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2 mai 2025
Opinions
par Ibrahima Silla
LES DÉMOCRATIES NE FONCTIONNENT PAS À JEUN !
Il ne faut pas passer de la politique du ventre à la diplomatie du ventre en tendant la main sur le marché international où la gratuité n’est jamais désintéressée
Dans son ouvrage, La politique du ventre qui avait, lors de sa parution, irrité ou déplu nombre d’Africains, en raison notamment des imaginaires alimentaires rattachés au titre lourd d’insinuations irréductibles, Jean-François Bayart abordait une problématique qui mérite d’être revisitée aujourd’hui à l’épreuve du coronavirus qui dicte des solutions d’exception face aux urgences d’alimentation. Un tel retour sur les lieux du crime de lèse-majesté ne peut que nous montrer que l’Afrique n’a pas le monopole de la politique du ventre et encore moins que les démocraties fonctionnent à jeun.
Politique des mains propres, politique des visages masqués, politique des corps distanciés, politiques des désirs confinés, politique des transports interdits, politique des rues désertes, politique des enseignements numérisés, politique du télétravail privilégié, politique des mosquées fermées, politique des politiques réorientées, politiques des poches vides, politiques des ventres pleines, etc. les qualificatifs et exemples pourraient être multipliés à l’infini pour démontrer que tout peut devenir politique et que la politique peut se retrouver en tout pour la bonne cause. Ce qui importe au fond, c’est moins le nommé qui nous dérange que l’innommé qui nous arrange.
Dans cet ouvrage qui a beaucoup contribué à saisir les manifestations les plus subtiles et énigmatiques du politique et de la politique en Afrique noire, Jean-François Bayart constatait en effet que : « l’évergétisme joue un rôle central à tous les échelons du jeu politique. La richesse et la « générosité » personnelle sont de véritables vertus politiques, et le chef d’État et les hommes politiques affichent volontiers à la fois leur prospérité matérielle (y compris leur embonpoint) que leur générosité. » L’évergétisme consiste, pour un notable, à faire profiter ses concitoyens de sa richesse.
Aujourd’hui, derrière la politique du riz et des denrées de première nécessité, nous assistons à la manifestation de l’État-providence dans son rôle distributeur et protecteur. Ce qui est tout à fait légitime, souhaitable et compréhensible, d’autant plus que la « faim » justifie les moyens colossaux que l’État envisage de mobiliser pour répondre aux préoccupations alimentaires des populations. Ce n’est pas de la générosité. Ce n’est pas de la pitié. C’est une obligation étatique d’envisager la politique du ventre, sans laquelle la solution du confinement s’avère impossible. Il ne faut toutefois pas passer de la politique du ventre à la diplomatie du ventre en tendant la main sur le marché international où la gratuité n’est jamais désintéressée. Il y a toujours un retour sur investissement, jusque dans la bourse des valeurs de l’humanitaire.
Il n’y a aucune gloire ni aucun mérite à tirer pour l’État dans cet exercice qui relève de ses prérogatives les plus fondamentales. L’État ce n’est pas seulement que des institutions, des hiérarchies et des privilèges. L’État c’est aussi des ventres à nourrir, des corps à dresser, des esprits à formater pour perpétuer le système dit-on. L’État c’est surtout des responsabilités dont celle de subvenir aux besoins vitaux des populations. La politique c’est aussi et surtout l’art de gérer des mécontentements. Dans Them belly full, l’immense et éternel Bob Marley chante : « An hungry man is an angry man ». Distribuer et redistribuer, rien de plus normal pour les garants de la dignité, de la sécurité, de l’égalité et de la vie des peuples. Solliciter et recevoir, rien de honteux pour des citoyens qui peuvent dire en réalité : « tout nous appartient ». Ce que vous avez, ce que vous nous donnez comme ce dont vous nous privez.
La richesse de l’État, comme de ceux qui l’incarnent, appartient au peuple. Dès lors, tout ce qui est donné au nom de l’État comme à titre personnel appartient au peuple. Le peuple ne reçoit actuellement que son dû. Tout lui appartient. Ce dû n’est pas un don ni une dette symbolique à reverser au vrai détenteur du pouvoir ; au vrai souverain ; au vrai leader : le peuple. Mais l’on peut s’interroger : l’urgence est-elle dans l’alimentation uniquement ? L’État d’urgence n’est-elle finalement qu’un État d’alimentation ? Il est clair qu’il faut toujours garder à l’esprit que l’urgence n’est pas seulement dans cette politique d’alimentation qu’il faudrait associer à une politique de réinvention de nos modes de vie, de production, de consommation et de communication. Loin de nous l’idée d’affamer le peuple.
Il est donc question ici, moins de jeu politique, que d’enjeu politique. Donc pas question de vouloir tirer un quelconque avantage de la crise. Ni financier, ni électoral, ni symbolique. Ceci est valable aussi bien pour les gouvernants que pour les gouvernés qui ne devraient pas profiter de la crise pour jouer aux victimes. Il n’est pas de bon ton aujourd’hui de vouloir apparaître plus qu’on est ou de vouloir s’appauvrir plus qu’on est. Il revient aux gouvernants de démasquer tous ceux, ventriloques du virus, qui cherchent à tirer profit, sous quelques formes que ce soit, de la crise actuelle. Le coronavirus ne doit pas être une opportunité d’enrichissement personnel. Ce n’est pas une question d’illicéité mais de décence. L’intense et profond Alpha Blondy chante dans République bananière : « on ne tire pas sur l’ambulance ». L’État ambulance ne doit pas prendre les clandestins sans foi ni loi, plantés là sur les routes de l’opportunisme boulimique.
La corruption sentimentale et politique qui pouvait motiver de tels stratagèmes, en période électorale, doit certes faire place à une empathie sincère à l’égard des difficiles conditions du peuple, malmené par un quotidien précaire et des lendemains incertains. De même que la générosité traditionnellement célébrée dans une indécente exhibition du paraître doit laisser la place à une austérité et une sérénité. Sans celles-ci, le peuple, et donc l’État-nation se sentirait agressé, détroussé et trahi à un moment où les nerfs sont tendus et suspendus aux miracles scientifiques ou divins dont on espère qu’ils nous délivrent de ce cachot existentiel mais essentiel qui ne doit pourtant pas nous plonger dans la psychose.
L’enjeu est là ; tenace mais pas perdu d’avance. Comment continuer à vivre avec le virus ? Comment le tenir à distance par des gestes barrières diversifiées parfaitement bien intégrées dans la routine par les populations en toute tranquillité, responsabilité et citoyenneté ? Il faut une nouvelle politique de la politique et des politiques ; Une nouvelle politique de l’existence à substituer à l’actuelle existence politique. Après la révolution industrielle et numérique, l’on s’achemine vers la révolution existentielle et essentielle.
Pour l’instant, la réponse de l’État est apparemment une réponse ponctuelle à l’angoisse existentielle qui se présente comme une peur de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins alimentaires essentiels. Cette angoisse crée la peur d’exister sans s’assurer la possibilité d’accumuler le maximum vital, en raison du confinement suggéré, de la baisse ou de l’arrêt des activités pour des populations habituées à vivre avec le minimum vital.
La situation sera surmontée si nous arrivons à intégrer avec philosophie les vertus de l’angoisse essentielle qui nous ouvrent les portes du plaisir d’exister avec le minimum nécessaire et le maximum vital, même si l’alchimie entre le nécessaire et le vital, le minimum et le maximum reste difficile à définir et à circonscrire. Elle pourrait éventuellement passer par une politique d’austérité envers soi-même, librement choisie et vécue avec philosophie et contre la boulimie d’accumuler plus que de besoin.
L’enjeu n’est pas de pouvoir donner et de savoir recevoir, mais surtout de savoir accepter sans se résigner ; de pouvoir apprendre à vivre autrement et simplement. Une vie qui commence d’abord par un retour essentiel sur soi sans tomber dans l’égoïsme et l’égocentrisme, mais une vie remplie et repliée sur l’essentiel pour mieux s’ouvrir à l’harmonie aseptisée qui se noue avec l’autre suffisamment clean d’esprit et de corps pour ne pas polluer et pourrir nos quotidiens déjà lourdement accidentés.
par l'éditorialiste de seneplus, bacary domingo mané
MACKY EN MODE DIGITAL
EXCLUSIF SENEPLUS - Le chef de l’Etat est parvenu à se faire remarquer au milieu de ce vacarme médiatique dont le covid-19 constitue le centre d’intérêt, grâce à une stratégie de communication de crise digitale bien huilée
Bacary Domingo Mané de SenePlus |
Publication 01/05/2020
La pandémie du covid-19 est-elle en train de nous révéler le talent caché de communiquant digital du président Sall ? L’interrogation ne manque pas de consistance, si l’on en juge par la cadence des tweets inondant la toile - à un rythme presqu’effréné - depuis le début de cette maladie qui donne le tournis à l’humanité toute entière.
Le chef de l’Etat est parvenu à se faire remarquer au milieu de ce vacarme médiatique dont le covid-19 constitue le centre d’intérêt. Grâce à une stratégie de communication de crise digitale bien huilée, il a su jeter un pont sur ce vaste océan du monde, pour échanger à la fois avec les Sénégalais et les citoyens de la planète.
Exit la com politique de Mame Boye !
Il a compris que la communication politique moderne n’est plus descendante, mais place plutôt l’interaction au cœur du rapport entre la personnalité politique et les populations. Exit la logorrhée, refuge parfois d’un verbiage survolant à tire-d’aile la réalité sociale. Internet a fait changer à la politique ses codes. L’interaction est passée du B2B - en transitant par le B2C - au H2H où l’échange vise l’humain à l’humain, car le but ici étant de consumer l’image élitiste qui fait du politique un héros.
Le premier des Sénégalais est à l’heure de l’Inbound marketing, une approche de la communication politique qui donne au récepteur toute la considération requise, à travers un échange constructif capable de susciter l’intérêt du répondant. Le tweet n’est pas un lieu de palabres, le message doit être construit avec juste 140 caractères.
Certes, le tweet permet d’aller à l’essentiel, mais sa principale faiblesse réside dans cette forme d’écriture brève qui ne donne pas la possibilité d’étayer un propos par une argumentation construite.
Depuis le début de la crise de la maladie à coronavirus, le président Sall a tweeté plusieurs fois et à un rythme régulier. On y voit défiler les mots : crise, gestes barrières, prévention, grave, unis, ensemble, dette, solidarité, etc. Tantôt, il sensibilise sur la gravité de la pandémie, tantôt il appelle à l’union sacrée. Le chef de l’Etat se drape parfois du manteau de panafricaniste pour demander, par exemple, l’annulation de la dette des pays africains.
En moyenne trois tweets par jour, histoire de montrer qu’il a le lead de la communication en cette période difficile pour tout dirigeant mesurant à sa juste valeur la détresse humaine sur fond d’angoisse existentielle des populations redoutant à chaque instant de faire l’expérience de la limite. A l’image de tous les dirigeants du monde, le président Sall ne peut dissimuler la peur qui se lit sur sa mine patibulaire traduisant les pulsions d’un cœur qui bat la chamade.
Mais, il a parfaitement compris que garder le témoin de la communication est une belle opportunité pour ne pas subir la crise ! Et la toile offre, non seulement cette possibilité de rester à flot, mais aussi de créer le buzz.
Imposer son leadership au plan continental
Cette présence proactive sur l’échiquier médiatique, par le canal d’une communication digitale qui intègre parfaitement les codes de l’interaction, cache mal une volonté de profiter de cette crise pour polir une e-reputation, un leadership qui ne doit pas faiblir.
C’est d’ailleurs par un tweet du 25 mars dernier qu’il invite les partenaires bilatéraux et multilatéraux à accompagner la résilience du continent africain en annulant la dette. Depuis, l’information a fait le tour du monde, les grands médias ont repris cet appel réfléchi et courageux. C’est encore par le même canal qu’il a usé de diplomatie pour interagir avec le président de Madagascar sur la question de la commande du fameux Covid-Organics, au plaisir de milliers d’africains
Mieux que les autres outils de relation publique, le digital est aujourd’hui, on le sait, un des meilleurs canaux de communication grâce à la spontanéité, l’instantanéité et la réactivité qu’il offre.
Le digital est un puissant instrument de communication politique qui permet un dialogue direct entre dirigeants et populations. Le community manager du Palais l’a tellement compris, que son innovation à diffuser les messages à la nation en live sur les pages du président, n’a pas échappé à la vigilance des spécialistes en communication politique. Le «défilé digital» du 4 avril dernier organisé par ses services, était une parfaite réussite pour un coup d’essai.
Le Sénégal, à l’instar de la plupart des pays du monde vit de plein fouet les contrecoups de la pandémie du COVID 19. Après la fermeture largement appréciée des frontières, le gouvernement s’emploie tant bien que mal à apporter une réponse efficace à un fléau qui a fini de plomber les paradigmes socio-économiques qui, jusque-là, ont structuré les règles de fonctionnement de nos sociétés.
S’il est vrai que les mesures prises dans le cadre de la riposte sanitaire ont presque fait l’unanimité aux yeux de l’opinion, il est tout aussi vrai que la mise en œuvre des orientations du programme de résilience économique et sociale lancé par le chef de l’Etat est sujette à réflexion. Nombreux sont les sénégalais qui s’interrogent sur le bienfondé des mesures d’accompagnement prises en faveur des couches à faible résilience. L’ambition noble et légitime de l’Etat étant de les aider à s’adapter au mieux aux effets du COVID, pourquoi n’a-t-on pas envisagé des schémas plus efficients que ceux en cour d’exécution?
En effet, en s’alignant sur la stratégie de riposte globale de l’Etat, le ministère en charge du Développement Communautaire, de l’Equité Sociale et Territoriale a pris l’option de cibler tous les ménages vulnérables à l’échelle du territoire national. Ce choix qui, à mon avis, découle d’une analyse biaisée de la situation risque d’être trop onéreux pour un pays pauvre comme le Sénégal. Certes l’histoire ne se répète pas mais les leçons qu’elle nous a enseignées doivent, si nous sommes doués d’intelligence, inspirer nos décisions actuelles et futures. Alors, détrompons-nous et comprenons que ce à quoi nous faisons face, ce n’est ni une bataille de rue, ni un combat de front mais une guerre, une vraie guerre d’usure que nous ne pouvons assurément pas vaincre de sitôt et qui, à coup sûr, va s’inscrire dans la durée. Dès lors, admettons en toute responsabilité l’hypothèse que la maladie va perdurer dans nos villes et villages ! A cet effet, et vu les maigres ressources dont nous disposons, notre pays serait-il en mesure de supporter des dépenses sociales qui, à moyen voire long terme iront crescendo ? Rien n’est moins sûr d’autant plus que le tribut à payer au sortir de cette pandémie sera, à tout point de vue, très lourd et que l’après-covid doit, dores et déjà, être envisagé dans une perspective de redressement économique et social qui, lui aussi, aura un coût sans précédent. Par conséquent, inscrire nos choix dans une posture plus raisonnée et moins émotionnelle empreinte d’humilité est la meilleure alternative qui s’offre à nous.
A ce propos, la priorisation des localités fortement touchées dans le cadre de l’assistance alimentaire en y durcissant les mesures-barrières (mise en quarantaine ou confinement tel que souhaité par des syndicats de la santé) pour une mise en échelle graduelle en fonction de de la situation épidémiologique du moment est une option qui mérite d’être sérieusement adressée.
Par ailleurs, en optant pour la fourniture de l’aide en nature, l’Etat s’est engagé dans une approche à processus d’exécution à la fois long, complexe et délicat. En plus de la procédure même allégée de la passation de marchés (décret n°202-781 du 18 mars 2020), il devra faire exécuter toute une série d’activités liées à la logistique, au transport, à la manutention et à la distribution. Ce qui suppose la mobilisation d’une main d’œuvre abondante source potentielle de contamination mais aussi et surtout d’une énergie collective qui aurait dû servir à d’autres volets de la riposte. Il s’y ajoute que la standardisation des kits alimentaires, loin de tenir compte de la particularité des uns et des autres, remet en cause le droit des ménages à choisir par eux-mêmes, en toute liberté et en toute connaissance de cause, les produits qu’ils considèrent comme prioritaires. L’absence d’harmonisation aidant, cela va s’en dire que le processus sera en toute évidence parasité par des doublons dans la mesure où certains auront déjà bénéficié d’appui similaire de la part de leur municipalité. Aussi, en optant pour l’approche susmentionnée, l’Etat a réduit de fait l’assiette potentielle de ses cibles puisque les frais afférents au transport et à la manutention à l’arrivée auraient pu servir à enrôler des milliers de ménages supplémentaires. Toutes choses qu’on aurait pu éviter si des choix plus judicieux et à plus forts impacts sociaux avaient été opérés. Sous ce rapport le système « cash transfert », utilisé au Sénégal en réponse à la malnutrition et appliqué présentement en Côte d’Ivoire ou même le modèle classique de la billetterie itinérante semble, à mon avis, mieux adapté au contexte. Au moins il nous aurait permis de gagner en temps, en énergie, en efficience et d’éviter cette polémique regrettable qui a fini de parasiter le formidable élan d’unité et de solidarité auquel notre pays a eu droit à l’entame de la pandémie.
Au regard de ce qui précède et notamment de la perspective presque évidente d’un Covid qui perdure, n’y a-t-il pas lieu de poser de manière constructive le débat sur la pertinence de certaines des options prises par nos autorités en ce moment critique de la vie de notre nation ? L’adage ayant bien fait de dire « mieux vaut tard que jamais », le temps est peut-être venu pour notre pays de réajuster sa stratégie de riposte.
par Mouhamed Moustapha Dieye
A L’ASSAUT DES IMPENSÉS DU CORONAVIRUS
Seule une bonne information, l’intégration d’une culture de la prévention et la préparation des communautés à affronter les risques et à surmonter les contrariétés symbolico-religieuses permettront d'éviter les dérives aux conséquences incalculables
Aux origines d’une expérience personnelle comme prétexte
Mars 2019, en pleine campagne électorale pour les élections présidentielles au Sénégal, je découvrais les méfaits de l'ignorance et ses implications sur la formation de la conscience citoyenne. Alors que je cherchais un espace pour me garer, je fus interpellé par un agent de sécurité, mais la puissance du cousinage fictif finit par avoir raison sur la détermination de ce dernier à m'interdire le stationnement. Je fus stupéfait par la tournure de notre discussion qui a été révélatrice pour moi des enjeux de l’information et de l'importance des méthodes de communication.
Le moment était propice aux discussions politiques et l’agent de sécurité, non seulement, ne tarissait pas d'éloges vis-à-vis des élites politiques au pouvoir, mais s'évertuait à vouloir me convaincre de la pertinence des réalisations en termes infrastructurels avec le TER, les échangeurs et particulièrement l'autoroute Ila Touba qui lui permettait de rallier son village en un laps de temps. Je me souviens encore de son air éberlué et pensif quand je lui fis comprendre qu'il n'avait pas à remercier l'État qui ne s'acquittait là que de ses obligations parce que, être au service des citoyens, là était sa raison d'être. Sa perplexité était d'autant plus grande lorsque je lui expliquais que c'est lui, tout démuni qu'il était, qui faisait vivre l'État à travers les taxes indirectes et, ce faisant, il lui donnait ainsi les moyens de réaliser les infrastructures dont il parlait.
L'idée de savoir que, quand il achetait une boite de thé, une boîte d'allumettes, une baguette de pain ou un paquet de cigarettes, il payait en même temps une taxe, au profit de l'État, sans s’en rendre compte, le rendait dubitatif. Je lui demandais alors s’il était acceptable, pour lui, que les hôpitaux ne puissent pas prendre soin de son enfant et qu'il soit obligé de tout payer, alors que l'enfant du fonctionnaire bénéficiait d'une prise en charge. Son expression faciale me fit comprendre qu'il avait raté quelque chose et qu'il venait de comprendre le rapport de l'État au citoyen et ce à quoi, il pouvait s'attendre de l'État sénégalais. Je compris aussi la portée et la pertinence du choix du type de communication que j’avais adopté et qui consistait à prendre de mon temps pour lui expliquer dans une langue nationale les notions de citoyen, d’État et de taxe.
Presque une année après, jour pour jour et le phénomène du Covid-19 aidant, je fus confronté à une situation similaire. En effet, les interactions que j'ai eues avec quatre catégories socioprofessionnelles différentes, m'ont conduit à dérouler la même approche communicationnelle que j'avais adoptée face à l’agent de sécurité, un an plutôt, et qui avait porté ses fruits. Lorsque, d’un poissonnier, je reçus une réponse négative quant à sa connaissance de la signification du terme porteur sain, ma détermination à poursuivre mon approche fut encore plus forte surtout quand il m’informa que la veille une campagne de sensibilisation avait été menée au niveau de cette plage de débarquement de poisson.
Comment pouvons-nous penser que le commun des Sénégalais puisse comprendre dans toute leur plénitude le sens et la signification des termes galvaudés par monts et par vaux tels que : porteur sain, distance sociale, distance physique, distanciation sociale, temps d'incubation, proximité sociale et que sais-je encore. N'est-ce pas les spécialistes et experts qui réfléchissent sur la pandémie du coronavirus à l'OMS qui ont forgé le concept d'infodémie, pour désigner le flux ininterrompu d'informations qui circulent à travers les continents. S'il est établi, qu'aucune stratégie de lutte contre cette maladie, ne peut prospérer face à ces informations fausses ou inexactes, il appert alors que la seule guerre qu'il convient de mener et de gagner est celle relative à la transmission de l'information correcte, vraie et utile.
Je me retrouvais alors à expliquer à mes interlocuteurs pourquoi il était si important de garder la distance sociale de 1,5m et qu'il ne fallait surtout pas se gêner de demander à quelqu'un qui se rapprochait un peu trop, de garder la distance ; face au coronavirus, le masla n'avait pas sa place. En leur disant qu'il était possible que, moi-même avec qui, il discutait, pouvais les contaminer alors que je n'étais ni tousseux ni enrhumé, leur faisait prendre conscience subitement de la dangerosité du coronavirus.
Ils s'imaginaient eux-mêmes pouvoir être de potentiels porteurs sains et, donc, de pouvoir contaminer leurs proches et bien évidemment de pouvoir être contaminés par un autre porteur sain. A cet instant, je me disais que, peut-être, je venais de faire un pas, mais un pas de poucet dans la clarification de ce qu'on entendait par contamination communautaire et de porteur sain. Aussi, je notais qu’à chaque fois que j'ai dû faire appel à la langue locale pour essayer d'expliquer ces termes en vue d'une sensibilisation, la réaction a toujours été la même : « ah bon, j'en ai entendu parler, mais je ne l'ai jamais compris comme ça, maintenant c'est très clair pour moi, cette maladie est vraiment dangereuse ». A ce niveau, il importe de s'interroger sur la pertinence et la portée de la stratégie d'information déroulée qui, de toute évidence, semble inadaptée aux réalités socioculturelles du pays. Quel est le contenu de l'information et à qui s'adresse l'information ?
De la pertinence d’une stratégie de communication endogène et proactive
Que faut-il attendre d'une information savante et hermétique, donc totalement inaudible, distillée par des experts en direction de cibles avec des niveaux d'éducation très faibles ? Si on tient compte du contexte du Sénégal, de sa diversité ethnique et des différentes sensibilités socioculturelles, on comprend mieux l’intérêt qu’il y a à concevoir une stratégie de communication multidimensionnelle qui fasse en sorte que le message approprié soit communiqué au bon moment, à la bonne personne et dans le format qui convient. Évidemment, il faudra aussi tenir compte de l’imaginaire de l’homo senegalensis. C'est à cette condition seulement qu'on peut s'assurer que l'information donnée peut contribuer à réduire la contamination communautaire, à sauver des vies et à minimiser les perturbations tant sociales qu'économiques. Ne peut-on pas lire la résistance des jeunes sénégalais à l’injonction étatique de rester chez eux à partir de 20h ainsi que le baroud d’honneur de certains imams à vouloir vaille que vaille célébrer la prière du vendredi malgré l’interdiction comme la conséquence, encore une fois, de l’absence, du déficit ou de l'inadéquation de la stratégie de communication.
Faut-il le rappeler, cette pandémie du coronavirus est une crise inédite, tant du point de vue de sa rapidité d'expansion que du point de vue de sa puissance de déstructuration des sociétés. A cet égard, les spécialistes de la communication, plutôt que d'être contraints de réagir sous la pression des médias et de la population, doivent faire preuve de capacité d'innovation et inventer des modalités de communication exceptionnelle qui puissent compléter les mécanismes classiques existants. Sans une stratégie efficace de communication basée sur une bonne connaissance des comportements des sénégalais, il sera difficile de gagner le pari d’une forte mobilisation sociale et d’une adhésion absolue et, conséquemment, il faudra subir une flambée du coronavirus. Cette pandémie montre, encore une fois, que le risque d’épidémie est décuplé sous la poussée de certains facteurs complexes dus principalement au comportement humain et qui se réfèrent à la mondialisation, à la forte mobilité des population par voie aérienne, terrestre ou maritime, à l’urbanisation rapide et incontrôlée, etc.
S’il y a donc un point qui ne souffre pas d’équivoque, c’est bien l’idée selon laquelle le comportement humain est le dénominateur commun dans le risque épidémiologique, dans la prévention et la maîtrise d’une flambée épidémique. En d’autres termes, ce que les gens font ou ne font pas influe considérablement sur la lutte contre la propagation de la maladie. Sous ce rapport, on admet aussi que la réussite du contrôle de la propagation est fortement tributaire de la participation active et de la contribution des communautés, y compris bien évidemment les personnes touchées ou exposées. Dans cette perspective, on comprend aisément qu’une réponse unique ne saurait convenir, mais il faudrait plutôt adapter la stratégie de communication à la situation locale, et notamment aux conditions socio-économiques. C’est là tout l’intérêt pour les différents acteurs (personnel médical, équipe de sensibilisation etc.,) de posséder une compétence culturelle avérée qui permet de générer, d’accroitre et de maintenir la confiance des communautés pour modifier en urgence les comportements et amener les personnes exposées à comprendre l’importance des mesures barrières, à accepter les changements désirés et à les appliquer d’elles-mêmes, au sein de leur famille et de leur communauté.
C’est à ce niveau que les collectivités territoriales, démembrement du pouvoir central, devraient jouer la plénitude de leur rôle que leur confère l’acte III de la décentralisation à savoir la gouvernance des problèmes de santé fondée sur l’engagement des communautés et qui intègre des services de santé préventifs, promotionnels et ré-adaptatifs destinés aux communautés et délivrés par les communautés. Il est clair que, pour gagner la confiance et obtenir l’adhésion des citoyens, la communication doit se faire le plus proche possible des populations et comme le virus circule dans les territoires, les collectivités locales du fait de leur proximité avec les populations semblent être plus indiquées pour porter la bonne information dans les langues locales adaptées. En effet, les collectivités territoriales sont le niveau le plus proche de prise en charge des besoins des populations tant par les compétences qui leur sont dévolues mais aussi par leur accessibilité. Aussi sont-elles plus à même d’identifier dans leur territoire respectif les relais communautaires et/ou les leaders (Imam, acteur associatif, guide religieux, badienou gox, etc.) susceptibles de transmettre le message puisqu’étant adoubés et acceptés par les communautés. D’ailleurs, il faut se féliciter de la réaction de certains élus locaux qui se sont déjà mobilisés dès le début de la pandémie pour apporter leurs aides aux populations.
Demain, lorsque les croyances et les imaginaires se fragmenteront…
En ces moments d'incertitude où le monde navigue vers des lendemains sombres, où assurément, nos croyances religieuses, nos représentations du corps et de l'au-delà et toute notre imaginaire risquent d'être chahutées, bousculées et remises en cause par le coronavirus, seule une communication proactive permet d'anticiper sur des situations complexes et dramatiques qui se profilent à l'horizon. S’il est avéré que, même mort, le corps de la personne décédée reste contagieux, ne devrait-on pas, dès à présent, se poser les bonnes questions sans tabou ni peur pour être en mesure de comprendre les attitudes et réactions possibles qui adviendront en cas de décès.
Le Sénégalais qui perd un proche acceptera-t-il qu'on lui interdise de voir, de toucher le corps de son parent défunt ?
Comprendra-t-il que son proche ne puisse, ni recevoir la dernière toilette rituelle ni être enveloppé dans le linceul et qu'il devra être enterré avec ses habits ?
Comment, face à l’impossibilité d’assurer à un proche décédé une sépulture correcte, les endeuillés pourront-ils faire le travail du deuil, processus intrapsychique de détachement et de renoncement à un parent perdu à jamais ?
Freud ne soulignait-il pas que, si tout deuil doit évoluer vers une fin, il arrive qu’il se complique et, de toutes les complications, celles relatives à l’absence de deuil ou le deuil non fait, comme dans le cas de l’épidémie Ebola en Guinée, est de loin le plus grave puisque pouvant entraîner chez les personnes apparentées au défunt des troubles psychiques et/ou somatiques chroniques nécessitant un suivi psychologique.
Pour le Sénégal, l'enjeu de la communication s’avère donc stratégique et au regard du déficit en termes d'infrastructures médicales (respirateurs en nombre limité, nombre réduit de réanimateurs, nombre réduit de lits etc.), il urge, pour le moment, de déporter le combat sur le terrain de la communication. C'est dire que, seule une bonne information, l’intégration d’une culture de la prévention et la préparation des communautés à affronter les risques et à surmonter les contrariétés symbolico-religieuses permettront d'éviter les dérives et les pratiques irraisonnées et irrationnelles aux conséquences incalculables. Une crise comme celle-là ne peut se gérer que sur la durée et, dans cette dynamique, toutes les décisions qui seront prises devront s’inscrire dans la proaction et non dans la réaction.
Sur la dette, s’opposer les uns les autres, c'est rendre service aux partisans de l’Afrique éternellement infantile. La construction intellectuelle du ministre Wadagni est sympathique mais ne répond pas aux besoins d’urgence du Covid-19 !
« La dette divise l’Afrique » ! tel est l’intitulé d’un article de Jeune Afrique, repris le 24 Avril 2020 par le journal Sud quotidien. Ce titre aux atours quelque peu racoleurs ne laisse pas indifférent. Comment le serait-il ?
Il met en scène l’actuel ministre de l’Economie et des Finances du Bénin, M. Romuald Wadagni qui s’est invité, sans doute, à bon droit dans le débat sur le traitement à faire de la dette africaine sous l’angle de la pandémie du Covid-19.
Ce débat est salutaire, il est même souhaitable, mais pour être utile, il doit être assujetti à l’exigence de rigueur, de responsabilité et de cohérence. Quelle que puisse être la singularité du moment, nul ne peut faire l’impasse sur la nécessité d’un choc des idées au sein de l’élite africaine sur la définition des termes d’un avenir commun. S’il faut en convenir, ce débat, pour être audible n’a pas besoin d’une tonalité disruptive.
Dans la forme, le ministre Wadagni, au moment où l’Afrique adopte une position salutaire de mise en commun des ressources et des énergies pour penser et mettre en œuvre une solution africaine, préfère demander la validation de ses vues par le FMI, ignorant les espaces d’échanges offerts par l’UEMOA, la CEDEAO et même l’Union Africaine.
Il est légitime de se demander pourquoi le Bénin et son ministre préfèrent la tribune de JA et l’écoute du FMI aux truffes de l’UEMOA, de la CEDEAO et de l’UA pour approfondir les réponses de l’Afrique à une crise sans précédent, que tous les experts prédisent comme la plus grave de son histoire postcoloniale.
Je me méfie beaucoup de toutes les mouches qui volent et que l’on prend pour des idées nouvelles.
S’il est prouvé que monsieur Wadagni s’est prononcé avec l’assentiment de son président, on peut déduire par lien de causalité, l’illustration d’une démarche politique officiellement assumée en cohérence avec les propos du président Talon en novembre 2019, annonçant comme par effraction, à la place du président Alassane Ouattara, président en exercice du Conseil des chefs d’Etat de l’UEMOA, la décision des chefs d’Etat de cette organisation, de retirer une part des réserves de change de l’union dans les livres du trésor français.
Dans le fond, la tribune de M. Wadagni attaque une partie de l’initiative des dirigeants du FMI et de la Banque Mondiale qui ont demandé au G7, au G20, au Comité Monétaire et financier international des Gouverneurs du FMI et au Comité conjoint des Gouverneurs de la BM et du FMI pour le transfert net de ressources aux pays en développement, le moratoire sur la dette pour les pays IDA, pendant une période limitée en 2020 (1er mai à fin 2020 avec possibilité d’une éventuelle prolongation). Paradoxalement, une bonne partie de son argumentaire appelle ces mêmes instances à la rescousse pour trouver des mécanismes alternatifs d’aide à l’Afrique.
Le ministre invoque, pour justifier son désaccord avec l’annulation de la dette, l’effet de mémoire pour l’accès futur des pays africains à d’autres financements des créanciers affectés par cette annulation, citant l’effet qu’aurait produit l’annulation des dettes dans le cadre de l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) et de l’IADM (Initiative pour l’Annulation de la Dette Multilatérale) au début des années 2000. Il ignore, peut-être à dessein, i) que beaucoup de pays bénéficiaires des PPTE et de l’IADM ont bien eu accès ultérieurement aux marchés des capitaux (au moins deux pays membres de l’UEMOA, dont le Bénin est membre ont levé des ressources sur les marchés de capitaux), ii) un principe économique de base qui a conduit le législateur américain, et peut être d’autres législateurs, à définir deux types de défaut ou faillites (bankruptcy) : la faillite / liquidation et la faillite qui protège une parties des actifs permettant à l’entité défaillante de se restructurer.
Ce débat n’est pas neuf. Il a mobilisé beaucoup d’expertises et de réflexions à des moments phares du processus de développement socio-économique du continent africain. La problématique de la dette ressemble à un serpent de mer, objet de posologies différentes. Trop d’envolées rhétoriques empêchent parfois d’en prendre la bonne mesure. Il faut le regretter.
Autre voix africaine, Mme Louise Mushikiwabo, Secrétaire Générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s’est prononcée dans le sens que proposent le G20 et le Club de Paris mais avec deux nuances à savoir, d’une part l’extension du gel sur le paiement de la dette à tous les pays africains, d’autre part l’extension de la période jusqu’à la fin de l’année 2021.
Mme Mushikiwabo comme M. Wadagni reconnaissent la situation extraordinaire que vit l’Afrique avec cette crise, qui a créé des besoins nouveaux et provoqué une baisse de ressources. Tout le débat doit tourner autour de la question de trouver des ressources pour prendre en charge ces besoins nouveaux, préparer l’avenir tout en continuant d’assumer les besoins existentiels du moment.
Comme réponse à la crise, le FMI a triplé l'accès aux ressources de la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (PRGT), mobilisé des ressources supplémentaires pour financer cette augmentation et créer le Fonds d'assistance et de riposte aux catastrophes (CCRT) pour apporter environ US$ 18 milliards aux pays africains en 2020. Le Royaume Uni, le Japon, l'Allemagne, les Pays-Bas Singapour et la Chine ont contribué au CCRT et le Japon, la France, le Royaume Uni, le Canada, l'Australie ont promis US$11,7 milliards sur les US$17 milliards recherchés par la FMI pour la PRGT.
Autre instrument, la ligne de précaution et de liquidité à court terme du FMI existe pour les pays émergents ayant de bons fondamentaux. Le Maroc s'en est prévalu et a tiré US$ 3 milliards le 7 avril dernier.
Dans la panoplie des instruments actuellement disponibles auprès du FMI, figurent également d’autres mécanismes de financement d’urgence pour aider les pays membres à faire face à la crise découlant de la Pandémie de COVID-19.
C’est à ce titre que le Sénégal, sous la houlette du ministre des Finances Diallo, vient de bénéficier d’un décaissement de 442 millions de dollars au titre de la Facilité de Crédit Rapide (147,4 millions de dollars) et de l’Instrument de Financement Rapide (294,7 millions de dollars), approuvé par le Conseil d’Administration du Fond le 13 avril 2020 pour appuyer le gouvernement dans ses efforts pour contenir la propagation de la pandémie et en atténuer les impacts économiques et sociaux, en répondant à ses besoins urgents de financement de la balance de paiement.
Comme de façon prémonitoire, dans une interview que j’avais accordée au journal l’Observateur du Groupe Futur Média, le mercredi 26 décembre 2012, j’évoquais l’instrument de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) comme un parachute anticrise déployé par le FMI, un instrument financier apportant des liquidités mobilisables immédiatement en cas de besoin de financement de la balance des paiements, destiné aux pays dont les paramètres économiques fondamentaux sont sains et la politique économique bien conçue, mais qui font face à une vulnérabilité liée à la dégradation de la conjoncture internationale et aux chocs exogènes.
La ligne de précaution préconisée par Wadagni veut s'inspirer du mécanisme européen de stabilité (qui n'a pas empêché la pénible agonie de la Grèce), et demande de concentrer les efforts des PTF pour un investissement massif pour réduire le gap en infrastructures de base ! Ce mécanisme rachèterait les dettes des pays surendettés ! Cette construction intellectuelle est bien sympathique mais ne répond pas aux besoins d’urgence de Covid-19 !
Comme les « pundits » de 2009 qui annonçaient l'hyperinflation qui devait naître des injections massives de liquidités par la banque centrale (notamment la FED) et qui aujourd'hui n'ont toujours pas reconnu leurs erreurs, les prix étant restés stables dix ans plus tard, le ministre Wadagni récite le catéchisme des conséquences de la faillite qui ferment l'accès aux marchés et propose des réponses qui reposent sur l'appel à la générosité des partenaires.
Le mérite du président Sall, c’est d’avoir impulsé la réflexion sur la dette africaine, en en proposant carrément l’annulation, et d’orienter une position, qui aujourd’hui, a trouvé un écho favorable auprès des 13 pays membres de la CEDEAO, lors du sommet extraordinaire tenu le 23 avril 2020, en visioconférence, qui s’est clairement prononcé pour l’annulation totale de la dette africaine en vue faire face à la pandémie de coronavirus et à ses conséquences sur le plan économique et social.
Que le G20 et le Club de Paris qui regroupe les créanciers publics aient réagi le 15 avril 2020 par une décision alternative de suspension du remboursement du service de la dette des pays les plus pauvres, n’est que légitime contreproposition venant des groupes de créanciers.
Ces différentes mesures préconisées par les Institutions de Bretton Woods et d’autres « amis » de l’Afrique sont-elles la solution, la voie d’une bonne réponse durable ? Il est permis d’en douter. C’est la question que les africains, individus comme gouvernants, doivent continuer à se poser. S’opposer les uns les autres est le meilleur service que les africains peuvent rendre aux partisans de l’Afrique éternellement infantile et dépendante.
En ces temps obscurs dominés par une pandémie sans précédent par sa sévérité et par l’ampleur du basculement qu’elle induit, en semblant mettre en cause les fondements de notre civilisation, c’est une opportunité qui s’offre à l’Afrique de consacrer son énergie de définir des perspectives novatrices pour enfin, être « maitresse » de son destin pour emprunter ce propos à la pensée cartésienne.
Par Pape NDIAYE
PANCARTES ET BANDEROLES… EN QUARANTAINE
Demain 1e Mai 2020, le Sénégal, à l’instar de la quasi-totalité des pays du monde, ne va pas célébrer la Fête du travail. Avec l’état d’urgence sanitaire doublé d’un couvre-feu, les célébrations se feront sans doute sur les réseaux sociaux
Demain 1e Mai 2020, le Sénégal, à l’instar de la quasi-totalité des pays du monde, ne va pas célébrer la Fête du travail. Avec l’état d’urgence sanitaire doublé d’un couvre-feu, les célébrations se feront sans doute sur les réseaux sociaux. Si ce n’est à travers des « télédoléances » pour remettre le cahier virtuel de revendications au président de la République. Quoi qu’il en soit, les organisations syndicales ne vont pas descendre dans les rues cette année pour manifester leur colère et exprimer leurs doléances.
Pis, ces défilés ne vont pas être couronnés au niveau des entreprises par des déjeuners gargantuesques sur fon de boissons coulant à flots. Autant donc dire que de fête proprement dite, il n’y en aura point ce vendredi. Un 1e Mai sans défilé des travailleurs, personne n’aurait osé l’imaginer dans le monde. Pourtant, c’est ce qui va se passer dans un contexte mondial marqué par une crise pandémique où le Sénégal, comme tous les pays du monde, s’est barricadé face à un redoutable ennemi viral à éradiquer. Une crise qui a entraîné l’interdiction des manifestations et rassemblements, la fermeture des écoles et des lieux de culte etc.
Toutes ces mesures visant à freiner la propagation du coronavirus.
Face à cette situation inédite, les organisations syndicales vont rivaliser d’imagination pour manquer à leur façon la Fête du travail. Parce que le respect des mesures de l’état d’urgence leur impose de faire preuve de créativité pour s’exprimer c’est-à-dire se faire voir ou se faire entendre. C’est d’autant plus important pour elles de donner de la voix que certains employeurs sont tentés de profiter de la crise pandémique pour licencier des salariés. Des employeurs qu’il leur faudra donc cibler à défaut de les fusiller verbalement.
Les syndicats vont donc inviter le gouvernement à œuvrer pour le respect des droits des travailleurs ainsi qu’à renforcer les moyens de contrôle pour dissuader les licenciements abusifs et arbitraires sur fond de…covid-19. Les mesures d’hygiène et de sécurité dans les entreprises occuperont, demain 1e Mai 2020, une bonne place dans les revendications. Surtout du fait que la plupart des entreprises font travailler leurs ouvriers en les exposant à la contamination virale. Des ouvriers qui, si l’on n’y prend garde, risquent d’être les « oubliés » ou « laissés en rade » de l’épidémie car continuant toujours à travailler à leurs risques et périls.
Bref, en lieu et place des pancartes et banderoles mises en quarantaine, des revendications en ligne marqueront le 1e mai 2020. On espère quand même qu’en ces temps de crise sanitaire les employeurs n’auront pas oublié de donner à leurs travailleurs les primes d’habillement qui leur permettaient d’arborer des habits de fête le 1er Mai de chaque année !
KAYAMA
CNG
Ils sont nombreux à vouloir le limogeage du Cng de lutte à la tête duquel trône Doc Alioune Sarr depuis 26 ans. Moi, je me demande bien ce qu’un médecin trouve de palpitant dans ce monde pour y avoir duré autant d’années.
Ils sont nombreux à vouloir le limogeage du Cng de lutte à la tête duquel trône Doc Alioune Sarr depuis 26 ans. Moi, je me demande bien ce qu’un médecin trouve de palpitant dans ce monde pour y avoir duré autant d’années.
L’on me dira qu’il est Sérère et fondamentalement, cela peut tout justifier. Cette ethnie et la lutte, c’est plus que culturel, c’est démentiel. Tous les jeunes Sérères au corps si bien sculpté semblent avoir ce sport dans leur ADN. Les années passent vite et s’entassent démesurément jusqu’à la sclérose. Cette usure du temps fait naitre forcément des ambitions. L’on peut tout reprocher au président Sarr sauf d’être un incompétent.
Le pays regorge d’assez de cadres pour apporter du sang neuf dans ce sport national. Ce qui était le remède il y a vingt ans ne l’est plus en ce temps. Le boom des promoteurs atteste de l’attrait de cette discipline que nous n’avons point importée. L’argent y a toujours été présent avec l’apport des sponsors qui menaient et mènent encore la danse. Chaque grande maison avait son promoteur favori qui proposait de grandes affiches.
Des affiches pompeusement transformées en combats du siècle, du millénaire, pour faire monter les enchères et les cotes. Hélas, ces dernières années, le marasme s’est installé dans l’arène. Les années blanches, années sans combat, se comptent désormais et la quasi-totalité des lutteurs est concernée. La contestation du Cng est d’abord venue des lutteurs qui prétextaient de ponctions sur leurs dus par les administrateurs de la lutte. Et les arbitres ont suivi cette voie de la révolte qui leur a valu de lourdes peines de suspension et d’exclusion. Bien vrai que la lutte nourrit bien ses hommes les plus déterminés. Les plus déterminés ne sont pas forcément les champions mais ils évoluent dans la cour des grands.
Fréquenter cette cour fait de vous un Vip de la lutte. Le Graal. Alors, comme une règle non écrite, l’ambition de rejoindre cette cour habite nombre de jeunes lutteurs qui veulent tous toucher des cachets de millions et de millions. Personne ne leur conteste cette noble ambition qui est fort légitime. Quand les uns s’entrainent éperdument, d’autres lutteurs, sur le tard ou à la retraite, rêvent de remplacer le président du Cng. Cette perspective est certainement improbable. On n’a jamais vu un ancien lutteur, fût-il champion, se métamorphoser en administrateur.
Jusqu’à diriger le Cng de lutte. Gérer ce monde si particulier de la lutte n’est certainement pas chose aisée. Si tous les ministres des Sports ont accordé leur confiance au Cng depuis si longtemps, il y a certainement une bonne raison à cela !
En ces temps de coronavirus, les choses doivent et devront changer ! Certes la confiance se mérite mais quand des évènements surviennent là où personne ne les attendait, il faut bien revoir la copie et trancher pour avancer !!!
par Thierno Bocoum
COVID-19: LE PEUPLE DOIT SAILLIR FACE A UN ETAT QUI A FAILLI
La situation épidémique liée au COVID-19 est de plus en plus inquiétante. La pathologie gagne gravement du terrain. Les citoyens doivent davantage s’impliquer, chacun doit en faire une affaire personnelle.
La situation épidémique liée au COVID-19 est de plus en plus inquiétante. La pathologie gagne gravement du terrain. Les citoyens doivent davantage s’impliquer, chacun doit en faire une affaire personnelle. - Que les porteurs de voix, les dignitaires et les leaders d’opinion s’impliquent davantage, dans le cadre de la communauté.
- Que chaque citoyen soit le gendarme de son prochain. Sensibilisation et vigilance doivent rythmer nos relations quotidiennes. Sensibiliser sur les bonnes pratiques, dénoncer les mauvaises pratiques. - Que chaque citoyen respecte les mesures barrières et les fasse respecter à son cercle d’influence (famille, quartier, groupes sociaux...)
Il est temps de créer une majorité d’action dans une démarche communautaire pour faire face à l’évolution du virus. L’Etat sénégalais a failli.
Le président de la République a très tôt montré sa préférence entre le riz et les masques, entre le sucre et l’équipement du personnel de santé, entre l’huile et la rénovation d’un service de réanimation comme celui de Ziguinchor dont l’abandon a été récemment décrié par le professeur Seydi. Il a préféré aider, en majorité, des démunis à la place des impactés.
Des démunis qui l’ont été hier, qui le sont aujourd’hui et qui le resteront demain si des réformes structurelles majeures ne touchent pas leurs conditions de vie. Au moment où de véritables impactés sont laissés en rade notamment 80% de la population active qui est concentrée dans le secteur informel.
Face à un triomphalisme béat dès le début de l’épidémie avec l’insistance sur le taux de guérison et sur une certaine exception sénégalaise en terme de maîtrise de l’évolution du virus, la réalité nous rattrape. Le Sénégal fait partie aujourd’hui du top 10 des pays où la propagation du virus est le plus rapide. Il est donc clair que l’Etat Sénégalais a péché dans les stratégies et dans l’ordre de priorité face à des moyens financiers et techniques limités.
Cependant, l’Etat reste toujours au début et à la fin de tout processus décisionnel. Cet État doit alors se ressaisir. Il faudra qu’il travaille à soutenir les relais sociaux pour une gestion communautaire du virus et à renforcer son système sanitaire pour faire face à un rush dans les structures de santé. Il faudra également mettre à la disposition des populations suffisamment de masques et veiller au respect scrupuleux de la distanciation physique.
A l’état actuel de l’évolution du virus, il revient particulièrement aux populations de redresser la pente en s’impliquant davantage dans la sensibilisation et le respect des mesures barrières.
Thierno Bocoum
President du mouvement AGIR
Par Mamadou Ndione
AGIR COMME LE COLIBRI PLUTOT QUE DE…
Dans une tribune écrite sans doute avec « l'effet ramadan », mon jeune frère Thierno Bocoum s’attaque à la stratégie mise en place par le Sénégal.
Dans une tribune écrite sans doute avec « l'effet ramadan », mon jeune frère Thierno Bocoum s’attaque à la stratégie mise en place par le Sénégal. Ironie du sort, des pays européens comme la France depuis hier 28 avril 2020 copient sur notre démarche en décidant de traquer enfin les contacts des cas détectés pour les isoler, les tester et les traiter afin d'éviter la spirale de l'augmentation exponentielle.
Mon jeune frère Thierno Bocoum semble oublier que le Sénégal a depuis le début opté pour une identification des contacts, leur isolement, leur suivi, leur test, l'hospitalisation des patients issus de ces tests et la libération des cas jugés négatifs. Si nous n’avions pas procédé ainsi, nous aurions depuis lors basculé dans une situation intenable. Mon jeune frère Thierno semble oublier que le Sénégal applique depuis plusieurs jours l'interdiction du transport entre les régions. Il semble avoir oublié que les transports en commun au Sénégal ont l’obligation de ne prendre que la moitié des passagers autorisés avec en sus une obligation de port de masques et le respect des distances sociales. C'est hier 28 avril qu'un pays comme la France a pris des mesures similaires annoncées par son Premier Ministre Edouard Philippe trois mois après ses premiers cas.
Bocoum Thierno semble oublier que notre pays, dans le cadre de l'état d'urgence a donné pouvoir d'appréciation aux sous-préfets, préfets et gouverneurs. Ces derniers tous les jours prennent les décisions qui s’imposent dans leur contexte notamment sensibilisation, accompagnement des collectivités locales, fermeture si nécessaire des marchés et zones à risques et répression sans concession contre ceux qui violent les dispositions mises en place dans le cadre de cette lutte contre COVID 19. Il sera difficile de bloquer tous ceux qui violent tous les jours les dispositions et mesures édictées.
L’État agit depuis le début sur la sensibilisation et la ferme répression en cas de violation des règles. D’ailleurs un impressionnant nombre de véhicules et de personnes qui ont tenté de violer les règles ont été mis au arrêt pour décision de justice à prendre. Thierno qui parle de triomphalisme béat semble avoir oublié que l'Autorité a dit et redit que nous ne devons pas verser dans le triomphalisme et que le combat est d’abord communautaire. L'Autorité a joué sur les registres de la santé, du social et de l'économique parce que cette crise n'est pas que sanitaire.
Dans l’allocation des moyens financiers, l’Autorité à privilégier le volet riposte sanitaire dans la mise en place du budget. Thierno semble avoir oublié que dans la stratégie nationale, le réseau des relais communautaires appelé « Bajjenu Gox » travaille dans les coins et recoins du pays à côté des populations. Profiter de l'augmentation des cas communautaires et de leurs corollaires en termes de contacts pour dire que nous avons échoué me paraît injuste. Je crois qu'à l'heure actuelle, nous devons tous agir sur l'individu pour en appeler à la prise de conscience collective par un changement de comportement. Cette façon insidieuse consistant à dédouaner l’individu et à charger l’État central n’est pas à mon avis une attitude sereine et productive. Cela pourrait même en rajouter à des formes d'incivisme qui ne feront que compliquer l'atteinte de l'objectif de sensibilisation collective.
Dans un Monde où les systèmes sanitaires, sociaux et économiques des USA, de l'Europe et même de la Chine ont été fortement secoués, l'heure en Afrique doit être beaucoup plus à la sensibilisation collective sur les gestes barrières pour endiguer la propagation du virus qu’à la 1vaine polémique. Ce chantier de la sensibilisation collective n'est pas le monopole de l'État central. Nous sommes tous concernés et devons agir plutôt que de ...
Le Sénégal n’est pas dans le triomphalisme comme l’écrit Thierno Bocoum. Nous sommes humblement et de façon énergique dans un combat où chacun des seize millions de Sénégalais est un soldat derrière un seul commandant. En définitive, chacun doit « faire sa part » à l’instar du colibri de la fable amérindienne amenant de l'eau par son bec au moment où les autres étaient passifs devant le feu de brousse. Le colibri était dans la citoyenneté d'abord. C’est à ce test de citoyenneté qu’invite d’abord cette pandémie COVID-19 qui nous met tous dans des positions de potentielles victimes si collectivement nous ne nous dressons pas ensemble pour appliquer à la lettre les mesures prises par l’Autorité.
Par Mamadou NDIONE DG du COSEC
par Abdou Latif Coulibaly
RÉPONSE À EMMANUEL DESFOURNEAUX
EXCLUSIF SENEPLUS - La vocation première de la fonction de Macky Sall n’est pas de porter le renouveau de l’Afrique - Il n’a pas non plus à porter la rupture historique pour tout un continent
Abdou Latif Coulibaly répond à notre éditorialiste Emmanuel Desfourneaux qui, à travers son texte intitulé "Pour un nouvel ordre politique sénégalais", analyse les différentes postures du président Macky Sall, à l'aune de cette crise du coronavirus.
« Macky Sall peut-il incarner le renouveau africain et la rupture historique ? »
La réponse à cette interrogation que vous posez d’emblée coule de source : la vocation première de la fonction de Macky Sall n’est pas de porter le renouveau de l’Afrique. Il n’a pas non plus à porter la rupture historique pour tout un continent. L’intéressé ne revendique pas, non plus, une telle mission. Il reste convaincu que les Sénégalais l’ont d’abord élu pour assurer un leadership politique marquant, lui permettant de prendre en charge les exigences de son peuple. Il est tout aussi conscient qu’il doit, dans cet esprit, continuer de marquer d’une empreinte positive et remarquable, comme cela a été le cas depuis notre indépendance, toutes les dynamiques économiques, diplomatiques et autres qui feront que l’Afrique sera toujours bien et positivement présente dans le concert des nations du monde.
Le renouveau global de ce contient sera la synergie de tous les renouveaux émanant des différentes nations et des convergences majeures réussies dans le cadre de l’Union Africaine (UA). A défaut, ce renouveau et la rupture historique tant souhaités ne seront jamais. L’Afrique est diverse et multiple. Il n’y a pas qu’une seule Afrique ! Autre précision nécessaire, vous dites : « Chaque pays possède son mythe fondateur. En France, c’est son nouvel ordre politique issu de la révolution française. Aux États-Unis d’Amérique, c’est l’esprit pionnier avec la conquête de l’ouest. Et au Sénégal ? C’est d’après moi, la Renaissance africaine consacrant le {paradigme sacré de l’égale dignité de tous les peuples et de toutes les cultures} ». C’est votre liberté de porter votre choix sur la Renaissance Africaine - même si elle reste encore une aspiration légitime parlant à peu de Sénégalais -, pour nous laisser croire qu’elle devrait constituer notre mythe fondateur. Vous n’y avez pas échappé, cette prétention dont certains ont souvent fait montre, aujourd’hui comme hier, pour faire des choix à notre place. C’est pour cela, pour ma part, que je ne vois pas autre mythe fondateur pour le Sénégal que son indépendance, marquée par cette date symbole du 4 avril, consacrant notre accession à la souveraineté nationale et à la liberté à laquelle tout peuple devrait prétendre.
Ces deux précisions faites, je souhaiterais dire à l’endroit d’Emmanuel Desfourneaux qui a publié un article intéressant sur le Sénégal et son président dans le site SenePlus (27/04/2020), qu’expliquer une situation n’est pas nécessairement la dénoncer. Je n’ai pas dénoncé le libéralisme, j’ai plutôt relevé, pour m’en désoler, le caractère outrancier du néolibéralisme, son caractère sauvage, diront d’autres. Je l’ai fait pour expliquer ses effets pervers sur la situation sanitaire de l’ensemble des pays luttant contre cette pandémie du Covid-19. Un des chantres les plus marquants du néolibéralisme dans le monde actuel, en l’occurrence, le président Emmanuel Macron, mettait en lumière dans une des nombreuses adresses qu’il a faites à son peuple, depuis l’avènement de la pandémie du Covid-19 chez lui, en déclarant : « Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ", ajoutant que "Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond à d'autres, est une folie." C’est dans ces mots du chef de l’Etat français que se trouvent les tares du libéralisme forcené dont j’ai parlé. Ces tares ne sont pas la substance, ni l’essentiel même du libéralisme économique. Ç’en est qu’une vile et dangereuse perversion. Le président Macky Sall, dans son mémorable adresse à la Nation, le 03 avril 2020, à la veille de la célébration du 60ème anniversaire de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, soulignait avec force la nécessité, désormais, de promouvoir un développement à visage humain et à redéfinir les priorités « (…) La tourmente qui secoue le monde a fini de révéler au grand jour la fragilité de tous les pays et leurs vulnérabilités communes. Alors, il est temps de repenser l’ordre des priorités. (…) . Il est temps de travailler ensemble à l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui met l’humain et l’humanité au cœur des relations internationales », dit-il, sachant que ces relations internationales sont placées sous le signe du capitalisme libéral outrancier. Dans un tweet du 03 avril 2020, il disait ceci : « Au demeurant, cette crise doit aussi nous faire réfléchir sur nos limité et vulnérabilité ». Le 22 du même mois, il soutenait par le même canal que : « La crise mondiale que nous traversons doit nous permettre de faire émerger de nouveaux systèmes de production et de consommation plus respectueux de notre environnement. Préservons notre planète pour les générations futures ». L’amalgame sciemment entretenu est frappant quand vous écrivez : « Même si le Covid-19 revêt un caractère de force majeure selon Abdou Latif Coulibaly, il n’en demeure pas moins vrai que la part de responsabilité des politiques est indiscutable. Ils ont largement profité du système qu’ils ont beau jeu de dénoncer aujourd’hui ! Tous les investissements de la phase 1 et 2 du PSE ont été rendus possibles par « l’idéologie libérale forcenée » (Latif Coulibaly) à laquelle de surcroît l’APR appartient ! ». Je suis loin d’être la seule personne au monde à dire que le Covid-19 et la pandémie qu’il a provoquée constituent des cas de force majeure. La diffusion et la propagation vertigineuse de la maladie qui a attaqué et fait plier les systèmes de santé les plus vigoureux du monde, ont été aggravées par la structuration de la mondialisation et l’organisation des marchés qui en découlent. Dire cela n’est pas dénoncer le libéralisme. Il s’agit là de constater simplement les effets pervers d’un néolibéralisme triomphant et ravageur.
Devons-nous encore demander la permission pour débattre de la problématique de la dette publique de l’Afrique, selon notre point de vue ? J’en ai parfois le sentiment, surtout quand je lis sous votre plume ce qui suit : « pourquoi toujours attendre une crise pour refonder les priorités des priorités, en particulier en faveur de l’économie de vie dédiée au bien-être humain (J. Attali), concept semblable à celui de l’économie réelle de Macky Sall ? » Je comprends bien ce que Jacques Attali dit et votre référence qui est en fait, traduisant la marque d’une paresse intellectuelle, car elle ne démontre nullement la pertinence de votre propos. Celle-ci met au contraire en évidence la faiblesse du raisonnement par le raccourci schématique sous l’aspect duquel il se présente. Vous savez comme moi, que toute crise dans la quasi-totalité des circonstances où elle survient, est souvent un révélateur marquant d’une défaillance ou d’un manquement. Manquements et défaillances qui ne sont, hélas, observables et palpables qu’après sa survenance. Sans l’apparition de la crise, on n’aurait certainement pas pu en prendre connaissance ou conscience. Il ne s’agit en rien d’attendre une crise pour opérer des changements. Le cas échéant, il s’agirait plutôt d’une attitude de sagesse relevant d’un simple bon sens. Le drame, ce n’est pas de vivre une crise qui, de surcroît, relève d’un cas de force majeure. Le drame serait d’opposer à la crise, de l‘irresponsabilité, en se montrant incapables de comprendre les leçons qu’elle enseigne, afin d’en tirer toutes les conséquences. Contrairement à ce que vous semblez dire, constater un cas de force majeure qui est hors du contrôle des humains n’est pas ignorer et encore moins absoudre des responsabilités en cause dans la gestion de cette crise ou dans l’organisation des services et secteurs de l’Etat qui devraient aider à la résoudre. Aussi, comme toujours, devons-nous en Afrique recevoir à la moindre occasion des leçons de tout le monde. Et celles venant en particulier de personnes parées de bonnes intentions, entre autres, activistes, africanistes « généreux », que sais-je encore, tous trop confortablement engoncés dans des certitudes totalement détachées des réalités que nous vivons sur ce continent. Non évidemment !
En lisant votre texte, j’ai noté cette interrogation : « comment en quelques jours Macky Sall est-il passé de l’allégorie de la main tendue à l’Occident au titre de l’annulation de la dette à celle du demi-dieu panafricain avec le Covid-organics ? La première réponse qui me vient à l’esprit, est d’ordre ontologique de l’être complexe du politique sénégalais : tourmenté existentiellement entre l’infiniment français et l’infiniment africain. Cette explication d’inspiration pascalienne du déséquilibre politique, trait caractéristique de la vie politique sénégalaise depuis 60 ans, est une réalité constante de la présidence salliste. Rappelez-vous la controverse sur les desserts des tirailleurs ! ».
Soyons plus justes dans la critique, si nous la voulons constructive. S’endetter, pour venir ensuite, en tenant compte de circonstances particulières et exceptionnelles, demander que le remboursement de cette dette soit reconsidéré, voire effacer n’est en aucune manière assimilable à l’allégorie à laquelle vous faites allusion. Sous ce rapport, je m’interroge pour savoir quel rapport cohérent faut-il établir entre la demande d’effacement de la dette publique africaine et l’entretien que le président Macky Sall a eu avec son homologue malgache, au sujet du traitement appelé Covid-organics qui est trouvé par les chercheurs de Madagascar ? Aucun rapport à notre avis. Le sophisme de la réponse trahit quelque part une totale vacuité du raisonnement. Ç’en est ainsi quand l’auteur s’interroge : « comment en quelques jours Macky Sall est-il passé de l’allégorie de la main tendue à l’Occident au titre de l’annulation de la dette à celle du demi-dieu panafricain avec le Covid-organics ? » Pour étayer une envie folle de dénier à Macky Sall tout droit de réclamer un effacement de dette, vous lui opposez ceci : « Sans doute Macky Sall manœuvre-t-il autant en faveur de l’annulation du service de la dette publique pour la faire supprimer à moindre coût ; elle a doublé au Sénégal depuis 2013 et son niveau élevé a poussé le FMI fin 2019 à obtenir l’augmentation de l’électricité (…). ». Votre raccourci est trop simpliste. Voilà ce qui me paraît plus juste d’écrire : En septembre 2015, le Comité national de la dette mentionnait que l’encours de la dette publique du Sénégal était à 3.076,2 milliards de francs à la fin de 2012. Cette dette est passée à 3.341,7 milliards en 2013 et à 4.112,9 en 2014. Cette tendance haussière s’est poursuivie en 2015 avec 4.597,6 milliards de francs et au premier trimestre 2016 avec un encours qui se situe à 4.745,3 milliards de francs, explique la Direction de la dette publique.
En effet, de 7.505,1 en 2019, l'encours de la dette est projeté à 8.076,6 en 2020. De même, la charge financière de la dette établie à 364,80 milliards FCFA contre 273,19 en 2019, est en hausse de 91,61 milliards FCFA. Il faut toutefois ajouter à ces remarques d’autres données qui éclairent davantage. En 2013, année de référence de votre texte, la valeur du produit intérieur brut courant était évaluée à 16,05 milliards de dollars américains, avec une croissance de l’économie atteignant à peine 3%. Quand cette dette a été doublée, ce même produit intérieur courant a atteint 24,12 milliards de dollars américains. Avec en prime un taux de croissance de l’économie oscillant (2015-2019) entre 6 et 7,6%. Les efforts réalisés dans le cadre de la gestion budgétaire, mais surtout les investissements faits grâce au produit de la dette, ont permis au cours de cette période de sortir le Sénégal du lot des vingt cinq économies les moins avancées au monde. Pourquoi omettre de souligner que l’augmentation ou plutôt le doublement de la dette du pays a servi et bien servi les intérêts économiques du de la nation ? Comme nous le constatons ensemble, les réalités économiques sont plus complexes que ne laissent apparaître la formule lapidaire et le raccourci avec lesquels vous avez abordé la question de la dette, pour tenter de disqualifier la demande du Sénégal. Dès lors, pourquoi le Sénégal serait-il moins digne et moins respectable que l’Allemagne, quand ce pays après avoir plongé le monde dans la plus grande catastrophe mondiale, la seconde guerre mondiale, a demandé et obtenu l’effacement de sa dette constituée après la défaite de 1945. Après avoir causé les pires crimes à l’humanité, ce pays a obtenu l’effacement de sa dette ? Il en était ainsi parce que, selon le professeur Éric Toussaint : « les puissances occidentales ont voulu après la seconde guerre mondiale éviter de faire peser sur l’Allemagne le poids de remboursements insoutenables car elles ont considéré qu’ils avaient favorisé l’accession du régime nazi au pouvoir ». Selon le même auteur, Éric Toussaint : « Après la seconde guerre mondiale, de multiples conditions ont été réunies pour permettre à l’Allemagne de l’Ouest de se développer rapidement en permettant la reconstruction de son appareil industriel ».
Pour en revenir aux méfaits du néolibéralisme outrancier et déshumanisant, je voudrais souligner avec l’auteur sud-coréen Chang qui, dans son ouvrage intitulé (Kicking Away the Ladder), explique que : « les politiques néolibérales, connues sous le vocable de (consensus de Washington), outre de les empêcher de se développer, comportent des périls multiformes. Elles sont en effet source d’insécurité et d’incertitudes car dans une situation de pénurie (…) ». Comment ne pas admettre que cette crainte prophétique suggérée par le livre de Chang, s’est aujourd’hui matérialisée avec les décisions unilatérales de restriction d’exportation de pays du Nord, dont dépend une partie de l’humanité pour disposer de nourriture et de médicaments. Chang indique que les pays riches sont montés sur le sommet du monde, en appliquant des politiques volontaristes interventionnistes et protectionnistes faites d’Etat acteur qui impulse aussi bien l’offre que la demande. Ainsi, les pays riches n’ont pas utilisé les préceptes libéraux au moment où ils étaient dans les stades de sous-développement. Les pauvres eux n’ont, depuis le début des années 80, eu de cesse d’ouvrir leurs marchés, de privatiser leurs économies, de promouvoir la concurrence et surtout de réduire l’instrument budgétaire. Ils sont soumis à l’application du dogme washingtonien qui les oblige à adopter les politiques de concurrence et de libéralisation faute de quoi, ils s’exposent à la sanction des guichets du FMI et de la Banque Mondiale. Cette anomalie qui structure les relations économiques internationales justifie et donne une totale légitimité à la demande d’effacement de la dette publique de l’Afrique et une réduction de sa dette commerciale. Il n’échappe à personne que le fardeau de la dette constitue une menace pour la stabilité de l’Afrique et présente de graves implications pour la paix et la sécurité dans le monde. C’est cela qu’il faut impérativement repensé. Le Prix Nobel nigérian, Wole Soyinka a raison quand il dit dans une interview accordée à RFI (mercredi 29 avril 2020 :« On ne comprendrait pas si l’Afrique n’apprend rien et ne fait rien à la suite de ce désordre universel ».
Abdou Latif Coulibaly est ministre, porte-parole de la présidence de la République du Sénégal