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5 mai 2025
Opinions
par Benoit NGOM
MACKY SALL ET « L’APPEL DE DAKAR » : MOBILISATION CONTRE LE COVID-19
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Sénégal a une bonne occasion de contribuer à l’instauration d’un nouvel ordre mondial si les Africains au sortir de cette sombre période, décident de prendre leur destin en main en comptant d'abord sur eux-mêmes
En pleine crise sanitaire, alors que l'ombre menaçante du COVID19 s’étendait au-dessus des continents et que le Sénégal comptait sa première victime en la personne de l'illustre Pape Diouf, la presse nationale créait l’événement en publiant, fait relativement rare en Afrique, une tribune du chef de l’Etat sous le titre « L’Afrique et le monde face au covid-19 : point de vue d’un Africain - Par Macky Sall, Président de la République du Sénégal »
Cet appel est en parfaite adéquation avec une initiative que nous avions en partage avec quelques juristes africains visant à lancer un appel à l’endroit des dirigeants de notre continent pour une meilleure capitalisation des expertises africaines dans la Phase post pandémie COVID19. A cet égard, nous pensions que pour beaucoup de raisons, le président du Sénégal pouvait être porteur de cet appel à l’action auprès de ses pairs africains pour lui conférer la portée politique souhaitée.
Cependant, après avoir lu cette contribution fondamentale du chef de l'Etat, nous nous sommes dit que ce qui nous restait à faire était de participer au mieux à la réalisation des idées contenues dans ce texte.
Sous ce rapport, il nous semble que c’est une occasion rare qui est offerte à l’intelligentsia du Sénégal afin que chacun selon sa spécialité, enrichisse cette réflexion du président de la République en indiquant les initiatives qui pourraient être prises pour aider au développement harmonieux du Sénégal après le COVID19. Ce que notre organisation ne manquera pas de faire.
Dialoguer avec un président qui exprime son désir d’agir et qui s’en est donné les moyens nous parait à la fois souhaitable et opportun.
En effet, jamais avant lui, depuis l'indépendance du Sénégal, le président de la République n'aura confondu, en même temps dans ses mains, l’ensemble des pouvoirs constitutifs de l’Etat, la liberté d’évaluer seul les moyens dont il a besoin et le mandat souverain d’agir selon son bon vouloir.
Ainsi, après avoir obtenu le vote de la loi d’habilitation pour décréter l’Etat d’urgence, il a mis en place un Programme de Résilience Économique et Sociale (PRES), d’un coût global de 1.000 milliards de FCFA, soit environ 2 milliards de dollars US, en vue de lutter contre la pandémie et soutenir les ménages, les entreprises et la diaspora …et a créé un Fonds de Riposte contre les Effets du COVID-19, FORCE-COVID-19, financé par l’État et des donations volontaires, pour couvrir les dépenses liées à la mise en œuvre du PRES.
Dans cet esprit, nous semble-t-il, le chef de l'Etat dispose d'une "fenêtre de tir" pour mener sans difficulté, l'ensemble de la nation vers les cimes de l'émergence en préparant la gestion économique et sociale de l'après COVID19. Cette opportunité d’action pourrait permettre au chef de l’Etat d’accentuer les programmes de transformation culturelle, économique et sociale nécessaire à une certaine refondation du Sénégal qui s’appuierait sur une nouvelle forme de gouvernance et le développement de nouvelles solidarités.
C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que chaque peuple se trouve enfermé dans les frontières de son territoire national sans possibilité légale d’en sortir ou presque. Pour la première fois dans l'histoire de notre pays, nous sommes face à nous-mêmes sans la présence des autres pour orienter nos actions.
C’est donc en ayant foi en nous-mêmes que nous allons montrer à la face du monde que, comme le dit le président, « L’Afrique, berceau de l’humanité et terre de vieille civilisation, n’est pas un no man’s land. Elle ne saurait, non plus, s’offrir comme terre de cobayes. Exit également les scénarios catastrophistes qui s’évertuent à dessiner un futur d’apocalypse pour le continent». L’intervention exceptionnelle du Groupe des Ambassadeurs africains basés en Chine le 10 Avril dernier pour dénoncer les traitements discriminatoires que subissent les africains dans ce pays présage peut-être d’une volonté du continent de ne plus se faire marcher sur les pieds en silence.
C’est aussi la première fois que beaucoup d'hommes et de femmes comme moi ont pu évaluer l’étendue de notre expertise nationale dans les domaines les plus pointus de la médecine. L’apparition, à travers les médias, de ces experts sénégalais dont les noms n'étaient connus que de quelques initiés a aiguillonné une vaillante jeunesse scientifique pressée et fière de montrer ses capacités à travers ses inventions.
C'est le moment de prôner sans ambages la rupture par rapport à certains travers du passé. C’est le moment de croire d'avantage en nous-mêmes, de penser de plus en plus par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
Le président est à l'abri de toute pression venant d’un camp de l'espace politique des lors que les leaders de l'opposition à l'unanimité ou presque ont accepté son programme, et qu’il bénéficie de la bénédiction de tous les chefs religieux, alors que la population dans son ensemble est à son écoute. Ainsi est-il libre de n'écouter que la voix de la raison pour insuffler à son peuple plus de patriotisme.
C’est donc le moment pour les intellectuels du Sénégal de se regrouper en fonction de leur spécialité pour proposer des initiatives concrètes qui vont dans le sens de la réalisation du « Programme de Résilience Economique et Sociale » adopté par l’ensemble du corps social. Ces initiatives, toutefois, doivent se dérouler sous le sceau de la rigueur et à l’abri de tout opportunisme inapproprié, et de tout sectarisme de mauvais aloi.
En ce sens, certains départements ministériels doivent s’ouvrir davantage aux Think-Tank de la société civile dont les études et les recherches devraient d’abord servir au pays. Une telle coopération, par exemple, aurait pu permettre, à n’en point douter, de mieux assurer la restitution au niveau des sphères intellectuelles et universitaires des résultats des nombreuses et prestigieuses initiatives de la diplomatie sénégalaise.
Le président de la République pourra ainsi veiller à une mobilisation coordonnée de l’élite sénégalaise et, à cet effet, sous sa haute autorité, mettre en place une structure dédiée.
Le président Macky Sall a, une bonne occasion de consolider le leadership diplomatique du Sénégal et de contribuer à l’instauration d’un nouvel ordre mondial si les africains au sortir de cette sombre période montrent leur ferme volonté d'agir ensemble et qu’ils décident de prendre leur destin en main en comptant d'abord sur eux-mêmes. En clair, les leaders africains doivent accepter de développer des actions solidaires et concertées.
C’est dans cette perspective, me semble-t-il, que le 2 décembre 2019 à Dakar fut porté par la voix du chef de l’Etat du Sénégal à la connaissance de la communauté internationale, le texte dénommé « Consensus de Dakar » dont l’idée est : « de faire en sorte que la conférence de Dakar contribue à faire converger une position de principe qui soit consensuelle sur un impératif délicat à savoir comment trouver le juste équilibre entre le développement durable et la dette soutenable ». En clair, il s’agirait d’une relecture africaine du « Consensus de Washington ».
Sous ce rapport, il n'y a pas de doute que la communauté internationale se faisant l’écho de l’invite œcuménique du Pape François, entendra positivement « l'Appel de Dakar » en réservant un accueil favorable à la proposition d'annulation de la dette présentée au nom de l'Afrique par le président Macky Sall.
Pr Benoit Ngom est Président Fondateur de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA) et de l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice et les Droits Fondamentaux en Afrique (IHEJDA)
par Amadou NDIAYE
LE TOUR DE L’AFRIQUE EST À CONSTRUIRE PAS À DÉCRÉTER
De quelles ressources et compétences disposons-nous, nous africains, pour faire une prospective scientifique dans des secteurs (éducation, santé, eau, pétrole, etc.) essentiels ?
La pandémie du COVID 19 est-elle une occasion devant permettre l’arrivée rapide du tour de l’Afrique dans la géopolitique mondiale ? Beaucoup de réflexions vont dans le sens d’une réponse affirmative à cette question. Elles admettent que les rapports dans le monde vont changer en faveur de l’Afrique. Les africains peuvent sourire largement, les visionnaires sont formels : « Après l’échec du communisme, le capitalisme occidental va vers l’effondrement. C’est le tour de l’Afrique qui devra profiter du dividende démographique. Le COVID 19 servira d’accélérateur ». Au-delà de ces réflexions et positions optimistes, que pouvons- nous retenir des faits ?
Un fait saillant qui a fait couler beaucoup d’encre est constitué des réactions suite à un échange entre deux médecins chercheurs. Il s’agissait d’une réflexion à haute voix faite par Jean-Paul Mira et Camille Locht dans une émission télévisée. Le premier pose une question scientifique : "Est-ce qu'on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n'y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation ?" Il oriente la réponse en faisant appel à une expérience plus ou moins lointaine: " Un peu comme c'est fait d'ailleurs pour certaines études sur le sida. Chez les prostituées, on essaye des choses parce qu'on sait qu'elles sont hautement exposées et qu'elles ne se protègent pas." Le second, dans le sens du premier, dévoile une réflexion scientifique en cours : " Vous avez raison, on est d'ailleurs en train de réfléchir à une étude en parallèle en Afrique". Il faut noter le mot « en parallèle ».
Bien sûr les réactions des africains (stars, intellectuels, ministres, société civile, etc.) ne se sont pas fait attendre pour rappeler que nous ne sommes pas des cobayes et que nous sommes contre le néocolonialisme (conscient et inconscient). Ces analyses ont rappelé toute la dignité de l’Afrique et des africains. Il nous faut reconnaitre que l’ensemble de ces réactions relèvent, pour le mieux, de l’idéologie alors que nos deux médecins s’exprimaient dans le domaine scientifique. En effet, ces propos ont été tenu dans un contexte où « des chercheurs de plusieurs pays ont lancé, ou s’apprêtent à le faire, des essais cliniques de grande ampleur afin de déterminer si la vaccination par le BCG (appellation courante du vaccin bilié de Calmette et Guérin) offrirait une protection – au moins partielle – contre le Covid-19. » et déjà « Les essais ont déjà commencé à grande échelle en Australie (4 000 participants) et aux Pays-Bas (1 000 participants). L’Espagne va s’y joindre, de même que la France, où l’essai est en cours de planification par l’équipe de Camille Locht, directeur de recherche à l’Institut Pasteur de Lille. Les premiers résultats de l’essai français pourraient être disponibles d’ici trois à quatre mois », selon le Monde. Une question : Pourquoi les réactions n’expriment-elle pas la manière dont l’Afrique devrait participer à l’effort de guerre que l’humanité a engagé dans la lutte contre le COVID-19, d’autant qu’elle demande de l’aide internationale et réclame l’annulation de la dette ?
Heureusement que le professeur Iyane Sow a réagi. Pour lui, il n’y a rien de nouveau concernant le BCG. Mieux, les tests médicaux sont bien encadrés d’abord par les médecins eux-mêmes, ensuite par le comité d’éthique et enfin par le volontariat et ceci partout dans le monde. Cette réaction donne un autre son cloche. Elle ne défend pas l’Afrique, ne crie pas au néocolonialisme et n’attaque personne. Elle n’est pas d’ordre épidermique, philosophique ou idéologique. Le Pr Sow intervient scientifiquement ; sa réaction respecte le parallélisme de forme. Ce sont ces types de réponses qu’on attend des africains quand un problème sérieux est posé. Quel doit être la contribution de l’Afrique dans la lutte contre le COVID-19 ? Idéologique ou scientifique ?
Un autre fait qui met en opposition la démarche scientifique des occidentaux et notre démarche idéologique, est la production d’une note diplomatique française « L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique ? » dont le résumé est le suivant : « la crise du Covid 19 peut être révélateur des limites des capacités des états, incapables de protéger leurs populations. En Afrique, notamment, ce pourrait être « une crise de trop » qui déstabilise durablement, voire qui mette en bas des régimes fragiles (sahel) ou en bout de course (Afrique centrale). Vu d’Afrique, le Covid 19 se présente sous la forme d’un chronogramme politique, qui va amplifier des facteurs de crise des sociétés et des Etats. Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques ». Devant cette production fondée sur les sciences sociales et géopolitiques, nous avons répondu avec pertinence, par l’idéologie, la philosophie ou le complexe ; en disant stop à la recolonisation et à la condescendance. Nos gouvernements ont-ils mis en place des structures en charge de la production scientifique et stratégique sur ces questions ? Si oui, celles-ci ont-elles produit des notes scientifiques pour une bonne identification et une meilleure gestion d’une éventuelle crise sociopolitique ?
Quand on était au stade d’épidémie à Wuhan, nous avions dit que c’est parce que la Chine a massacré des musulmans. Quand l’hypothèse d’un virus d’origine animale est émise, nous enchainons qu’il faut respecter les interdits du Seigneur (nous ne sommes pas des mangeurs de pangolin, serpent et autres chauve-souris). Quand la maladie s’est répandue en occident, nous crions notre aversion aux savoir et savoir-faire scientifique (Dieu va leur montrer que leurs technologies ne servent à rien).
Au Sénégal, lorsque le président de la République, en suivant les conseils du comité scientifique, a pris des décisions (interdiction de regroupement, Etat d’urgence, couvre-feu, interdiction de serrer la main, etc.) pour empêcher la circulation communautaire du virus, nous manifestons notre opposition en se fondant sur nos certitudes empiriques (recherche effrénée de laissez-passer, contournement des check point des gendarmes, utilisation des pistes pour voyager) et religieuses (protection divine).
La population est confortée par les tactiques réfléchies de ses leaders. Un leader politico- religieux a refusé de respecter les gestes (lavage des mains au portail et salutations sans serrer la main du président) lors des audiences au palais de la république. Devant la gravité symbolique de ce fait, le président de la République surpris (un coup KO) n’a pu réagir immédiatement. Notre sécurité présentielle non plus. Les services présidentiels n’ont pas produit de notes stratégiques sur ces phénomènes (adoption par les populations des décisions, mystification religieuse, etc.). Toute une stratégie de sensibilisation, de communication et d’éducation pour la santé ruinée par une tactique d’un leader politico-religieux ?
La tactique du président de la république, lui, a mis en place des actes lui permettant de retrouver une légitimité contestée par l’opposition significative des présidentielles de 2019. Elle lui a même permis d’enfourcher le cheval de leadership africain (selon l’expression le journal le Soleil) dans le combat contre le COVID-19, en demandant l’annulation de la dette et en adressant une contribution (« L’Afrique et le monde face au covid-19 : point de vue d’un Africain »). Le chevalier va-t-il capitaliser cet engagement pour briguer une fonction internationale (ONU, OIF, etc.) après la fin de son mandat en 2024 ? Une question aux politistes !
Plus fondamentalement, les Etats occidentaux élaborent des stratégies de gestion de la crise sanitaire et ses conséquences à travers, d’une part, des tests prophylactiques et thérapeutiques et, d’autre part, la production de documents scientifiques et stratégiques. Nos intellectuels répondent que le COVID 19 va changer la géopolitique mondiale et faciliter le tour de l’Afrique alors que nos leaders politiques élaborent des tactiques de positionnement/ repositionnement qui mettent en mal la communication scientifique sur la pandémie.
Contre la science et la stratégie, nous continuons de rêver d’un changement social et d’un bouleversement de l’ordre mondial à travers le militantisme civilo-politique et les savoirs idéologique, empirique et religieuse. Pourtant depuis longtemps, nous profitons d’une part leurs matériels et équipements (voiture, avion, téléphonique, seringue, respirateur, ordinateur, etc.) sans pouvoir nous en approprier industriellement les technologies et, d’autre part, de leurs concepts (développement économique et social, développement humain, développement durable, sécurité alimentaire, santé pour tous, éducation pour tous, etc.) sans pouvoir les opérationnaliser.
Nous avons privilégié les savoirs empirique, idéologique et religieux ainsi que la répétition maligne des concepts forgés dans d’autres contextes. La prospective scientifique est exceptionnelle. Si elles existent, les gouvernants dans le feu de l’action les oublient, pour se référer aux directives des institutions internationales dont le rôle est, en partie, le maintien de l’état de l’oppression.
Fondamentalement, nous avons des difficultés quand il s’agit d’élaborer nos politiques à travers des évidences locales et des démarches scientifiques interdisciplinaires. Par exemple, lors de son discours du 3 avril 2020, prenant en compte la situation alimentaire mondiale dans le cadre du Covid 19, notre président a demandé, à juste titre, la nécessité de la réussite du programme d’autosuffisance en riz (PNAR II : 2014-2018). Allons-nous faire comme on avait fait à la fin du PNAR I (2008- 2012), écrire un autre projet à coup de milliards sans une évaluation objective et indépendance de l’actuel tout en restant dans la même perspective? Allons- nous l’insérer dans une véritable prospective scientifique de l’agriculture sénégalaise ? Ou bien allons-nous organiser une séance de « wakh sa khalaatt : exprime ta pensée » qu’on va dénommer « Assises ou états généraux de l’Agriculture » et qu’on va qualifier d’inclusive ?
De quelles ressources et compétences disposons-nous, nous africains, pour faire une prospective scientifique dans des secteurs (éducation, santé, eau, pétrole, etc.) essentiels ? Est-ce que nos universités et nos structures de recherche ainsi que nos institutions gouvernementales sont organisées pour assurer une veille stratégique ? Savons- nous nous remettre en cause scientifiquement malgré nos diplômes, grades et fonctions ?
Pour finir, le tour de l’Afrique n’est pas à décréter mais à construire à travers la veille stratégique intégrant la production de savoirs scientifiques (physique, biologique, chimique, social, mathématique, etc.) et le développement des technologies (agronomie, médicale, informatique, ingénierie sociale et autres génies). Les autres types savoirs (idéologique, religieux, empirique) et les diverses formes de militantisme civilo- politique peuvent être mis à contribution à des degrés raisonnables.
Amadou Ndiaye est Enseignant- Chercheur, Université Gaston Berger Saint-Louis
par Meïssa Diakhate
A PROPOS D’UN PARLEMENTAIRE, CHEF D’ENTREPRISE
L’élargissement de l’assiette de la déclaration de patrimoine aux parlementaires et plus généralement à tous les détenteurs de mandats politiques, serait une perspective féconde afin d’ennoblir la perception que des citoyens se font de notre Assemblée
A la lecture des relations sur l’affaire du parlementaire, chef d’entreprise, commentée, deux interrogations ont éveillé notre attention.
Comprendre la parole du Législateur organique
A en croire certains propos,« l’article 113 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale interdit de principe tout parlementaire d’exercer « une fonction de chef d’entreprise ». A l’analyse, il convient de noter que la vérité d’une telle affirmation trouverait son siège dans une lecture inaboutie de la disposition pertinente de la loi organique n° 2002-20 du 15 mai 2002 portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale, modifiée (disponible sur le site : www.ceracle.com).
Ce qui est intégralement dit par l’article 113 du Règlement intérieur se lit : « Sont incompatibles avec le mandat de député, les fonctions de chef d'entreprise, de président de conseil d'administration, d'administrateur délégué, de directeur général, directeur adjoint ou gérant, exercées dans :
les sociétés, entreprises ou établissements jouissant, sous forme de garantie d'intérêts, de subvention, ou sous une forme équivalente, d'avantages assurés par l'Etat ou par une collectivité publique, sauf dans le cas où ces avantages découlent de l'application automatique d'une législation générale ou d'une réglementation générale ;
les sociétés ayant exclusivement un objet financier et faisant publiquement appel à l'épargne et au crédit ;
les sociétés et entreprises dont l'activité consiste principalement dans l'exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l'Etat, d'une collectivité ou d'un établissement dont plus de la moitié du capital social est constituée des participations de sociétés ou d'entreprises ayant ces mêmes activités ».
En présence de ces dispositions, il conviendrait, au préalable, de se prononcer sur le statut juridique de l’entreprise privée en cause administrée par un parlementaire. En l’espèce, s’agit-il d’une « entreprise sous forme de garantie d’intérêt, de subvention … ?» ou d’une « société ayant exclusivement un objet financier et faisant publiquement appel à l'épargne et au crédit ? », ou encore d’une « société et entreprise dont l'activité consiste principalement (le terme étant proprement suggestif) dans l'exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l'Etat ? ». Tout bien considéré, l’important tient, pour faire aboutir la réflexion, aux solutions appliquées à ces questions préjudicielles (d’autant plus qu’un humble juriste n’a pas la réponse sérieuse).
Instituer une déontologie parlementaire
Dans de pareille situation, l’enjeu, c’est la protection des parlementaires dont la charge revient à l’institution parlementaire. C’est le sens de l’instauration, en France du déontologue parlementaire dédié dont le rôle orienté vers le conseil plus que le contrôle. Il s’agit de confier à une autorité indépendante les prérogatives de recevoir et d’interpréter les déclarations d’intérêts des élus. Dit en d’autres termes, il est chargé, sur déclarations de situations qui cause potentiellement conflits d’intérêts, de signaler le député concerné et le conseiller en matière de déontologie d’une part, et en cas de manquement d’avertir le Bureau de l’Assemblée, d’autre part.
Au demeurant, l’élargissement de l’assiette de la déclaration de patrimoine, dans le cas d’espèce, aux parlementaires, et plus généralement à tous les détenteurs de mandats politiques, serait une perspective féconde dans la finalité de protéger les parlementaires et d’ennoblir la perception que des citoyens se font de notre représentation nationale, encore insuffisamment connue et approximativement étudiée.
Meïssa Diakhate est Maître de Conférences agrégé, Ancien Assistant parlementaire de la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains de l’Assemblée nationale
ENTRETIEN AVEC L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS BOUBACAR BORIS DIOP
DES PANGOLINS ET DES HOMMES
EXCLUSIF SENEPLUS Le confinement, une solitude que nous ne connaissions pas. Certaines sociétés donnaient la fausse impression d’y être mieux préparées. Cette terre aux rues désertes est en apnée, son cœur a cessé de battre et la mort y rôde nuit et jour
Propos recueillis par S. S. Gueye, A. Sène et B. Badji |
Publication 15/04/2020
Le président Macky Sall a pris une batterie de mesures pour faire face au Covid-19. Est-ce que sa stratégie vous convainc ?
Il faut avant tout saluer le dévouement du personnel soignant, des femmes et des hommes qui abattent un travail colossal au péril de leur vie. C’est à leurs sacrifices que nous devons de pouvoir dormir paisiblement chaque soir. Cela dit, dans ces circonstances exceptionnelles et même si personne ne sait de quoi demain sera fait, le pays tient debout. On le doit en partie au président Macky Sall. Je suis de ceux qui n’avaient pas compris son refus de rapatrier les 13 étudiants de Wuhan mais les faits lui ont donné raison. Il est vrai aussi qu’il a tergiversé au début et que la fermeture tardive des frontières nous a mis finalement au contact de l’épidémie. J’ai entendu le Dr Bousso dire qu’au Sénégal 96% des cas étaient directement ou indirectement importés. Sans ce retard à l’allumage, nous serions dans une bien meilleure situation à l’heure actuelle. J’avouerai par ailleurs une certaine perplexité par rapport aux chiffres que donne chaque matin le ministre Diouf Sarr. Si on compare avec ce qui se passe dans les pays les plus touchés, le nombre de cas reste extrêmement bas. Cela rassure mais d’un autre coté il y en a chaque jour une bonne dizaine de plus. Et quand un jour il n’y a que deux nouveaux cas, le nombre repart à la hausse dès le lendemain. Voilà, en gros chacun joue sa partition, la société civile, les religieux, les artistes, les médias et surtout la population qui se montre bien plus disciplinée que prévu. Le président Sall aurait dû tenir compte de cet élan patriotique au moment de faire procéder à la distribution des vivres aux nécessiteux. Cela dépasse presque l’entendement qu’il l’ait confiée à son beau-frère ! Au final, nous voici avec, sur les bras, une polémique qui va enfler au fil des jours et nous détourner de l’essentiel.
La hiérarchisation des priorités va-t-elle être remise en cause ? Va-t-on enfin comprendre que la santé et l’éducation ne peuvent pas être marginalisées dans les plans de développement comme cela est le cas depuis tant de décennies ?
Certains vont peut-être dire qu’il ne faut pas se défausser sur les autres mais les programmes d’ajustement structurel ont été quasi fatals à la santé et à l’éducation partout où ils ont été appliqués. Cela dit, lorsque Macky Sall engloutit des sommes faramineuses dans un TER qui jusqu’ici n’a roulé que pour lui ou dans d’autres infrastructures routières tape-à-l’œil, c’est son choix ; il semble également obsédé par la construction de stades monumentaux et cela nous coûte horriblement cher. On sait bien que le peuple veut des jeux mais encore faut-il qu’il soit en vie pour assister à des matchs de foot ou de basket. Je ne veux pas non plus être injuste, je sais que Macky Sall a toujours attaché une très grande importance à la Couverture Maladie Universelle. En outre, on ne peut pas juger les performances de notre système de santé à la seule aune de cette pandémie que personne n’a vue venir. Toutefois, à l’échelle d’un pays comme le Sénégal, la priorité aurait dû être accordée depuis longtemps à des investissements sur l’humain, au bien-être des populations et à la formation, celle des jeunes en particulier. Le contraste est par exemple choquant entre la belle réputation de la Fac de médecine de Dakar et l’état de nos structures sanitaires.
Diriez-vous que les chefs d’Etat africains qui se battent avec les faibles moyens de leurs différents pays ont pris la mesure du danger?
Je ne pense pas qu’on puisse leur faire ce reproche. Encore une fois, personne n’a rien vu venir. Il y a eu au cours des deux ou trois dernières décennies le SRAS, la grippe H1N1, la vache folle, etc. À chaque fois, on a craint le pire mais il y a toujours eu plus de peur que de mal. Ebola, qui a été en soi beaucoup plus sérieux et dur que ce que nous vivons en ce moment, a pu malgré tout être jugulé. Donc, lorsque le Covid-19 commence à frapper à Wuhan, tout le monde avait en quelque sorte baissé la garde depuis longtemps. J’espère que pour l’Afrique ce sera un avertissement sans frais, si jamais le virus agresse sérieusement l’Afrique au cours des semaines à venir, ce sera l’enfer sur terre.
Justement, certains prédisent des millions de morts en Afrique…
Ce qui arrive en ce moment à l’humanité est si inexplicable que nous nous surprenons tous à fantasmer sur une hécatombe, voire sur la destruction de notre espèce. Parmi ceux qui annoncent des millions de morts en Afrique, certains sont bien intentionnés, ils nous invitent à la vigilance. C’est le cas, par exemple, de ce groupe d’anciens chefs d’Etats africains mené par le Nigerian Obasanjo ou de la Fondation Moh Ibrahim. Mais beaucoup d’intellectuels et d’hommes politiques occidentaux ont juste du mal à comprendre que dans les circonstances actuelles l’Afrique ne soit pas en train de baigner dans son sang. Cela leur est tout simplement insupportable. Mais ce n’est pas parce que l’Afrique a ‘’l’habitude du malheur’’ – pour reprendre l’expression de Mongo Beti – que l’on doit s’autoriser tous les délires à son sujet. Ceux qui disent cela, Macron, Gutteres, etc. sont sans doute embarrassés par une tiers-mondisation de l’Occident qui n’était pas vraiment au programme. Jusqu’ici, le ramassage journalier des cadavres, les fosses communes et tout le reste, cela se passait à la télé et chez les autres, en Syrie, au Congo ou au Yémen. C’est dur de devoir se taper un tel chaos mais il faut savoir raison garder.
Peut-on se permettre d’être optimiste ?
Non, les choses ne sont pas aussi simples. Tout va très vite, ce nouveau coronavirus est particulièrement vicieux et on ne sait presque rien de lui. Pourtant, si on s’en tient à la situation réelle, je veux dire aux chiffres concernant notre continent, rien ne permet de prédire une catastrophe africaine imminente avec, comme dit Melinda Gates, des millions de cadavres dans les rues. Pourquoi les chiffres restent-ils si bas en Afrique depuis trois mois ? Il se pourrait bien que pour une raison ou une autre ce virus soit moins dangereux chez nous que dans le reste du monde. Et c’est à ce niveau que l’histoire nous interpelle et nous enjoint de nous projeter au-delà du présent. Si, à Dieu ne plaise, un autre virus, tout aussi dévastateur, s’attaquait dans quelques années non plus à l’Italie, à l’Espagne, aux États-Unis ou à la France mais aux pays africains, y survivrons-nous ? Nous devons réfléchir dès aujourd’hui à cette éventualité et nous préparer soigneusement à y faire face. Notre principale arme, à l’échelle du continent et de chaque pays ce sera la souveraineté politique et économique. Au fond, ce que ces prophètes de malheur nous disent, c’est que nous avons toujours été voués à la mort et que le destin ne saurait rater une aussi formidable occasion de nous donner le coup de grâce.
Cette crise ne doit-elle pas sonner le réveil des Africains qui dépendent pour l’essentiel des Chinois et des Occidentaux?
Cette question ne concerne pas uniquement l’Afrique, depuis quelque temps la Chine approvisionne le monde entier et chacun a pu mesurer les dangers d’une telle dépendance. Beaucoup de dirigeants de pays industrialisés ont fait état en termes à peine voilés de leur volonté de sortir de ce schéma dès la fin de la crise. Le Japon a même commencé à offrir ses services. Nous, cela fait longtemps que nous dépendons à la fois de l’Asie – surtout de la Chine - de l’Europe et de l’Amérique. La pandémie pourrait avoir un effet catalyseur sur la ZLECA ou ouvrir de nouvelles perspectives d’intégration économique aux plans régional et continental. Cela relève du bon sens et d’une simple logique de survie. Il est par ailleurs logique de s’attendre à une pénurie alimentaire et nous serons bien obligés de consommer sénégalais. Ce serait bien que cette pratique s’installe sur la durée.
Cette pandémie est un événement exceptionnel. Il ne s’est rien passé de tel depuis 1918, année de la ‘’grippe espagnole’’. Quatre milliards d’êtres humains restent confinés chez eux. Comment analysez-vous cette crise inédite qui affecte le monde entier ?
Avec au moins quarante millions de morts, la ‘’grippe espagnole’’ a été plus meurtrière que la guerre de 14-18. Nous sommes loin de ces chiffres avec le Covid-19 mais ce qui se passe aujourd’hui est encore plus impressionnant. En fait, l’inimaginable, au sens le plus strict du terme, se produit sous nos yeux depuis bientôt trois mois. Le monde en a certes vu d’autres mais chacun de nous peut bien sentir en son for intérieur que jamais rien de tel ne s’est produit dans l’histoire de l’humanité. Je fais allusion ici à l’impossibilité de toute circulation maritime, terrestre ou aérienne, à la fermeture des écoles du monde entier ainsi que des stades, théâtres et autres lieux de loisirs. Si en plus de toutes ces choses déjà difficiles à concevoir, vous avez quatre milliards d’êtres humains en confinement invités à se laver tout le temps les mains et à ne presque jamais se parler, cela fait quand même extrêmement bizarre. Nous ne savons quoi dire en voyant toutes ces villes complétement vides, tous ces orgueilleux gratte-ciels plus conçus pour être admirés que pour être habités et qui nous semblent soudain si insensés ! Je crois sincèrement que nous sommes en train de passer de l’autre côté du réel et il est fascinant que cet atterrissage dans un monde non pas nouveau mais autre, dans une autre temporalité, se fasse sans fracas, à pas de velours en quelque sorte. Le confinement, c’est le temps d’un silence et d’une solitude que nous ne connaissions pas, eux non plus. Certaines sociétés pouvaient donner l’impression d’y être mieux préparées que d’autres mais on voit bien que ce n’est pas le cas, cette terre aux rues désertes est littéralement en apnée, son cœur a cessé de battre et la mort y rôde nuit et jour. La vraie question maintenant est de savoir combien de temps tout cela va durer. Il semble peu probable que l’on sorte de cette histoire avant cinq ou six mois. Tout ce qui nous rendait humains, même à notre insu, nous aura été interdit en 2020 qui sera finalement une année pour rien, une année de moins sur la carte du temps mais que paradoxalement nous n’oublierons pas de sitôt. Après, il va falloir réapprendre des gestes tout simples, se serrer la main ou à l’arrière d’un taxi, bavarder entre amis sans craindre de tomber malade. Il nous sera moins facile demain de nous prétendre les maîtres du temps et de l’espace, je veux dire de croire que nous pouvons aller et venir à notre guise ou faire des projets, même à court terme. Nous ne serons plus jamais sûrs de rien, en fait. Nous devons nous attendre à être aveuglés par la lumière à la sortie de ce long tunnel.
Votre activité principale autour de l’écriture a une dimension solitaire importante. Mais autour de vous, les Sénégalais, les Africains ne vivent que peu dans la solitude. Peut-être plus qu’ailleurs, la vie est essentiellement communautaire chez nous et de nombreux Africains considèrent que le confinement n’est pas une option réaliste pour répondre à la crise sanitaire actuelle. Il y a aussi le poids énorme du secteur informel dans nos systèmes économiques. Existe-t-il d’autres alternatives ?
Le mot confinement ne fait pas peur aux écrivains ou aux créateurs en général, il peut même être bienvenu pour eux, surtout dans une société comme la nôtre que Birago qualifiait de ‘’chronophage’’, du fait, comme vous le soulignez, de sa vie communautaire intense. Mais les fameux ‘’cas communautaires’’ qui terrifient tant les médecins à Louga, Guédiawaye, Touba ou Keur Massar, ça n’a vraiment rien à voir avec la littérature. Ils sont potentiellement ravageurs et vont peut-être nous valoir un confinement généralisé. Reste à savoir si ce sera suffisant pour juguler la menace. Je n’en suis personnellement pas sûr. D’autres alternatives ? Les appels à la vigilance ont un certain effet, surtout que les autorités religieuses font entendre leur voix. Il n’y a pas de solution idéale parce que le confinement n’est compatible nulle part avec la nécessité de trouver de quoi nourrir sa famille. C’est encore plus vrai dans une économie de la débrouille. Pour la majorité de la population ce serait un luxe. Les solidarités horizontales vont jouer à fond mais cela ne suffira pas. On peut redouter des pénuries, des émeutes de la faim plus ou moins graves et là il sera plus difficile de garder la situation sous contrôle.
D’un côté la pandémie est globale, elle touche toute la planète mais dans le même temps, elle est micro-individuelle autant dans son impact que dans ses solutions. Quel paradoxe ! N’est-ce pas ?
Mon intime conviction c’est que cette pandémie va être le chant du cygne d’une certaine idée de la mondialisation. Je veux parler de cette image d’Epinal de la ‘’globalisation heureuse’’, presque amusante mais surtout difficile à comprendre au moment même où l’antikémitisme n’a jamais été aussi universel. Voyez les Chinois de Guanzou, ils n’ont pas attendu longtemps pour se remettre à casser du Nègre, c’est pareil dans les pays arabes, ça se passe ainsi presque partout. Mais – là est le paradoxe – cette pandémie est sans doute aussi l’événement le plus mondialisé de tous les temps. Jusqu’ici il y avait tout de même une nette ligne de partage entre le proche et le lointain, il nous arrivait certes de vibrer au rythme de nouvelles venues d’ailleurs mais au fond elles ne nous concernaient que très peu, chacun retournant vite à ses petites affaires, bien différentes. Cette fois-ci Sydney, New York, Kuala Lumpur ou tel village derrière Louga ou Bignona ont finalement les mêmes sujets de conversation, masque ou pas masque, chloroquine ou pas, gestes barrières, confinement, solution hydro alcoolique etc. À vrai dire, il suffirait presque de tendre l’oreille pour entendre le concert des milliards de mains que l’on frotte l’une contre l’autre. Ce n’est pas tout. Depuis deux mois, chacun de nous pense plus souvent que d’habitude à sa propre mort ou à celle des siens, on écrit aux amis à travers le monde pour leur demander de leurs nouvelles mais ils savent bien ce que nous attendons d’eux : un petit signe de vie, comme on dit pour les otages. S’il est enfin un domaine de l’activité humaine qui ne sera plus le même après la pandémie, c’est celui de la création littéraire et artistique, la tragédie va à coup sûr inspirer musiciens, romanciers, poètes et peintres et cela a d’ailleurs déjà commencé.
Pourquoi dites-vous que cette pandémie annonce la fin de la mondialisation ?
D’abord, on peut s’attendre à ce que la circulation des êtres humains d’un continent à un autre se restreigne dramatiquement. Les États vont laisser leurs frontières s’entrebâiller, sans plus, et de toute façon, au moins pendant quelque temps, chacun se sentira mieux dans son pays avec très peu d’envie d’y tolérer des étrangers. Nous sommes désormais plus proches de la haine décomplexée de l’Autre que de ce gentil œcuménisme dont rêvent certains. Même avant cette pandémie, le repli identitaire était devenu une lourde tendance politique en Europe et en Amérique, où les populistes fascisants et les suprémacistes blancs se sentaient littéralement pousser des ailes. Et aujourd’hui les grandes puissances sont moins préoccupées par la maladie elle-même que par les bouleversements sociaux qui vont en résulter. Ce virus a un immense potentiel révolutionnaire, il va s’en aller et nous léguer un monde exsangue où la culture et les relations à l’intérieur des sociétés et entre les nations n’auront plus du tout le même sens. Aux États-Unis, les gens achètent en ce moment des armes à tout va parce qu’ils redoutent une montée en flèche de la violence criminelle et il y a lieu de croire que ce sera pire dans les pays pauvres. Vous avez également vu comment l’Italie, abandonnée à son sort a été obligée de recourir, toute honte bue, à l’aide de Cuba, de la Russie et de la Somalie qui y a dépêché 20 médecins. En outre, l’épisode des vols et des confiscations de masques, notamment par les USA, peut faire sourire mais on n’est déjà pas loin de la loi de la jungle. Chacun affûte ses armes et Trump semble d’ailleurs avoir envie d’une bonne petite guerre du côté du Venezuela…
Quid du nouvel ordre mondial ?
Qui en parle ? Macron et son obligé, Macky Sall. Il s’agit surtout de battre le rappel des troupes, on est ici dans quelque chose du genre : ‘’Marquons notre territoire, ces salauds de Chinois veulent nous chiper l’Afrique !’’ Sauf que l’Afrique ne devrait pas être le continent à chiper par qui que ce soit. Ces trois mots, nouvel ordre mondial, ont l’air anodin mais l’Occident nous a habitués à ces euphémismes destinés à justifier les plus cruelles logiques de conquête. Cela vous fait somnoler et vous vous retrouvez les fers aux pieds avant même de comprendre ce qui vous arrive. Ça, c’est une leçon de l’histoire humaine, c’est en particulier une leçon de notre rapport, nous les Africains, aux autres…
Pensez-vous que le modèle fédéraliste prôné par votre mentor Cheikh Anta Diop aurait facilité la lutte aux différents pays africains face à cette pandémie?
Très certainement et je lis ces jours-ci pas mal de textes sur la pandémie mentionnant le travail de Cheikh Anta Diop, j’entends souvent des analystes se référer à lui sur les plateaux télé. L’idéal panafricaniste devient assurément plus séduisant. Cela n’a rien d’étonnant, on mesure mieux, à chaque tournant de notre histoire, l’actualité de la pensée politique de Diop. Il écrit dès 1960 dans Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire : ‘’Il faut faire définitivement basculer l’Afrique sur la pente de son destin fédéral.’’ Il identifiait aussi notre peur viscérale de devoir compter sur nos propres forces, instruisant surtout par ce biais le procès des élites africaines. Cette frilosité, on la constate aujourd’hui encore en maintes circonstances. Le CFA ? ‘’Ce n’est certes pas l’idéal, vous dira-t-on, mais c’est peut-être un moindre mal’’. Les langues nationales ? Les mêmes intellectuels vous rétorqueront que ‘’oui, bien sûr c’est une question importante mais attention, le français est devenu une langue africaine, ce ne sera pas facile de s’en passer’’.
Cheikh Anta Diop appelait cette attitude la peur du ‘’sevrage économique’’. Malgré tous ces comportements qui trahissent surtout une profonde haine de soi, la situation actuelle montre que nous n’aurons bientôt plus d’autre choix que de nous unir, sauf à accepter de disparaitre purement et simplement. Ou, ce qui ne vaut guère mieux, de rester un gigantesque réservoir de matières premières au profit de pays étrangers, qu’il s’agisse de la Chine ou de ses rivaux. Dans la sauvage guerre économique qui s’annonce, l’Afrique se doit de faire bloc, elle ne doit être le membre inférieur d’aucun des blocs en gestation. Pendant la Guerre froide, nos différents pays se sont éparpillés dans les deux camps et ont affaibli le continent, contre le vœu de Nkrumah et de Cheikh Anta Diop. C’est une autre leçon de l’histoire à retenir.
Comment analysez-vous l’Initiative pour l’Afrique annoncée par Macron ?
Cela ressemble à une mauvaise blague. Le mot ‘’initiative’’ est du reste mal choisi, pour dire le moins. Ainsi donc, ce sont les Européens qui doivent prendre, du haut de leurs préjugés et stéréotypes racistes, l’initiative de notre salut ? On a également annoncé, comme il fallait s’y attendre, une enveloppe de l’Union européenne de quelques milliards. Mais ceux qui prétendent se porter au secours de l’Afrique n’ont pas bougé le plus petit doigt pour aider leurs proches voisins italiens ou espagnols. Le plus curieux, c’est que ces gens gardent assez de présence d’esprit au milieu de la tempête – une tempête de sang, tout de même - pour s’émouvoir du sort de l’Afrique qui, dans ce cas particulier, est bien mieux lotie que leurs pays. La compassion de ces potentiels bailleurs est plus que suspecte. Macron et les Européens pour le compte de qui il ‘’gère’’ notre continent, se gardent du reste bien de rappeler que la dette africaine à annuler appartient pour 40% à la Chine ! Leur attitude est surtout un aveu de taille : on se soucie d’autant plus du sort de l’Afrique que l’on est soi-même dans le désarroi le plus total. Il faut croire que l’Europe perdrait un ‘’pognon de dingue’’ si elle devait se résigner à ne plus nous ‘’aider’’. J’ai été par ailleurs très gêné d’entendre Macky Sall supplier que l’on annule la dette. Le moment était mal choisi, ce n’est pas la chose à dire à des gens plutôt occupés, quoi qu’ils prétendent, à sauver leur peau. Ce n’est pas très digne. Et en plus de cette absence de tact, la démarche de Macky Sall montre bien que pour lui, même après cette pandémie, les relations internationales devront continuer à obéir aux normes totalement injustes en vigueur. Un tel manque de lucidité a de quoi inquiéter et on ne doit pas lui permettre de continuer à brader les ressources de notre pays à des intérêts étrangers.
Vous voulez dire qu’il reste dans la logique de la Françafrique…
Tout à fait. C’est dans ces eaux troubles qu’il a ses repères. Je doute que le président sénégalais puisse concevoir son action politique en dehors de ce cadre.
La Françafrique survivra-t-elle à cette crise ?
Elle va essayer d’enfiler des habits neufs, comme à son habitude. Ça commençait déjà à sentir le roussi pour elle avant la pandémie et à mon avis les choses vont davantage se compliquer, la jeunesse africaine est à cran. La France essaiera malgré tout de s’accrocher car les enjeux économiques et politiques sont devenus encore plus vitaux qu’il y a seulement deux mois. Vous avez vu, Macron n’a pas pu s’empêcher, dans son dernier discours, de parler de l’Afrique. Les Français ont bien décodé son propos et ça leur va tout à fait : l’Afrique viendra à notre secours avec ses inépuisables ressources. Au fond, cela rappelle le discours du 18 juin de De Gaulle : ‘’La France a perdu une bataille mais elle n’a pas perdu la guerre, elle a un immense empire’’… Il faut aussi évoquer dans le même ordre d’idées cette note curieuse du ministère français des Affaires étrangères où les rédacteurs se moquent de nos millions de morts imaginaires (‘’l’effet pangolin’’) en oubliant leurs milliers de morts bien réels, eux. Il est question, dans ce document du Quai d’Orsay, de coopter, en toute démocratie cela va de soi, les futurs dirigeants de certains États africains. La gestion de proximité de nos élites politiques et intellectuelles est une vieille recette de la Françafrique et cela est perceptible dans cette note supposée confidentielle mais que le monde entier a lue avec stupéfaction.
Non, je ne vois pas une remise en cause de la Françafrique. Il faut se souvenir, Emmanuel Macron humilie publiquement à Ouaga le président Kaboré. En une autre occasion, il convoque d’un claquement de doigts cinq chefs d’États francophones à Pau. Puis peu de temps après, il déclare, publiquement là aussi, avoir donné à Paul Biya l’ordre de libérer l’opposant Maurice Kamto. Et vous avez vu la séquence abidjanaise avec Ouattara au sujet du CFA. Si Macron se comporte ainsi au vu et au su de tous, qu’est-ce que cela doit être lorsqu’il est seul avec Macky Sall ou Sassou Nguesso qui lui doivent tout, eux aussi ? Tout cela est assez grossier mais peut-être aussi que c’est rassurant. Bander ainsi des muscles est au fond un aveu de faiblesse et quand le locataire de l’Élysée va jusqu’à se plaindre de ‘’sentiments anti-français’’, c’est qu’il sent le sol se dérober sous ses pas. Mais comme je viens de le dire, il n’a d’autre choix que de s’accrocher. En fait l’influence de la France dans le monde est tributaire de son poids politique en Afrique. Mais au Sénégal, au Mali, au Niger et dans toutes les néo-colonies françaises, les jeunes sont bien décidés à ne plus courber l’échine. Dans une récente chronique Pape Samba Kane disait de cette jeunesse, que rien ne pourra arrêter, qu’elle est complètement déconnectée de la France. Je suis persuadé, moi aussi, que personne ne pourra dompter le peuple transnational et souvent complètement sauvage des réseaux sociaux. J’utilise bien évidemment le mot ‘’sauvage’’ dans un sens positif, pour me féliciter d’une liberté d’expression absolue.
La confiance entre l’État et le citoyen n’est pas particulièrement robuste en Afrique. N’est-ce pas là un problème majeur quand on se retrouve dans une situation comme celle-ci où il est important pour tous de respecter les règles érigées par les gouvernements pour contenir la contagion du virus ?
C’est tout le problème. À l’heure actuelle, les règles sont plutôt respectées au Sénégal mais ce que nous apprennent les ‘’cas communautaires’’, c’est une certaine méfiance envers la parole et les services de l’État. Les citoyens ont appris à faire sans l’État et dans une situation comme celle-ci ils s’en remettent à leur guide religieux pour les prières et au guérisseur pour prévenir ou traiter la maladie. Tout cela bien évidemment en violation de l’état d’urgence. Le phénomène en lui-même peut être vu comme marginal mais ses conséquences, en termes de transmission du virus, peuvent être très graves.
Parmi les changements que cette crise pourrait générer, pourquoi ne pas imaginer notamment l’introduction sans délai des langues nationales dans le système éducatif sénégalais?
Vous pensez bien que pour moi cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais ce défi post-Covid-19 ne concerne pas seulement notre pays et pas seulement non plus la langue. Celle-ci est certes un puissant marqueur d’identité mais d’une manière plus générale, c’est l’estime d’eux-mêmes que les Africains doivent retrouver. Autant nous sommes prompts à monter sur nos grands chevaux pour un regard de travers, autant nous avons tendance, en situation normale, à nous accommoder de comportements qui suscitent le mépris des autres. Comment comprendre par exemple la série de sommets Afrique-Turquie, Afrique-Inde, Afrique-France, etc. ? Tout un continent réuni autour du président d’un seul pays, sur ses terres en plus, pour quémander une aide ruineuse, ce n’est pas beau à voir. La survalorisation de tout ce qui vient d’Asie, d’Europe ou d’Amérique au détriment de nos propres produits rend finalement très coûteux ce complexe d’infériorité. Et que dire des 2.000 milliards dépensés à l’étranger pour s’acheter une longue chevelure blonde ou une couleur de peau bien claire ? C’est un acte d’automutilation qui trahit une profonde haine de soi. Tout porte à croire que dans le monde d’après Covid-19, chaque peuple aura surtout à cœur de retrouver le chemin vers lui-même. C’est pourquoi, pour rester dans l’esprit de la pensée de Cheikh Anta Diop, notre réponse à ce qui arrive en ce moment devra être fondamentalement culturelle. Pour le dire en termes plus clairs, au lendemain de la pandémie, la révolution africaine sera culturelle ou ne sera pas. En vérité, c’est surtout à la tête que nous avons mal.
Votre mot de la fin sur cette crise sanitaire ?
Juste mettre en relation les propos racistes des docteurs Mira et Locht et les attaques haineuses contre les Négro-Africains en Chine. Les premiers voient en nous des rats de laboratoire. Et les autres à Guanzou, nous confondent avec les pangolins, responsables de la pandémie.
Ce racisme n’est pas nouveau mais cette fois-ci il y a eu de fortes réactions, qui sont en train de changer la donne. Je voudrais dire ici à quel point j’en suis heureux. Je crois qu’il est vital de se faire entendre, surtout en ces circonstances dramatiques, nous sommes dans un monde où plus personne ne tend l’autre joue. D’ailleurs, au moment même où les docteurs Mira et Locht nous crachaient à la figure, une petite bande de journalistes menée par une certaine Camille Pittard se payait sur France Inter une franche rigolade au détriment du million de Tutsi massacrés au Rwanda en 1994. C’était leur manière de marquer le vingt-sixième anniversaire du génocide. Cet antikémitisme, feutré ou spectaculaire est, je tiens à le redire à la fin de cet entretien, quasi universel. Tout le monde n’est pas raciste, heureusement, mais pour tous ceux qui le sont, partout, les Nègres d’Afrique sont la première cible. Je trouve étrange que l’on s’obstine à se détourner d’une réalité qui crève les yeux. Les peurs les plus irrationnelles vont être exacerbées par le Covid-19 et accepter d’être les souffre-douleurs de tous les frustrés de la terre, c’est s’exposer à des pogroms. Il est bon de se souvenir que c’est déjà arrivé et que cela peut arriver de nouveau.
LA CHRONIQUE HEBDO D'ELGAS
FERDINAND COLY, AUX CHAMPS D’HONNEUR
EXCLUSIF SENEPLUS - S’il a connu la gloire sur le champ vert, le bonheur terrien dans ses champs, c’est dans le champ judiciaire qu’il s’éprouve désormais, et fait l’expérience des relations troubles avec la terre d’origine - INVENTAIRE DES IDOLES
Ferdinand Coly se bat aujourd’hui devant la justice sénégalaise et se dit victime d’une arnaque avec une grosse somme en jeu. L’ancien international de football, 48 sélections, pilier de la génération 2002, ne compte pas céder, même après 8 ans de procédure. Une question de principe. S’il s’est aujourd’hui lancé dans la création d’un verger qui l’occupe à plein temps, sur les terrains comme en dehors, il tient à une valeur sacrée : l’honneur. Portrait.
21 ans, c’est ce qu’avait Ferdinand Coly. Et déjà du culot. Employé de la mairie de Poitiers le jour, joueur de football semi-professionnel du Stade Poitevin, alors en National, le soir. Un de ces profils que seule la magie de la coupe du France sait mettre à l’honneur et dans la lumière. Comme ce jour, le 4 février 1994 exactement, où il doit affronter Monaco, locomotive de ligue 1 [première division à l’époque] dans la mythique compétition qui rassemble professionnels et amateurs. Deux divisions séparent les deux équipes. Sans doute plus encore, le défenseur, locks déjà au vent, et son client du jour, un certain Sonny Anderson. Le brésilien est alors redoutable, ce qui se fait de meilleur en ligue 1 ; Ferdinand Coly, à l’époque stoppeur avant de s’exiler plus tard sur la droite de la défense, ne se laisse pas impressionner face à la formation dirigée par Jean-Marc Ettori qui reste sur une série d’invincibilité en coupe. Le défenseur de National se souvient de chaque détail. Un fait parmi mille en particulier : un tacle rageur, autoritaire, mais dans les règles, lui donne un ascendant sur son prestigieux adversaire. La suite du match est un cauchemar pour l’attaquant, la prestation du jeune défenseur capte le regard des observateurs. Le Stade Poitevin gagne face à l’ogre monégasque. Tout s’emballe après ce match. Le potentiel de ce jeune garçon saute aux yeux des dirigeants du Rocher. Ils le contactent, lui proposent un contrat. Un bond majeur dans sa carrière se profile. Il signe mais le Stade Poitevin FC bloque la transaction. Après quelques mois d’un conflit sourd, l’agent municipal reste finalement dans la ville. Pour lui, l’honneur est déjà une valeur essentielle. Comme sur les terrains, c’est un dur au mal, qui poursuit ses objectifs avec opiniâtreté et dévotion. L’histoire fera le reste, après ce tacle, qu’il ressuscite des archives avec une certain malice plus de 20 ans après, il connaîtra une carrière exemplaire, plusieurs sélections en équipe nationale, une image de droiture, dont les sénégalais ont été les témoins privilégiés.
Un retour au pays amer
Curieusement, cette endurance, c’est aujourd’hui sur un terrain assez improbable qu’il la mobilise : celui de la justice. Depuis 2012, il se dit victime d’une escroquerie encore en examen par la justice, il se bat, seul au front, pour retrouver son dû. L’affaire est complexe. En 2010, sollicité pour intégrer le staff de l’équipe nationale, il accepte volontiers la mission. Les séjours au Sénégal s’enchainent, plus que de coutume pour le résidant bordelais. Par l’entremise d’un ami, il fait la connaissance de Saliou Samb, industriel de la place, figure de la Petite côte et fils de pêcheur, avec qui les relations sont très rapidement cordiales et presque amicales. Le secteur de la transformation des produits halieutiques est en mort clinique. On soupçonne les chalutiers chinois de piller une bonne partie de ces ressources, importantes au Sénégal. Les usines comme la SOCHECHAL ont fermé. Pourquoi ne pas participer à l’aventure de SANGOMAR FISHING, faire coup double et fructifier ses séjours au Sénégal en participant au réveil de ce secteur ? Ferdinand Coly ne tergiverse pas longtemps. Il s’engage comme caution, hypothèque ses biens, sollicite son entourage et stabilise des partenaires, suédois, italiens, pour l’écoulement des produits. L’affaire paraît bien emmanchée. Avec celui qu’il appelle « Zale », bien introduit dans les sphères économiques et politiques, président du Stade de Mbour, c’est une relation de confiance, qui voit l’ex-international convier son partenaire à Bordeaux. Les choses se gâtent par étapes, d’abord des trous dans les comptes, des conteneurs qui s’évaporent, des faux et usages de faux auprès des partenaires, une perte de 200 millions CFA. Ensuite l’engrenage, la pollution des relations en chaîne nouées autour du projet. C’est l’embrasement jusqu’au point de non-retour.
Quand il découvre l’étendue et la sophistication de l’arnaque, le garant tombe des nues. C’est lui que les services de recouvrement ont en première ligne. Il perd des sommes colossales. A la stupéfaction, s’ajoutent la colère et le sentiment d’être trahi, abandonné. Le combat judiciaire commence. La presse est timide et n’ébruite que des portions de l’histoire. Il faudra une interview chez Babacar Cissé de Record, où à bout, il menace de rendre sa nationalité sénégalaise, pour que les réactions s’emballent. La fédération, la présidence de la République, les soutiens, se déclarent et se multiplient, le suppliant de préserver cette histoire d’attachement à la nation, que tant d’hymnes, scandés devant des millions de spectateurs, ont forgé. D’autres plus critiques fustigent un chantage affectif propre aux binationaux. Il est doublement meurtri. Depuis, c’est dans les couloirs de l’administration, chez les juges d’instruction, les huissiers, qu’il se défend. Le temps judiciaire est long et labyrinthique. Il y découvre des pratiques inconvenantes, mais n’abdique pas. Saliou Samb a bien sûr sa version, toute autre et la justice devra trancher. Selon sa devise « on ne lâche rien », devenue par ailleurs totem et refrain de résistance, le défenseur attend sereinement que la justice de son pays fasse son travail. Il ne « cédera rien », d’autant plus que dans ses rêves les plus fous, rentrer au Sénégal n’était pas une évidence. Un concours heureux de circonstances, une simplicité en écho au mode de vie sans paillettes, des opportunités, l’ont séduit et relié à un pays, auquel le football l’avait indéfectiblement lié malgré un départ précoce du Sénégal.
Bordeaux et Poitiers : début de l’aventure
Tout s’orchestre dans son premier fief, à Bordeaux, où il débarque à 7 ans, accompagné de son frère cadet. Ils viennent de perdre leur père, militaire, et leur maman est au plus mal. Ils sont accueillis par une famille d’accueil, Les Poncet, dans le pays girondin. Il y reçoit une éducation française et « parle encore aujourd’hui à peine le wolof ». Avec la Casamance, le lien n’est pas plus évident avec le Bignona du père Quentin Coly ; il en garde un patronyme, et se souvient d’un voyage simple, en sac à dos, pour renouer avec cette terre des origines lointaines. Chez le père adoptif, Bernard, grand mordu de football, le petit Ferdinand chausse ses premiers crampons vers 9 ans. Sa crinière se dessine l’été de ses 17 ans, dans une maison de campagne, en vacances. Il s’ennuie, et l’esprit rasta sera sa thérapie. Il joue dans un club de la banlieue bordelaise. Les aptitudes sont là, dans ses courses, la hargne, et pointes de vitesse, le charisme déjà présent. Mais le petit Ferdinand ne s’illusionne pas outre mesure. Il est réaliste. « Je ne rêvais pas lâche-t-il, je voulais avoir un métier, subvenir à mes besoins et celui de mes proches. » Tout lâcher pour le foot ? C’est une « folie » pour lui. Il en est conscient très vite, il faut avoir sa bonne étoile, le talent ne suffit pas. Il faut zigzaguer entre les « blessures qui peuvent ruiner une carrière ». Pour « percer », quand on est « noir », il faut mettre les bouchées doubles. La maturité est déjà là. Il continue les études, bac en poche, une pige à la faculté de Talence, et en parallèle, connaît les petites divisions. Il finira par toutes les connaître. A 21 ans, il devient fonctionnaire à la mairie de Poitiers et défenseur du Stade Poitevin. Sans rien attendre de la providence, il est pourtant exaucé. Il a son cachet des matchs avec l’équipe, son salaire de la ville. Il ne se plaint pas. La suite est un roman : il s’engage avec Châteauroux en 96, en division 2 et gagne le championnat. Les radars de l’équipe nationale clignotent et on lui propose d’intégrer la génération-terreau de l’équipe de 2000. Ferdinand Coly ne veut pas brûler les étapes, il décline. Il veut avoir la légitimité. En 1999, il signe à Lens. Les Sang et Or, le stade Félix Bollaert, les supporters de l’ancienne cité minière du Nord de la France, font partie des emblèmes de la ligue 1. Le contingent sénégalais à Lens fait même de la ville une miniature de l’équipe nationale. Ils sont tous là, titulaires et joueurs précieux, de 2002 : Pape Sarr, El Hadj Diouf, Bouba Diop... En 2000, après le traquenard à la Can 2000 au Nigéria, qu’il regarde à la télé, il est appelé par celui qu’il appelle « un grand bonhomme », le sélectionneur des lions de la Téranga, Peter Schnittger. Ferdinand Coly honore sa première sélection à Annaba, contre l’Algérie, et s’en souviendra toujours au cours des 48 sélections qu’il honorera pour toute sa carrière. L’allemand a construit les bases d’une belle équipe, qui a sorti l’équipe nationale de sa petite léthargie des années 90.
Un symbole de 2002
Titulaire dans le couloir droit, Ferdinand Coly incarne alors la rigueur. Elément essentiel de ce « back four » sénégalais, une ligne verte « qui ne perdra aucun match à Dakar », s’amuse-t-il, pas peu fier. Une autre ligne, à droite, sur l’aile, tantôt associé à la fusée Henri Camara, tantôt au multitâche et si serviable Moussa Ndiaye. La génération de 2002 écrit les plus belles pages de l’équipe nationale. Les rastas de Ferdinand sont comme le crâne peroxydé de Diouf, des symboles d’une génération sans complexe, soudée. Le jour du tirage au sort pour les groupes de la coupe du monde 2002, le kiné de l’équipe de France le chambre : « vous allez prendre une raclée ». Il sourit, des idées dans la tête. Avait-il en tête, le duel baptismal avec Sonny Anderson ? N’empêche, la lecture qu’il fait de ce duel est pleine de clairvoyance. Lens, Sedan, Auxerre, les viviers de l’équipe nationale du Sénégal étaient alors des clubs en forme. Le Sénégal ne partait pas de rien. Au stade de Séoul, dans le couloir qui mène à la pelouse, avant même d’entrer sur le terrain ce 31 mai 2002, face à la France, le match a déjà commencé. Les sénégalais rivalisent d’atouts physiques et les regards écrivent en partie ce duel sans partage qui s’annonce et charrie son lot d’histoire. L’exploit est connu, l’épopée sénégalaise, un motif de fierté nationale. Jusqu’à la percée d’Ümit Davala et le but d’Ilhan Mansiz, bourreaux trucs qui crucifient les lions en quart de finale du Mondial, le Sénégal offre une belle aventure. Un regret pour cette génération ? « Le manque de titre », acquiesce-t-il. Pourtant si près face au Cameroun, en février 2002, le destin leur tendait les bras. Ferdinand Coly se souvient de l’ambiance dans l’hôtel de Bamako, leur quartier général, la fraternité, l’honneur la rage, la vie du groupe. « Le diable se trouve dans le détail. La veille de la finale, on ne s’était pas entrainés à tirer les pénaltys. Personne des tireurs habituels ne voulait le tirer. Quand j’avance et que je marque, je fais un signe de croix, je n’y crois pas », témoigne-t-il. Ferdinand Coly prend sa retraite en 2008, au bon moment, déclinant la sélection de Kasperczak, dans cette Can du fiasco.
Champ d’honneur
Aujourd’hui, en pleine bataille judiciaire, Ferdinand Coly a renoué avec un autre champ, celui de huit hectares acquis précocement où il affermit une vie agricole simple, loin des lumières. Il y puise l’énergie pour ce combat qu’il mène, pour l’honneur et pour le symbole, entre autres. « Le travail, la parole donnée, le don de soi », voilà comment il résume sa sainte trinité. Il a sous sa direction, dans ce verger, qui se diversifie et vise l’élevage à court-terme, des jeunes salariés. Sa vie se résume, sur son vélo, sa moto, ou à pied, à cette vie de champ, à une bonhommie dans la rue, pour celui qui a troqué ses rastas pour une crâne à ras, mais qui n’a pas renoncé à l’idéologie de partage rastafari. Sur sa vie au pays, il ne porte aucun jugement moral, mais regrette les opportunités manquées à cause de cette histoire d’arnaque. Quand on lui parle football d’aujourd’hui, il se réjouit de la génération actuelle de l’équipe nationale, qui a poussé un cran plus loin encore le pays. Grâce à eux, selon lui, la participation du Sénégal aux grandes compétitions n’est plus aléatoire, mais régulière. Un acquis majeur.
Tout paraît s’enchainer dans ce parcours qui l’a conduit en Angleterre, ensuite en Italie, à la fin de sa carrière, gouverné par la bonne fortune. A mi-chemin entre le hasard et la bonne étoile qui ne sourit qu’au travail et à l’abnégation. S’il a connu la gloire sur le champ vert, le bonheur simple et terrien dans ses champs aux senteurs d’agrumes, c’est dans le champ judiciaire qu’il s’éprouve désormais, et fait l’expérience des relations troubles avec la terre d’origine. La fragilité des liens que défont et retissent, avec toujours un peu d’amertume, la migration, l’éloignement, l’arrachement à la terre natale. Des relations d’amour contrarié avec le pays, qui s’expriment aujourd’hui dans le champ judiciaire, où sa victoire ne serait pas personnelle, car son honneur, c’est un peu le nôtre. Et il nous appartient de le défendre, dans la mesure de la vérité.
POURQUOI LES DETTES AFRICAINES REVIENNENT TOUJOURS ?
Peut-on décemment se glorifier d'effacer une dette africaine dont les montants n'ont que très peu aidé l'Afrique ? L'économie politique de la compassion internationale ne peut être la voie privilégiée de l'émancipation africaine
Le Point Afrique |
Kako Nubukpo |
Publication 15/04/2020
Les chiffres donnent le tournis : les ministres africains des Finances et l'Union africaine demandent un allègement immédiat de la dette de 44 milliards de dollars et la constitution d'un fonds supplémentaire de 50 milliards de dollars pour faire face au report du paiement des intérêts de la partie non-annulée de la dette africaine. Après le FMI et la Banque mondiale, le G20 et le président français Emmanuel Macron ont annoncé un allègement massif de la dette africaine. Même le pape François a réclamé dimanche dernier lors de sa bénédiction pascale « Urbi et Orbi » l'annulation de la dette africaine. De quoi ce bel unanimisme est-il l'expression ? Pourquoi les dettes africaines reviennent de façon récurrente dans le débat international comme l'illustration de la compassion du reste du monde à l'endroit de l'Afrique ?
Au départ, une vision de la solidarité pour le développement
Le monde de l'après-Seconde Guerre mondiale s'est construit sur l'idée que les pays riches devaient aider les pays pauvres à impulser leur processus de développement, en finançant l'écart entre les besoins d'investissement de ces derniers et leur faible épargne intérieure. Le schéma fut celui du plan Marshall qui a permis à l'Europe de financer sa reconstruction et d'enclencher la période faste dite des Trente Glorieuses, qui prit fin avec la première crise pétrolière de 1973.
Cette vision de l'aide connut d'autant plus de succès qu'elle était d'une simplicité désarmante – l'appui financier dédouanait de l'effort d'appréhension de la complexité des spécificités institutionnelles – et semblait obéir à une logique de gains mutuels dans la mesure où des pays aidés renouant avec la prospérité économique deviennent de facto des partenaires commerciaux florissants : « La marchandise suit l'aide. »
L'Afrique n'échappa pas à cette doctrine portée au pinacle par le FMI et la Banque mondiale et illustrée par une série de plans successifs d'allègements de la dette : le plan Brady, le plan Baker, le plan Kissinger, etc. du nom de secrétaires d'État américains successifs, jusqu'à l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) qui a permis au début des années 2000 d'effacer massivement la dette africaine.
L'implacable réalité pour l'Afrique
La logique derrière l'allègement de la dette est implacable : pour que l'Afrique soit un véritable partenaire commercial, c'est-à-dire pour qu'elle puisse acheter des biens et services en provenance du reste du monde, il faut qu'elle puisse disposer de marges de manœuvre budgétaires et des ressources privées suffisantes, la fameuse capacité d'absorption. Mais pour que sa capacité d'absorption fût préservée, il fallait régulièrement effacer sa dette dont le service (remboursement d'une partie du principal et des intérêts) plombe sa capacité à s'insérer harmonieusement dans le jeu commercial international. Les annonces actuelles d'annulation des dettes africaines n'échappent pas à cette logique, dans un contexte où l'après-crise de Covid-19 s'annonce difficile pour les économies du monde développé et émergent.
Pourquoi la dette persiste-t-elle ?
En revanche, relativement peu de gens se posent la question de savoir pourquoi les dettes africaines reviennent toujours, pourquoi l'Afrique n'arrive pas à se sortir de la spirale infernale du surendettement. Or, c'est dans la réponse apportée à cette question structurelle que réside une véritable émergence du continent africain :
Le premier facteur explicatif de l'endettement africain récurrent est le taux de pression fiscale (rapport entre les recettes fiscales et la richesse créée au cours d'une année) en Afrique subsaharienne qui est structurellement bas, inférieur à 20 % du produit intérieur brut (PIB), alors qu'il se situe au-delà de 40 % dans le monde développé. Or, ce sont les ressources fiscales qui constituent l'essentiel des recettes des États, leur permettant de financer les dépenses publiques. Qui dit donc taux de pression fiscale élevé, dit a priori bonne couverture des dépenses publiques par les recettes éponymes.
Le deuxième facteur explicatif du surendettement est le niveau structurellement élevé des taux d'intérêt réels en Afrique, souvent plus du double du taux de croissance économique ; or, quand vous empruntez à un taux d'intérêt supérieur au taux de croissance économique, il y a peu de chances que vous puissiez rembourser votre emprunt, vu que le rythme de création de richesses (le taux de croissance économique) est plus faible que le coût d'acquisition des moyens de création de richesses (taux d'intérêt). Ce raisonnement est aussi valable sur le plan microéconomique que macroéconomique. Résultat des courses pour les États africains, les flux de déficits s'accumulent et se transforment en stock additionnel de dettes en fin d'année budgétaire.
Le troisième et dernier facteur (le plus structurel) est l'étroitesse de la base productive africaine. L'Afrique ne se décide toujours pas à produire elle-même ce qu'elle consomme. Elle se complaît dans la place qui lui a été assignée dans la division internationale du travail, à savoir exportatrice de matières premières dont les recettes sont volatiles et moins élevées que les prix des biens et services qu'elle importe massivement pour faire face à sa forte demande sociale, conformément à la loi dite de Prebisch-Singer. Le résultat de cette insertion primaire de l'Afrique au sein du commerce international est l'accumulation de déficits dits jumeaux, à savoir le déficit budgétaire et celui du compte courant de la balance des paiements.
Une approche inadaptée parce que d'un autre temps
Au final, l'annonce de l'annulation massive de la dette africaine ressemble à s'y méprendre à la prédominance de recettes anciennes pour faire face au nouveau monde. L'Afrique d'après le Covid-19 ne peut accepter de jouer un jeu dans lequel elle sortira une nouvelle fois perdante, car les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Des dirigeants qui détournent massivement les aides et prêts à eux consentis par la communauté internationale qui, tel le Tartuffe de Molière, détourne pudiquement les yeux de la mauvaise gouvernance chronique des économies africaines. Peut-on décemment se glorifier d'effacer une dette africaine dont les montants n'ont que très peu aidé l'Afrique ? Peut-on applaudir les mauvais élèves au détriment des bons élèves, qui péniblement tentent d'assainir leurs finances publiques année après année, mettent en place le contrôle citoyen de l'action publique et ont à cœur la poursuite de l'intérêt général ? L'allègement de la dette ne doit pas se traduire par une démobilisation générale de l'Afrique qui lutte au quotidien pour sa dignité et sa souveraineté, cette « Afrique d'après » que nous appelons de nos vœux. Il ne doit pas servir à récompenser les « passagers clandestins » de la bonne gouvernance.
L'économie politique de la compassion internationale ne peut être la voie privilégiée de l'émancipation africaine. Méditons ensemble ce proverbe qui dit : « La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. »
par Achille Mbembe
LE JOUR D’APRÈS, LE JOUG DE LA DETTE
Il faut arrêter d'accorder des crédits aux régimes corrompus et anti-démocratiques, et soumettre tout emprunt a un débat exhaustif qui engagerait les sociétés concernées, de la manière la plus transparente possible
Tout le monde est en train de preparer l'apres-Covid-19, lorsque la course vers une nouvelle partition du monde s'accelerera et deviendra plus brutale encore que par le passe.
Comme dans un jeu a somme nulle, le multilatéralisme profondément hypothéqué, chaque nation s'efforçera de prendre sa part, au détriment des autres.
Une fois de plus, l'Afrique ne rentre pas dans cette nouvelle phase les mains vides. Mais elle est sérieusement handicapée par un certain nombre de facteurs.
Le premier est sa fragmentation. Nos Etats, pris un a un, ne pèsent d'aucun poids dans la balance du monde.
Le deuxième, qui donne de nous l'image de condamnes potentiels, est le joug de la dette.
Ce joug est structurel. Sur le plan historique, nous sommes en effet passes tout droit du colonialisme à la dette, et ne sommes pas encore sortis de ce tragique cycle. La libération du joug de la dette tout comme le démantèlement de nos frontières internes et la gestion de notre puissance démographique seront donc les questions-clé de ce siècle.
D'après les estimations faites par maints experts, l'Afrique a besoin d'au moins 100 milliards de dollars pour relancer son économie au lendemain du Covid-19.
La question est de savoir d'ou viendra cet argent ?
De cette somme, 44 milliards sont supposés provenir de la suspension des remboursements aux dettes bilatérales, multilatérales et commerciales. On veut par ailleurs que certaines dettes contractées par les pays les plus pauvres soient purement et simplement effacées, et le reste converti en dettes de long terme et a taux d'intérêts réduits.
Une telle requête est manifestement difficile à honorer en l'absence d'un "grand bargain" (une renégociation intégrale des termes de fonctionnement du système global de la dette). Car c'est d'un "système de la dette" qu'il s'agit, un des piliers fondamentaux du capitalisme financier dans sa forme contemporaine.
Tout le monde le sait désormais, la Chine occupe une place éminente dans ce système.
Il se trouve qu'à l'Etat chinois, à ses banques, à ses sociétés d'Etat et autres compagnies, nous avons emprunté environ 143 milliards de dollars entre 2000 et 2017.
La Chine est devenue notre premier créditeur.
Un pays comme le Cameroun, par exemple, doit environ 5.7 milliards de dollars a la Chine. Prenez un pays comme le Kenya : 33% du service de sa dette extérieure va a la Chine. Ces chiffres s'elevent a 17% pour l'Ethiopie et à 10% pour le Nigeria.
De l'ensemble des dettes que nous (l'Afrique) devions au reste du monde en 2018 par exemple, 32% étaient dus à des prêteurs privés, 35% à des organismes multilatéraux, 20% à la Chine, et le reste (soit 13%) à d'autres Etats.
Le gros de l'argent prêté par la Chine a été affecté à des grands travaux d'infrastructures dont nous avons absolument besoin. De tels travaux, la Chine est souvent le seul créditeur dispose a les financer.
Les termes de la dette a l'egard de la Chine font l'objet de violents débats. On cite à cet égard des taux d'intérêt notamment à l'égard des pays pauvres (4.14%) qui seraient plus élevés que les taux imposés par la BM (2,1%). On cite aussi le bradage des ressources naturelles, voire de centaines de milliers d'hectares de terre, bref un modèle cynique d'échange inégal, qui n'est pas sans rappeler le régime des capitations du XIXe siècle.
La vérité est que la Chine ne servira pas de "distributeur automatique" à l'Afrique. Comme tous les créanciers, elle est sévère quand il s'agit de rembourser. Comme toutes les autres puissances du monde, elle n'efface les dettes (et encore) que pour mieux re-endetter ses débiteurs. Ainsi fonctionne le système de la dette à l'échelle planétaire.
Que faire donc, à l'heure ou la question de la dette africaine se pose une fois de plus, mais dans un contexte géopolitique plus grave qu'il ne l'aura été depuis la fin de la Guerre froide ?
Il faut, dans la continuité des grandes coalitions des années 1980-1990, relancer une mobilisation de portée internationale pour que s'ouvre un "grand bargain" au sujet de la dette africaine dans son ensemble.
Que tous les créanciers s'asseyent autour d'une grande table, ouvrent leurs comptes, et négocient.
Négocier quoi ?
Un - l'abolition pure et simple de certaines dettes. Lesquelle s? Il faut les définir ensemble.
Deux - la suspension du paiement de certaines autres dans le cadre exceptionnel du Covid-19, le temps de relancer l'économie dans un contexte mondial de contraction.
Trois - l'effacement des intérêts au titre de certaines dettes. Dans maints cas, les intérêts au titre de certaines dettes sont aujourd'hui plus élevés que l'emprunt originaire. De telles dettes ont au fond d'ores et deja été payees, et paradoxalement elles ne pourront jamais être totalement remboursées puisque les intérêts ont pris la place de la dette originaire.
Quatre - la penalisation maximum des transferts illicites et autres formes d'évasion fiscale lesquels coutent plus de 50 milliards de dollars au continent chaque année.
Dernier point - il faut arrêter d'accorder des credits aux régimes corrompus et anti-démocratiques, et soumettre tout emprunt à un débat exhaustif qui engagerait les sociétés concernées, de la manière la plus transparente possible.
Beaucoup trop de dettes auront été contractees sans le consentement des sociétés concernées, dans l'opacité la plus totale, et une part importante des credits auront été voles par les élites en place.
Le transfert, aux générations a venir, de dettes non seulement colossales, mais pratiquement irremboursables - et donc toxiques - est un crime et devrait désormais être traite comme tel en Afrique.
Texte recueilli de la page Facebook de l'auteur.
Par Dr Ndéyé Astou NDIAYE
DU VIRUS «CHINOIS» A L’INFINIMENT PETIT «MONDIAL», QUELLE REACTION DE L’AFRIQUE ?
De décembre 2019 à février 2020, le monde avait cru que le Covid19 était l’affaire des Chinois ou à grande échelle, celle des asiatiques.
De décembre 2019 à février 2020, le monde avait cru que le Covid19 était l’affaire des Chinois ou à grande échelle, celle des asiatiques. Le reste des humains continuaient à vivre sans trop se préoccuper de la situation et des conséquences de la mondialisation actuelle.
Les Américains à travers, leur Président se croyaient au-dessus de tout et de toutes sortes de calamités. Ils n’ont pas vu les choses venir : complot ou virus « échappé », il est clair que l’humanité est au cœur de ce Mal. Une évidence.
En effet, avec les nouvelles technologies et par ricochet, toutes les créations qui s’ensuivent, l’humain s’est vu comme être suprême ne défendant que ses intérêts imminents, occultant ceux des autres créatures vivantes à savoir la nature, les forêts, les animaux ou même sa propre progéniture. Depuis la fin de la guerre froide, le monde est traversé par un leadership américain assumé avec une prépotence militaire et idéologique en passant aux multiculturalismes limités, aux replis identitaires et à un terrorisme international qui place encore l’homme au centre de la planète.
Néanmoins, la pandémie du Covid19 dénote une fois de plus, une certaine faiblesse si ce n’est une crise de l’« homme ». En quelques semaines de confinement, l’environnement reprend ses couleurs initiales de Pékin à Venise en passant par les plages indonésiennes ou les cieux de nombreuses villes du monde redevenus, bleus. Qu’en sera-t-il de ces relations internationales d’après Covid19 qui tournent autour de la suprématie d’une « démocratie libérale » telle que conçue et vécue à travers l’histoire de certaines nations (l’Occident).
Toutes celles qui ne font pas partie de cette logique sont prises pour des « Êtres » anhistoriques, incultes et exploitables jusqu’aux dernières ressources. Voilà la logique « illogique » du monde. Lorsque les États-Unis et la Chine produisent des gaz à effet de serre, ils en ont le droit.
Parallèlement, quand l’Afrique refait sa jeunesse et que sa population accroît à un rythme et pourtant, non exponentiel, elle est au centre des débats et de certaines pseudos inquiétudes : la multiplication de la race humaine poserait problème et deviendrait saumâtre, non pas pour les Occidentaux mais « soi-disant » pour l’Afrique. Sauf que pour la vieille et si juvénile Afrique et pour tout autre endroit de la terre, seul un capital humain pourrait la faire gagner, ce qu’Emmanuel Macron, repris par des chefs d’États africains, a appelé « une guerre ».
Scientifiquement, se priver de la ressource humaine relèverait d’un astigmatisme mondial, puisque comme le font remarquer les travaux Simon Julian de Princeton la croissance d’une population ne peut constituer un frein à un quelconque développement. Assurément, après les traites humaines, la colonisation, le néo-impérialisme, les préoccupations ethnico-identitaires et le terrorisme international, l’Afrique a touché le fond avant que ce virus-monde ne survienne. Deux options s’offrent dès lors, à elle. - La première consiste à s’armer du proverbe français « à quelque chose malheur est bon » afin de se relever une bonne foi et être aussi bien sujet qu’actrice dans les débats pour un nouvel ordre mondial puisqu’ après cette crise, le monde s’essaiera inéluctablement à une nouvelle recomposition des puissances : les États-Unis et l’Europe perdront de leur hégémonie au moment où la Chine et certains États asiatiques devraient servir de modèles de discipline, d’industries, de production, entre autres. –
La seconde autorise à rester statique, attendre la fin de cette crise sanitaire, avoir un peu plus ou un peu moins de morts que ceux causés par les guerres civiles, les attaques terroristes ou encore le paludisme depuis années, tentant de suivre comme à l’accoutumée, la cadence libérale tout en occupant de facto, la place du « non-partant ». Dans la première option qui est une prière, l’Afrique discutera de son sort et de celui du reste du monde, d’abord en « intra » ensuite en « extra ».
A travers les organisations sous-régionales, régionales, civiles, le continent prendra acte de la chance que lui offrent l’année 2020 et le Covid 19 pour discuter et enfin construire un système humaniste, politique, économique, financier, social et environnemental viable, assumé et sérieux en rapport à la Communauté internationale. Dans ce cas, les prédictions des Nations-Unies à travers son Secrétaire général António Guterres ne seraient tout simplement que leurres et fourberie ou encore un souhait non exaucé, si le Covid19 est pris dans sa dimension « divine ».
Dans la deuxième option, le monde suivra son cours « normal » avec une Afrique surexploitée, « in-humanisée », dépendante de la prétendue aide de « Tous » et apparaissant encore et toujours comme la partie « maudite » du cosmos, à la fois par les divinités et par l’ordre mondial, sans grande riposte : celle qui est absente au Conseil de sécurité de l’ONU, celle dont ses États n’arriveront jamais à maturité, celle dont la jeunesse est à la fois un handicap et un frein à son développement, celle dont les populations bien qu’assises sur des trésors humains, naturels et miniers se nourrissent de sang, de pleurs et de désespoir, celle dont ses gouvernants n’ont d’yeux que pour les avantages à avoir le titre de « Chef » : Chef pour diriger, incarner le pouvoir, en user et en abuser, Chef pour sacrifier les populations, détourner des milliards, Chef pour construire quelques bâtisses pour ne pas se faire oublier, Chef pour être au service de certaines puissances...
Cette deuxième option est malheureusement, la plus plausible. L’Afrique vit, commerce et éduque en français, en anglais, en espagnol, en portugais, en grec, en chinois et en arabe et non en africains : swahili, haoussa, peul, mandingue, lingala… Renverser la donne ou construire un nouvel ordre mondial demanderait une véritable révolution avec des nations averties et des dirigeants conscients et dotés d’un grand cran.
L’Afrique est-elle prête à relever ce défi ? Nous en doutons mais l’espoir est permis.
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une dimension dépassant l’ordre de la dichotomie entre le savant et le politique. Il est question d’un troisième larron, sous-estimé par certains et non pris en compte par d’autres sur la base de la rationalité, de la suprématie de l’homme sur « Tout » ou simplement de l’oubli : le divin. En restant dans la science, il peut s’agir de la théologie, la science de Dieu et de ses prédicats ou encore la chaine métaphysique des polythéistes hindous.
En réalité, nous nous permettons de nous défaire de la rationalité dans son paroxysme et de cette neutralité ou objectivité axiologique presque inexistante du savant. Loin de nous l’idée de faire de la prédiction à la « Guterres ». L’Afrique ne sortira certainement pas indemne de cette crise mais elle connaitra de nouveaux beaux jours avec sa jeunesse, avec ses ressources qui sont des dons divins qu’aucun scientifique n’expliquera et qu’aucun politique ne puisera jusqu’à tarissement.
Finalement, l’issu qui s’offre à nous reste unique : celle de la prise des responsabilités politique, scientifique, civile, civilisationnelle et religieuse à travers trois piliers : l’éducation alliée à la recherche, la santé et l’agriculture dans sa dimension macro. Cette démarcation se fera d’abord avec le savant au service du politique incluant une reconnaissance et une prise en compte des réflexions et études méthodologiquement prouvées et traduite en actions publiques. Il sera ensuite question de la part du politique, d’éviter de se servir de la science mais plutôt de la mettre au profit de la planète et de tous les êtres vivants par le biais de la représentation avec l’État tel définit par Weber « … une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné. »
En définitive, la seule leçon que l’Afrique devrait tirer de cet infiniment petit « mondial », c’est en réalité un proverbe bien chinois « l’eau qui vient de loin ne peut pas arrêter le feu qui est tout près. » Une concertation et des décisions continentales au sein d’institutions régionales dignes de ce nom s’imposent puisque les types de partenariats peuvent toujours évoluer cependant, il est impossible de se défaire de ses voisins.
Ndéyé Astou NDIAYE
Docteure en Science politique
Enseignante-chercheure à la FSJP de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Par Youssouph BA
POUR UNE NOUVELLE PRISE DE CONSCIENCE DE L’AFRIQUE...
Dans un contexte mondial marqué par la pandémie du coronavirus, tous les pays, même ceux qui ne sont pas encore touchés, sont préoccupés à lutter pour contre la maladie.
Dans un contexte mondial marqué par la pandémie du coronavirus, tous les pays, même ceux qui ne sont pas encore touchés, sont préoccupés à lutter pour contre la maladie. Cette situation est imposée par la gravité et la rapidité de la propagation du virus covid19 qui, en l’espace de seulement quatre mois — il est apparu en décembre en Chine — a fait des milliers de morts à travers la planète.
Dans ces circonstances (malheureuses), il devient urgent et opportun de réfléchir tous ensemble sur les leçons que l’Afrique doit tirer de cette crise sanitaire mondiale. Depuis trois décennies nous vivons dans une mondialisation induite par l’essor fulgurante de la technologie et la forte mobilité des hommes, des capitaux et des biens. Une globalisation conquérante qui semble tourner au ralenti ces temps-ci. Les frontières sont verrouillées, les aéroports fermés, les avions cloués au sol et les activités de production, sinon arrêtées du moins réduites à leur plus simple expression. Aujourd’hui chaque pays est préoccupé à trouver des solutions pour faire face à cette catastrophe.
La coopération entre Etats a cessé. L’aide que les grandes puissances accordaient aux pays en développement n’était motivée que par des intérêts. Que ça soit aux Etats-Unis d’Amérique ou en Europe, parties du monde les plus touchées par cette pandémie après la Chine, on semble dépassé par la tournure des évènements Pourtant ce n’est pas faute de disposer de plateaux sanitaires performants ou encore de personnel hautement qualifié en nombre suffisant. Que vaut aujourd’hui la puissance économique, militaire, technologique ou nucléaire de ces pays face à cet ennemi invisible mais combien puissant et jusque-là imbattable qu’est le coronavirus ?
La vérité est que le monde appartient à un omnipotent Maître du Ciel et de la Terre. Celui qui détient tout entre Ses mains et qui en fait ce qu’il veut. Après avoir exploité des siècles durant les peuples les plus faibles, l’Afrique en particulier, les pays du Nord ont pillé une partie de leurs biens et pris ce qu’ils avaient de plus précieux pour s’enrichir avec. Aujourd’hui, le Chef Suprême de l’Univers semble donner à toutes ces puissances européennes et américaines une leçon selon laquelle rien n’est éternel et qu’Il est le seul à détenir la force. Simple coïncidence ou message divin ?
Dans tous les cas, l’Afrique, continent le plus pauvre mais le moins impacté (touchons du bois) par cette pandémie a une occasion de prendre son destin en mains et faire une introspection pour en tirer une leçon. Après avoir été victime des pires injustices de l’histoire de l’humanité que sont l’esclavage et la colonisation sur fond de balkanisation, l’heure du réveil a sonné pour l’Afrique. Il s’agit pour ses fils, ses dirigeants en tête, de s’orienter vers de nouvelles politiques de développement dictées par le seul souci de prendre leur envol économique. L’heure n’est plus aux coups d’Etat, aux guerres ethniques, à la dictature ou au pillage des ressources par les puissances européennes ou américaines voire asiatiques. Ce dont notre continent a besoin, c’est une véritable révolution des consciences consistant à unir nos forces afin d’exploiter nos ressources humaines et naturelles pour enfin voir le bout du tunnel.
Les secteurs clés comme l’éducation, la santé, l’agriculture, l’industrie etc. doivent être au coeur des préoccupations des peuples et des dirigeants. Sans pour autant nous refermer sur nous-mêmes, nous ne devons plus continuer à dépendre de ceux qui se sont développés à partir de nos ressources ou qui, il y a moins de cinquante ans, étaient moins avancés que nous. Et à qui, aujourd’hui, nous tendons la main ! Les atouts dont nous disposons et que les autres nous envient sont réels et touchent tous les domaines. Il suffit de croire en nous-mêmes et de dire que « rien ne sera plus comme avant » pour voler par nos propres ailes. Si nous parvenons à ne plus importer ce que nous mangeons, et à créer une monnaie commune ce ce serait déjà un pas important dans le sens de notre souveraineté économique.
Dans d’autres domaines, il est impératif de rompre avec des dépenses de prestige dont la pertinence ne se justifie guère, de mettre un terme à l’injustice sous toutes ses formes et de lutter contre l’impunité. Il faut également que nos dirigeants cessent de vouloir se maintenir au pouvoir contre la volonté de leurs peuples et parfois avec la complicité des puissances extracontinentales. Déjà une nouvelle race de jeunes Africains avant-gardistes commence à émerger petit à petit pour dire « non à l’exploitation de nos ressources par les grandes puissances ».
Cette nouvelle façon de voir les choses doit être perçue par nos dirigeants comme une invite à plus de patriotisme et non le contraire. Souhaitons que d’ici peu les Africains de la Diaspora éprouvent, pour la plupart d’entre eux du moins, le besoin de rentrer dans leurs pays respectifs pour y travailleur et mieux contribuer à leur développement. En plus d’y gagner leur vie, bin sûr. Mais pour cela, il nous faut tirer les leçons de cette pandémie et nous projeter dans une nouvelle trajectoire différente de celle que nous suivons depuis 60 ans, qui nous retarde et nous confine dans la dépendance et la misère. Vivement la fin de ce fléau du coronavirus, pour une prise de conscience des peuples africains. Pour un nouvel ordre mondial...
Youssouph BA
par Christian SENE
NE TIREZ PAS SUR RAYAN HACHEM !
Le jeune entrepreneur sénégalais d’origine libanaise Rayan Hachem remporte le marché de fourniture du riz ? On se dit qu’il y a anguille sous roche, volonté d’enrichir un « Libanais » sans cause et, forcément, magouille quelque part.
C’est bien connu que les Sénégalais aiment chercher la petite bête. Et voir le mal partout. Ils n’aiment pas non plus voir leurs compatriotes entreprendre, encore moins réussir. Dans ce cas, malheur aux gagneurs ! A preuve par l’affaire des aides alimentaires destinées aux populations vulnérables de notre pays. L’homme d’affaires et député Demba Diop dit « DiopSy » remporte le marché du transport ? On crie au coup de pouce politicien !
Les ministres Mansour Faye et Abdou Karim Fofana divergent sur le budget consacré au transport de ces denrées alimentaires ? C’est louche et il y a forcément de la magouille quelque part ! Le jeune entrepreneur sénégalais d’origine libanaise Rayan Hachem remporte le marché de fourniture du riz ? On se dit qu’il y a anguille sous roche, volonté d’enrichir un « Libanais » sans cause et, forcément, magouille quelque part. On est comme ça, au Sénégal. On ne reconnaît jamais le mérite et les héros méritent d’être fusillés. Et l’on se dit « pourquoi lui et pourquoi pas moi ? »
Ce n’est pas aujourd’hui, hélas, que l’on changera nos compatriotes… Alors qu’ailleurs on aurait remercié Rayan Hachem, 38 ans, d’avoir mis son stock de riz à la disposition des autorités de notre pays décidées à sauver de la famine les ménages vulnérables pour cause de Covid-19, voilà qu’il se fait lyncher ! Et pourtant, il aurait pu faire comme d’autres, Sénégalais bon teint ceux-là, qui ont préféré faire le mort et ne pas participer à l’appel d’offres lancé par le ministère du Développement communautaire.
Pour deux raisons : c’est plus rentable pour ces distributeurs de vendre leur riz à des commerçants demi-grossistes ou détaillants au prix du marché, donc plus cher que ceux de l’appel d’offres gouvernemental. Ensuite, avec ces commerçants, ils sont payés cash tandis que les paiements par le Trésor public, tout le monde sait le parcours du combattant que c’est ! Pour dire qu’après avoir livré sa marchandise, il faut s’armer de patience et attendre…indéfiniment.
Faisant fi de tout cela, donc, le patron des sociétés Avanti et Afri and Co, disant agir par patriotisme, a choisi de répondre à l’appel des autorités de son pays, le Sénégal, où ses parents ont vu le jour, où il est né de même que sa fille, où il a fait une partie de ses études avant de se rendre à l’étranger pour les terminer. Ses diplômes en poche, il est resté pour travailler avant de revenir au pays investir ce qu’il avait amassé et contribuer à sa manière au développement du Sénégal. « J’ai voulu apporter ma pierre à la construction de l’édifice national », nous confie-t-il. En 2013, il ouvre le restaurant « Planète Kébab » qui connaît rapidement le succès.
Dans la foulée, il en ouvre trois autres dans divers endroits de la capitale et se déploie même au Mali. En 2016, il se lance dans le trading et créée la société Avanti spécialisée dans l’alimentaire et qui importe notamment les produits dont il a besoin pour faire fonctionner sa chaîne de restauration rapide. En même temps, il explore le business de l’importation du riz et commence — pour se conformer aux exigences des autorités — par acheter le riz de la vallée, condition sine qua non pour obtenir les fameuses DIPA (Déclarations d’importations de produits alimentaires) indispensables à l’importation du riz
Antenne de Louis Dreyfus !
En 2016, il fait venir 30.000 tonnes de riz au Sénégal. En 2017, c’est 40.000 tonnes qu’il importe. En 2018, 80.000 tonnes et 120.000 tonnes en 2019 ! Au terme d’un travail éprouvant et acharné, il réussit à devenir l’un des principales antennes locales du grand négociant de céréales Louis Dreyfus. Une consécration ! Toujours dans l’anticipation, il avait commencé à réceptionner ses stocks pour l’année 2020 — pour couvrir aussi bien le marché local que la sous-région — lorsque la pandémie du Covid-19 a éclaté. Parmi ses conséquences, la fermeture des frontières de presque tous les pays du monde. Y compris, bien sûr, des principaux exportateurs de riz que sont la Thaïlande, l’Inde, le Viêt-Nam etc.
Lorsque les autorités ont décidé de lancer leur appel d’offres pour l’achat de riz, il se trouve que Rayan Hachem disposait d’importants stocks de la céréale. Il a tout naturellement décidé de soumissionner par le biais de ces deux sociétés car nous allions oublier qu’en 2019 il avait créé la société Afri and Co pour diversifier ses activités et se lancer dans le commerce de sucre, d’huile, de pâtes, de lait en poudre etc. Une société qui avait bien sûr le même siège social que la première. C’est donc par le biais de ses deux sociétés — ce qui est parfaitement légal et, comme il dit, « je n’ai rien à cacher » — qu’il a soumissionné et remporté le marché au prix de 275.000 francs la tonne. Ce alors que le prix du marché est à 278.000 tonnes ! Suffisant pour qu’on lui tombe dessus et le lynche au motif que le fait que ses deux sociétés soient domiciliées à la même adresse serait louche et donc, forcément, constitutif de magouille ! On vous disait que les Sénégalais voient le mal partout…
Evidemment, c’est peu dire que le fils du célèbre chirurgien Dr Hachem souffre de ces attaques et a mal dans sa peau. Lui qui a tout fait pour investir dans son pays et créer des emplois — rien que pour Planète Kébab environ 200 travailleurs bénéficiant de contrats en bonne et due forme et de sécurité sociale —, voilà comment il est récompensé. Lui qui, surtout, aurait pu choisir de vendre son riz directement sur le marché en réalisant de confortables marges du fait de la rareté induite par la crise sanitaire du coronavirus. Une crise qui lui aura au moins inculqué une précieuse leçon : celle de connaître ses compatriotes, c’est-à-dire ce spécimen unique au monde qu’est l’homo senegalensis…