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5 mai 2025
Opinions
PAR MARCEAU SIVIEUDE
L’INQUIÉTANT BILAN DES DROITS HUMAINS SE CONFIRME
Des manifestants ont été arrêtés simplement pour avoir exercé leurs droits également au Bénin, au Sénégal, en Mauritanie, pays qui ont connu des élections en 2019
La région a connu en 2019 certaines avancées en matière de protection des droits humains. Mais les préoccupations ont été nombreuses liées aux conflits, au rétrécissement de l’espace des libertés – particulièrement dans des contextes électoraux, et aux inégalités. Le rapport annuel Afrique pour 2019 d’Amnesty international éclaire ces tendances, toujours présentes cette année, et qui sont confirmées dans le contexte de la lutte contre le COVID-19.Si la situation des droits humains en 2019 a été contrastée suivant les pays de la région, des avancées ont été notées malgré un bilan d’ensemble plutôt inquiétant. La mobilisation de la société civile dans la rue, des médias traditionnels et des réseaux sociaux, a contribué à ces éclaircies importantes.
Des pays se sont ainsi penchés sur des crimes du passé pour répondre aux droits des victimes à la vérité et à la justice. En Gambie, l’année a été ponctuée par les séances de la Commission vérité, réconciliation et réparations, éclairant les heures sombres du régime de Jammeh.
En République centrafricaine (RCA), la Cour pénale spéciale a démarré ses enquêtes sur les crimes les plus graves dans ce pays en proie aux conflits depuis près de vingt ans. De la Mauritanie au Cameroun, des défenseurs des droits humains, bloggeurs et activistes politiques arbitrairement détenus ont été libérés.
Des peines de mort ont été commuées en Gambie, au Niger et au Ghana. Des politiques ont été mises en place pour la protection des droits des femmes comme au Burkina Faso où le gouvernement s’est engagé à lever de nombreux obstacles pour permettre aux femmes d’accéder aux services en matière de santé sexuelle et reproductive.
Plusieurs pays soumis à l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies se sont engagés à prendre des mesures concrètes pour la protection des droits humains. Des engagements dont la mise en œuvre sera cruciale compte tenu des nombreuses préoccupations.
Conflits et impunité
L’Afrique de l’Ouest et du Centre a été déchirée en 2019 par des conflits et crises qui ont maintenu des pans entiers de la population dans une grande insécurité. Des groupes armés ont continué de commettre des exactions contre les populations civiles au Sahel, autour du Lac Tchad, en RCA. Les attaques contre les villages, les meurtres - y compris d’enfants, les violences sexuelles, les enlèvements, les pillages ont fait l’actualité macabre quasi-quotidienne de cette année. Des violations des droits humains qui pour certaines pourraient être qualifiées de crimes de guerre ou de crime contre l’humanité. Les forces armées qui luttent contre les groupes armés se sont également rendus responsables d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture ou encore de destruction de logements.
L’action des groupes armés, l’absence de l’Etat dans certaines zones et le changement climatique ont fait partie des éléments qui ont attisé des violences intercommunautaires, souvent entre éleveurs et agriculteurs, notamment au Mali, au Burkina Faso, au Tchad ou au Nigeria.
L’impunité qui nourrit ces conflits et violences est demeurée la règle. Les procédures judiciaires ouvertes au Mali et au Burkina Faso ont peiné à avancer. La commémoration en Guinée des 10 ans du massacre du 28 septembre 2009 au cours duquel plus de 150 manifestants ont été tués et plus d’une centaine de femmes ont subi des viols et autres violences sexuelles, s’est faite sans procès.
L’insécurité a forcé un nombre toujours plus grand de personnes à se déplacer dans des conditions difficiles. Fin 2019, plus de 200 000 personnes étaient déplacées au Mali. Un demi-million au Burkina Faso. Encore plus en RCA et au Cameroun. Des centaines de milliers de jeunes étaient privés de scolarisation, véritable ombre pour l’avenir des pays concernés.
Rétrécissement de l’espace des libertés
L’année 2019 s’est également caractérisée dans la région par la confirmation de la tendance d’un rétrécissement de l’espace des libertés. Une tendance particulièrement forte dans les pays qui ont connu ou allaient connaitre des processus électoraux où les tensions politiques ont mené les autorités à étouffer les voix critiques. Au nom de la sécurité, des lois liberticides ont par exemple été adoptées en Guinée et au Togo, deux pays qui se préparaient à des élections législatives et/ou présidentielles. Des manifestations ont été interdites dans plusieurs pays,plus de vingt en Guinée. Les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force contre des manifestants prodémocratie, anti-corruption ou en faveur des droits économiques et sociaux.
Plus de 17 manifestants sont morts en Guinée, d’autres au Benin. Des centaines de personnes qui contestaient la réélection du président Paul Biya pour un 7eme mandat ont été arrêtées au Cameroun et poursuivies par des tribunaux militaires. Des manifestants ont été arrêtés simplement pour avoir exercé leurs droits également au Bénin, au Sénégal, en Mauritanie, pays qui ont connu des élections en 2019. De la Côte d’Ivoire à la Guinée Equatoriale, des défenseurs des droits humains, journalistes, bloggeurs, activistes politiques ont encore payé cher le prix de leur liberté d’expression, subissant des menaces, arrestations arbitraires et harcèlements judiciaires.
Inégalités et discriminations
Dans ce contexte particulièrement troublé, de fortes discriminations et inégalités ont persisté dans la région. Les femmes ont continué de faire l’objet de discriminations et de violences, de mariages forcés et de violations de leurs droits sexuels et reproductifs. Les personnes LGBTI ont été victimes de stigmatisation. Les actes sexuels consentis entre personnes du même sexe sont demeurés pénalement repréhensibles dans de nombreux pays et passibles de la peine de mort comme au Nigeria et en Mauritanie. Les violations du droit à un logement ou à un niveau de vie décents sont demeurées des préoccupations majeures en dépit des bons scores économiques de certains pays ou du fait des politiques d’austérité dans d’autres comme au Tchad ou au Congo.
2020 sur le même chemin ?
Ces tendances relevées par Amnesty International en 2019 se confirment en ce début d’année. Les conflits ou crises sont toujours aussi vifs comme au Cameroun anglophone, dans la région du Lac Tchad ou au Sahel où les groupes armés commettent leurs exactions sur des territoires toujours plus grands et menacent les pays côtiers. Des forces armées continuent d’être responsables degraves violations des droits humains. Des violations des libertés d’expression et d’association ont lieu dans de nombreux pays qui ont connu des élections ou qui vont en connaitre comme au Togo, en Guinée, au Cameroun et en Côte d’Ivoire.
La pandémie du COVID-19 qui se répand dans la région, y compris dans des zones de conflit, fait craindre le pire compte tenu de la faiblesse du secteur de la santé dans de nombreux pays et des fortes inégalités dans l’accès au soin. L’utilisation excessive de la force et des arrestations arbitraires ont été constatés dans le contexte de la lutte contre la pandémie. Pourtant, dans la région comme dans le reste du monde, la vulnérabilité de chacun face au virus devrait démontrer l’importance des droits de tous qui font l’humanité.
Par Marceau Sivieude, directeur régional adjoint pour Amnesty
International en Afrique de l’Ouest et du Centre
Par Hakim Ben Hammouda:
LE COVID-19 ET LES POLITIQUES ECONOMIQUES DU MONDE D’APRES
L a pandémie Covid-19 constitue probablement l’une des plus graves crises sanitaire, économique et sociale que l’Humanité a eu à traverser par temps de paix.
L a pandémie Covid-19 constitue probablement l’une des plus graves crises sanitaire, économique et sociale que l’Humanité a eu à traverser par temps de paix. Parallèlement aux efforts sans précédent pour maîtriser la propagation du virus et pour gérer les effets sanitaires de la crise à travers des politiques strictes de confinement et de distanciation sociale, la plupart des pays ont accompagné ces mesures par des politiques économiques d’une vigueur sans précédent dans l’histoire.
Tout en luttant contre la pandémie et ses effets dévastateurs sur l’humain, ces politiques économiques cherchent à empêcher sa transformation en une crise économique qui serait plus grave que la grande dépression de 1929. Et, si les interventions dans le domaine de la santé publique et de la prise en compte des aspects sociaux préfigurent le monde à venir, les politiques économiques déployées annoncent les grandes orientations de l’action publique pour le secteur économique du monde d’après. Il est certes prématuré de parler des grands choix de politique économique à venir, mais nous souhaitons en brosser les grands traits.
L’examen des choix de politique économique dans le monde en ces temps de Covid-19 nous a permis de retenir cinq grandes caractéristiques.
1. La plus importante est le retour fracassant de l’Etat. Un Etat que les héritiers de Friedman, le maître de Chicago, avait précipitamment enterré dans une contre-révolution néo-libérale au début des années 1980 et qui rassemblait à une revanche sur Keynes, le maître de Cambridge, après une longue traversée du désert du néo-libéralisme. Certes, cette version hard du néo-libéralisme et de la fin de l’Etat n’a pas résisté aux récessions et aux turbulences que la globalisation avait ouvert et le marché n’a pas réussi à maitriser les incertitudes et les dérives d’un capitalisme sauvage libéré des contraintes éthiques et politiques des sociétés de la solidarité. La hache de guerre fut alors enterrée entre les héritiers des maîtres de Chicago et de Cambridge. Le néo-libéralisme a évolué alors vers une version soft de la victoire du marché sur l’Etat.
Désormais, la nouvelle synthèse entre les néo-keynésiens et les nouveaux classiques qui va régner en doxa dans le champ économique au cours des années 1990 et 2000 va développer une nouvelle vision de l’Etat et limiter son intervention à la régulation de l’ordre marchand et à la correction des imperfections du marché. Et, on a traversé la fin du siècle et le début de ce siècle avec cette douce certitude de la fin des grands dogmes de la modernité et l’avènement des petits plaisirs de la postmodernité joyeuse. On n’était pas peu fiers d’avoir érigé un nouveau monde débarrassé des contraintes du monde d’avant et de ce poids excessif de l’Etat pour retrouver les libertés enchantées de l’individu dans un monde globalisé et sur une toile et des réseaux sociaux affranchis des frontières du monde physique. Mais, cette utopie n’aura duré qu’un temps et le réveil a été difficile déjà au lendemain de la grande crise financière de 2008. Il fallait parer au plus pressé et le retour de l’Etat a été massif pour sauver un capitalisme au bord du gouffre. Mais, une fois le sauvetage des grandes banques et des grandes institutions financières assuré, on est revenu à nos vieilles certitudes libertaires sur la fin de l’Etat. Mais, avec le Covid-19 le réveil a été encore plus effrayant. C’est l’humain qui est en danger et nous ne sommes pas en mesure de faire face à ce virus en dépit des grands progrès de la science et des avancées de la médecine. Dans ce paysage global de désolation nous avons appelé l’Etat à la rescousse et désormais il sera au cœur des dynamiques économiques dans le monde d’après.
2. Parallèlement à ce retour de l’Etat, l’autre revenant dans les politiques publiques depuis l’éclatement de la crise du Covid-19 est le social. Nous l’avions totalement oublié tellement nous étions obnubilés par la certitude que l’homme moderne maitrise le monde et plie la nature selon sa volonté. Le social vient de se rappeler à notre bon souvenir au moment de cette crise et de prendre sa revanche sur sa marginalisation depuis des décennies.
Le modèle de l’Etat-providence a prévalu dans les pays développés mais aussi dans un grand nombre de pays en développement après la vague des indépendances. Un modèle qui permettait à l’Etat de prendre en charge l’effort de solidarité sociale entre couches sociales et générations. Mais, aussi cette solidarité s’est accompagnée d’un investissement important dans les secteurs sociaux, particulièrement dans l’éducation et la santé. L’école et l’hôpital sont devenus les porte-drapeaux des républiques modernes à travers le monde et l’expression universelle du contrat social et de l’ouverture des sociétés démocratiques. Or, ce contrat va s’effriter au début des années 1980 sous les coupes sombres effectuées par les réformes néo-libérales et la fin de l’Etat-providence dû à la défaite des sociaux-démocrates face à un retour en force d’une droite dure, décomplexée et déterminée à en finir avec la solidarité. Désormais l’impératif de stabilisation des finances publiques et la lutte contre les déficits vont conduire les choix de politique économique. Les secteurs sociaux seront les premières cibles d’un pragmatisme technocratique à la mode pendant plus de trois décennies. La longue agonie de l’école publique et de l’hôpital vont alors commencer et se poursuivre devant des populations impuissantes face à la montée des inégalités et à la marginalité. Cette crise sans précédent nous rappelle nos erreurs passées et nous ramène à la raison pour mettre dorénavant le social au cœur de notre nouveau projet politique démocratique.
3. La troisième caractéristique des grands choix de politiques économiques pour faire face à cette crise majeure concerne la sortie des réponses classiques et l’entrée dans l’ère des politiques non conventionnelles. Jusqu’à cette crise, nous nous baignons dans l’ère de la neutralité des politiques économiques. Un dogme que la contre-révolution néo-libérale a fait régner en référence ultime dans le champ des politiques économiques. Cette thèse a dominé le champ économique et les héritiers du maître de Cambridge, Milton Friedman, se sont rappelés au bon souvenir d’un article oublié dans l’histoire de la réflexion économique et qui date de 1961 écrit par John Muth sur les anticipations rationnelles(1). Ce texte a été à l’origine de la construction post-moderne du mythe de l’individu ou de l’agent économique, pour reprendre la terminologie des économistes, rationnel et qui dispose d’une information totale et parfaite sur l’ensemble de l’environnement économique. Cet agent pouvait lire et analyser les subterfuges de l’action publique et les déjouer.
Ce super héros de la globalisation, l’individu armé d’une rationalité sans limites est en mesure de prédire les effets des interventions de l’Etat, un acteur totalement affaibli et incriminé de tous les maux, et de les prévenir. Du coup, l’Etat a été dépossédé des instruments de politique économique et appelé à la plus grande neutralité dans le champ économique et à assister impuissant aux turpitudes de la globalisation. Or, la multiplication des crises et particulièrement celle de 2008 a été à l’origine d’une sortie de cette neutralité et d’un retour aux politiques économiques actives.
Ainsi, a-t-on vu renaître de leurs cendres les politiques budgétaires de relance et les politiques monétaires expansionnistes. On a retrouvé l’enchantement des politiques économiques non-conventionnelles et la richesse de l’action publique dans le domaine économique. Mais, ces politiques non-conventionnelles n’ont pas eu la vigueur attendue et les pressions ont été fortes pour sortir des politiques actives et normaliser le champ des politiques économiques. Or, la crise vient de raviver avec une puissance sans précédent le retour aux politiques économiques non-conventionnelles ou hétérodoxes et sortir définitivement du dogme de la neutralité érigée en croyance par la contre-révolution néo-libérale. 4. La quatrième caractéristique des politiques économiques mises en œuvre pour combattre le virus Covid-19 et empêcher sa transformation en une grave crise économique concerne la mobilisation de tous les instruments et de tous les outils.
C’est la totalité de l’arsenal des politiques économiques qui est mis à participation : des politiques budgétaires, aux politiques monétaires en passant par les politiques fiscales. Il s’agit d’une rupture majeure dans la tradition des politiques économiques dans la mesure où l’ensemble de ces outils ont été déclassés par le passé laissant la place aux politiques monétaires pour agir sur les turpitudes du monde économique.
Et, comme la confiance des technocrates dans la démocratie et le monde politique n’est pas à son comble, on a institué l’indépendance des banques centrales comme une garantie face aux envies d’un monde meilleur des laissés pour compte. Incroyable situation où l’Etat, sous la pression d’un néo-libéralisme à la mode, s’est progressivement délesté de tous ces outils pour agir sur la sphère économique pour assister impuissant à la montée du dogme de la stabilité érigée en objectif ultime du fonctionnement des économies.
La crise du Covid-19 aujourd’hui nous permet de reprendre possession de tous les outils de la politique économique et de retrouver notre capacité d’action collective pour faire face à l’incertitude et aux angoisses du monde d’après. 5. La dernière caractéristique des choix mis en place aujourd’hui est la volonté de se libérer des contraintes que nous nous sommes mis pour empêcher notre action collective et le dynamisme des politiques publiques.
En effet, comme si ce changement de cap et cette révolution néo-libérale n’étaient pas suffisants, on les a renforcés par des mesures et des contraintes pour empêcher l’action collective et faire triompher la résignation. Une situation kafkaïenne où les humains se sont délestés des outils d’action collective et ont favorisé une démission collective face à l’incertain et aux grognes du monde et de nature. Cette situation intellectuelle ferait se retourner dans leurs tombes les philosophes des Lumières et de la modernité qui ont cherché à nous libérer de la domination d’un autre qui nous est extérieur et pour faire de la raison, de la science et de l’action collective les moyens de notre maitrise du monde et de la nature. Ainsi, l’industrie intellectuelle de l’invention des contraintes a connu un développement sans précédent au cours des années 1990 et 2000. En 1992, les pays de l’Union européenne ont mis en place le pacte de stabilité ou l’accord de Maastricht qui a réduit à 3% les déficits publics et limiter ainsi la marge d’action des politiques publiques. On a eu également toute la littérature sur les règles d’or qui ont cherché à imposer l’équilibre des comptes publics dans les constitutions.
Et, tout récemment on a assisté à un renforcement des critères de Bâle et des normes de risque des banques qui ont été appliqués de manière uniforme à toutes les banques quelques soient leurs importances et à tous les pays en dépit des différences de contexte. Certes, nous avons cherché à nous libérer de ces contraintes lors de la grande crise financière de 2008 pour permettre aux Etats de sauver le système capitaliste et les grandes institutions financières. Mais, il s’agissait d’une libération honteuse et les règles, les normes et les contraintes à l’action collective ont rapidement repris leur domination comme si de rien n’était. Or, la crise du Covid-19 a ouvert un horizon nouveau aux politiques publiques en favorisant une sortie des contraintes que nous nous sommes empressés à mettre en place pour empêcher notre action et assister de manière joyeuse à notre défaite collective. Les politiques mises en place pour faire face au Covid-19 à travers le monde opèrent une rupture majeure dans le village jusque-là heureux des économistes. Il s’agit du retour de la volonté de l’action collective à travers un retour de l’Etat et la sortie de la démission collective en ressuscitant les outils de la politique économique et en nous invitant à faire du vivre ensemble et du contrat social les fondements de nos démocraties. Nous avons appelé à cette rupture au lendemain de la crise de 2008(2). La crise du Covid-19 fait de cette rupture une urgence absolue.
HAKIM BEN HAMMOUDA
ECONOMISTE ET ANCIEN MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES DE TUNISIE
1. John F. Muth, Rational expectations and the rational of price movements, Econometrica, 1961
2. Hakim Ben Hammouda, Nassim Oulmane et Mustapha Sadni-Jallab, Crise... et naufrage des économistes ?, Editions De Boeck, 2010
L' ARCHITECTE KADIDJA DUPARC VALIDE LE « SMART » MADE IN AFRICA
Aussi, urbanistes et architectes s’attellent à définir de nouveaux modèles de vie dans la cité, à l'instar de Kadidja Duparc qui revient pour La Tribune Afrique sur les grands enjeux d'un continent en pleine recherche d'identité urbaine.
D'ici 2100, le continent comptera près de 40 % de la population mondiale, dont une majorité de néo-citadins. Aussi, urbanistes et architectes s’attellent à définir de nouveaux modèles de vie dans la cité, à l'instar de Kadidja Duparc qui revient pour La Tribune Afrique sur les grands enjeux d'un continent en pleine recherche d'identité urbaine.
La Tribune Affique - De quelle manière votre parcours vous a-t-il conduit à gérer un cabinet d'architecture en Côte d'Ivoire ?
Kadidja Duparc - Je suis diplômée de l'école d'architecture et de paysage de Bordeaux (ENSAP) et j'ai suivi un cursus dans la communication en parallèle. Je suis rentrée en Côte d'Ivoire en 2002, peu avant la crise politico-militaire qui a secoué le pays. A cette époque, l'architecture n'était pratiquement qu'un « concept », car il n'existait qu'un ou deux cabinets qui fonctionnaient bon an mal an, avec un ordre quasi inexistant. Pendant quelques années, j'ai cumulé des fonctions dans l'architecture et dans la communication. Je suis d'ailleurs rentrée en Côte d'Ivoire après avoir trouvé un emploi à Abidjan, comme Responsable du département Marketing et communication de Canal+ [...] En 2004, j'ai racheté les parts d'un cabinet de maîtrise d'ouvrage avec mon mari, lui aussi architecte. En 2011, après la guerre civile, cette structure est devenue Sky Architectes.
A ce jour, que recouvre le périmètre des activités de Skye Architectes ?
Nous sommes capables de mener des projets dans toute la sous-région, même si nous opérons essentiellement en Côte d'Ivoire, en raison des nombreux freins institutionnels que nous rencontrons. Nos métiers sont régis par des ordres qui verrouillent l'arrivée des étrangers dans leur pays, en dépit des efforts de la CEDEAO pour fluidifier la mobilité des architectes. En substance, chacun cherche à protéger son périmètre et nous sommes obligés de nous associer à des acteurs locaux.
Nous avons géré des projets dans l'électrification rurale, construit des sites de production, des hôpitaux, des bureaux, des logements sociaux ou des parcs résidentiels... Nous avons notamment travaillé sur l'usine de Brassivoire [une joint-venture née de l'association entre Heineken et CFAO en Côte d'Ivoire, ndlr] sur une surface de 12.5 hectares, en 2015. Ce chantier a mobilisé 700 ouvriers, une trentaine d'entreprises et 13 nationalités différentes. Les études ont été réalisées en 6 mois avec le cabinet néerlandais Royal HaskoningDHV et les travaux d'une durée de 18 mois ont été achevés un mois avant l'échéance.
Sur quels types de projets travaillez-vous actuellement ?
En ce moment, nous sommes mobilisés sur la construction d'un marché de demi-gros et de détail dans la ville de Yopougon, qui représente la plus dense commune d'Abidjan. Il s'agit d'un projet bioclimatique, doté d'une forte dimension sociale. La mairie a tenu à impliquer les populations locales en amont, notamment les femmes qui représentent la majorité des commerçants que l'on y trouvera. Il comprend un espace garderie pour leurs enfants ainsi qu'une salle d'alphabétisation dont elles pourront bénéficier à l'issue de leur journée de travail. Chaque étape leur a été présentée afin d'optimiser ce projet créé « pour et avec » l'usager. Il s'agit d'un C2D [contrat de désendettement et de développement qui permet de reconvertir la dette en projets, via l'Agence française de développement, ndlr] [...] Le marché sera éclairé et ventilé naturellement grâce à l'utilisation de briques en terre compressée, qui est un matériau local, renouvelable et antibactérien, disposant d'une forte inertie. De plus, le marché bénéficiera de panneaux solaires, le recyclage sera optimisé et l'eau de pluie récupérée. Les travaux devaient initialement démarrer avant les élections présidentielles, mais compte tenu de la crise sanitaire actuelle, ils seront vraisemblablement reportés.
Kadidja Duparc
Skye Architecte réunit des architectes de tous horizons, dont un certain nombre venu du continent africain : est-ce un choix délibéré pour construire une Afrique « par et pour » les Africains ?
Le cabinet regroupe une vingtaine de collaborateurs d'origines ivoirienne, tchadienne, malienne, tunisienne... Nous collaborons également avec des Français ou des Indiens. Il est difficile de trouver des compétences dans la sous-région qui ne dispose pas de structures de formation suffisantes. Par ailleurs, cela reflète notre philosophie, car nous recherchons une forme de mixité culturelle (...) Les villes africaines sont souvent présentées comme «anarchiques». Cela tient beaucoup à la reproduction de schémas urbains européens qui se juxtaposent aux espaces informels -très structurés contrairement aux apparences-, qui ont une véritable fonction sociale en Afrique. Que l'on soit ministre ou artisan, on aura toujours besoin du vendeur de brochettes au coin de la rue, car cela fait partie de nos traditions...
La société civile est-elle suffisamment impliquée dans la façon d'envisager la ville africaine ?
Le plus souvent, l'Etat ne s'adresse qu'à son bureau d'étude, oubliant les urbanistes, les architectes, les associations de quartier, les sociologues et bien sûr la société civile dans son ensemble... Pourtant, les espaces entre le formel et l'informel représentent le lieu où s'organise la mixité sociale et générationnelle dans nos pays et c'est là que l'on y trouve le plus d'innovations, d'où l'intérêt de consulter la société civile en matière de planification urbaine. Nous devons nous ouvrir à l'informel pour l'intégrer au niveau de l'architecture. Cela me semble être la condition sine qua none à la pérennité de nos villes.
Comment faire face à la croissance démographique exponentielle qui menace l'équilibre des cités africaines ?
Le choc démographique représente le principal défi à venir dans les villes africaines, car le continent comptera près de 2.5 milliards d'habitants à l'horizon 2050. Pour absorber cet impact, la transition durable urbaine est impérative. Il existe une infinité d'initiatives vertueuses pour l'environnement, qui ne demandent qu'à être formalisées et déployées. Les solutions existent déjà, il faut juste aller les chercher.
Quel regard portez-vous sur le développement des smart cities souvent présentées comme des solutions idoines à l'urbanisation africaine, mais qui n'en demeurent pas moins coûteuses et parfois éloignées des besoins immédiats ?
Le smart doit être «durable» et répondre aux besoins de nos économies fragiles. Lorsque l'on évoque la smart city en Europe, on imagine des capteurs placés à chaque coin de rue. Je me souviens d'un séminaire sur la ville durable au cours duquel le groupe Bouygues avait présenté un système d'interconnexion mis en place à Montpellier. Un film était projeté où l'on voyait une dame qui laissait tomber un sac-poubelle. Une photo était immédiatement envoyée au service de collecte des ordures qui venait le récupérer 2 heures plus tard. C'était un service qui coûtait 500 000 euros au bas mot. Les bras m'en sont tombés ! En Afrique, il arrive que l'on doive aller chercher les policiers nous-mêmes, car ils n'ont tout simplement pas de véhicule. On pourra prendre autant de photos que l'on voudra, mais personne ne viendra ! Au niveau des systèmes de collecte d'ordures, c'est très récent et ce service ne dessert que les artères principales.
Nous n'avons pas besoin de ce type de solutions ici! Toutefois, il existe des propositions beaucoup plus adaptées et moins coûteuses, nées en Europe ou même en Afrique. Par exemple, au Kenya, il est possible de faire de l'assistance scolaire à distance via des Nokia 3310 ou d'assister des agriculteurs grâce à des applications, disponibles sans dépenser des centaines d'euros dans un smartphone.
Quelles sont les figures de l'architecture moderne qui vous ont inspirée ?
Je dirais Zaha Hadid, une architecte et urbaniste irako-britannique [figure du courant déconstructiviste décédée en 2016, qui a reçu le prestigieux prix Pritzker en 2004, ndlr]. Elle a mené des projets emblématiques à l'échelle internationale. Elle s'est beaucoup battue pour s'imposer comme une architecte reconnue au-delà de sa condition de femme. A titre personnel, j'ai été confrontée à cette réalité qui subsiste en Afrique, renforcée par le paternalisme et le sexisme ambiants. Les stéréotypes ont la peau dure, que ce soit dans les esprits des hommes ou des femmes.
Existe-t-il des approches architecturales différentes entre l'Afrique francophone et anglophone ?
Il existe encore une certaine étanchéité entre les mondes anglophone et francophone, essentiellement liée à l'Histoire. Joe Osae-Addo qui est un architecte ghanéen discret, mais de renommée mondiale, travaille beaucoup sur l'africanisation de nos constructions et promeut de nombreux architectes africains comme le Tanzanien David Adjaye, le Burkinabé Francis Kéré ou encore la Nigérienne Mariam Kamara.
J'ai participé à des réunions de l'Union africaine des architectes et je dois dire qu'en dépit de ce manque de communication, les problématiques sont les mêmes, quelles que soient les géographies linguistiques. Au niveau régional, nous rencontrons souvent les mêmes contraintes, nous sommes dotés d'environnements comparables et nous partageons les mêmes peuples. Je pense donc que de nouveaux usages sous-régionaux sont appelés à se développer dans les années à venir.
par Jean-Baptiste Placca
AUDIO
EMBRYON DE PANAFRICANISME
À l’origine, le 4 avril 1960 marquait l’indépendance de la Fédération du Mali. La liesse populaire, par la suite, devait être un peu teintée de tristesse. Car, pour l’Afrique, cette date rappelle pour toujours une union sans lendemain
Nathanaël Vittrant : À l’origine, le 4 avril 1960 marquait l’indépendance de la Fédération du Mali. La liesse populaire, par la suite, devait être un peu teintée de tristesse. Car, pour l’Afrique, cette date rappelle pour toujours une union sans lendemain. Sur le papier, cette expérience était belle, et aurait pu constituer un embryon de panafricanisme. Comment expliquer qu’elle ait tourné court, si vite ?
Ainsi vont les sincérités. En matière d’alliances politiques, elles sont parfois très fluctuantes. Ici, en l’occurrence, certains intérêts se seraient donné beaucoup de peine pour aider les dirigeants maliens et sénégalais à vivre en permanence dans la méfiance, les uns vis-à-vis des autres. À l’origine, cette Fédération devait compter quatre Etats. Mais, ces mêmes intérêts n’en voulaient pas. La Haute-Volta et le Dahomey, comme par hasard, ont abandonné le navire, laissant Senghor et Mamadou Dia en tête-à-tête avec Modibo Kéita. Et les Maliens n’en percevront que plus nettement ce qu’ils considéraient comme un complexe de supériorité de la part des Sénégalais. On évitera les expressions qui allaient avec…
On imagine que les enjeux sont quand même d’un autre niveau. On parle tout de même de nations !
Il y avait, évidemment, quelques causes plus profondes aux dissensions, même si les uns et les autres feignaient de les ignorer. Ainsi des divergences idéologiques. Les Sénégalais se disaient socio-démocrates, et suspectaient les Maliens d’un marxisme-léninisme encombrant. C’est alors qu’a éclaté l’affaire des directives transmises par Modibo Kéita à un chef d’état-major, malien, en court-circuitant le ministre de la Défense. Puis ce fut l’interminable dialogue de sourds, à propos de nominations et de répartition de postes. Suit la fuite en avant. Modibo Kéita démet Mamadou Dia, vice-président, ministre de la Défense, alter-ego et ami de Léopold Sédar Senghor. Ce dernier, dans un discours d’une rare vivacité, accable Modibo Kéita : « Il est poussé par une ambition folle ! Il a violé les lois ! Et d’ailleurs, il n’a cure de la légalité! Ce qu’on veut, c’est nous coloniser ! Il s’agit, pour nous, de défendre notre indépendance ! Et je suis prêt à mourir pour cela ! »
Le Sénégal, dans la foulée, se retire de la Fédération et proclame son indépendance ; abroge tous les transferts de compétences consentis au gouvernement fédéral. Modibo Kéita, pendant quelques semaines, veut encore croire que l’union survivra. Mais il lui faudra vite se rendre à l’évidence. Le 22 septembre, il proclame, à son tour, l’indépendance du Mali.
Les deux parties croyaient-elles vraiment à cette Fédération ?
Ce sont, exactement, de tels affrontements d’égos et des susceptibilités de ce type qui contrarient, depuis soixante ans, l’union, l’unité de l’Afrique.
Il reste que, longtemps après sa rupture av ec Senghor, Mamadou Dia réhabilitera, de fait, Modibo Kéita, en suggérant, à mots couverts, que la loyauté du poète, vis-à-vis de la Fédération, pouvait avoir été altérée par son autre loyauté : « Il a eu beau chanter la négritude, l’amour de la France, chez Senghor, était très profond. Je crois même qu’il était Français, avant d’être quoi que ce soit d’autre. Avant d’être Sénégalais, avant d’être Africain… »
LA CHRONIQUE HEBDO D'ELGAS
ABDOULAYE DIEDHIOU, LE CANT DU CYGNE
EXCLUSIF SENEPLUS - Disciple intermittent de Béthio Thioune, partisan irréductible de Wade, il se livre sur ce parcours atypique qui éclaire d’un jour nouveau les vies en migration - INVENTAIRE DES IDOLES
Abdoulaye Diédhiou a quitté le Sénégal en 2000 pour poursuivre ses études en France. Il est rentré définitivement en 2019 à Dakar. 20 années de galères, où il a dû affronter la détresse, le dénuement, la solitude, la maladie, le manque du pays. Disciple intermittent de Béthio Thioune, partisan irréductible d’Abdoulaye Wade, comptable de formation, il se livre sur ce parcours atypique qui éclaire d’un jour nouveau les vies en migration, en perpétuelle butte à l’insécurité. Portrait.
Le 11 janvier 1978, l’aspirant à la présidence de la république, Abdoulaye Wade inaugure le dispensaire de Thionck Essyl, commune rurale du Blouf à quelques encablures de Bignona, en Basse-Casamance. L’avocat qui a créé le PDS quatre années plus tôt a équipé, à ses frais, l’établissement dans ce fief historique de la région du sud. La cérémonie est haute en couleurs, les populations enthousiastes et pleines de gratitude. Pour l’homme politique, l’acte n’est sans doute pas gratuit car le village est un des plus importants de la région : les résonnances de son histoire, la résilience de ses habitants et leur attachement à leur terre, font de « Thionck » l’archétype de ces villages précédés par leur réputation. Abdoulaye Wade y gagnera doublement, d’abord la reconnaissance de gens simples pour qui la gratitude est un honneur, mais aussi et surtout un gain de popularité pour étendre l’empire de son ambition présidentielle. Le même jour, dans le centre de soin, naît un garçon. Ses parents ne tergiversent pas longtemps : il s’appellera Abdoulaye, en hommage au bienfaiteur du jour. Le signe est fondateur, et quarante années plus tard, la gratitude est restée filiale entre les deux Abdoulaye. Elle est même devenue amour. Le plus jeune des Abdoulaye, qui a perdu son père entre temps, aime son homonyme à la déraison. Partout, on l’appelle « Laye Wade ». La complicité va même au-delà, le jeune Laye est un militant du PDS, un libéral convaincu, défenseur de ce mentor avec qui il partage plus qu’un prénom : une naissance, et tout simplement un magnétisme spirituel.
La gratitude et l’endurance
En 2019, à plus de 40 ans, l’amour de Laye est resté inaltéré pour le retraité de la présidence. Quand il raconte l’anecdote du « dispensaire », c’est avec une euphorie qui barre son visage d’un rire lumineux. Sur la place de la Bastille à Paris, dans un café où nous nous retrouvons à l’automne, Abdoulaye Diédhiou a les tempes qui grisonnent très timidement. Il est resté frêle, jeune, même si sa démarche un peu raide, voûte légèrement son dos et allonge ses pas rapides. Quelques cheveux blancs, épars, garnissent son crâne rasé. Ses yeux en amande se plissent et scrutent à gauche et à droite. La cigarette entre ses mains, la tasse de cassé pas bien loin. Il porte une petite écharpe légère à pois, une veste en daim caramel, un pull rouge sous lequel dépasse le col d’une chemise blanche. L’homme soigne son look, bon chic bon genre. Cette fois, après des années d’hésitation, son choix est fait, et définitivement. Plus question de se dédire, d’attendre. La France, il en a « marre ». « Non par dégoût du pays », s’empresse-t-il de préciser. Il va rentrer au Sénégal. La raison est on ne peut plus inattaquable : « ma mère me manque », confie-t-il la voix remplie d’émotion. Sur un visage où les moues se suivent, tantôt rieuses, tantôt figées, il perce un point qui dit une douleur indicible. Mais Abdoulaye est un enfant de Thionck, et parmi les valeurs précocement inculquées, il y a l’endurance face à l’épreuve. Les hommes ne pleurent pas. Ils ne se plaignent pas. Ils affrontent la souffrance sans jamais trahir une émotion, pire une faiblesse. Malgré sa maîtrise de ce catéchisme viril, il fend un peu l’armure, tant il est conscient que son parcours a été singulier, et bien rude. La carapace toute imperméable qu’elle paraît, est pleine de fissures sensibles. Entrevoir le bout du tunnel relâche un peu cette vulnérabilité qu’il a tenté de cacher, et que les péripéties de sa vie n’ont cessé d’éprouver.
De Thionck Essyl, éduqué par une mère dévouée, Abdoulaye apprend tous les rudiments de son apprentissage, au cœur de ce village longtemps considéré comme « le plus grand du Sénégal » avant de muer en commune. Le conflit de Casamance éclate quand il est tout petit, au milieu des années 80, et la terre est le bien le plus précieux. Le contexte est singulier. Mais, plus important, à Thionck, on apprend très vite à dire non, à préserver l’essentiel, et à développer l’attachement au village-continent. Le petit Laye y commence l’école et finit son lycée à Sédhiou dans le Pakao. L’élève est bon et volontaire. Après son Bac, il s’inscrit en philo, en 1999 à L’UCAD. Pourquoi la philo ? Abdoulaye aime « la conversation politique, les longs débats, la bataille des idées, la spiritualité » Il a des « questions » et la réputation de la philo est d’en fournir. Bingo. A Dakar, il est très vite séduit par le Mouridisme qu’il découvre et qui le fascine, mais ne le convainc alors pas tout à fait de sauter le pas de l’enrôlement. Il se montre curieux, et grâce à des amis, il découvre un peu plus le fondateur de la confrérie, Cheikh Ahmadou Bamba. Dans la foulée, il se rend à Touba et colle dans sa chambre des posters du guide religieux, qui apparaît alors comme un modèle. Abdoulaye Wade président s’est revendiqué clairement mouride. Abdoulaye Wade Diédhiou pousse-t-il le zèle au point d’en faire autant ? Il plaide la sincérité de l’intérêt.
Le Cant, un lieu de socialisation
Si le mouridisme n’est pas la tradition familiale, et que chez lui on voit plutôt d’un mauvais œil sa nouvelle tentation, son intérêt demeure pour la confrérie pour laquelle il développe une fixation, si ce n’est pas encore de l’allégeance. Le séjour à Dakar est de courte durée, à peine une année. Cap sur la France. En 2000, alors que son homonyme est arrivé au pouvoir, le voilà qui quitte le pays pour la cité rhodanienne. Il s’inscrit cette fois en sociologie, et en parallèle en administration économique et sociale. Au cours d’un parcours incertain, une décennie dissipée par une vie précaire et des changements d’orientation, il fera le choix des études de comptabilité, sur le tard, séduit par la « précision des chiffres ». Les manuels colorés de la discipline le suivent partout, dans ses séjours en bibliothèque. Il est bosseur et appliqué. Mais à Lyon, il retrouve surtout une communauté mouride. Ce qui n’était que velléité auparavant s’entretient alors plus nettement avec la compagnie de disciples de Cheikh Béthio Thioune², auprès de qui il affine sa pratique, sa participation. Outre les amitiés qu’il y gagne, la communauté religieuse offre des ressources insoupçonnées : premier front pour lutter contre le déracinement, et offre pas chère de chaleur humaine, de compagnie, de ferveur, de quête de sens. Lyon a alors une des communautés de Cantakunes les plus organisées, qui, avec des rendez-vous réguliers, participe activement à la vie de la communauté sénégalaise.
Perçus très souvent comme une bande de fanatiques sous l’emprise d’un gourou, les Cantakunes recrutent pourtant nombre de leurs disciples dans la jeune élite. Nombre de leurs figures sont des lettrés, bien intégrés, avec un bon statut professionnel, qui démentent la réputation et la perception que l’on pourrait s’en faire. Ils ont même des bastions dans des creusets réputés du pays, comme le prytanée militaire de Saint-Louis et l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Cette force se retrouve aussi dans la diaspora, partout en Europe. A leurs côtés, Abdoulaye Diédhiou découvre toute l’architecture bien huilée de ce mode de fonctionnement, dans toutes les régions de France. La démocratie par le bas et l’informel, structurés, les repas, les parenthèses religieuses, les dons, les relations avec le Cheikh font de la communauté un vrai lieu de socialisation. Au cœur des tourmentes de leur leader, ils font bloc. Au milieu de ses condisciples, Abdoulaye sacrifie à toutes les exigences. Il s’acquitte des dons envers le cheikh, mensualisés autant qu’il s’en souvienne, et y laisse quelques milliers d’euros en quelques années, une belle somme pour l’étudiant désargenté. Il épouse aussi une femme, grâce au Cheikh, mariage célébré à distance. L’union tient quelques années, avant de s’achever. De l’amertume ? De l’inconséquence ? Abdoulaye n’a pas de « regrets » et ne « renie » rien. La communauté est restée la sienne. Même s’il est devenu plus « muet », moins « actif », très en « retrait », les attaches sont fortes. Symbole, en 2019, quand meurt Cheikh Béthio Thioune, l’émotion envahit le jeune homme. Une perte personnelle et une vraie douleur. Il est bien difficile de tenter de lire rationnellement une telle emprise tant elle paraît déraisonnable. Cette relation a été un repère et un sanctuaire pour Abdoulaye, et quand il en parle c’est avec une nostalgie et un lien qui semble indéfectible. Un soutien qui s’avérera précieux pendant sa grande épreuve.
L’épreuve et la quête du pays
Une date symbolise alors le début de sa traversée du désert : juin 2012. Abdoulaye vient, quelques mois plus tôt, de valider son diplôme de comptabilité. Il s’inscrit en master pour postuler à un autre grade, et travaille en parallèle dans un restaurant de Lyon. A la veille des examens, il se sent lourd, il est fortement amaigri, il a perdu l’appétit et tousse. A l’hôpital, on lui diagnostique une tuberculose. La maladie connaît alors une petite résurgence en France, dans les habitats démunis et malfamés. Il est hospitalisé et reste en chambre plus d’un mois. Son réflexe pendant cette période c’est de « rassurer » sa famille, sa mère surtout, ses amis. Il « s’en veut » presque de ne pas pouvoir envoyer de l’argent à sa mère. La maladie est une longue disparition des radars, une solitude, une souffrance. A sa sortie d’hôpital, il est faible et sans le sou. Son employeur, qui l’a soutenu, continue de le faire. Ses amis du Cant sont aussi présents. Alors qu’il reprend des forces, le sort s’acharne sur lui. N’ayant pas pu honorer ses examens, il ne peut se voir délivrer un titre de séjour par la préfecture. Lorsqu’il s’y rend pour présenter sa situation, l’accueil est glacial et il repart avec le document redouté de tous les immigrés, l’OQTF (l’obligation de quitter le territoire français). Double peine. Tout s’enténèbre. La convalescence devient un cauchemar. Avec cette injonction, théoriquement, il peut être mis dans le premier avion pour Dakar. Mais curieusement, Abdoulaye tient bon, des amis l’aident. Les soutiens du Cant sont toujours là pour lui permettre d’avoir l’essentiel, les proches de la grande famille aussi, dont un oncle. Le deuxième soutien, il le trouvera du côté du droit français. Des avocats de la préfecture lui offrent une aide juridictionnelle pour faire valoir ses droits. Au bout de deux ans de bataille acharnée, la victoire. Il se voit délivrer un titre de séjour.
Mais les épreuves ont ébranlé l’homme. S’il garde un abord jovial, l’enchainement est rude à encaisser. Il reprend néanmoins ses études au conservatoire national des arts et métiers (CNAM) à Paris d’où il sort diplômé en 2017. Le marché de l’emploi parisien se montre aussi coriace avec lui, il doit se contenter de petits boulots dévalorisants. Mais la flamme est perdue. Le seul intérêt d’Abdoulaye, c’est le Sénégal, la politique, Thionck et surtout sa mère qui entre dans le grand âge. C’est son nouvel horizon et rien ne l’en détournera. Chez les immigrés sénégalais, malgré le changement du profil démographique de l’immigration au fil des années, le retour au pays est resté un vœu constant. Si certains renoncent, pour diverses raisons, les conditions de vie étant les motifs plus avancés, le lien au pays, la volonté de retourner auprès des siens, est sans doute la seule vérité de l’immigration. Le départ n’est jamais définitif. Cette vérité, Laye Wade, comme on l’appelle, l’a fait sienne. L’immigration, surtout quand elle prend ce goût acide, secoue assez violemment les êtres. Derrière les chiffres, les querelles politiques sur la migration, les racismes que contrent les angélismes, il y a bien souvent seulement des destins, des émotions, des trajectoires, des intimités qu’aucunes statistiques ne peuvent exprimer. C’est dans ce lot des anonymes que les enjeux parlent d’eux-mêmes et pressent à responsabilité.
Le retour
Dans notre dernier entretien pour préparer ce portrait, au téléphone, Laye Wade respirait le vent dakarois. Une cohue vive et un éclat de voix parasitaient notre échange. Mais sa voix a repris du tonus, une certaine assurance, une tranquillité. Il a trouvé du travail dans une entreprise. Le salaire n’est pas « mirobolant mais correct ». Il y gagne une tranquillité affective qui n’a pas de prix. Mais bien plus inestimable, Laye Wade est à une demi-journée de sa maman, de son Thionck natal, de ses proches, d’amis du Cant qu’il a retrouvés. « Je ne me plains pas », lâche-t-il sobrement, comme la nouvelle devise de cette page qui s’ouvre pour lui au Sénégal. Il compte s’investir en politique, cette fibre qu’il a entretenue en France en hommage au 11 janvier 1978. Il compte jouer longtemps ce Cant du cygne, comme ode éternelle à la résilience et à l’amour des siens.
NON, L'AFRIQUE N'EST PAS LA CIBLE PRIVILÉGIÉE DES ESSAIS CLINIQUES
D’où vient le fait que deux personnes, fussent-elles des scientifiques, qui s’égarent sur un plateau télé, soient soudain affublées d’un pouvoir de vie et de mort sur les « Africains » ? Les fractures de l’histoire ne doivent pas annihiler le discernement
Le Monde Afrique |
Fred Eboko |
Publication 08/04/2020
La controverse issue de l’échange entre deux scientifiques sur la chaîne LCI, mercredi 1er avril, provoque un déferlement de réactions. L’indignation du public et des personnalités, notamment en Afrique et dans la diaspora, vis-à-vis du dérapage verbal des deux hommes est aussi forte que légitime.
Pour autant, la déferlante contre les essais cliniques en Afrique est paradoxale, fantasmagorique et instructive. Ces réactions charrient autant de contresens qu’elles mettent en scène l’imaginaire d’une partie des opinions publiques africaines ou afrodiasporiques dans un domaine précis où l’Afrique est au mieux un point aveugle, au pire un angle mort.
Les médicaments que nous consommons tous les jours, y compris en Afrique, ceux que nous achetons dans les pharmacies de Paris, Nairobi, Pékin, Abidjan ou New York, prescrits par ordonnance, sont issus d’essais cliniques pratiqués sur des humains. Idem pour les vaccins qui figurent sur nos carnets de vaccination, y compris ceux des enfants et adultes africains. Les protocoles pour les essais cliniques sont précédés d’une série de précautions éthiques et déontologiques dont les manquements entraînent l’interdiction ou l’interruption des essais.
La quasi-totalité des pays africains sont dotés de comités d’éthique qui étudient, valident ou s’opposent aux essais qui concernent leurs populations. Evidemment, des failles existent, l’histoire coloniale est riche de campagnes de vaccinations sauvages et d’essais malheureux, comme l’a bien décrit Guillaume Lachenal dans Ce médicament qui devait sauver l’Afrique : un scandale pharmaceutique aux colonies (La Découverte, 2014). Des risques subsistent au niveau éthique et au niveau humain, mais l’Afrique n’est pas, ni de près ni de loin, la cible privilégiée des essais cliniques à ce jour.
Marginalisation du continent
Des milliers d’essais cliniques sont effectués tous les ans dans le monde. Selon une étude publiée en 2018 par le réseau Les Entreprises du médicament (LEEM) et basée sur les données officielles du gouvernement américain, sur les essais cliniques initiés en 2017, le pourcentage de participation par régions/continents du monde est sans ambiguïté. Amérique du Nord : 57 % ; Europe : 38 % ; Asie : 27 % ; Océanie : 11 % ; Amérique latine : 8 % ; Afrique et Moyen-Orient : 7 %. L’Afrique subsaharienne est la partie du monde la moins sollicitée pour les essais cliniques.
Des dérives et/ou des dérapages surviennent de temps en temps. En volume et de manière mécanique, ils interviennent beaucoup plus souvent dans les pays du Nord, y compris pour des médicaments déjà mis sur le marché. L’Afrique n’est pas en reste, mais elle si peu présente dans ce champ économico-scientifique que les scandales qui y surviennent, depuis l’histoire coloniale à nos jours, y sont bien documentés. L’Afrique est très peu présente dans ce registre de la recherche clinique et cette marginalisation du continent vis-à-vis de la participation aux avancées de la science explique la mobilisation au Nord et au Sud pour que le continent ait une part plus importante à la production de la connaissance.
C’est dans ce sens que Nathalie Strub-Wourgaft, directrice de l’unité des maladies tropicales négligées au sein de la Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDI), fustigeait la faible participation des pays à ressources limitées dans le grand essai clinique « Solidarity » lancé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le cadre de la réponse au Covid-19 dans 30 pays, dont un seul pays africain, l’Afrique du Sud.
D’autres essais impliquent petit à petit des pays africains, comme le Sénégal autour de l’association de la chloroquine avec d’autres molécules. D’où vient donc la controverse générée par les deux scientifiques français ?
4 000 volontaires en Australie
Deux scientifiques devisent et dévissent sur un plateau télé. Ils abordent le sujet d’un essai vaccinal contre le Covid-19 qui prévoit d’utiliser le vaccin BCG (bacille de Calmette et Guérin), prescrit contre la tuberculose depuis 1924 en France. Les essais en cours se multiplient. L’Australie a engagé 4 000 volontaires pour cet essai BCG contre le Covid-19. Un autre est en cours en cours aux Pays-Bas. La France va lancer un essai avec des volontaires via l’Institut Pasteur de Lille.
Un des deux scientifiques évoque la possibilité de le tester en Afrique en ignorant que certains des projets à venir prévoient déjà des pays africains, avec évidemment les mêmes conditions éthiques et déontologiques. Des conditions qui n’ont aucun lien avec des prostituées cobayes qu’il évoque. Les connotations racistes et méprisantes de leur court échange suscitent une indignation absolument légitime. Ceux qui parlent sur le plateau de télévision n’ont pas de connaissances précises sur ces projets.
Ce qui suit est plus problématique : une levée de boucliers qui dénonce les essais cliniques en Afrique. En bref, certains fustigent la participation de l’Afrique dans un concert où elle quasi inexistante. Si les volontaires des essais cliniques sont des « cobayes », les Africains sont les moins « cobayes » de tous.
La question : d’où vient le fait que deux personnes, fussent-elles des scientifiques, qui s’égarent sur un plateau télé, soient soudain affublées d’un pouvoir de vie et de mort sur les « Africains » ? La science et les essais cliniques ne se programment ni se déclinent sur un plateau télé. Les propos des deux scientifiques en question n’engageaient personne d’autre qu’eux-mêmes. Leur conférer via des pétitions et des vidéos qui fusent de toutes parts la capacité de transformer l’Afrique et les Africains en rats de laboratoire défie l’entendement.
D’un point de vue moral (voire légal), les propos des deux scientifiques sont inadmissibles, ils ont été dénoncés comme tels par leurs hiérarchies respectives et les intéressés ont par ailleurs présenté leurs excuses. Mais scientifiquement, leur échange, sur le point précis qui a provoqué l’ire quasi générale, est une tempête dans un verre d’eau. En déduire que le « monde occidental » ou « la France » prend les « Africains » pour des « cobayes » constitue sans doute une des controverses les plus paradoxales de ces dernières décennies. En bref, il s’agit d’exiger le retrait de l’Afrique d’un monde où elle a à peine accès.
Distinguer le bon grain de l’ivraie
Non, deux individus sur un plateau télé ne décident pas du sort ni de l’Afrique ni des Africains ; ils n’en ont ni le pouvoir, ni les moyens. Et à ce stade, leurs intentions, quelles qu’elles soient, n’ont strictement aucun intérêt. Oui, les essais cliniques sont à l’origine des vaccins administrés partout dans le monde, y compris en Afrique. Les fractures de l’histoire ne doivent pas annihiler le discernement.
Les opinions publiques africaines ont rarement été aussi énergiques, du fait notamment des réseaux sociaux. Plus rien ne se fera plus sans elles, ni contre elles, faut-il croire. Autant qu’elles se mobilisent en connaissance de cause, de manière à ne pas dire au monde l’inverse de ce qu’elles sont : intelligentes, dynamiques, actives. Ce n’est pas ce qui s’entend sous la colère noire qui gronde, mais un entrelacs de projections imaginaires, aux antipodes de la réalité de la recherche clinique au sein de laquelle l’Afrique doit au contraire mettre en lumière les atouts qu’elle possède.
Ces contradictions au grand jour trouvent leur essence dans les racines de l’histoire et un passé qui ne passe toujours pas. L’avenir et la protection des patients africains passent aussi par les essais cliniques, car c’est la rigueur de leurs protocoles qui permet de distinguer le bon grain des scientifiques, y compris africains, de l’ivraie des charlatans et apprentis sorciers de toutes origines. Les volontaires des essais promus par des institutions scientifiques reconnues et légitimes sont avisés, informés et protégés par la loi, l’éthique et la morale. Ils ne sont pas des « cobayes ». Leur engagement exprime une des formes les plus absolues de la fraternité universelle.
Le droit de dire « non » est une vertu démocratique. Reste à savoir à quoi et à qui le « non » s’adresse, car il y a deux hommes qui doivent être très étonnés (peut-être honorés) du pouvoir qui leur est conféré à peu de frais.
Fred Eboko est directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), directeur adjoint du Centre Population et Développement (Ceped) et membre du conseil d’administration du centre de recherche épidémiologique Epicentre-Médecins sans frontières.
Par Boubacar DRAME
PANDEMIE DU COVID-19 EN AFRIQUE, URGENCES SENEGALAISES !
De prime abord, il faudra que tout le monde s’accorde d’une chose : avec cette crise sanitaire inédite dans l’histoire de l’humanité, ce qui se joue aujourd’hui devant nos yeux impuissamment est une question de vie ou de mort.
De prime abord, il faudra que tout le monde s’accorde d’une chose : avec cette crise sanitaire inédite dans l’histoire de l’humanité, ce qui se joue aujourd’hui devant nos yeux impuissamment est une question de vie ou de mort.
Des morts il y’en a et en aura, vu le modus operandi de cet agent infectieux que même un illettré mais connecté connaît de nom Corona, fut-il un habitant à Maka Koulibanta.
Ironie du sort, cette pandémie met à nu le vrai visage du monde occidental et son mépris qu’il a vis-à-vis de nous autres qu’il continue de considérer comme « colonies ». Pour preuve, en lieu et place d’une heuristique de solutions pour le bénéfice de toute l’humanité, il s’adonne à son jeu favori dont il excelle en voulant tester sur les populations cobayes africaines le vaccin macabre.
Cela ne date point d’aujourd’hui….
En effet, depuis le XVième siècle, Christophe Colomb n’a pas seulement découvert le Nouveau Monde, il a aussi été, sans le vouloir, à l’origine de la création d’un Nouveau Monde. Il suffit, pour se faire, une relecture de l’histoire avec son corollaire de légalisation de la traite négrière, suivie de la colonisation, de génocides des peuples amérindiens en Amérique, Namas et Hérèros en Namibie, entre autres et l’exploitation post-coloniale à travers tous les mécanismes de domination et d’influences mis en place pour continuer à asservir les peuples considérés comme « indigènes » et rendre vassaux nos états indépendants : Françafrique, machin de Francophonie, Franc CFA, coopérants techniques, CIRAD, IRD, j’en passe…..
Le Sénégal a fait preuve de responsable avec toutes les mesures de riposte dont les autorités ont mis en place pour faire face à cette pandémie.
Dans le langage de la qualité, c’est au moment de l’évaluation que les gens avertis comprendront. Car il est connu qu’en gestion de risques, l’on ne voit pas l’impact des mesures prises qu’en le comparant non à la situation de base mais ce qui sera la situation sans l’effet desdites mesures. Comme qui dirait la qualité n’a pas de prix mais la non qualité a un coût.
Notre pays vient de montrer à la face du monde, nous n’avons rien à envier aux autres pays quant à la gestion de cette crise sanitaire due au COVID-19. La une du quotidien « Libération » du 31 mars 2020 en dit long en caricaturant par un titre cocasse « la première impuissance du monde » pour ne pas citer l’Amérique de Trump qui est dans l’impasse dans la gestion de ce virus en adoptant des comportements et attitudes irresponsables. Du vrai amateurisme aggravant le risque de mortalité chez les américains !
Hommage à nos médecins qui ont montré leur savoir-faire.
Sans complexe, le Sénégal (l’Afrique) pourra devenir un modèle pour le monde en matière de gestion des pandémies à l’image de Cuba. Ce qui qui n’est pas étonnant, car il revenait à l’indépendantiste cubain José Marti au XIXe siècle cette célèbre phrase « La patrie, c’est l’humanité» !
Monsieur le Président de la République, votre discours responsable et rassurant à l’occasion du soixantième anniversaire de l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, montre à suffisance que vous avez compris les enjeux.
Mais ……. !
Mais …… ne vous laissez pas détourner de l’essentiel par les diversions via les appels de visio-conférence dont la Métropole vous a conviée. Leur objectif est ailleurs. Ils n’ont d’autres desseins que de déstabiliser durablement nos États afin de continuer leur exploitation. Je pèse bien mes mots durablement ! c’est à dire sur le plan social, économique et environnemental.
La preuve, ce sont les mêmes services qui ont rédigé en toute connaissance de cause la note non confidentielle intitulée «l’effet pangolin » du Quai d’Orsay sur les prévisions froides du Centre français d’analyse, de prévision et de la stratégie (CAPS).
Cette crise marque que ce mode de « coopération » sous forme « d’ Aide fatale » n’est pas à notre bénéfice et devient caduc. Il n’est pas un secret de polichinelle pour personne que l’assistance financière a été et continue d’être un total désastre pour l’Afrique. Le mythe de l’aide est révolu et doit faire place au commerce et à une coopération gagnant-gagnant.
Il est temps que nous prenons notre destin en main.
Au moment où notre pays à l’instar des autres nations engage la guerre contre cette pandémie, la contribution de l’ensemble de ces entreprises aux soldes du Quai d’Orsay n’atteint pas 01 milliard de Fcfa (paru dans Dakar Times N°878 du 03 avril 2020).
Je ne vais pas user d’euphémisme pour plaire. Il faut dire les mots par leur vrai sens et sans ambages. L’Europe, sans ressources naturelles, ne se rend pas compte de l’émergence d’une nouvelle jeunesse africaine consciente et prête à prendre son destin en main sans complexe. Le réveil sera brutal. Rien ne sera plus comme avant.
Avec cette crise, le monde occidental a démontré ses limites et son impuissance. A nous de penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Ne soyons plus des consommateurs de concepts.
Au-delà de simples pays fournisseurs de matières premières et de consommateurs de produits, usons de notre matière grise pour une transformation structurelle de notre continent. Sinon, personne ne le fera à notre place. Pire, comme l’a bien souligné le Professeur Cheikh Anta Diop “ Il faut savoir que l’adversaire vous tue intellectuellement, il vous tue moralement, avant de vous tuer physiquement … “.Bref se libérer et s’émanciper ! il est temps de changer de paradigme.
C’est l’occasion pour nous autres africains d’inventer et d’avoir une capacité d’anticipation et de prospective propre pour l’Afrique. Pour ce faire, il est important de noter qu’il y’a eu un monde avant-coronavirus et il y’aura forcément un monde post-corona. A la crise sanitaire, va succéder une crise socio-économique inévitablement.
Il est temps d’aller au-delà de la photographie, de l’instantané liée à cette crise. Loin d’être qualifiée de situation conjoncturelle, la crise actuelle est structurelle. Les solutions envisagées doivent s’orienter vers une stratégie holistique pour ne pas tomber dans l’impasse sectorielle.
Ainsi, notre pays devra tirer des leçons en accélérant ses politiques d’autosuffisance et de diversification dans les domaines essentiels.
Dans cette perspective, vous me permettrez d’exposer quelques pistes de réflexion à savoir :
Les indicateurs de performances du Plan Sénégal Émergent (PSE) arrimés aux Objectifs du Développement Durable doivent être revus.
La création d’un ministère en charge de l’Alimentation et de la Promotion des Agro-industries qui transcende tous les sectoriels (agriculture, pèche, élevage et agroalimentaire) mettra définitivement notre pays sur le cap de l’autosuffisance alimentaire et nutritionnelle mais surtout l’industrialisation.
Il nous revient de comprendre les challenges que notre mode de vie et notre situation socio-économique nous pose comme autant de défis, et adapter notre réponse pour la prévention de la contagion
Dans la situation de pandémie du Coronavirus, le Sénégal doit trouver des moyens rapides, efficace et en phase avec les ressources nationales pour faire face à l’épidémie de Coronavirus. Il nous revient de comprendre les challenges que notre mode de vie et notre situation socio-économique nous pose comme autant de défis, et adapter notre réponse pour la prévention de la contagion.
Malgré les efforts de sensibilisation, les mesures sanitaires et sécuritaires considérables, entreprises par le gouvernement, le niveau de mobilisation de la population n’est pas encore à la hauteur des risques sanitaires et des enjeux économiques.
C’est pourquoi en prolongement du train de mesures arrêtées par les autorités et dans le même esprit, je viens contribuer à l’action menée par le comité COVID 19, en proposant les mesures suivantes, car elles sont à mon avis totalement exécutables sur l’ensemble du territoire national – plus de 80% - et ce, quel que soit le niveau de revenus des habitants.
L’exécution de ces mesures doit être d’abord et avant tout communautaire et devrait être soutenue par la loi, pour amener la population à s’approprier définitivement ces changements, qui appellent adhésion et participation des citoyens, suscitant une réponse massive, populaire et efficace pour freiner l'évolution de l'épidémie et maintenir un niveau d'activité économique raisonnable.
Comment convaincre les populations, qu’elles doivent adopter des règles qui ne sont en rien des contraintes mais des nécessités, lesquelles deviendront du fait de leurs applications systématiques, des gestes naturellement intégrés au quotidien des sénégalais.
1-Le port du masque alternatif lavable en tissu doit être rendu obligatoire sur la voie publique et au travail sur l’ensemble du territoire. (Cette mesure peut être réalisable en une quinzaine de jours)
2-Nous devons rendre obligatoire la présence d’un lave-mains devant chaque maison et chaque entreprise et ce sur tout le territoire national. En poussant chacun à trouver une solution adaptée à ses ressources.
3-Nous devons isoler les anciens et les personnes à risque. Ce qui est déjà partiellement le cas dans la plupart des maisons et renforcer la sécurité sanitaire de leurs personnes contact.
4- Nous devons lancer des campagnes massives de changement de comportement pour soutenir toutes les décisions prises ci-dessus et expliquercelles prises précédemment comme la distanciation sociale, le couvre-feu, la toux dans le coude et le lavage des mains, ainsi que les comportements à risques à abandonner en urgence comme notre tendance à cracher et à partager des verres d’eau ou de thé.
Quels sont les leviers que collectivement et rapidement nous devons actionner ?
D’abord initier en urgence la production en masse du masque alternatif lavable communautaire de protection mutuelle
En ce qui concerne les masques, nous avons la chance infinie d’avoir dans tous les quartiers de toutes les villes du pays des tailleurs qui sont des virtuoses de l’aiguille ! L’association des Couturiers, Créateurs et Tailleurs du Sénégal (CCAS) compte 300 000 membres…
Si chacun de ces tailleurs peut se mettre à fabriquer des masques de protection à vendre aux populations … Nous pourrions trouver une réponse locale pour ralentir la transmission surtout pour les populations qui doivent continuer à avoir une activité quotidienne.
L’idée c’est de fournir 2 masques au moins par personne pour pouvoir les laver d’un jour sur deux avec de l’eau javellisée et du savon.
Des patrons sont disponibles sur internet dont celui recommandé par l’AFNOR (Agence Française de Normalisation) et peuvent être distribués aux tailleurs, lesquels formés, peuvent atteindre facilement une production de 100 masques par jour, en ayant rationalisé le patronage, la coupe, les coutures des plis et les élastiques.
Concrètement, 300 000 tailleurs produisant 100 unités par jour proposeraient 30 millions de masques lavables à terme ! Et la généralisation progressive du port de ces masques aura un effet entraînant, lorsque l’on sait que nos comportements sont souvent grégaires.
Et sauce sur le couscous, c’est un « win win win win » qui permet en plus d’utiliser les forces économiques du pays concentrées au cœur des quartiers et qui vont pouvoir avoir de nouveaux pour éviter la précarité, qui aurait pu être leur sort en l’absence des fêtes de Pâques et de la Korité compromises.
15 jours suffisent pour que cette dynamique « imprime » les esprits et s’impose à force de pédagogie et de bon sens partagé dans toutes nos langues, en favorisant l’exemplarité, vu que pour nettoyer correctement un escalier, il convient de le faire en allant du haut vers le bas. Le rythme de cette dynamique obéira à plusieurs phases, d’un exemplaire nécessité.
-Phase 1 : Tous les fonctionnaires auront l’obligation de porter un masque dans l’exercice de leurs fonctions.
-Phase 2 : Toutes les entreprises doivent rendre le port du masque obligatoire sur leurs lieux de travail.
-Phase 3 : Le port du masque doit être obligatoire dans l’espace public.
-Phase 4 : L’absence de masque peut être sanctionnée, allant progressivement du rappel à l’urgence sanitaire à une amende dissuasive, la rareté des masques n’étant plus une excuse.
Quels sont les bénéfices directs ?
Cette mesure ne coûterait rien à l’Etat et la communication pourra inciter des gestes de solidarité de citoyens à citoyens pour la distribution de masques à l’usage du grand public, et l’Etat pourra ainsi se concentrer sur le renforcement des capacités hospitalières et le suivi des malades.
Il convient de noter que le CDC américain vient de recommander l’usage de masques artisanaux le 4 avril 2020 tout en rappelant que les masques chirurgicaux doivent être réservés aux personnels soignants.
Ensuite favoriser la mise en place systématique de lave-mains communautaires.
De la même façon nous devons encourager les citoyens à mettre devant leur porte d’entrée un système de lavage de main avec du savon. Aussi bien pour les maisons privées que pour les entreprises dans les zones urbaines où la majeure partie de nos concitoyens vont devoir continuer à aller et venir dans la rue.
Les réponses sont déjà nombreuses et créatives et très peu chères, et permettront à tous de se laver les mains très régulièrement partout et tout le temps avec de l’eau légèrement javellisée et du savon.
Ce dispositif permet de se laver les mains systématiquement avant de rentrer dans une entreprise ou dans une maison quand on vient de l’extérieur. La répétition devient habitude. En plus, en responsabilisant les citoyens et en leur donnant le sentiment qu’ils sont acteurs de la protection communautaire, ils intégreront ces gestes de solidarité responsable, de manière généreuse : « Je te donne les moyens de te laver les mains quand tu passes devant chez moi et si tu fais de même, quand d’autres passeront devant chez toi, ils pourront également se laver les mains. »
Etant donné la prise en charge par l’état des factures d’eau pour la tranche sociale la plus populaire pour les 3 prochains mois, cette mesure devrait pouvoir être acceptée par la population, générant naturellement une émulation saine entre voisins. Les ASC, les Badienou Gokh et autres ressources communautaires devront être mises à contribution.
Il faudra enfin décider de l’isolation des personnes à risque au sein des maisons.
Au Sénégal, il est très courant de voir plusieurs générations cohabiter dans la même maison. Ce qui représente un risque accru face à cette épidémie.
Par contre, nous devons noter que dans la majorité des cas, ces anciens, jouissent généralement d’une chambre isolée, qu’ils mangent seuls et qu’en tout cas, on les traite déjà avec beaucoup d’égards et avec une communication particulière qui permettra de transformer la porte de leur chambre en sas de sécurité, qui oblige de porter le masque et de se laver les mains quand on leur apporte à manger.
Il faudra surtout dérouler des campagnes massives de changements de comportements.
Il est souhaitable pour renforcer le respect des gestes barrières déjà mis en place, mais pas forcément compris, mettre en place une communication de masse pour induire un nécessaire changement de comportements, en utilisant tous les canaux qui permettent de vulgariser les gestes de précaution et d’imposer naturellement à la population et d’une manière claire, la nécessite et l’utilité de ces gestes barrières. Il sera judicieux de diffuser dans l’opinion le caractère démocratique du Covid-19, en ce sens que tout le monde peut le contracter, et que la grande majorité en guérit si le processus de soins est rapidement enclenché. Pour cette raison il est urgent de convaincre les concitoyens que le Covid-19 n’est pas une maladie honteuse et qu’être dépisté « positif » et se soumettre aux soins d’observance comme de rémission est une opportunité pour la personne infectée comme pour son entourage de ne pas en subir les désagréments voire les complications. Avoir une attitude responsable face à des symptômes inquiétants sera de haute portée citoyenne.
En qualité de Directrice de l’agence EXP, entourée de partenaires engagés et forts de multiples expériences de marketing social, je suis convaincue que le Sénégal se sortira de cette crise sanitaire, parce que sa population « fera nation », et qu’aucun des talents qui fourmillent d’idées dans ce singulier pays, ne sera de trop, pour vaincre le Covid-19, mais surtout pour essaimer dans nos villes et nos campagnes des comportements novateurs et salvateurs.
« Soyons Solidaires, changeons ensemble nos habitudes, et nous vaincrons le coronavirus ! »
Marianne Marguerite Bathily est spécialiste de la communication pour le changement des comportements et en Marketing social dans l’Afrique de l’Ouest francophone. Elle dirige EXP, une agence de Marketing et d’activation Terrain basée au Sénégal et travaillant aussi en Côte d’Ivoire et en Guinée Conakry depuis 20 ans.
par Macky Sall
REVENONS SUR TERRE !
Il est temps de redéfinir l’ordre des priorités, de redonner plein sens à l’économie réelle en investissant plus dans l’agriculture, la santé, l’éducation, pour réaliser un développement soucieux du bien-être de l’homme intégral
Avec une population estimée à 1,3 milliard d’habitants, l’Afrique est atteinte par le COVID-19 au moment où plusieurs de ses pays, malgré les défis du sous-développement, sont sur une trajectoire d’émergence alors que d’autres continuent de faire face à la lutte contre le terrorisme. Le COVID-19 freine ainsi l’élan des uns, aggrave la situation des autres et remet en cause les efforts de tous. De plus, il soumettra à rude épreuve des systèmes nationaux de santé publique déjà vulnérables.
À l’échelle nationale, de nombreux pays ont adopté des plans de contingentement pour endiguer la propagation du virus.
Mais, le niveau d’impréparation dû à la survenance brutale de la pandémie, à son évolution rapide et à l’ampleur des besoins montre clairement les limites des mesures nationales.
S’y ajoutent les difficultés inhérentes à l’importation des équipements et des produits médicaux et pharmaceutiques nécessaires à la lutte contre le COVID-19, dans un contexte de forte demande et de perturbation du trafic aérien.
Si nous voulons gagner le combat contre le COVID-19, il nous faudra maintenir à niveau les capacités de riposte, notamment :
- Disposer en quantité suffisante d’équipements et de matériels médicaux et de protection : kits de test, masques, équipements de protection individuelle ;
Aménager et équiper des centres d’isolement et de traitement des malades ;
Assurer la détection précoce des cas d’infection liée au CODIV-19 au niveau de sites de référence ;
Assurer l’isolement rapide et la prise en charge des cas suspects et confirmés d’infection liée au CODIV-19 ;
Renforcer les mesures de prévention et de contrôle de l’infection ;
Assurer une bonne coordination des interventions.
Il faut dire qu’en dépit des efforts jusque-là consentis, les pays africains n’ont pas encore atteint les normes préconisées par l’Organisation Mondiale de la Santé en infrastructures sanitaires et personnels qualifiés dont la répartition reste encore inégale au détriment des zones rurales.
De façon générale, les besoins de l’Afrique dans le secteur de la santé se posent en ces termes :
Construction, réhabilitation et équipement des structures sanitaires de base et de référence ;
Acquisition d’équipements lourds et de matériels roulants : générateurs d’oxygène, scanners, appareils d’angiographie, ambulances médicalisées, entre autres ;
Formation de ressources humaines en qualité et quantité suffisantes ;
utilisation optimale des TIC dans le domaine médical (télémédecine et autres applications) ;
Mise en réseau des expertises nationales au sein et entre les pays ;
Création de plateformes régionales pour faciliter le déploiement d’opérations d’urgence, à l’instar de la plateforme de Dakar qui a servi de base aérienne et logistique lors de la crise d’Ebola qui a frappé certains pays de l’Afrique de l’Ouest.
Appui aux initiatives pour la Couverture maladie - ou sanitaire - universelle.
Pour en revenir au COVID-19, il faut rappeler que nous sommes en présence d’une pandémie, c’est-à-dire une épidémie à l’échelle mondiale. Les efforts jusque-là menés au quatre coins de la planète n’ont pas encore permis de découvrir tous les secrets de ce grand inconnu qui a fini de révéler au grand jour les limites de tous les systèmes nationaux, même les plus sophistiqués. Tous les pays, surpris et débordés, se sont retrouvés dans une sorte de sauve qui peut, dévoilant au quotidien les lacunes des uns et des autres.
La première leçon à retenir de cette crise majeure, où l’infiniment petit fait trembler le monde entier, c’est que, devant des menaces transfrontalières, grands ou petits, riches ou pauvres, nous sommes tous vulnérables.
Deuxième leçon, le COVID-19 renvoie au monde ses propres contradictions. Nous vivons, en effet, une ère de paradoxes. La terre est assurément ronde, mais quelque chose, quelque part, ne tourne pas rond. L’homme continue de faire des progrès tous azimuts, reculant chaque jour les limites de la science et de la technologie, y compris dans la conquête de l’espace.
Pendant ce temps, sur terre, il manque de masques, de kits de test, d’équipements de protection individuelle, de lits, de respirateurs ; autant de produits, matériels et équipements indispensables à la prise en charge des malades et à la protection des personnels de santé, véritables héros engagés au front d’une lutte risquée et potentiellement mortelle contre un ennemi invisible à l’œil nu. Il est donc temps de revenir sur terre !
Troisième leçon, enfin, et sans être exhaustif, la pandémie de COVID-19, tout comme, du reste, les périls de l’environnement et du terrorisme, confirme les limites objectives de l’État-Nation dans la réponse aux menaces transfrontalières.
Revenons sur terre et revenons à la sagesse des aînés, comme nous l’y invite notre compatriote Cheikh Hamidou Kane qui, dans son roman à succès, « L’aventure ambiguë », publié il y a 59 ans, énonçait, à la page 92, ce message prémonitoire : « Nous n’avons pas eu le même passé… mais nous aurons le même avenir, rigoureusement… l’heure des destinées singulières est révolue…nul ne peut vivre de la seule préservation de soi. »
C’est dire que quels que soient sa puissance et ses moyens, l’État-Nation ne peut plus se suffire à lui-même. Devant les défis planétaires, nous avons tous besoin les uns des autres, surtout quand nos vulnérabilités communes s’ajoutent à nos fragilités individuelles.
Alors, il est temps d’apprendre de nos erreurs et de nos limites, de redéfinir l’ordre des priorités, de redonner plein sens à l’économie réelle en investissant plus dans l’agriculture, l’énergie durable, les infrastructures, la santé, l’éducation et la formation, pour réaliser un développement soucieux du bien-être de l’homme intégral.
Il est temps de travailler ensemble à l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui met l’humain et l’humanité au cœur des relations internationales. Il est temps de considérer les questions de santé publique au même titre que la paix, la sécurité, l’environnement, la lutte contre le terrorisme et autres criminalités transfrontalières.
Ce nouvel ordre mondial, que j’appelle de mes vœux, suppose une confiance mutuelle et une volonté sincère de coopérer autour de questions d’intérêt commun et de valeurs partagées, dans le respect de nos différences et de nos diversités.
Il postule surtout un nouvel état d’esprit qui reconnait que toutes les cultures et toutes les civilisations sont d’égale dignité ; et qu’il ne saurait y avoir de centre civilisationnel supérieur qui dicterait aux autres la façon d’être et d’agir. Comme le dit une sagesse africaine, l’arc-en-ciel doit sa beauté aux tons variés de ses couleurs.
Ramené aux questions planétaires de santé publique, ce nouvel ordre mondial devra exclure toute forme de discrimination, de stigmatisation et de préjugés, en particulier envers notre continent.
L’Afrique, berceau de l’humanité et terre de vieille civilisation, n’est pas un no man’s land. Elle ne saurait, non plus, s’offrir comme terre de cobayes. Exit également les scénarios catastrophistes qui s’évertuent à dessiner un futur d’apocalypse pour le continent. Ce continent a subi des épreuves autrement plus périlleuses et plus cruelles.
Il est resté résilient et tient plus que jamais debout !
Ce qui importe aujourd’hui, c’est plutôt de tirer les leçons de la crise et mettre en commun nos moyens et nos intelligences pour faire face, dans un même élan de solidarité humaine, à notre ennemi commun : un tueur silencieux qui se joue des frontières, des idéologies et des différences entre pays développés et en développement.
En dépit de son retard, l’Afrique regorge de ressources humaines de qualité, y compris d’éminents experts, praticiens et chercheurs compétents, qui contribuent au quotidien au progrès de la médecine.
Avec la mise en place du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, qui travaille en relation avec des structures nationales correspondantes et des laboratoires qualifiés comme l’Institut Pasteur de Dakar dont les origines remontent à 1896, le continent dispose d’un réseau scientifique de qualité et connecté au dispositif mondial d’alerte et de gestion de crises sanitaires internationales.
Il faut saluer aussi le leadership de l’Organisation Mondiale de la Santé. Elle réussirait mieux sa mission avec une mobilisation plus conséquente de ressources en sa faveur, un meilleur soutien à son Système d’Alerte et d’Action et un appui plus significatif aux systèmes nationaux de santé publique.
Sur le plan économique, les effets paralysants du COVID-19 se font déjà lourdement sentir au plan mondial. L’Afrique, essentiellement exportatrice de matières premières et importatrice de produits finis et semi-finis, n’est pas en reste.
Les pays développés les plus touchés, à ce jour, par la pandémie achètent pour 51 % des exportations du continent. Les pays membres de l’Union Européenne, à eux seuls, absorbent près de 40 % des exportations africaines.
La baisse des exportations africaines vers ces pays affecterait principalement les hydrocarbures (pétrole et gaz), le cuivre et les produits agricoles.
Pour les importations, outre les produits industriels finis et semi-finis, l’Afrique s’approvisionne à l’étranger en produits de grande consommation comme le blé, le sucre, le riz, l’huile, le lait, etc.
Toute pénurie ou hausse des prix sur ces produits affecterait donc le continent.
En raison des mesures de contingentement liées à la fermeture des frontières aériennes, terrestres et maritimes, les secteurs des transports, du tourisme et de l’hôtellerie sont fortement impactés par le Covid-19. La Commission Économique Africaine évalue ces pertes à 56 milliards de dollars US.
De même, les transferts financiers des migrants connaissent un effondrement drastique.
C’est dire que si l’impact de la crise est mondial, les économies les plus faibles sont les plus affectées. En plus des besoins énormes d’investissement pour le développement, il faudra supporter le choc du COVID-19 et pour certains pays africains, continuer à faire face à une lutte sans répit contre le terrorisme.
D’après les premières estimations de la Commission économique pour l’Afrique, le continent pourrait perdre au moins 1,4 % de croissance (soit 29 milliards de dollars US) et passerait de 3,2 % à environ 1,8 %. Selon nos propres évaluations, celle du Sénégal chutera de 6,8 % à moins de 3 %.
À travers le monde, chaque pays, suivant ses capacités, prend des mesures de soutien à son économie. Différents instruments et mécanismes ont été mis à contribution. À titre d’exemple, l’Union Européenne a suspendu la règle de discipline budgétaire selon laquelle le déficit annuel ne doit pas excéder 3 % du PIB.
Les pays africains se mobilisent également face à la crise. Ainsi, le Sénégal a mis en place un Programme de Résilience Économique et Sociale (PRES), d’un coût global de 1000 milliards de FCFA, soit environ 2 milliards de dollars US, en vue de lutter contre la pandémie et soutenir les ménages, les entreprises et la diaspora.
Nous avons créé un Fonds de Riposte contre les Effets du COVID-19, FORCE-COVID-19, financé par l’État et des donations volontaires, pour couvrir les dépenses liées à la mise en œuvre du PRES.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. La responsabilité première de faire face à la crise nous revient. Nous l’assumons pleinement. Il est tout aussi juste et légitime que nos efforts internes soient soutenus dans le contexte mondial de riposte à la crise. L’Afrique ne doit pas être laissée pour compte dans un combat planétaire contre un péril planétaire. C’est tout le sens de mon appel pour l’annulation de la dette publique africaine et le réaménagement de sa dette privée selon des mécanismes à convenir.
Je me réjouis, enfin, de la position africaine commune adoptée à l’issue de la réunion en visioconférence, du bureau du Sommet de l’Union Africaine élargi à l’Éthiopie, au Sénégal et au Rwanda, le 3 avril 2020.
Ensemble, restons unis et mobilisés, debout et combatifs face au COVID-19 !
par Ada Pouye
ÉTAT D’URGENCE, URGENCE D’ÉTAT
EXCLUSIF SENEPLUS - Le credo en chœur reste la riposte et la résilience, en occultant le relèvement - Il est important de penser à la réinsertion à la fois sociale et économique des groupes touchés par cette crise sanitaire
« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience » Karl Marx
L’état du Sénégal vient de proclamer pour la troisième fois de son histoire l’état d’urgence suivi d’un couvre-feu. Autant pour les deux premières, l’état faisait face à une convulsion politique sans précèdent : avec la crise de 1968 qui remettait en cause les bases politiques du régime de Senghor, et avec la crise politique de 1988, où 7 ans après l’accession au pouvoir d’Abdou Diouf par l’article 35, autant aujourd’hui, la raison évoquée concerne une urgence sanitaire mondiale qui constitue une menace directe sur la vie des populations. Cette proclamation de l’état d’urgence suivie du vote par l’Assemblée nationale de la loi habilitant le président de diriger par ordonnance intervient 13 mois après son élection à la présidence de la République. Le président a lancé un appel pour un dialogue politique après des élections paisibles. Deux mois après la mise en place du comité National de dialogue politique, la pandémie du Coronavirus a chamboulé l’agenda et impose la suspension des activités du comité présidé par M. Famara Ibrahima Sagna. Apres le défilé de l’opposition en dormance depuis l’élection du président et des forces vives de la nation pour donner un blanc seing au président dans la gestion de la riposte au Coronavirus, c'était au tour de 33 députés de l’ Assemblée nationale de voter le 1er avril 2020, adoptant en plénière la loi d’habilitation, assortie d’une possibilité de prolongation de trois mois de l’état d’urgence. Ils ont voté à l’unanimité le texte autorisant le chef de l’État à prendre par ordonnances des mesures qui relèvent de la loi. Cette situation sera maintenue jusqu’en Juillet 2020 au mieux et en fonction de l’évolution de la situation de la pandémie.
Cependant, il est important de souligner que nous sommes en face d’un modèle d’état d’urgence unique parce que dicté par les menaces qui pèsent à la fois sur la santé publique et sur les fondements même du corps social et politique, la sécurité publique, la surveillance accrue des frontière, la mobilisation des ressources avec des mécanismes de contrôle et de rendre des comptes.
La loi d’habilitation concernant à la fois la prorogation de l’Etat d’urgence décrété par le président de la République au-delà de la période de douze jours, lui donne le droit de prendre, par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi, afin de faire face aux besoins d’ordre économique, budgétaire, sécuritaire et sanitaire. Le décor est campé pour que l’habilitation puisse se focaliser sur la gestion de l’urgence de la pandémie, ce qui signifie de mon humble point de vue la facilitation pour les procédures de passation de marchés sur les équipements, médicaments et tous produits assimilés pour la gestion et la prise en charge des contacts et des malades du Covid-19 et des populations à risque, les réquisitions alimentaires, le contrôle du mouvement des populations, la sécurisation des frontières terrestres, maritimes, aériennes et fluviales, la mise sous astreinte du personnel médical et du personnel d’appui et des volontaires.
La déclaration du chef de l’Etat à la nation à la veille de la célébration de la fête de l’indépendance donne une feuille de route sur le programme de la résilience économique et sociale. Ce programme en soi révèle l’ambition du chef de l’Etat de gérer l’impact de la pandémie sur le secteur économique avec la potentielle destruction des milliers d’emplois dont l’essentiel se trouve dans le secteur informel en dehors des hôtels, et le secteur social notamment pour les groupes les plus vulnérables aussi bien en milieu urbain que rural. Quelles sont les articulations entre ce programme et les autres programmes notamment DER, les bourses familiales, PUMA, PUDC PAPA, ANIDA, 3FPT en vue de leur réalignement programmatique comme filet social ?
Est-ce qu’il ne faudrait pas envisager une réaffectation des ressources déjà votées par l’Assemblée nationale pour non seulement la résilience mais aussi pour le relèvement ?
Sommes-nous en train de revenir à l’état providence qui étend son champ d’action et de régulation dans les domaines économiques et sociaux ? L’Etat se doit dans les conditions actuelles où l’économie est au ralenti de gérer les différents risques sociaux en termes de protection des emplois, de maladie, d’indigence, de protection des droits des femmes, des personnes âgées qui sont les plus vulnérables au Covid-19 et la famille. Plus que tout, le Covid 19 remet en cause les fondements même du tissu socio économique et politique, la mondialisation et notamment les droits à l’éducation, à la santé, à l’emploi, à la circulation des biens et des personnes voire même à la dignité humaine qui doit nous amener à penser comment recoller les morceaux après la pandémie à l’échelle mondiale, continentale et mondiale ?
Aujourd’hui, le credo en chœur reste la riposte et la résilience en occultant le relèvement et c’est cela qui nous amène à nous interroger sur la nature de la gouvernance de la riposte.
Gouvernance de la riposte
« Les épidémies imposent leur éternel retour tout en conservant un inaltérable pouvoir de sidération. A travers elles s'expriment le désordre du monde et l'énigmatique nouveauté qui sans cesse défient le savoir. Les crises épidémiques sont des révélateurs de l'articulation du réel et du fatal, de la maîtrise perdue de la nature et de l'imaginaire du désastre ». Jean Lombard, Bernard Vanderwalle dans philosophie de l’épidémie, le temps de l’émergence, l’Harmattan, 2007.
Le monde compte aujourd’hui une population de plus de trois milliards de personnes qui sont confinées d’une manière ou d’une autre, ce qui se traduit par le chantier humanitaire le plus important après les deux guerres mondiales. Qui parle de chantier humanitaire, mission dévolue aux Nations Unies, doit parler en premier lieu de gouvernance et de coordination humanitaire. La gouvernance de la riposte est un élément clé en termes de leadership et de vision pour parvenir à des résultats probants.
Autant pour Ebola, nous avions eu droit à une gouvernance mondiale de l’épidémie qui a permis aux canadiens et russes de proposer des vaccins avec un appui technique et financier de la communauté internationale dans les trois pays concernés, autant avec la pandémie du Covid-19, l’OMS se contente de faire des alertes, de l’appui technique, mais chaque pays cherche à sauver prioritairement la vie de ses citoyens, ce qui ressemble à un sauve qui peut dans les limites des barrières nationales. L’épidémie a en commun avec la question du climat qu’elle nous rappelle que nous sommes tous dans le même bain et que nous nous en sortirons qu’ensemble, le désir de survie éveille ainsi une forme élémentaire de conscience citoyenne conclut Michel DupuisProfesseur à l’Institut supérieur de philosophie de l’UCLouvain.
C’est la plus grande illusion du siècle dans un contexte de globalisation que de croire que le confinement peut être une solution pérenne. Le budget programme voté lors de la 72 ème Assemblée générale de l’OMS qui est censée incarnée la coordination technique mondiale pour les années 2020/2021 est de 5, 840,4 millions de dollars dans le programme de base, dont 3,768,7 millions de dollars pour la polio, 1,071,7 millions de dollars pour les programmes spéciaux, et 1 milliard de dollars pour les opérations d’urgence. L’allocation budgétaire de l’OMS Afro est de 1,161 millions de dollars, éclatée sur trois priorités programmatiques à savoir l’accès à la couverture sanitaire universelle, les situations d’urgence et un meilleur état de santé. C’est ce que l’OMS appelle le programme des 3 milliards de bénéficiaires. Quelle est la contribution de l’OMS et plus particulièrement de l’OMS Afro dans la riposte au moment où toutes les frontières sont fermées et quelle est sa relation avec les institutions africaines de pilotage de la santé ? Il s’agit d’interrogations sur l’effectivité de la coordination internationale dans le domaine des politiques internationales et nationales, des normes et des standards de santé.
Deux modèles s’opposent dans la gestion des pandémies tout en se complétantn: le modèle chinois de la dictature et le modèle démocratique. Les deux s’accordent sur le confinement et le traitement de cheval pour lancer la traque des cas et des contacts y compris en utilisant l’armée. Un détour sur le mode de gouvernance de la riposte face à l’épidémie Ebola : en Sierra Leone, c’est l’armée qui a été au centre de la riposte, tandis qu’en Guinée c’est le Dr Sakoba Keita qui a assuré la coordination de la riposte malgré le fait qu’un militaire occupait le poste de ministre de la Santé.
Le Nigeria s’est doté en 1999 d’une agence nationale de gestion des urgences et de 36 agences étatiques de gestion des urgences dont les budgets sont nettement supérieurs au soutien de la communauté internationale.
Au Sénégal, le parti pris démocratique avec une cellule de crise à la présidence de la République qui a été structurée lors du premier conseil présidentiel sur la pandémie, a créé un comité national des épidémies à travers le ministère de la Santé, un centre des opérations d’urgence sanitaire dirigé par le Dr Abdoulaye Bousso, des comités régionaux et départementaux des épidémies sous l’autorité des gouverneurs et préfets. Au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, il a été mis en place une task force. Le ministre de la santé et de l’action sociale et son directeur de cabinet sont montés au créneau pour faire le briefing journalier en terme classique en s’appuyant sur les données du jour de manière brute, à savoir le nombre de tests, le nombre de personnes positives (cas importés, cas contacts et transmission communautaire, le nombre de décès et le nombre de guéris). Le docteur Bousso dans ses brillantes interventions à chaque fois qu’on lui donne l’occasion revient avec pédagogie sur le profil épidémiologique, le docteur Alpha Sall sur les tests effectués et le professeur Seydi sur les traitements. L’exercice de communication du bilan, salutaire en soi, nous démontre qu’il y a des efforts à faire dans la stratégie d’information publique et de transparence sur le Covid-19. Cette posture renvoie à une médicalisation très rigide de la riposte tout en sachant que la prévention est la mère des batailles. La nature de notre société est basée sur l’oralité où la rumeur est aussi un moyen parallèle de communication pour tordre le cou aux informations technocratiques sans rendu socialement compréhensible.
La représentation populaire sur le virus porte sur le stigma de l’information officielle entachée de suspicion et qui constitue des freins à une démarche inclusive avec les communautés. Malgré les comptes rendus journaliers du ministre ou de son directeur de cabinet et les menaces sur la diffusion des fake news, les communautés se ré-approprient les messages officiels pour les réinterpréter à leurs manières au niveau des populations officielles.
La base des données du ministère doit être présentée par le directeur du COUS et nous renseigner sur le nombre total de personnes placées en quarantaine, le rapport avec le nombre de tests, leur localisation géographique, le nombre de porteurs sains communautaires, le nombre de personnes triées et référées à partir des centres de santé vers les centres de prise en charge, le nombre de décès communautaires enregistrés, le nombre de contacts recensés. En temps d’épidémie, tous les décès y compris communautaires doivent faire l’objet d’une autopsie.
Comment renforcer l’appropriation communautaire des messages sur le Covid-19 et reformuler de manière compréhensible les données sur le Covid-19 ?
C’est cela qui aurait pu justifier une plateforme communautaire multisectorielle de validation et de production des informations grand public, composée de médecins, d’épidémiologistes, de communicateurs pour le développement, de communicateurs traditionnels, de socio-anthropologues, d’experts en sécurité et de psychologues. Ce dispositif devrait s’appuyer sur la société civile sentinelle, les collectivités locales et les terroirs. La région de Dakar compte 1010 quartiers et 600 associations sportives et culturelles et les groupements de promotion féminins (ASC Sénégal 5600 GPF 6816) qui sont autant d’espace et d’acteurs volontaires de communication pour le changement de comportements afin de freiner la propagation du virus.
Urgences d’Etat : aller au-delà de la résilience par un programme de relèvement
La résilience économique et sociale est une stratégie qui permet aux populations de s’adapter aux chocs comme la crise humanitaire ou la crise sanitaire que nous connaissons aujourd’hui avec le Covid-19 tandis que le relèvement économique et social se pose après la crise en termes de réinsertion économique et sociale des groupes touchés par la crise sanitaire ayant un lien avec la capacité de l’économie locale à créer des opportunités d’emplois. La crise du Covid-19 a commencé à détruire des centaines d’emplois dans les secteurs du tourisme, du transport, tous les secteurs des petites entreprises individuelles et les emplois de résilience urbaine : il est important de penser à leur réinsertion à la fois sociale et économique.
Le président de la République a initié un important et vaste programme de résilience sociale et économique pour un montant de 1000 milliards à mobiliser au niveau interne et externe avec une affectation des ressources par secteur. Cette initiative est une indication sur une volonté politique forte et une nouvelle orientation stratégique qui devrait signifier une réorientation du Plan Sénégal Emergent pour parer à l’urgence.
Le secteur de la santé qui est un des motifs de cette vaste mobilisation nationale contre le Covid-19 mérite une allocation financière conséquente de 200 milliards en plus de des ressources allouées par les partenaires techniques et financiers. Ce sera une opportunité de se projeter au-delà de la riposte et élargir la couverture Maladie Universelle au niveau des terroirs, renforcer les plateaux techniques, les capacités pour la réduction de la mortalité infantile, améliorer la prise en charge des maladies cardiaques, des insuffisants rénaux, du cancer, éradiquer le paludisme, lutter contre la malnutrition, accroître la surveillance épidémiologique et favoriser l’intégration régionale de la santé à travers la CEDEAO : en somme, donner de la puissance à la souveraineté sanitaire.
Le secteur privé notamment le secteur des petites entreprises individuelles et le secteur informel (tailleurs, salon de coiffure, restauration, garage mécanicien, menuiserie, vendeuses de marchés fermés, artisanat, etc.) qui ne bénéficie d’aucun marché d’Etat doit être une priorité face à la violence «économique» du Covid-19.
La jeunesse de la population (plus de 70% à moins de 35 ans) constitue à la fois une opportunité et une menace pour la sécurité nationale si rien n’est fait pour leur trouver des emplois décents et pérennes. La crise doit être une opportunité pour renforcer les stratégies de souveraineté alimentaire avec une agriculture modernisée et innovante. Notamment tous ces jeunes femmes et hommes diplômés ou non, alphabétisés, jeunes vendeurs ambulants, laveurs de voitures, cireurs, parcmètres humains, dont les énergies doivent être canalisées par un déploiement dans les exploitations agricoles. Le plan de distribution de kits ménages alimentaire devrait s’appuyer d’abord sur la commercialisation des céréales produites localement dans la vallée, la Casamance, les Niayes, le Ferlo et le bassin arachidien. Pourquoi ne pas reprendre le programme Haute intensité de main d’œuvre (HIMO) avec des volontaires de la riposte en échange d’aliments ? La souveraineté alimentaire du Sénégal est aussi à ce prix.
Les fonds alloués au secteur de l’éducation concernent exclusivement le secteur privé de l’enseignement avec une non-prise en compte des effets de la crise sur le secteur public qui a des besoins aussi importants pour terminer l’année scolaire et innover dans les approches pédagogiques. Ne devrions-nous pas nous projeter sur comment gérer les gaps en matière d’éducation post Covid-19 pour accélérer et généraliser l’éducation y compris pour les adultes ?
Dans la perspective de la pérennité des transformations et des perspectives attendues de l’après Covid-19, chaque ministère, chaque institution, chaque entreprise, chaque plateforme de la société civile devrait se doter de plan de contingence pour la mitigation des risques. Le plan de contingence du ministère de la santé et de l’action sociale s’appuie sur 4 piliers, à savoir la détection des cas suspects et des cas confirmés, l’isolement rapide desdits cas, le renforcement des moyens de prévention et le contrôle des infections dans les structures sanitaires et en communauté, l’intensification de la communication de risque sur l’infection et la participation des populations aux mesures de riposte, et la coordination des interventions de riposte à l’épidémie. Il faut reconnaître le travail effectué par l’ensemble des personnels et des structures de santé pour la coordination des opérations d’urgence avec la mise à l’échelle des structures de prise en charge de manière décentralisée. On ne peut parler de plan de contingence en occultant la dimension d’un plan de déploiement du personnel qualifié, le renforcement de leurs capacités et la motivation des personnels des structures de santé.
Le ministre de la Culture et de l’information a développé une approche inclusive avec les artistes, les entreprises de presse. C’est grâce à cette approche que nous avons pu avoir une vaste appropriation des médias qui n’ont jamais autant couvert une pandémie. Le nombre d’articles et de reportage dans les médias sur le Covid-19 traduit l’attitude citoyenne et responsable des entreprises de presse. Je dois souligner que les journalistes Elhadj Assane Gueye de RFM en wolof et Abdoulaye Mboup de SenTv en français se sont singularisés à travers une approche à la fois pédagogique et éducative, sans oublier i-radio qui réussit à donner des informations exclusives en première ligne. Il en est de même avec les artistes peintres, les musiciens de tous genres, le rappeur, Mbalax qui ont été prolixes dans les créations originales sur le Covid-19. Après l’apartheid et Mandela, et dans une moindre mesure le sida, le Covid-19 a suscité un intérêt et une création artistiques sans précèdent dans l’histoire de la musique sénégalaise.
Le Sénégal va se réveiller après la crise du Covid-19 avec le devoir de redéfinir les nouveaux contours d’une société transformée à son insu et souvent contre son gré sous le diktat de nouveaux rapports de la géopolitique mondiale. Cette situation interpelle d’abord et avant tout l’Union africaine et les commissions économiques régionales qui doivent profiter de cette opportunité à la face du monde pour assumer son leadership sans verser dans les solutions de ponctionnés et pourvoyeurs des opportunités aux autres continents. À l’Afrique de bien gérer cette pandémie par une meilleure intégration des ripostes à l’échelle continentale dans une perspective de mutualisation des efforts, des politiques, des connaissances, des nouvelles technologies et de l’innovation.
Le monde post Covid-19 ne sera pas le même au plan de la géopolitique mondiale, nous allons assister à des transformations majeures dans la gestion de nos cités et l’Afrique sera obligée de réinventer un nouveau monde, définir des liens avec le monde, basés sur la coopération internationale humanisée et non sur un confinement. Ceci devrait se faire et se préparer maintenant avec un sommet virtuel pour en tirer des leçons, pour échanger des expériences et dégager des perspectives africaines de résilience et de relèvement socio-économique et politique. Avec toutes les péripéties que notre continent a subies dans son histoire, il a démontré à la face du monde qu’il a toujours été résilient face à tous les chocs multiformes. La force africaine réside dans sa cohérence culturelle dont le ciment reste les connaissances, les valeurs, des croyances et des règles de vie communes, permettant de vivre et de travailler ensemble en s’appuyant sur la même vision du monde…et en la partageant sans crainte ni peur de l’avenir.