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2 mai 2025
Opinions
PAR Elhadji Ibrahima Thiam
AIDE À LA PARESSE
Certains ont fait de cette aide à la presse un moyen d’enrichissement temporaire. En hibernation durant presque toute l’année, de nombreux titres de presse sortent de leur torpeur dans la dernière ligne droite, empochent les fonds pour ensuite disparaître
Qui, au Sénégal, connaît le thème général de la dernière journée mondiale de la presse célébrée le 3 mai passé ? Personne ou presque. Pourquoi ? Parce que le sujet n’a intéressé personne. Et si cela n’a intéressé grand monde c’est parce que nous, acteurs de la presse, n’en avons pas parlé, occupés que nous étions à polémiquer sur la distribution de l’aide à la presse. C’est devenu de saison. Un mauvais film où se donne à voir la face cupide de notre secteur dont le rôle principal est tenu par les patrons de presse. Quand il s’agit de réclamer cette manne offerte par l’Etat ou de dénoncer la répartition qui en est faite, on peut compter sur eux. Ils ont les arguments et la répartie qui fait mouche. Mais quand il s’agit d’évoquer la destination de cet argent et de son impact sur les entreprises de presse, ils sont muets comme des carpes.
L’aide à la presse, telle qu’elle est distribuée au Sénégal, a souvent soulevé polémiques et frustrations. Mais cette année, c’est monté d’un cran. En atteste la passe d’armes entre le patronat réuni au sein du Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal (Cdeps) et le Ministère de la Communication. La tension est telle que le Comité d'Observation des Règles d'Ethique et de Déontologie (Cored) a été obligé de prendre son bâton de pèlerin pour tenter de concilier les deux parties. Apparemment, cette médiation n’a pas porté ses fruits. La ligne de fracture s’est même creusée si l’on se fie à la tonalité du communiqué du Cdeps publié ce 10 mai. On y parle de détournement de l’aide à la presse par la tutelle.
Pour calmer les esprits, la meilleure option serait de publier l’arrêté de répartition de l’aide à la presse. Combien de groupes et d’organes de presse ont perçu ? Combien chacun a reçu ? Mystère et boule de gomme. Donner les chiffres globaux par catégories de médias comme l’a fait le Directeur de la Communication (sur la Rts, il a fait savoir que les « sept grands groupes médiatiques » de la place se sont partagés 225 millions de Fcfa ; les sites en ligne 270 millions de Fcfa; les radios communautaires et associatives 280 millions de Fcfa…) n’est que poudre de perlimpinpin qui épaissit le voile de flou.
La publication de la liste des bénéficiaires et des montants reçus doit être un exercice de transparence établi. Depuis 1996 que l’aide à la presse existe (elle était de 40 millions de Fcfa à l’époque avant d’être portée à 700 millions de Fcfa sous le président Abdoulaye Wade), cette liste n’a été publiée qu’une seule fois. C’était en 2013, quand Cheikh Bamba Dièye était ministre de la Communication. A l’époque, 149 organes de presse en avaient bénéficié. Ainsi, l’argent est remis aux patrons de presse sans pour autant qu’on vérifie son utilisation. Une porte béante vers le détournement d’objectif. D’ailleurs, beaucoup de patrons de presse sont accusés, par leurs employés, d’en faire un usage personnel et somptuaire. Ce qui est sûr, c’est que certains ont fait de cette aide à la presse un moyen d’enrichissement temporaire. En hibernation durant presque toute l’année, de nombreux titres de presse sortent de leur torpeur dans la dernière ligne droite (entre septembre et novembre, sachant que, sauf cette année, l’aide à la presse tombe entre décembre et janvier), empochent les fonds pour ensuite disparaître des rayons des kiosques. Un subterfuge annuel. De même, il n’est un secret pour personne que beaucoup de sites en ligne ne sont, en réalité, que des moyens de capter une part de cette manne.
Tout ce désordre s’explique par le non-respect des critères d’attribution. Les organes de presse qui remplissent les conditions exigées par la loi 96-04 du 22 février 1996 peuvent être comptés sur les doigts d’une main. Cela n’a pas échappé à la vigilance de la Cour des Comptes. Dans son rapport de 2014 portant sur la période 2008-2010, elle a relevé que les soumissionnaires ne remplissaient pas les critères édictés qui sont, entre autres, le tirage des journaux ou la diffusion sur au moins l’étendue d’une région administrative pour les médias audiovisuels. Pis, la Cour avait noté l’absence d’un encadrement juridique de l’utilisation de la subvention accordée au secteur des médias. « Pour certains organismes de presse, la subvention allouée est intégrée au budget de fonctionnement ou d’investissement. Pour beaucoup d’autres, l’aide est versée dans des comptes privés autres que celui de l’organe bénéficiaire où elle peut faire l’objet d’utilisation difficilement contrôlable », avaient relevé les vérificateurs. La Cour des Comptes s’était également étonnée de voir que certaines entreprises de presse, de tailles très différentes, percevaient parfois la même somme ; de même de petites entreprises recevaient des enveloppes plus importantes que des entreprises plus grandes.
Et pourtant, avec le Code de la presse adoptée en 2017, il est prévu que l’aide à la presse soit remplacée par un fonds d’appui et de développement du secteur de la presse. Sauf que les décrets d’application tardent à être publiés. Tant que ce ne sera pas fait, la polémique sur la répartition de l’aide à la presse ne s’estompera jamais.
par le chroniqueur de SenePlus, Hamadoun Touré
COVID-19, LE DEVOIR DE VIGILANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - La pédagogie du déconfinement doit s’appuyer sur une communication simple et claire, constituer une action en amont des mesures au lieu de rester au niveau d’un simple catalogue d’informations quotidiennes sans implication de la cible
Hamadoun Touré de SenePlus |
Publication 19/05/2020
« Après avoir gravi une colline, tout ce que l’on découvre c’est qu’il y en a encore beaucoup d’autres à gravir ». Mandela
Par son caractère inédit et coercitif, le confinement imposé en raison de la pandémie du coronavirus a créé des frustrations chez bon nombre d’entre nous. Bien souvent, c’est le cas dans les situations inattendues et contre-nature. Aussi, si le déconfinement est perçu comme le temps de la liberté retrouvée, d’une parenthèse fermée de la maladie vaincue, alors il risque d’être source d’embarras. L’un ne doit pas être l’inverse de l’autre.
Il faut se garder de baisser la garde en temps de déconfinement et de croire autorisé tout ce que son pendant, le confinement, interdisait : sorties récréatives, promiscuité sociale, culturelle ou religieuse, regroupement sportif, absence de distanciation, laissez-aller et laissez-faire incontrôlés. Le déconfinement doit servir à amortir l’impact des conséquences sociales, psychologiques, économiques, culturelles et même cultuelles. En le pratiquant progressivement, il ajoute à nos autres raisons de vivre.
Certes, par une conjonction de facteurs multiples sur lesquels se penchent les scientifiques, les pays africains demeurent encore relativement épargnés par la pandémie en comparaison de celle qui frappe d’autres nations du monde. Mais les taux de létalité ne doivent pas faire illusion et amoindrir notre vigilance car nous sommes moins bien lotis pour faire face à la Covid-19. L’indigence de nos structures sanitaires et notre dépendance à l’aide financière extérieure nous le rappellent chaque jour.
Nous ne sommes pas à l’abri de l'explosion tant redoutée de la maladie, même si nous avons eu notre part de douleurs et de malheurs éloignée pour le moment de la catastrophe prédite par certains professionnels de l’alarmisme. L’orage n’est pas encore passé. Comme ailleurs, nos secteurs d’activités ont été plombés par cette crise. Un chiffre indique bien l’ampleur du phénomène : avec moins de 1,5% des cas de Covid au niveau mondial, un mois de confinement coûte à l’Afrique 2,5 % de son PIB (Produit Intérieur Brut) soit 65 milliards de dollars, indique la CEA (Commission Economique des Nations unies pour l’Afrique).De même, la Banque Mondiale prévoit que le taux de croissance en Afrique subsaharienne, qui était de 2.4% l’année dernière, sera négatif entre -2.1 et -5.1 % en 2020. L’UEMOA (Union Economique et monétaire ouest-africaine) redoute un recul de 4% du taux de croissance, selon son président en exercice, le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara. Ces chiffres, dans leur sécheresse, annoncent davantage de précarité pour les Africains.
La maladie à coronavirus est donc toujours parmi nous. Vivre avec n’induit pas sa banalisation à l’image de notre vieux compagnonnage avec le paludisme ou d’autres maladies toujours mortelles. Elle ne doit pas nous priver du confort de citoyen du 21è siècle mais au contraire nous inciter à renforcer notre arsenal de protection.
Les mesures pour la combattre, à présent qu’elles sont allégées, doivent être plus exigeantes et plus strictes. Nous devons rester en alerte même si la pression a baissé à certains endroits de la planète, et conserver un sens de responsabilités. S’interroger sur notre civisme et notre sens de l’intérêt général en regard de ce véritable enjeu n’est pas un exercice superfétatoire. Nos habitudes ancrées qui font de notre seule conscience la force qui nous rappelle à l’ordre en témoignent.
Même partiel, le déconfinement est un pari optimiste sur la capacité de l’homme à se prendre en charge en dehors de l’obéissance à l’autorité. C’est également un pari sur ses ressorts intellectuels et psychologiques, ses capacités à transformer son environnement pour mieux vivre. Les mesures barrières ne sont pas fantaisie médicale. Elles sont les nouveaux mots d’ordre d’un monde en devenir et les directives de l’après Covid-19.
Les premiers instants du temps d’après sont comme une phase d’évaluation de la distance prise vis-à-vis de nos vilains comportements d’avant Covid-19. Nous devons prouver que la période d’arrêt a été bénéfique en matière d’acquis de bonnes pratiques concernant notre hygiène quotidienne de vie, y compris le port du masque, ce nouveau bouclier qui a clos nos sourires et ouvert nos yeux.
L’Afrique doit agir dans le déconfinement comme elle l’avait fait lors de l’irruption de la pandémie en adoptant les bonnes pratiques mises en œuvre ailleurs mais adaptées aux réalités locales. Un des plus grands défis sera la gestion des frontières à l’aune de laquelle se mesurera l’engagement de nos autorités à protéger les populations et en privilégiant leur intérêt avant celui des autres. Parallèlement, la pédagogie du déconfinement doit s’appuyer sur une communication simple et claire, constituer une action en amont des mesures au lieu de rester au niveau d’un simple catalogue d’informations quotidiennes sans implication de la cible principale.
De cette façon, les populations cesseront d’avoir l’impression d’obéir à des instructions qu’elles ne comprennent toujours pas, avec la fâcheuse impression d’une gestion de leur avenir sans consentement. Ainsi s’estomperont les actes de défiance et la résistance silencieuse aux directives de l’autorité. La dénonciation du caractère superflu des restrictions et la violation du couvre-feu font partie des comportements trahissant le même esprit frondeur.
Aussi, faut-il aller au déconfinement avec une extrême prudence en s’imprégnant de l’expérience de ceux qui s’y sont engagés avant nous pour tirer les leçons de leur expérience et évoluer en conséquence. Car, en la matière, rien n’est définitivement acquis, et selon les cas, rien n’interdit de revenir au confinement si le laxisme prend le pas sur la responsabilité et la maturité. Avec cette maladie, nous entrons dans une nouvelle phase de longue haleine jalonnée d’obstacles prévisibles à chaque étape cruciale. Comme nous l’apprend l’icône Mandela « Après avoir gravi une colline, tout ce que l’on découvre c’est qu’il y en a encore beaucoup d’autres à gravir ».
Le chemin est encore long, sans doute escarpé. Le maintien des précautions préconisées dès l’éclatement de la pandémie et la maîtrise de nos réalités nous permettront de gravir ces collines sans dommages.
Post Scriptum :
Un Général d’Armée de mes amis m’a dit qu’il fallait dire et écrire la COVID-19 et non le COVID-19 comme je le faisais. Vérification faite, il avait raison, en plus avec l’Académie française de son côté. Donc la maladie et non le virus dicte le genre féminin de l’acronyme anglais. Mea Maxima Culpa.
par Lamine Niang
OUSMANE SONKO, DIGNE HÉRITIER DE CHEIKH ANTA DIOP
Entendre un leader politique africain proclamer ouvertement qu’il recourt, dans ses communications, à une langue nationale, majoritairement parlée par son peuple, est en soi une décision révolutionnaire
Comme à son habitude, la dernière sortie de Sonko a encore détoné. Aveuglés par le vil objectif de plaire à un commandant qui a perdu le contrôle du navire en pleine tempête de Covid-19, les thuriféraires et autres hurluberlus apéristes ont tenté, dans un exercice périlleux et infructueux, d’apporter la réplique au leader du parti Pastef. En vain. Que vaut d’ailleurs une riposte signée par l’insignifiant Samuel Sarr, l’outrecuidant Ibrahima Sène, la très parasite Aminata Touré ou encore un Souleymane Ndéné Ndiaye, champion des transhumants, qui ne s’embarrasse d’aucun scrupule ? Des broutilles ! Nous préférons plutôt nous attarder sur le symbolisme de la nouvelle posture communicationnelle de Sonko qui privilégie dorénavant l’usage d’une langue nationale. D’ailleurs, voir la RFI contrainte de traduire les propos d’un chef politique issu d’un pays francophone est un fait suffisamment inédit pour ne pas être souligné. Le pharaon de Ceytu, Cheikh Anta Diop, en serait certainement fier. Entendre un leader politique africain proclamer ouvertement qu’il recourt, dans ses communications, à une langue nationale, majoritairement parlée par son peuple, est en soi une décision révolutionnaire, une prémisse à l’acquisition d’une souveraineté culturelle durable. C’est attaquer la source d’un mal bien enraciné et profondément enfoui dans notre subconscient d’aliéné culturel au point que toute référence à un recours aux langues nationales fait monter les tenants d’une rectitude linguistique sur leurs grands chevaux. Le spectre de la menace sur la cohésion nationale est ainsi vite agité. Injustement. Égoïstement. Et, comble de la turpitude, par de soi-disant intellectuels dont le nombrilisme identitaire empêche toute objectivité dans l’analyse.
La source du mal
La littérature est foisonnante sur les causes du retard du continent africain. Si, de nos jours, la responsabilité d’une classe dirigeante incompétente et insensible au sort des populations est totalement engagée dans cette faillite dramatique, il n’en demeure pas moins que les populations continuent de supporter le fardeau éternel des affres de la colonisation que l’élite dirigeante a fini par rendre banale tant elle est asservie. Si, pendant de très nombreuses années, l’exploitation de nos nombreuses ressources humaines et naturelles pour satisfaire les besoins de l’ancien colonisateur a pu réussir et se poursuit d’ailleurs, c’est parce qu’elle s’est appuyée sur une autre forme d’asservissement plus sournoise et plus dangereuse : l’aliénation culturelle.
En effet, l’entreprise de domination du continent noir pendant des siècles ne s’est pas réalisée d’un tour de main ou sur un coup de tête. Elle a été le fruit d’une mure et longue réflexion, menée par des pseudos intellectuels occidentaux déterminés à assujettir des peuples africains considérés comme sauvages et prétendument prédisposés à la servitude. Avec le concours de philosophes, d’anthropologues, d’historiens… bref de toutes les disciplines des sciences humaines nécessaires à l’atteinte de la «mission civilisatrice», il a fallu en amont produire une sournoise bibliographie dans laquelle les thèses sur l’absence de la culture africaine dans l’histoire de l’humanité et, par voie de conséquence, sur l’infériorité de l’homme Noir et sa nature docile, devaient être étayées et documentées. D’ailleurs, dans Alerte sous les tropiques, Cheikh Anta Diop disait : «Les puissances colonisatrices ont compris dès le début que la culture nationale est le rempart de sécurité, le plus solide que puisse se construire un peuple au cours de son histoire, et que tant qu’on ne l’a pas atrophiée ou désintégrée, on ne peut pas être sûr des réactions du peuple dominé.» De toute sa vie, l’historien Cheikh Anta Diop, ce monument de la connaissance, a tenté de rétablir la vérité historique de l’antériorité de la civilisation negro africaine dans l’Égypte ancienne et de montrer comment l’Occident, dans une démarche de falsification et de manipulation des faits historiques, a réussi à asseoir sa domination sur les autres peuples.
L’aliénation linguistique
L’«école étrangère» comme l’appelle Cheikh Hamidou kane dans L’Aventure ambiguë est donc l’instrument par excellence de l’acculturation et de l’aliénation culturelle de l’élite africaine. Façonner des hommes et des femmes qui seraient le relais et les exécutants volontaires ou inconscients du projet impérialiste devait toutefois passer par l’utilisation d’une langue coloniale dont la maitrise ouvrait la porte au pouvoir, à la distinction sociale et à l’incarnation tropicalisée du maitre Blanc. Les dialectes locaux, considérait-on, étaient incapables de véhiculer un quelconque concept abstrait et de pensée logique. Ils ne sont bons que pour baragouiner un langage insignifiant et pour faciliter une communication minimale entre des sous hommes. À l’opposé, la langue française incarnerait la clarté, l’intelligibilité et la rationalité. Comme le soutenait Senghor, dans sa comparaison des propriétés du français et des «langues négro-africaines».
La dévalorisation grossière et le dénigrement méthodique de nos langues locales, supports naturels de la culture, et leur remplacement stratégique par la langue coloniale utilisée par l’élite dirigeante, permettait, à dessein, de parachever le projet de colonisation du continent africain. Les graines de la domination culturelle bien semées, le retrait physique du colonisateur, dans la foulée des Indépendances, pouvait bien se faire sans crainte. Les auxiliaires des colons à la «peau noire, masques blancs », pour parler comme Fanon, pouvaient perpétuer le travail…C’est ce que Cheikh Anta Diop, dans Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique avait bien compris lorsqu’il déclare : «L’influence de la langue est si importante que les différentes métropoles européennes pensent qu’elles peuvent, sans grand dommage, se retirer politiquement de l’Afrique d’une façon apparente, en y restant d’une façon réelle dans le domaine économique, spirituel et culturel.»
La révolution culturelle de Sonko
La crise sanitaire et économique que vit actuellement notre planète va très certainement bouleverser les bases du libre-échange et de la mondialisation de l’économie telles que définies au XIXème siècle. Les dirigeants occidentaux, dans une logique de perpétuation de leur hégémonie sur le reste du monde, mènent actuellement une profonde réflexion sur les nouveaux paradigmes qui façonneront le jour d’après Covid-19. Ainsi, dans son allocution du 13 avril, le chef de l’État français, Emmanuel Macron, a donné le ton en soutenant à l’endroit de ses compatriotes qu’«il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française.» Et le continent africain ? Quels sont les grands défis qui nous attendent ? Celui du développement économique, bien sûr. Mais a-t-on assuré les préalables ? Les bases culturelles sans lesquelles toute tentative de développement est vouée à l’échec. Par sa préférence des langues nationales, Sonko a peut-être encore fait sauter l’un des verrous qui nous maintenait dans la dépendance et le sous-développement.
Le président du Pastef a très certainement mis à profit son long silence pour s’imprégner davantage sur les conditions d’un véritable réveil de l’Afrique et du Sénégal, plus particulièrement. À l’instar de Cheikh Anta Diop qui clamait dans Nations nègres et culture qu’«aucun peuple sérieux ne peut prétendre se développer dans la culture et la langue d’autrui», nous pouvons dire qu’Ousmane Sonko, en annonçant lors de sa sortie médiatique sa nouvelle préférence à communiquer avec la langue la mieux comprise par la grande majorité de la population sénégalaise, complète le dernier pilier qui soutient les bases solides d’un réel développement endogène. Pour un leader politique de père diola, d’une mère sérère et peule, et dont la langue maternelle est minoritaire en nombre de locuteurs, le choix de la langue majoritaire est un symbole fort de fierté assumée et de pragmatisme éclairé. Un état d’esprit qui transcende les limites de la «mosaïque linguistique africaine»…
Une minorité d’hystériques et de communautaristes, toujours prompts à crier au scandale d’un favoritisme linguistique, va très certainement ruer encore dans les brancards.
Les grandes décisions historiques qui révolutionnent profondément la marche d’un pays ne font jamais l’unanimité lorsqu’elles sont brandies, mais le temps finit toujours par légitimer leur pertinence. Elles ne sont jamais prises par des chefs politiques opportunistes qui n’ont que la conservation du pouvoir en tête et le maintien d’un statu quo apaisant et inhibiteur. Elles viennent de leaders courageux et visionnaires, capables d’étouffer leur égo et de mettre leur éphémère gloire politique de côté pour entrer dans l’histoire. L’étoile de Cheikh Anta Diop continue de briller et sa lumière ne cesse de nous éclairer parce qu’il était en avance sur son temps et ses prises de décisions, de son vivant, comme celles de défendre les langues nationales, étaient surement impopulaires à l’époque. Mais c’était la voie du salut pour l’Afrique. La majorité des Africains consciencieux et dépourvus de tout repli identitaire égoïste en sont convaincus aujourd’hui. Sonko marche aujourd’hui sur les pas de cet illustre fils d’Afrique. Espérons que la population comprenne et soutienne sa démarche et ses motivations d’un besoin d’affranchissement total et entier sur tout ce qui nous retient jusqu’ici dans notre situation peu enviable de derniers de la classe.
Lamine Niang est Secrétariat National à la communication de Pastef
Par Pape SAMB
PRÉSIDENT MACKY, IL FAUT SAUVER DES VIES PLUTÔT QUE L’ANNÉE SCOLAIRE
Parmi les nouvelles décisions présidentielles, il y a celles concernant l’Ecole, qui méritent qu’on s’y arrête un peu. Des décisions inopportunes, dangereuses et sujettes à caution.
Dans sa dernière adresse à la Nation du lundi 11 mai 2020, le président Macky Sall a fait une importante déclaration visant principalement à apprendre à « vivre avec le virus » du COVID19 à travers une panoplie de décisions d’assouplissement des mesures déjà prises dans un message précédent prononcé au tout début de l’invasion du Sénégal par l’épidémie. Parmi les nouvelles décisions présidentielles, il y a celles concernant l’Ecole, qui méritent qu’on s’y arrête un peu. Des décisions inopportunes, dangereuses et sujettes à caution.
Pour l’avoir beaucoup pratiqué, nous connaissons l’Etat sénégalais démuni, besogneux et assez tatillon pour respecter la batterie de mesures annoncées (mise à disposition au profit des établissements scolaires, en quantités suffisantes, d’appareils de thermo-flash, de masques, de gels hydro-alcooliques et de machines de lavage des mains) tout en respectant la distanciation physique dans les écoles. Le moins qu’on puisse dire est que c’est loin d’être gagné, au regard du manque de rigueur et de sérieux qui caractérise nos autorités et qui en constituent même l’ADN. A supposer que ces mesures venaient à être appliquées, ce serait à géométrie variable sur l’étendue du pays.
Personne ne pourra nous convaincre que l’équité sera au rendez-vous et que ce qui est valable pour les établissements de l’agglomération de Dakar le sera pour les autres répartis partout dans le pays. Mais, là n’est pas le problème. Le grand danger pour l’élève se trouve au niveau du trajet aller et du trajet retour, pour se rendre à l’école ou pour rentrer à la maison.
Tant que la consigne « Restez chez vous » était en vigueur, les parents d’élèves avaient la situation en mains, qu’ils maîtrisaient parfaitement, malgré quelques dérapages (randonnées à la plage, escarmouches des jeunes de la Médina, etc.). Les parents d’élèves surveillaient et contrôlaient tant bien que mal leurs enfants. Mais une fois que ces derniers vont retourner à l’école, ils sont hors de contrôle de leurs parents. Et c’est à ce niveau, entre l’école et la maison, où les parents et les autorités de l’école sont absents, que résident tout le danger ainsi que les mille et une situations à risque pour l’élève de choper le virus puis de le transmettre à ses parents restés prudemment et sagement à la maison, à ses enseignants, à ses camarades-élèves ainsi qu’aux personnels auxiliaires de l’école. Bonjour les dégâts. Voilà une perspective redoutée et redoutable pour tout ce beau monde.
Imaginez un peu les parents d’élèves, désormais peu rassurés de recevoir à la maison leurs enfants revenus de l’école, condamnés à les accueillir maintenant, non plus à bras ouverts, avec des embrassades et autres gestes d’affection, mais avec des attitudes dédaigneuses du genre « Boulma laal boulma diégué », « Vas d’abord te laver les mains avec de l’eau et du savon !», « Enduits-toi les mains avec du gel hydro-alcoolique ! », « Enlèves tes habits !…Patati Patata ». Imaginez le coup dévastateur porté au côté affectif de la relation parent-enfant. Un désastre. Peut-être que le gouvernement du Sénégal arrivera à sauver l’année scolaire. Aux forceps. Mais en même temps il fera voler en éclat l’équilibre familial.
A l’image du consensus friable, éphémère et circonstanciel entre le pouvoir et l’opposition, avec les audiences-comédie au Palais, au tout début de l’épidémie et qui s’effrite de jour en jour (démission de Habib Sy du Comité de suivi de la distribution des vivres, sortie violente de Ousmane Sonko contre Macky Sall, etc.). Par ailleurs, l’on est sidéré d’apprendre que le Comité de gestion des épidémies a été pris de court par les dernières décisions du chef de l’Etat, le président Macky Sall. Un scandale ! Mais, outre le volet sanitaire lié à la (mauvaise) gestion du COVID-19, le volet pédagogique à l’école est tout aussi catastrophique. Quid de la gestion du temps de la récréation ? De l’accès aux toilettes ? Les élèves qui ne sont pas dans des classes d’examen sont invités à suivre le concept « Apprendre à la maison », avec comme médiums la télévision et l’Internet.
Mais, au regard du faible taux d’électrification rurale dans le pays, avec seulement 42 à 43 % des ménages sénégalais en zones rurales qui ont accès à l’électricité, en plus du fait que toutes les familles sénégalaises ne disposent pas de poste téléviseur, pas plus qu’ils n’ont un accès à l’Internet, cette solution n’est pas viable. Ce serait même ajouter aux inégalités déjà trop criardes et aux fractures sociales trop béantes dans ce pays. C’est encore le Sénégal qui roule à plusieurs vitesses à cause de l’incurie de nos gouvernants, adeptes du pilotage à vue et de leur chef, le président Macky Sall, qui manque cruellement de vision, à moins que s’il en ait, que celle-ci s’arrête tout juste à Diamniadio. Comme le raille un rhéteur, avec une pointe d’ironie pleine de causticité, « Avec une dizaine de cas testés positifs et zéro mort au Sénégal à la mi-mars, le président Macky Sall décide de fermer les écoles et les universités ; avec plus de deux mille cas positifs et une vingtaine de morts à la mi-mai, le président Macky Sall décide de la réouverture des écoles ».
Comprenne qui pourra. Cette résignation du président Macky Sall, après seulement deux mois et demi de combat, et qui consiste à inviter les Sénégalais à « apprendre à vivre avec le virus », avec la réouverture des marchés, des écoles et des lieux de culte, pendant que la propagation du virus est loin d’atteindre son pic, alors qu’il n’y a guère longtemps lui le chef de l’Etat engageait ses concitoyens à participer à ce qu’il avait appelé « la guerre contre le COVID-19 », ressemble à la débandade d’une armée qui bat en retraite car le général Macky Sall, impuissant et dépassé par les évènements, a tout simplement abandonné le combat et a fait laisser tomber le drapeau.
L’ancien Premier ministre Abdou Mbaye et le leader de PASTEF Ousmane Sonko, qui s’entendent comme des larrons en foire, se sont passé le mot pour parler à l’unisson de « démission de président Macky Sall » face à l’adversité du Coronavirus. Maintenant, s’il s’avère que dans cette décision de réouverture des écoles, c’est encore et toujours pour respecter le mimétisme aveugle et niais de la France, le pays de « nos ancêtres les gaulois », il faut savoir qu’en France c’est le principe de volontariat qui y est de mise. On a demandé aux parents d’élèves français leur avis sur le retour de leurs enfants à l’école. Mais au Sénégal c’est le tâtonnement et les décisions à l’emporte-pièce. Mais ce n’est pas tout. Les éminences grises du Palais ont aussi proposé le système de distribution des cours sous forme de photocopies pour les élèves des classes dispensées d’examen de fin d’année.
Encore une fausse solution pour un vrai problème. De fait, on ne sait pas, par quelle alchimie ou par quel tour de passe-passe, ces documents de cours photocopiés arriveront à destination, entre les mains des intéressés. Des questions sont soulevées. Qui va expliquer aux élèves les cours photocopiés ? Auront-ils des répétiteurs ? Il y a aussi des risques de retrouver ici et là les mêmes problèmes, sinon plus, que ceux rencontrés dans le cadre de la distribution des vivres. Pire, il y a derrière, des marchés juteux (fourniture du papier, photocopies des cours, distribution sur toute l’étendue du territoire sénégalais) qui vont échoir à des privilégiés (Ah ! Les veinards !) Qui vont mettre le grappin sur le pognon soutiré à la nébuleuse FORCE COVID 19, pour des résultats improbables. Encore une stratégie pour enrichir davantage des affairistes, dans cette République des copains et des coquins.
A terme, on risque d’avoir le syndrome du SIDA, qui a fait vivre et rendu riches comme Crésus plus de gens qu’il en a tués. Parfois, on a l’impression que le président Macky Sall n’a pas de (bons) conseillers, au regard des décisions très pauvres qu’il prend tout le temps. Déjà, pour cette décision de retour à l’école, c’est lui, le chef de l’Etat, qui devrait donner le ton.
Reprise des activités pour reprise des activités, le président Macky Sall serait bien inspiré de commencer par reprendre les réunions physiques et hebdomadaires du Conseil des ministres au Palais de la République. C’est trop facile d’exposer la vie des élèves, des parents d’élèves, des enseignants et consorts au danger permanent de contracter le virus par une reprise prématurée des cours, alors que lui Macky Sall et ses ministres continuent de se barricader derrière l’option télétravail. Surtout qu’il y a là moins de risques pour eux, les happy few, que chez les élèves. Charité bien ordonnée commence par soi-même.
C’est à la limite de la lâcheté. Le « manque de courage » dont a parlé Ousmane Sonko revêt ici tout son sens et toute sa pertinence. Maintenant, si c’est la phobie d’une année blanche qui colle la trouille et la frousse au président Macky Sall et à son gouvernement, il faut qu’ils se mettent dans la tête qu’une éventuelle année blanche due à un impondérable et une calamité comme le COVID-19 n’a pas la même résonnance qu’une autre année blanche, comme celle de 1988 par exemple, imputable au régime du Parti Socialiste du Président Abdou Diouf qui avait plongé le Sénégal dans le chaos avec l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu, suites aux violences postélectorales, après un scrutin entaché d’irrégularités, de fraudes massives et d’une vague d’arrestations d’opposants. Le pays était à l’arrêt, d’où une année blanche dans l’Ecole et l’Université sénégalaises.
Là par contre, avec le COVID-19, l’année blanche est dictée par une situation objectivement hors de portée du gouvernement. Le régime du président Macky Sall est moins en faute ici, dans la survenue d’une éventuelle année blanche. Même s’il se dit, de part et d’autre, qu’on pouvait éviter l’ampleur de l’épidémie si l’Etat du Sénégal avait pris le problème au sérieux au début et avait pris à temps les bonnes mesures comme la fermeture de nos frontières poreuses, pour réduire les cas importés et le relèvement du plateau médical dans nos hôpitaux. Il a fallu que le COVID-19 arrive au Sénégal pour qu’on apprenne avec effarement que le Service des maladies infectieuses de l’hôpital Fann ne disposait que de douze (12) lits.
Aussi, c’est comme si l’inscription d’une année blanche dans le bilan du régime du président Macky Sall reste une tache indélébile et une honte qui le rend fou et déraisonnable, alors que l’essentiel des critères pour valider une année scolaire est loin d’être réuni, alors que le danger est encore là, suspendu au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès, menaçant d’anéantir à tout moment et de rendre inopérantes toutes les mesures saugrenues et aberrantes, prises à la va-vite de surcroît. Dans leur embardée, le président Macky Sall et son gouvernement ont perdu le sens de la réalité et perdu leur sang-froid. Les postures-clés dictées par la situation invitent l’adoption d’une autre attitude.
Pourtant, dans son fameux discours du lundi dernier, le président Macky Sall a bien dit qu’au meilleur des cas l’épidémie sera encore là dans les quatre prochains moins. Cela nous mène tout droit au mois d’octobre. C’est donc l’occasion pour l’Etat du Sénégal de prendre son temps et de mettre les moyens adéquats pour bien préparer, sérieusement, minutieusement, méticuleusement et méthodiquement la rentrée scolaire du mois d’octobre, après avoir son courage à deux mains et la décision lucide et justifiée de faire table rase sur l’année scolaire en cours. Là réside la solution la plus sage et la plus raisonnable pour préserver des vies humaines qu’on connait très précieuses. Des vies humaines infiniment plus précieuses que les logiques économiques, les contingences scolaires ou le fait religieux.
Des gouvernants sérieux et responsables n’ont pas le droit de céder, ni à la panique, ni à la pression, de quelque forme qu’elle soit et d’où qu’elle provienne, au risque d’exposer inutilement des vies humaines. Tant qu’à faire, nous préférons sauver nos chères vies que de sauver une année scolaire bancale dans une Ecole sénégalaise qui compte encore plus de 6000 abris provisoires en 2020.
par Ousseynou Nar Guèye
AVEC LE CORONAVIRUS, LE MASQUE AFRICAIN FAIT SA RÉVOLUTION
Il y a même fort à parier que nous continuerons d’arborer le masque-barrière après la fin de la pandémie. N’avons-nous pas, au Sénégal et ailleurs, des raisons tout à fait valables de le faire ? Pollution atmosphérique, gaz d’échappement, poussières...
Accolés l’un à l’autre, les mots « masques » et « Afrique » ont longtemps renvoyé à une iconographie essentialiste et colonialiste : celle des masques africains, sculptés dans le bois ou fondus dans le bronze, artefacts de collection pour les anciens maîtres toubabs et, parfois encore, supports de rites animistes chez quelques rares tribus d’Afrique.
Ce n’est plus le cas. Le masque est entré dans la modernité. Il n’est plus celui que les colonisateurs ont volé pour l’exposer dans leurs musées et dans leurs collections privées. Nous sommes à l’ère du masque-barrière, désormais érigé en accessoire vestimentaire, voire en objet fashion, au même titre que le sac à main pour ces dames ou que le mouchoir de poche pour ces messieurs (oui, il fut un temps où le mouchoir était tendance, les quinquagénaires s’en souviendront).
Au Sénégal, le ministre du Développement industriel a fini par suspendre l’arrêté par lequel il voulait imposer des normes scientifiques pour la fabrication des masques, ce qui a ouvert la boîte de Pandore : tout le monde peut en coudre, et les tailleurs, prompts à flairer le bon filon, s’en donnent à cœur joie sur leurs machines.
Un festival de motifs et de slogans
C’est ainsi qu’après avoir été l’objet d’une certaine défiance, puis d’un grand nombre de détournements humoristiques, le masque-barrière est devenu un must, toutes couches sociales confondues.
Il y a bien sûr les masques chirurgicaux aux couleurs insipides et aseptisées, vendus en pharmacie et qu’il faut changer toutes les trois heures. Pour qui aspire à plus de fantaisie, il y a aussi le masque en tissu dit africain (le wax hollandais), estampillé « masque alternatif lavable, made in Sénégal », avec son festival de couleurs et de motifs ethniques. Ou alors le masque socialement engagé où, sur fond blanc, s’affichent messages de sensibilisation, gestes-barrières et numéros de téléphone dédiés à la lutte contre le coronavirus.
Sans oublier ces masques publicitaires, qui arborent tantôt le swoosh de Nike, la pomme croquée d’Apple ou le sigle d’une chaîne de télévision locale, ou encore ceux qui rendent hommage aux marabouts des différentes confréries musulmanes (« après les masques chirurgicaux, les masques « serignegicaux »», a osé un twitto, les Serignes étant les marabouts, en wolof).
Dans cette joyeuse démocratisation, les recommandations pour son juste port ne sont pas toujours respectées, tant s’en faut. Les attaches sont bien derrière les oreilles, mais le masque est parfois sous le nez, sous le menton, voire carrément sur le front, tel le foulard du rappeur Tupac. D’autres croient bon de le porter sur la nuque, comme une casquette à l’envers.
Il y a même fort à parier que nous continuerons d’arborer le masque-barrière après la fin de la pandémie. N’avons-nous pas, au Sénégal et ailleurs, des raisons tout à fait valables de le faire ? Pollution atmosphérique, gaz d’échappement, poussières et vents de sable…
Et puis il y a cet effet de mode, qui pourrait être le vecteur d’une transformation plus profonde. Car au-delà du fait que le masque peut se révéler fort pratique (« J’ai croisé un créancier. Grâce à mon masque, il ne m’a pas reconnu ! », s’amusait une de mes connaissances il y a quelques jours), l’anonymisation par le masque contribue à une affirmation des individualités, dans une société sénégalaise où le culte des valeurs symboliques de la vie en communauté et de l’allégeance au groupe est très prégnant.
Peut-être même que, dans notre pays, toujours pudibond quoique espiègle, les amoureux pourront se tenir la main et déambuler en toute tranquillité dans la foule. L’amour au temps de l’après-corona. Bas les masques ! Et vive le masque-barrière.
PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, EMMANUEL DESFOURNEAUX
L'OPPOSITION POURRAIT-ELLE MIEUX FAIRE QUE MACKY SALL ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Le principal défaut du président depuis 2012, c’est de n’envisager le consensus que comme un ultime recours, voire un calcul politicien, et souvent après avoir déjà tout décidé solitairement
Emmanuel Desfourneaux de SenePlus |
Publication 18/05/2020
Presque partout dans le monde, les chefs d’Etat et de gouvernement sont vivement critiqués par leurs populations pour leur gestion de la Covid-19. Les mêmes causes produisent les mêmes effets au Sénégal. Depuis sa décision de déconfinement de fait en date du 11 mai, Macky Sall essuie une pluie de critiques.
Après ce constat préliminaire, je ne me déroberai pas à la question de mon édito. La gestion de la crise de la Covid-19 dépend largement des personnalités politiques aux commandes des Etats. C’est une lapalissade ! C’est ainsi que les populistes et fantasques Donald Trump, Boris Johnson et Jair Bolsonaro, en minimisant la pandémie, ont une lourde responsabilité sur la réponse tardive et désorganisée de leurs Etats. Et in fine sur le nombre de morts dans leurs pays respectifs. Il serait immérité de placer Macky Sall parmi ces fantasques présidents. Allons donc chercher ailleurs !
Dès le début de la pandémie, le Sénégal a pris mesure du danger de la Covid-19. Comme dans les autres pays, Macky Sall est soumis à la même équation : trouver un équilibre entre le droit à la santé, voire le droit à la vie de sa population, et la considération des libertés publiques et la relance économique. C’est un choix politique difficile et inédit. Fermer les frontières, cela équivaut à perdre l’une de ses principales ressources à hauteur de 10 % du PIB, le tourisme. Restreindre les marchés et déplacements, c’est mettre dans la difficulté le secteur informel qui représente plus de 80 % de l’activité économique sénégalaise. L’opposition, qui est dans son droit, peut toujours discuter du moment opportun de la fermeture des frontières, et celui de la date du déconfinement, mais finalement rien ne permet d’affirmer qu’elle aurait fait mieux dans le jeu des équilibres. C’est la première fois que tous les Etats sont sujets à de tels dilemmes politiques. Dans cet exercice, chaque choix présente ses avantages et ses inconvénients. A l’exemple du refus de rapatrier les étudiants sénégalais à Wuhan début février et de la réouverture des mosquées mi-mai.
Continuons alors notre investigation ! Au Sénégal, si la mayonnaise de l’unité nationale a bien pris les premiers jours de la pandémie, la gestion de la crise par Macky Sall n’en reste pas moins « unipersonnelle ». C’est le principal défaut de Macky Sall depuis 2012, c’est de n’envisager le consensus que comme un ultime recours, voire un calcul politicien, et souvent après avoir déjà tout décidé solitairement. Le dialogue national s’inscrivait dans ce contexte-là. Le Comité de suivi de Force Covid-19 ne serait-il au demeurant qu’un trompe-l’œil de cogestion ? Je suis convaincu qu’un opposant aurait pu faire mieux dans le processus d’associer davantage les forces vives de la nation, et avec sincérité. Une nuance de taille tout de même relative à l’exercice du pouvoir : les présidents sénégalais, depuis Senghor et sa décision de tuer dans l’œuf le bicéphalisme exécutif, ont privilégié une forme de césarisme républicain.
La gestion de la crise de mai 68 éclaire sur les méthodes expéditives avec l’internement des étudiants dans un camp militaire et l’absence d’accord final avec eux. L’histoire politique de gestion des crises au Sénégal ne nous renvoie-t-elle pas à un exercice solitaire du pouvoir et de ce fait faillible ? Les opposants à la place de Macky Sall auraient-ils renoncé aux pleins pouvoirs et à ses excès ? Difficile à dire ! Peut-être y aurait-il eu quelques variantes selon les personnalités des uns et des autres : un dialogue plus franc comme déjà souligné et une gouvernance plus coopérative. Néanmoins, le seul élément de réponse qui ne fait aucun doute, c’est la Constitution sénégalaise : elle a consacré un régime quasi-présidentiel, peu importe la présence d’un premier ministre ou pas, ce dernier n’avait aucun pouvoir. Aucun candidat à la présidentielle de 2019 n’a évoqué un retour au parlementarisme !
Là-encore, la réponse au titre de mon édito risque d’être nuancée. Le Sénégal, en dehors de toutes considérations de l’identité du président de la République, se heurte à des obstacles structurels. Souvenez-vous du discours de l’ancien président Me Abdoulaye Wade au lendemain du naufrage de Joola : « Nous devons faire notre introspection et admettre que les vices qui sont à la base de cette catastrophe trouvent le fondement dans nos habitudes de légèreté, de manque de sérieux, d’irresponsabilité, parfois de cupidité lorsqu’on tolère des situations qu’on sait parfaitement dangereuses simplement parce qu’on tire un profit ».
Si le peuple sénégalais a très vite relevé le défi de la Covid-19 tant en termes d’initiatives créatives que de discipline progressive, l’Etat patauge à contre-courant des intérêts de son peuple. Tout semble encore tourner autour de cette cupidité que Me Abdoulaye Wade avait dépeinte. L’exécution de l’enveloppe conséquente de 1.000 milliards de FCFA scandalise la clameur publique, en particulier sur les combines politicofinancières. Le Comité de suivi de Force Covid-19, bouée de sauvetage de Macky Sall, s’englue dans des discussions surréalistes de Per diem tandis que plus de dix millions de sénégalais attendent leur kit d’aide alimentaire. L’opposition fait mine de s’indigner mais cette même question avait été soulevée lors du Dialogue national. Bis repetita ! Le Répertoire national unique (RNU) et la bourse de sécurité familiale font l’objet de polémiques d’ordre clientéliste, un peu comme le fichier électoral ! Le président de l’AMS, Aliou Sall, suggère de les réviser. En pleine crise, c’est bien le moment !
Comme si cela ne suffisait pas, surgit de nulle part le décret fantôme sur l’honorariat des anciens présidents du CESE, faisant la part belle à des privilèges républicains en pleine crise sociale et économique. Le moment était assurément mal choisi ! Cependant, un opposant, aujourd’hui à la tête de l’Etat sénégalais, aurait-il été plus habile pour contrer ces écueils si consubstantiels à la société politique sénégalaise ? Pas si sûr ! Surtout, l’introspection n’a jamais été la tasse de thé des hommes politiques sénégalais. Le passage du statut d’opposant à celui de gouvernant n’annonce pas un changement ipso facto en faveur d’attitudes vertueuses.
En dépit de ce contexte néfaste et condamnable, n’est-il pas possible de positiver au Sénégal ? Pour ne prendre que cet exemple, la France a moins bien fait que le Sénégal dans la gestion des masques. Sans doute le secteur informel, si souvent vilipendé, a-t-il été à la hauteur de la crise. Il faudrait s’en réjouir et être fier. La 7ème puissance mondiale a été incapable d’être réactive et de mobiliser en vue d’une production locale exceptionnelle. Le professeur Souleymane Bachir Diagne avait révélé cette insuffisance française à ne vouloir que se concentrer sur la théorie et à ne pas mettre l’initiative au cœur de l’apprentissage. Preuve flagrante ! Face à l’imprévu, la France est désarmée ! Face à l’imprévu, le Sénégal joue dans la cour des grands et ce dans de nombreux secteurs !
Pour terminer avec cette démonstration sur ma thèse de la « relativité » politique de la Covid-19, je souhaiterais souligner le contexte exceptionnel de la prise de décision politique dans le cadre de la lutte contre ce virus. Jamais l’incertitude n’a été aussi grande : chaque jour, des symptômes différents du coronavirus apparaissent. Les scientifiques n’en savent pas plus parfois que le quidam. Les mêmes modélisateurs sont capables de vous prévenir du danger d’une deuxième vague terrifiante pour vous avertir deux jours après qu’ils n’en sont plus aussi certains ! Que penser des polémiques des scientifiques autour des traitements ? Allez donc arrêter une stratégie politique après tout ça ! Un opposant, aussi brillant soit-il, à la tête du Sénégal, aurait dû faire face à cette même situation d’insécurité nationale et internationale.
Je terminerai avec une lueur d’espoir. L’aptitude providentielle de certains opposants sénégalais n’est pas à exclure. Il est certain que, face à la crise, des talents, semblables à celui de la chancelière allemande, se seraient révélés comme le rappelle Emile de Girardin : « L’art de gouverner, c’est l’art de vaincre les difficultés ; l’art de vaincre les difficultés, c’est l’art de choisir les hommes selon leur aptitude : et cet art, c’est le secret de toute grandeur, c’est l’explication que donne l’histoire de l’éclat des plus illustres règnes. ».
PRISE EN CHARGE COMMUNAUTAIRE DU COVID-19 OU COMMENT ENDIGUER LA STIGMATISATION
''La riposte Covid 19 après un début idyllique est mise actuellement à rude épreuve par la ténacité du coronavirus qui semble avoir finalement trouvé bon hôte chez nous.''
Depuis bientôt trois semaines on constate qu’au Sénégal, l’épidémie de covid-19 s’aggrave de jour en jour, au moment où beaucoup s’attendaient à une stabilisation et un retour progressif à la normale. Au prorata de la démographie, le Sénégal est aujourd’hui parmi les pays les plus touchés par le Covid-19 en Afrique subsaharienne.
Cela signifie à première vue que le plan de riposte Covid 19 qui n’a cessé de s’adapter, éprouve des difficultés et a du mal à inverser la tendance. La pertinence de ses choix stratégiques et son efficacité sont devenues douteuses. Cela est dû à de nombreux facteurs qu’il importe de minutieusement revoir et résoudre afin de venir le plus rapidement à bout du covid-19.
Les projections pessimistes ne tiennent pas compte de nombreux paramètres dont la maîtrise encore possible, conditionne considérablement l’efficacité de la riposte sanitaire anti-Covid. Le renforcement du diagnostic, le dépistage massif des cas contacts surtout dissimulés et l’endiguement de la stigmatisation omniprésente en font partie.
Nous procèderons à un état des lieux pour mieux situer l’épidémie du Covid-19 au Sénégal afin d’en évaluer la problématique qui permettra par la suite de proposer les solutions qui semblent actuellement les plus appropriées pour lever les obstacles qui freinent son éradication. Pour une meilleure analyse de la situation et la proposition de solutions conséquentes, on ne pourra pas passer sous silence la récente sortie du Chef de l’Etat qui marque à tout point de vue un tournant important dans la suite des événements.
Le point sur lutte contre l’épidémie du Covid-19 au Sénégal
La riposte Covid 19 après un début idyllique est mise actuellement à rude épreuve par la ténacité du coronavirus qui semble avoir finalement trouvé bon hôte chez nous. Nonobstant cela, Monsieur le Président de la République en s’adressant à la nation le 11 Mai, est venu ajouter une couche encore plus épaisse sur la visibilité du plan stratégique de riposte anti-Covid qui ne dit pas toujours comment le CNGE arrivera à se défaire du virus. Le changement de cap induit a été si brusque qu’il a surpris plus d’un, dont les acteurs clés sur le terrain.
La preuve, les mesures cohérentes bien qu’insuffisantes du début de crise, qui ont permis de résoudre dans les quatres premières semaines les cas importés et nourri beaucoup d’espoirs avant la multiplication des cas communautaires, ont été remises en cause.
La problématique de ces cas communautaires échappant complétement au système de dépistage en vigueur, venait juste de motiver une mise en garde des hauts cadres du ministère de la santé et du CNGE. Une alerte à la saturation des capacités hospitalières des centres de traitement des épidémies était à l’origine de la nouvelle orientation du CNGE vers la prise en charge extra hospitalière des cas asymptomatiques simples depuis le 04 Mai 2020.
Les acteurs durement éprouvés par la gestion du Covid, à tous les échelons, n’ont plus que leur foi pour encore endurer et tenir, se sentant eux-mêmes de plus en plus menacés. De là à donner un peu plus de crédit à ceux qui pensent que l’état serait responsable de la dissémination du Covid-19, il n’y a qu’un petit pas à franchir. Le président qui devait avant tout remonter le moral des troupes au lieu de le fragiliser, pouvait aisément utiliser d’autres canaux pour régler les énormes problèmes socio-politico-économiques qu’on ne peut plus occulter. Il a misé gros sur l’économie et le social qui ne lui amèneront pas forcement la victoire contre le covid-19.
Les mêmes attentes auraient pu être obtenues ou mieux, avec une écoute plus consensuelle et en renforçant autrement la lutte contre le Covid au lieu de l’affaiblir par un repli massif. Les mesures ont été brutales, certaines inopportunes, et en contraste avec l’évolution de la crise sanitaire, la faute à une précipitation qui a tout court-circuité.
L’objectif actuellement visé est d’assouplir les contraintes en vigueur depuis le début, afin de reprendre les activités à tous les niveaux, en apprenant à vivre avec le coronavirus. In fine, la sortie aura créé plus de problèmes qu’elle en a résolus, pour la riposte Covid-19.
Dès lors, restons concentré sur l’essentiel, le coronavirus qui est au début et à la fin de tout ce désordre. Il faut que le CNGE continue dans sa logique d’adaptation qui a toujours guidé la riposte anti-Covid, malgré les changements, mais en restant plus perméables aux nombreuses critiques bien constructives qui lui sont faites afin de maîtriser l’épidémie qui est en passe malheureusement d’échapper à tout contrôle.
Etat des lieux de la riposte covid-19
Revenant sur la prise en charge du Covid-19, une stratégie a certes été définie assez tôt, mais elle a eu du mal à se déployer en toute cohérence compte tenu certes de la méconnaissance du Covid 19 mais aussi d’un attentisme qui a beaucoup ralentie ses activités. L’option principale consistant à s’adapter au fur et à mesure que l’épidémie évolue a été bien malmenée. Maîtrisant difficilement le cours de l’épidémie cette vision s’est soldée par une sorte de pilotage à vue sans aucune prévision et des rattrapages incessants, parfois contradictoires s’éloignant même du cadre de l’objectif principal qui consiste à maîtriser puis éradiquer le Covid-19.
Malgré sa bonne structuration et de grandes compétences, le système de santé à travers la riposte Covid 19 semble beaucoup pécher dans la coordination des différentes activités pour que chaque entité qui le compose puisse s’exprimer pleinement. La gestion globale du Covid qui a ainsi connu beaucoup d’errements et le manque de rigueur ont fini par ouvrir de nombreuses failles à travers lesquelles le virus n’a pas perdu de temps pour s’y engouffrer et prendre des racines qui de jour en jour se consolident. On peut citer sans trop rentrer dans les détails :
l’état d’urgence, une très bonne décision mal gérée alors qu’elle offrait au début toutes les garanties d’un bon contrôle de la maladie;
Une option claire du type de confinement, n’ayant jamais été définie, a laissé un message flou ‘’ Rester chez vous’’ dominer la communication sur le Covid 19 sans pour autant convaincre. Ce dernier n’a réussi qu’à diviser et à faire voir en chiens de faïence ceux qui sont dotés de moyens et dont les revenus sont assurés quoi qu’il arrive et, ceux qui ne possèdent rien et qui ne comptent que sur leurs sorties quotidiennes pour faire tourner le foyer. Cela a empêché au début de bien faire suivre les mesures barrières qu’elles soient collectives ou individuelles.
Les lieux de culte sans distinction (mosquées de quartier, chapelles, grandes moquées et cathédrales) ont été fermés laissant les transports urbains, les boulangeries et les marchés se comporter plus dangereusement et pendant très longtemps.
Les laboratoires ont été très avares en tests dès le départ alors que l’OMS recommandait depuis le 16 Mars à tous les pays du monde face à l’aggravation de la pandémie de Covid-19, l’intensification des tests de dépistage comme meilleur moyen de ralentir la progression de la maladie.
Le soutien alimentaire aux populations impactées, sans être effectif, a pris trop de place au détriment de l’urgence sanitaire et la prévention qui pendant un certain temps, ne semblaient plus être, que l’affaire des personnels de santé et du CNGE.
Les autorités ont demandé puis recommandé timidement, avant de l’imposer, le port de masque. Le port de masque aussi, jusqu’ici très mal organisé va forcément retentir sur l’évolution de l’épidémie. Et pire, l’état ne prend pas en compte comme il se doit cet outil qui non seulement protège, rassure mais libère les populations pour qu’elles reprennent sereinement leurs activités. Tant que le masque (dans son port réglementaire) et les solutions hydro alcooliques ne sont pas accessibles à tous et en quantité suffisante, on vivra un semblant de protection collective et individuelle qui remet perpétuellement en cause tous les acquis de ces longues semaines de restrictions. On ne sent pratiquement pas le CNGE et le ministère de la santé derrière ‘’les masques’’, dont la qualité, la sécurité, la disponibilité et l’accessibilité par rapport à leurs principales cibles est entièrement sous leurs responsabilités, tant le lien entre le masque, les autres gestes barrières et le virus est étroit.
La stratégie de lutte contre le covid-19 a connu beaucoup de péripéties qui ont fini par mettre à nu le degré de paupérisation et la non préparation manifeste, quantitativement mais aussi qualitativement, du plateau technique de nos structures de santé, pour assumer une telle demande. Certes des efforts énormes ont été entrepris dans la douleur pour s’adapter.
Sur le plan épidémiologique comme on le constate aujourd’hui on tarde à trouver la bonne formule. Le Covid 19 continue à évoluer de plus belle. Certaines autorités tentent de nous imposer un pic, courant Mai 2020, alors qu’aucun indicateur ne permet de le situer. Et de l’autre coté la prévision de certains experts [1] semble dire qu’on va rester avec ce virus jusqu’en Septembre. Avec un taux de mortalité du Coronavirus au Sénégal qui est aujourd’hui de 1,04% des cas positifs, ces prévisions brutes font froid au dos compte tenu de ce qui peut arriver. Ce sont forcément des centaines de milliers de cas positifs qui seront notés. Avec seulement 300 000 cas on peut arriver à 3120 morts. Si on rentre dans les chiffres de certaines études [ 2] qui s’approchent de 1 500 000 cas positifs d’ici Mars 2021, même avec un taux de 0,3 à 0,5% l’hécatombe culminera être 4500 et 7500 morts, de quoi retenir son souffle compte tenu du contexte psychologique qui accompagne cette maladie. Donc le Covid-19 est une virose pas du tout comme les autres, une affection à prendre très au sérieux et avec laquelle, Il faut apprendre à vivre. Il ne faut pas jouer à faire peur. Mais que tout le monde soit instruit du danger qui nous guette en cas de relâchement. Certains se sont offusqué des prédictions de l’OMS et de l’ONU sur l’Afrique. Cependant avec les revirements stratégiques très mal élaborés que le Sénégal a depuis le début du mois de Mai, sans vouloir leur donner raison, on peut au moins les remercier de nous avoir mis en garde. Car un homme averti en vaut deux a-t-on l’habitude de dire.
Prenons ce dicton à notre compte et réagissons vite et positivement, en partant du principe que tout ce qui a été fait n’est pas mauvais, jusqu’aux décisions très contestables sur le plan épidémiologique et sanitaire du Président de la République, qui à son corps défendant se justifient du reste assez bien sur le plan politique.
Epidémie du Coronavirus en chiffres et plan de riposte
Laissons la politique de côté et parlons seulement de la Maladie du Covid-19 afin de lui trouver quelques solutions appropriées en nous posant certaines questions.
Où en sommes-nous sur le plan épidémiologique et sur le plan de la riposte santé Covid-19? La réponse à ce questionnement permettra de voir ce qui pose réellement problème en ce moment précis et qui empêche de reléguer le Covid-19 à sa plus simple expression et à défaut de l’éradiquer, de pouvoir cohabiter prudemment avec lui.
Sur le plan épidémiologique on retiendra qu’en 78 jours soit deux mois et demi, du 2 Mars au 17 Mai 2020 sur approximativement 32 460 tests réalisés, 2481 soit 7,64% des cas sont positifs. Sur les 2481 cas positifs 89 cas sont importés (3,58%), 213 sont des cas communautaires (8,58%), le reste 2178 (87,8%) sont des cas identifiés contacts des importés ou des communautaires. 26 cas de décès ont été répertoriés dont 9 soit 34,6% sont des décès communautaires (Diagnostiqués post mortem). Ces cas de décès communautaires représentent 47,3 % des patients décédés de Covid -19 ces trois dernières semaines (entre le 25 Avril et le 17 Mai 2020).
On peut constater le peu de tests effectués en 2 mois et demi compte tenu des capacités techniques qui sont sur place. De même la problématique des cas communautaires est posée. Non seulement ils sont nombreux mais ils prennent le temps d’évoluer spontanément jusqu’à l’exitus, laissant derrière eux une trainée de contacts qui se révèleront dans la majorité des cas, communautaires s’ils tombent malades.
Autrement ils peuvent rester porteurs asymptomatiques ou sains pouvant à leur tour contaminer un nombre élevés d’autre contacts. Et ainsi se crée un cercle vicieux portant la maladie à l’endémicité si la chaine de transmission n’est pas rompue. Ceci expliquerait la montée en flèche des cas positifs depuis le 15 Avril.
Au Point de vue riposte santé Covid-19, le CNGE depuis Janvier 2020 est monté au créneau progressivement en mettant en place les outils de base de sa stratégie : formation, information, système d’alerte, création de centres de traitement, diagnostic des cas symptomatique, traitement, recherche de contacts et quarantaine à l’hôtel.
La prévention est axée sur les gestes barrières individuelles sans le port de masque au début. L’état d’urgence est décrété par le chef de l’Etat le 23 Mars assorti d’un couvre-feu et une limitation de la circulation interurbaine. Cette décision a été la première mesure barrière collective qui a été d’une grande utilité avant de connaitre des impairs qui nous ont valu une extension notoire de l’épidémie (Jakartas, route secondaires). Le port de masque rendu obligatoire le 17 mars est venu renforcer la prévention par les mesures barrières individuelles et collectives.
L’une des meilleures décisions dans la lutte contre le coronavirus qui semble bien suivie par les Sénégalais. Mais elle est mal encadrée et l’état ne s’est pas assez impliqué en mettant en place assez de masques et des circuits de distribution officiels à la hauteur de l’importance que le masque revêt dans la prévention du Covid-19 et dans l’ouverture de l’espace publique, les entreprises , la circulation ; la reprise sécurisée des activités économiques, du culte en public et bientôt de l’éducation nationale. Les besoins sont énormes et la force Covid-19 devrait s’y atteler fermement d’autant plus que nous sommes appelés à cohabiter avec le virus au moins jusqu’en septembre 2020, selon les meilleures projections du moment.
La stratégie de riposte qui a évoluée depuis le 4 mai vers la prise en charge extrahospitalière des cas asymptomatiques et simples devra intégrer les nouvelles mesures issues de l’allocution du chef de l’état du 11 Mai et totalement imprévues à ce stade dans le dispositif et le déploiement de la riposte covid-19. En levant brusquement les freins d’un ensemble non négligeable de restrictions, la résultante sur l’épidémie (en bien et en mal) ne tardera pas à se manifester dans les jours à venir.
Cependant une chose intrigue. Et cela fait partie des zones d’opacités de la prise en charge du covid-19 par le ministère de la santé et ses équipes techniques. C’est la réalisation des tests de dépistage. Il apparait avec moins de 33 000 tests réalisés en 78 jours, que l’activité tests-dépistage qui devait vite ratisser large pour circonscrire la maladie n’a pas du tout fonctionné comme il se devait. Ce dysfonctionnement est encore plus préjudiciable dans la phase communautaire de la maladie où il n’est plus permis d’attendre que des cas se manifestent pour les diagnostiquer. Il faut aller chercher le coronavirus là où il est. Tout le reste est un faire-semblant. Plus tôt seront réalisés le diagnostic et la prise en charge, moins seront notés de cas graves et de morts. Plus le diagnostic sera retardé, plus il y aura de cas graves et de morts.
Nous avons une énorme chance. Le Sénégal est l’un des pays d’Afrique subsaharienne les plus nantis dans le domaine des laboratoires avec des praticiens aguerris qui ne demandent qu’à être mobilisés. Et la force Covid a suffisamment d’argent pour s’occuper du volet maladie qui détermine la suite sur tout le reste. En plus de l’Institut Pasteur (qui a le quasi-monopole des tests), l’IRESSEF du Professeur Mboup, l’IRD avec le Dr Sokhna grand Collaborateur du Pr Raoul, près de 40 Laboratoires qui maîtrisent le RT PCR qui est la technique de référence pour le diagnostic du Sarscov2 ou Covid19 sont disponibles au Sénégal.
Avec cette escadrille, sans même parler des tests rapides sérologiques qui pourraient rendre de grands services dans le dépistage et le suivi en temps réel, aussi bien à Dakar et que dans les régions, on peut au moins réaliser plus de 4000 tests par jour au Sénégal et cela de façon, plus rapide et plus fiable que ce qui se passe actuellement. Le monopole de Pasteur qui ne se justifie plus actuellement ralentit de toute évidence le dépistage et devient même du fait de la surcharge moins fiable que quand il n’y avait que quelques dizaines de cas à traiter par jour répartis sur des zones peu distinctes.
Avec l’augmentation des cas contacts, la couverture idoine des besoins de diagnostic et de suivi du Covid devient plus lourde et impose une autre approche d’autant que les délais moyens de rendu actuels des résultats culminent à 48H de l’avis des praticiens de terrain. A cela s’ajoute l’impérieuse nécessité de développer et d’aguerrir l’expertise nationale en pareilles circonstances. Il faut que les milliards de la force Covid servent à la réelle lutte contre la maladie.
Compte tenu des difficultés d'approvisionnement actuelles au niveau international concernant les réactifs, il faudrait, dans le cadre d'une bonne anticipation, procéder à des commandes massives en privilégiant les équipements les plus représentés au niveau de nos laboratoires.
Globalement c’est un déficit : de dépistage, de catégorisation des patients et d’une prise en charge adéquate neutralisant la stigmatisation et les diverses craintes qui semble lourdement plomber le système. La dissimulation des contacts par leurs proches ou de leur propre chef, est liée d’une part à la stigmatisation qui n’est pas le seul fait du voisinage mais aussi des méthodes , de désinfection, d’abords et de ramassage très exposantes du CNGE sans compter la gestion traumatisante des décédés qui ne se justifie nullement d’après certaines indiscrétions.
Les réticences à la quarantaine avec toutes ses contraintes amènent d’autre part, les gens à se terrer chez eux quitte pour certains, à compliquer leur état avant de se manifester ou en mourir, si la guérison spontanée ne survient pas comme dans la majorité des cas de Covid-19. Les patients asymptomatiques eux, ont toute la latitude de contaminer d’autres contacts. C’est ce phénomène largement répandu qui constitue le réservoir des cas toxiques dit communautaires qui polluent le système et attisent l’épidémie par des contacts de plusieurs rangs. C’est là qu’il faut placer, au sens le plus péjoratif de la contamination, le rôle des cas extrêmes de décès communautaires.
La Prise en charge communautaire peut-elle être la solution du covid-19 au Sénégal
La prévention et le dépistage des cas de contamination communautaires devraient être la règle comme dans toute lutte contre les épidémies. La carte des contagions en cours [3] est jusqu’ici superposable à celle de la densité de la population [4] et permet de voir où le maximum d’effort devrait être déployé pour dépister et traiter ; mais aussi là où le maximum d’effort devrait être consenti pour barrer la route à l’entrée de la maladie.
Au stade actuel de l’épidémie du Covid-19 c’est essentiellement les cas communautaires et leurs contacts difficiles à cerner qu’il faut essayer de mieux maîtriser. Vu tout ce qui été évoqué plus-haut un véritable changement de stratégie doit s’appliquer. Elle peut être appelée prise en charge communautaire du coronavirus covid-19. La prise en charge communautaires peut être encore appelée prise en charge par confinement encadré et assisté à domicile. Une gestion mixte, médicale et sociale du Coronavirus qui tournera toujours au tour des deux axes majeurs qui conditionnent tout le reste :
Le diagnostic et la prise en charge précoce d’une part ; La prévention de la contamination par le dépistage et l’application des mesures barrières d’autre part. Ce changement stratégique prend à la fois en compte la saturation des capacités en lits des centres de traitement annoncée depuis le 3 Mai et la prise en charge extrahospitalière du Covid-19. Les hôpitaux moins sollicités libéreront plus de places pour les cas symptomatiques, les vrais malades du Covid-19.
La gestion communautaire du Coronavirus sera basée sur des modèles de communautés dictés par la localisation des cas à prendre en charge formant une unité territoriale ou cluster. Elle commence par l’application du premier axe évoqué au-dessus : une bonne identification et un classement des patients et leurs contacts après les tests diagnostiques (de proximité), en plusieurs catégories, et leur traitement suivant les protocoles en cours dont le but est de réduire la charge virale et raccourcir le temps de guérison en évitant les complications.
Le deuxième axe fera suite ou sera concomitant. Le dépistage des cas communautaires se fera d’abord par l’endiguement de la dissimulation, l’amélioration de l’identification de tous les cas contacts d’un cas positif et la récupération des cas fuyant la quarantaine à l’hôtel ou dans les centres de traitement extrahospitaliers. En plus des moyens de laboratoires, le dépistage sera potentialisé par l’approche communautaire, mais aussi par des outils non invasifs comme l’Oxymétrie du pouls couplée au Thermoflash, pour l’évaluation massive des sujets à risques.
La ressource humaine pour accompagner cette mesure est disponible et les territoires à cibler en urgence sont les grands foyers ou Clusters bien identifiés comme la région de Dakar, les villes de Thiès et Touba et partout où le besoin sera identifié. Le classement des cas est important dans la prise en charge et peut revêtir un format en six classes P1 à P6 (P1 : Patient positif symptomatique grave, P2 : Patient positif symptomatique modérée, P3 : Patient positif asymptomatique à risques, P4 : Patient positif asymptomatique sans risques, P5 : Patient contact négatif à risque, P6 : Patient contact négatif sans risque).
Considérant que le cas positif communautaire est un cas contact (ou contact d’un contact) méconnu devenu positif il sera identifié ainsi que ses contacts de premier ou deuxième rang et classé de la même sorte.
Les patients classés P1, P2, P3 seront hospitalisés et traités dans une structure médicale à proximité d’une réanimation. Les patients classés P4 seront suivis et traités à domicile. Les patients classés P5 et P6 seront suivis sans traitement à domicile
Les moyens d’accompagnement de la stratégie communautaire
Le prise en charge communautaire ou le confinement à domicile sera assorti d’une surveillance médicale et d’une assistance sociale encadrée par les autorités (centrales et ou décentralisées) de même que le voisinage ou les comités de quartier. Ceux qui sont autonomes qui peuvent se prendre en charge en confinement (habituellement en famille) recevront gratuitement tout ce qu’il leur faut pour vivre chez eux (rations de denrées alimentaires de base) et régulièrement des unités mobiles passeront leur fournir le reste (pain et légume ou autres nécessités). Ceux qui ne sont pas autonomes parce qu’ils habitent seuls par exemple seront assistés pour leurs nourritures.
En plus tout ce que les autorités pourront ajouter dans le kit (facture d’eau et d’électricité pour un mois etc.. .) servira de moyens de fidélisation ou d’adhésion à cette politique. Ce type de confinement qui peut concerner de vastes zones, tout un quartier, tout un village est susceptible d’être plus facilement accepté par les populations qui n’auront plus à se révolter contre les forces de l’ordre qui peuvent dans certaines conditions être rapidement excédés entrainant des réactions parfois difficilement contrôlables (Cas du village Thor à Diender). Il faudrait absolument dans ce cas veiller à ce que les moyens annoncés arrivent à suffisance au niveau des différents comités de lutte et équipes d’intervention, ce qui est loin d’être la cas actuellement.
Ainsi les forces de l’ordre et les comités de sécurité communautaires en place, s’occuperont de la sécurité des confinés; des entrées et sorties nécessaires dans ces zones confinées; Convaincre les concernés de la nécessité de jouer le jeu pour leur bien et celui de toute la nation qui vient en soutien s’occuper d’eux pendant ces moments exceptionnels. Il faut tout faire pour éviter les conflits (communiquer, dialoguer, convaincre, encourager en utilisant les médiateurs sociaux), dédramatiser l’affection ou le risque supposé et rester ferme avec les contacts non positifs pendant la période d’observation.
Les traitements nécessaires et les mesures barrières resteront de rigueur. Tant qu’il y aura des contacts méconnus ou dissimulés, la transmission communautaire ne sera pas enrayée et sans mesures appropriées il sera impossible de rompre le cycle de transmission communautaire. Les positifs secondaires et les asymptomatiques devenus symptomatiques ou qui s’aggravent seront extraits du confinement à domicile pour une hospitalisation.
Le confinement et le suivi à domicile de cas simples contacts ou asymptomatiques, coûtent moins cher que leur hospitalisation ou la quarantaine hôtelière. Avec une journée d’hôtel ou d’hospitalisation une famille de 10 personnes peut être prise en charge à domicile pour au moins deux jours.
Conclusions
Voilà en quoi la nouvelle adaptation de la stratégie pourrait consister. Les cas communautaires, cas contacts méconnus, non diagnostiqués découlent du déficit de tests et d’identification de tous les cas contacts d’un cas positif, très souvent de la dissimulation à cause de la stigmatisation ou pour fuir la quarantaine hors domicile, pour continuer à jouir de sa liberté. Le contrôle effectif de la maladie surviendra quand ces cas communautaires seront incontestablement maîtrisés. En ce moment-là, l’évolution de l’épidémie permettra d’avoir une meilleure emprise sur les cas sporadiques avec qui on pourra vivre sans plus s’inquiéter car entre temps on aura bien appris et collectivement bien assimilé.
Dans la stratégie communautaire il faut surveiller et avertir tous, des sanctions qu’ils pourraient encourir en cas de propagation délibérée de la maladie. Il est évident que la sanction est aussi un élément dissuasif dans ce genre de rapport. On ne peut pas mettre non plus de l’ordre sans informer, former ou dialoguer avec la population. C’est-à-dire communiquer. Il faut rester équitable, compréhensif mais ferme. Avec cette approche il sera donné plus de chance au CNGE de maîtriser la contamination, le flux hospitalier et la prise en charge des cas graves, sans mettre hors service les structures de santé dont la fonction ne doit plus être focalisée sur la gestion du Covid -19.
par Mohamed M. Ould Mohamed Salah
CE QUE LA CRISE NOUS DIT DES PARADOXES DU MONDE GLOBALISÉ
Comment en est-on venu à la situation où il va falloir injecter des milliers de milliards de dollars pour espérer juguler une crise que l’on aurait pu mieux traiter, si l’on avait pas coupé dans les crédits affectés à la santé ?
Apanews |
Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Salah |
Publication 18/05/2020
Des prescriptions sur les « gestes barrières » (lavage régulier des mains, distanciation sociale…) au confinement partiel assorti d’un couvre-feu, nous vivons au rythme des contraintes de la « guerre » imposée par un ennemi invisible, sournois, envahissant, qui tue, massivement, tout en s’insinuant dans la vie de ceux que le jeu de la roulette russe dans lequel il excelle, aura épargnés.
Plus de trois mois après sa première apparition dans la ville de Wuhan, en République Populaire de Chine, ce capricieux virus n’a pas encore livré tous ses mystères. Et personne ne peut dire quand et dans quel état le monde sortira de la crise multidimensionnelle qu’il a provoquée.
Pour nous autres Africains, l’incertitude est d’autant plus grande que l’OMS vient d’avertir que le pire est devant nous, ajoutant à l’angoisse délétère que nourrit un climat de fin imminente du monde.
Dans ce contexte propice à la résurgence de prédictions eschatologiques, que peut-on faire de mieux que prier et respecter les consignes commandant de ne pas s’exposer et de ne pas exposer autrui au danger ? Observer les prescriptions des autorités sanitaires devient pour chacun l'unique moyen de compenser son impuissance individuelle et de participer à la lutte contre la propagation du virus dans un pays où la guerre contre le Mal ne peut être gagnée que par la prévention, le système sanitaire étant dans l’incapacité de faire face à une explosion du nombre de cas nécessitant une prise en charge hospitalière. Civisme minimal et réalisme vont ici de pair.
‘’Risque mondialisé’’ avéré
Comme partout, ailleurs, nous sommes en guerre et, comme partout, on ne peut d’abord compter que sur nous-mêmes car l’une des leçons paradoxales de cette crise est qu’en dépit du caractère global du Mal, les réponses apportées ont été et sont restées, en particulier sur le terrain sanitaire, des réponses nationales, dépendantes par conséquent de l’état du système sanitaire de chaque pays, de la qualité et de l’engagement de son personnel soignant, du sens des responsabilités et du civisme de ses concitoyens, de la résilience individuelle et collective de ses populations et de l’organisation et de l’efficacité de son système de gouvernement.
Bref, c’est toujours, en premier lieu, l’Etat-Nation qui est sommé de trouver la riposte appropriée à une crise, quelles qu’en soient l’origine et l’ampleur, dès lors qu’elle frappe les personnes se trouvant sur son territoire.
Mais où sont donc passés la mondialisation et la myriade d’organisations, d’institutions, d’acteurs et de règles qui en ont assuré la promotion et la diffusion ? Pourquoi, face à un « Risque mondialisé », avéré, ne peut-on encore concevoir une réponse globalisée, immédiate ? D’autres interrogations surgissent dans le sillage de ce premier questionnement. Pourquoi les enjeux sanitaires, si essentiels dans la mesure où ils touchent directement à la vie des personnes, n’ont-ils pas été suffisamment pris en compte en temps de paix, y compris dans les pays surdéveloppés ? Comment en est-on venu à la situation où il va falloir injecter des milliers de milliards de dollars – le G20 s’est engagé à injecter 5000 milliards de dollars. Les USA viennent d’adopter un plan de relance économique de 2000 milliards de dollars – pour espérer juguler ou tout simplement atténuer une crise que l’on aurait pu prévenir et que l’on aurait pu mieux traiter, si l’on avait pas coupé dans les crédits affectés à la santé (recherche scientifique, industrie de la santé, personnel hospitalier…) ? Pourquoi dans de grands pays, on peut encore avoir des pénuries de masques, de respirateurs et même de matériels pour effectuer des tests ? Est-ce parce qu’on a suivi de manière rigide et donc bête les préceptes de la doctrine économique dominante proscrivant les déficits budgétaires et imposant à l’Etat de s’en tenir à un rôle de garant des grands équilibres ?
N’a-t-on pas délégué au Marché plus qu’il ne faut, en le laissant envahir des secteurs de l’activité sociale qui ne doivent pas être soumis aux seuls critères de la rationalité marchande, notamment l’éducation, la santé et l’environnement ? Mais surtout, comment repartir sur de nouvelles bases, en tirant de cette pandémie les bonnes leçons ?
Comment en finir avec la schizophrénie qui consiste à proclamer, un peu partout, l’adhésion aux objectifs du développement durable – lequel suppose que la dimension économique soit articulée à la dimension sociale et à la dimension environnementale, et que la satisfaction des besoins des générations actuelles soit compatible avec les droits des générations futures – tout en adoptant, en fait, un modèle de développement dans lequel l’économie marchande et la finance surdéterminent le reste des activités sociales ?
Il n’est pas sûr que ces questions s’imposent en filigrane des débats qui vont dominer la sortie de crise, tant la pression du court terme est forte. Un élément peut cependant jouer favorablement en ce sens, c’est le caractère global de la pandémie.
L’enfant de la mondialisation
Le Covid-19 est à l’origine de la première crise sanitaire globale, dans tous les sens du terme. C’est un enfant de la mondialisation. Il est apparu pour la première fois dans le pays qui a engagé, dans un délai record à l’échelle de l’histoire, la transformation la plus profonde et la plus compréhensive qu’un pays puisse faire pour assurer son décollage économique et devenir, en moins de trois décennies, un pôle majeur de la mondialisation. Au confluent de ce qu’on appelle, aujourd’hui, les chaînes de valeur – expression qui désigne la fragmentation à l’échelle mondiale du processus de fabrication d’un produit, les divers composants de ce produit étant fabriqués par des entités différentes d’un groupe transnational, disséminées dans des pays distincts – la Chine est un acteur central de la globalisation qui, par le jeu des interdépendances entretenues par la nouvelle organisation des firmes transnationales, devient, en même temps, un élément de l’économie de la quasi-totalité des Etats qui comptent.
Frapper l’économie chinoise, c’est frapper l’économie de la plupart des Etats, ce qui explique que les premières inquiétudes des pays non encore touchés par le virus étaient essentiellement d’ordre économique et non sanitaire.
Mais pour assouvir son ambition globale, le Covid-19 se devait d’aller à l’assaut du reste du monde. Il l’a fait en utilisant l’un des vecteurs les plus communs de la mondialisation : voyageant à la vitesse supersonique des avions, il s’est propagé au reste du monde, en commençant par les grands centres de la globalisation.
En début mars, l’OMS annonçait que l’Europe est devenue le nouvel épicentre de la pandémie. Elle l’est toujours en nombre de décès enregistrés. Mais en termes de nombre de personnes infectées, ce sont désormais les Etats-Unis qui ravissent la première place. De fait, aucun continent n’est épargné. L’infection touche aujourd’hui 180 pays. Le Covid-19 remporte ainsi la première manche de son combat pour l'universalité, à savoir, la planétarisation de la crise sanitaire.
Mais cette crise est vite devenue globale, à un autre point de vue. Elle touche désormais à tous les aspects de la vie sociale et, d’abord, au moteur de celle-ci dans les sociétés modernes, à savoir, l’économie. Cela tient moins à l’accroissement des dépenses sanitaires qu’aux conséquences des mesures restrictives qui ralentissent, voire paralysent, l’activité économique, appelant potentiellement des failles en cascade dans la quasi-totalité des secteurs économiques.
La force du « choc » est telle que les principaux acteurs de la mondialisation poussent les Etats à intervenir massivement pour aider les secteurs, les entreprises et les salariés fragilisés et éviter le chaos économique et social qui se profile. L’Union Européenne autorise un allègement des contraintes budgétaires et un assouplissement des règles sur les aides d’Etat, déclenchant le recours à la clause de « circonstances exceptionnelles », se disant même prête à activer la « clause de crise générale » qui permet la suspension du Pacte de stabilité. Les Etats se mettent, chacun, en ordre de marche, pour protéger leur économie et leur population et organiser à leur échelon, la gestion de l’urgence sanitaire devenue économique et sociale. En France, le gouvernement obtient une loi d’habilitation qui lui permet d’adopter 25 ordonnances dans un seul Conseil des ministres. C’est moins le retour à Colbert qu’au droit économique de l’après-guerre et notamment aux fameuses ordonnances de 1945 qui ont servi de base juridique au dirigisme économique jusqu'à leur abrogation, en 1986. Les Etats-Unis adoptent à leur tour un gigantesque Plan de relance économique dont certains éléments renouent avec l’esprit du New Deal de Roosevelt. Le Président Trump va même jusqu’à exhumer le « Defense Production Act », promulgué lors de la guerre de Corée, pour obliger General Motors à fabriquer d’ici un mois cent mille respirateurs.
Cela ne suffit pas à cependant à revigorer durablement les marchés financiers qui donnent la température de l’économie, parce qu’ils savent que tant que la réponse n’est pas globale, la crise ne pourra pas être jugulée.
Traitement médiatique quasi uniformisé
Certes, l’intervention du G20 a été bien accueillie par les diverses places boursières. Mais soufflant le chaud et le froid, celles-ci ont de nouveau été échaudées par l’absence d’accord entre les pays de l’Union Européenne lors du mini-sommet du 27 mars. A vrai dire, compte-tenu de l’interdépendance entre la crise sanitaire et la crise économique, l’issue de la récession économique va également dépendre de la capacité du monde à juguler la pandémie.
Enfin, la crise du Covid-19 est aussi une crise globale, du point de vue de la communication qui s'y rapporte. Elle est l’objet d’un traitement médiatique quasi uniformisé qui en fait le sujet exclusif d’une actualité qui pénètre dans l’intimité de chaque foyer. On y suit tous l’irrésistible extension géographique du confinement, la progression géométrique de l’infection, pays par pays, l’accroissement vertigineux du nombre de personnes décédées, mais aussi les controverses sur la chloroquine et l’arrière-plan, pas toujours rassurant, des polémiques entre savants qu’elle dévoile, ou encore le déficit criant de solidarité entre Etats, y compris au sein d'ensembles régionaux bien intégrés, comme l’Union Européenne, l’Italie ne trouvant aide et assistance que du côté de la Chine ou de Cuba !
Nous sommes informés de manière instantanée et simultanée de l’évolution de cette crise. Et cette globalisation de l’information contrastant avec la fermeture des frontières étatiques et le confinement des populations favorise l’émergence d’une prise de conscience planétaire des périls communs et des enjeux globaux.
On peut raisonnablement espérer que cela ne sera pas sans conséquence sur la redéfinition des règles du jeu au sortir de la crise. Pour certains, celles-ci seraient d’ailleurs déjà écrites. L’ordre mondial qui sortirait de la crise actuelle n’aurait rien à voir avec son prédécesseur. Il scellerait la fin de la mondialisation dont la pandémie du Covid-19 aurait révélé toutes les tares. C’est, me semble-t-il, aller vite en besogne.
Pour savoir quelles règles émergeront de l’après-crise, il faut, d’abord, déterminer quels sont les acteurs qui vont écrire ces règles. On a, à cet égard, comparé la pandémie du Covid-19 à une guerre, en raison de la violence de ses conséquences humaines, économiques et sociales. Et lorsqu’une guerre s’achève, ce sont les vainqueurs qui écrivent les règles transcrivant le nouveau rapport de force. Pour nous en tenir à l’exemple de la seconde guerre mondiale, l’ordre économique international qui en est sorti avait été conçu par les Etats-Unis et leurs alliés anglais, quelques années avant la fin du conflit. Ils avaient alors projeté de mettre en place, une fois le conflit terminé, une organisation des relations économiques internationales avec une triple composante, financière, monétaire et commerciale, inspirée de leurs conceptions libérales.
Les deux premières composantes de cette organisation ont vu le jour, un certain 22 juillet 1944, dans une bourgade du New Hampshire, lorsque, après trois semaines de négociations, les délégations d’une quarantaine de pays signèrent les fameux accords instituant le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Quant à la troisième, si elle n’a pas été immédiatement au rendez-vous, un ersatz permettant de jeter les bases d’une libéralisation progressive des échanges commerciaux fut trouvé à travers le GATT de 1948 avant que l’OMC, organisation dont l’universalité a été renforcée par l’adhésion de la Chine et de la Russie, ne prenne le relais, en 1995.
Ce sont ces trois organisations, FMI, BIRD, OMC (successeur du GATT), inspirées des idées des vainqueurs de la seconde guerre mondiale et ensuite de la guerre froide (pour l'OMC), qui ont favorisé l’essor et l’extension de la mondialisation économique et la montée des interdépendances. Mais si, au terme d’une guerre interétatique, les vainqueurs comme les vaincus sont facilement identifiables, dans la « guerre contre le coronavirus », les choses sont plus compliquées d’où les limites de la métaphore martiale appliquée à cette pandémie. Tous les Etats risquent d’en sortir affaiblis, ne serait-ce qu’en raison de l’endettement public massif qui en résultera. Certains pensent que la Chine sera mieux lotie car elle serait d’ores et déjà arrivée à stopper la propagation du virus sur son territoire et à reprendre progressivement ses activités et ajoutent que cela favoriserait une remise en cause de la mondialisation. Cette analyse procède cependant d’une erreur d’appréciation sur le positionnement de la Chine par rapport à la mondialisation.
Le ‘’modèle’’ chinois
Lors du Sommet de Davos de 2018, c’est la Chine qui s’est faite le chantre de la mondialisation car c’est elle qui en tire le plus avantage. Elle est pour l’OMC dont elle soutient à fond le Mécanisme de Règlement des différends.
Après s’être illustrée, pendant une certaine période, « dans la contrefaçon », elle a aujourd’hui un intérêt objectif à défendre bec et ongles l’Accord sur la propriété intellectuelle puisqu’elle est devenue le pays dont les entreprises déposent le plus de demandes de brevets. Elle a par ailleurs renforcé sa présence dans les principales instances de gouvernance de la mondialisation (FMI, G20…) et créé, elle-même, ou favorisé la création de nouvelles instances (les « BRICS », regroupant les principaux pays émergents ; la Banque Asiatique pour les infrastructures, créée en 2014, dont la Chine est le premier actionnaire ; la Nouvelle Banque de développement ou Banque des BRICS...) dans le but d’influencer le cours de la mondialisation afin d’y peser plus mais non pour bouleverser le système mondial.
Le chemin emprunté par la République Populaire de Chine depuis la politique d’ouverture initiée par Deng Xiaoping, à partir de 1978, a deux balises : le libéralisme économique et le centralisme démocratique, Adam Smith et Karl Marx, réunis dans un attelage baroque d’une redoutable efficacité que résume bien le slogan : « l’économie socialiste de marché ». Il s’agit d’une voie originale, produit de la rencontre entre l’extraordinaire capacité d’adaptation du système capitaliste et l’instinct de survie d’un Parti Communiste qui, assurément, sait négocier les compromis nécessaires à sa pérennité.
Mais la sagesse de la Chine a été jusqu'ici de ne pas ériger cette expérience inédite qui l’a propulsée dans la cour des pays leaders de la mondialisation en modèle à exporter ou a fortiori à « imposer ».
La Chine s’en tient à la conception classique du droit international qui fonde ce droit uniquement sur le principe de souveraineté de l'Etat et ses corollaires, la liberté pour chaque Etat de choisir son système politique, économique et social et la non-ingérence dans les affaires internes d’un Etat, insistant sur les valeurs de respect mutuel, de coexistence pacifique et repoussant les notions nouvelles promues par le droit international post-guerre froide, comme celle de droit à la démocratie, de devoir d’ingérence ou encore de la responsabilité de protéger.
En somme, oui à la mondialisation économique, non à la mondialisation juridico-politique qu’elle considère, à l’instar de la Fédération de Russie, qui est une alliée mobilisable sur ce terrain-là, un instrument au service de l’hégémonie occidentale. On voit mal en quoi la pandémie du coronavirus pourra affecter cette position stratégique de la Chine.
L’autre acteur, toujours puissant et – pour une décennie au moins, encore- dominant ce sont les Etats-Unis. Contrairement à ce que certaines déclarations du Président Trump ont pu laisser entendre, ce pays ne conteste pas la mondialisation dont il a été la principale locomotive au triple plan économique, juridique et politique. Il entend seulement renégocier les accords conclus avec certains partenaires commerciaux - Chine, Union Européenne, Mexique et Canada ainsi que l’Accord sur l’OMC, en particulier ses dispositions relatives au fonctionnement du Mécanisme de Règlement des différends accusé d'outrepasser ses attributions. On ne sait pas encore quels seront les effets à terme de la pandémie sur l’opinion publique américaine. Il est possible que si la crise se prolonge et que le nombre de décès grimpe de manière significative, la demande politique en faveur d’une protection sociale plus grande finisse par entraîner des modifications durables dans le système juridique et économique.
Le troisième acteur important, c’est l’Union Européenne. Jusqu’à présent, elle a été l’un des soutiens majeurs de la mondialisation.
Elle défend l’OMC même si elle considère que la Chine n’en respecte pas toutes les règles. Elle s’inquiète des fusions et acquisitions réalisées par les entreprises chinoises en Europe mais ne ferme pas son territoire à l’investissement étranger chinois. Elle vient de conclure un Accord commercial global avec le Canada qui permet l’ouverture des frontières économiques et l’intensification des échanges entre les Parties.
Une mondialisation plus humaine
Sa position sur la mondialisation pourrait cependant s’infléchir au sortir de la crise sanitaire inédite qui la frappe, aujourd’hui et dont l’une des conséquences prévisibles est l’accentuation du rejet des politiques libérales par les populations européennes. Cela devrait notamment se traduire par une importance plus grande accordée aux considérations sanitaires et environnementales, non seulement au plan national mais également au plan international où le libre-échange pliera chaque fois que cela s’impose, devant la protection de la santé ou celle de la biosphère.
Pour que cette évolution puisse se concrétiser de manière durable, il faudra probablement renégocier de nombreux accords internationaux, y compris ceux de l’OMC. On pourra alors donner aux mots leur véritable signification et parler de biens publics mondiaux et de mondialisation plus humaine, c’est-à-dire, aussi, plus… équitable. On rappellera à ce propos que le cycle des négociations de l’OMC, lancé, à Doha, deux mois après les attentats qui ont fait basculer les tours jumelles de Manhattan, portait précisément sur un programme de travail désignant « un agenda ambitieux pour une mondialisation équitable ». Parler d’équité, c’est évoquer les déséquilibres criants qui fracturent la société internationale, dont celui lié à la disparité des niveaux de développement.
Sur ce terrain, aussi, la pandémie du coronavirus risque d'entraîner des effets catastrophiques. Dans un continent, comme le nôtre qui, en dépit de la persistance de facteurs inquiétants, a pu renouer avec l’espoir, avec un taux de croissance régulier de l’ordre de 5% et des progrès relatifs mais réels en matière de démocratie, le Covid-19 s’apparente à une malédiction.
Pour conjurer le mauvais sort et éviter que l’Afrique ne sombre dans la régression économique, sociale et politique, il faudra des gestes forts de la Communauté internationale, à son endroit, dont le moindre devra être, comme le propose l’ancien Directeur Général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, une initiative comparable au programme « Pays pauvres très endettés de 2005 », conduisant à une annulation massive de la dette des pays les plus pauvres.
S’il y a une bonne leçon à tirer de cette crise qui n’aura épargné personne, c’est que, pour paraphraser Edgar Morin, l’interdépendance sans la solidarité n’a pas de sens.
Contrairement aux nombreuses réflexions qui circulent sur le net, rédigées sous le coup de la colère, par ailleurs parfaitement légitime, suscitée par les dysfonctionnements de la mondialisation, nous ne pensons pas cependant que celle-ci prendra fin avec l'actuelle pandémie. Le Covid-19 n'est pas un militant antimondialiste et la mondialisation ne se réduit pas à la trajectoire libérale qu'elle a empruntée jusqu'ici.
Le monde globalisé dans lequel nous vivons est né de la conjonction de facteurs économiques (la libre circulation des capitaux, des biens, des services et l’interdépendance qui en résulte entre firmes et Etats ou groupes d’Etats), technologiques (aux moyens de transport réduisant les distances se sont ajoutées les nouvelles technologies de l’information qui contractent à la fois l’espace et le temps) et géopolitiques (effondrement du bloc soviétique) qui interagissent, créant un système d’interdépendance généralisée qui survivra au Tsunami provoqué par le coronavirus.
Mais ce monde globalisé n’est pas, tant s’en faut, un monde homogène. Il a peu de boussoles communes et il est travaillé par des contradictions multiples et évolutives. Une victoire générale des partis populistes - de droite ou de gauche- dans l'un des grands centres de la globalisation, comme l'Inion Européenne, aurait des conséquences certaines sur la trajectoire de la mondialisation mais ne la supprimerait pas pour autant.
On terminera cette brève réflexion par une interrogation sur l’impact possible du Covid-19 sur l’une de ces contradictions du monde globalisé, popularisée, ces dernières décennies, par la formule du « conflit des civilisations ». Quoiqu’il soit difficile de faire, à ce propos, la part entre ce qui relève de l’idéologie pure voire de la manipulation politicienne et ce qui relève de la réalité et, quoique l’observation élémentaire montre que beaucoup de conflits récents, présentés comme une illustration du « clash of civilization » sont plus banalement des conflits territoriaux classiques ou des conflits économiques, on ne peut nier que la fin de l’affrontement Est-Ouest a favorisé l’essor et la multiplication des conflits identitaires dans lesquels les facteurs religieux, culturels et civilisationnels au sens large jouent un rôle important. En dépit de la trêve à laquelle elle incite (mais cette incitation vaut pour tous les types de conflits), la pandémie du coronavirus ne devrait pas changer grand-chose à cette situation sauf dans deux cas extrêmes. Le premier est celui d'une victoire des populismes de droite qui exacerberait alors le conflit. Le second - il n'est pas interdit de rêver - concerne le scénario optimiste d'une conversion des esprits au terme de cette redoutable épreuve aux idées d'égalité, de justice et de respect mutuel entre les peuples ouvrant la voie à un nouvel ordre international surmontant au moins provisoirement la contradiction. Le Covid-19 aurait ainsi et malgré lui une vertu pacificatrice. Mais ne serait-il pas irrationnel de placer les espoirs de changement dans les conséquences induites par l'irruption d'un virus serial killer ?
Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Salah est Agrégé en droit privé et sciences criminelles (concours d’agrégation français, Paris, février 1989), Professeur à l’Université de Nouakchott (depuis 1989).
par Madiambal Diagne
AKILEE-SENELEC, QUI DOIT CRIER AU VOLEUR ?
On se demande si les parties qui négociaient pour la société nationale d’électricité avaient vraiment mis en avant les intérêts de l’entreprise. L’Agent judiciaire de l’Etat devrait pouvoir faire annuler un contrat aussi léonin
Le 16 décembre 2019, nous avions publié une chronique intitulée «La nécessité d’auditer Senelec». C’était au lendemain des dernières mesures d’augmentation du prix de l’électricité, justifiées par un besoin de combler un déficit d’exploitation de la compagnie nationale d’électricité. Il semblait curieux que Senelec, qui était présentée comme un modèle de bonne gestion d’une entreprise publique, distribuait des dividendes et qui avait réalisé des investissements vantés comme lui permettant de couvrir ses besoins en approvisionnement en électricité, que cette même Senelec connût subitement des problèmes de production au point de recourir à la location d’une barge flottante venant de la Turquie pour acheter l’électricité à un prix plus onéreux. Il était aussi curieux que cette même société, qui avait équilibré son exploitation en 2015, jusqu’à renoncer à la subvention de l’Etat du Sénégal, arrive à augmenter ses prix au consommateur pour «résorber ses déficits d’exploitation». Pour le seul exercice de l’année 2019, Senelec a encaissé auprès de l’Etat du Sénégal plus de 200 milliards de francs Cfa de compensation et autres subventions. Du temps de la gestion de gabegie du Plan Takkal de Karim Wade, Senelec n’avait pas reçu plus de 100 milliards de l’Etat du Sénégal. Pourtant, Senelec a vu le prix de ses intrants de production, notamment les hydrocarbures, baisser de plus de la moitié avec la chute des cours mondiaux du pétrole. Mieux, à la faveur du Programme «Scaling solar» de la Banque mondiale, Senelec était arrivée à acheter le kw/h auprès des nouvelles centrales solaires à un prix le plus bas que partout ailleurs dans la région. Il y avait donc anguille sous roche. Il y avait quelque chose qui clochait et qui méritait d’être examiné. La demande de réaliser un audit de Senelec était aussi un écho aux protestations des consommateurs et des citoyens qui criaient dans des cortèges de marcheurs qu’il n’était pas question pour le consommateur de payer des pots qu’il n’a pas cassés. Ainsi, le consommateur ne devait pas avoir à supporter les présumés errements et turpitudes dans la gestion de Senelec.
Nous avions essuyé une volée de bois vert, des insultes même, car d’aucuns ne voulaient pas envisager la nécessité de contrôler une gestion, fusse-t-elle conforme aux bonnes règles. On voyait toujours un complot, une volonté d’affaiblir un potentiel candidat politique en la personne de Mouhamadou Makhtar Cissé, directeur général de Senelec, devenu ministre de l’Energie et du pétrole. Je me demande bien si l’intéressé ne devait pas rire de ces grossièretés qu’on nous prêtait. Mais qu’à cela ne tienne !
L’affaire du contrat controversé passé entre Senelec et Akilee donne du grain à moudre et encore plus de sens à toute demande d’examiner la gestion de Senelec de ces dernières années. Le contrat avec Akilee semble être la goutte d’eau de trop. Les syndicats et les cadres de Senelec ont unanimement demandé des missions d’inspection et de contrôle, par les grands corps de contrôle de l’Etat, pour situer les responsabilités quant à la gestion aux relents prévaricateurs de la compagnie nationale d’électricité.
Akilee, le scandale de trop
Senelec avait confié au cabinet Performance management consulting (Pmc) une mission en vue d’élaborer un plan stratégique pour la période 2016-2020. Cette mission a produit un plan stratégique intitulé «Yeesal». On lit à la page 18 de ce plan, établi en novembre 2016, la préconisation pour la Senelec d’engager la perspective du «développement de compteurs communicants/intelligents, rendant les réseaux plus intelligents avec le développement des outils de e-learning pour faciliter le développement et le renforcement des capacités (commerciales, mais aussi techniques)». Pour mettre en œuvre leurs recommandations, les consultants, notamment Victor Ndiaye et Amadou Ly du cabinet Performance, vont sortir de leurs manches la société I-Nes, créée avec leur partenaire Samba Laobé Ndiaye, résidant en France. La société I-Nes va créer avec la Senelec la société Akilee, avec un tour de table de 66% de parts pour I-nes et 34% pour la Senelec. Le directeur général de la Senelec, Mouhamadou Makhtar Cissé, dévoila ce partenariat en août 2017, en présentant Akilee comme une filiale de Senelec. Les actes uniformes de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (Ohada) stipulent qu’une filiale doit être détenue au moins à hauteur de 51% par la société mère. C’était donc une supercherie de présenter Akilee comme une filiale de Senelec, un moyen commode pour contourner le Code des marchés publics et, donc, recourir à une prétendue filiale pour éviter la procédure d’appels d’offres concurrentes dans laquelle Akilee n’aurait eu aucune chance. L’opération avait aussi de forts effluves de délit d’initié, en ce sens que les consultants ont eu le temps d’étudier en interne les faiblesses et les besoins de Senelec, avant de mettre en place une start-up censée corriger lesdites faiblesses. Des cadres de l’entreprise avaient, faut-il le rappeler, dénoncé ce contrat dans la presse. Ils lui reprochaient, outre l’exclusivité du contrat de fourniture des compteurs intelligents, un domaine dans lequel Senelec avait déjà une certaine expertise, le fait qu’Akilee ne pouvait présenter aucun état de services assez solide et un carnet d’adresses important lui permettant de disposer d’une exclusivité qui lui assurait un contrat de 187 milliards de francs Cfa sur dix ans.
Mais ce n’est pas le plus grotesque. Pour accompagner le plan stratégique de Senelec, le gouvernement avait pu décrocher un financement conjoint de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement (Afd). Coup de théâtre ! A la veille de la signature du contrat d’Akilee, la Senelec avait décliné ce financement destiné à l’acquisition, par appels d’offres, de compteurs intelligents. Senelec avait préféré renoncer à ce financement et à l’appel d’offres, pour confier le marché de gré à gré à Akilee, qu’elle va payer sur sa propre trésorerie. On a vu qu’en fin de compte, ce sont les consommateurs (avec le renchérissement des factures) et l’Etat du Sénégal (avec les subventions budgétaires tirées des impôts des citoyens et/ou de l’endettement public), qui passent à la casserole.
Le plus drôle reste à venir. Le contrat entre Akilee et Senelec a pour base la fourniture de compteurs électriques dits intelligents. Akilee n’étant pas fabricant de ces compteurs, son rôle principal dans le contrat est de faire le travail d’intermédiaire, c’est-à-dire d’acheter les compteurs pour la Senelec auprès de son fournisseur traditionnel de compteurs, la société chinoise Hexing. L’intermédiaire Akilee y mettra naturellement ses marges commerciales et lesdits compteurs reviendront plus chers à Senelec. Cela va également avoir un impact sur le coût d’acquisition et le prix du kilowatt/heure livré au client final (consommateur). Akilee vend également, au prix de 9 milliards de francs Cfa, à Senelec une plateforme technique que lui a fournie gracieusement Hexing. C’est toute une histoire, car dans une offre commerciale, Hexing promettait de céder gratuitement la plateforme technique si la société d’électricité lui achetait un minimum de 350 mille compteurs intelligents, dans la perspective de remplacer les anciens compteurs. Le parc de compteurs de Senelec est de l’ordre de 1 million 400 mille unités. Mais Senelec commande du coup à Akilee un lot de 2 millions 700 mille compteurs et lui délivre un bon de commande sur toute la quantité. Akilee passera commande à Hexing et obtient gratuitement la plateforme technique qui va avec l’exploitation des compteurs. Akilee prétend avoir ajouté deux nouveaux modules informatiques à cette plateforme et justifie ainsi le prix. L’actuel directeur général de la Senelec, Papa Demba Bitèye, a proposé de n’acheter que les deux nouveaux modules qu’Akilee prétend avoir introduit sur la plateforme qui lui est donnée, encore une fois, gratuitement. Mais le plus renversant est que des cadres de la Senelec trouvent des similitudes étonnantes entre les éléments de ces modules sur une proposition technique que Huawei, une autre société chinoise spécialisée en télécommunications, avait proposée à Senelec, durant la période où le cabinet Performance effectuait sa mission auprès de Senelec. Dans une offre globale, Huawei proposait une plateforme technique dédiée et des modules similaires, pour ne pas dire identiques, en cas d’une commande de 400 mille compteurs par Senelec. Ces spécifications sont contenues dans l’offre intitulée «Solution de WAN et LAN proposée par Huawei pour Senelec». Les mêmes cadres de Senelec pointent du doigt de grosses lacunes techniques dans le contrat, ce qui dénoterait d’une précipitation dans sa conclusion ou que la direction générale n’avait pas souhaité associer les services techniques dans les négociations. Le contrat Akilee ne prévoit qu’une commande d’un seul modèle ou type de compteurs alors que les clients de Senelec utilisent des compteurs différents, en fonction de leurs activités ou du volume de leurs consommations.
Le contrat liant la Senelec et Akilee dévoile bien de situations incongrues qui laissent à tout le moins perplexe. On se demande, à la lecture, si les parties qui négociaient pour la société nationale d’électricité avaient vraiment mis en avant les intérêts de l’entreprise. De manière générale, le contrat semble plus déséquilibré en faveur de la start-up Akilee. Même en cas de résiliation, le contrat permettra à Akilee de ne pas y laisser sa chemise, tout au contraire. Quel que soit le cas de figure envisagé, «Résiliation sans faute, résiliation pour faute d’Akilee, résiliation pour faute de Senelec, cas de force majeure prolongé», la Senelec devra verser à Akilee les montants des factures émises et non payées, les encours après livraison, des indemnités majorées, ainsi qu’un montant correspondant au manque à gagner sur la durée restant du contrat. On s’interrogera encore sur les conditions de signature de ce contrat à la date du 11 février 2019, en pleine campagne électorale et la diligence particulière pour le faire enregistrer et la signature, le 20 mars 2019, d’un bon de commande pour dix ans, portant sur la valeur totale du contrat. Il est difficile de ne pas croire qu’il fallait tout plier en mode «fast track» avant de passer à autre chose. Le contrat est truffé de fautes d’orthographe et de syntaxe. Cela donne l’impression d’une course contre la montre. L’Agent judiciaire de l’Etat du Sénégal ou les conseils de Senelec devraient pouvoir faire annuler sans grandes difficultés un pareil contrat aussi léonin et comportant des «irrégularités d’une particulière gravité et portant une atteinte excessive à l’intérêt général».
Le Club des investisseurs sénégalais ne saurait cautionner cette forfaiture
De nombreuses personnes ont été étonnées de voir une déclaration, signée du Club des investisseurs sénégalais (Cis), apportant un soutien à Akilee dans son différend avec Senelec. Mais ce sont les membres du Cis qui ont été les premiers à s’étrangler de rage en découvrant, dans les journaux de vendredi dernier, la publication de la motion de soutien à Akilee. Ils s’interrogent sur les motivations d’une telle prise de position, d’autant qu’aucune instance régulière du Cis n’avait été préalablement consultée. En effet, ce n’était que dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 mai 2020, à 00h 40, qu’un message avait été envoyé aux membres du Cis «pour information», sur une déclaration qui devra être dans les journaux à leur réveil. A cette heure, les publications étaient déjà à l’imprimerie et aucune protestation n’aurait pu permettre de rattraper la déclaration. L’heure était donc bien choisie pour «informer» les membres du Cis, sans doute déjà dans les bras de Morphée et qui, à leur réveil, se trouveraient ainsi mis devant le fait accompli. On saura plus tard que l’insertion payante avait pourtant été calée avec la plupart des journaux, le jeudi, sur les coups de 19 heures. Les réactions indignées ne se sont pas fait attendre. La manœuvre apparaît déloyale à l’endroit des membres du Cis qui se voient ainsi embarqués dans un combat dont ils ignorent les tenants et les aboutissants. Ainsi, de nombreux membres du Cis ont tenu à se démarquer d’une telle prise de position, estimant que l’organisation était en train de faire fausse route, car la défense des intérêts des privés nationaux sénégalais ne saurait participer de la caution apportée à des actions de prévarication ou de dépeçage d’un outil public. Pour sa part, Senelec a regretté, dans un communiqué, que le Cis ait eu à se prononcer sur un différend sans prendre la précaution d’entendre sa version des faits. Il faudrait sans doute retenir que promouvoir le capital sénégalais est une chose, mais le faire au détriment des intérêts du pays et du bien commun semble problématique. Le Cis devrait se montrer une structure dynamique et proactive, incitant à une implication effective des capitaux sénégalais dans la marche du pays. Son rôle est d’interpeller l’Etat sur bien des questions économiques et pousser à une prise en compte des intérêts du capital sénégalais. Il doit se faire force de proposition dans un contexte où l’idée que l’économie nationale ne serait pas entre les mains des fils du pays est brandie à tort ou à raison. Un tel outil a un rôle majeur à jouer.
Par Mary Teuw NIANE
CHANGER
Changer, c’est aussi admettre que nous avons des valeurs qui favorisent la transformation de la société, la reddition des comptes, l’émulation, la sanction positive et négative
Changer n’est pas facile ; abandonner les vieilles habitudes qui deviennent certitudes à force d’être répétées ; remettre en cause notre manière de faire qui s’impose à nous comme une routine instinctive, inscrite dans nos manières de penser ; avoir le courage d’aller à contre-courant de l’image que l’opinion a façonnée pour nous dans la position où nous sommes ; refuser les avantages alors que les moyens illicites d’en profiter sont disponibles ; s’abstenir d’ostentation lorsque griots et laudateurs sont prêts à nous bâtir une généalogie et un hymne trafiqués ; accepter l’humilité de toujours apprendre, se former et se cultiver ; avoir le courage de s’investir au service de son pays et de son peuple sans rien demander en retour que le juste salaire qui nous revient ; vivre sa passion, son engagement et son amour pour son prochain, son peuple, sa patrie plus que sa propre personne, sa propre famille ; enfin inscrire son projet de réussite personnel dans le grand programme d’émancipation de son pays et de l’Afrique.
Changer, c’est avant tout, décider, accepter, trouver un avantage moral, éthique, spirituel, intellectuel, avoir un intérêt à changer. Nous le savons, les mentalités survivent longtemps après la disparition des conditions matérielles qui leur ont donné naissance. Comment alors dans une société qui a une tendance atavique à toujours revenir sur ses pas, à ramener les vieilles habitudes sous des oripeaux plus destructeurs, à couper les têtes qui débordent, à ensevelir l’individu sous le diktat de la communauté plus préoccupée par sa survie que par sa transformation, l’individu peut-il assumer son individualité et son autonomie pour s’en extirper et oser une remise en cause salvatrice ? Et pourtant tel devrait être le destin de l’intellectuel africain !
Entre le pouvoir, les pouvoirs qui imposent soumission et exécution de directives écrites, le plus souvent non écrites et plus contraignantes, les exigences d’une représentation sociale de la réussite, de l’utilité et de la considération, il est difficile de trouver un chemin taillé à sa propre personnalité, sans tambours, ni trompettes, sans heurts, pour bâtir un engagement patriotique sincère à construire son pays. Le changement de mentalité, le changement tout court, la naissance d’une forte communauté ouverte et engagée dans la transformation de la société, passent par l’éducation et la formation qui doivent transcender l’éducation et la formation disciplinaires qui sont certes très importantes. Cependant elles ne suffisent pas à former les citoyens nouveaux qu’impose la marche vers le monde nouveau qui se construit sans notre permission.
De la Chine communiste aux États-Unis capitaliste, la formation de la citoyenne et du citoyen est au cœur du projet de société mis en œuvre. Ce n’est pas une affaire de système économique et social encore moins une question idéologique, c’est la prise de conscience de la nécessité de mobiliser toute la société vers la réalisation d’un objectif dont il faut la convaincre de son bien-fondé et l’engager librement, volontairement à être partie prenante de sa mise en œuvre. Tout est en train de changer sous la pression des idées, des fake news, des nouveaux outils, des méthodes, des moyens de pression, de la manipulation et de la soumission des esprits.
L’Afrique, les pays africains sont soumis à une pression énorme et constante venant de l’extérieur. La peur, la perte de confiance en soi, la perte de confiance par rapport aux autorités et à toutes les autorités, la création de multitudes de nouveaux pôles dont la légitimité est fabriquée par les médias et les financements extérieurs, sont aujourd’hui une des faces de l’influence extérieure en plus des pressions sur les autorités en place. Cette pandémie du COVID19 devrait nous instruire : combien de millions de morts du covid19 a-t-on déjà prédit pour l’Afrique ? Cette prédiction macabre ne s’est pas estompée qu’on nous annonce des millions d’africains victimes de la famine ! Il est à parier que le marché mondial de la misère est très florissant sur le continent africain !
Les modèles endogènes sont niés, les réussites, en dehors des officines secrètes qui nous les imposent, sont déconstruites, les responsabilités individuelles sont bannies car, dit-on, relevant d’application de simples injonctions de forces extérieures. Cette manière de voir infantilise les africains et l’Afrique. Elle est bénéfique pour tous ceux qui travaillent, avec beaucoup de moyens, de cerveaux et d’intelligences africains, patiemment, ouvertement et dans l’ombre, à la balkanisation des africains, des territoires, des pays et de l’Afrique.
Changer, c’est aussi admettre que nous avons des héros, des savants, de bonnes et de mauvaises autorités, des compétences, des traitres, des criminels, des mécènes, des adultes, des ouvriers, des paysans, des femmes, des jeunes, chacun doit être entièrement responsable de ce qu’il fait et non de ce qu’on pense qu’il fait.
Changer, c’est aussi admettre que nous avons des valeurs qui favorisent la transformation de la société, la reddition des comptes, l’émulation, la sanction positive et négative (sa guémigne khassaw na sa doomu ndey moo la koy wakh, waaw goor baakh na ci kuy liggeey, etc.).
Effectivement changer, c’est bâtir une société dans laquelle chacun est responsable, peu importe qui l’inspire, il est le seul responsable devant la société et le peuple souverain. Refusons d’être les véhicules inconscients de l’indignité africaine qui veut que derrière ou dans la tête de presque chaque africain, il y ait une personne étrangère qui soit la maîtresse de ses pensées ou de ses actes. Une société sans repères, sans modèles, sans valeurs, est vouée à l’effondrement et à l’assujettissement. Rassurons-nous, nul modèle, nul héros n’est parfait !
Changer, c’est faire confiance à nos ressources humaines, à nos compétences, à nos entreprises, à nos capitaux, à notre esprit d’innovation, à nos esprits créatifs, etc.
Changer, c’est protéger et préserver notre environnement et nos ressources naturelles.
Changer, c’est aussi prendre l’investissement humain comme une partie du capital, c’est nous imposer dans certains segments prometteurs du marché international, bâtir des espaces de souveraineté économique et financière qui sont les leviers sur lesquels nous nous appuyons pour bâtir notre émancipation économique et sociale.
Changer est une affaire individuelle et collective, mais aucun changement qualitatif, général et collectif n’est possible, s’il n’est porté par l’autorité politique, les autorités politiques, les pouvoirs publics, les communautés, les femmes et les jeunes. Le changement, la culture de changement seront mûrs lorsque les écrivains, les poètes, les artistes s’en empareront, alors par l’écriture, par la magie du verbe, de l’image et la symphonie des corps, le peuple subjugué, conquis et convaincu, adhèrera aux transformations économiques, sociales et culturelles. Unis et engagés, nous vaincrons.