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5 mai 2025
Opinions
par Felwine Sarr
TEMPS ÉTRANGES
Ce virus révèle les failles et fragilités de la société-monde, son caractère profondément inégalitaire, ses défauts de solidarité - Depuis que le mantra de jouir sans entraves est le mieux partagé au monde, que faire ?
Temps étranges où la vie est réduite à ses fonctions essentielles ; biologiques, végétatives. En ces temps de pandémie, elle se résume à se maintenir en bonne santé. Et pour cela, éviter l’autre qui est un potentiel porteur de cette maladie, infectieuse, sournoise et invisible.
Etrange temps où l’on se rend aussi comte que vivre est au-delà de se maintenir en vie, c’est aussi vivre avec, c’est être relié aux autres.
Dakar est une ville où la proxémie est forte. C’est une notion qui varie selon les cultures. Certaines se touchent, se tâtent, s’embrassent, s’agglomèrent, s’agglutinent. D’autres mettent une plus grande distance entre les corps, se saluent de la tête, les deux moins jointes, les corps inclinés. Ici, pour se saluer on se touche. On se serre la main. Des fois on la pose sur le front et le cœur de l’autre. Vivre, c’est être ensemble. On se regroupe à plusieurs dans des pièces exiguës, sur des bancs publics, à l’entrée des maisons autour du thé, dans des gargotes, dans les transports en commun. Dans les baptêmes, les mariages, on fait grappe. La société fait littéralement corps.
La ville est fantomatique. La peur a gagné les esprits. D’abord ceux des citadins, bien informés, connectés 24h sur 24h sur des tubes cathodiques qui diffusent ad nauseam les mêmes informations. Le nombre de cas qui augmente. La mort qui rode et fauche. Les difficultés des systèmes de santé. La peur. Toujours la peur.
Couvre-feu. Interdiction de sortie entre 20h et 6h du matin. Le premier soir la police a bastonné les retardataires. Des jeunes qui ont trainé, des taximen, des pères de familles sur le pas de leur porte. Des aides-soignants rentrant chez eux mais n’ayant pas trouvé de transport en commun. Cette culture de la violence étatique sous nos cieux, qui remonte à l’époque coloniale, que nos états postcoloniaux ont repris à leur compte. Le peuple, un bétail que l’on mate, à défaut de l’éduquer. Le président de ce pays a remis aux affaires un commissaire tristement célèbre qui s’était illustré par sa brutalité lors des contestations de 2012, contre les velléités de troisième mandat d’Abdoulaye Wade, qui ont fait une dizaine de morts. La crise est une aubaine pour les pouvoirs qui en profitent pour serrer la vis, amenuiser les libertés publiques et justifier le tournant autoritaire dont ils rêvent tous. En France, ils en profitent pour chasser les immigrés clandestins et les rapatrier, gagner du terrain dans les banlieues dites difficiles, y casser du marginal, du pauvre, du noir et de l’arabe. Au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina, soumettre le peuple à la trique et à la chicotte. Transformer un problème de santé publique en une problématique de maintien de l’ordre. S’attaquer aux plus vulnérables, au lieu de leur apporter soin et assistance.
L’Afrique, le continent le moins touché, parce que le moins connecté à la mobilité mondiale. Pour une fois, l’épidémie ne vient pas d’ici. Il n’empêche que l’OMS demande au continent de se réveiller et de se préparer au pire et Antonio Gutteres le Secrétaire Général de l’ONU déclare qu’il y aura des dizaines de millions de morts sur le Continent. Toujours la même antienne de mépris, de condescendance et de racisme, qui ne prend plus la peine d’observer la réalité. L’Afrique, c’est une réalité imaginaire dont la force des représentations qui lui sont accolées congédie sa réalité. Même si la plupart des pays Africains ont très tôt pris des mesures, dont certaines sont drastiques, contrairement à certains pays européens qui eux ont dormi. On nous anticipe le pire. C’est l’Afrique. Ce serait contre la logique des choses que nous nous en sortions pas trop mal. On oublie que le continent a malgré ses difficultés, une longue expérience de gestion des maladies infectieuses. Et certainement une plus grande résilience à tous types de chocs. Sa longue histoire est là pour en témoigner. Rendez-vous est pris au lendemain de la crise.
Ce virus nous oblige à faire monde, même négativement dans un premier temps. Il a transcendé les frontières géographiques, physiques, économiques, idéologiques, de classe. Il est le résultat de l’anthropocène, d’une dévastation de la biodiversité par un mode de production capitaliste écervelé et l’hubris du mode de vie d’un quart de la planète, les euraméricains auxquels s’ajoutent désormais les chinois. Tout le monde paye le prix de leur inconscience et de leur égoïsme. Ce virus révèle les failles et fragilités de la société-monde, son caractère profondément inégalitaire, ses défauts de solidarité. Il nous rappelle également notre communauté de destin. Nul n’échappera aux effets d’une crise écologique qui est déjà en cours.
Deux options, un repli, le retour et le renforcement des idéologies ethno-nationaliste ; ou la solidarité, une conscience écologique plus aiguë, une refondation de notre civilisation. Depuis l’arrêt imposé de la surproduction industrielle, les rivières et fleuves respirent mieux, les poissons reviennent, les grandes mégalopoles sont moins polluées, on respire mieux à Beijing. J’ai rarement respiré un air si pur sur la corniche de Dakar.
Mais il semblerait que l’art que nous pratiquons le mieux soit Lars oblivionis, l’art de l’oubli. Il est à craindre qu’une fois la crise passée, heureux de retrouver nos habitudes, notre vie sociale, après un temps de sidération que nous oublions le signal envoyé par le covid 19 et le sens de cette crise. Où faut-il chercher notre aveuglement au désastre ? Comment se fait-il qu’aucune alarme ne soit assez puissante pour nous empêcher d’aller gaiement vers le mur.
Le cerveau est depuis le pré-cambrien programmé pour assurer sa survie ; manger, se reproduire, stocker de l’information, accéder à un statut social, découvrir de nouveaux territoires. Au cœur du cerveau, le striatum assure cette tache en déchargeant de la dopamine pour récompenser et motiver les comportements qui assurent la survie. C’est ce que le neuroscientiste Sébastien Bohler appelle le bug du cerveau. Ce dernier est conçu pour toujours désirer consommer toujours plus. Ce principe qui a assuré notre survie jusqu’ici est celui qui aujourd’hui le menace. La surconsommation et la surexploitation de nos écosystèmes menace notre survie en temps qu’espèce.
Comment alors s’autolimiter lorsque la structure interne du cerveau et son fonctionnement conduisent à l’hubris. Les religions et les grands corsets communautaires ont tenté de modérer cette tendance, avec un succès limité. Mais depuis que le mantra de jouir sans entraves est le mieux partagé au monde, que faire ?
Renoncer au rêve sur-consumériste. Pour ceux du nord industrialisé entreprendre un travail de de-sintoxication consumériste. Pour ceux des sud, qui déjà vivent une austérité imposée, renoncer à l’imaginaire de la modernité industrielle occidentale et à ce modèle civilisationnel. En inventer un autre. Cette crise est opportunité pour cela.
La pandémie nous oblige à changer nos mauvaises habitudes sociales acquises : laxisme, raccourcis frauduleux, incivisme, esquive des règles établies et dédain de l’intérêt général
Commençons par un truisme : la maladie à coronavirus est inédite dans notre mémoire récente. Elle inflige à notre planète un nombre effroyable de décès, accélère notre rendez-vous permanent avec le deuil. Pendant longtemps, ce siècle, comme sans doute d’autres à venir, portera les stigmates de cette peste bubonique de notre ère. Est-ce consolation que de rappeler que le propre de l’humain est de pouvoir se relever toujours plus fort après chaque chute comme dans le sublime poème de Rudyard Kipling « Tu seras un homme mon fils », publié en 1910 ? Cette résilience confère assurément une certaine immortalité à notre espèce.
En Chine, pays auquel on attribue l’origine de la maladie à coronavirus, l’idéogramme désignant une crise signifie aussi opportunité. Cette apparente contradiction de sens est la marque d’une civilisation millénaire dont la dialectique est de regarder les portes ouvertes au lieu de s’attarder sur celles qui sont fermées. Elle traduit en meilleur ce qui ressemble au pire, minimisant, dans la même logique, ce qui apparaissait comme le plus grand malheur connu de notre humanité à l’ère des technologies qui ont propulsé très loin le savoir universel et orienté notre vie de tous les instants.
Dans le même esprit que la sagesse chinoise, peut-on dire, mutatis mutandis, que le Coronavirus peut être une chance ? En tant que crise donc en tant qu’opportunité ? Oui, en tant qu’élément de rupture dans l’ordre normal des choses, en somme nos habitudes de vie. Il nous enseigne de nombreuses leçons et nous oblige à nous interroger, cet exercice que les miracles de l’ère du numérique nous avait fait jeter aux orties.
La crise actuelle borne nos certitudes scientifiques et nos doutes métaphysiques nourris de religiosité. La première question est la scientificité de la science. La connaissance scientifique est-elle exactitude ou tâtonnement tantôt fructueux tantôt miraculeux de la méthode expérimentale chère à Claude Bernard sur les traces du chimiste Michel- Eugène Chevreul ? En d’autres termes, où s’achève la science si jamais elle a une fin ? Aux épistémologues de répondre.
Mais le doute et le défi sont la sève nourricière de la prodigieuse vitalité de la science. En ce sens, avec le COVID-19, la médecine a une première matière inattendue. Des milliers de scientifiques, cerveaux invisibles, confinés dans le silence des laboratoires et loin des plateaux de télévision, nous aident, par la prévention et les soins, à contenir les ravages de la pandémie. A contrario, cette crise montre fort heureusement que la fin des civilisations, tant brandie par certains prophètes de malheur, est un délire pour pessimistes. Elle montre aussi, espoir de nos savants et chercheurs, que la science reste un vaste champ à parcourir avec d'innombrables périmètres en jachère.
La crise du COVID-19 n’est pas que sanitaire. Elle a d’autres dimensions. Elle met en lumière les qualités d’anticipation et de vision attendues de nos dirigeants dont la gouvernance est plus que jamais scrutée et jaugée. Les gouvernés ont droit à la reddition des comptes, les plus nombreux espèrent la fin de leur infantilisation par des marchands d’illusions déguisés en opérateurs politiques.
Le Coronavirus impose un retour à la politike, l’art de (bien) gérer les affaires de la Cité. On n’a jamais entendu autant de discours des princes du jour témoignant de leur compassion, sous la pression de cette crise sanitaire dont les conséquences multiformes sont imprévisibles. Certains de ces princes se souviennent soudain que leur devoir constitutionnel est de nous porter assistance et de nous garantir sécurité et protection.
Que n’avons-nous pas fait suffisamment pour en arriver là ? Que devons-nous faire autrement pour sortir de là ?
Tout autant qu’à la médecine et qu’à la gouvernance, le COVID-19 est un défi posé à nous citoyens ordinaires. Il nous donne ou nous impose la chance de nous ajuster au réel en faisant le tri entre le nécessaire et l’utile, entre le superflu et le clinquant. Mieux, il nous oblige à changer nos mauvaises habitudes sociales acquises : laxisme, raccourcis frauduleux, incivisme, esquive des règles établies et dédain de l’intérêt général.
Nos mauvaises pratiques, fatalisme atavique, influencent négativement notre rapport aux recommandations et aux injonctions pour éviter la propagation du virus. Nous nous croyons exemptés de nous laver les mains, de porter le masque, de respecter l’hygiène, de cultiver la propreté du corps, du cœur et surtout de l’âme. Nous nous gaussons de la distanciation sociale. Nous nous remettons à la volonté divine ou cultivons une criminelle insouciance devant le danger que nous croyons destiné uniquement aux autres. Pourtant, nous voyons les ravages de la maladie qui ne distingue pas l’origine sociale, religieuse, régionale, continentale. Elle ne connaît ni genre ni race. Elle nous rappelle dans son odyssée de sang que nous naissons tous libres et égaux sur cette planète que nous avons en partage.
Autre chance de la crise née du coronavirus, nos retrouvailles avec des qualités longtemps remisées au magasin des accessoires, comme le disait Sartre. Il nous faut, hic et nunc, séparer la bonne graine de l’ivraie. Elle constituera sûrement un nouveau départ. Nous ne pourrons que voir, désormais, la vie autrement.
Au plan psychologique, la crise aura été une chance si elle arrive à nous aider à transformer les peurs en défis et surtout à nous débarrasser d’un complexe d’infériorité né d’une histoire de terreur et de fureur qui fait perdre à un peuple l’estime de soi en l’inhibant devant les épreuves et en le privant de l’audace qui fait réussir et de l’optimisme fondateur d’un nouveau monde. Débarrassons-nous immédiatement de cette tunique de Nessus dont on nous a vêtus pendant des siècles aussi bien au niveau de la pensée qu’au plan de l’action. Comme Césaire, disons, « ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ».
La crise du COVID-19 peut devenir une chance si nous la vivons comme la chiquenaude vers un élan post-traumatique pour nous remettre en cause. Ou une nouvelle occasion manquée si nous ne la comprenons que comme une tragique parenthèse, un simple accident de parcours de notre histoire pleine de fractures sombres que nous n’aurons pas su refermer.
A nous de choisir.
Hamadoun Touré est journaliste, ancien ministre, fonctionnaire International à la retraite
texte collectif
FACE AU CORONAVIRUS, IL EST TEMPS D’AGIR !
Wole Soyinka, Makhily Gassama, C. Hamidou Kane et des dizaines d'autres intellectuels africains, exhortent leurs dirigeants à profiter de la crise du covid-19 pour penser le développement endogène, rompre avec la sous-traitance de leur souveraineté
Près de 90 intellectuels du continent et de la diaspora parmi lesquels Wole Soyinka, Makhily Gassama, Cheikh Hamidou Kane, Iva Cabral,
Odile Tobner, Olivette Otele, Boubacar Boris Diop adressent la lettre ci-dessous aux dirigeants africains, afin de les exhorter à saisir l'occasion de la crise du coronavirus pour opérer dès maintenant des ruptures dans la gouvernance.
Les risques qui planent sur le continent africain, relatifs à la propagation du COVID-19, nous interpellent individuellement et collectivement. L’heure est grave. Elle ne consiste pas à juguler une énième crise humanitaire « africaine » mais à contenir les effets d’un virus qui vient bousculer l’ordre du monde et interroger les fondements de notre vivre ensemble.
La pandémie du coronavirus met à nu ce que les classes moyennes et aisées vivant dans les grandes mégalopoles du continent ont feint de ne pas voir. Depuis près de dix ans, en effet, certains médias, intellectuels, hommes politiques et institutions financières internationales s’accrochent à l’image d’une Afrique en mouvement, d’une Afrique nouvelle frontière de l’expansion capitaliste. Une Afrique sur la voie de l’émergence économique ; une Afrique dont les taux de croissance positifs feraient pâlir d’envie plus d’un pays du Nord. Une telle représentation que l’on finissait par croire réelle à force d’en rêver se déchire désormais devant une crise multiforme qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Dans le même temps, l’ordre global multilatéral que l’on se figurait encadré par un minimum de traités se délite sous nos yeux, faisant place à une lutte géopolitique féroce. Ce nouveau contexte de guerre d’influence économiquedu tous contre tous laisse dans l’ombre les pays du Sud, en leur rappelant s’il le fallait le rôle qui leur échoit : celui de spectateurs dociles d’un ordre du monde qui se construit par-devers eux.
La pandémie du COVID-19 pourrait saper les bases des États et des administrations africaines dont les défaillances profondes ont trop longtemps été ignorées par la majorité des dirigeants du continent et leur entourage. Il est impossible de les évoquer toutes, tant elles sont nombreuses : sous-investissement dans les secteurs de la santé publique et de la recherche fondamentale, insécurité alimentaire, gaspillage des finances publiques, priorisation d’infrastructures routières, énergétiques et aéroportuaires aux dépens du bien-être humain, etc. Autant de sujets qui font pourtant l’objet d’une littérature spécialisée, désormais abondante, mais qui semblent avoir peu pénétré les cercles du pouvoir des différents États du continent. La preuve la plus évidente de ce fossé est fournie par la gestion actuelle de la crise.
De la nécessité de gouverner avec compassion
Reprenant sans souci contextuel le modèle de « containment » et des régimes d’exception adoptésdes pays du Nord, nombreux sont les dirigeants africains imposant un confinement brutal à leurs populations souvent ponctué, lorsqu’il est n’est pas respecté, de violences policières. Si de telles mesures satisfont les classes aisées, à l’abri de la promiscuité et ayant la possibilité de travailler à domicile, elles demeurent punitives pour ceux qui, pour utiliser une formulation répandue à Kinshasa, doivent recourir à « l’article 15 », c’est-à-dire à la débrouille et aux activités dites informelles.
Soyons clairs. Il n’est nullement question d’opposer sécurité économique et sécurité sanitaire mais plutôt d’insister sur la nécessité pour les gouvernements africains de prendre en compte les conditions de précarité chronique vécue par la majorité de leurs populations. Cela, d’autant plus que le continent africain a une longueur d’avance sur le Nord en matière de gestion de crises sanitaires de grande ampleur, au regard du nombre de pandémies qui l’ont frappé ces dernières années.
La nature ayant horreur du vide, plusieurs initiatives fragiles provenant de la « société civile » se mettent progressivement en place. En aucun cas pourtant, le dynamisme d’individus ou d’acteurs privés ne peut pallier la désorganisation et l’impréparation chronique que seuls les États seraient en mesure d’endiguer à travers le continent.
Plutôt que de subir et tendre la main à nouveau en attendant meilleure fortune, il serait d’ores et déjà souhaitable de repenser notre vivre ensemble en partant de nos contextes spécifiques et des ressources diverses que nous avons.
Notre conviction est que l’urgence ne peut, et ne doit pas, constituer un mode de gouvernance. Il s’agit de saisir ce moment de crise majeure comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques, de faire en sorte notamment qu’elles œuvrent en faveur des populations africaines et selon les priorités africaines. Bref, il s’agit de mettre en avant la valeur de chaque être humain, quel qu’il soit et quelles que soient ses appartenances, au-delà des logiques de profit, de domination et de monopolisation du pouvoir.
Au-delà de l’urgence
Les dirigeants africains doivent, et peuvent, proposer à leurs peuples une nouvelle idée politique d’Afrique.C’est une question de survie et non d’arguties intellectuelles comme on a trop souvent tendance à le croire. De profondes réflexions sont nécessaires sur la gestion et le fonctionnement des administrations nationales, de la fonction de l’État et de la place des normes juridiques dans la distribution et l’équilibre des pouvoirs à l’aune de systèmes de pensées adaptés aux réalités du continent. En effet, la seconde étape de nos indépendances politiques ne se réalisera que sur les terrains de l’inventivité politique et sociale, de la prise en charge par nous-mêmes de notre destinée commune. Des initiatives en ce sens existent déjà. Elles mériteraient simplement d’être écoutées, discutées et encouragées.
Le panafricanisme aussi a besoin d’un nouveau souffle. Il doit retrouver son inspiration originelle après des décennies d’errements. Si les progrès en matière d’intégration du continent ont été faibles jusque-là, la raison est que celle-ci n’a été conçue que sur la base de la seule doxadu libéralisme économique. Or, la pandémie du coronavirus montre tristement l’insuffisance de la réponse collective du continent autant sur le volet sanitaire qu’ailleurs. Plus que jamais, nous sommes placés devant la nécessité d’une gestion concertée et intégrée de domaines relatifs à la santé publique, à la recherche fondamentale dans toutes les disciplines scientifiques et aux politiques sociales. Dans cette perspective, il est important de repenser la santé comme un bien public essentiel, de revaloriser le statut du personnel de la santé, de relever les plateaux techniques des hôpitaux à un niveau qui permet à tous, y compris les gouvernants eux-mêmes, de se faire soigner en Afrique.
Cette lettre est un morceau de rappel, de rappel de l’évidence : le continent africain doit reprendre son destin en main. Or c’est dans les moments difficiles que des orientations nouvelles doivent être décidées et que des solutions pérennes doivent être mises en place.
Cette lettre est destinée aux dirigeants africains de tous bords, aux peuples africains et à ceux qui essaient de penser le continent. Nous les invitons à saisir l’opportunité de cette crise pour mutualiser leurs efforts afin de repenser l’idée d’un État au service du bien-être des peuples, de rompre avec le modèle de développement basé sur le cercle vicieux de l’endettement extérieur, de sortir de la vision orthodoxe de la croissance pour la croissance, et du profit pour le profit.
Il s’agit pour l’Afrique de retrouver la liberté intellectuelle et la capacité de créersans lesquelles aucune souveraineté n’est envisageable. De rompre avec la sous-traitance de nos prérogatives souveraines, de renouer avec les configurations locales, de sortir de l’imitation stérile, d’adapter la science, la technique et les programmes de recherche à nos contextes historiques et sociaux, de penser nos institutions en fonction de nos communes singularités et de ce que nous avons, de penser la gouvernance inclusive, le développement endogène, de créer de la valeur en Afrique afin de diminuer notre dépendance systémique. Surtout, il est primordial de ne pas oublier que le continent dispose de suffisamment de ressources matérielles et humaines pour bâtir une prospérité partagée sur des bases égalitaires et respectueuses de la dignité de chacun. L’absence de volonté politique et les agissements de l’extérieur ne peuvent plus constituer des excuses pour nos turpitudes. Nous n’avons pas le choix : nous devons changer de cap. Il est plus que temps !
Depuis son apparition en décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine, qui pouvait penser que trois mois plus tard, le CoViD-19 allait déferler si rapidement dans le monde entier au point de se révéler comme l’une des pires crises sanitaire et socioéconomique depuis la deuxième grande guerre ?
Dès lors, le CoViD-19 s’est joué allégrement des frontières en se propageant à une vitesse vertigineuse et en semant dans son sillage mort, dévastation socioéconomique, repli sur soi des États ; et même en portant un coup d’arrêt à la mondialisation.
Face à cette pandémie, chaque pays tente en fonction de ses moyens, d’apporter des réponses circonscrites à l’intérieur de ses frontières.
Outre les mesures sanitaires dictées par l’urgence et la sévérité des cas, les solutions ont globalement pris la forme d’actions de santé publique centrées sur la distanciation physique et la généralisation de gestes barrière censées contribuer à briser la chaîne de transmission de la maladie ; la fermeture des frontières aériennes et terrestres et l’arrêt des services non essentiels qui a comme conséquence le ralentissement de la production. Parallèlement, on redécouvre l’élan de solidarité devant l’épreuve, à travers les ralliements des forces de l’opposition, des entreprises, des donateurs et des bénévoles à Force CoViD-19.
Sommes-nous à l’avènement d’un nouvel ordre ? L’ensemble de ces mesures n’est pas sans conséquences sur la vie de larges segments de la population. Au Sénégal, depuis l’apparition des premiers cas de CoViD-19 au début du mois de mars 2020, outre les réponses médicales qui ont mis en lumière le professionnalisme, l’expérience et le talent du personnel soignant sénégalais, les pouvoirs publics ont pris une série de mesures d’ordre sanitaire, sécuritaire et socioéconomique pour freiner l’avancée de l’épidémie : instauration de l’état d’urgence et d’un couvre-feu, isolement des personnes infectées, mise en quarantaine des contacts, fermetures des frontières du pays, etc. Ce train de mesures n’est pas sans conséquences sociales néfastes pour une bonne frange de la population urbaine et rurale du pays en termes de pertes d’emploi et de revenus, de l’impossibilité de circuler et d’exercer des activités professionnelles pour beaucoup d’acteurs, particulièrement ceux de l’économie populaire. Le confinement paraît extrêmement difficile à mettre en œuvre au Sénégal Aujourd’hui, la vigoureuse progression du CoViD 19 dans notre pays1 commande de débattre de mesures certainement plus hardies pour contenir la fulgurance de la contagion qui la diffuse si tragiquement.
Une des mesures, citée avec de plus en plus d’insistance, est le confinement total ou partiel de la population, à la manière de ce qui se fait dans certains pays du monde touchés par le même virus. quoique parfois évoqué avec espoir (voire avec espérance), le confinement paraît extrêmement difficile à mettre en œuvre dans un pays comme le Sénégal, au regard des configurations et des dynamiques sociétales locales ; lesquelles se constituent de particularités dans lesquelles s’ancrent les espaces et les systèmes sociaux, les pratiques quotidiennes de sociabilité, les caractéristiques de l’économie du pays ainsi que les pratiques de consommation de l’écrasante majorité de la population du pays.
C’est dire qu’au-delà de ses dimensions techniques et administratives, la question des conditions locales de pertinence du confinement est majeure ; car en la matière les erreurs se paieront dramatiquement, malheureusement. il importe, dès lors, d’être attentif à la complexité de cette mesure qui s’affirme comme inévitable à en juger la situation et les prévisions réalistes. Comment mettre en œuvre des mesures de confinement pour des populations majoritairement cantonnées dans une économie de débrouille qui les oblige à se déplacer quotidiennement pour assurer les besoins de base, notamment la nourriture ? Comment, dans ces conditions, résoudre l’équation du choix entre les risques de contracter et de disséminer la maladie et la famine ; laquelle, en plus de ses effets physiologiques est féconde de considérations morales ?
Comment re-négocier l’ancrage de l’individu (physique et symbolique) dans le communautaire ? Le confinement introduit inexorablement une rupture de la quotidienneté Le confinement introduit inexorablement une rupture de la quotidienneté. il apparaît comme une injonction au changement (au changement social ?). Sous ce rapport, il peut être vu comme est une invite à la définition de nouvelles modalités de rapport à soi, à autrui et aux espaces (physiques comme symboliques). il appelle alors à inventer les sociabilités qui désormais, feront désormais le vivre-ensemble. Aussi, dans l’hypothèse probable du confinement comme seule issue pour lutter efficacement contre le CoViD, nous pensons qu’il doit être ciblé en fonction des territoires et des régions et être adossé à des mesures plus adaptées aux réalités sociétales, économiques et culturelles endogènes.
Dans cette perspective il serait souhaitable de rapidement commencer par la distribution alimentaire aux populations nécessiteuses dans le respect et sans mépris en confiant cette tâche à l’armée qui pourrait se référer aux bases de données telles que celles de la SEn EAU, de la SEnELEC et des chefs de quartiers ou des chefs de villages, entre autres, pour une meilleure répartition des vivres. Toutefois, la répartition ne devrait pas se limiter aux personnes vivant dans des ménages car il existe de nombreux sénégalais qui n’appartiennent pas à cette catégorie.
La situation actuelle d’état d’urgence et de couvre-feu de 20h à 6h est une étape adaptée pour la mise en place de ces pratiques de distribution des vivres et de nécessaires. Le succès de cette action passe par la cessation de paiement de loyers, de factures d’eau et d’électricité pour au moins une durée d’un mois. Parallèlement il faut inviter les populations à repenser leurs pratiques de subsistance à fois matérielle et immatérielle.
La réduction de la mobilité et la diminution des ressources nécessitent un accompagnement nutritionnel et diététique pour éviter l’augmentation de certaines formes de pathologie (diabète, tension artérielle, etc.) ainsi que la résurgence de la malnutrition, surtout chez nos jeunes et nos personnes âgées. outre ces mesures, il urge de mettre en place un programme efficace de communication communautaire (par les radios et télévisions publiques et privées, des messages vocaux et électroniques, des capsules de vidéos, etc.) en français et en langues locales (wolof, pulaar, sereer (les six types), joola (les six types), màndienka, sóninké, banama, hasaniya, balant, mànkaañ, mànjaku, mënik, oniyan, saafi-saafi, guñuun, laalaa, kanjad, jalunga, bayot, paloor et womey).
La parole pourrait revenir non pas uniquement aux lanceurs d’alertes et aux experts mais aussi aux guides religieux et coutumiers, aux relais communautaires comme les badianou gox ou autres porteurs et porteuses de voix dans nos sociétés. Ce faisant les églises et mosquées pourraient être mises à contribution pour diffuser les mesures prises. L’homme n’est pas qu’un être biologique il est aussi et surtout un être moral ; c’est-à-dire un être configuré psychologiquement, socialement, culturellement, cultuellement, etc. Certes la médecine conventionnelle a imposé sa légitimité véhiculée par l’Oms, organisation d’ailleurs dont la légitimé a été rudoyée par cette maladie.
Depuis le début de la pandémie on est dans une logique scientifico-médicale occultant les aspects sociosymboliques de l’homme. Le sénégalais, sans qu’il soit en cela particulier, est un être de croyances et de ritualités ; lesquelles qui sont centrales pour l’expression de son identité sociale et culturelle. Les règles énoncées en vue de lutter contre le CoViD-19 empêchent l’accomplissement de rituels importants pour l’adoucissement des souffrances engendrées notamment par la perte d’un proche.
Les rites funéraires sont presque supprimés pour éviter la propagation de la maladie alors même qu’ils sont nécessaires pour l’acceptabilité de la fatalité et pour mener un deuil ancré dans des significations culturelles et cultuelles. L’apport des sciences sociales pour une meilleure compréhension de la pandémie Les sciences sociales peuvent aider à une meilleure compréhension et appréhension locale de la pandémie en révélant les logiques et effets socioculturels autour desquels elle s’articule (professions et catégories socio-professionnelles, territorialisation de la maladie, coûts, recomposition des logiques et pratiques de sociabilité et de solidarité, etc.)
A ce titre, elles pourraient explorer des questions telles que : quelles dynamiques sociales l’épidémie induit-elle ? Comment se manifeste la résilience du système social en contexte épidémique ? Quels stigmates l’épidémie laissera-t-elle dans le corps social ? Les sciences sociales ont ainsi un rôle de premier plan à jouer dans la compréhension des sémiologies populaires face au CoViD, les représentations sociales au sujet des causes, de la prévention et du traitement des symptômes associés au CoViD-19 sans compter leur contribution dans l’analyse des multiples conséquences que l’épidémie engendre et comment elle peut concourir à la désarticulation des structures familiales et des dynamiques migratoires, sur la recomposition des pratiques professionnelles et éducationnelles (télétravail, téléenseignement, etc.).
En plus des analyses sur les effets actuels et anticipés du CoViD-19, les sciences sociales peuvent fournir un corpus de connaissances indispensables pour mettre en place des scénarios post-CoViD-19 car, le monde va changer. Aujourd’hui, plus que jamais, l’on comprend que les maladies sont des réalités sociales.
Liste des signataires
Amédoune BA. Sociologue. Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Ibrahima Bao. Socio-anthropologue. Maître Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Mamadou Ndongo Dime. PhD. maître de Conférences. Sociologue. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Bakary DOUCOURE. Socio-anthropologue. Maître Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Sara Ndiaye. Sociologue. Maître Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Cheikh Sadibou Sakho. Anthropologue et sociologue. Maître Assistant. Université Gaston berger de Saint-Louis.
Dr. Aly TANDIAN. Sociologue. Maître de Conférences. Université Gaston Berger de Saint-Louis.
1 Selon le bilan mensuel partagé à l’issu du point de presse du ministre de la santé et de l’action sociale tenu le jeudi 2 avril 2020, le Sénégal enregistre 40% de cas importés, 4% de cas communautaires et 56% de cas contact sur un total de 195 cas confirmés. Près de 1851 personnes sont actuellement isolées et suivies.
Par Jean Pierre Corréa
L’APPEL DE MACKY SUR LA DETTE FAIT FLORES
Le traitement du coronavirus va s’ajouter à un fardeau déjà bien lourd : l 'Afrique, c’est presqu'un quart des cas de pathologies les plus lourdes comme la tuberculose, la malaria ou le VIH, mais seulement 1 % des dépenses globales de santé.
Le traitement du coronavirus va s’ajouter à un fardeau déjà bien lourd : l 'Afrique, c’est presqu'un quart des cas de pathologies les plus lourdes comme la tuberculose, la malaria ou le VIH, mais seulement 1 % des dépenses globales de santé.
Pour faire face à l'urgence plusieurs gouvernements ont pourtant réussi à débloquer des fonds destinés en priorité à la santé. Secteur on le sait qui avait lourdement pâti des mesures drastiques imposées par nombre de bailleurs de fonds pour stimuler nos économies. Mais pour le moment aucun État africain n’a les moyens de dégainer des milliards comme l’ont fait les pays occidentaux pour soutenir massivement leurs salariés et leurs entreprises paralysées par le confinement.
Pour dépenser plus d'argent public, il faut pouvoir recourir à l’emprunt, or les États africains sont déjà à l’os. Pour stimuler la croissance ils ont emprunté tous azimuts. De quoi s'inscrire dans la logique de la demande d'annulation faite par le président sénégalais Macky Sall se faisant écho de la forte préoccupation de nombre de ses homologues. Parce que l’Afrique va payer le prix de la récession économique mondiale : chute des matières premières, arrêt des entreprises, chute des exportations… Cela va aggraver le chômage et la précarité sociale, sachant que très peu de pays africains ont des mécanismes de protection sociale. Plus de 1300 milliards venaient régulièrement de ces envois des Sénégalais de l’Extérieur alors qu’on sait que les principaux pays d’émigration des Sénégalais que sont la France, l’Italie, l’Espagne, les Etats-Unis entre autres, restent confinés et que plus aucun envoi ne provient de ces pays, depuis les mesures de confinement préconisées par les gouvernements.
Sur le plan national, la morosité économique affecte des pans entiers de l’économie, comme l’hôtellerie, la restauration, les transports aériens, maritimes et terrestres, le secteur des Btp entre autres. L’appel lancé par le Président Macky Sall fait florès, et il est entendu par d’autres leaders mondiaux, comme le Pape François, le Roi du Maroc, l’ancien premier ministre britannique Tony Blair et hier soir par Emmanuel Macron, qui a fait de la solidarité avec le continent africain un élément fort de son allocution de sortie de crise.
C’est une preuve de leadership, d’autant que l’Union Africaine suit et se dote d’un fonds piloté par un de ses fils les plus brillants, Tidiani Thiam. Mais aller au-delà est sans doute nécessaire mais sera hyper complexe à réaliser, car le tiers de la dette africaine est détenu par des créanciers privés. C'est cette dette privée qui génère les intérêts les plus élevés, mais négocier dans l'urgence avec cette nébuleuse d'acteurs, des banques, des fonds, des négociants en matières première relèvera du tour de force. Il sera nécessaire aussi de reconnaître nos errements en matière de gestion de ces endettements contractés, et ne pas donner l’image redoutable d’une partie de notre classe politique et économique qui tirerait profits de ces efforts universellement requis en guise de solidarité face au Covid 19.
Le pire pour l’Afrique ne sera pas le nombre de ses morts, mais le fait de voir son économie ravagée par cette pandémie, sans qu’elle ait su tirer les leçons du passé, qui confinaient tout de même à une certaine forme excessive de gabegies.
Jean Pierre Corréa
Par CALAME
MA MAISON, LA RUE !
Abandonnés par leurs parents biologiques, confiés à des « daaras » portés par « des maîtres » qui les jettent dans la rue avec la mission d’assurer leurs rentes journalières, ils sont tenus de rapporter une somme d’argent, du sucre, du riz (…).
Il vous est certainement arrivé, dans la rue, à un carrefour, au coin d’un feu rouge, d’avoir été interpellé par de petits talibés tendant la sébile, le regard un peu hagard, parfois plein d’intelligence, illuminant un visage marqué par les souffrances d’une vie malmenée par la précocité des épreuves intimes.
Abandonnés par leurs parents biologiques, confiés à des « daaras » portés par « des maîtres » qui les jettent dans la rue avec la mission d’assurer leurs rentes journalières, ils sont tenus de rapporter une somme d’argent, du sucre, du riz (…). A un âge censé être celui des insouciances heureuses, flottant dans des habits sales, trop amples par endroit, la peau parsemée de cicatrices, ils affichent sur des corps et des visages lavés par des larmes de tristesse, l’indignité et la brutalité de leurs quotidiens.
Combien sont-ils de petits talibés ? Combien sont-ils d’enfants dont la maison est la rue, abandonnés de tous, chapardant dès qu’ils peuvent, soumis aux intempéries, exposés aux risques de tous ordres, au viol, à la maladie, à l’alcool, à la drogue ?
Selon des chiffres publiés par l’Ong Human Watch Rights et le Samu Social, ils sont quelque 100.000 pour les premiers, 7000 pour les seconds, à avoir basculé dans les expériences douloureuses de l’arrachement et du déchirement.
Loin des parents, loin de leurs repères. Il n’est donc pas étonnant, à la lecture de l’émouvante lettre ouverte des enfants-talibés (lire ci-contre), que leur demande fondamentale soit de se rapprocher de leurs parents. « Au nom de l’humain », ils exhortent le chef de l’Etat à les « aider à retourner pour toujours » auprès des leurs.
Echaudés par leurs expériences, ils appellent à la construction de « daaras modernes intégrant l’enseignement général ». Tout en précisant ne pas vouloir d’internats, afin que leurs parents puissent assumer leurs responsabilités. Bien que lourd, le traumatisme de l’abandon ne devrait pas pour autant les pousser à jeter le bébé et l’eau du bain. Les internats ont en effet eu à jouer un rôle important dans la vie de nombre d’élèves, pour leur avoir permis de se retrouver dans des conditions matérielles et pédagogiques propices à l’apprentissage.
L’envie de retrouver la chaleur et la sécurité du concon familial rencontre toutefois des situations empêtrées dans les difficultés à satisfaire les besoins vitaux : boire, manger, dormir. Aussi, nombre de familles de talibés ont-elles préféré se défaire de leur progéniture. On ne saurait cependant s’en arrêter là, pointer du doigt la seule irresponsabilité parentale. Il en est une autre relevant des prérogatives exclusives de l’Etat. Il a en effet, à l’endroit des talibés et des enfants de la rue, une obligation de réparation, pour avoir précisément manqué à ses obligations constitutionnelles. Ainsi la loi d’orientation de l’Education nationale indique-t-elle, en son article 3 bis, que « la scolarité est obligatoire pour tous les enfants des deux sexes âgés de 6 ans à 16 ans ». Qu’elle « est assurée gratuitement au sein des établissements publics d’enseignement ».
Et elle précise : «Il est fait obligation aux parents, dont les enfants atteignent l’âge de 6 ans, de les inscrire dans une école publique ou privée. Les parents sont tenus de s’assurer de l’assiduité de leurs enfants jusqu’à l’âge de 16 ans ».
A défaut, « tout enfant âgé de moins de 16 ans et n’ayant pu être maintenu dans l’enseignement général, est orienté vers une structure de formation professionnelle ». Parce que la loi définit de façon claire et cohérente les droits et devoirs de chacune des parties, la détresse exprimée dans la lettre ouverte au président de la République met à nu les graves manquements de l’Etat par rapport à ses propres engagements. Il reste alors aux associations civiles et politiques d’ester en justice car la condition insoutenable des talibés et des enfants de la rue raconte, surtout en cette période de pandémie de coronavirus, le non-respect de la loi.
A ces organisations donc de contraindre les décideurs à remplir leurs obligations.
CALAME
Par Mamadou DIOUF
THANDIKA MKANDAWIRE LE BOSS
Le professeur Thandika Mkandawire, chercheur-enseignant émérite, ancien patron du Codesria -organisme de pointe dans la recherche en Afrique, basé à Dakar s’est éteint le 27 Mars dernier à Stockholm (Suède) des suites de maladie
Le professeur Thandika Mkandawire, chercheur-enseignant émérite, ancien patron du Codesria -organisme de pointe dans la recherche en Afrique, basé à Dakar s’est éteint le 27 Mars dernier à Stockholm (Suède) des suites de maladie. Il venait de boucler ses 79 ans. Son collègue, le Professeur Mamadou Diouf salue la mémoire de l’Africain universel qu’il a connu et apprécié.
Je n’aime pas les oraisons funèbres. Elles annoncent, avec brutalité et désespoir, la disparition d’un être cher qui a vécu son temps et laissé une marque. Elles s’évertuent à tracer une histoire, exhumer une contribution remarquable, pour attester de sa clôture, même si l’on clame la continuité. Nonobstant nos efforts, l’oraison funèbre signale la mort; elle enterre la personne pour n’en laisser qu’une trace et obturer une vie. Que vais-je dire de Thandika ? Quel témoignage qui rende compte de la complexité de sa personnalité ? Il m’a recruté au Codesria pour l’assister à la mise en place du programme de recherches, à la suite du remplacement de ma collègue Zenebaworke Tadese, au département des Publications qui m’avait elle-même sollicité. Je connaissais les publications du Codesria, quelques-uns de ses animateurs, sans familiarité, ni avec eux, ni avec l’institution.
En effet, j’y arrive quand mon collègue Boubacar Barry quittait le conseil. Les économistes et autres spécialistes d’économie politique et de sciences sociales, mais aussi ses amis les plus proches, Issa Shivji, Peter Anyang Nyong’o, Mahmood Mamdani, Zen Tadese et son compatriote et jeune frère Paul Zeleza, proposent (proposeront) des témoignages qui l’inscrivent (l’inscriront) avec une profusion de détails dans les paysages académiques et humain dans lesquels, sa forte personnalité et ses qualités sont affichées avec une sincérité désarmante. Ils vont certainement interroger sa contribution scientifique et mesurer les résultats de ses efforts incessants à assurer la pérennité et le rendement scientifique de l’institution africaine qui prétendait, dans un monde troublé par les conséquences de la Guerre froide, la crise des états postcoloniaux, les fractures linguistiques et la variété des traditions de production de savoirs et de formation, s’afficher sur la scène universitaire. Certains d’entre eux décrypteront ses questions iconoclastes et ses argumentations alimentées par une documentation considérable, produite par un braconnage qui ratissait l’ensemble du continent.
Deux des questions, sur lesquelles, même s’il n’a pas élaboré précisément là-dessus, informent, me semble-t-il, ses recherches, sont les suivantes : d’une part, le passé et le futur d’un capitalisme porté par une bourgeoisie «africaine» conquérante. Thandika était l’avocat d’une investigation approfondie des manifestations de ce capitalisme «africain», naissant étouffé par le colonialisme (dans les colonies de Gold Coast, du Kenya et en Afrique du Sud et) et les régimes postcoloniaux (Sénégal, Côte d’Ivoire et Ghana). D’autre part, il s’interrogeait sur les engagements panafricain» de deux pays «résolument néocoloniaux», réfractaires à tous les «socialismes», même africain, son pays de naissance, le Malawi et la Côte d’Ivoire. Deux pays qui ont, au moins pendant trois décennies, accueilli les migrants provenant des pays voisins.
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, en leur accordant le droit de vote. Son hypothèse qui reste à vérifier par des recherches futures: les économies de plantations, malawienne et ivoirienne étaient de fortes consommatrices de main d’œuvre. A tort ou à raison, j’ai toujours pensé que certaines de ces questions iconoclastes, dont les deux que j’ai retenues, auxquelles on peut ajouter sa participation sur les transitions démocratiques, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, sont la raison de son intérêt pour l’étude des programmes d’ajustement structurel. Une manœuvre qui malgré ses proclamations, explorait, de manière systématique, le deuxième des trois mécanismes qui ont établi «la structure coloniale» (colonizing structure), l’incorporation des économies coloniales dans celles des métropoles impériales. Le premier mécanisme est la conquête territoriale et le dernier, la réformation de l’esprit indigène (Valentin Y. Mudimbe, The Invention of Africa, 1988). Les interventions de Thandika tout en contribuant aux discussions sur «la déconnexion» si chère à Samir Amin, se consacraient plutôt à documenter la connexion et les manœuvres coloniales visant à étouffer les entreprises économiques et démocratiques africaines.
Les concepts structurants de l’analyse de Samir Amin de la géographie mondiale du centre et de la périphérie et du développement inégal, privilégient en effet la déconstruction systématique de la relation impérialiste. Les interventions de Thandika, sans sortir de cette géographie, prêtaient plus attention aux situations internes dans leur espace local africain et aux logiques économiques, politiques et sociales qui leur sont associées. Elles ne se préoccupaient qu’obliquement de la rupture révolutionnaire, si centrale à la théorie du centre et de la périphérie et du développement inégal; ou d’une troisième voie promue par le mouvement des non-alignés. Je l’ai toujours suspecté, (peut-être à tort), de s’être installé dans un entre-deux théorique et pragmatique, imposé par ses thèmes de recherches (les politiques économiques et leurs conséquences sociales et politiques). Un positionnement qui parfois intriguait ses amis de la gauche africaine et les économistes des institutions de Bretton Woods. N’était-il pas devenu, un tout petit peu, un Suédois ?
Aussi bien dans sa gouvernance du conseil et dans ses conversations, surgissaient les traces de la tradition sociale-démocrate de son pays d’adoption. L’écart qu’il décelait dans les discussions des universitaires africains, en marge des rencontres du Codesria et d’autres institutions et leurs doctes interventions dans les sessions officielles, lui faisait dire que l’intelligence africaine atteignait un point d’incandescence à la marge. Peut-on réconcilier les deux, se demandait-il? Il soulignait, avec des exemples précis, la perspicacité qui sourdait des analyses. Elles sortaient des sentiers battus universitaires, pour explorer, dans un langage ironique et vernaculaire, la vie quotidienne et ses manifestations. Autant l’ethnographie locale sur laquelle elles s’appuient, que les éléments théoriques primaires qu’elles bricolent, affectent aux analyses, une ampleur inégalée, observait-il. Elles rendent compte de manière pertinente des trajectoires heurtées et d’une obscène brutalité de la gouvernance des sociétés africaines.
Des analyses qui s’inscrivent profondément dans le dévoilement des mécanismes internes de la domination. Une quête qui est restée au cœur de sa recherche universitaire. Thandika s’est toujours soucié du temps du monde dans ses manifestations locales. Thandika a été aussi à la manœuvre pour apporter des réponses pratiques et programmatiques aux conséquences des programmes d’ajustement structurel, sur les infrastructures d’enseignement supérieur et de recherche. Pour certains, dont Thandika, le Codesria doit participer directement à la formation de la troisième génération de chercheurs africains en sciences sociales et humaines (Three generations of African Academics: A Note », Transformation 28, 1995), face à la terrible crise qui retournait les universités africaines sur elles-mêmes.
Pour d’autres, il ne fallait aucunement dévier le conseil, de sa tâche principale : la promotion de la recherche africaine en sciences sociales et humaines. Thandika est parvenu à garder un certain équilibre, en renforçant la présence des institutions universitaires dans les activités du Codesria et en mettant en place un programme de petites bourses pour les étudiants de maitrise et de thèse. C’est probablement le programme dont la réussite est la plus incontestable. Il est parvenu à maintenir une recherche d’une qualité certaine, dans de nombreuses universités africaines et à rendre compétitifs sur la scène éducative internationale, de nombreux étudiants africains. Au registre de la recherche, s’est manifestée chez Thandika, une forte conscience du temps et de la scène du monde, qui sont nécessairement, les espaces d’inscription de la recherche en sciences sociales et humaines en Afrique.
Des interventions qui se déclinent par l’assurance de l’autonomie de cette dernière et sa confrontation scientifique avec la recherche internationale. Le refus d’être une annexe est, par exemple, à l’origine de la mise en place, à la suite de nombreux fora, des instituts sur le genre et sur la gouvernance démocratique. En inscrivant la discussion sur le genre dans les terreaux de l’histoire africaine et de la diaspora et en qualifiant la gouvernance de «démocratique», il ouvrait une voie sur une réflexion indigène plurielle qui interroge puissamment la bibliothèque des sciences sociales et humaines et contribue à sa révision par l’introduction des expériences africaines. Je voudrais aussi parler de l’homme que j’ai côtoyé tous les jours ouvrables pendant six ou sept ans au siège du Codesria, à Fann Résidence et ensuite sur l’Avenue Cheikh Anta Diop. Il signalait une réticence à la bureaucratie qui paradoxalement faisait de lui un parfait bureaucrate. En atteste son aventure réussie dans les arcanes de la bureaucratie onusienne, à la tête de UNRISD (l’Institut de recherche des Nations unies pour le développement social (1998-2009). Il a mobilisé l’institution sur les questions de politiques sociales (en particulier la protection sociale, l’éducation et la santé) articulées étroitement à la question du développement. Personnellement, au cours de cette période, Thandika s’est investi dans l’examen des figures qui traitent de la situation africaine et des figurations conceptuelles et politiques, universelles ou vernaculaires du développement.
Dans le désordre ahurissant de son bureau, il trouvait des formules d’ordonnancement qui récusait l’ordre bureaucratique. Thandika savait séduire les fondations européennes (scandinaves en particulier) et américaines. Ils savaient comment les prendre, répondre à leurs exigences et maintenir l’autonomie du Conseil. La règle était simple: tout financement devait répondre au programme élaboré par le Codesria. Pas par les donateurs. Contre vents et marées, il est parvenu à maintenir cette règle. Il était persuasif parce que le programme scientifique qu’il soumettait était solide et argumenté; à la fin du parcours le compte-rendu intellectuel et financier ne faisait l’objet d’aucune contestation. Comment de fois ai-je entendu des partenaires du Codesria dire «cette fois-ci ton patron ne va rien obtenir».
Son sourire désarmant, son rire si terrestre, son humeur parfois caustique, toujours léger, jamais agressif, faisaient céder les barrages mis en place Thandika était un pont. Il savait gérer les egos surdimensionnés d’une communauté qui se sentait à l’étroit et marginale à qui le Codesria offrait un espace d’engagement incomparable. Son long exil, tout comme ses activités professionnelles, à Stockholm, à Dakar, à Harare, à Genève et à Londres, lui ont ouvert des horizons multiples et une acuité ethnographique sans commune mesure. La lecture et la fréquentation des lieux populaires combinées à une connaissance parfaite du mbalax sénégalais et de la musique de l’Afrique australe qu’il qualifiait de Raceland par opposition au Graceland de Paul Simon, lui ouvraient une multiplicité de territoires. Son cosmopolitisme était sous contrôle parce qu’il était le produit de transactions variées. Il rendait difficile l’identification d’un chez soi (le Malawi ?) sur le continent. Je me suis toujours demandé s’il avait acquis son esprit nomade, à cause de ses pérégrinations. Thandika est né au Nyassaland (actuel Malawi), a grandi dans les villes minières des Rhodésies. A la différence de la forte majorité des intellectuels de sa génération, il n’avait pas une origine paysanne. Il était un urbain. Il avait des réflexions hilarantes sur l’impact de cette origine paysanne dominante sur l’agenda intellectuel du Codesria. Je me rappellerai toujours de nos fous rires quand je suis venu lui dire que la couleur verte des publications du Codesria était vraiment « boring and unattractive».
Que j’avais demandé à une artiste sénégalaise, Aicha Dionne, de nous proposer une couverture. En lui soumettant le résultat, sa réaction amusée a été de dire : «c’est une couverture aux couleurs du Sahel, l’ocre/marron de la sècheresse, contre les paysages arrosés et verts des savanes arborées et herbacées». En quelque sorte, il signalait comment l’eau et son absence avaient configuré nos imaginations et imaginaires. Thandika est parti du Codesria. Ce fut ensuite mon tour quelques années plus tard. On a poursuivi notre conversation de manière intermittente lors des différentes réunions du Conseil. Nous nous rencontrions deux fois par an lors des réunions du Conseil des Directeurs du Social Science Research Conseil américain. Sa plaisanterie favorite lorsqu’il se présentait à chaque séance était de conclure en disant qu’il fut mon patron. Que la situation a changé à cause de mon rôle de président du Conseil des Directeurs. Ma réplique était toujours la même. Il restera à jamais «my boss». Il m’a fait découvrir le monde de la recherche africaine, internationale anglophone et les relations entre les différentes traditions de recherches universitaires. Je ne me souviens plus où je l’ai rencontré la dernière fois.
Est-ce à Dakar ou à New York ? Il m’a parlé avec retenue et décence de sa maladie. Et comme de coutume, il m’a fait rigoler en me confiant avec dégoût, qu’à la place de son breuvage favori, la bière, il buvait désormais du thé. Cela m’avait fait sourire. Il m’a aussi dit « Aging sucks », marquant la distance avec la sagesse attribuée aux vieillards. Un iconoclasme très urbain.
Mamadou DIOUF
LEITNER FAMILY PROFESSEUR D’ÉTUDES AFRICAINES ET D’HISTOIRE
DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT D’ÉTUDES SUR LE MOYEN ORIENT, L’ASIE DU SUD ET L’AFRIQUE. COLUMBIA UNIVERSITY, NEW YORK
PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, EMMANUEL DESFOURNEAUX
LES "COMPLOTISTES-RÉVOLTISTES" SÉNÉGALAIS DU COVID-19
EXCLUSIF SENEPLUS - Le « complotiste-révoltiste » appartient à la confrérie d’extrême gauche, parfois divisée entre les soixante-huitards rangés derrière Macky et la nouvelle génération opposée au président
Emmanuel Desfourneaux de SenePlus |
Publication 13/04/2020
En ces temps de Covid-19, de complotiste au néologisme « révoltiste » en passant par la case populiste, il n’y a qu’un pas. Dans cette amorce d’essai, je m’efforce de tirer le portrait d’une catégorie d’idéologues du complot et surtout de déconstruire leurs schèmes de pensée sans les stigmatiser. Je vous l’avoue humblement, cette entreprise est complexe. Il ne s’agit pas ici de décrire le complotiste dans son état confusionnel et délirant mais de s’attarder sur une connexion entre le politique, le réel et l’irréel. C’est là où se trouve toute la difficulté de démêler le vrai du faux, sur fond d’angoisse collective.
Commençons par le plus simple, le réel ! Si les pandémies ne changent pas le cours de l’histoire, elles accélèrent les tendances socio-politiques déjà présentes. Au Sénégal, le gouvernement salliste essuyait des critiques récurrentes autour de l’absence d’un patriotisme économique et autour d’un monopole partenarial français. Dans ce contexte, cette pandémie ravive ces condamnations et appelle à la nécessaire auto-suffisance alimentaire, réhabilitation des services publics et industrialisation africaine.
Pour les « complotistes-révoltistes » au Sénégal, la pandémie marque une continuité cohérente dans leur combat politique en faveur d’une société plus équitable et solidaire. On ne saurait le leur reprocher malgré une démarche quelque peu revancharde contre leur ennemi de toujours : le capitalisme. Ils s’inscrivent dans la remise en cause d’un modèle et d’un ordre qui, selon eux, ne marchent pas. Et ce avant même l’arrivée du Covid-19 ! C’est du pain bénit pour certains activistes de métier, citoyens procureurs-enquêteurs, militants extrémistes et politiciens populistes. La pandémie leur donnerait raison tant les défaillances, les dysfonctionnements des Etats et du système des Nations unies sont à juste titre sur le banc des accusés ! Les présidents français et sénégalais en ont pris conscience, et annoncent l’avant-goût d’un nouveau monde dont on ignore encore à quoi il ressemblerait.
Mais ont-ils vraiment changé ? Macky Sall fait appel à l’aide extérieure bien que, dans cette crise sans précédent, nous ne saurions lui en faire grief. Et les français se soignent toujours de leurs démons colonialistes. Ce pays, en l’espace d’une semaine, a offert sur un plateau d’argent aux « complotistes-révoltistes » tous les arguments pour tailler leurs lances. Entre le déshonneur des médecins français incompatible avec le serment d’Hippocrate, une note diplomatique surréaliste rédigée par un ancien archiviste du fonds Foccart (ça ne s’invente pas !) et l’interview du responsable français de l’aéroport international Blase Diagne sur ce qui est devenu l’affaire des vaccins, c’était le jeudi noir de la relation entre la France et le Sénégal ! Peut-être cette semaine catastrophique a-t-elle sonné le glas : il y aura un avant et un après dans les relations franco-africaines.
Tout ce qui est allégué par les « complotistes-révoltistes » n’est pas faux. Le lobbying des industries pharmaceutiques est une réalité, ainsi que l’histoire coloniale qui regorge d’essais cliniques sur les populations du Sud et les abus néo-colonialistes toujours sur le même sujet. La révolte numérique initiée par la Diaspora africaine après les propos du Pr Jean-Paul Mira, sur laquelle surfent émotionnellement les « complotistes-révoltistes », constitue dorénavant une barrière de sécurité sanitaire. En effet, de nombreux gouvernements africains, jusque-là silencieux, faute d’une communication de crise, sont sortis du bois pour rassurer leurs populations légitimement en proie au doute.
Allons dorénavant sur le terrain de l’irréel ! Sur Facebook, Ibrahima Sène met en doute l’origine animale de la pandémie. D’un doigt accusateur, il dénonce les grands laboratoires biotechnologiques en quête de profit. Sa preuve ? Une simple déduction précédée d’une série d’interrogations sans réponses argumentées, comme très souvent chez les complotistes-révoltistes qui, à l’exemple de la CREI et son renversement de la charge de la preuve, s’affranchissent de l’administration de celle-ci ! Pourquoi soudainement ces animaux sauvages transmettraient-ils ce virus, se demande-t-il ? Il ne s’est pas au préalable questionné sur la nouvelle responsabilité humaine dans le transfert des nouveaux virus de l’animal à l’homme (les « zoonoses »), à cause des effets destructeurs de l’activité humaine sur la biodiversité. Il n’a pas non plus pris la précaution de consulter l’histoire des pandémies : ces dernières existent depuis la nuit des temps, c’est-à-dire depuis la sédentarisation des hommes et à travers leurs voies de commerce.
Comme tout complotiste qui se respecte, il faut un bouc émissaire. Pendant le moyen-âge, lors de la peste noire entre 75 000 000 à 200 000 000 de décès et avec la décimation de plus de la moitié de la population européenne, les juifs étaient suspectés d’avoir empoisonné les puits. Beaucoup d’entre eux furent massacrés par des populations hystériques. Le « complotiste-révoltiste » au Sénégal est conditionné par son anti-impérialisme et son obsessionnel complot mondialiste. Il appartient à la confrérie d’extrême gauche, parfois divisée entre les soixante-huitards rangés derrière Macky Sall et la nouvelle génération opposée au chef de l’Etat sénégalais. A la toute fin d’une interview-audio, Guy Marius Sagna assimila sans détour le dispositif français Aphro-Cov à un G5 Cobaye. Il finit par plaider en faveur d’un nouveau partenariat avec Cuba, la Chine et le Venezuela, étrangement trois pays d’obédience communiste, à l’opposé de la France. Le « complotiste-révoltiste » reçoit le soutien des intellectuels africains et celui de nombreux afro-européens dont il y aurait tant à dire sur leur positionnement confus entre l’instrumentalisation de l’Etat français et leur rattachement à un imaginaire africain.
Au Sénégal, les « complotistes-révoltistes » ont une audience au-delà de leurs membres. Ils exploitent la fragilité psychique de tous face à la crainte de la mort. Ils intègrent dans leur stratégie les paramètres socio-culturels favorables à la diffusion de leurs thèses. Comme la culture du complot étatique. L’histoire politique du Sénégal commença par un complot dont la France joua un rôle important contre le président du Conseil Mamadou Dia. D’ailleurs, cette figure de proue d’un socialisme auto-gestionnaire, inspire les « complotistes-révoltistes » d’aujourd’hui. Les complots plus contemporains contre les deux K ne font que renforcer l’idée d’un Etat suspect, marionnettiste et secret. L’échec du développement du Sénégal depuis 60 ans a aussi fini par installer la défiance et le désespoir du peuple vis-à-vis de l’Etat.
L’idée de l’extermination de l’Afrique par les vaccins, quant à elle, par la voie d’injection ou de produits occidentaux importés ou de masques, se répand comme une traînée de poudre depuis quelques jours. C’est une réalité socio-culturelle où la peur de l’empoisonnement se retrouve dans de nombreuses sociétés africaines. Le médecin de l’ancien président du Bénin avait été accusé d’une tentative d’empoisonnement sur la personne du chef de l’Etat Boni Yayi. A cela vous ajoutez les propos méprisants tenus par Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron sur la démographie africaine et le taux de fécondité des femmes africaines. Et vous obtenez un cocktail irréaliste de plusieurs faits distincts à l’origine mais reliés entre eux par les complotistes.
Voyons dans une dernière partie le rapport entre le réel et l’irréel ! Comment ne pas tomber dès lors dans le piège de la mise en scène du complotiste ? Mêlées dans de nombreuses exclusivités qu’il prétend détenir, il vous glisse une ou des infox dans son raisonnement. C’est le cas d’un analyste stratégique congolais qui accuse les Etats-Unis d’Amérique en produisant une fausse déclaration du Pr Didier Raoult.
En réalité, comme Jean Piaget le prophétisait, seule l’intelligence devient notre dernier recours quand nous ne savons pas comment faire face à une situation. Lorsque le réel est complexe, la communication des différents acteurs-gestionnaires d’une crise doit être plus simple et mesurée. Le format rapide et exclusif des chaines d’info en continu est un piège à éviter, surtout pour les non-experts de la com’ ! Pour les gouvernants, la transparence est préconisée. Pour les journalistes, il faut inlassablement enquêter pour ne pas laisser le terrain aux complotistes. Toutes les sources d’informations doivent faire l’objet d’une vérification minutieuse. Je m’étonne que Pape Alé Niang ait rapporté à sa communauté d’auditeurs un fait à l’état brut : selon un agent de l’AIBD, il faudrait regarder du côté de l’aéroport LSS qui accueillerait des vols militaires et qui, à cette occasion, pourrait voir débarquer des vaccins au Sénégal. Bien sûr que cette information mérite de faire l’objet d’une enquête ! Mais est-il raisonnable de la partager à l’état brut sans preuve à l’opinion publique dans un contexte de peur ?
Nous sommes également tous responsables en tant qu’internautes et récepteurs des thèses complotistes. Il s’impose de faire le tri entre les véritables et fausses informations. La tâche n’est pas aisée ! Mais faisons preuve de bon sens ! Dans la thèse complotiste du congolais, cet analyste prétendait que les Américains comptaient moins de morts que les Européens tandis qu’ils avaient plus de patients déclarés positifs. Etrange, concluait-il ! Aujourd’hui, cette thèse tombe à l’eau et s’avère même indécente. Faisons preuve aussi d’un minimum de cohérence avec nous-mêmes ! Ils vous arrivent de visionner des vidéos de blancs qui vous confortent dans la supposée extermination des Africains par les Occidentaux. Vous les croyez parce qu’ils sont blancs ? Alors que, sur l’affaire des vaccins, vous accusez les blancs de vouloir vous empoisonner ? Pourquoi porter plus de crédit à des inconnus blancs ?
Je terminerai par une célèbre citation de Pascal qui s’applique si bien au Covid-19 et au besoin d’être tous unis face à cette épreuve et de mettre notre pensée au service de l’humanité : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goute d’eau, suffit pour le tuer (…). Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever (…). Travaillons donc à bien penser ». En France, travaillons aussi notre pensée et notre éducation pour cesser nos erreurs et nos fautes inexcusables envers l’Afrique sinon il ne faudra pas se plaindre de la propagation des thèses complotistes contre ce pays !
MBAS mu dërkiis, ñàkk teggin tey jur tiiñalante ci biir réew mi ak ci bitim réew….
Naka la doomi Afrig yi war a taxawe ? Céy mbas mee gudd tànk, moom mi fàqe Penku, ca Wuhan, ca Siin, ca Asi, sóobu ci Afrig, ba ci Géeju Atlantig, daanu ci fii ci Ndakaaru (dëkk raw) ; ci Tànk (Wakaam, Ngor, Yoof) fekk ñu fi ! Balaa moo agsi, wëndéelu na, jaar Ërop, jaar Amerig ! Kon boog dab nañu, yëngal na jamono, yëngal àdduna wërngël képp, wërngël këpp, wërngël këtt.
Li bees
Moonte ku xam jaar-jaari taarixu nit, xam ne du guléet musiba ak balaa xëppu ci gox, dëkk, réew, mbaa pàcc ci dunyaa. Li bees kay, moo di mbir mi ni mu gaawe, bette ak law ; dëgg la, li ko waral moodi dem ak dikk bu gaaw te bare ci àddina, yéenekaay yu bées te ratax. Ak covid 19 tiitànge ak njàqare bare na, ñi faatu wax i nopp, moo xam góor, moo xam jigé. Mbas mii bàyyiwul ndaw te yab na mag, waxatumaak màggat. Ma nga doore Siin, faat fa ñu bare ; dàqe ji Tubaab yi Ërob ak Amerig, Naar yi yuuxu, sarxolle, mu mujj, dabsi nit ñu ñuul ñi, fii ci Afrig, fii ci Senegaal. Moone de doomi-Senegaal yi demoonañ ba yaakaar ni dañoo tul, mbaa Yàlla ñoom rekk la bëgg.
Li yëngu, li ko yëngal…
Li jaaxaal ñépp, boroom xam-xam yi, doktoor yi, fajkat yi ak njiiti réew yi, mooy mbas mi kenn xamul li ko sabab. Mbaa du gëstukat yu waane ñoo ko rëccal walla lu ñu sos la, te tey ko, walla ndax bëre ay ponkal la ci politig, walla koom-koom ? Xey-na dina mës a leer bés.
Li yëngu daal, li ko yëngal moo ko ëpp doole. Li ko yëngal nag, ndax ci njugub la jóge, mbaa meneen mala mu ñu doon jaay ca marse ? Koronaawiris ndax daa mel ni fel, mbaa teeñ, mbaa saxayaay ? Doom bi, ci saxayaay lay dund walla ci xobu-garab ?
Xam-xamu seetantal dina ko mës a leeral. Li wóor mooy dugg na ci yaramu nit, di wàllaate, indaale yaram wu tàng ak sëqat su bon, dënn bu fatt ak bakkan buy xelli ak biir buy metti.
War nañoo xeex jàngoro ji, bëmëx ko ci biti. Réew yépp loolu la ñuy jéem.
Ñenn ni teel a fagaru, mel niki Siin, dem nañ ba bëmëx mbas mi ; ñi yéex a jóg, sàggan mel ni Itaali, Espaañ, Farãas, Amerig, waaru nañu, metti na lool ci ñoom, ña fa dëkk, juddoo fa, màgge fa, di fa tedd, ak ña fa ganesi mbaa wutsi wërsëg.
Pexeyeek jumtukaay yi
Bi mbir nee faax, yenn réew yi mel ni Siin jiital xam-xam, xel ak caytu. Naka noonu dañuy ber ñi jàngoro ji laal, def ay lël, door di seet garab yu mën a indi tan.
Ci réew yu bare, am na ñu seen xel dem ci xam-xami Maam ya ak diine, ñu dem sax ba ni njaaxum yiy gën di bare ci àddina ñoo tax Yàlla mere ñu, delluwaat di cawe, ngir ñu dellu ci dénkaane yi mu jaaraale woon ci Yonent yi.
Jar na nu jàng, jàngaat, sóobu ci, tanq ci woyu Sëriñ Musaa Ka, Xarnu bi, xarnu bi ñu génn (XXel), moom bàyyiwul koom, aada, diine, mbaax ak xarbaax, tarixa, yoonu mucc, texe. Moonte war nañu fàttali, mbaa xamle ni, sunu Maam ya, waa Këmit, Misra, Esipt, ñoo jëkk a bind ci dund ak dee ; mbégte ak naqar.
Fii ci Senegaal
Ci sunum réew, ki ko jiite, toog ci jal bi, Parsidã Maki Sàll, woote na waxtaan ak njiiti làngi polotig ak mbootaay yi ànd ak jamono yiy aar liggéeykat yi, waxtaan ak dippite yi, ndawi réew mi ngir am lu mu yokk ci li mu xalaat ci bëre ak mbas mi. Ku ne def nga li la sa xel, xol, yaram, kàttan, mën-mën, pexe, gafaka may.
Gëstukat yi, fajkat yi, def nañu seen keem-kàttan, ba mbir mi am fu mu yem, jéggeegul dayo.
Bi mu agsee ba am fi weer, ñu gis ne laal na 195 nit, 40 % yi dañoo indaale doomu mbas mi, dugal ko ci réew mi , 56 % dañu leen ko wàll, 4 % xamuñu fu mu ak naka la leen dabe. Loolu tax na, ñu war a gën a fagaru doonte xamuñu fépp fu mbas mi di jóge ; lii tamit la Porofesëer Musaa Seydi miy jiite xéex bi ci xam-xamu settantal ak paj denkaane.
Ñi koy jàppale ci caytu gi ak jumtukaay yi, doktoor Ablaay Buso, Alfa Sàll ak Mamadu Jara Béey dalal nañu xel yi, joxewaale ay ndénkaane yu ñu mën a may ñu mucc ci. Dëgg la, am na doomi réew ñu ci jot a faatu, am ci ku doon ku am tur, fulla ak faayda ci réew mi ak ci bitim-réew, mu di Paap Mabaaba Juuf, ku ñu ràññe ci xam-xamu tàggat yaram, ak ci gunge xale yi ci futbal, dem ba jiite ekibu Màrsey, ca Farãas.
Ëllëgu jàmm, tinkeeku ak tabaxaat
Li am ba des moo di sàggan baaxul, wér-gi-yaram, jàng ak xam-xam war nañu leen sédd bu baax a baax. Ñu dellusi ci li mag ñu baax ñi dénkaane woon, fexe ba liy génn ci pénc yi ak lël yu bare yi nuy amal, nu def leeni jëf. Su boobaa luñu bett, ñu dékku ko, ci lu gaaw. Dëkk ci fàtte, gàtt xel ak réccu ñoo ànd.
Gëstukat yi am nañu sas bu réy, war nañu gën di waxtaan ci seen biir, di wax ak ñiy jiite ci yeneen fànn.
Mbokk yi, at mii, nar na gudd tànk lool !Mu ngi mel na fasu benn tànk « rëkkal mba ma rëkk», nitu guddi ! Njuuma jaa ngook ! Am na ñu mu jaafurloo, mel ni Tubaab yiy wax nañu gaaw wuti garab, ñakk bu bees, jéemantu ko ci nit ñu ñuul ñi. Taat wuy tàkk moom kenn mënu ko solal tubey, kërandoom du set.
Doomi réew mi, doomi àddina, jaaxle nañu ! Ku moytuwul nag tam sa moroom dëmm, tam sa mbokk nóoxoor
Lu mën a dindi jaaxle ?
Xana daal ñu dal, gën a njàccaar, yokk caytu gi, jàppoo ci fagaru gi, paj mi. Nu jeexal ci seetlu bi : réew yi ci muccagum as tuut, ci Afrig mel ni Lësotoo, Komoor, Malawi, Sudaan, Sawo Tome bokk nañu ci yi duggagul, mbaa yi sore xëccoo ak buuxante yu metti ci biir àddina. Kon boog nanu gaaw ci teggi tànk ci benn yoon, teg tànk bu bees, bu gën, te àndandoo jublu ci tabax Bennoo Afrig ci Mbokk.
Nañu Taxaw Temm, am Pasteef, tegu ci Yoonu Askan Wi, Déggoo ngir Bokk, Bëre, Daan.
*Baabakar JÓOB Buuba, Njiitu Mbootaayu Doomi Afirig yiy yëngatu ci Liifant ak Njàngum mag ñi, PAALAE (Pan African Association for Literacy and Adult Education) te nekkoon njiitu An@fa di bànqaasu PAALAE fii ci Senegaal
par Abdoulaye Bathily
LA CRISE DU COVID 19: LA FIN D’ UNE AUTRE HISTOIRE ?
L’entrée de cet infiniment petit qui fait l’effet de l’éléphant dans le magasin de porcelaine planétaire invite à la redéfinition des paradigmes d’une autre civilisation humaine fondée sur la solidarité
La pandémie du Covid 19 a pris les proportions d’un phénomène sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Jamais une crise sanitaire ne s’est propagée avec une telle violence affectant non pas un pays, une région mais tous les continents. Fukuyama avait-il parle trop tôt?
Les conséquences de cette tragédie montrent la vanité du triomphe du néolibéralisme arrogant, les plaies béantes des modes de gouvernance à l’échelle globale et nationale, les artifices des taux de croissance et d’émergence qui laissent en rade l’humain.L’entrée de cet infiniment petit qui fait l’effet de l’éléphant dans le magasin de porcelaine planétaire invite à la redéfinition des paradigmes d’une autre civilisation humaine fondée sur la solidarité.
Nous ferions fausse route en réduisant cette tâche nouvelle à un simple effacement ou à une réduction de dettes…il est question plutôt de réviser fondamentalement les conditions et finalités de la dette. Bâtir un système de relations politiques économiques et sociales plus juste. Du Business as usual nous exposera à une plus grande catastrophe à l’avenir.
Il faut en finir avec cette Histoire aussi pour une autre Histoire plus belle à la dimension de tout l’humain dont le Covid 19 a illustré l’identité fondamentale face à la stupidité des discours racistes, xénophobes et « exclusivistes » de tout acabit.