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2 mai 2025
Opinions
Par Calame
CE QUI VAUT POUR LES PAYS-BAS ET LA SUÈDE NE VAUT PAS POUR LE SÉNÉGAL
Expert en Santé publique et ancien directeur du programme de lutte contre le paludisme, Dr Pape Moussa Thior milite pour laisser le virus Covid-19 circuler afin, dit-il, de créer «une immunité vitale de groupe»
Expert en Santé publique et ancien directeur du programme de lutte contre le paludisme, Dr Pape Moussa Thior milite pour laisser le virus Covid-19 circuler afin, dit-il, de créer «une immunité vitale de groupe». Une «approche» qui aurait «été retenue dans des pays comme la Suède, les Pays Bas, la Corée du Sud, entre autres» (voir L’Ob’s n°4976). Ces derniers, souligne-t-il, n’ont fait, ni confinement ni pris de mesures de restrictions, de mouvements entre les régions.
La réalité est toutefois beaucoup moins idyllique que cela, si l’on sait par exemple que l’Institut national de la santé publique et de l’environnement (RIVM) des Pays-Bas a dénombré la semaine dernière 4.475 morts du coronavirus, chiffre qui paraît inquiétant pour un pays qui compte 17 millions d’habitants et quelque 1.150 places en soins intensifs.
En tout état de cause, pour ces deux rares pays européens cités en exemple par Dr Thior (Pays-Bas , Suède), il conviendrait plutôt de parler de «confinement intelligent». Il se trouve que des mesures restrictives ont bel et bien été adoptées en Hollande, allant de la fermeture des écoles, des bars, des restaurants aux différents lieux de rassemblement. Et si les habitants sont autorisés à sortir, c’est grâce à la confiance et à la grande discipline des Néerlandais qui, dans les faits, pratiquent le confinement sans y être obligés.
Autrement dit, « le gouvernement a mis la responsabilité dans les mains de ses citoyens », comme l’a si bien résumé un professeur en anthropologie médicale. De même, en Suède, partant de leur confiance élevée dans les autorités publiques, les populations sont plutôt promptes à adhérer aux directives gouvernementales. Il s’y ajoute que le risque de propagation du virus au sein des familles y est grandement réduit à cause de la petitesse de la taille des ménages.
En somme, la longue tradition de discipline qui prévaut aux Pays-Bas et en Suède ne vaut pas pour les autres pays. Encore moins pour le Sénégal, une société plutôt tactile, portée par l’irrépressible envie de se toucher, de manger autour du bol, de se retrouver dans la chaleur et la proximité des corps. Aussi, réagissant à la proposition qui leur est faite, Pr Moussa Seydi , chef du Service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de Fann, de mettre le doigt sur le « risque d’aller vers l’hécatombe si on tente cette expérience».
Etonnant tout de même que Dr Thior ait oublié de s’appliquer son invite, en l’occurrence lorsqu’il rappelle que : «Il faut certes garder à l’esprit les dégâts causés par le Covid-19 dans les pays occidentaux et en Chine, mais il faut tenir compte de la situation locale pour le choix des interventions». Au demeurant, pour avoir oublié cette forte recommandation, nombre de nos pays continuent de s’abimer dans une soumission voire une extraversion qui les enserre dans une dépendance dévastatrice, ponctuée par une insécurité alimentaire, sanitaire, économique, etc.
En plus de patauger dans la fange d’une tenace et aveuglante fascination vis-à-vis de l’occident. Avec en arrière fond, un mépris de soi perceptible dans certains détails de la vie quotidienne, (le diable n’est-il pas dans le détail ?), qui font équivaloir noir et malheur à l’instar d’une malédiction atavique. Et tout cela sédimentant des perceptions désastreuses dans les consciences individuelles et collectives.
Aussi, éprouve-t-on quelques difficultés à suivre le plaidoyer de Dr Thior. Surtout, lorsque succombant aux sirènes de la victimisation, il tombe dans une sorte de rite sacrificiel consistant, comme c’est de mode, à immoler l’occident, suspecté d’avoir « cherché à nous faire peur pour nous pousser à adopter une attitude passive, sans réaction, afin de nous empêcher de tirer profit d’une situation qui pourtant était à notre avantage».
Confronté à sa fragilité, égrenant quotidiennement son nombre de malades, de morts, l’occident a-t-il vraiment le temps d’épouser une telle stratégie ? A supposer que oui, la responsabilité de notre démission ne saurait pour autant lui être imputée, nous dédouanant de nos propres défaillances. Aux uns et aux autres, s’adossant à un esprit critique intransigeant et sans complexe, d’en tirer les leçons et de s’évertuer à être des constructeurs d’avenir.
CALAME
par Tamsir Faye
AU-DELÀ DE NOS VULNÉRABILITÉS...
Nous devons tirer profit de notre capacité de résilience face à cette épreuve pour nous rendre meilleurs en mettant le génie qui sommeille en chacun de nous au service exclusif de la nation
« Nous avons tous besoin les uns des autres, surtout quand nos vulnérabilités communes s’ajoutent à nos fragilités individuelles. »
Ainsi s’exprimait Son Excellence Macky Sall, Président de la République dans un message fort mémorable adressé à ses compatriotes (pairs ?) afin qu’au-delà des efforts fournis aux quatre coins de la planète, chaque pays, riche comme pauvre, puisse tirer les leçons de cette crise planétaire en vue de faire face, de manière plus efficace, à cet « infiniment petit qui fait trembler le monde entier ».
Il faut dire que la violence avec laquelle (la pandémie au) le coronavirus frappe, a surpris plus d’un. La rapidité de sa propagation a fini de secouer les certitudes des scientifiques les plus réputés. Partout, presque dans tous les pays du monde, elle a fini de démontrer sa capacité de destruction massive, en désagrégeant les systèmes de santé les plus performants, tuant de manière froide des centaines de personnes, semant tristesse et désolation sur (tout) son passage.
Les conséquences économiques de la survenance de cette pandémie sont à la fois brutales et choquantes. Presque partout, les économies sont confinées entraînant l’arrêt brutal des entreprises, faisant craindre une chute drastique des marchés financiers, une baisse de croissance jamais égalée et une disparition massive d’emplois directs et indirects.
Les secteurs du tourisme, de la restauration et des transports aériens sont frappés de plein fouet occasionnant des pertes colossales au plan économique ; le secteur pétrolier n’est pas en reste. Jamais dans l’histoire de l’humanité les cours de l’or noir n’ont connu un tel effondrement obligeant les pays producteurs à réviser leur plan de relance économique.
Du point de vue des emplois, les conséquences sont tout aussi déplorables. Selon les prévisions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), il est à craindre à travers le monde la disparition de l’équivalent de 195 millions d’emplois à temps plein. Et cet hécatombe n’épargne aucun pays, qu’il soit riche ou en développement.
Au regard de ce panorama, une récession économique sans précédent est presque inévitable. Invisible et sournois, le Covid-19 semble rappeler à tous qu’il est le seul maître à bord et que, devant ses coups de boutoir, il faut s’adapter ou périr. C’est pourquoi, il convient de saluer le leadership et la clairvoyance du Président Macky Sall qui, dès les premières heures de la (maladie) pandémie, a pris la pleine mesure de la situation. Ainsi, deux semaines seulement après la survenance du premier cas importé de Covid 19 dans notre pays, l’Etat d’urgence fut décrété (déclaré), assorti d’un couvre-feu de 20 h à 6 h sur toute l’étendue du territoire national. Un fonds de riposte et de solidarité, Force Covid 19 d’un montant de 1000 milliards (environ 164 M.US$) afin de limiter l’impact économique de la crise sanitaire fut mis en place. Il ne s’est pas arrêté là puisqu’une enveloppe de 69 milliards fut consacrée à l’achat de vivres afin d’apporter en urgence aide et assistance aux nécessiteux qui, à la veille du mois béni de Ramadan, en avaient grandement besoin.
S’agissant des entreprises et les particuliers, une remise partielle de la dette fiscale due (contractée) au 31 décembre 2019 leur est accordée pour un montant de 200 milliards. S’y ajoutent les mesures spécifiques au profit des secteurs les plus touchés par la crise, tels l’hôtellerie, la restauration, le transport et la culture. Partisan d’une société ouverte où le débat contradictoire est encouragé dans une volonté de consolider nos acquis démocratiques, le Chef de l’Etat a tenu à ce que ces mesures soient étendues à la presse afin de lui permettre de continuer à jouer pleinement son rôle d’avant-garde. A cette panoplie de mesures, il faut noter le soutien apporté à près de 1 700 000 ménages abonnés de la tranche sociale à travers le paiement des factures d’eau et d’électricité pour un montant global de 18,5 milliards ainsi que l’enveloppe de 12,5 milliards pour aider la diaspora sénégalaise. Last but not least, en vue de consolider les emplois, l’ordonnance n° 001-2020 du 08 avril 2020 se propose d’aménager des mesures dérogatoires au licenciement et au chômage technique durant la période de la pandémie du Covid-19.
Ces mesures ont grandement contribué à endiguer les effets de la pandémie au Sénégal. Elles ont permis d’engranger des résultats positifs dans le cadre de la riposte contre la maladie tout en facilitant le travail remarquable de tous ces compatriotes qui se battent en première ligne. En effet, grâce à l’action éclairée du Président de la République, médecins, aides-soignants, agents de surface, infirmiers, agents de distribution, forces de l’ordre… ou simples anonymes arborent fièrement, chaque jour, leur tenue de combat, au nom de la nation toute entière pour faire face, avec courage et détermination, à la pandémie.
Son appel à l’union sacrée dès le début de la crise, a trouvé un écho favorable auprès de toutes les forces vives de la nation, chefs religieux et coutumiers, artistes, sportifs, entrepreneurs, chefs d’entreprise, hommes politiques de toutes obédiences confondues. Faisant preuve d’une grande maturité citoyenne, ces patriotes ont tous fondé leur démarche sur une seule et même certitude : en période de doute, nos individualités s’effacent pour laisser place nette à ce que Bourdieu appelle cette « réalité transcendante », laquelle reflète (justifie) notre commun vouloir de vie commune, le seul parti qui, finalement, mérite tous les sacrifices puisque, dans la joie comme dans la peine, il fait battre en harmonie le cœur de tout un peuple.
C’est cela le Sénégal. Oui, nos individualités, nos querelles politiciennes insignifiantes nous divisent, nous fragilisent. Nous sommes vulnérables lorsque nous sommes désunis. Il y aura un après-Covid-19 ! Et les enjeux, les défis seront sans doute tout aussi, sinon beaucoup plus importants que ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
Pourquoi donc devrions-nous nous priver de cet élan de solidarité, de cette belle communion autour des idées du Chef de l’Etat pour nous auto-flageller après, alors que tant de défis nous interpellent ? Face aux menaces de toutes sortes, les peuples ont besoin de se réinventer. Nous devons tirer profit de notre capacité de résilience face à cette épreuve pour nous rendre meilleurs en mettant le génie qui sommeille en chacun de nous au service exclusif de la nation. Ainsi cette belle communion sara-t-elle (être) la norme. Elle ne doit point survenir au gré des circonstances ou des intérêts du moment, simplement parce qu’un virus nous y contraint, car au fond, ce qui nous unit est beaucoup plus fort que ce qui nous divise. Elle doit rythmer chaque jour la marche de notre pays pour donner aux acteurs qui l’animent l’opportunité d’aller à la conquête de « l’infiniment plus grand » en vue de bâtir les fondements d’une société encore plus riche et plus prospère. Une fois que ce virus sera vaincu grâce au génie de notre peuple, la classe politique dans son intégralité devra assurément transcender ses divergences pour faire bloc autour du Chef de l’Etat pour de l’aider à parachever ses nombreux chantiers, parler d’une seule et même voix pour que son pertinent plaidoyer pour l’annulation totale de la dette puisse trouver un écho favorable auprès de nos partenaires financiers.
L’atout principal de notre pays c’est le charisme, le leadership et la vision de son Chef. Restons unis derrière lui ! Il saura à coup sûr nous mener à bon port.
par Felwine Sarr
MOURIR EN TEMPS DE PANDÉMIE
Certains, habitués à nous voir mourir sur le Continent, ne comprennent pas que nous n’en formions pas le plus gros contingent et continuent à nous prédire de funestes lendemains. Cette attente de notre mort massive est des plus obscènes
La mort nous le savons tous est le destin partagé des humains. Il est des morts que nous jugeons acceptables ; vieillesse, longue maladie, …. D’autres que nous estimons injustes ; jeunes personnes fauchées dans la fleur de l’âge, morts d’enfants, assassinats, victimes civiles de bombardements. En temps de guerre, même si elle n’est pas souhaitée, elle est néanmoins envisagée. Depuis la seconde guerre mondiale, l’Occident en général et l’Europe en particulier ne font presque plus l’expérience de la mort de masse. Ils en ont aussi quelque peu perdu la mémoire. Celle-ci semblait élire demeure dans le Sud du globe qui a connu ces derniers siècles son lot de génocides, de crimes de masse, d’épidémies, de guerres, de famines, de catastrophes naturelles qui ont fait des millions de morts. Le Sud durant ces derniers siècles a fait l’expérience d’une distribution inégalitaire de la mort. Celle-ci a suivi la ligne de fracture des impérialismes, des colonialismes et dominations, des inégalités, de la pauvreté infligée, de l’incurie des gouvernements, ….
Avec cette pandémie, l’Europe et l’Amérique font à nouveau l’expérience de la mort de masse. Ils en payent le plus lourd tribut. Nul ne s’en réjouit, cette mortalité est celle des humains nos semblables et rappelle notre condition commune. La mort de masse semble cependant devenue démocratique, égalitaire. Nous y sommes tous potentiellement soumis. Même si elle frappe majoritairement les plus âgés d’entre nous, la pandémie introduit une démocratie de la létalité. Certains, habitués à nous voir mourir sur le Continent, ne comprennent pas que nous n’en formions pas le plus gros contingent et continuent à nous prédire de funestes lendemains. Cette attente de notre mort massive est des plus obscènes. Long est encore le chemin pour faire monde commun et partager le sentiment d’une commune humanité.
La catastrophe, quand elle est qualifiée de naturelle induit une plus grande acceptation de la mort. Les causes sont imputées à dame nature qui fait ce qu’elle veut. On ne se révolte pas devant une mort causée par un virus ; et pourtant cette pandémie est bien le résultat d’une catastrophe culturelle. Un capitalocene qui a outrageusement déforesté la nature, détruit la biodiversité, réduit l’habitat des espèces animales et permit des zoonoses. Une lecture politique de cette mortalité liée au virus est nécessaire ; l’une de ses causes étant le dérèglement du biotope résultant de l’action des humains, sans que nous puissions en être rendu également responsables. L’humain-occidental-capitaliste et désormais asiatique, en porte la plus grande part de responsabilité. La question pour nous est comment l’amener à en tirer toutes les conséquences éthiques et biopolitiques.
La mort est cette visiteuse dont on ne sait quand est-ce qu’elle frappera à notre porte, où elle nous trouvera, ni qu’elle forme elle prendra. Cette ignorance rend la vie quotidienne moins angoissée. Cette mort sérielle nous prive du caractère singulier de la fin de vie. Nous nous ne mourrons plus de notre propre mort, mais d’une mort grégaire et désappropriée. Là où elle a souvent rodé, les individus développent un sens aigu du tragique. Ils l’apprivoisent, cohabitent avec elle, apprennent à accepter son inéluctabilité. Et puisque vivre consiste de toute manière à cheminer vers elle, ils se la réapproprient, côtoient son insondable mystère et en font sens. La mort, un miroir dans lequel se reflète le sens entier de la vie. Certains choisiront de vivre plus intensément, quitte à mourir par excès de vie et de convivialité. C’est leur ultime liberté et il n’est point question que la peur de la mort les en prive.
Le virus mourra. Il est moins sûr que les mauvaises habitudes de ce monde-ci ; ses inégalités, son avidité et sa démesure, meurent avec. Et pourtant, c’est elles que nous devons combattre. Si même la mort qui est une expérience intime, individuelle, et qui par ces temps est devenue sérielle, n’est plus porteuse de sens pour les vivants, d’où celui-ci viendra-t-il désormais ?
Sagesse ancienne, nous mourrons comme nous avons vécu. Chez les anciens apprendre à mourir était un art de vivre. Méditer les raisons de cette mort de masse que nous nous sommes infligés, pourrait peut-être nous amener à apprendre à mieux vivre.
Il y a parfois beaucoup de brouillage de messages et de confusions préjudiciables à la communication sur le Covid 19 dans des programmes de radio et plateaux de télévisions
En ayant suivi pendant quelques minutes une émission sur les antennes d’une chaîne de télévision privée, j’ai eu la désagréable surprise de tomber sur la prise de parole de quelqu’un qui a été identifié par l’animateur comme un communicant. Désagréable surprise, tant le communicant de service s’est montré très peu humble, certain de ne pas se tromper dans ses affirmations, très peu étayées du reste, en clouant avec force au pilori la communication supposée « nulle » de l’Etat sur le Covid-19. À entendre « l’expert » en communication, il semble y avoir un décalage entre la perception des populations de l’action gouvernementale sur le covid-19, notamment sur le volet sensibilisation. Tout porte à croire que le gouvernement ne communique pas efficacement avec les populations ; qu’il ne s’emploierait pas d’une part, à mieux appréhender les opinions et aspirations profondes des populations et d’autre part, à expliquer et à faire comprendre les actions de lutte contre le covid-19 afin qu’elles soient bien comprises. Même agacé par son ton péremptoire et ses certitudes, je n’ai pas manqué de le remercier, car aussitôt après avoir zappé, j’ai composé le numéro de Moubarak Lô. Je rappelle à certains et informe d’autres que ce dernier opère dans l’une des rares structures, parmi les cabinets d’expertise et de prospective existant au Sénégal, qui consacre un travail quotidien digne d’intérêt sur le Covid-19. Un travail basé sur une analyse qualitative et quantitative fine des données du jour, publiées sur la maladie par le ministère de la Santé. Les publications proposées par ce cabinet traduisent par des schémas graphiques assez parlant l’évolution de la maladie, en utilisant une démarche de modélisation statistique qui, à mon humble avis, permet de mieux comprendre tous les jours ce qui se joue à travers les chiffres déclinés chaque matin depuis le ministère de la Santé et de l’Action Sociale.
Le but de mon appel participait d’un souci d’en savoir plus sur la qualité de la communication faite autour du Covid-19, depuis son apparition le 2 mars 2020 au Sénégal. Seulement, cette fois-ci, j’ai voulu comprendre, à la faveur d’une démarche scientifique d’enquête de type psychologique, en collectant des données statistiques fiables sur la question. Affable et courtois, il l’est par nature. Moubarak accepte sans réfléchir ma proposition. Il me proposa de m’associer à la tâche utile pour concevoir un questionnaire et à en évaluer sa consistance interne et externe. Sans hésiter, j’ai accepté son offre. Il tenait à faire participer un communicant au travail. Après avoir réalisé le questionnaire, nous avons convenu de l’administrer dans les deux zones les plus infectées par le virus, à savoir les régions de Dakar et de Diourbel. Seulement, pour l’instant, ne sont disponibles que les résultats de Diourbel. Aux fins de conduire l’étude, l’économiste statisticien a proposé la méthodologie suivante : une enquête téléphonique réalisée auprès d’un échantillon de 320 personnes à Diourbel. Des personnes sélectionnées selon la méthode des quotas. Les variables de quotas utilisées sont : le sexe, l’âge et le niveau de formation. Ainsi, dans la région de Diourbel précisément, l’univers de l’enquête (ou population cible) étant constitué de l’ensemble des individus âgés de 18 ans ou plus, des communes de Mbacke et Touba, appartenant à un ménage ordinaire. L’enquête a été réalisée par téléphone, le 2 mai 2020, en wolof ou en français, sur la base d’un questionnaire préétabli, avec une répartition en deux sous-échantillons homogènes par commune (dispersion géographique et contraintes méthodologiques identiques). En attendant que le cabinet agrège toutes les données, celles de Diourbel et Dakar, afin de publier l’intégralité des résultats de l’étude, ses responsables m’ont autorisé, pour les besoins de la rédaction de cette tribune, à extraire quelques données majeures du travail effectué par le Bureau de Prospective Économique (BPE) du Sénégal, sous la direction de Moubarak Lo.
Quand on considère les résultats de l’enquête sur Diourbel déjà disponibles, en observant les réponses données par les populations enquêtées, on note que celles-ci ont été bien sensibilisées, afin de comprendre ce qu’est la maladie, ce qu’il faut éviter, dans une proportion de l’ordre de 98,70%, aussi bien dans les villes de Mbacké que de Touba. Par exemple, quand on leur demande comment perçoivent-elles et apprécient-elles la gravité du Covid, les taux de citation : « la maladie est très grave sont de l’ordre de 79,60% et grave 19%. Les personnes enquêtées sont capables de citer au moins quatre des symptômes de la maladie, avec en tête une forte fièvre (79,60%), toux sèche (7%), maux de tête (3%), gorge irritée (0,6%). C’est la télévision qui a sensibilisé et informé, dans une large proportion de 99% les populations de Touba, concernant la réalité de la maladie, sa gravité et sur les gestes barrières. Alors que la radio dans certaines zones est citée à 88,80%, concernant ce même item. Constat majeur : plus de 85% des personnes enquêtées disent qu’elles n’ont pas été du tout informées et sensibilisés par les médias sociaux, non plus par internet de manière générale. Ils font confiance aux média classiques de manière générale et à la communication de proximité pour en savoir sur le Covid 19.
En résumé, les populations ont été bien sensibilisées et bien informées par les différentes actions de communication initiées, différemment naturellement, selon les canaux de communication utilisés. La communication dirigée vers la télévision et la radio ont été cependant plus efficaces. Les autres types de communication : communication personnelle de proximité, presse écrite et autres ont aussi joué un rôle important. L’efficacité des actions de communication est incontestablement établie. Plusieurs facteurs, autre que la qualité, peuvent expliquer une inefficience globale ou très partielle dans la mise en œuvre d’une action de communication : barrières culturelles, l’indiscipline ; la défiance voulue et organisée parfois. Tenant compte de l’ensemble de ces facteurs, on devrait parfois se garder de nous montrer trop péremptoire dans notre façon de juger la communication engagée autour du Covid-19. Le gouvernement fait à la fois dans la communication institutionnelle et dans la communication sociale destinée au grand public dans son extrême diversité et sensibilité. Cette communication est portée par les institutions, les secteurs fortement impactés par le covid-19 : la santé, l’éducation, le transport, le tourisme et l’hôtellerie, le commerce, la culture, l’artisanat, l’agriculture, l’élevage, l’environnement, la gouvernance territoriale. Parallèlement, trois catégories de professionnels ont beaucoup pris la parole dans les médias ces temps derniers - lutte contre le Covid-19 oblige -, je veux parler des médecins, des communicants et des journalistes. Généralement ces médecins, à une notable exception près, se sont montrés très prudents dans leur prise de parole, en s’évertuant à faire comprendre aux populations ce qu’est la pandémie, à leur détailler les systèmes mis en place pour y faire face, et enfin, à donner du sens aux gestes barrières, en leur expliquant le pourquoi et le comment de toutes les mesures arrêtées dans le cadre de la lutte contre le Covid 19.
Quant au travail des journalistes professionnels, il a été plus que correct dans l’ensemble, vu les réponses des personnes enquêtées. C’est à leur honneur, surtout en cette journée du 3 mai 2020, consacrant la journée internationale de la liberté de presse. Pour en revenir à la radio et à la télévision, on signalera, à l’appui, cette fois-ci, de constats empiriques, des exceptions qui confirment la règle de bonne tenue de ces canaux. On note en effet, pour s’en désoler, ces cas de plateaux de télévision et « shows » diffusés à la radio et dans lesquels on enregistre la présence de journalistes et qui ont beaucoup fait dans la confusion de genre dommageable. Il y a parfois beaucoup de brouillage de messages et de confusions préjudiciables à la communication sur le Covid 19 dans ces programmes de radio et plateaux de télévisions. Ici, se mêlent souvent des pratiques de talk-show, des éléments de téléréalité, marqués par des désirs individuels d’exister par la seule grâce du seul canal, la télévision en particulier, qui portent en effet des préjudices notables à la communication sur le Covid-19. Ces confusions sont parfois entretenues par la diffusion d’opinions ne reposant sur aucun fait tangible. Les professionnels, les journalistes je veux dire, sont souvent restés dans la collecte primaire et la diffusion de l’information factuelle, en expliquant et en s’appuyant sur des points de vue documentés, émanant souvent de spécialistes.
Quant à certains communicants, il m’est parfois apparu beaucoup d’audace et de l’imprudence dans les propos de certains d’entre eux. J’en ai eu parfois le profond sentiment. Cela a été le cas, quand certains d’entre eux ont décrété urbi et orbi, en affichant en apparence de fortes certitudes, que la communication proposée par les autorités engagées en première ligne dans la lutte n’était pas bonne, pour ne pas dire qu’elle était mauvaise.
par Kako Nubukpo
CONTROVERSE BÉNIN/SÉNÉGAL SUR LA DETTE : LA RENAISSANCE DU DÉBAT AFRICAIN
La tribune du ministre béninois des Finances apparaît comme la contestation du leadership sénégalais en construction et la réponse du ministre sénégalais des finances, comme une « commande » présidentielle
Jeune Afrique |
Kako Nubukpo |
Publication 04/05/2020
Si la pandémie du coronavirus n’avait qu’une seule vertu, ce serait la renaissance du débat africain qu’elle provoque à l’heure actuelle. En effet, rarement les décideurs et intellectuels africains se sont autant exprimés par voie de tribunes, d’articles, d’appels divers et variés.
Dans la foison de contributions plus stimulantes les unes que les autres générée par la pandémie de Covid-19, la passe d’armes récente entre le ministre béninois de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni, et le ministre sénégalais des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, autour de la question de l’annulation de la dette africaine, mérite d’être soulignée à plus d’un titre.
En effet, dans une tribune publiée le 23 avril, Romuald Wadagni a exprimé son hostilité au moratoire et a fortiori à l’annulation de la dette africaine, au motif du signal négatif que cette annulation enverrait aux marchés financiers, engendrant de facto une hausse de la prime de risque et donc des taux d’intérêts exigés par les créanciers pour acquérir les dettes africaines futures.
En réponse à cette prise de position, son homologue sénégalais des Finances a publié le 28 avril une tribune intitulée : « Annuler la dette des pays africains est vertueux et bien fondé », dans laquelle il fait explicitement référence à celle de son collègue du Bénin pour la contrer point par point.
Trois raisons justifient l’importance et le caractère singulier de ce combat à fleurets mouchetés :
La tribune du ministre béninois des Finances, qui n’a pu être publiée sans l’aval de son chef d’État, apparaît dès lors comme la contestation de ce leadership sénégalais en construction et la réponse du ministre sénégalais des finances, comme une « commande » présidentielle.
Sur le plan diplomatique, les tribunes des deux ministres s’inscrivent dans un contexte où le président en exercice de l’Union africaine, le Sud-africain Cyril Ramaphosa, vient de désigner quatre personnalités emblématiques d’une Afrique mondialisée pour négocier, au nom de l’Afrique, les moratoires et/ou annulations des dettes africaines.
La tête de file de ce quatuor, Tidjane Thiam, ancien ministre, assureur et banquier franco-ivoirien internationalement connu et reconnu, a d’ailleurs répondu au ministre béninois des Finances sur la chaîne de télévision francophone TV5, en des termes fort peu amènes : « personne n’oblige un État à accepter un moratoire ou une annulation de sa dette ». On a connu des technocrates plus respectueux des ministres et des chefs d’États en exercice…
De fait, l’apparition de « nouveaux acteurs » venus du monde de la finance internationale, mais sans responsabilité exécutive à l’heure actuelle, sort de leur torpeur les ministres africains, généralement peu diserts en matière de partage de leurs convictions théoriques et empiriques.
Ces contestations – celle « par le haut » de la compétence des ministres africains en exercice dans leur capacité à représenter le continent dans les enceintes internationales et celle des commissaires de l’Union africaine (après tout, ils sont payés pour cela) – créent un nouvel espace de jeux et d’enjeux autour du leadership sur la représentation africaine sur le plan international et vient compléter la contestation « par le bas » portée par les organisations de la société civile africaine.
Sur le plan économique, les deux ministres des Finances semblent opter pour deux niveaux distincts de l’analyse économique : le ministre béninois est clairement dans une logique microéconomique, plus précisément dans l’économie du risque, de l’incertain et dans la théorie des jeux répétés. Son raisonnement consiste à dire qu’une suspension ou une annulation de la dette africaine provoquerait dans le jeu répété qui a cours entre débiteurs et créanciers, une perte de confiance de ces derniers engendrant une dégradation de la réputation et de la crédibilité des premiers, dont le coût cumulé sur longue période sera plus élevé que le gain immédiat.
Ce résultat bien connu de la théorie dite des « incitations », produit de la nouvelle économie institutionnelle, plaide en faveur du marché qui serait le meilleur allocataire des ressources en dépit de son caractère d’optimum de « second rang ». Au contraire, le ministre sénégalais opte pour une approche d’emblée macroéconomique, plus étatiste, ciblée sur la nécessité d’obtenir des marges de manœuvres budgétaires additionnelles pour faire face à la pandémie du Covid-19. De ce point de vue, il élargit l’espace d’appréhension de la crédibilité du débiteur en mobilisant l’Etat sénégalais qui aurait « un profil d’émetteur souverain de référence ».
Dans la mesure où en théorie, l’État est le meilleur débiteur par excellence car doté d’une durée de vie infinie, le tour est joué. En s’inscrivant au fond dans la nouvelle macroéconomie keynésienne, il pourrait revendiquer l’incomplétude et l’imperfection des marchés financiers pour justifier sur le plan pratique un moratoire ou même une annulation de la dette africaine.
Pour finir, il convient de souligner l’absence dans les deux contributions ministérielles des causes structurelles des dettes africaines, notamment l’étroitesse de la base productive et l’absence d’une souveraineté monétaire pouvant permettre la monétisation de la dette à l’instar de la pratique actuelle de tous les pays riches et émergents de la planète.
En effet, pour sortir du cercle vicieux de la dette africaine, il faudrait augmenter et orienter le crédit public et privé (bancaire et non bancaire) vers l’investissement productif et la création de capacités additionnelles de production. De fait, la demande africaine pourrait être assurée pour l’essentiel par l’offre africaine de biens et services, avec à la clé une réduction des importations et donc du solde courant de la balance des paiements.
Le processus de production africaine permettrait, pour sa part, de créer de nouveaux emplois, d’engendrer des revenus additionnels et de payer des impôts supplémentaires indispensables à une résorption pérenne des déficits budgétaires récurrents et donc la réduction drastique des stocks de dette extérieure.
La reconquête par l’Afrique de ses instruments de souveraineté politique, diplomatique et économique est la condition permettant de ne plus apporter des réponses conjoncturelles à une question structurelle et de sortir par le haut du débat salutaire entre le Bénin et le Sénégal sur les dettes africaines.
Par Madiambal DIAGNE
DETTES AFRICAINES : MACKY SALL, LES VOIES DE LA RAISON
Le Bénin partage avec le Rwanda l’ambition de se muer en places financières, en attirant des investisseurs privés. Leurs discours pour les rassurer et les séduire à tout prix peuvent donc être identiques
La question de la prise en charge des conséquences de la pandémie du Covid-19 a relancé le débat sur la problématique de l’endettement des pays pauvres. L’initiative du Président Macky Sall, appelant à l’annulation totale ou partielle de la dette publique et la renégociation des dettes commerciales des pays pauvres, a eu un écho assez favorable auprès de la communauté internationale. Le Fonds monétaire international (Fmi) a immédiatement effacé la dette de vingt-cinq pays pauvres. Aussi, le paiement de la dette de tous les autres Etats est suspendu, selon une décision du G20 qui regroupe les principaux créanciers publics. Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, le 27 avril 2020, a tenu à redire les bonnes dispositions de son pays (Usa) à examiner la situation des pays, «au cas par cas», en vue de l’allégement de leur niveau d’endettement. La Chine va dans la même logique. Le Président Macron, premier acquis à cette cause avec le Pape François, travaille le Club de Paris pour obtenir les mêmes résultats. En outre, les institutions de Bretton Woods et l’Union européenne ont sorti les carnets de chèques pour allouer des liquidités sous forme de dons, car il s’avère nécessaire de soulager le fardeau de l’endettement, mais aussi d’injecter des ressources nouvelles. En plus de l’annulation de la dette pour relancer son économie, l’Afrique demande par exemple le pourvoi de ressources financières nouvelles pour un montant de 100 milliards de dollars.
Ne pas se faire d’illusions
Le levier sur lequel l’Afrique pourra s’appuyer sera assurément l’effacement de la dette. Après les désastres économiques et sociaux du Covid-19, le monde sera dans une situation économique et sociale telle que tous les pays auront besoin de financer leurs déficits. Il s’avèrera particulièrement difficile pour les Etats, de façon générale, de recourir à l’instrument de la fiscalité pour éviter de fâcher davantage leurs populations. La seule alternative sera de recourir aux marchés. L’Afrique se tournera donc vers les marchés en même temps que tous les autres pays du monde et on peut considérer que ce sera une compétition inégale. En effet, les prêteurs seront plus enclins à aider à sauver les économies de leurs propres pays. Il sera question de l’exacerbation d’un certain égoïsme des Peuples. Aussi, les garanties de solvabilité des pays riches sont sans commune mesure avec celles des pays pauvres. L’Afrique aura intérêt à voir son stock d’endettement allégé pour pouvoir emprunter, de nouveau, ou qu’elle aura besoin de n’avoir pas à rembourser des dettes et ainsi rediriger les ressources qui devaient être destinées à payer des dettes, à faire face à d’autres priorités. Les dons et autres aides des pays riches seront assez limités, en raison de leurs propres urgences nationales.
La légitimité juridique d’une demande
Demander l’annulation de la dette ne doit pas souffrir d’un complexe ou de scrupules. D’ailleurs, la demande portée aujourd’hui par l’Afrique a toujours été celle de militants politiques ou de la société civile, pour des rapports internationaux justes et équitables. Ainsi, ne devrait-on pas avoir honte à demander l’annulation d’une dette publique. Ce n’est pas non plus une revendication idéologique, encore moins une demande de charité. Une telle revendication a des fondements d’ordre juridique, économique et moral.
Par des principes généraux bien établis, le droit international a fini de justifier des demandes en annulation de dette des Etats. Les dettes contractées contre les intérêts des populations locales sont juridiquement frappées de nullité. La doctrine de la «dette odieuse» trouve son origine au 19ème siècle. Une de ses applications remonte à 1898, lorsque les Usa prirent le contrôle de Cuba. Les Usa avaient refusé d’assumer la dette cubaine vis-à-vis de la couronne espagnole. Le contentieux sera éteint à l’aide d’un traité international, signé à Paris, au terme duquel l’Espagne renonça à la dette.
En 1923, une banque britannique établie au Canada va renoncer à des prêts consentis au Costa Rica. Les prêts avaient été considérés, suite à un arbitrage dirigé par le juge Taft, président de la Cour suprême américaine, qu’ils avaient été consentis selon l’intérêt personnel du Président Tinoco du Costa Rica.
Les mouvements citoyens invoquent souvent ce principe de la dette odieuse. D’ailleurs, l’Administration Bush avait relancé ce principe en 2003, en demandant à des pays comme la Russie, la France et l’Allemagne d’annuler la dette de l’Irak contractée par le régime de Saddam Hussein. Le Club de Paris finira par annuler 80% de la dette de l’Irak, mais en prenant soin de ne pas la qualifier de «dette odieuse» ; sans doute pour éviter de faire des émules. On retiendra qu’une dette peut être qualifiée de «dette odieuse» si elle a été «contractée par un régime despotique, dictatorial, en vue de consolider son pouvoir, ou si elle a été contractée non dans l’intérêt du Peuple, mais contre son intérêt et/ou dans l’intérêt personnel des dirigeants et des personnes proches du pouvoir, ou enfin si les créanciers étaient en mesure de connaître la destination odieuse des fonds prêtés».
On peut aussi soutenir l’annulation de la dette et la suppression de son remboursement en convoquant l’argument de la force majeure et celui du changement fondamental de circonstances. La Commission du droit international de l’Onu définit ainsi la «force majeure» : «L’impossibilité d’agir légalement (…) est la situation dans laquelle un événement imprévu et extérieur à la volonté de celui qui l’invoque, le met dans l’incapacité absolue de respecter son obligation internationale en vertu du principe selon lequel à l’impossible nul n’est tenu.»
La jurisprudence en matière de droit international reconnaît qu’un changement dans les conditions d’exécution d’un contrat peut l’annuler. Cela signifie en substance que les contrats qui requièrent l’accomplissement d’une succession d’engagements dans le futur sont soumis à la condition que les circonstances ne changent pas.
Un autre motif pour fonder le refus de payer est l’argument de «l’état de nécessité». L’état de nécessité peut être invoqué lorsque la poursuite des remboursements implique pour la population des sacrifices qui vont au-delà de ce qui est raisonnable, en affectant directement les obligations fondamentales de l’Etat à l’égard des citoyens. A ce propos, la Commission du droit international de l’Onu déclare : «On ne peut attendre d’un Etat qu’il ferme ses écoles, ses universités et ses tribunaux, qu’il supprime les services publics de telle sorte qu’il livre sa communauté au chaos et à l’anarchie, simplement pour ainsi disposer de l’argent afin de rembourser ses créanciers étrangers ou nationaux. Il y a des limites à ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un Etat, de la même façon que d’un individu.»
L’exemple éloquent de l’annulation de la dette de l’Allemagne
La communauté internationale avait mis ensemble ces différents principes juridiques pour décider, à l’initiative des Usa, de l’annulation de la dette allemande en 1953. On se rappelle que Alexis Tsipras, chef du gouvernement de la Grèce en 2015, un pays plongé dans une grave crise économique, faisait du précédent de l’annulation de la dette allemande son argument de taille pour titiller l’inflexibilité de Angela Merkel qui refusait toute annulation de la dette grecque.
L’économiste Eric Toussaint, qui soutenait la Grèce dans ce combat, décrit les conditions des faveurs accordées à l’Allemagne. En effet, après la seconde Guerre mondiale, de multiples conditions ont été réunies pour permettre à l’Allemagne de l’Ouest (Rfa) de se développer rapidement en permettant la reconstruction de son appareil industriel. Non seulement la dette contractée par l’Allemagne en-dehors des deux guerres mondiales a été réduite de plus de 60% et des aides économiques sous forme de dons lui avaient été octroyées. L’Allemagne a pu développer d’impressionnantes infrastructures publiques et soutenir ses industries afin de satisfaire la demande locale et de conquérir des marchés extérieurs. L’Allemagne a même été autorisée à rembourser une grande partie de sa dette restante dans sa monnaie nationale. Elle remboursa par exemple à la Belgique, à l’Angleterre et à la France une partie de ses dettes en Deutsche marks. «Ces fonds qui n’avaient pas d’intérêt dans les échanges avec le reste du monde, Anglais, Belges et Français ont essayé de s’en débarrasser rapidement en achetant des marchandises et des équipements fournis par l’économie allemande et contribué à refaire de l’Allemagne une grande puissance exportatrice.» L’allègement radical de la dette de la Rfa et sa reconstruction rapide après la seconde Guerre mondiale ont été rendus possibles grâce à la volonté politique de ses créanciers. De surcroît, l’accord établissait la possibilité de suspendre les paiements pour en renégocier les conditions si survenait un changement substantiel limitant la disponibilité des ressources. Les concessions pour une relance rapide de l’Allemagne furent nombreuses de la part des créanciers.
Les petits calculs du Bénin et du…Rwanda
On a pu être interloqué en entendant des intellectuels africains qui voudraient prendre le contre-pied de leur gouvernement, au risque parfois d’apparaître incohérents. Ils ont toujours considéré que la dette africaine auprès des pays occidentaux était injuste et encourageaient à rompre la spirale de l’endettement. Voilà que les Etats africains demandent l’annulation de la dette et que les créanciers se montrent disposés à accéder à la demande, que des élites africaines trouvent à objecter ! Ce serait plus que faire de la fine bouche pour un débiteur de renoncer à une offre généreuse de son créancier de lui effacer une dette. Le cas échéant, devrait-on se demander ce que ce débiteur aurait bien derrière la tête ?
C’est dire que l’opinion exprimée par Mme Louise Mushikiwabo, qui voudrait que l’Afrique devrait plutôt préférer le gel de la dette, ne manque pas de poser problème. La secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) rame à contre-courant de la plupart des chefs d’Etats membres de l’Oif. A ce que l’on sache, aucune instance de l’OIF n’a eu à discuter de la question pour adopter une telle position qui est en porte-à-faux manifeste avec les engagements officiels des Etats membres. Il sera difficile de ne pas entendre les voix qui voudraient croire que Mme Mushikiwabo exprime ainsi une position que le Rwanda, dont elle a été le ministre des Affaires étrangères avant d’être élue à la tête de l’OIF, ne pouvait porter officiellement. Il s’avérerait incongru que Paul Kagame, qui coordonne la Commission de l’Union africaine pour le Nepad, se démarque officiellement d’un projet aussi consensuel pour l’Union africaine que la demande d’allégement de la dette des pays pauvres. En outre, le Rwanda a été tout heureux de faire partie des 25 pays les plus pauvres du monde et qui sont déjà bénéficiaires de l’annulation de leurs dettes auprès du FMI, du 13 avril 2020.
On peut dire la même chose du Bénin, autre pays bénéficiaire de cette opération. Après avoir fini de bénéficier d’une annulation par le FMI, le chef de l’Etat du Bénin, Patrice Talon, a écrit aux institutions de Bretton Woods pour appeler à la «mobilisation urgente de liquidités nouvelles en lieu et place des annulations et moratoires de dette». Le Président Talon semble perdre de vue que la demande d’annulation des dettes publiques et de réaménagement des dettes commerciales des Etats est aussi accompagnée d’une autre demande non moins importante, à savoir l’allocation de ressources financières nouvelles. A sa suite, Romuald Wadagni, ministre des Finances du Bénin et président du Conseil des ministres de l’Uemoa, s’est autorisé d’en rajouter une couche. Dans une tribune publiée par le magazine Jeune Afrique, il soutient que «les annulations de la dette, malgré la marge budgétaire immédiate qu’elles offrent, ne répondent pas aux enjeux et présentent d’importants inconvénients».
Romuald Wadagni plaide que de telles mesures donneraient une perception négative aux agences de notation. Le ministre Wadagni est alors en porte-à-faux avec tous ses autres collègues de l’Uemoa et, à le lire, on croirait qu’il est toujours l’employé de Deloitte Afrique. La grosse faiblesse de son argumentaire demeure que si le Bénin ne bénéficie pas de mesures d’allégement de sa dette, ce pays ne pourrait nullement profiter des marchés financiers. C’est le serpent qui se mord la queue !
En effet, le Bénin est déjà lourdement endetté et le ratio de sa dette dépasse 56% de son Pib, en dépit d’une opération de restructuration de sa dette conduite par justement Romuald Wadagni en 2018. La restructuration de la dette du Bénin (opération très décriée à Cotonou du fait de son opacité) lui avait quand même permis de pouvoir lancer une opération d’Eurobonds en mars 2019, pour lever 500 millions d’euros avec la maturité la plus courte (7 ans) et surtout le taux d’intérêt (5,75%), le plus élevé de tous les pays de l’espace Uemoa, sachant que le Sénégal et la Côte d’Ivoire avaient réalisé la même opération. Il s’y ajoute que des annulations de dettes avaient bénéficié aux pays africains, dont le Bénin, en 1999 et en 2005, et cela n’a pas empêché les «fameuses» agences de notation de continuer à accorder du crédit à ces pays.
On regrettera toujours en Afrique que des autorités politiques puissent garder des agendas particuliers au détriment des intérêts des populations. Les exemples sont légion, de voir de hauts cadres publics, privilégier les intérêts de la Finance internationale ou poursuivre des projets de carrière dans de grandes institutions internationales, jusqu’à sacrifier les intérêts de leur pays.
Au demeurant, l’attitude des autorités du Bénin suivrait aussi la logique que ce pays, se sachant pas très éligible aux financements publics, voudrait recourir davantage aux financements commerciaux. Ce choix stratégique répondrait aussi à plus de facilité à lever des fonds avec moins d’orthodoxie sur le choix des créanciers ou sur les taux d’endettement. Le Bénin partage avec le Rwanda l’ambition de se muer en places financières du genre Dubaï, en attirant des investisseurs privés, leur accordant des conditions particulières. Leurs discours pour les rassurer et les séduire à tout prix peuvent donc être identiques.
Par Bamba Kassé
MOT DU SECRETAIRE GENERAL DU SYNPICS A L’OCCASION DE LA JOURNEE MONDIALE DE LA PRESSE
Informer Juste et Vrai ! Ceci n’est pas un cahier de doléances, mais une feuille de route, à amender au besoin, pour que la Liberté de la Presse au Sénégal, soit une réalité quotidiennement vécue
Chers amis, Nous voici une nouvelle fois face au rituel de la célébration du 3 Mai, la journée mondiale de la Liberté de Presse. Partout dans le monde dit libre, des discours sont produits, des messages initiés et diffusés, des initiatives de revendication ou de réitération du sacro saint principe de la Liberté des Médias, prises.
Chers amis, chez nous au Sénégal, ce 3 mai est particulier à plus d’un titre. Non pas parce que nous sommes tous englués dans les travers des conséquences de la pandémie du Covid19, mais parce que à y regarder de près, le début de 2020 s'avère être une période de paradoxes pour ce qui est de la liberté de la presse. 2020 devait être dans notre calendrier, l’année de la consécration de notre nouvel écosystème institutionnel des médias avec la mise en application effective du Code de la presse, la mise en place de la HARCA en remplacement du CNRA, l’amorce de la réforme du code de la publicité et le début de la régularisation des cartes nationales de presse. Sans oublier d’autres chantiers comme la mise sur pied d’une sorte d’assurance maladie pour les travailleurs des médias et leurs familles. En lieu et place qu’avons-nous obtenu ?
A part une amélioration de notre classement dans le registre "Reporters Sans Frontières" où le Sénégal est passé de la 49e à la 47e place dans l’indice de la liberté de presse, notre pays fait du surplace. Les réformes institutionnelles qui devaient se matérialiser par la mise en application de textes consensuels sont encore à l’arrêt.
Cette inaction charrie le plus grand danger qui guette l’avenir de la presse : l’Incertitude ! Incertitude quant à la pérennité de son modèle économique chahuté par son manque d’ancrage à la digitalisation.
Notre presse n’a pas assez apprivoisé le numérique qui pourtant sera la plateforme de diffusion par essence dans un avenir très proche. Ce qu’on appelle trivialement ‘’presse numérique’’ ou en ligne, ne fait l’objet d’aucun encadrement au point que les sites internet qui pour la plupart ne répondent pas au vocable ‘’entreprise de presse’’, se débattent dans la mare de ‘’l’Infodémie’’ et le ‘’Buzz Système’’ non pas pour informer, mais orienter. Ou désorienter. Le décret portant statut de l’entreprise de presse devrait permettre de régler ce problème. Il est toujours malheureusement dans des tiroirs. L’autre décret portant mise en place du Fonds d’Appui et de développement de la presse, un outil indispensable pour accompagner l’initiative de création des médias d’un genre nouveau, ou qui au moins devrait permettre aux médias existants de pouvoir amorcer leur mutation économique réelle, manque toujours à l’appel.
Dans un contexte où les sociétés d’information voient le jour pour réclamer plus de considération économique, où le débat ailleurs est de voir comment contraindre les GAFAM à rémunérer à leur juste valeur les médias qui leur fournissent du contenu, le surplace qui sévit dans notre pays est inquiétant.
Doublement inquiétant lorsqu’on se remémore les mots du Président de la République demandant le 1er mai 2019 à ses ministres de la communication et du Travail de faire le Job. Un an après, à l’actif du premier nous notons un arrêté mettant en place la commission nationale de la carte de presse, et pour le second, nous pouvons souligner les efforts administratifs qui aboutiront "si tout se passe bien" à l’arrêté d’extension de la Convention Collective des travailleurs du secteur des médias.
Chers membres de la famille des médias, dignes travailleurs souvent méprisés - la plupart du temps en violation flagrante de la Loi - la partition de chacun d’entre nous est attendue pour, qu’ensemble on provoque le dernier acte de sursaut qui devra faire de notre pays un exemple achevé de démocratie. Qui dit démocratie dit presse libre. Qui dit presse libre, parle d’une liberté fondamentale : celle d’assurer le contrôle des productions d’information par des professionnels assujettis aux règles éthiques et déontologiques. Sommes-nous dans ce cas lorsque l’on voit de plus en plus de publications gérées par des lobbies et des intérêts économiques et politiciens ? Dans un pays où l’actionnariat des médias est occulte l’information peut elle être fiable ?
Lorsqu'un ancien ministre reconverti en homme d’affaires ou porteur de valise met en place un organe médiatique n’est-il pas légitime de se demander si ce média produit de l’information ou si au contraire il n’est qu'un outil pour faire passer des messages ? Que dire alors de ce phénomène qui a été vécu avec acuité lors de la dernière présidentielle, en février 2019 !
Des médias et non des moindres qui se mettent ostensiblement au service d’un des camps engagés dans la course au scrutin ! Ce, au nez et à la barbe d’un organe de Régulation dépassé puisque dépossédé de tout pouvoir réel de coercition et dont la composition aurait été, de toutes les manières, perçue comme un frein à la neutralité. En ce jour de célébration de la Liberté de Presse partout dans le monde, faisons ensemble un serment. Jurons d’expier de ce secteur les intérêts partisans qui bloquent le processus de renouvellement de notre écosystème.
Barrons la route à la routine paresseuse d’un journalisme de ‘’compte-rendu’’. Remettons nous tous ensemble sur la ligne de départ pour une Presse de Qualité, dotée de moyens économiques mais aussi et surtout légaux et règlementaires pour lui permettre de faire son travail, son seul travail : Informer Juste et Vrai ! Ceci n’est pas un cahier de doléances, mais une feuille de route, à amender au besoin, pour que la Liberté de la Presse au Sénégal, notre cher pays, ne soit pas seulement une date inscrite dans un calendrier de festivités et de commémoration, mais une réalité quotidiennement vécue. Pour le bien exclusif de notre Démocratie.
Bamba Kassé
SG Synpic
Par Henriette Niang Kandé
LIBRE CIRCULATION DES JOURNALISTES, ENCORE UNE EXCEPTION SENEGALAISE !
Sénégal, notre beau pays, terre de paradoxes par excellence et terreau d’intrigantes « innovations», où rien ne se passe comme ailleurs! Prenons l’exemple des télévisions qui s’étaient vues sommer de faire porter des masques sur leurs plateaux
Sénégal, notre beau pays, terre de paradoxes par excellence et terreau d’intrigantes « innovations», où rien ne se passe comme ailleurs! Prenons l’exemple des télévisions qui s’étaient vues sommer de faire porter des masques aux journalistes, animateurs et invités sur leurs plateaux. Du jamais vu nulle part ailleurs dans le monde, y compris dans les pays à très fort taux d’infection et de mortalité.
Des émissions sont produites à domicile, et via des supports technologiques permettant à des intervenants d’y participer en toute sécurité. Les émissions de plateau, enregistrées ou en direct, respectent la distanciation et les gestes barrières recommandés, sans que les participants ne s’exhibent masqués. Il aura fallu la réaction combinée du président du Conseil des Editeurs et Diffuseurs de Presse du Sénégal (CDEPS) et du président du Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA), pour amener les autorités à condescendre....
L’épisode de l’exclusion des journalistes des catégories professionnelles bénéficiaires d’un coup fil par arrêté ministériel, leur permettant de circuler sans restrictions par ces temps d’état d’urgence et de couvre-feu se prolonge, avec «l’innovation» du ministère de l’Intérieur, consistant à numériser les données à fournir par les journalistes, afin de pouvoir disposer d’une autorisation de circuler électronique. La mesure suscite crainte et appréhension chez les professionnels, notamment l’éventualité d’être repérables, traçables et localisables à tout moment. Hormis le risque d’intrusion dans la vie privée, c’est au plan professionnel que se pose la question d’une possible interférence de Big Brother. Imaginez un(e) journaliste, travaillant sur un sujet sensible avec des sources, des contacts requérant anonymat et protection, pour diverses raisons. Quelles garanties peuvent lui être données que « l’œil de Moscou » ne suivra pas ses moindres déplacements, faits et gestes?
La «fatwa» contre la télé, outre la méprise qu’elle surligne, renseigne subrepticement sur le profil psychologique de certains des dirigeants et fonctionnaires de l’Etat, avec une conception et une pratique étriquées des attributs et prérogatives de la puissance publique, ne retenant que le monopole de la contrainte qui lui est attachée, au détriment de la doctrine de service public qui lui est opposable à juste titre.
D’un point de vue purement administratif, il incombe à l’Etat moderne de garantir et sécuriser le droit à l’information des citoyens, en s’assurant de l’effectivité des conditions et modalités de jouissance de cette liberté fondamentale, fondatrice de la liberté de la presse, et du recours à différents outils disponibles pour la défense et l’illustration de cette disposition universelle, normée et codifiée. Notre pays est-il si exceptionnel au point de se signaler aussi singulièrement à la face du monde, à travers des mesures régressives voire répressives ? Qu’avons-nous que le reste du monde n’a pas, pour justifier une certaine idée de «l’exception sénégalaise » galvaudée et ressassée à souhait? Le plus curieux dans cette histoire de «télévision masquée », anxiogène, c’est que les rédactions des radios, journaux et presse en ligne, sont superbement exclues du champ de ce contrôle rigoriste. La magie de la télévision sans doute ! Le débat sur le rôle et la fonction des médias dans la société est d’une actualité et d’une acuité brûlantes.
En rappeler les termes pourrait permettre d’en cerner les contours, les enjeux d’aujourd’hui et de demain, dans une perspective sociétale globale. « La radio annonce, la télévision montre, la presse explique », pontifiait-on à l’ère d’Emerc, l’Homme Emetteur-Récepteur, pour les familiers de l’approche théorique de la communication du Canadien Jean Cloutier. La presse écrite, qui a donné son nom devenu générique à l’activité de collecte, de traitement (production) et de diffusion de masse d’informations, de sujets éducatifs, de thématiques, de divertissement, tous moyens confondus, est sommé de se numériser, en s’inscrivant -en s’inclinant selon les puristes de l’écriture graphique- dans la dynamique de la convergence numérique qui permet de produire, d’aspirer et de diffuser sur un même canal, internet, satellite et tout réseau répondant aux normes du protocole IP.
Ainsi les différentes fonctions des médias classiques et des nouveaux médias peuvent-elles être agrégées dans des plateformes numériques, qui proposent une offre globale et pluraliste tout en respectant la segmentation des besoins dans l’espace numérique intégré. Les évolutions actuelles et futures des besoins en information et de la constellation d’offres de toutes natures, de toutes origines, obligent à d’autres rapports sociaux, à commencer par une redéfinition de la conception et de l’expression des missions régaliennes des détenteurs de pouvoir, au regard de l’irruption d’une nouvelle citoyenneté biberonnée à la conscience discursive et à la conscience critique. Les citoyens ne sont plus assimilables à des masses populaires à « gérer » par la contrainte, mais des agents à la fois proactifs et interactifs, détenteurs d’un pouvoir de légitimation voire d’habilitation.
C’est fort d’une telle compréhension du mouvement qui dessine des trajectoires à vitesse grand V que les médiations doivent être appréhendées, dès lors qu’elles intègrent en les dépassant, la simple fonction de relais ou pourvoyeurs de contenus. La problématique d’une citoyenneté s’exprimant par l’action individuelle et collective d’agents compétents, engagés dans la recherche et dans la production de sens est à envisager aussi bien par les professionnels des médias, que par les acteurs politiques et sociaux, «The Powers That Be», (les pouvoirs établis, institutionnels, économiques, spirituels, occultes, etc.).
Alors dialoguons pour développer des acquis à même d’intégrer les dynamiques qui travaillent nos sociétés interpellées et potentiellement solubles dans une société globale de l’information qui nous laissera encore sur les bords de ses autoroutes que nous devons pourtant impérativement emprunter avec pour bagages notre part d’humanité, d’innovation et de créativité.
C’est là tout notre défi.
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
POUR UNE SOCIÉTÉ HEUREUSE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’école publique sénégalaise est à l’agonie - Elle n’est plus en mesure d’assurer la mobilité sociale du grand nombre. Car on ne lui donne pas les moyens de sa mission - NOTES DE TERRAIN
Cela faisait plus de vingt ans que nous ne nous étions pas vus. Ce matin de juillet 2017, nos regards se sont croisés dans la cour de l’école Matar Seck, à Rufisque. C’était un jour d'élection. Un dimanche. Elle m’avait reconnu. A ma grande surprise. Elle n’a pas oublié mon nom. J’étais si heureux de la rencontrer, ce jour-là. Elle a prononcé mon prénom, avec cette voix lointaine, imprimée dans mon inconscient, et qui n’a pas pris une ride. Il y avait son mari, un peu plus loin, qui discutait avec une autre personne. Elle l’a appelé et nous a présentés, l’un à l’autre. Je l'avais trouvée encore jeune et si gentille. Nous avons échangé nos numéros. Je l’ai appelée une fois. Quelqu’un d’autre a pris le téléphone. Elle n’était pas disponible. Je n’avais pas insisté. Et depuis, je n’ai plus eu de nouvelles. Entre-temps, j’ai aussi perdu son numéro de téléphone.
Mercredi dernier, mon frère m’a appelé le matin. Il était devant la maison familiale. Une personne l’a longuement dévisagé. Il m’a raconté que c’était une femme. Elle l’a interpellé par mon nom. Il lui a dit qu’elle confondait, mais que j’étais bien son grand-frère. Ils ont échangé un peu. Elle m’a passé le bonjour. Elle lui a aussi dit qu’elle habite juste derrière. Il m’a rapporté toute la scène. J’ai considéré ces informations avec joie. Toutes ces années, et elle garde encore, intacte dans sa mémoire, des souvenirs éloignés. Je me suis promis d’aller lui rendre visite, bientôt. La dernière fois que l’on s’était rencontrés, elle avait raconté quelques anecdotes à son mari, me concernant. Elle s’est rappelée, avec précision, mes grandes faiblesses et mes qualités à l’époque.
Sacerdoce. Mme Mbaye était ma maîtresse d’école, au primaire. Je me souviens de ce tableau noir devant lequel elle se tenait. De cette chaise et de la table, qui lui servaient de bureau. De ces classes où nous passions la journée. De la cour de l’école et de beaucoup de camarades de l’époque. Des plus turbulents, aux timides. De ceux qui étaient toujours les premiers. De ces chansons déclamées à tue-tête, que je garde encore en mémoire. Mme Mbaye était stricte, mais adorable. D’une grande douceur. C’était l’époque où l’école publique marchait encore. Même si elle était déjà un lieu sinistre. Nous étions déjà nombreux dans les salles de classes. Comme des âmes entassées dans les abîmes et que seule la magnanimité de nos éducateurs pouvaient tirer des bas-fonds.
Nous n’évoluions dans notre formation que par l'engagement de ces femmes et de ces hommes. Mme Mbaye fait partie de la troisième génération d'enseignants. Qui suivait celle des maîtres des temps héroïques, avant et juste après les indépendances ; puis celle des époques de plomb et de la désillusion, avec les ajustements structurels qui ont saccagé la culture et l’école. Je me rappelle d’elle. La tenue toujours implacable. La voix calme. L’autorité bienveillante. Qui nous inculquait la morale, l’observation, les calculs, l’histoire. Alors que nous nous mettions à trois, serrés dans les table-bancs. Parfois bavards et incontrôlables. Elle nous maintenait dans la voie de l’accomplissement de l'être.
Tant de générations d’enseignants se sont dévoués pour construire notre nation. Des médailles ne suffiraient pas à les remercier. Il y a un manque de reconnaissance, à leur égard. Pire, ils sont encore sous-estimés et oubliés dans le grand roman national. Si le Sénégal a des ingénieurs, des administrateurs civils, des médecins, des hommes de lettres et de sciences, des institutions de la République, des hôpitaux, une administration, il le doit à tous ces instituteurs. Dévoués jusqu’au sacrifice, à leur métier. Mais les années passent, les générations se suivent et l’école publique reste un lieu déconsidéré. Pire, le travail des enseignants est déprécié. Leur récompense est insuffisante et les lieux de savoir sont laissés en ruines. Si, à tout cela, s’ajoute une formation de plus en plus défectueuse des enseignants, on ne peut s’attendre qu’à des lendemains où l’esprit collectif sera diminué. Et où l'on assistera à l'enflement de l’ignorance.
Alors que faire ? L’école publique sénégalaise est à l’agonie. C’est une lapalissade. Elle est devenue un espace d'où l’on peut observer les grandes lignes de fracture de notre société. Elle raconte les inégalités de plus en plus prégnantes au Sénégal. Les enfants des classes moyennes supérieures ne la fréquentent plus. Même ceux issus de parents moins nantis la quittent. Pour une raison simple : elle est une structure sociale qui favorise le déclassement. Elle n’est plus en mesure d’assurer la mobilité sociale du grand nombre. Car on ne lui donne pas les moyens de sa mission. Également, parce que les élites politiques aveugles ont laissé prospérer la marchandisation de l’éducation. C’est un constat terrible, dans un pays où sévit encore une pauvreté étouffante, mais aussi l’analphabétisme de masse.
Restaurer l’école. Il faut aussi rappeler que l’école sénégalaise souffre, depuis toujours, d’une pathologie congénitale. L'école porte une mission civilisatrice. Nous ne cesserons jamais de le rappeler. Elle marginalise la culture nationale. En ne prenant pas en compte, dans ses actions éducatives, les langues du pays. Elle se refuse, de ce fait, à supporter le poids de la civilisation qui est la sienne. Ce qui est une aberration. Et nous le disons encore, si nous voulons desserrer l’étau de l’ignorance et de la misère, au Sénégal, nous ne pourrons continuer à évincer nos langues nationales dans le système éducatif. L'école porte une mission civilisatrice. Nous ne cesserons jamais de le rappeler. C’est seulement par une médiation culturelle endogène et active, que nous arriverons à l’épanouissement collectif. A l’essor d’une nation forte. La culture est le socle de toute édification nationale. Elle sert aussi de paravent contre les sabotages à l’âme d’une nation, et les agressions à la connaissance. Les langues sont les outils les plus précieux de la socialisation.
Mais tout cela ne doit pas éluder le fait que l’institution scolaire tenait encore la route, et transmettait le savoir. Même organiquement affaiblie. Ce qui devient de moins en moins évident. La réforme, de l’institution scolaire, est aujourd’hui, une nécessité impérieuse. Cela veut dire respecter les enseignants. Déployer plus de moyens pour construire des lieux de savoir. Reconsidérer les langues nationales et la question culturelle. Déconstruire l’esprit marchand de l’éducation. Lutter contre l’échec scolaire. Prendre en charge intégralement l’éducation des classes défavorisées et imposer l’école gratuite. Intégrer, très tôt, dans les curricula, l’enseignement des grands enjeux de l’humanité : l’écologie et le respect de la biosphère. Animer la conscience civique. Favoriser la mobilité sociale. Former rigoureusement les formateurs. Dans l’immédiat, tels sont les grands défis de l'école publique sénégalaise.
Mieux, il faut réenchanter l’école. Elle doit s’ouvrir sur la vie et sur le monde. Pour reprendre Ivan Illich, elle doit donner “une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d’inventer et d’expérimenter”. Ainsi, comment éduquer des humains, désensibilisés à la compétition ? Comment modifier et relever l'état de conscience collectif, pour faire de l’empathie et de la solidarité les figures psychologiques dominantes dans le corps social ? Comment compléter la nature de l'homme et en faire un être vivant, interconnecté à la biosphère, et à qui on enlève ses pulsions destructrices de la nature ? Comment élever le goût esthétique, et faire de la vie un voyage romantique, chez tous ? Comment articuler les différents types de connaissances, pour que l’esprit qui pense ne soit plus mutilé, et qu’il devienne le réceptacle des sciences humaines, sociales, naturelles et formelles ? Quelle architecture pour une école où l’on respire, et où l’on se sent joyeux et vivant ?
L’école publique sénégalaise, dans sa configuration actuelle, ne prend pas en compte tout cela. Elle est encore, dans une certaine manière, une structure oppressante. Qui enserre ses récipiendaires dans des schémas de pensée préfabriqués. Qui maintient, toute l’année, les corps et les esprits dans des abris étroits. Pendant que le soleil et la vie chantent dehors. Pendant que l’infini Univers demande à être contemplé. Pendant que les capacités intellectuelles peuvent être développées, par l’interface de la société et des autres humains. Surtout, l’école sénégalaise n’offre que des fragments de connaissances. L’homme qui sort de son moule ne possède pas toutes les armes pour faire la critique du monde. Pour interroger les illusions de la vie. Pour cheminer vers l’éveil. Son niveau d'initiation est encore perfectible. L’école sénégalaise peut se donner des projets plus ambitieux. Elle peut favoriser, de façon prodigieuse, les réformes spirituelles et morales. Nécessaires à la pratique transformative de notre pays, du monde et de l’humain. Mme Mbaye, ainsi que les enseignants qui se sont succédé dans nos écoles ont tout donné pour bâtir notre nation. Il reste, aujourd’hui, à construire une école qui augmente la conscience. Pour faire vivre, véritablement, les femmes et les hommes.
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
ALIOUNE DIOP, LA GRANDE OMBRE DES LUMIÈRES TRANSAFRICAINES
La silhouette d'Alioune Diop fut de tous les rendez-vous de la pensée - Métronome de la circulation des idées, il favorisa avec le concours de la trinité de la négritude (Césaire, Senghor, Damas), le bouillonnement du Paris Noir
" Il y a 40 ans Alioune Diop s'éteignait à Paris. Que le voile de l'oubli ne tombe pas sur sa mémoire "...
Ces mots simples et intenses reçu aujourd'hui de l'une des filles du défricheur de talents et organisateur de l'intelligentsia transafricaine que fut Alioune Diop, nous rappellent à l'impératif de mémoire et au devoir de reconnaissance envers un homme auquel nous devons tellement d'éblouissement.
Dans " Les précurseurs de Kafka ", un essai d'archéologie du savoir, Jorge Luis Borges identifie les figures qui ont rendu possible l'éclosion du génie de Prague. Quiconque entreprendrait dans le paysage intellectuel de l'Afrique d'après la seconde guerre mondiale une rétrospective similaire, croiserait les pas de ce meneur d'hommes à presque toutes les intersections. Les grandes dates qui jalonnent le parcours des clercs africains sont liées au fondateur de la Revue puis des éditions Présence Africaine.
En fait de présence, la silhouette de Alioune Diop fut de tous les rendez-vous de la pensée. Initiateur à Paris puis à Rome, avant les indépendances, des premier et second Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956 et 1959, il inspira en 1966 le Festival Mondial des Arts Nègres qui se tînt à Dakar et vit triompher les princes du verbe que furent Léopold Sédar Senghor et André Malraux.
Métronome de la circulation des idées, il favorisa avec le concours de la trinité de la négritude (Césaire, Senghor, Damas), le bouillonnement du Paris Noir sous l'influence du mouvement Harlem Renaissance. Alioune Diop stimula les rencontres entre les plumes du Continent et celles d'outre-atlantique à partir de son carrefour parisien. L'écrivain étasunien Richard Wright appartient à cette déferlante, cette vague prometteuse de lendemains enchanteurs.
Ce hub fut le foyer de la protestation morale des grandes voix de l'émancipation et des savoirs ethnographiques endogènes. Fédérateur, il faisait cohabiter des sensibilités aussi hétéroclites que celles de Léopold Sédar Senghor et de son cadet Cheikh Anta Diop.
Le Congrès de la Sorbonne réunissait les Haïtiens Jean Price-Mars, Jacques-Stephen Alexis, René Depestre et l'Ivoirien Bernard Dadié pour lequel ce raout constitua une sorte de révélation de l'interchangeabilité des situations de domination.
Dadié publia plus tard " Iles de tempête ", un drame auquel l'île magique, tient lieu de décor historique. Jacques-Stephen Alexis, auteur chez Gallimard de " Compère Général Soleil ", développa dans les colonnes de la Revue Présence Africaine sa théorie du réalisme merveilleux. Dadié publie en 1959 chez Présence Africaine une de ses chroniques sur les grandes métropoles, "Un Nègre à Paris ". Sur Rome il consigna également des notes de voyage et de curiosités qu'il publia en 1969 par l'entremise de l'éditeur qui fut un ami bienveillant. C'est le sujet de sa chronique citadine, " La ville où nul ne meurt ".
Protégé de Abdoulaye Sadji avec lequel il avait milité au cours de ses années dakaroises au Comité d'études franco-africaines et au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) de 1945-1946 à son retour en Côte d'Ivoire en 1947 pour rejoindre la section ivoirienne du RDA, Dadié doit à ce compagnonage et à ce bouillon de culture la transposition littéraire du patrimoine de l'oraliculture, celui des contes.
Maximilien Laroche et Laennec Hurbon ont montré dans leurs travaux sur les cultures populaires, la prégnance des contes de Bouki et Malice, la version haïtienne des fabuleuses histoires ouest-africaines de Bouki l'hyène et Leuk le lièvre, dont Senghor et Sadji sont les plus célèbres passeurs. Alioune Diop a fait éclore le talent littéraire de Dadié autant que Pierre Seghers et Gabriel D'Arboussier. Senghor l'avait pressenti en 1944 à Dakar sans que cela ne se concrétise par une publication.
Il y aurait tellement à dire sur Alioune Diop et sur l'aventure séminale de Présence Africaine !
Avant le début du confinement je m'étais rendu Rue des écoles devant la grille close de la librairie, sur les traces des deux poètes dont la médiation m'accompagne (Dadié, Senghor) pour m'imprégner de cette ambiance de l'immuable quartier latin.
À l'heure de repenser d'un point de vue prospectiviste l'Afrique d'après les hégémonies... je songe à ces clercs épris de fraternité universelle, qui n'ont pas hésité à interpréter le monde à travers un idéal de justice, de dignité, de liberté retrouvées.
Honneur à Alioune Diop auquel Frédéric Grah Mel consacre une très instructive biographie aux Presses Universitaires de Côte d'Ivoire (PUCI) : "Alioune Diop le bâtisseur inconnu du monde noir ".