faire face aux besoins de maintien de l’ordre colonial. Ils ont été d’abord des soldats de fortune, recrutés quelquefois au moyen d’un rapt, un peu dépenaillés, à peine mieux nourris que les chevaux de leurs officiers et qui allaient en campagne les pieds nus, en trainant leurs épouses derrière eux. A défaut de leur assurer une solde convenable, leur employeur les autorisait à s’approprier des femmes comme prises de guerre, se réjouissant surtout qu’ils ne lui coutaient pas cher et qu’ils étaient dociles.
Les plus grands floués de l’histoire coloniale
En un siècle d’existence, leur nombre n’a cessé de s’accroitre et leur champ d’action de s’élargir, ils sont devenus une force supplétive, taillable et corvéable à merci, les acteurs de ce qu’on appelait pudiquement la « pacification » des territoires conquis et, à ce titre ils ont laissé de très mauvais souvenirs dans des pays comme l’Algérie ou Madagascar. Ils seront sur tous les fronts de combat pendant les deux guerres mondiales, mais s’ils ont toujours et partout fait preuve de courage et d’endurance, ils ont été rarement au service des bonnes causes, de la liberté et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme le montrent ces deux exemples. C’est une troupe dotée d’un armement comme on n’en avait encore jamais vu dans la région, composée à la fois de tirailleurs en exercice et d’anciens tirailleurs rappelés de force après leur démobilisation qui, en 1892, partit à l’assaut de la dernière hégémonie africaine encore en place dans le delta intérieur du Niger.
L’opération fut foudroyante, Amadou Tall est chassé de Ségou en moins de trois mois et parmi le butin distribué aux tirailleurs, il y avait des femmes, les épouses de l’ancien roi ou de ses lieutenants ! Quelques années plus tard, en 1899, ce sont encore des tirailleurs qui seront la charnière de la sanglante expédition menée par deux illuminés, les capitaines Voulet et Chanoine. Cette colonne infernale qui a inspiré, indirectement, le film « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola, est une parfaite illustration des violences liées à la conquête coloniale, avec cette particularité que, pour une fois, les tirailleurs feront preuve d’indocilité et massacreront les deux officiers dont les cruautés inouïes avaient fini par les excéder. Nous ne pouvons pas traiter en héros le tirailleur Fakunda Tounkara qui, au petit matin du 29 septembre 1898, fut le premier à réaliser que l’homme à la taille haute qui portait un turban et lisait le Coran sur le pas de sa porte, sans se douter que ses poursuivants avaient violé sa dernière retraite, n’était autre que l’Almami Samori Touré. Nous ne pouvons pas rendre hommage aux tirailleurs Bandya Tounkara et Filifin Keita qui se lancèrent à la poursuite du vieil homme de soixante-dix ans qui aurait donné son empire pour un cheval, tout étonnés par la puissance de sa foulée. Ils feront le boulot, mais c’est leur commandant qui récoltera la gloire de la capture de Samori et il en sera toujours ainsi car les tirailleurs furent les plus grands floués de l’histoire coloniale de la France.
Notre combat devrait être d’exiger que leur épopée soit enseignée dans les écoles du pays pour lequel ils s’étaient battus et qu’on y sache que c’est l’un d’eux , un certain Hady Ba, qui fut l’une des premières victimes de la résistance française face à l’occupation allemande. Que leurs tombes soient sauvegardées, connues, visitées et fleuries par leurs familles, comme le sont celles des soldats américains ou canadiens en Normandie ou dans l’Aisne. Qu’on reconnaisse que s’ils ont été quelquefois gavés de décorations, souvent clinquantes, y compris à titre posthume, le « gel » de leurs maigres pensions après la proclamation des indépendances de leurs pays d’origine, ce qui ressemble fort à une mesure de rétorsion, est d’une mesquinerie et d’une injustice inqualifiables qu’il convient de solder dans la dignité.
En revanche, nous, Africains, ne pouvons ni glorifier le corps des tirailleurs ni les offrir en exemples à notre jeunesse. Notre musée de l’Armée ne doit pas être une annexe tropicale de celui d’une sous-préfecture française et célébrer les mêmes héros, être un nid de coucou qui reconstruit une histoire que nous avons subie à partir des déboires de notre passé colonial. Ni Wellington ni Bismarck ne sont honorés à Paris et notre musée manque à sa mission en mettant en exergue les manipulateurs des tirailleurs, Faidherbe ou Archinard, plutôt que leurs adversaires, ou en faisant une belle place à Mangin, pourvoyeur de la Force Noire, que Blaise Diagne lui-même accusa de mener les soldats africains au « massacre », plutôt que de vanter la lucidité de Van Vollenhoven qui démissionna de son poste de gouverneur parce qu’il estimait que cette saignée condamnerait les populations africaines à la misère.
Les premiers signes d’une révolte
Mais ne pas tresser des couronnes aux tirailleurs ne signifie pas les ignorer, nous devons, bien au contraire, enseigner leur histoire, pas seulement parce que la nation qu’ils avaient servie ne le fait pas, mais surtout pour rétablir la vérité. Le déboulonnement évoqué ici ne peut être qu’allégorique car très peu d’entre eux sont honorés chez nous par des statues, sinon de façon symbolique. En revanche, nous pouvons les grandir en démontrant, pièces en mains, que leur épopée est la meilleure preuve que la colonisation fut une affaire de violence et de duperie. Le massacre de Thiaroye en offre une tragique illustration. C’est d’abord l’histoire de la rupture unilatérale d’un contrat. Les Tirailleurs qui avaient payé chèrement leur participation à la guerre et vécu le calvaire des camps nazis, devinrent, dès que l’horizon commença à s’éclaircir, indésirables sur le sol de leur « mère patrie » qui n’avait plus qu’un objectif : « blanchir » les défilés qu’elle préparait pour célébrer la victoire. C’est l’histoire d’une mesquinerie ordinaire, le refus de payer des droits chèrement acquis (rappel de solde, primes de démobilisation, etc.) ou pour le moins, de rogner sur leur montant. C’est l’histoire d’une opération préméditée destinée à servir d’exemple à tous ceux qui étaient tentés de contester l’autorité de la métropole et de manifester des sentiments anticoloniaux.
C’est l’histoire d’un acharnement, celui qui a fait que le procès des mutins a été conduit uniquement à charge, que les condamnations ont été très lourdes, que tout pardon et tous les recours ont été rejetés, au point que la mention «mort pour la France » a été refusée à tous les soldats impliqués. C’est l’histoire d’un mensonge d’Etat, puisqu’on n’a jamais livré le nombre exact des victimes, ni la nature des armes utilisées pour les tuer. C’est enfin, et c’est cela qui nous intéresse le plus ici, l’histoire des tout premiers débuts d’un mouvement irrépressible et légitime, d’une révolte qui allait conduire aux indépendances. En cela, et en cela seulement, nous pouvons célébrer les mutins de Thiaroye comme les initiateurs de notre émancipation !
par Bosse Ndoye
C’EST PLUTÔT LA COLONISATION QUI A ÉTÉ UNE ENTREPRISE MANICHÉENNE DÉSASTREUSE
Vouloir insinuer que certains Sénégalais ont fait autant de mal, voire plus que Faidherbe constitue un artifice grossier pour dédouaner ce dernier de ses méfaits
Le débat sur le déboulonnage de statues d’anciens colons dans nombre de pays à travers le monde a donné naissance à une pléthore de réactions, de discours et de débats passionnants, passionnés et clivants. Des plus sages aux plus ignobles et farfelus en passant par ceux qui se veulent modérés afin d’éviter de heurter quelque sensibilité que ce soit.
Dans notre pays, toutes les attentions se sont focalisées sur la statue de Faidherbe. Parmi les nombreux articles qui lui ont été consacrés totalement ou en partie, il en est un qui a attiré toute mon attention. Comme pour dédouaner l’ancien gouverneur du Sénégal de ses méfaits et pour dire qu’il y a eu pareil ou pire que lui dans le pays, l’auteur – qui invite à ne pas verser dans le manichéisme - y fait une sorte de parallélisme entre ses crimes et ceux commis par certaines figures historiques nationales lors de guerres qu’ils se sont faites pour moult raisons.
Il convient de rappeler ce qu’a été la colonisation afin de mieux montrer qu’évoquer maintenant les malheurs qu’elle a causés n’a rien de manichéen, même si on ose les comparer à d’autres atrocités, fussent-elles locales. Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme, l’a très bien fait en démasquant l’entreprise fallacieuse, inhumaine et prédatrice qu’elle a été, bien qu’elle fût affublée d’un costume d’apparat dit hypocritement civilisationnel et humaniste. « Qu’est-ce en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu’elle n’est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes ». Frantz Fanon lui emboîta le pas dans les Damnés de la terre. « La colonisation est une négation systématisée de l’autre, une décision forcenée de refuser à l’autre tout attribut d’humanité. » Donc, de quelque bout qu’on la prenne la colonisation a été un désastre. Les soi-disant bienfaits - écoles, hôpitaux, routes, ports - qui ont été réalisés dans les pays soumis l’ont été pour servir les intérêts du colonisateur. Mais jamais par philanthropie. Car il fallait des hommes sains et robustes pour exécuter les travaux forcés, quelques uns d’instruits qui non seulement devaient apprendre à penser comme le colon pour accepter sa domination et la perpétuer – ce que Gramsci appelle l’hégémonie culturelle - mais aussi devaient jouer le rôle de relais entre lui et l’écrasant majorité des indigènes. Des rails, routes, ponts et ports furent aussi construits aux prix de pertes de vies humaines élevées juste pour pouvoir acheminer les récoltes, les matières premières vers la métropole. La construction du chemin de fer Congo-Océan est un exemple patent. Elle a causé 17 000 morts entre 1921 et 1934 pour quelques centaines de kilomètres de rails. Mais puisque même « Les murs les plus puissants tombent de leurs fissures,» comme disait Che Guevara, les colonisés se sont engouffrés dans les contradictions du système colonial pour retourner certaines de ses armes contre lui.
Qu’il ait pu exister des colonisateurs de bonne volonté n’a pas empêché ou rendu plus facile la colonisation qui, il faut le rappeler, avait été une entreprise nationale mais non l’affaire d’une personne ou de quelques unes. En outre, les colons qui refusaient d’y prendre part - comme le rappelle Albert Memmi dans Le Portrait du colonisé-portrait du colonisateur -, retournaient souvent en métropole. Car ceux qui restaient en colonies se trouvaient de fait en contradiction avec eux-mêmes : ils pouvaient beau dénoncer ou agir contre le système dans lequel ils vivaient, ils n’en bénéficiaient pas moins de ses avantages matériels, juridiques, financiers, obtenus iniquement sur le colonisé. Donc, ce sont généralement ceux qui refusent de condamner l’entreprise coloniale, qui a été un mal absolu, qui se cachent toujours derrière l’idée qu’il y a eu de bons colons, comme l’a fait Sarkozy lors de son discours de Dakar : « Il y avait parmi eux des hommes mauvais, mais il y avait des hommes de bonne volonté. » D’autant qu’il s’agit moins de citer quelques «exceptions» que de juger dans sa totalité une idéologie, un système qui a duré plus d’un siècle dans les conditions les plus horribles. C’est comme dire que malgré ses horreurs le nazisme a permis à la science de se développer, et il y a eu de bons nazis. À quoi bon d’être un excellent employé quand ton entreprise a fait faillite totale ? Pas grand-chose.
L’aventure coloniale a été aussi une entreprise manichéenne. Parce qu’il fallait penser être les bons, les supérieurs pour pouvoir entreprendre de civiliser d’autres personnes, jugées comme les mauvais, les barbares. L’espace géographique colonial, que Fanon désigne comme un monde compartimenté, est la pure incarnation de ce manichéisme. Il y avait d’un côté les indigènes – régis par le Code de l’indigénat - et d’un autre les Blancs. Ceux-ci habitaient généralement en ville – lieu censé être celui du bien - dans des endroits sécurisés, entourés de murs pour se protéger des méchants barbares qui s’entassaient dans des quartiers indigènes – lieux supposés du mal. Ce monde manichéen se voit à travers plusieurs œuvres de la littérature africains telles que Les bouts de bois de Dieu d’Ousmane Sembène, Amkoulel l’enfant peulh d’Hampathé Bâ et Ville cruelle de Mongo Béti…Rappeler ces réalités manichéennes pousse forcément à donner une version manichéenne de l’histoire, à moins de vouloir la changer d’être motivé par autre chose.
Vouloir insinuer que certains Sénégalais ont fait autant de mal, voire plus que Faidherbe constitue un artifice grossier pour dédouaner ce dernier de ses méfaits. D’autant plus qu’il est non seulement inutile et insignifiant d’hiérarchiser les atrocités mais il est encore irrespectueux envers ses victimes et leurs descendants, sans mentionner la banalisation des ses graves crimes. Même si tout mal est condamnable, d’où qu’il provienne, il ne faut pas perdre de vue que les colonisateurs étaient des envahisseurs venus d’ailleurs, juste mus par la recherche effrénée de profit et motivés par des idéologies bassement racistes, et dont la domination a duré plus d’un siècle. Contrairement aux guerres sporadiques qu’il pouvait y avoir entre royaumes au niveau local et les atrocités qu’elles pouvaient engendrer. De plus, toutes les nations se sont construites en partie sur leurs contradictions internes : des luttes, guerres entre royaumes, régions et factions rivales qui les composent. Les États-Unis ont connu la guerre de Sécession, la Chine celle opposant communistes et nationalistes. Il en est de même pour l’Italie, l’Espagne…et des atrocités - comme celles ayant eu lieu lors des affrontements entre les royaumes du Cayor contre celui du Walo ou celui du Sine contre celui du Jolof - y ont été commises. Entre 1937 en Chine, le Parti communiste chinois et le Parti nationaliste du Kuomintang ont fait une union sacrée pour mieux faire face à l’ennemi commun étranger : le Japon. C’est dire qu’une domination étrangère avec tout ce qu’elle engendre comme atrocité peut ne pas avoir la même portée pour les gens qui la subissent que certaines guerres locales avec tous leurs dégâts. L’identité de beaucoup de nations s’est forgée grâce aux luttes et contradictions internes alors que les conséquences de la colonisation ont été fondamentalement destructrices et les séquelles perdurent dans beaucoup de pays ayant subi cette domination, dans maints domaines. Donc, mettre sur le même pied d’égalité les atrocités des nationaux et celles des envahisseurs pour dédouaner ces derniers est juste horrible.
La statue de Faidherbe, quant à elle, n’est pas une affaire saint-louisienne, comme on a pu l’entendre. Mais une question nationale. Dans le monde, il n’y a qu’en Afrique où l’on célèbre ses bourreaux. La place de l’ancien gouverneur du Sénégal n’est pas dans nos rues, mais dans un musée et dans les livres d’histoire. L’affirmer n’équivaut pas à renier le passé. Hitler avait eu des statues en Allemagnes, Pétain en avait eu en France. Les voit-on encore ? Absolument pas ! Est-ce pour autant renier l’histoire du nazisme en Allemagne et de la collaboration en France ? La réponse va de soi. Si les statues de ces deux personnages ont été envoyées aux oubliettes dans leurs propres pays pour des raisons que leurs citoyens ont souvent honte de raconter, que dire celle d’un criminel colon dans un pays étranger ?
par Chérif Ben Amar Ndiaye
WADE-IDY, ÉCHEC ET MACKY
Chacun de Karim Wade et Idrissa Seck, les cartes en main, l’un en exil, l’autre en hibernation, cache son jeu en scrutation réciproque de l’horizon 2024. L’histoire de Caïn et Abel version sunugalienne ?
Père Wade avait lancé la formule du jeu d’échecs pour décrire son adversité politique entre lui et son fils jadis adopté et adoubé, Idrissa Seck : « Nous sommes dans un jeu d’échecs à distance. Nous verrons qui va remporter la partie ». Déclaration ironique à laquelle Idy avait répliqué par une pique tauromachique : « Celui qui réussit à éliminer les fous du roi (suivez son regard), à écarter la reine et à entourer et isoler le roi…aura gagné ». Sa finesse d’humour aidant, il concluait : « Si c’est moi qui réussit tout cela, j’aurais gagné ». A ce duel à fleurets mouchetés, entre deux hommes politiques intelligents et rusés, l’un d’une finesse d’esprit rhétorique et l’autre d’une l’habilité éprouvée dans la tactique politicienne, s’en suivit deux déroutes électorales successives causées par un troisième larron impassible, impavide et froid dans l’application des leçons machiavéliques : « Celui qui cherche à vous poignarder dans le dos vous ouvre d’abord les bras ». Ce fut alors pour le jeu entre Wade et Idy, la fin de la partie : « Echec et Macky » ! Le croupier Macky avait retourné les cartes en sa faveur, avec un art consommé ou confiné (mot à la mode) de la dissimulation. Wade défait sans déférence, ahuri s’exclama avec amertume : « Je ne sais pas par où il est passé ». Quant à Idy, le talibé n’étant jamais loin de l’homme politique chez lui, il s’en était remis à Dieu : « Dieu n’aime pas les lâches », avait-t-il déclamé. Message destiné à Macky mais qui avait ricoché dans l’esprit de Wade qui pensait malencontreusement en être le destinataire. Le fossé entre les deux duellistes se creusa davantage. Hélas à leur détriment !
Sortis de cette épreuve, nous étions en droit de penser que le grand timonier sénégalais, allait prendre sa retraite politique et devenir le sage de Point E, que le monde politique allait venir consulter pour construire son cher pays qui lui a beaucoup donné. Que nenni ! Il choisit de céder sa place à la table du jeu à son fils pour continuer le combat. Il est vrai que Idy nous avait prévenu : « Tant qu’il aura un souffle de vie, il ne mettra personne devant ou au-dessus de son fils ». En février 2019 durant les présidentielles, auxquelles Karim fut débâtit proprement par une lourde condamnation et un long exil, son papa-poule, son homme à tout faire et défaire, préféra proclamer le boycott des élections à la place d’un soutien à Idy. Le fils d’emprunt, capable de lire même dans ses pensées, s’était abstenu d’aller quérir tout soutien, pas même une visite de courtoisie. Il savait les motivations profondes de son mentor d’antan et qu’avec lui le « galgal » est toujours sous le « mboubou ».
En septembre et octobre 2019 à Massalikul Jinnan et lors d’une audience pompeuse au Palais présidentiel, Wade le César, contre toute attente, descendit de son piédestal, ravalant toute fierté, pour sceller la réconciliation avec son ennemi Macky, « fils d’anthropophage » et bourreau de Karim. Mais Wade, maître des intrigues politiciennes, par ce geste n’a fait que remiser le jeu de stratégie sur l’échiquier. Il s’agissait pour Wade-Kasparov de chercher à remettre Karim dans le jeu politique. Faire de Macky un allié et lui arracher une loi d’amnistie en faveur de Karim avant qu’il ne quitte le pouvoir. Et faire d’une pierre deux coups, barrer ainsi la route à tout rapprochement Macky-Idy. Le coup semblait bien joué. Mais Ndamal kadior décrypta la stratégie, et déplaça deux figurines de son jeu : A deux reprises il sortit de sa « tombe silencieuse » pour aller serrer la main de Macky (Hommage à Tanor Dieng et rencontre au Palais pour cause commune face à la pandémie Covid-19). Que de supputations et de conjectures avec ces farces et attrapes autour de Macky le maître des horloges politiques ! Rien d’alambiqué, c’est le jeu d’échecs à distance qui continue entre Wade le père et Idy le dauphin éconduit.
C’est également l’héritage de Wade et du PDS qui est en jeu. Wade a déjà fait place nette dans son parti pour asseoir dans un fauteuil son héritier naturel. Ce dernier dans son exil doré a certainement accumulé une force de frappe financière colossale, son seul talent politique, pour se relancer après une amnistie princière, dans la course pour 2024.
Le lion du Cayor se prépare, la route est longue pour se lancer dans une course de vitesse. Il choisit une nouvelle stratégie, faisant sienne la prose de Paul Valéry : « Patience, patience, patience dans l’azur ! Chaque atome de silence, est la chance d’un fruit mûr ! ». Fervent lecteur et admirateur du Général De Gaule, cette phrase dans son livre le « fil de l’épée », a assurément fait écho dans l’esprit d’Idrissa Seck : « Rien ne rehausse l’autorité mieux que le silence, splendeur des forts et refuge des faibles ». Son silence lui permet de bien cacher son jeu et de mieux décrypter les stratégies de ses adversaires, pour concevoir et exécuter la sienne. En sortira-t-il splendide, avant 2024 ?
La seule inconnue de ce jeu, c’est encore le larron détrousseur dont la filouterie sans état d’âme, est sans pareille dans le milieu des despotes-autocrates. Macky n’a pas dit son dernier mot. Il sait sa sortie périlleuse pour lui et son clan. Pour préserver ses arrières, il peut encore renverser l’échiquier du jeu d’échecs à distance, pour un « qui perd gagne », dont le but serait de faire capturer toutes les pièces dans ce jeu néfaste entre les deux stratèges échiquéens.
De Wade-Idy, on passe maintenant à Karim-Idy, par une nouvelle formule de jeu : la partie de poker ! Idy reste-t-il actionnaire majoritaire ou minoritaire d’un PDS moribond ? Il a dorénavant, en appoint et en exergue, un parti majeur, un excellent palmarès électoral et une réserve de voix d’au moins neuf cent mille voix. En face, un fils à papa qui s’est accaparé d’une fortune et d’un parti légués par un géniteur généreux à en perdre la raison. Chacun de ces deux « frères », les cartes en main, l’un en exil, l’autre en hibernation, cache son jeu en scrutation réciproque de l’horizon 2024. L’histoire de Caïn et Abel version sunugalienne ? Une histoire dont l’issue mériterait d’être pacifique ou pacifiée, par leur foi et leur référence communes en Serigne Touba, sceau et culte de paix. Serigne Mountakha Bassirou Mbacké ne pourrait-il pas rééditer la paix des braves et des coeurs entre Wade, Idy et Karim comme ce fut à Massalikul jannan entre Wade et Macky ? Avant qu’il ne soit trop tard. « Ils se contentent de tuer le temps en attendant que le temps les tue » (Simone de Beauvoir). Hâtons-nous, trop d’échecs subis dans ce jeu d’échecs néfaste, le temps se déroule et nous traîne avec lui. Alors que la victoire est sous leurs pas cadencés qu’il suffit de ramasser pour sauver le pays de la chienlit.
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
LE DÉSORDRE ENDOGÈNE
EXCLUSIF SENEPLUS - Au Sénégal, comme partout ailleurs en Afrique, le pouvoir est concentré entre les mains de quelques élites urbaines. Au détriment des communautés locales et des formations sociales de base - NOTES DE TERRAIN
D’où est-elle originaire ? Je ne lui ai pas demandé. Je ne sais pas discerner, exactement, les accents de certains pays du continent. À part les Maliens, les Guinéens, et les Sénégalais, bien sûr, j’arrive à trouver très peu d’indications quand j’entends un Africain s’exprimer. En tout cas, elle est étrangère. Et certainement, elle vient du Gabon ou du Cameroun. Elle est médecin et tient son cabinet à Dakar. J’étais venu la voir, pour un second rendez-vous. Je devais lui présenter les résultats des analyses qu’elle m’avait demandé de faire. Rien de grave, me notifia-t-elle, après avoir regardé le bulletin. Je dois juste faire d’autres tests, pour bien vérifier que tout est okay. Elle m’a aussi prescrit des médicaments à prendre, pendant deux semaines. Pour une raison ou une autre, nous avons commencé à parler de politique. Elle était outrée par la manifestation des jeunes dans certains quartiers de Dakar, pour demander la levée du couvre-feu.
« En quoi ça les dérangeait ? C’est simplement de l’indiscipline. Les gens font ce qu’ils veulent au Sénégal. Si ça se trouve, ils sont même au chômage. » À cette interpellation, je lui répondais que ces jeunes exprimaient des frustrations confuses, mais réelles. Qu’ils sont aussi la preuve de l’échec de notre système politique et social. Et au fond, je saisis des symptômes de mal-être derrière ces événements. Manifestement, mes arguments ne la convainquirent pas. Elle me regarda avec ses grands yeux intelligents. Et sans me laisser continuer, ouvrit sa bouche timide et tendit ses lèvres. « Pas du tout ! C’est une histoire de laisser-aller. Il y a une pagaille incroyable au Sénégal, à tous les niveaux. Tout le monde, partout, fait ce qu’il veut. », décocha-t-elle. Tout de suite, et j’avoue que c’est une réflexion arrogante et déplacée, j’ai pensé en mon for intérieur : « Mais pour qui se prend-elle. Elle vient certainement d’un pays qui n’est pas mieux loti, où il y a une parodie de démocratie, et elle nous fait la leçon. » Je pensais, pour être précis, au Gabon ou au Cameroun. Pour exprimer ma pensée, sans la froisser, je lui dis qu’il y a le bordel partout en Afrique. Ici, au moins, il y a une démocratie, une liberté d’expression et quelques institutions qui tiennent. Ce n’est pas fameux, et c’est très chancelant, mais c’est déjà ça. J’arguais, qu’il nous fallait juste une meilleure gouvernance et une éducation inclusive.
- Justement, la démocratie n’est pas la solution. Au Sénégal, il vous faut un dictateur. Et puis vous ne pouvez pas avancer avec vos marabouts. Tout tourne autour de la religion ici. Ça, seul un dictateur peut le régler.
J’étais d’accord avec elle sur une partie de son raisonnement. Je crois qu’il faut toujours séparer l'État et la religion. Pour une raison simple : ce n’est que dans la laïcité que les minorités religieuses sont vraiment protégées. Et puis, ce n’est pas faux, les confréries sont au cœur de la République. Elles produisent un pouvoir social et économique. Et comme elles contrôlent les consciences, elles exercent aussi une activité politique. Mais, en même temps, les confréries constituent un obstacle pour tous les tenants d’une religion obscurantiste, ou d’un islam politique. En cela, ils jouent un rôle ambivalent dans notre société. Par contre, entre la démocratie et la dictature, le choix est vite fait. Comment peut-on réclamer des despotes pour gouverner nos pays, en voyant tous les désastres causés par les Mobutu, Bokassa, et tous les autres tyranneaux moins sanguinaires mais aussi nocifs, depuis les indépendances ? La démocratie est encore immature, au Sénégal. Mais elle existe. Elle nous protège encore, même si c’est incomplet, de la violence aveugle. Elle nous permet aussi d’exprimer librement nos opinions. Nous pouvons encore choisir nos dirigeants, par des voies légales. C’est déjà ça !
Mes arguments ne firent toujours pas mouche. Elle me rappela que la démocratie appartient aux occidentaux. C’est un système qui ne marchera pas en Afrique. Ce n’est pas la première fois que j’entends ce discours. Il me surprend à chaque fois. Surtout lorsqu'il s'agit d’hommes et de femmes, qui appliquent des techniques modernes, venues d’Occident. L’humanité est une bibliothèque commune. Nous pouvons aller prendre, dans la grande encyclopédie de chaque civilisation, les principes fertiles. Tant que cela augmente la dignité et la liberté de l’Homme, ne nous gênons pas. D’ailleurs l’Occident a eu libre accès aux mémoires et aux bonnes pratiques des civilisations africaines. Il y a largement puisé des éléments vigoureux et qualitatifs. Qui ont servi à fortifier sa civilisation. Il n’y a aucun mal, à chercher ailleurs, des valeurs ou des objets civilisationnels utiles. Où se trouve le problème, lorsque dans un pays le pouvoir relève du grand nombre ? Lorsqu’il existe une égalité devant la loi, pour tous ? Prétendre que la démocratie n’est pas faite pour nous, c’est voir les Africains comme des sujets éternellement passifs.
Comment peut-on souhaiter l’absolutisme et l’oppression ? Comment peut-on prétendre que nous ne pouvons évoluer que sous le joug d’un tyran ? Je trouve ce point de vue choquant. Il blesse mon humanité. Certes, nous ne devons pas prendre, comme catéchisme, tous les modes de vivre et arts venus d’autres parties du monde. Certes, le pragmatisme politique est compréhensible dans un pays défiguré par le génocide ou par des années de guerre. Mais si les États tardent, en Afrique, à transformer l’économie, à éduquer les femmes et les hommes et à mener les pays vers l’essor économique et social, c’est pour trois raisons principales. Les féodalités toujours prégnantes. La cupidité et l’aveuglement des dirigeants. L’extraversion économique, qui ne va pas sans le néocolonialisme. Ces trois maux sont solidaires. Ils provoquent le freinage de notre évolution civilisationnelle. Et ne consentent pas au développement de l’Homme intégral. Ils produisent presque tous nos désordres. Si nous sommes lucides, c’est là qu’il faut chercher nos problèmes.
Mauvaise pioche. À ces trois plaies héréditaires, il faut ajouter le modèle jacobin, rigide, de nos États. S’il y a une critique à faire de l’organisation du pouvoir en Afrique, ce serait surtout contre l’inefficacité de l’administration centrale et unitaire. Dont le système de production n’insiste pas sur les autonomies locales. La modélisation de nos États ne prend pas en compte la vigueur matérielle de nos sociétés. Or, pour que la fiction politique soit opérante, et moins artificielle, elle doit se confondre avec les corps communautaires. Et leur transférer plus de responsabilités. Au Sénégal, comme partout ailleurs en Afrique, le pouvoir est concentré entre les mains de quelques élites urbaines. Au détriment des communautés locales et des formations sociales de base. Cette représentation, d’une certaine manière, est antidémocratique. Elle marginalise la « société réelle ». Au fond, les jeunes, qui demandaient la fin du couvre-feu manifestaient un ras-le-bol. Celui de vivre dans un pays où ils ne sont concernés que par très peu de choses. Un drapeau, un hymne, des symboles lointains. Une équipe nationale de football. Souvent, des élections.
Retrouvez désormais sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
LE RACISME SYSTÉMIQUE EN FRANCE EST LE PLUS INSIDIEUX DE TOUS
Les pays africains s'abritent derrière le multilatéralisme pour ne pas hausser le ton quand il le faut - A quand une commission d'enquête indépendante sous la bannière onusienne ? René Lake et Mireille Fanon-Mendès-France en débat sur VOA
René Lake et Mireille Fanon-Mendès-France en débat sur VOA.
Une résolution condamnant le racisme systémique et les violences policières a été unanimement adoptée vendredi par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU à l'issue d'un débat et après le retrait d'une mention ciblant spécifiquement les États-Unis, provoquant la colère de plusieurs ONG des droits humains.
L'initiative portée par l'Union Africaine aura-t-elle un impact sur le problème des discrimnations raciales toujours en cours dans plusieurs pays au monde, y compris en Afrique ? Qu'en est-il des pays occidentaux toujours réfractaires à lidée d'ouvrir le débat sur le racisme ? Les invités de l'Amérique et vous donnent leurs avis sur le sujet.
par Khadim Ndiaye
STATUE DE FAIDHERBE, REPENSER LA NOTION DE PATRIMOINE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les vestiges que nous préservons du passé nous renseignent beaucoup sur nous-mêmes et sur les héritages à léguer aux générations futures. La statue d’un conquérant colonial est un vestige d'une hégémonie
Parmi les arguments brandis par les défenseurs de la statue de Faidherbe, plusieurs considérations sont mises de l’avant. On estime que Faidherbe a déployé des efforts colossaux et louables pour connaître les populations du Sénégal et qu’il a assuré la « stabilité » du pays en terrassant les dernières résistances. Certains affirment qu’il avait fait des faveurs aux musulmans et protégé les gens du Walo contre les assauts des populations maures.
L’argument de la connaissance des populations a été surtout popularisé par l’ex-président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. « Si je parle de Faidherbe, disait-il, c’est avec la plus haute estime, jusqu’à l’amitié, parce qu’il a appris à nous connaître... ». Dans un entretien accordé en 1981 au diplomate français Pierre Boisdeffre, de passage au Sénégal, Senghor insiste sur la sympathie du conquérant : « Faidherbe a été le conquérant de l'intérieur du Sénégal, mais en même temps, Faidherbe s'est fait nègre avec les Nègres, comme le recommandera, plus tard, le père Liberman. Il s'est donc fait sénégalais avec les Sénégalais en étudiant les langues et civilisations du Sénégal. »
Faidherbe s’était effectivement donné comme mission la connaissance des populations du Sénégal. Il s’est fait ethnologue, linguiste, et s’intéressait donc aux cultures et langues locales. À ce propos, l’historien Abdoulaye Bathily considère Faidherbe comme « le véritable fondateur de l'école africaniste française ». Toutefois, les études menées par Faidherbe et son équipe, nous dit Bathily, en plus d’avoir « contribué à répandre chez les peuples d'Europe, les préjugés racistes à l'égard des Africains », devaient servir les objectifs de la conquête : « Les recherches entreprises durant la période "faidherbienne" avaient un but fondamental fonctionnel. L'objectif poursuivi était la connaissance de la "société" et du "milieu indigène", connaissance sans laquelle ne pouvait se réaliser l'œuvre de domestication des peuples et qui constitue la base de tout système colonial ».
L’histoire, la linguistique et l’ethnologie étaient donc mobilisées pour assurer la domination des populations de la Sénégambie. Il s’agissait de connaître pour mieux assujettir, comprendre pour mieux asservir. Voilà les vils soubassements que le président Senghor ne semblait pas percevoir dans son éloge dithyrambique. Il s’est extasié devant l’érudition et la bienveillance supposée de Faidherbe et a oblitéré ses visées réelles peu louables.
L’érudition et les gratifications au service de l’exploitation coloniale ont été mises en œuvre dans le domaine de la religion. La foi devait aussi servir la conquête. Faidherbe donna le ton à ce qui devait être la politique musulmane de la France au Sénégal. Il était clair quant aux retombées des « facilités » faites aux musulmans du Sénégal : « En élevant une mosquée à Saint-Louis par imitation de ce qui se passait en Algérie, on n’a pas réfléchi que nous ne sommes pas posés ici pour faire des concessions aux musulmans ; il n’en est pas de même au Sénégal. Mais enfin la mosquée existe et on ne peut revenir là-dessus [...]. Dès que la guerre n’absorbera pas plus tous mes moments, je m’occuperai de ces choses-là d’une manière toute spéciale. Il faut que nous arrivions comme en Algérie à amener les marabouts et les prêtres musulmans des villes à se rallier complètement à nous et à nos idées. On sévira contre les récalcitrants. Mais une mesure complémentaire de l’exigence que nous montrerons à l’égard des musulmans, ce sera l’établissement d’écoles françaises pour les jeunes musulmans… ».
On soutient également, sans aller au fond, que Faidherbe a défendu les gens du Walo contre les populations maures. Les relations entre le Walo et le Trarza en pays maure sont anciennes. Ces relations ont été ponctuées par des guerres et des alliances. Une relation matrimoniale avait été scellée par l’union du roi des Trarza et de la reine du Walo. De cette relation naquit un fils, Ely, que Faidherbe combattit pour ses visées pour le trône. Les Français ont très tôt considéré le Walo comme leur possession. Ils ne pouvaient y tolérer la présence des Maures. C'était le vœu d'un gouverneur prédécesseur de Faidherbe, Bouët-Willaumez. Un texte du 8 mai 1819 stipulait que la France devait se faire « céder en toute propriété et pour toujours les îles et toutes les autres positions de terre ferme du Royaume du Waalo pour la formation de tous établissements de culture ».
Faidherbe écrit le 7 mai 1857 au roi des Trarza Mohamed El Habib pour affirmer son droit de possession du Walo : « Quand au Walo que nous avons acheté en 1819 et conquis en 1854, nous le garderons envers et contre tous ». Dans une autre lettre datant du 13 mars 1858, et adressée à Natago Fall, Faidherbe s’attribue le titre de « Brak » (prince), menace et réaffirme sa propriété sur le Walo : « Vous savez que le Walo est à moi et qu'il n'y a plus aujourd'hui d'autre brak que moi. Vous êtes donc mes captifs et vous devez m'obéir. Voilà ce que je veux que vous fassiez. »
Faidherbe a agi au Walo comme il l’a fait dans les autres parties du Sénégal : en s'alliant avec certains au détriment d'autres. Il n'a pas hésité à s'emparer du Walo qu'il disait protéger des Maures. Concernant l’argument de la libération des populations du Walo, l’historien Yves Saint-Martin note : « Puisque Faidherbe avait été nommé pour appliquer ce programme [s'emparer du Walo], il ne pouvait avoir de doute sur l’approbation ministérielle. De plus, en écartant les Trarza au profit des Français, il se présenterait comme le champion de l’ordre et le protecteur des Noirs, trop souvent rançonnés et razziés par les Maures. ». Toutefois, son action était moins de défendre le Walo que de protéger les intérêts de l'administration coloniale et des traitants. Ces commerçants de Saint-Louis devaient, dans l’optique de Faidherbe, contrôler cette zone, car « La présence permanente de la France au Walo, relève Yves Saint-Martin, ne pourrait que les encourager dans ce dessein », celui de contrôler le commerce, la production de mil et d’arachides.
La libération proclamée des Noirs n'avait donc qu'un seul but pour Faidherbe : les placer sous le joug de l'administration coloniale et des appétits de ses amis traitants et négociants européens. C’est d’ailleurs pour protéger les traitants, que Faidherbe a incendié des villages entiers soupçonnés d’abriter des biens leur appartenant. Voilà pourquoi, en protégeant et en se mettant au service des réseaux d’affaires, Faidherbe doit être considéré comme un des grands précurseurs de la Françafrique.
Par ailleurs, quand on parle de retrait de la statue de Faidherbe, un contre-argument est souvent brandi : toucher à une telle statue, c’est effacer l’histoire, dit-on. Cette façon de voir est, à tout bien considéré, une confusion intellectuelle et découle d’une incompréhension du problème tel qu’il se pose.
Demander le retrait de la statue de Faidherbe, ce n’est ni réclamer la suppression de ce personnage des manuels d’histoire ni exiger qu’il ne soit plus enseigné. Ce qui est dénoncé, c’est sa présence et sa mise en avant dans l’espace public. Ceux qui s’arc-boutent sur l’argument de « l’effacement de l’histoire » confondent enseignement de l’histoire et éléments du patrimoine auxquels on accorde de l’importance et que l’on choisit de conserver dans l’espace public. L’histoire du fait colonial avec ses différents personnages et péripéties est bien enseignée, mais la question du legs à promouvoir interpelle, elle, la notion de patrimoine. On peut bien enseigner une histoire douloureuse sans statufier des bourreaux et sans les inclure dans les héritages à valoriser publiquement et à transmettre à la postérité. Il est important donc de repenser la notion de patrimoine public dans une ex-colonie.
En 2017, en pleine polémique sur la statue de Faidherbe, le directeur du patrimoine culturel, Abdou Aziz Guissé, avait soutenu que la statue, qu’elle soit chargée positivement ou négativement, fait partie du patrimoine architectural et historique et que, de ce fait, elle devait être maintenue. Mais qu’est-ce qui peut être considéré comme patrimoine ? Doit-on exhiber sur l’espace public le portrait ou la statue d’un conquérant colonial tout en se réfugiant derrière l’argument du patrimoine ?
Si comme le définit l’Unesco, le patrimoine est l’ensemble de ressources héritées du passé, mises à disposition pour le bénéfice des générations futures et comprenant non seulement le patrimoine matériel, mais aussi le patrimoine naturel et immatériel, les critères mis de l'avant pour le définir doivent être pensés différemment dans un pays qui porte en lui les stigmates de la colonisation et qui cherche ses repères. Le patrimoine entre dans ce qu’on appelle le processus de mémoire. C’est une série de choix et d’exclusions. Il est constitué d’éléments que nous choisissons de conserver et que nous décidons de transmettre aux générations à venir parce que nous leur donnons une valeur symbolique.
Que doit être l’idéal patrimonial d’une ex-colonie ? Quels vestiges du passé valoriser ? Quels personnages historiques, objets et sites patrimoniaux mettre de l’avant ? Autour de quels objets et lieux historiques devons-nous rassembler nos populations ? Quels sont les éléments que nous donnons à voir, sur lesquels nous fondons notre patrimoine, qui donnent du sens à notre présent et annoncent des promesses pour notre futur ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’aucune statue d’un conquérant colonial n’a été installée pour les beaux yeux des colonisés. Une statue coloniale est un attribut de domination. C’est la consécration d’une idéologie meurtrière fondée sur une suprématie. C’est un objet de pouvoir qui exprime une ascendance sur le plan symbolique. Un personnage comme Faidherbe était venu en conquérant et persécuteur et l’avait du reste bien exprimé : « Noirs Sénégalais, pénétrez-vous bien de cette idée, que nous sommes appelés à devenir les maîtres, disons mieux, les bienfaiteurs de ce pays. Ne résistez pas au mouvement, vous seriez brisés », menaçait-il à l'occasion de la remise des prix aux élèves de l'École des otages et l'École laïque réunies en 1860.
La statue d’un conquérant colonial est un vestige d'une hégémonie. Par elle, on cherche à imposer une forme d’accoutumance à la figure d’un oppresseur. Elle a une fonction réelle : dans un pays colonisé, elle est destinée au présent et à la postérité et elle sert à exalter la gloire passée et à immortaliser la mémoire de la conquête. Il est d’ailleurs édifiant que le président français, Emmanuel Macron, ait choisi en 2018 au Sénégal, de faire symboliquement un discours sur la Place Faidherbe à Saint-Louis devant…la statue de Faidherbe.
Cette statue de Faidherbe à Saint-Louis a été inaugurée le 20 mars 1887 pour célébrer la victoire des baïonnettes et des canonnières. La prise de contrôle du territoire était désormais rendue possible par l’anéantissement d’un des derniers obstacles, le souverain Lat Dior, tué un an avant, en 1886. Seul le résistant Mamadou Lamine, écrivait Faidherbe, « quoique très éloigné de la grande ligne des postes, était encore une menace pour la colonie ». La « tranquillité » et la « paix » sont obtenues au prix d'une féroce conquête militaire qui a fait des milliers de morts. Rien n’empêchait désormais l’instauration de l’économie de traite, le travail forcé, l’éducation coloniale, l’assimilation culturelle et la mise en dépendance de la colonie.
La redéfinition des objets du patrimoine est une priorité nationale. C'est d’ailleurs tout le débat actuel aux États-Unis. La présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi a appelé au retrait de 11 statues du Capitole représentant des soldats et des responsables confédérés esclavagistes, au motif que ces statues célèbrent la haine et non pas des éléments devant figurer dans le patrimoine des États-Unis.
Le président français, Macron, a préféré, lui, le conservatisme avec l’argument confus du non-effacement de l’histoire. Pourtant en France, les éléments du patrimoine ont été retouchés à plusieurs reprises. Les corps de Jean-Paul Marat, de Mirabeau, n’ont-ils pas été transférés au Panthéon et célébrés comme héros avant d’en être exclus ? La statue du Maréchal Pétain n’a-t-elle pas été retirée de la ville de Vichy ? On reproche à Pétain d’avoir collaboré avec l’ennemi allemand. On estime que son nom, sa statue et ses portraits sont indignes de figurer dans le patrimoine de la France. Pourtant Pétain, nonobstant l’intelligence avec l’ennemi durant l’Occupation, a été le grand soldat de la Grande Guerre, un des grands artisans de la victoire de Verdun. Pourquoi Macron ne va-t-il pas jusqu’au bout de sa logique de conservation des traces et demander le replacement de la statue du Maréchal Pétain ?
Repenser le patrimoine dans une ex-colonie, c’est sortir de la gloire de la conquête coloniale et apaiser l’espace public. Les vestiges que nous préservons du passé nous renseignent beaucoup sur nous-mêmes, sur nos choix et sur les héritages que nous voulons léguer aux générations futures. Au colonisé ou à l’ex-colonisé qui a vécu les affres du Code de l’indigénat, à qui on a dénié l’histoire, la morale, la religion, les héros, etc., il serait bien, à des fins curatives, de valoriser les lieux, les figures de résistance locales qui incarnent la haute stature morale, les personnages historiques qui revigorent la fierté et l’estime perdues. C’est le rôle du patrimoine de répondre à cette exigence et de faire des choix décisifs qui donnent du sens au présent et au futur.
Par Mathieu D.
CACHEZ CE NOIR QUE LA REPUBLIQUE NE SAURAIT VOIR
De Cuba à l’Assemblée nationale en passant par la mairie de Paris, découvrez l’histoire exceptionnelle mais néanmoins ignorée de Severiano de Heredia, ce métis et descendant d’esclaves devenu ministre de la République
De Cuba à l’Assemblée nationale en passant par la mairie de Paris, découvrez l’histoire exceptionnelle mais néanmoins ignorée de Severiano de Heredia, ce métis et descendant d’esclaves devenu ministre de la République.
C’est un personnage au destin romanesque ! Une personnalité des plus fascinantes qui s'inscrit dans la longue tradition des grandes figures ayant laissé leur trace dans l'histoire de France, mais que le roman national a préféré (volontairement) oublier !
Vous ne connaissez certainement pas Severiano de Heredia, il s’agit pourtant d’un précurseur, d’un grand homme qui aura marqué le XIXe siècle et la IIIe République de son empreinte. Né en 1836 dans la ville de Matanzas à Cuba - alors territoire de la couronne espagnole -, ce métis au teint hâlé est le fruit de l’union entre deux esclaves de couleurs qui furent affranchis avant sa naissance.
Baptisé en tant que «mulâtre né libre», il a pour parrain un certain Ignacio Heredia y Campuzano, lequel serait, selon certaines rumeurs, son véritable père biologique. Une filiation qui ferait de Severiano le cousin issu de germain du célèbre poète franco-cubain José-Maria de Hérédia, membre de l’Académie française de 1894 à 1905. Francophile comme beaucoup d’Espagnols du Cuba de l’époque, son parrain - qui lui léguera l’ensemble de sa fortune à sa mort en 1848, lui assurant ainsi un avenir confortable - l’envoie faire ses études en France dès 1846, alors que le petit Severiano n'est âgé que de 10 ans.
UNE AMBITION POLITIQUE
Brillant élève du prestigieux lycée Louisle-Grand de Paris, Severiano de Heredia en sort diplômé en rhétorique non sans avoir obtenu le grand prix d’honneur de l’établissement, en 1855. Cultivé et amoureux des lettres, le jeune homme - initié à la franc-maçonnerie en 1866 - embrasse alors une carrière de poète et de critique littéraire, mais s'intéresse de plus en plus à la politique. Épris des idéaux républicains et animé d’une certaine ambition, il décide après mûre réflexion de s’engager politiquement afin, comme il le dit à qui veut l’entendre à l’époque, de rendre à la France ce qu’elle lui a donné.
Après avoir demandé la nationalité française qu’il obtient en 1870, deux ans après son mariage avec Henriette Hanaire (qui lui donnera deux enfants), c’est donc tout naturellement qu’il intègre peu à peu le microcosme politique parisien, où son charme et ses idées vont faire mouche. Défenseur de la laïcité, fervent partisan de la liberté de la presse et favorable à l’instruction universelle chère à Jules Ferry, il commence à se faire un nom dans la IIIe République balbutiante et va très vite occuper des postes importants. En avril 1873, il est ainsi élu au Conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes (XVIIe arrondissement), sous l’étiquette des très influents Républicains radicaux. Il est alors le seul «homme de couleur» à siéger au sein de l’assemblée parisienne.
Mieux, le 1er août 1879, après six ans de bons et loyaux services, Severiano de Heredia s e v o i t confier à l’âge de 42 ans la présidence du Conseil municipal, soit la fonction suprême de la ville qui correspond aujourd’hui au poste de maire*. Il devient par la même occasion le premier et à ce jour seul noir à avoir dirigé la municipalité de Paris. Approuvée à l’unanimité par ses collègues du conseil - comme il était d’usage à l’époque dans un système de rotation de la présidence tous les 6 mois -, sa nomination en dit long sur la popularité et la confiance dont il jouissait auprès de ses collaborateurs.
LA CONSÉCRATION AVANT LE DÉCLIN
En août 1881, il continue son irrésistible ascension sur la scène politique française en étant élu cette fois député de la Seine dans son fief du XVIIe arrondissement de la capitale, où une rue porte aujourd’hui son nom. Il sera réélu en novembre 1885 pour un deuxième mandat qu’il devra néanmoins délaisser temporairement de mai à décembre 1887, afin d’intégrer - honneur ultime - le gouvernement de Maurice Touvier qui le nomme ministre des Travaux publics. À 51 ans, c’est l’apothéose de sa carrière politique ! Durant cette période, il se distingue notamment par son combat en faveur de la réduction du temps de travail des enfants de moins de 12 ans, dans les usines. Mais son passage au ministère s’avère bref et sera surtout marqué par les préjugés liés à sa couleur de peau ! Celui que ces détracteurs surnomment alors « le nègre du ministère » subira en effet, tout au long de son mandat, de nombreuses attaques à caractère raciste, orchestrées entre autres par une certaine presse. Jusqu’alors relativement épargné par ce ce genre de saillies nauséabondes, il doit soudainement faire face à un déferlement de haine, symptomatique d’une époque où les mentalités restent influencées par le racialisme et la hiérarchisation des races.
Bon nombre de ses contemporains ne voyaient pas d’un bon œil la présence d’un métis au gouvernement, dans une période où la propagande coloniale s’évertuait à dépeindre les personnes de couleurs comme des êtres inférieurs que la France se devait de civiliser. Severiano de Heredia était pourtant la preuve vivante qu’une telle idéologie raciste et xénophobe n’était qu’un tissu de mensonge, motivé par la prétendue supériorité de la race blanche. Aux yeux de nombreux politiques, il fallait l’évincer, mais il tint bon et continua d’exercer ses fonctions avec courage et dignité. Avec l’arrivée au pouvoir du nouveau président Sadi Carnot en décembre 1887, les ministres du gouvernement Touvier vont néanmoins quitter un à un leur poste et Severiano de Heredia retournera dans l’hémicycle, pour y parachever son mandat de député. Le début du déclin !
Après deux revers consécutifs aux élections législatives de 1889 puis 1893, il décide finalement de se retirer de la vie politique pour se consacrer à la littérature, qu’il n’aura jamais cessé de chérir toute sa vie. Il meurt d’une méningite foudroyante dans son domicile parisien le 9 février 1901, à l’âge de 64 ans. Sa dépouille repose au cimetière des Batignolles.
Longtemps, trop longtemps, sa vie a été oubliée comme effacée des mémoires de la République et aujourd’hui encore, aucun manuel d’histoire, ni même de statue ou autre portrait officiel ne rend hommage à ce précurseur d’un autre temps. « Severiano de Heredia a été une victime - je ne sais si centrale ou collatérale - de la politique coloniale de la France en Afrique, et de la persistance d’un état d’esprit colonialiste chez nous, même après l’étape dite de la décolonisation », rappelait à juste titre, il y a quelques années, l’historien Paul Lestrade qui lui a consacré un livre en 2011**. À l’heure où l’épineuse question du racisme systémique se pose dans notre pays, la République, si prompte à donner des leçons de morale en matière de représentativité, gagnerait à se rappeler qu’un homme de couleur et descendant d’esclaves affranchis fut jadis «maire» de Paris, puis ministre et député. Depuis, plus rien ou si peu…
*Le président du Conseil municipal ne détenait pas le pouvoir exécutif qui dépendait du préfet de la Seine.
** Paul Estrade, « Severiano de Heredia, ce mulâtre cubain que Paris fit «maire» et la République ministre », Paris, Les Indes savantes, coll. «La Boutique de l'histoire », 2011, 162 p