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1 mai 2025
Opinions
Par Ousseynou NDOYE,
QUELLES LEÇONS APPRISES DE LA COVID 19 ?
Pour toutes les denrées alimentaires de première nécessité comme le riz, l’huile, le blé, le lait, le Sénégal est toujours un pays importateur net. La pandémie de la Covid 19 doit être une opportunité à saisir pour renverser la tendance
Le Sénégal vient de célébrer soixante années d’indépendance dignement méritée après plusieurs siècles de colonisation. Durant la période coloniale, le Sénégal était spécialisé dans la production d’arachide pour satisfaire les besoins de la Métropole et en retour devait consommer le riz provenant d’Indochine. En effet, l’administration coloniale pouvait se procurer le riz d’Indochine à vil prix, ce qui lui permettait d’accroitre les superficies et la production arachidière pour l’exportation. C’est ainsi qu’entre 1956 et 1961, 77 pourcent des importations de riz de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et 45 pourcent des importations de riz de l’Afrique de l’Ouest étaient destinées au Sénégal. Depuis l’indépendance du Sénégal en 1960 jusqu’à nos jours, la dépendance alimentaire du pays n’a pas encore été renversée malgré toutes les bonnes intentions des régimes qui se sont succédés. Il est regrettable de constater que les importations alimentaires continuent d’augmenter au Sénégal. Pour toutes les denrées alimentaires de première nécessité comme le riz, l’huile, le blé, le lait, le Sénégal est toujours un pays importateur net. La pandémie de la Covid 19 doit être une opportunité à saisir pour renverser la tendance.
II. COVID 19 ET INDÉPENDANCE ALIMENTAIRE
Le marché est un volet important de l’économie mais n’est pas l’économie. Le social, l’humain, la solidarité doivent être mieux intégrés dans les politiques publiques et ne pas considérer uniquement le marché. La pandémie du covid19 a montré les limites du système de marché ou laisser-faire. Les pays du monde ont fait un repli sur eux-mêmes en fermant leurs frontières, leurs aéroports empêchant la libre circulation des personnes. Le trafic par frêt aérien bien qu’autorisé ne peut pas garantir l’approvisionnement total des pays importateurs en produits alimentaires. Cela est dû au fait que la Covid 19 ayant surpris le monde entier, a créé une incertitude qui fait que les pays qui ont des excédents alimentaires seront obligés d’être prudents et garder leurs surplus pour détenir des stocks stratégiques de précaution afin de pouvoir lutter contre les pénuries éventuelles au cas où la Covid 19 devrait durer dans le temps et dans l’espace. Cela fait que les pays importateurs nets de produits alimentaires comme le Sénégal risquent de connaitre des difficultés d’approvisionnement si la pandémie perdure. La disponibilité de stocks alimentaires devient ainsi une arme stratégique très puissante ou un bouclier de protection qui permet de lutter contre les pénuries artificielles et les pénuries réelles. Il est donc nécessaire de promouvoir l’indépendance alimentaire du Sénégal comme stratégie de développement et de résilience agricole. La pandémie de la Covid 19 est une très bonne opportunité pour dérouler cette stratégie. Dans cette contribution, l’indépendance alimentaire est définie comme a) l’accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive pour mener une vie active et saine basée sur des politiques agricoles et alimentaires les mieux adaptées possibles; b) la constitution de stocks de sécurité; et c) la disponibilité éventuelle de surplus à exporter. Ainsi selon notre définition, l’indépendance alimentaire englobe la sécurité et la souveraineté alimentaires plus les stocks stratégiques et le surplus éventuel qui pourrait être exporté. Cela veut dire que pour le Sénégal, l’indépendance alimentaire doit s’appuyer sur un panier de produits locaux qui vont constituer les forces motrices endogènes de la stratégie au lieu de se baser sur un ou deux produits uniquement.
III. NÉCESSITÉ DE PRODUIRE CE qUE NOUS CONSOMMONS ET FAIRE LA TRANSFORMATION SUR PLACE
Avoir une indépendance alimentaire durable se pose avec acuité pour le Sénégal. Non seulement il faut produire ce que nous consommons, les transformer localement pour créer de la valeur ajoutée et des emplois, mais également promouvoir la consommation des produits locaux, constituer des réserves stratégiques de précaution pour faire face à des pandémies comme la Covid 19 et exporter le surplus éventuel. Les réserves stratégiques sont importantes car elles permettent de faire un rééquilibrage entre l’offre et la demande de produits alimentaires pour protéger les consommateurs. La valorisation de nos produits locaux et leurs consommations doivent être encouragées à cause de l’apport de ces produits en vitamines et en minéraux et leur impact sur la santé des populations. Les instituts de recherches et de transformation tels que l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA), et l’Institut de Technologie Alimentaire (ITA) ont une très grande expérience dans la valorisation des produits locaux. Les produits comme le mil, le sorgho, le maïs, le niébé, le fonio, le sésame entre autres, devraient être mieux valorisés au Sénégal afin de faciliter une consommation de masse. La transformation des produits alimentaires sur place en respectant les normes de qualité et d’hygiène est une exigence du Plan Sénégal Emergent Industriel (PSE Industriel) et doit être une priorité nationale pour promouvoir l’indépendance alimentaire du pays. Elle doit également permettre au Sénégal de mieux se positionner dans la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECA). Quelles sont les actions qui doivent être menées pour le succès de la politique d’indépendance alimentaire?
IV. ACTIONS NÉCESSAIRES POUR FACILITER L’ATTEINTE DE L’INDÉPENDANCE ALIMENTAIRE AU SÉNÉGAL
1. Promouvoir l’Agriculture (avec A), incluant les productions agricoles, maraichères, l’élevage et les productions animales, la pêche et l’aquaculture, la foresterie, et l’agroforesterie ainsi que l’arboriculture fruitière et la transformation sur place des produits. Cela pourrait réduire notre dépendance alimentaire et augmenter notre résilience aux changements climatiques et à la pollution de l’air.
2. Créer de véritables pôles régionaux de développement et stimuler les échanges commerciaux entre les différentes régions sur la base de leurs avantages comparatifs et compétitifs en produisant ce que nous consommons et en consommant nos produits locaux. Ce serait un important bouclier de protection pour réduire le risque de dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur. Toutefois les produits locaux devraient être de très bonne qualité, respecter les normes d’hygiène, et être disponibles dans l’espace et dans le temps. Le Sénégal a des superficies et des technologies agricoles disponibles, des ressources humaines de qualité et des instituts de recherches agricoles et de technologie alimentaire appropriées pour réaliser une indépendance alimentaire endogène.
3. Allouer plus de ressources financières à la recherche Agricole (agriculture, élevage, pêche et aquaculture, horticulture, foresterie et agroforesterie) et la recherche sur les technologies modernes de transformation alimentaires pour libérer davantage le génie Sénégalais.
4. Développer l’aquaculture qui peut être une niche d’emplois et d’octrois de revenus pour les jeunes tout en renforçant la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations.
5. Encourager une collaboration intersectorielle plus accrue entre le Ministère de l’Agriculture et de l’Equipement Rural (MAER) et le Ministère du Commerce et des Petites et Moyennes Entreprises. C’est-à-dire ces deux ministères doivent accroitre leur solidarité pour mieux planifier les importations de produits alimentaires pour éviter les méventes que les producteurs connaissent souvent à cause d’une présence massive de produits alimentaires importés sur le marché.
6. Réduire les importations de lait en poudre par la modernisation de l’élevage. Le Sénégal est classé deuxième pays importateur de lait en poudre en Afrique de l’Ouest derrière le Nigéria qui a une population estimée à 206 millions d’habitants contre 16 millions pour le Sénégal. En outre, le lait en poudre consommé au Sénégal contient 30% d’huile de palme, ce qui réduit sa richesse en protéines. Avec le nombre de médecins vétérinaires extrêmement qualifiés dont regorge le Sénégal et avec une population de plus de 3500000 têtes de bovins, les importations de lait en poudre devraient être réduites afin de revaloriser la production et la consommation locale de lait. Selon les statistiques disponibles, au Sénégal, les importations de lait en poudre sont passées de 35 milliards en 2012 à 70 milliards en 2017. En 2016, les importations de lait en poudre du Sénégal (29773 tonnes) ont été supérieures à celles de la Côte d’Ivoire (20000 tonnes) et du Ghana (10000 tonnes).
7. Promouvoir l’agriculture irriguée, surtout la petite irrigation, pour permettre une production continue de produits alimentaires et de production fourragère dans le pays au lieu de se baser uniquement sur les trois mois de pluviométrie. Si le Sénégal mettait l’accent sur l’utilisation des eaux souterraines tout en veillant à la recharge artificielle des nappes phréatiques pour augmenter la pérennité des sources, l’atteinte de l’indépendance alimentaire pourrait s’accélérer.
Dans chaque zone le peu de pluie qui existe devrait être collectée, décantée et filtrée avant d’être réinjectée vers les nappes d’eaux souterraines. Cela ferait durer plus longtemps la disponibilité de l’eau dans les nappes phréatiques.
Ousseynou NDOYE, PHD,
ECONOMISTE AGRICOLE ET FORESTIER ANCIEN FONCTIONNAIRE DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L’ALIMENTATION ET L’AGRICULTURE (FAO)
Par ALPHA AMADOU SY
AMADY ALY DIENG : AN 5 DE SON RAPPEL A DIEU
Par un confinement des plus féconds, nous allons, dans la solitude de nos demeures, dans un même élan, avec sa famille, ses amis et ses lecteurs commémorer l’an 5 de son rappel à Dieu.
Quand, le 15 mai 2018, nous nous quittions, Professeurs Buuba Diop, Thierno Diop, Abdourahmane Ngaidé, Dr Abdoulaye Diallo et moi, nous devions finaliser la forte décision retenue au terme de notre Table ronde, «Hommage à Amady Aly Dieng». Il était précisément question d’organiser un colloque consacré à la vie et l’œuvre de notre illustre compatriote. Les moyens ayant fait défaut en dépit de notre détermination, d’une part, et, soucieux, d’autre part, de tenir un banquet à la dimension de l’homme, nous avions opté de prendre le temps qu’il faut pour assurer un franc succès à ce rendez-vous.
Quand, le 15 mai 2018, nous nous quittions, Professeurs Buuba Diop, Thierno Diop, Abdourahmane Ngaidé, Dr Abdoulaye Diallo et moi, nous devions finaliser la forte décision retenue au terme de notre Table ronde, « Hommage à Amady Aly Dieng ». Il était précisément question d’organiser un colloque consacré à la vie et l’œuvre de notre illustre compatriote. Les moyens ayant fait défaut en dépit de notre détermination, d’une part, et, soucieux, d’autre part, de tenir un banquet à la dimension de l’homme, nous avions opté de prendre le temps qu’il faut pour assurer un franc succès à ce rendez-vous. Dans cet esprit, l’idée retenue, pour ce 13 mai 2020, était d’organiser une rencontre largement ouverte à des experts sur des questions d’ordre économique.
Le Doyen Buuba Diop avait initié des contacts des plus prometteurs quand vint avec une célérité inouïe… le coronavirus. Ce minuscule mais si dévastateur virus a pu certes venir à bout de notre volonté d’une rencontre physique, cependant, s’avère-t-il inefficace pour nous empêcher de réfléchir, encore moins de penser à nos illustres disparus au nombre desquels, évidemment, Amady Aly Dieng.
De l’homme, l’on a souvent retenu ce qui semblait le plus frappant, voire spectaculaire : le nombre de livres lus, les innombrables compte-rendu de lecture mis gracieusement à la disposition du public, le fait d’assister à n’importe quelle rencontre intellectuelle, fut-elle la soutenance d’un « petit » mémoire de maitrise ! Et dans ce lot, cet acte, à notre avis, inédit dans notre pays : le don de 1500 ouvrages tirés de sa bibliothèque personnelle à la Bibliothèque Centrale de l’Université Cheick Anta Diop !
Toutefois, ces faits, qui ont leur importance, risquent d’être noyés dans l’anecdotique dès l’instant où l’on perd de vue leur fondement qui les intègre dans une remarquable cohérence. Ce socle est son militantisme dont la vérité est perceptible dans cet effort continu pour rester en phase avec sa conviction selon laquelle la conquête de la liberté et de la justice sociale est impensable sans l’acquisition du savoir. «Partant, écrivions-nous en 2015, il s’intéresse à tous les continents du savoir, non sans faire voler d’un geste impérial les frontières artificielles malencontreusement mises en place par l’académisme réducteur. Dans la même dynamique que ses contradicteurs – mais jamais ennemis- comme Senghor et Cheikh Anta Diop, il milite pour l’interdisciplinarité. Comme eux, il taquine avec bonheur la théorie de la connaissance, en allant parfois beaucoup plus loin que les philosophes de formation ».
Dans cette quête du savoir, parallèlement à la détermination de plonger dans la lecture, l’esprit crique apparait comme un atout incontournable. Il en était d’autant plus conscient qu’il était persuadé que la configuration des sociétés africaines n’a pas toujours encouragé l’esprit de libre examen et que l’hégémonisme est prêt à nous servir toutes les camelotes « gnoséologiques » pour se perpétuer. Sous ce rapport, il a la même préoccupation que le philosophe camerounais Marcien Towa qui aurait commis « le crime » d’’avoir affirmé que l’Europe a vaincu l’Afrique par le … savoir.
Tel est aussi l’esprit qui a animé l’illustre Cheikh Anta Diop quand il mettait en demeure les Africains de s’armer de sciences jusqu’aux-aux dents ! C’est au nom de cette exigence militante qu’il a développé l’esprit critique à un degré tel que, pour parler comme Pr Abdoulaye Elimne Kane, l’on avait l’impression qu’il agaçait. Et comme pour reprendre le concept au bond, Lilian Kesteloot renchérit parce qu’il avait surtout « horreur du mimétisme, des excès de louange ».
Et nous avons tous en mémoire, sans doute aujourd’hui plus qu’hier, cette sérieuse mise en garde de l’auteur des Damnés de la terre : « L’Afrique peut tout réussir à condition de ne pas singer l’Europe.» Ce souci permanent de nous inviter à rester en éveil, avec une rigueur qui lui fait courir le risque d’être pris pour quelqu’un qui nous empêche de tourner rond, a inspiré à Mamoussé Diagne cette comparaison de notre compatriote avec Socrate : «Non pas, écrit-il dans son hommage., une référence doctrinale, mais une attitude intellectuelle, une «fonction» : celle de nous plonger dans l’embarras face à nos «vérités» furtives, de nous rendre à chaque moment moins assurés dans nos certitudes, moins douillettement installés dans nos somnolences. Dès qu’on le croisait dans une discussion, surgissait insidieusement la question : «Et si je n’avais pas raison ?» «Moins assurés dans nos certitudes, moins douillettement installés dans nos somnolences» ?
Comme si cet hommage était écrit aujourd’hui, confrontés que nous sommes nous tous, aux effets ravageurs du coronavirus ! Mais, ce contexte des plus singuliers, qui donne fraicheur à l’hommage du philosophe Mamoussé Diagne, atteste aussi, par ricochet, de la légitimité, de la pérennité et de la pertinence du combat mené, du lycée à son lit de malade, par Amady Aly Dieng : faire prévaloir, en tout temps et en tout lieu, l’esprit de libre examen ! Aussi le corona virus, en nous obligeant à décliner notre affection et nos compassions selon d’autres modalités, n’a pu en aucune manière nous empêcher de rendre hommage à Amady Aly Dieng.
Au contraire, par un confinement des plus féconds, nous allons, dans la solitude de nos demeures, dans un même élan, avec sa famille, ses amis et ses lecteurs commémorer l’an 5 de son rappel à Dieu.
Confinement extrêmement favorable à la relecture non seulement de ses propres livres, mais des ouvrages qui lui ont été consacrés dont notamment les deux d’Abdourahmane Ngaidé. Bien plus, nous penserons aussi à ceux qui, hier seulement, étaient avec nous pour nous évertuer ensemble, dans la même ferveur intellectuelle, à rester dans la réflexion Nous pensons notamment aux Professeurs Aminata Diaw Cissé, Lilian Kesteloot et Boubacar Ly.
Puissions-nous avoir assez d’énergie pour protéger nos mémoires si éprouvées contre l’oubli. En nous rappelant d’eux, nous n’aurions pas seulement été reconnaissants, nous nous aurions aussi prouvé que nous sommes déterminés à relever le défi fondamental que nous avons eu en partage avec nos disparus : rester dans la réflexion !
* PRÉSIDENT DE LA SECTION SÉNÉGALAISE DE LA COMMUNAUTÉ AFRICAINE DE CULTURE (CACSEN)
SUITE DE LA NOUVELLE INÉDITE DE BOUBACAR BORIS DIOP
COMME UN DÎNER D’ADIEU (2/4)
EXCLUSIF SENEPLUS - De l’avis de Dembo, contrairement à une idée répandue, les réseaux sociaux servaient bien plus les desseins de groupes tapis dans l’ombre que le désir de liberté de Monsieur-Tout-Le-Monde
Boubacar Boris Diop de SenePlus |
Publication 14/05/2020
Alors qu’il ne prenait presque jamais l’initiative d’une conversation avec un inconnu, il eut une envie irrépressible de dire quelque chose au taximan. Faisant fi de son air maussade, il lui lança en se trémoussant sur son siège : « Ho là là ! C’est quoi, ce qu’ils racontent à la radio ? Ils sont complètement mabouls, ces types ! » Tout le monde parle ainsi, par prudence, dans de telles circonstances. Une petite phrase munie d’un parachute, consensuelle mais bien énigmatique, à y regarder de plus près. L’autre lui jeta un rapide regard dans le rétroviseur puis fit comme s’il ne l’avait pas entendu. Le taximan était, comme on dit là-bas, un jeune « issu de la diversité ». Cette façon bien entortillée de ne pas savoir quoi dire des gens, dans quel cagibi coincer leur âme, avait toujours amusé Dembo. Il sourit intérieurement : « Leur société est assez compliquée, quand même, mais faut pas se moquer, j’imagine que tout ça, des racines qui poussent de partout, sauvagement en somme, ça ne doit pas être facile à vivre tous les jours. » D’ailleurs, n’avait-il pas secrètement cru, lui-même, que du seul fait de leur histoire plus ou moins commune le chauffeur de taxi et lui ne pouvaient que fraterniser, surtout en une occasion pareille ? Qu’ils allaient, après avoir déploré le carnage (‘’Wallaay, mon frère tu as raison, çan’est pas bien de verser comme çale sang des innocents, chez nous la vie humaine est sacrée même s’ils passent tout leur temps à nous traiter de barbares !’’) dériver peu à peu vers des propos moins consensuels (‘’Paix à leur âme mais ils l’ont bien cherché, ces provocateurs, par Allah, la vérité ne peut pas être le mensonge !’’) Dembo voyait bien le gars pronostiquer avec gourmandise de nouveaux carnages (‘‘Et c’est pas fini, mon frère, wallaay c’est pas fini, je les connais ces jeunes !’) avant de se lâcher enfin complètement (‘’Que voulez-vous, mon cher cousin ? Quand tu colonises et quand tu tues pendant des siècles, il y a le boomerang après, boum, c’est scientifique, ça !’’)
Mais avec ce taximan-là, rien ne se passa comme espéré. Dembo et son compagnon de voyage furent bien plus près d’en venir aux mains que de se défouler gaiement sur les colonialistes de tous poils. Rue Mélusine, le type ne daigna même pas l’aider à poser ses deux caisses de livres sur le trottoir. Pour se venger, Dembo ne lui donna pas de pourboire et s’engouffra dans l’hôtel en laissant volontairement ouverte la portière de la voiture. De la réception, il entendit le chauffeur la faire claquer violemment, en le traitant sans doute de fils de pute. Tout cela était bien puéril mais ce n’était pas la première fois que Dembo Diatta se comportait de façon aussi stupide à Paris. Cette ville avait le don de le mettre hors de lui pour un oui ou un non.
Le hall du Galileo était silencieux. Ce n’était pas un de ces hôtels où des employés stylés et alertes, parfois plus raffinés que leurs clients, vont et viennent, s’emparent prestement de vos valises et vous dirigent vers quelque collègue à l’affût derrière son comptoir. Au Galileo, au contraire, on ignorait le client, supposé savoir quand même se débrouiller tout seul, comme un grand, et en quelque sorte puni de ne pouvoir se payer un hôtel moins merdique.
Aussitôt étendu sur le lit, il fit le tour de ses chaînes de télé favorites. Toutes passaient en boucle l’image du policier Ahmet Merabet exécuté en pleine rue. Elles insistaient aussi, curieusement, sur le fait suivant : le tueur ne s’était même pas arrêté. Un brave père de famille tué d’une balle dans la tête, juste comme ça, en passant. Chaque fois qu’il revoyait la scène, Dembo Diatta, troublé par le geste absurde de la victime implorant la pitié de son bourreau, se demandait ce qui peut bien se bousculer dans la tête d’un être humain à la seconde même où il sait que pour lui tout va brutalement s’arrêter. C’était à la fois trop dur et trop con, tout cela.
Et puis il y avait dans toutes les émissions spéciales ces intellos aux airs importants qui défilaient pour analyser, fustiger, témoigner, rendre hommage, menacer, etc.
Tous ces énergumènes étaient payés pour parler et ils le faisaient à tort et à travers, jusqu'à l’écœurement. La vox populi médiatique, en somme. Et les autres, les citoyens ordinaires ? Eh bien, ils écoutaient et les âneries qu’ils entendaient allaient se transformer peu à peu dans leur cerveau, selon un implacable et mystérieux processus, en opinions fermes et claires, hardiment assumées. Aussitôt après s’être dit cela, Dembo Diatta, toujours scrupuleux, se rectifia : « Non, pas tous, bien sûr. Mais bien l’immense majorité du bon peuple…» Le visage fermé du jeune taximan remonta à sa mémoire et il eut un brusque geste d’irritation. Au cours de ses années d’errance de par le monde, d’un colloque à Amsterdam sur le théâtre africain à un atelier sur les techniques du mime au Kenya, il n’en finissait pas de boitiller sous le poids de mesquines querelles, bien souvent avec des inconnus simplement incapables de supporter la couleur de sa peau. Cette histoire avec le taximan était une nouvelle bataille de perdue et il aurait bien voulu retrouver le bonhomme pour lui apprendre à vivre. Mais pouvait-il lui reprocher son refus obstiné d’ouvrir la bouche ? Le grand trou de silence au cœur de la ville, ce mélancolique jeune homme ne l’avait tout de même pas creusé tout seul.
La liberté d’expression, c’est bien beau, mais à quoi ça sert, vraiment, quand personne n’a juste rien à dire ? Dembo Diatta comprenait bien que dans des situations aussi complexes chacun finisse, pour le repos de son esprit, par s’en remettre à la nouvelle race de griots, détenteurs de la parole vraie et seule source du savoir. Et ces derniers disaient sur un ton posé, qui cachait mal une sourde colère, que quelque chose de colossal était en route et qu’il fallait hélas s’y préparer. La survie de la nation. Le legs des ancêtres. ‘’Oui, ça peut paraître ringard et je suis le premier surpris par mes propres mots mais l’heure est grave, ne perdons pas du temps à finasser !’’ Nos valeurs sacrées. Nous autres, l’ultime refuge de l’Esprit humain : osons enfin le dire, c’est si évident, ne soyons pas hypocrites. De tels propos, souvent entendus bien avant cette affaire, lui avaient toujours fait peur. Et si c’étaient là les petits accès de rage et de folie menant tout droit, le cœur en fête, aux grandes boucheries de l’histoire humaine ? « Il y a quelque part, songea Dembo, des types puissants pour qui nous les êtres vivants ne sommes que des lignes fines et sombres virevoltant et se croisant à l’infini sur un globe lumineux. Que l’heure vienne, pour les Maitres occultes du monde, d’éliminer ces p’tites choses-là, les humains, ils le feront sans même y penser, comme un prof efface du tableau noir sa leçon de la veille. Et ces fous au cœur froid, leur pouvoir est devenu quasi illimité grâce à la science. » De l’avis de Dembo, contrairement à une idée répandue, les nouvelles technologies de la communication, et en particulier les réseaux sociaux, servaient bien plus les desseins des Etats et de groupes violents tapis dans l’ombre que le désir de liberté de Monsieur-Tout-Le-Monde. Rien de tel, pour ferrer ce dernier, qu’une avalanche d’informations se succédant à un rythme d’enfer ! A-t-il du mal à savoir quoi en faire ? Peu importe. On va s’en charger pour lui. Quelle officine avait, par exemple, concocté le slogan Je suis Charlie ? Il s’étalait partout, du haut en bas des immeubles parisiens et jusque sur les panneaux lumineux le long des autoroutes. Pour Dembo, il y avait quelque chose de bizarre dans cette façon de déclarer en se frappant la poitrine comme un gamin : moi, je suis quelqu’un de bien, je veux d’un monde où personne ne sera jeté en prison pour un article de presse ni immolé en combinaison orange-Guantanamo dans une cage en fer.
Par association d’idées, Dembo Diatta se souvint d’avoir lu au « Musée de l’Holocauste » à Washington le mot d’un poète allemand : « Celui qui commence à brûler des livres finira tôt ou tard par brûler des êtres humains. » Ce n’était peut-être pas la phrase exacte de Heinrich Heine mais c’était bien le sens de ses propos. Et il savait bien que les tueurs de ce 7 janvier et leurs lointains inspirateurs détestaient plus que tout le théâtre, sa raison de vivre à lui, Dembo Diatta. En plus de tout cela, il continuait à se sentir en complicité intellectuelle avec au moins deux de leurs victimes. La mort brutale, le matin même, de Cabu et Wolinski, c’était comme une affaire personnelle, en tragique résonance avec sa mémoire et sa jeunesse estudiantine, presque comme le décès de proches.
Retrouvez la suite de cette fiction inédite de notre éditorialiste, Boubacar Boris Diop, sur SenePlus, vendredi prochain.
par l'éditorialiste de seneplus, Félix Atchadé
SAHEL, MACRON GARDE LE CAP SUR LE DÉSASTRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Comme une évidence, la seule réponse militaire est un échec - Il ne suffit pas de signer des traités laissant à l’armée française toute latitude d'occuper le terrain, pour sortir la sous-région du guêpier
Félix Atchadé de SenePlus |
Publication 14/05/2020
La crise née de la pandémie de Covid-19 n’a pas entamé les certitudes et la vision toute militaire et sécuritaire de la politique sahélienne d’Emmanuel Macron. Selon ses conseillers diplomatiques, il « garde » le cap. Que les évènements l’obligent à reporter le sommet Afrique-France prévu initialement à Bordeaux du 4 au 6 juin 2020 à l’année prochaine ou que la saison Africa 2020 soit décalée de plusieurs mois n’y change rien. Dans l’agenda élyséen, le report du sommet G 5 de Nouakchott des 29 et 30 juin 2020 n’est pas envisagé. Dans quelques semaines, Emmanuel Macron devrait retrouver ses homologues de Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad pour dresser le bilan du sommet de Pau du 13 janvier dernier et annoncer le maintien de l’opération militaire Barkhane.
Sur le terrain, malgré les effectifs des forces françaises qui sont récemment passés de 4 500 à 5 100 militaires, la situation reste préoccupante. Les groupes djihadistes multiplient les attaques. En moins d’une semaine, deux légionnaires français sont morts à la suite de combats dans la zone transfrontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina. Au Mali, après l’opposant Soumaïla Cissé otage d’un groupe djihadiste depuis le 25 mars, le préfet de Gourma-Rharous a été enlevé le 2 mai par des hommes armés alors qu’il regagnait son poste en voiture depuis Tombouctou.
En 2019, selon l’Organisation des Nations unies, les violences djihadistes et les conflits connexes ont fait 4 000 morts au Mali, au Niger et au Burkina Faso, cinq fois plus qu’en 2016, malgré la présence de forces africaines, onusiennes et françaises. Depuis 2013, date de l’opération Serval, 44 militaires français ont trouvé la mort dans la région. Des centaines de militaires maliens et de la Mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma) ainsi que des milliers de civils ont subi le même sort.
Au Burkina Faso, la violence armée a poussé près d’un demi-million de personnes à prendre la fuite pour trouver refuge ailleurs dans le pays. Aujourd’hui, au Burkina Faso, au Mali et au Niger, plus de cinq millions de personnes dépendent entièrement de l’assistance humanitaire. Ce sont des centaines de milliers de familles qui ont tout perdu en fuyant les violences.
Le Sahel reste sous la menace d’une déstabilisation lente et diffuse. Le scénario que l’on pouvait redouter au lendemain de l’intervention militaire française au Mali se déroule dangereusement. La primauté de l’action militaire, avec un mélange des genres entre Barkhane (antiterrorisme), G5 Sahel et Minusma (Maintien de la paix des Nations unies), sur des objectifs non explicités masque l’absence de réponse politique. « Pour se prémunir autant que possible contre le risque de rejet de la présence militaire étrangère, il faut aussi mener des projets de développement », déclarait il y a quelques mois, la ministre de la défense, Florence Parly, auditionnée par le Sénat. Elle ajoutait qu’à cet égard, « nous souhaitons articuler de manière plus efficace l’action de Barkhane et les actions de l’Agence française de développement, pour que le rétablissement de la sécurité bénéficie directement aux populations. C’est ainsi que la présence militaire sera mieux tolérée ». L’aide au développement est conçue comme un instrument complémentaire, destiné à faire accepter une présence militaire étrangère.
Comme une évidence, la seule réponse militaire est un échec. D’autant qu’elle est orchestrée de la part d’un État français qui n’a eu de cesse de jouer au pompier pyromane depuis les années 60 aux quatre coins du continent africain. Il ne suffit pas de signer des traités laissant à l’armée française toute latitude pour aller et venir et occuper le terrain, pour sortir la sous-région du guêpier. Les solutions sont ailleurs, dans la réponse aux immenses défis sociaux, économiques, environnementaux, pour donner des perspectives et une place aux Sahéliens, singulièrement aux jeunes.
COVID-19 IN WEST AFRICA : CREDIBLE INFORMATION AS A VACCINE AGAINST MISINFORMATION ?
Public service announcements must focus on making citizens accept that the illness is a reality, giving them the knowledge to prevent and treat the infection and debunking myths and fake stories which impact the effectiveness of the response
During the social media age information spreads faster than any virus and there seems to be no vaccine against misinformation. As governments struggle to contain COVID19, public service announcements and communication must focus on making citizens accept that the illness is a reality, giving them the knowledge to prevent and treat the infection and debunking myths and fake stories which impact the effectiveness of the response. This could save many lives.
There is fertile ground for fake stories about Corona to thrive
If there is a thin line between love and hate, there is an even thinner line between fake news and reality, especially on social media. Along with the COVID-19 pandemic, the infodemic the World Health Organization (WHO) warned the world about is spreading across West Africa. “Coronavirus does not exist”. “Bananas cure Coronavirus”. “Coronavirus is a conspiracy”. “Coronavirus was sent by God to punish humankind”. Why does misinformation thrive?
While lockdown-induced mischief cannot be ruled out, there are other reasons fake news and misinformation thrives: low trust, information asymmetry, a culture of weaponizing information, life experiences, cultural beliefs, myths and fragile social cohesion. This combination creates a fertile ground for fake stories which speak to the truth in people’s lives and fills the gaps in information required to manage the anxieties and realities of COVID19. As governments struggle to contain the pandemic, there are at least three areas where public service announcements and communication must focus.
Many still doubt the existence of coronavirus and struggle to believe that they can be affected by a virus which started in China
Many still doubt the existence of coronavirus and struggle to believe that they can be affected by a virus which started in China when they have not travelled there. This is where the 5G , Bill Gates and other source conspiracy theories thrive and prominent figures have inflamed the chorus with public claims that, "coronavirus is pure invention". Fake news of conspiracies against Africans and Muslims is too close to the reality of botched vaccine trials in northern Nigeria and two European scientists proposing that coronavirus vaccine trials start in Africa. It plays on fears that are not unfounded.
Senegal and Kenya have acknowledged the threat that fake news poses to successful management of the pandemic and, as a deterrence, will fine anyone disseminating false information. A good start but not enough because lies spread faster than rebuttals.
It is only a matter of time before the tensions of the lockdown will lead to blaming 'others'
When the lines between reality, prejudice and fears intersect, it makes for fake stories that are hard to debunk. The internet is rich with conspiracy theories popular with the well and less educated, about attempts by the West to control African demography. It becomes easy to feed President Macron’s statements about Africa’s population growth into the conspiracies about vaccines being a means to control population growth.
Sometimes, underlying tensions are brought to the surface, fueled by misinformation. In Senegal divisions between people who stay home and Senegalese migrants rose with the spread of the pandemic as migrants and their families were blamed and stigmatized for bringing the foreign disease back to Africa. Suddenly, those previously praised for foreign exchange remittances were threats to their country and unpatriotic. In Nigeria, a video about the burial of President Buhari’s Chief of Staff was alleged to have been doctored to implicate and raise tensions between those from the north where the president and his chief of staff are from and the rest of the country.
It is only a matter of time before the tensions of the lockdown, exacerbated by hunger, will lead to blaming ‘others’ which historical narratives have encouraged us to be suspicious of. New scapegoats will be identified especially amongst coronavirus survivors of which there will be many as the global recovery rate is 80 percent . A community in Cote d’Ivoire was projecting when they dismantled a testing center for fears that it would bring the infected to their neighborhoods, not seeing that the center would also serve them.
Governments public service announcements must begin to proactively address stigmatization and prejudices to manage the powerlessness that millions are facing with the COVID-19 fueled uncertainties. One antidote for a low trust society is more communication and transparency.
People want to know how to prevent infection and how to treat it
People want to know how to prevent infection and how to treat it and the information gap is being filled with charlatans and innocents trying to be helpful. This information is crucial and in multilingual countries where many cannot read in the official language of government communication i.e., Portuguese, French and English, communication needs to be creative, in multiple languages and across the most popular platforms for different audiences.
During the Ebola crisis, SMS and WhatsApp messages in Nigeria ignited a rush to pre-dawn drinking and bathing in salty water to prevent infection. Today, the WhatsApp coronavirus prevention advice from marabouts and experts include drinking hot water every 2 hours, drinking hot beverages made of neem leaves and rubbing one’s nose with shea butter. Some of this communication looks official and often the only clue that it is not, is the generous sprinkling of typos which not many will pick up on. It has not helped that President Alpha Conde of Guinea, proclaimed in a video that drinking hot water and rubbing menthol on one’s nose helps keep the virus away or that President Trump, popular with some West Africans, endorsed chloroquine as a treatment.
It is the responsibility of government to not add to this flood in a mindless, faceless fashion.
There are estimates that the use of social media has increased by 40 per cent during the pandemic and Whatsapp has for years, led as the most popular app for communicating in Africa. More people online and on these platforms, means more people being exposed to fake news and misinformation .
One disadvantage of a pandemic during the social media age is that information spreads faster than any virus and there is no vaccine against misinformation. It is the responsibility of government to not add to the flood of information in a mindless, faceless fashion. One option is to provide free airtime and credible information to those with influence, to speak to their communities through radio, television, Instagram live and videos so that trusted voices are constantly sharing what is true and useful. Another is to continue to collaborate with the media to fund fact checking .
As a few West African countries such as Ghana and Nigeria begin to relax lockdown rules, governments, the media and civil society must intensify communications aimed at sharing factual information on coronavirus prevention and cure; building and keeping trust; and defusing existing and new prejudices. The right communication tailored for multiple audiences could be the difference between life and death.
Hawa Ba & Ayisha Osori work with the Open Society Initiative West Africa
par Amadou Tidiane Wone
AMALGAMES DANGEREUX
La foi des gens n’est pas le sujet. Ni la pratique des uns et des autres. Il s’agit d’un risque sanitaire planétaire dont nous devons tous nous protéger. Laisser les surenchères religieuses ou confrériques s’installer dans le débat, c’est le fausser
Depuis le début de la pandémie au Sénégal, un malentendu s’est installé et s’inscrit dans la durée : il s’agit de la centralité de la question des lieux de culte dans un sujet qui relève exclusivement du domaine de la santé publique. A force, chaque groupe religieux ou confrérique se croit obligé de se prononcer sur des questions ne relevant pas de sa compétence. Soyons plus clair : la problématique de la lutte contre la pandémie du covid’19 repose sur la nécessité de circonscrire la propagation du virus afin de l’éradiquer. Pour ce faire, l’expérience éprouvée repose essentiellement sur le confinement. En conséquence, toutes sortes de lieux d’affluence et de promiscuité doivent être prohibés en attendant la disparition totale du virus. Les textes de loi n’avaient besoin de citer des lieux spécifiques. Il suffisait de viser l’affluence et la promiscuité quitte à préciser le nombre de personnes admissibles dans un lieu donné et à quelles conditions. Cela aurait évité les susceptibilités que l’on note çà et là.
Le sujet n’est donc pas d’ordre religieux. Il est d’ordre public !
Dans ce contexte, il est pour le moins étrange que le débat au Sénégal se déporte au plan religieux ou confrérique. Le virus n’est pas programmé en fonction de la religion ou de la confrérie. Le risque de le rencontrer ne dépend pas du fait que l’on aille à l’église ou à la mosquée. Par contre, on peut l’attraper ailleurs et aller contaminer ceux qui étaient sagement en prières. C’est pour éviter toutes ces probabilités incontrôlables que chacun doit appliquer la maxime : « l’homme est le gardien de son frère ». Il est pourtant simple de faire entendre à tout le monde cette raison. La foi des gens n’est pas le sujet. Ni la pratique des uns et des autres. Il s’agit d’un risque sanitaire planétaire dont nous devons tous nous protéger. Laisser les surenchères religieuses ou confrériques s’installer dans le débat c’est le fausser. Il faut se ressaisir. En matière de santé tout court, chacun va consulter son médecin. Parce qu’il a été formé pour cela. On lui fait confiance. Pourquoi lorsqu’il s’agit de santé publique on ne s’en remet pas à ceux dont les savoirs sont avérés en la matière ?
Pour dire qu’il faut rester lucides. Nous sommes tous stressés. C’est un fait. Mais il y a des moments où un surplus de lucidité est nécessaire. Surtout face à une situation inédite dont on ne sait pas encore l’issue.
Je suis de ceux qui ne partagent pas l’esprit des dernières mesures prises par le chef de l’Etat. Mais je prie pour que les résultats attendus aillent dans le sens de la préservation de plusieurs vies humaines. Sans être un spécialiste, mais en observateur attentif de tout ce qui se passe à travers le monde, j’avoue que je suis très préoccupé. Et pour cette raison, je pense qu’il faut assainir le débat public des amalgames dangereux qui pourraient servir de détonateur en cas de situation incontrôlable.
Donc et pour ma petite part, je respecte les gestes barrières. Je limite mes déplacements au strict minimum. Pour retourner à la mosquée, j’attendrai que les responsables de la Santé publique de mon pays donnent le signal. Car c’est la responsabilité que Dieu a mis entre leurs mains. Ils en seront redevables. Qu’ils l’assument donc sans faiblesse.
En attendant, je prie le Seigneur Allah Tout-Puissant dont La Miséricorde s’étend sur tout, de nous délivrer tous de cette épreuve, peuple du Sénégal et hôtes étrangers qui vivent parmi nous, sans distinction religieuse, confrérique, raciale, sociale ou autre. Le virus ne connaît pas ça. C’est le lieu de se dire : nous sommes tous dans la même galère !
Par Diouldé BOIRO
COVID 19 OU LE COUVRE FEU DE LA VIE CONTRE LA MORT
De tout le temps, la relation trilogique entre la vie que certains symbolisent par le corps, la raison ou conscience et la foi a divisé les hommes et les peuples.
De tout le temps, la relation trilogique entre la vie que certains symbolisent par le corps, la raison ou conscience et la foi a divisé les hommes et les peuples. Si certains ont soutenu la prééminence de l’intellect et du spirituel sur le biologique, d’autres ont toujours estimé que la raison et la foi ne sont que des instruments du corps.
L’avènement du covid 19 avec son lot de conséquences réactualise ce débat ancien d’une haute facture philosophique. À travers, les mesures de restriction prises par les gouvernements, suites aux protestations, aux résistances ou simplement aux interrogations que ces mesures ont suscitées, le sujet ressurgit avec acuité sous cette problématique : peut-on légitimement décréter un couvre-feu qui exige de compromettre l’économie, de suspendre notre liberté, de fermer les écoles et même les lieux de culte ? Ce confinement sectoriel qui suit un ordre de priorité peut-il légitimement placer l’éducation et l’économie devant la religion? Pour bien investir cette problématique il faut en soulever d’autres questions : d’où nous viennent la vie spirituelle et intellectuelle ? La vie n’est-elle pas la condition sine qua non de la liberté de la morale et de la religion ? L’éducation et l’économie ne sont-elles pas les deux mamelles qui fondent en priorité la vie ? Cependant, donner la priorité à la vie exclut-il à ce point la raison, la bonne gouvernance et la transparence?
La réponse à toutes ces questions exige de nous d’abord un rappel historique des différentes conceptions que l’homme s’est faites de lui-même et en lui, des relations entre corps, foi et raison. Ensuite montrer la place privilégiée du biologique sur le spirituel dans la vie. Et enfin voir pourquoi la nécessité de vivre n’exclut pas la volonté de bien vivre chez l’homme. Depuis l’antiquité grecque, la réflexion notamment philosophique a présenté l’homme comme un être d’esprit de raison et de conscience. La partie vivante à savoir le biologique ou le corporel a soit été négligé soit subordonné au spirituel et à l’intellectuel. Aussi cette prétention se retrouve dans la pensée moderne. Chez Descartes, au début de la modernité on réduit l’homme à la pensée consciente et on a fait du spirituel métaphysique le garant de la connaissance.
La métaphysique disait-il c’est les racines de l’arbre du savoir. Avec des penseurs comme Hegel la raison, la conscience, l’intellect, vont incomparablement prendre le dessus sur le vivant corporel. Les mesures de restriction partout adoptées sont nécessaires et légitimes Cependant, avec les avancées de la connaissance dues à cette foi en la raison, on s’aperçut qu’à l’arrière fond de la raison, de la conscience et de la foi, il y a la vie, le corporel, le biologique bref l’inconscient.
Dans son ouvrage intitulé Le monde comme volonté et comme représentation, Arthur Schopenhauer enseigna que toute notre vie psychique consciente découle de notre volonté première, mais devenue inconsciente de vivre. Dans la même lancée, ceux qu’il est convenu d’appeler les philosophes du soupçon à savoir Marx, Nietzsche et Freud démontrent le caractère vaniteux, illusoire et subordonné de la raison consciente vis à vis du vivant. Edgard Morin, semble-t-il, part de ce constat pour soutenir que même nos activités spirituelles sont encore des expressions vivantes de notre nature biologique.
D’ailleurs pour Marx, on le sait, la réponse est sans ambages: Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, mais c’est leur existence qui détermine leur conscience. En termes moins philosophiques et pour revenir à l’actualité de la lutte contre le covid 19 nous pouvons affirmer que nous assistons au couvre-feu imposé par la vie à la raison et à la foi. Si nous avons suspendu la loi qui est le condensé de la raison, si nous avons déserté au moins temporairement les lieux de culte, c’est bien la preuve de la prééminence de la vie sur la belle vie, sur la liberté et même sur la foi religieuse.
Pour vivre la liberté, la spiritualité il faut nécessairement d’abord la vivre. Voilà pourquoi lorsque sa vie est menacée, le vivant quelconque adopte des mesures conservatoires qui peuvent heurter ou au pire radicalement s’opposer aux besoins spirituels ou aux exigences rationnelles. La tendance à l’autoconservation est d’ailleurs ce qui avait fait penser Hobbes que l’homme est naturellement méchants.
Tout cela, tend à démontrer que les gouvernements qui ont la charge d’assurer la sécurité en luttant pour la préservation de la vie, ont légitimement le droit voire le devoir de prendre toute les mesures nécessaires pour faire face à la pandémie. Ces mesures sont par essence au-delà du rationnel et du spirituel. Elles relèvent à la limite de l’instinctif. De même dans l’ordre de priorités l’éducation et l’économie reprennent leur place et leur signification. C’est par l’éducation que la société humaine apprend acquiert perfectionne et transmet tous les moyens d’autoconservation. Sous ce rapport on voit la crainte pour l’effondrement de l’économie car c’est par la matière que l’esprit prend sa forme objective. Sans l’économie l’éducation et la santé autres secteurs prioritaires sont compromises.
Cependant force est de noter que l’absoluité de ce droit n’autorise pas la dictature, ni le tout économique. Si la nécessité de maintenir la vie en état peut légitimement autoriser l’Etat à s’arroger des droits exceptionnels, le devoir de légalité lui incombe de respecter les institutions. Les principes d’efficacité et d’économies doivent guider les mesures. En effet, la vie précède la liberté chez l’homme comme chez tous les vivants. La différence en que pour l’homme la vie est inséparable de la liberté. Un penseur comme rousseau ira même jusqu’à soutenir que renoncer à sa liberté revient à renoncer à sa dignité d’homme. D’autres, part négliger la certaines vies sous prétexte de préserver le niveau économique est aussi insensé. Sauver l’humanité ne nécessite pas le luxe les moyens exorbitants. Sauver l’humanité c’est drastiquement réduire les déséquilibres voire remettre les compteurs économiques à zéro.
Par ailleurs, le fanatisme religieux aveugle n’a pas non plus sa place dans cette lutte de la vie contre la mort. En vérité, préparer sa mort c’est encore lutter pour la vie. Le monde a toujours semblé être divisé en deux camps comme le notait pierre Theilard de Chaldin. Il y’a, disait-il, le camp de ceux qui défendent ce monde et militent pour la vie et le camp de ceux qui luttent pour l’au-delà. Cette dichotomie est sans nul doute caricaturale. Dans le fond, tous les hommes luttent pour la vie et contre la mort. que ce soit réellement par les procédures scientifiques ou symboliquement par les prières. L’action humaine, quelle qu’elle soit tend toujours et en entier vers l’autoconservation.
Jean Paul Sartre n’a-t-il pas démontré que même dans le suicide, c’est encore la vie qui est visée. On met en gage la vie pour plus de vie, pour une meilleure vie. En conclusion nous pouvons retenir que dans la mesure où nous acceptons que ce soit à l’Etat d’assurer notre sécurité. Car, même en évoquant Dieu nous reconnaissons que dieu se sert des états, les mesures de restriction partout adoptées sont nécessaires et légitimes. Aussi dans la mesure où nous comprenons que les gouvernements sont de toute façon les plus informés, nous nous devons de respecter notre volonté que nous leur avons confiée en se conformant aux mesures édictées. Toutefois, nous devons veiller à ce que cette lutte n’en cache pas d’autres et qu’elle soit aussi flexible que possible.
Diouldé BOIRO,
professeur de philosophie au lycée Demba Diop/Mbour et membre du comité central du PIT/Sénégal
Par Seybani SOUGOU
TOUS LES DÉCRETS DE MACKY PROROGEANT L’ETAT D’URGENCE SONT ILLÉGAUX
« Aucune disposition juridique ne permet au président de proroger l’état d’urgence par décret. Il s’agit d’une compétence exclusive de l’assemblée nationale »
« Aucune disposition juridique ne permet au Président de proroger l’état d’urgence par décret. Il s’agit d’une compétence exclusive de l’assemblée nationale »
S’agissant de la proclamation de l’état d’urgence et sa prorogation, la Constitution sénégalaise établit une claire répartition des pouvoirs entre le président et l’assemblée nationale. Aux termes de l’alinéa 1 de l’article 69 de la Constitution, l’état d’urgence, est décrété par le Président de la république.
L’alinéa 2 de l’article 69 de la Constitution dispose que le décret proclamant l’état d’urgence cesse d’être en vigueur après 12 jours, à moins que l’Assemblée nationale, n’en ait autorisé la prorogation. La répartition des pouvoirs, établie par la Constitution est claire, nette et précise :
Le président dispose du pouvoir de proclamer l’état d’urgence (décret),
La prorogation de l’état d’urgence est une compétence exclusive de l’assemblée nationale (loi). Par Décret n° 2020-830 en date du 23 mars 2020, Macky Sall a proclamé l’état d’urgence sur le territoire national, pour une durée de 12 jours.
Pour proroger l’état d’urgence, Macky Sall a saisi l’assemblée nationale, conformément à l’alinéa 2 de l’article 69 de la Constitution.
Le 01 avril 2020, l’assemblée nationale a adopté la loi d’habilitation, autorisant la prorogation de l’état d’urgence pour une durée de 3 mois. L’article 4 de la loi d’habilitation dispose « qu’il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret avant l’expiration du délai fixé par la loi prorogeant l’état d’urgence ».
Au titre du pouvoir réglementaire, le président peut prendre 2 décrets dans le cadre de l’état d’urgence : un décret pour proclamer l’état d’urgence (alinéa 1 de l’article 69 de la Constitution) et un décret pour y mettre fin de manière anticipée (article 23 de la loi 69-09 du 29 avril 1969).
D’ailleurs, l’article 4 de la loi d’habilitation adoptée le 01 avril 2020 précise que le président peut prendre un décret pour « mettre fin à l’état d’urgence par décret avant l’expiration du délai fixé par la loi ». C’est clair, net et précis : lorsque le président prend un décret, suite à une prorogation de l’état d’urgence autorisée par la loi, c’est uniquement pour y mettre fin.
Le président ne peut jamais, par décret, proroger l’état d’urgence puisque la loi adoptée par l’assemblée le 01 avril a déjà prorogé l’état d’urgence en fixant une durée (3 mois au maximum). Au Sénégal, aucune disposition juridique ne permet au président de proroger l’état d’urgence par décret (aucun texte ne le prévoit).
Macky Sall ne dispose pas du pouvoir réglementaire de proroger l’état d’urgence, même pour 1 journée (ce décret relève du banditisme juridique).
En conséquence, le décret n° 2020-925 du 3 avril 2020 prorogeant l’état d’urgence pour 1 mois ainsi que le décret du 02 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence jusqu’au 02 juin 2020 sont totalement illégaux. Aucun décret ne peut porter la mention « prorogeant l’état d’urgence ».
La prorogation de l’état d’urgence est une compétence exclusive de l’assemblée nationale.
Par Calame
IL ETAIT UNE FOI : LE «MONEYTHEISME»
C’est un moment d’urgence sanitaire mondiale dans lequel nous a plongé un virus mystérieux, voyageur sans papier, fiché partout, mais qui a fait le tour du monde, immigré clandestin ayant plus que le don d’ubiquité.
La période que nous vivons depuis le mois de mars est absolument inédite. C’est un moment d’urgence sanitaire mondiale dans lequel nous a plongé un virus mystérieux, voyageur sans papier, fiché partout, mais qui a fait le tour du monde, immigré clandestin ayant plus que le don d’ubiquité.
Face à cette situation, la classe politique, celle au pouvoir comme celle de l’opposition, dont le seul horizon est la prochaine élection, s’est retrouvée projetée sur un terrain qu’il fallait éclairer. Et puisque la « déclaration de guerre » avait été annoncée dans un discours aux intonations martiales, il fallait demander conseil aux experts.
De la même manière qu’il sollicite l’avis des stratèges militaires, en période de guerre et/ou de crise, c’est au Président de la République, Chef des Armées, à qui revient la décision finale de signer, un traité de paix, un armistice ou une reddition. Une décision, finalement politique. Le hic, est que l’ennemi est sournois, inconnu, invisible.
Sur le terrain du Covid-19, les connaissances des experts, virologues, immunologistes, infectiologues, épidémiologistes, anesthésistes-réanimateurs, (qui au passage ne se sont pas exprimé d’une même voix), de qui doivent venir les informations et les stratégies pour vaincre cet ennemi, ont fini de mettre le politique face à un dilemme : tout sanitaire ou réalité sociale?
Entre le spectacle du début de la crise au cours duquel l’exécutif a appelé à l’unité nationale, l'émotionnel pur et les discours convenus en pareilles circonstances, il n’a fallu que peu de temps pour que fusent les critiques sur la gestion du Covid-19, auxquelles des interventions officielles répondent pour tenter d’enrayer la défiance de plus en plus grande et de plus en plus audible de pans entiers de la société sénégalaise.
Le président de la République, en cette soirée du 11 mai 2020 a-t-il été submergé par le blues du dominant, pris en étau entre cités de Dieu et cités humaines, dans une société où les références à l’histoire, aux « traditions », aux valeurs « religieuses », très souvent cosmétiques, sont évoquées régulièrement ?
La décision d’un assouplissement des mesures prises ce jour-là aura-t-elle pour conséquence de terrasser cet ennemi à qui la guerre a été déclarée par l’intermédiaire de cohortes célestes, au profit d’hommes de bonne volonté, mais qui n’ont d’armes que du gel hydroalcoolique, des masques et une distanciation sociale imposée et qui plus est sont contraints, par décret, à une immobilité hiératique de 21 heures à 5 heures du matin ? Assurément cette crise va laisser des traces et obligera à de profonds changements.
Même s’il est arrivé dans l’arène sanitaire en faisant un consensus autour de lui, le président de la République, n’en était pas moins vierge de mauvaise humeur citoyenne et de toute suspicion démocratique. Son bagage de soldat était déjà chargé, qui pesait lourd dans l’appréciation du traitement de la guerre au Covid-19 par le cumul délétère à son détriment de l’hostilité d’hier et du doute d’aujourd’hui.
C’est ainsi donc qu’il est parti à la guerre avec son gouvernement, tous lestés d’un passif certain (système éducatif affaissé, système judiciaire mis au service d’intérêts particuliers, clientélisme et corruption), et d’une très grande méfiance dans la gestion du fonds de guerre, plus généralement de l’argent public.
En arithmétique, on dit que les soustractions s’additionnent. Covid-19 semble avoir jeté aux orties toutes les convenances et toutes les conventions d’une République laïque. La faillite de l’Etat, -bien antérieure à Covid 19, la non-réalisation de l’intégration sont-elles la cause structurelle de cette situation et l’absence d’un sentiment d’appartenance à une même Nation. Tout semble accréditer le fait que nous vivons dans un univers de fragments qui se constituent des ressources de toutes natures qu’ils mettent au service de leurs communautés, de leurs clans et/ou de leurs familles, quelles qu’elles soient. On aurait dit que ce pays se retourne sur lui-même pour s’engouffrer dans une zone où il n’y a pas/plus de bornes pour délimiter un espace où normes, droits, responsabilités, sanctions et récompenses n’ont pas/plus de signification.
Dans ce no man’s land, s’est installée une culture arc-boutée sur elle-même, réfractaire aux lois que la République s’est données et qui les enfreint elle-même allègrement, prête à mordre et à aboyer contre qui sourcille ou élève la voix. Cette culture est entretenue par l’argent, les honneurs et les biens, souvent mal acquis et les pressions plus ou moins fortes dont on est capable. L’argent et les biens matériels en sont le ciment, le motif et la motivation. Certains diront on est dans le moneytheisme, qui entretient les amitiés et les querelles, consolide les alliances ou entraine leur effondrement.
Les idées démocratiques dont on se gausse n’ont pas résolu le problème du partage équitable, comme celui -le dernier en date- de la distribution chaotique des vivres « remis » dans le cadre de «Force Covid-19 », qui sera suivi par l’hivernage s’installant bientôt, de celui des semences et des engrais. Dans l’un comme dans l’autre cas, il sera encore question de quotas, de rétrocommissions, de contrats non exécutés mais payés et de non reddition des comptes. Ces actes ont infiltré l’architecture des institutions, affaiblissent la République et engendrent un ras-le bol de tous ces hommes et femmes qui les posent, considérés comme des sangsues et/ou des mercenaires. Comme en temps de guerre.
Covid-19 qui a mis à nu les tares que nous traînons mais qu’on cache avec le petit doigt, nous appelle cependant à un redressement qui devient urgentissime, dans un moule Etat/Société qui établisse le fonctionnement cohérent d’abord, harmonieux ensuite d’une République, aux grands enjeux captivants sans être captifs.
Calame
par Madiambal Diagne
MACKY A PRIS LES RISQUES DU CHEF
L'ignorance et l’irresponsabilité de nombreuses élites constituent un handicap pour le développement du pays. L’attitude des populations durant cet épisode doit convaincre de faire de l’éducation une nécessité impérieuse
On ignore les circonstances ou les paramètres sur lesquels le Président Macky Sall a fondé ses décisions, annoncées le 11 mai 2020, allégeant le dispositif de prévention contre le Covid-19. L’exercice a pu être très délicat, au moment où la propagation de la pandémie s’est accélérée (le 11 mai 2020, le record journalier de 177 nouveaux tests positifs au Covid-19 a été révélé). Mais pour diverses raisons, on peut trouver l’allégement du dispositif approprié dans le contexte.
1. La létalité du Covid-19 est assez marginale au Sénégal
On peut observer que pour la période du 2 mars 2020 (date de recensement du premier cas de malade du Covid-19) au 11 mai 2020 (soit 71 jours), le Sénégal a enregistré un nombre de 19 personnes malheureusement décédées de la pandémie. Trois nouveaux décès se sont ajoutés à ce bilan deux jours après. Cela équivaudrait à un ratio de moins de 2 morts par semaine. L’extrapolation donnerait un nombre de morts sur l’année de l’ordre de 100 cas. Le scénario le plus pessimiste, la situation la plus catastrophique, si on en juge par les méthodes de projection utilisées par les experts sur les statistiques du Covid-19 à travers le monde, serait la multiplication des cas par 3. Cette situation catastrophe nous amènerait à un nombre total de 300 morts sur l’année. On conviendrait que c’est beaucoup car toute mort de personne constitue une catastrophe, un drame pour les familles, les proches et la société de façon générale. En effet, «rien ne vaut une vie», mais on ne perdra pas de vue qu’il y aura fatalement des morts de personnes tous les jours que Dieu fait. Il reste que les statistiques montrent que le taux de mortalité au Sénégal est de 7,9 pour 1000, soit quelque 118 mille morts par an, sur une population moyenne de 15 millions d’habitants. Chaque année on recense plus de 13 mille cas de tuberculose avec plus de 300 décès. Quelque 750 mille personnes souffrent annuellement du paludisme avec des centaines de morts. C’est dire que le Covid-19 tue beaucoup moins que les autres causes de décès. 3000 enfants meurent chaque année de pneumonie. On remarquera pour l’anecdote, que le taux d’homicides au Sénégal est de 3 morts pour 100 mille habitants, soit une moyenne annuelle de 450 morts par homicide. Ce bilan macabre dépasse largement les projections les plus sombres pour le Covid-19. On retiendra également que les accidents de la route provoquent plus de 600 morts par an au Sénégal. Pour autant, le Sénégal n’a pas empêché la circulation des véhicules et autres engins sur les routes, encore moins décrété un couvre-feu permanent pour empêcher d’éventuels homicides ou fermé les marchés et les lieux de culte pour barrer la route à la propagation de la tuberculose.
2. L’Etat a commis l’erreur de prendre des mesures dont il ne peut assurer l’observance
On peut comprendre qu’à l’arrivée de la pandémie au Sénégal, le gouvernement ne pouvait pas ne pas s’inscrire dans le sillage des autres pays infectés et a alors préconisé des mesures de restriction des déplacements des populations et de leurs activités sociales. La maladie étant toute nouvelle et la vitesse de sa propagation, stupéfiante. Aussi, le grand nombre de décès, provoqués dans les premiers pays touchés, a pris tout le monde de court, qu’aucun protocole de riposte n’est encore jugé suffisamment efficace. Il n’y avait pas de leçon apprise, il fallait faire comme tout le monde et adapter la situation, au fur et à mesure. La peur était légitime et la psychose s’est installée car, même s’il était annoncé que ce serait une seule personne qui devrait mourir du Covid-19, chacun voudrait éviter d’être cette victime ou de voir son proche succomber. Le gouvernement n’aurait-il pas pris de telles mesures qu’il ne serait pas excusable. Seulement, était-il très vite apparu que les populations violaient allègrement le dispositif du couvre-feu ou de l’interdiction de rassemblement dans des lieux de culte, sans pour autant que les forces de sécurité, préposées à la mission de veiller à son application, n’arrivassent à empêcher cela. Il demeure qu’a posteriori, on peut considérer que les autorités de l’Etat avaient fait une mauvaise évaluation de la situation (c’est le sort ingrat de tout gouvernement), pour prendre des mesures de police dont elles ne pouvaient pas garantir ou assurer le respect. On a observé des situations qui pourraient engendrer des drames et de graves périls. Des populations ont bravé les Forces de l’ordre pour ouvrir certains lieux de culte. Fallait-il faire usage de la force armée pour faire appliquer la mesure ? Sans doute pas, car le remède aurait été pire que le mal. L’Etat n’avait aucun intérêt à déclencher une escalade qui pouvait être violente meurtrière même, quand on sait la détermination des groupes de populations à en découdre avec les éléments de police et de gendarmerie. Il y avait donc une grave menace à la paix et la sécurité publiques, avec des risques de confrontation et des actions manifestes de provocation. Encore une fois, l’Etat aura fait montre de sagesse en évitant de tomber dans une escalade. Il était illusoire de chercher à maintenir des mesures qui ouvriraient la porte à toutes les formes de défiance. On peut se rappeler qu’en 1999, les Forces de l’ordre s’étaient gardées de charger des hordes de «Baye Fall» qui assiégeaient la prison de Rebeuss, exigeant la libération de leurs condisciples emprisonnés pour avoir incendié la mosquée Ibadou de Niary Tally à Dakar. Le régime du Président Abdou Diouf avait convaincu le juge de prendre une ordonnance de main-levée pour élargir de prison les personnes mises en cause pour éviter que la situation ne dégénérât. La même attitude de retenue des Forces de l’ordre a été observée en France les mois derniers, quand des occupants de l’aire du projet de nouvel aéroport de Notre Dame des Landes de Nantes ou quand des manifestants «gilets jaunes» cherchaient à en découdre violemment avec l’autorité de l’Etat. Aux Etats-Unis, le Président John F. Kennedy avait ordonné, le 11 juin 1963, le retrait des troupes pour ne pas charger le Gouverneur George Wallace et ses affidés qui bloquaient l’entrée de l’université d’Alabama à des étudiants noirs. On ne manquera pas de regretter qu’avec l’épisode des fortes résistances enregistrées contre les mesures édictées par le gouvernement pour barrer la route au Covid-19, l’autorité de l’Etat en a encore pris un sacré coup, mais notre gouvernement devra apprendre qu’un Etat ne doit pas prendre des mesures qu’il ne peut pas faire observer. L’Etat devait bien savoir à quoi s’attendre car, des actes de rébellion provenant des mêmes milieux religieux ont été constatés plus d’une fois. C’est une désinvolture coupable de s’imaginer que les mêmes causes ne produiraient pas les mêmes effets et qu’il fallait mieux se préparer à faire accepter ou faire passer les mesures.
3. L’économie ne pourrait vivre en autarcie
Tous les pays ont pu mesurer que la pandémie du Covid-19 a déjà engendré une situation de régression économique jamais connue. En conséquence, on cherche partout à arrêter l’hémorragie. Après plus de trois mois de blocage des activités économiques, les pays cherchent à rouvrir leurs économies, à les faire redémarrer. Les mesures de limitation de la circulation des personnes et des biens ont freiné les activités économiques, le Sénégal ne pouvait donc continuer de fermer son économie, qu’on sait assez faible et fragile. Des pays voisins comme le Ghana, le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Bénin, tout aussi touchés (ou parfois plus touchés) par la pandémie, ont desserré les vis pour permettre aux populations de reprendre le travail. Comment dans un tel contexte, le Sénégal pourrait-il aller à contre-courant et s’obstiner à chercher à renforcer davantage les mesures ? On a entendu des voix continuer de préconiser le confinement total des populations !
4. Impératif d’éducation
Tout le monde peut convenir que les difficultés constatées au Sénégal dans la mise en œuvre des mesures prophylactiques et d’hygiène contre le Covid-19 sont dues à l’obscurantisme. La situation d’ignorance des populations et l’irresponsabilité de nombreuses élites religieuses et sociales constituent un véritable handicap pour le développement économique et social du pays. Il faudrait investir et investir encore dans l’éducation, la seule panacée pour libérer les esprits. L’attitude des populations durant cet épisode doit convaincre davantage de faire de l’éducation une nécessité impérieuse. Il semble donc utile de rouvrir les écoles et permettre aux enfants de retourner en classe pour ne pas continuer de grossir les bataillons d’ignares. Il n’en demeure pas moins que l’allégement du dispositif de riposte ne devrait procéder d’un laisser-aller mais constituerait une volonté de permettre aux citoyens de pouvoir vaquer à leurs occupations essentielles, tout en gardant, encore une fois, des mesures de précaution individuelle. Le travail de discussion, de sensibilisation et de persuasion ne devrait pas être relâché. On jugera à l’heure du bilan si le chef de l’Etat s’était fourvoyé ou pas, quand il a décidé d’alléger son dispositif contre le Covid19. Mais il aura fait montre d’un certain courage. «Il est toujours facile de dire ou d’exiger quelque chose lorsque les gens autour de soi sont d’accord avec ce que l’on affirme. C’est à la portée de tous. C’est tout à fait autre chose lorsque ce que l’on déclare soulève l’hostilité dans son propre entourage.»