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5 mai 2025
Société
CES PAYS AFRICAINS SOUTIENS HISTORIQUES DES PALESTINIENS
Sous la présidence de Senghor, le président de l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) Yasser Arafat disposait d’un passeport diplomatique sénégalais qui lui permettait de voyager à travers le monde
TV5 Monde |
Ndiassé Sambe |
Publication 16/05/2021
Depuis le début des affrontements entre Israéliens et Palestiniens du mois de mai 2021, le Sénégal, la Tunisie, et l’Afrique du Sud, font partie des pays africains à avoir pris position officiellement, de façon neutre pour le premier et clairement en faveur des Palestiniens pour les deux autres. En réalité, ces trois pays africains se distinguent par les liens historiques tissés avec la cause palestinienne.
Sénégal : Senghor et le passeport diplomatique de Yasser Arafat
Le président de la République du Sénégal, Macky Sall, a profité de la fête de l’Aïd-el-Fitr pour lancer un « appel » aux Israéliens et Palestiniens « pour une désescalade, afin que la paix revienne et que les discussions saines et sereines puissent être engagées entre ces deux communautés dans le respect du droit international ».
Un message qui, pour une fois, ne donne pas l’impression d’être à 100% du côté palestinien. Car dans le passé, le Sénégal, peuplé à 95% de musulmans, n’a pas hésité à se positionner officiellement pour la cause arabe. Comme en décembre 2016 quand, l’État sénégalais avait co-parrainé la résolution 2334 du Conseil de sécurité condamnant la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens. Ce qui avait valu à l’époque des sanctions diplomatiques et économiques contre le Sénégal de la part d’Israël avant que les relations ne se normalisent à nouveau six mois plus tard.
Le soutien sénégalais à la cause palestinienne remonte à bien longtemps, dès la présidence de Léopold Sédar Senghor, premier chef de l’État du Sénégal indépendant. Sous la présidence de Senghor, le président de l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) Yasser Arafat disposait d’un passeport diplomatique sénégalais qui lui permettait de voyager à travers le monde. L’actuel ambassadeur de l’Autorité palestinienne au Sénégal Safwat Ibraghith l’a rappelé lors d’une conférence de presse à Dakar en juin 2017 révélant qu’une place portant le nom de l’ancien président sénégalais pourrait être construite dans les Territoires palestiniens. « C’est un projet qui était recommandé et transmis aux autorités palestiniennes, a confié Safwat Ibraghith. Les autorités compétentes de la ville de Ramallah ont pris la décision, à l’unanimité, de donner le nom de Senghor à une place centrale au cœur de Ramallah qui est aujourd’hui la capitale administrative de l’autorité palestinienne. »
Il faut également rappeler que le Sénégal a été l’un des premiers pays africains à ouvrir sur son sol une représentation diplomatique palestinienne et qu’aujourd’hui, c’est un Sénégalais, Cheikh Niang, qui préside, à l’ONU, le Comité pour l'exercice des droits inaliénables du peuple palestinien.
Tunisie : Le souvenir du bombardement de Hammam Chatt
Depuis 1982, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) avait établi ses quartiers à Tunis après avoir fui le Liban attaqué par Israël. Le 1er octobre 1985, la Tunisie est victime d’un bombardement israélien sur son sol. Des avions de chasse de l’État hébreu prennent pour cible le quartier général de l’OLP, installé à Hammam Chatt, à 25 km de Tunis. Bilan de l’attaque : 68 morts (50 Palestiniens et 18 Tunisiens). Selon les autorités israéliennes, l’opération est menée en représailles après «une série d’attaques terroristes» menée à l’été 1985 contre des cibles visant Israël. Le raid israélien eut pour conséquence de renforcer le sentiment pro-palestinien auprès de la population tunisienne.
Après le déclenchement des affrontements au Proche-Orient, d'une violence inédite depuis 20 ans, le gouvernement tunisien a condamné, le 11 mai, une « agression contre les Territoires palestiniens » menée par Israël et appelé la communauté internationale à « assumer ses responsabilités ». Et dépit du confinement lié à la pandémie de coronavirus, quelques dizaines de militants de la société civile ainsi que des responsables de partis de gauche et nationalistes arabes ont manifesté jeudi devant la Kasbah, siège du gouvernement tunisien, a rapporté l'AFP.
La Tunisie, qui siège actuellement au Conseil de sécurité de l'ONU, a également présenté avec la Norvège et la Chine un projet de déclaration réclamant « à Israël d'arrêter les activités de colonisation, de démolitions et d'expulsions » de Palestiniens, « y compris à Jérusalem-Est ». Cette déclaration n'a toujours pas été adoptée par le Conseil de sécurité, qui doit se réunir en urgence dimanche 16 mai.
Afrique du Sud : Mandela et Desmond Tutu en défenseurs
L’ANC (le Congrès national Africain), au pouvoir depuis la fin de l'apartheid en 1994, est un soutien historique de la cause palestinienne. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa avait condamné lundi 10 mai, au nom de l’ANC, « les expulsions illégales de Palestiniens de leurs maisons » et « les attaques brutales contre les manifestants palestiniens » sur le Dôme du Rocher.
Le mardi 11, plusieurs centaines de Sud-Africains, se sont rassemblés comparant l'occupation israélienne au régime honni qu'ils ont connu. Réclamant la « fin de l'occupation illégale de la Palestine » et munis de drapeaux palestiniens, le cortège, emmené par une fanfare d'écoliers en uniforme bleu, a scandé « Libérez, libérez la Palestine !», « A bas, à bas Israël !» dans les rues du Cap, deuxième ville du pays.
« Des gens meurent, des gens sont déplacés, des gens sont blessés et sont traités injustement. Nous avons subi la même chose ici », affirme à l'AFP Tasneem Saunders, une professeur de 31 ans.
Dans un communiqué, la Fondation Desmond Tutu a appelé à mettre fin à des décennies de soutien au régime israélien de l'apartheid.
En 1989, l’archevêque anglican de la ville du Cap Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en 1984, attestait de la similitude des destins palestinien et sud-africain : « Je suis un Noir sud-africain, mais si on devait substituer des noms de lieux à d’autres, ce qui se passe aujourd’hui dans la bande de Gaza et en Cisjordanie peut parfaitement décrire la situation qui prévaut en Afrique du Sud […]. Je souhaite l’application contre Israël de mesures de boycott semblables à celles qui frappaient l’Afrique du Sud dans les années 1980 ». Cela en écho à la célèbre citation de Nelson Mandela : « Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens ».
« Jusqu’au début des années 90, pratiquement tous les pays africains, étaient pour la Palestine »
Ahmed Manai, président de l’Institut tunisien des relations internationales, évoque l’évolution des relations entre les pays africains et la Palestine, et la normalisation qui fait son chemin avec Israël.
Comment s’est fait l’évolution des soutiens des pays d’Afrique pour la Palestine ?
Ahmed Manai : Le soutien des pays d’Afrique à la Palestine a changé au cours de ces dernières années. Dans les années 1970, 80 et même jusqu’au début des années 90, pratiquement tous les pays africains, arabes ou du sud du Sahara, étaient pour la Palestine, le droit des Palestiniens. Cela a commencé à changer avec la chute du mur de Berlin. Beaucoup de pays, sous la pression des États-Unis et de certains pays européens, ont reconnu Israël et ont abandonné leur soutien à la Palestine. Actuellement, avec tous ces pays arabes qui essayent de normaliser leurs relations avec Israël, cela pousse d’autres pays africains à entamer des pourparlers pour des relations normales.
Parmi les pays qui ont normalisé leurs relations avec Israël, il y a le Maroc et le Soudan, quels pourraient être les prochains pays africains à suivre leur exemple ?
Ahmed Manai : Le Maroc a toujours eu de très bonnes relations avec l’État d’Israël pour une raison bien simple : beaucoup de juifs marocains sont partis en Israël même avant l’indépendance du Maroc. La communauté juive marocaine est l’une des plus importantes en Israël. Cela a facilité un peu les bonnes relations entre le Maroc et l’État d’Israël. En Afrique, à un certain moment, la Mauritanie a entamé des relations avant de se désengager, puis se réengager. Le Tchad a une relation pas très claire avec Israël, mais d’une manière générale la plupart des pays africains ont plus ou moins entamé une normalisation de leur relation avec Israël. Après, est-ce qu’il y a un risque que le processus soit stoppé au vu des événements actuels ? Tout dépendra de l’issue de cette situation. Si l’Intifada continue, il y aura, au moins, un arrêt de cette course à la normalisation parce qu’il y a des droits imprescriptibles que connaissent les Africains qui ont connu la colonisation.
Comment des pays comme le Sénégal, la Tunisie, et l’Afrique du Sud, différents à bien des égards, ont pu garder un lien de soutien historique avec la Palestine ?
Ahmed Manai : Le Sénégal, je connais moins, mais c’est sûr que les pays africains à majorité musulmane sont pour les Palestiniens, même quand leur gouvernement est un peu plus hésitant. En Tunisie, la relation remonte à longtemps dès 1948, j’avais 6 ans. Il y avait beaucoup de personnes de ma génération qui étaient sensibles à la cause palestinienne. Et je constate que parmi les jeunes d’aujourd’hui, le sentiment est beaucoup plus vivace. Les jeunes de 20-25 ans qui ne connaissent pas l’exode des Palestiniens de 1948, sont les plus engagés.
L’Afrique du Sud, déjà du temps de la lutte contre l’apartheid, Nelson Mandela et les Sud-Africains étaient pour le droit des Palestiniens. Cela continue. Aujourd’hui, j’ai envie de dire que la position de l’Afrique du Sud est beaucoup plus claire que celle de certains pays arabes.
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OBJECTION AVEC DJIM OUSMANE DRAMÉ
Le chef du laboratoire d'islamologie de l'Ifan est l'invité de Baye Oumar Guèye sur Sud FM
Le maire de Kaffrin et porte-parole du Parti socialiste, fait le tour de l'actualité au micro de Maodo Faye, dans l'émission dominicale en Wolof.
par Gilles Yabi
AU BÉNIN, UNE TRAJECTOIRE POLITIQUE DANGEREUSE
Est-on vraiment obligé d’instaurer un climat de peur digne des régimes autoritaires pour construire des routes, pour améliorer l’accès à l’eau, à l’électricité, pour créer des cantines scolaires, pour digitaliser l’administration ?
Peu de Béninois auraient pu imaginer il y a encore trois ans qu’un scrutin présidentiel puisse être marqué par un climat de tension, de craintes de violences et de déploiement impressionnant de forces armées. L’élection présidentielle du 11 avril dernier au Bénin a offert un spectacle comparable à celui dont sont coutumiers nombre de pays du continent : intimidations et arrestations d’opposants avant et après l’élection, sélection des candidats autorisés à se présenter par le jeu de réformes institutionnelles et/ou de procédures judiciaires… et donc élimination de tout suspense et de toute substance au rendez-vous électoral.
Réélu avec 86% des suffrages exprimés, et un taux de participation officiel de 51%, bien plus élevé que celui estimé par un collectif d’organisations de la société civile ayant observé le scrutin, le président Patrice Talon ne semble pas du tout embarrassé par le rapprochement que l’on peut faire avec ses homologues réélus avec des scores fleuves comparables dans les pays les moins démocratiques du continent. Élu en 2016 avec un engagement fort d’instaurer un mandat présidentiel unique dans la constitution, Patrice Talon sera investi le 23 mai prochain pour son second mandat dans un contexte de malaise sans précédent.
De la promesse du mandat unique à un contrôle sans précédent des institutions et de l’espace politique
Le président a renoncé à la promesse du mandat unique et semble avoir choisi ce qu’il avait lui-même décrit avec précision comme étant la stratégie habituelle qui permet à chef d’État sortant de gagner une élection avant même de l’avoir organisée : neutraliser tous les adversaires politiques sérieux en les privant de moyens et de soutiens et contrôler toutes les institutions et les leaders d’opinion influents. Patrice Talon expliquait avec une grande conviction qu’il proposait le mandat unique précisément pour éviter ces pratiques contraires aux principes démocratiques.
Le président n’a jamais expliqué pourquoi, même après le rejet de la proposition du mandat unique par le parlement, il n’a pas choisi de ne pas solliciter un second mandat, ce qui aurait été le meilleur moyen de montrer les vertus du mandat unique et de convaincre qu’il y croyait vraiment. On est passé en trois ans de la promesse du mandat unique qui eût été une nouvelle innovation démocratique béninoise, après la conférence nationale des forces vives de 1990, à une réalité inquiétante.
Pour le président et pour ses ministres, il n’y a plus de manifestants, de citoyens en désaccord avec la gouvernance politique du pays, mais seulement des agresseurs, des mercenaires recrutés par des acteurs politiques qui veulent déstabiliser les institutions du pays. Le Bénin a rejoint la longue liste des pays du monde où les adversaires politiques sont très vite accusés de terrorisme. Des figures de l’opposition, l’ancienne ministre Reckya Madougou, et le professeur de droit constitutionnel Joël Aïvo, et des dizaines d’autres personnes, sont en prison depuis plusieurs semaines, soupçonnés de financement du terrorisme, d’atteinte à la sûreté de l’État ou d’autres accusations graves.
Pas de convocation préalable des personnes soupçonnées. Les arrestations se sont faites de manière spectaculaire et l’emprisonnement immédiat est la règle. Lorsqu’on connaît les conditions dans les prisons au Bénin comme dans tous les pays de la région, le signal qui est donné est clair, et il est dissuasif. Personne n’a furieusement envie d’aller dormir avec les rats, même quelques nuits. Les personnes arrêtées vont rester en détention plusieurs mois avant la tenue des procès. La cour de répression des infractions économiques et du terrorisme, la Criet, une des innovations institutionnelles du président Talon, lutte sans doute efficacement contre l’impunité, ce qui est utile pour le pays, mais elle aussi devenue un acteur redoutable et décisif dans la compétition politique. La lutte contre l’impunité, lorsqu’elle est perçue largement comme sélective, perd l’essentiel de ses vertus pédagogiques.
Faut-il choisir entre démocratie pagailleuse et autoritarisme dangereux ?
Un certain nombre de Béninois pensent réellement que la démocratie n’a rien apporté au pays, qu’elle s’est muée en pagaille, en corruption, en enrichissement illicite des acteurs politiques, en grand partage de privilèges entre ces derniers pendant les dernières décennies, et qu’elle n’a pas conduit au « développement ». Patrice Talon a su s’engouffrer dans la brèche ouverte par ce sentiment de désillusion démocratique, en grande partie légitime, et dont il en a été aussi accessoirement un artisan majeur, en bailleur discret mais puissant des acteurs politiques pendant des années.
Les Béninois qui clament préférer le développement à une démocratie improductive ne voient pas que la menace aujourd’hui est celle d’une fragilisation sans précédent de la paix, de la sécurité et de la cohésion nationale. C’est une perspective beaucoup plus grave que celle que dessinait une démocratie même pagailleuse et corrompue. Lorsqu’on a travaillé pendant des années sur les pays qui ont connu des conflits armés, ou des crises politiques violentes et récurrentes en Afrique de l’Ouest, et lorsqu’on examine la situation sécuritaire et politique actuelle de la région, on ne peut pas rester silencieux face au tournant dangereux pris par un des rares pays qui a échappé jusque-là à de graves violences politiques et à des fractures de son tissu social.
Partout où la violence a fini par s’installer durablement dans les pratiques politiques, partout où la société s’est divisée à cause de la compétition pour le pouvoir et du recours à tous les moyens par les acteurs politiques, partout où la peur de voir le cours de sa vie stoppé ou altéré par l’installation d’un régime autoritaire qui ne tolère aucune voix critique, partout où les détentions arbitraires et toutes les humiliations infligées par ceux qui détiennent le pouvoir politique sont devenues banales, cela a commencé par le déni de la réalité. Prétendre que les conditions politiques de la tension, de la violence, de la peur et de la division n’ont pas été largement créées par les décisions conscientes du pouvoir actuel relève bien du déni.
Se poser des questions sur les années à venir avant qu’il ne soit trop tard
Le président Talon a en cinq ans enclenché des réformes importantes dans moult domaines de l’action publique, avec une manière de gouverner manifestement façonnée par son parcours de chef d’entreprise moderne, déterminé, exigeant, focalisé sur ses objectifs. Beaucoup de jeunes cadres béninois dotés d’une solide formation, d’expériences professionnelles probantes et de bonne foi se félicitent des signes de modernisation de la gestion des affaires publiques sous le président Talon, et y concourent notamment au sein des nouvelles agences qui incarnent la vision réformatrice du président. Ils ne semblent pas s’inquiéter du recul des libertés, de la disparition de tous les contre-pouvoirs et de ce que cela pourrait signifier pour les cinq prochaines années… et encore davantage pour l’après.
C’est pourtant le bon moment pour se poser quelques questions. Est-on vraiment obligé d’instaurer un climat de peur digne des régimes autoritaires pour construire des routes, pour améliorer l’accès à l’eau, à l’électricité, pour créer des cantines scolaires, pour digitaliser l’administration ? Est-il nécessaire de ramener le Bénin dans le groupe des pays africains où les élections, la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l’homme relèvent de la farce parce qu’on voudrait en faire un pays moderne et « développé » ?
Quand le président Talon aura achevé son second, et a priori dernier mandat, en 2026, laissera-t-il un pays en paix, aux institutions plus solides, à la société plus soudée ? Et est-ce le bon moment pour voir des terroristes partout dans le champ politique alors que le pays partage avec ses voisins du nord, le Burkina Faso et le Niger, des espaces forestiers où circulent des gens qui ressemblent beaucoup à de vrais terroristes ? C’est le bon moment de se poser des questions avant que le Bénin n’aille trop loin dans une direction qui a déjà éloigné dans tant de pays du continent, et pour longtemps, les perspectives de paix, de sécurité et de progrès collectif.
L'ÉCONOMIE FRANÇAISE CONTINUE DE RECULER EN AFRIQUE
Mais il y a un facteur irrationnel qui continue à présenter la France, l'ancienne puissance coloniale, comme "pillant” les richesses du continent. Et qui pourrait en faire le reproche à ceux qui brandissent cet argument ?
A l’occasion du sommet africain du 18 mai à Paris, la DW fait le point sur la présence de la France et des autres pays sur le continent.
Le président Emmanuel Macron n'a pas hésité à parler d'un "New Deal” du financement des économies africaines pour aider les pays à surmonter le ralentissement de leurs économies lié à la pandémie de Covid-19.
Au-delà de la référence, souvent utilisée, au plan de relance mis au point par le président américain Franklin Roosevelt pour sortir son pays de la grande dépression des années 1930, ce sommet du 18 mai, auquel vont participer une dizaine de chefs d'Etat africains, sera d'abord chargé d'aborder la question de la dette du continent.
Celle-ci a quasiment triplé entre 2006 et 2019, selon une étude conduite par le Trésor français qui rappelle que le Fonds monétaire international estime à 290 milliards de dollars les besoins de financement externe africain pour 2020-2023.
Mais ce sommet est aussi l'occasion de critiquer, avec passion parfois, la présence de la France qui, soixante ans après les indépendances, continuerait d'exploiter les richesses du continent.
Une bonne raison donc pour faire le point sur certaines idées reçues.
La France talonnée par l'Allemagne
Commençons par les exportations. En vingt ans, la France a perdu près de la moitié de ses parts de marché en Afrique par rapport à la concurrence, passant de 12% à 7%. "Les exportations françaises ont doublé sur un marché qui a quadruplé, d'où une division par deux de nos parts de marché”, affirme l'ancien ministre Hervé Gaymard dans un rapport rendu en 2019.
Entre 2000 et 2017, les exportations françaises vers le continent africain auraient ainsi doublé de 13 à 28 milliards de dollars mais "sur un marché dont la taille a quadruplé d'environ 100 à 400 milliards de dollars d'exportations”, poursuit le rapport.
En clair : le gâteau aurait quadruplé de volume mais les Français auraient progressé moins vite que la concurrence.
Il est difficile de vérifier si cette vision d'un marché allant plus vite que les capacités françaises est juste mais une chose est sûre : les chiffres sont confirmés par l'Observatoire de la complexité économique qui compile les données du commerce international.
Ainsi, avec un volume de 29,4 milliards de dollars de marchandises exportées sur le continent africain en 2019, la France est désormais talonnée par les Etats-Unis, l'Allemagne et même l'Afrique du Sud.
On est donc loin de l'image du domaine réservé, le recul Français étant même plus prononcé en Afrique francophone. Ceci explique peut-être pourquoi le président Emmanuel Macron cherche des alternatives en orientant sa stratégie vers les pays anglophones.
Par ailleurs, les exportations françaises sur le continent africain sont faibles en rapport de la totalité. Elles ne représentent que 5% de l'ensemble des biens et services exportés par la France chaque année.
Les Pays-Bas investissent plus que la France
Le chiffre des exportations est aussi à mettre en parallèle avec un autre : toujours en 2019, l'Afrique n'accueillait que 4% des investissements français (les IDE, investissement directs étrangers).
Selon l'Agence Ecofin, les intérêts économiques français sont logiquement d'abord dirigés vers les pays européens (67%), l'Amérique du Nord (17%), l'Asie (8%) et, détail inattendu, même l'Amérique latine, avec 5% des IDE français, devance l'Afrique, ce qui relativise l'image d'un pays tirant une grande partie de sa richesse de ce continent.
Si on considère cette fois les stocks de ces investissements (leur cumul), la France est une nouvelle fois distancée par la Chine et un autre acteur auquel on pense moins souvent : les Pays-Bas.
Pourquoi ce petit pays investit-il autant en Afrique ? La présence sur le sol néerlandais de nombreuses holdings et sièges de groupes internationaux, attirés par une fiscalité avantageuse, explique ce paradoxe.
Ces données sont à retrouver dans le World investment report 2020, établi par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
Malgré tout, si la France est "bousculée” en Afrique, si elle ne cesse de perdre des parts de marché depuis le début du XXIe siècle, il faut tout de même constater que ce pays, même devancé, se classe toujours dans le trio de tête en matière d'exportations et d'investissements sur le continent.
Mauvaise image de la France
Mais il y a un facteur irrationnel dans ce dossier qui continue à présenter la France, l'ancienne puissance coloniale, comme "pillant” les richesses du continent. Et qui pourrait en faire le reproche à ceux qui brandissent cet argument ?
Les faits économiques démentent en partie, comme nous venons de le voir, cette réalité. Mais la mauvaise image de la France est avant tout entretenue par la présence de ses militaires dans le Sahel, une politique difficile à défendre auprès des populations qui se demandent pourquoi il y a encore des "bottes françaises” sur le sol africain.
La deuxième édition d'Africaleads, le "baromètre des leaders d'opinion en Afrique", réalisé par l'institut IMMAR auprès de responsables politiques, religieux, de représentants de la société civile mais aussi d'artistes et d'influenceurs, montre qu'au-delà de la réalité économique, c'est avant tout l'image de la France qui a été endommagée sur le continent.
Alors que parallèlement, celle de l'Allemagne se maintient au plus haut, seulement devancée par les Etats-Unis.
Interrogés sur les trois pays non-africains dont ils ont la meilleure image, le public ciblé par cette enquête donne des réponses qui illustrent un sérieux décrochage de la France vis-à-vis de l'ensemble des autres puissances.
L'Allemagne inflige à la France un écart de 19 points et le Royaume-Uni, lui aussi une ancienne puissance coloniale, devance désormais la France dans l'esprit des Africains interrogés. Ce qui n'était pas le cas lors du précédent sondage.
Ceci s'explique sans doute par le fait que l'échantillon de 2.400 personnes interrogées, qui ne couvrait que huit pays francophones lors de la précédente édition, s'est élargi cette fois au Nigeria, à l'Egypte, à l'Ethiopie et au Kenya.
L'ESPOIR RENAÎT À BISSINE
Ses habitants, déplacés un soir d’octobre 1992 à cause du conflit casamançais, débordent d’enthousiasme depuis qu’ils ont commencé à humer l’air de leur terroir retrouvé après bien des péripéties
Bissine revit. Ses habitants, déplacés un soir d’octobre 1992 à cause du conflit casamançais, débordent d’enthousiasme depuis qu’ils ont commencé à humer l’air de leur terroir retrouvé après bien des péripéties.
Bissine, terre de souvenirs douloureux et de grandes espérances. Le 9 octobre 1992, le cours de l’histoire de ce village, constitué à l’époque de cinq grands quartiers, a pris un tournant critique. Ce patelin a été le théâtre d’actions violentes pour déloger des combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc). Des demeures avaient été bombardées, des villageois tués. « Ce fut un vendredi tragique », confie le coordonnateur du Comité de concertation pour le retour des populations déplacées, Malamine Diédhiou. Cinq jeunes avaient trouvé la mort ce jour-là à Bissine à l’issue de ces assauts. Les populations, traumatisées, ont pris la fuite vers le Sud, notamment à la frontière avec la Guinée-Bissau, abandonnant ainsi leur terroir. Les Bissinois étaient installés le long de l’axe San Domingo-Bissau et d’autres ont préféré rejoindre l’intérieur de ce pays voisin.
Craignant pour leur sécurité, ils avaient décidé de s’y installer en attendant que le calme revienne dans leur village. Mais que l’attente fut longue ! Les espoirs d’un retour ont été, pendant longtemps, déçus. Bissine tombe entre les mains des combattants du Mfdc qui contrôlent alors tout le territoire et les plantations. À la 25ème année de leurs interminables « errances », 18 Bissinois, sans le feu vert des éléments du Mfdc, tentent un retour risqué vers leur terroir. L’armée sénégalaise, qui avait pris l’initiative d’ouvrir l’axe Diagnon-Niadhiou, les accompagne dans ce processus. Les 18 cobayes, avec le soutien des soldats sénégalais, réussissent alors à s’installer à Bissine en 2008.
Ce retour aux sources n’a duré que 24 heures. La « colonie des 18 » n’a pas eu le temps de savourer ce come-back et de prendre leur petit-déjeuner sur place. Car les rebelles ont débarqué sur les lieux pour les déloger alors qu’ils dormaient encore. « C’était un samedi. Très tôt le matin, les combattants sont arrivés à Bissine pour nous amener manu militari vers le Sud. Pendant presque quatre jours, nous étions leurs otages. Quand ils ont su que l’État sénégalais n’allait pas intervenir dans ce dossier, ils nous ont relâchés de l’autre côté de la Guinée-Bissau. C’était éprouvant et terrifiant », se remémore Malamine Diédhiou.
Après cet échec, les villageois changent de fusil d’épaule en privilégiant la voie diplomatique. Ils décident ainsi d’engager des pourparlers avec les combattants du Mfdc et l’autorité administrative, notamment le sous-préfet de l’arrondissement de Niaguis d’alors (Mamadou Lamine Goudiaby) et le Gouverneur de la région de Ziguinchor.
Le courrier qui a tout changé
C’est en 2017 que la concertation a été formalisée en mettant en place un comité devant s’adresser aux villages désireux de retourner chez eux. Treize villages de l’arrondissement de Niaguis et un autre de la commune de Kaour (Singhère Diola), dans l’arrondissement de Djibanar, ont alors été concernés par les négociations. Mais, le Mfdc campe toujours sur sa position, demandant aux villageois de ne tenter aucune action pour un retour. L’engouement des populations est freiné. Mais le temps continue de faire son œuvre.
En 2019, le Comité de concertation pour le retour des populations déplacées adresse une correspondance au Chef de l’État, Macky Sall, avec une seule doléance : le retour des déplacés. Et rien que cela. Une requête à laquelle accède le Président Sall par le biais du Gouverneur Guédj Diouf. En 2020, l’autorité répond à l’appel des populations en organisant des opérations de sécurisation devant permettre aux habitants de rentrer. La zone est alors libérée par les forcées armées sénégalaises. Et le 5 juillet de la même année, les Bissinois, déterminés et accompagnés par l’armée, effectuent leur retour au bercail. Bissine devient ainsi le symbole du renouveau et d’une paix progressive.
Anéanti par le conflit vieux de près de quatre décennies, Bissine renaît progressivement de ses cendres. Pour se rendre dans ce village situé dans la commune rurale d’Adéane (département de Ziguinchor), il faut se tenir prêt à affronter, à partir de Diagnon, une piste latéritique et très poussiéreuse. Après quelques minutes de route, un site bien propre et abondant d’installations de huttes s’offre au visiteur. C’est le nouveau village de Bissine, jadis créé par les Bainounk. Un patelin paisible et calme qui, il y a près de 30 ans, avait été vidé de ses habitants, laissant derrière eux troupeaux et plantations d’anacarde. Mais, depuis juillet 2020, la donne a changé avec le retour imminent des populations. Aujourd’hui, 339 ménages sont sur place et tentent, avec le soutien de l’État du Sénégal et de ses partenaires techniques et financiers, de développer le terroir de leurs ancêtres. Ici, il n’y a pas encore de maisons en zinc. Par contre, dit-on, le Gouvernement, par le biais des services régionaux de l’Urbanisme et du Cadastre, y a déjà entamé un processus de lotissement pour offrir à plus de 2.000 personnes un cadre de vie convivial.
La renaissance d’une terre meurtrie
Pour faciliter le retour et améliorer les conditions de vie des populations, le Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma) a octroyé à 35 chefs de ménage trois tonnes de ciment, 120 tôles et des lattes de rônier, et une Ong américaine s’est occupée de la couverture.
Dans ce village, les premières demeures « modernes » sont attendues vers la fin de l’année. En attendant, les villageois entendent porter toutes les initiatives de développement au profit des générations actuelles et futures.
Doté d’un puits et de panneaux solaires, Bissine, surveillé de près par les « Jambaar » qui y ont érigé leur poste, se relève petit à petit. D’ailleurs, il est prévu dans ce village la construction d’un mini-forage afin de permettre aux populations de disposer de l’eau potable. D’après le coordonnateur du Comité de concertation pour le retour des populations déplacées, tous les habitants qui sont rentrés ont pour objectif de « travailler d’arrache-pied » pour faire de Bissine ce qu’il était avant le déplacement forcé : une terre paisible. Ici, on loue l’« implication décisive » du Chef de l’État et le « professionnalisme de l’armée », dixit Malamine Diédhiou. À Bissine, on entonne désormais l’hymne de la paix. Celle-ci se construit. Le village dispose d’une école publique élémentaire du CI au Cm2 construite avec des matériaux de fortune.
Le conflit en Casamance a provoqué 52.800 déplacés dont des réfugiés en Guinée-Bissau et en Gambie, a révélé, en 2014, l’Agence nationale pour la relance des activités économiques et sociales en Casamance (Anrac). Peu à peu, des déplacés reviennent au bercail.
GOULOUMBOU, CARREFOUR DE SINGULARITÉS PLURIELLES
Parrainé par la beauté et la générosité du fleuve Gambie qui le traverse, en plus du pont qui enjambe le cours d’eau et attire hommes et opportunités, ce bled à mi-chemin entre Tambacounda et Kolda a subi un flux démographique singulier depuis 1930
Le paysage tout en fresques de Gouloumbou n’a d’égal que la diversité de son peuplement. Parrainé par la beauté et la générosité du fleuve Gambie qui le traverse, en plus du pont qui enjambe le cours d’eau et attire hommes et opportunités, ce bled à mi-chemin entre Tambacounda et Kolda a subi un flux démographique singulier depuis les années 1930. Mais le tableau cosmogonique que présente aujourd’hui ce patelin du Sud est essentiellement la résultante d’un dynamisme porté par de vaillants aventuriers venus du Walo et du Fouta.
La peinture climatique reflète plus du crépuscule que les onze heures qui s’affichent à l’horloge. Avec ce temps fort brumeux qui allait précéder de fortes pluies, le dehors n’est quasiment occupé que par les forces de l’ordre (militaires et policiers) qui contrôlent les automobilistes traversant le pont de Gouloumbou et quelques jeunes vendeuses de bananes qui espèrent l’interpellation des voyageurs. Le vieux Mahamadou Coulibaly retrouve notre équipe quelques instants plus tard. L’homme, trapu et obstinément souriant, stationne négligemment sa bécane contre un pan du domicile du chef du village. Ce dernier, Thierno Ahmadou Baro Wade, empêché, l’a envoyé pour parler, en son nom, de l’historique du peuplement de ce village de plus de 4.000 personnes réparties en 477 concessions. Mahamadou Coulibaly, par ailleurs membre du Conseil départemental de Missirah, se prête à l’exercice avec enthousiasme.
«Les Peulhs ont été les premiers à s’installer dans la zone au milieu des années 1930. Ils seront suivis un peu après des Bambaras. Mais ils étaient tous peu nombreux et habitaient des villages satellites à Sibikoro. C’est là, derrière les montagnes, à 5 km d’ici. Il y avait ensuite des Voltaïques (Burkinabé) et des Dahoméens (Béninois) qui étaient des spahis de l’armée coloniale travaillant au bac de Sibikoro. C’est pourquoi le village est aujourd’hui surnommé Baakoro (l’ancien bac en manding) », introduit le vieux Coulibaly, dans un phrasé élégamment contenu. Toutefois, les premiers flux migratoires sur l’actuelle agglomération sont intervenus en 1949 avec l’érection du premier pont de Gouloumbou, qui traverse le fleuve Gambie et relie Tambacounda à Kolda.
«Les travaux ont démarré en 1942, observant ensuite un coup d’arrêt à cause de la Seconde Guerre mondiale pour reprendre en 1949 et terminer en 1951. Cela a pris du temps aussi, car les pierres de remblayage étaient acheminées des collines de Dindifélo à la frontière. Des gens suivaient aussi ce trafic. Les populations peulhs et bambaras ont peu à peu migré de Sibokoro pour venir à Gouloumbou dont le pont et la nouvelle piste provoquaient un nouveau souffle socioéconomique», ajoute Yérim Diop, fils du premier chef du village, le Walo-Walo Abdoulaye Diop.
Les populations créditent son père d’être le principal artisan du visage reluisant et attrayant de Gouloumbou. La nouvelle population locale a été ensuite densifiée par d’autres Peulhs et Bambaras, en plus de Wolofs, de Mandingues et d’autres ethnies minoritaires attirés par les terres fécondes et le fleuve, entre autres opportunités économiques engendrées.
UN HAVRE FERTILE DU SUD VIVIFIÉ PAR DES FIGURES DU NORD
Cette population déjà mosaïquée va s’enrichir avec la venue des Thioubalos (pêcheurs foutankés) dans les années 1950. En bons pasteurs des eaux fluviales, ces pêcheurs du Fouta ont suivi les bancs de poissons jusqu’à Gouloumbou. Ils y faisaient d’abord escale, pour ensuite y mener plus tard des campagnes de pêche avant de venir s’y installer définitivement. C’était au moment où Ahmed Sékou Touré disait non au Général de Gaulle à quelques kilomètres de là, en Guinée, en 1958. Ces Thioubalos aujourd’hui mènent la dragée à Gouloumbou où la pêche constitue la principale activité génératrice de revenus. À côté d’eux, les Maliens constituent l’autre communauté de pêcheurs depuis 1985, sans toutefois ébranler leur suprématie. Selon Mahamadou Coulibaly, les attaques meurtrières des hippopotames n’ont en rien entamé l’entrain et les activités halieutiques des pêcheurs qui fournissent principalement, hormis le village, la région de Tambacounda en poissons. Gouloumbou vivait bien son expansion et son énergie démographique en 1970, quand des voisins sérères les ont rejoints. «Ils habitent les villages de Ngène, Sal, Sankagn, etc. Ces Sérères sont venus à la faveur des Terres neuves créées par l’État sénégalais sous Léopold Sédar Senghor durant la sécheresse», se souvient le vieux Coulibaly, dont l’écho de timbre posé se débat avec les coups de l’averse.
Ces Sérères du Gouloumbou sont justement les exploitants des bananeraies de Ngène dont la commercialisation du fruit nourrit également l’activité économique du village. Les Sérères, originaires des quartiers noones de Thiès, cohabitent dans leur village avec les Peulhs qui ont été délocalisés des villages du parc Niokolo Koba. La piste qui y mène est impraticable à cause des intempéries du jour.
Gouloumbou polarise présentement 46 villages. Grâce à ces activités ramifiées de l’aura du pont, le village a même plus de notoriété que les autres communes, voire le département dont il dépend administrativement. Il y a ce point, mais aussi la présence de ses riches ressources naturelles et surtout culturelles. À partir de la cour du domicile du chef de village, on contemple une vue fantastique du fleuve et de la fraîche verdure qui le borde en cette période hivernale. Par des sentiers imbibés, on atteint en hauteur les villages sis sur et derrière les montagnes. Ce sont des hameaux composés de blocs de cases principalement oblongues ou rectangulaires et distants d’à peine quelques dizaines de mètres. Des champs les ceinturent et offrent une magnifique nuance du vert des plants et du marron des casses et terres boueuses sur une grande étendue, agrémentée de l’odeur du pétrichor. Ces sites sont habités par des agriculteurs mandingues, dont des femmes font joyeusement le linge au pied du beau ravin au confluent de la «métropole» de Gouloumbou et des hameaux escarpés sur les buttes. Le quai de Gouloumbou, à quelques mètres, en constitue également un trait d’union.
«Le village vit d’agriculture, de pêche et d’élevage. Nous pratiquons tout, autant le maraîchage que l’agriculture hivernale. Ceci est possible parce que chaque communauté présente ici apporte son sceau, son savoir-faire et sa générosité. Pour les us et coutumes, il y a une très belle diversité au vu du caractère cosmopolite de la démographie dont chaque ethnie garde jalousement l’identité culturelle», dessine tout fièrement Mahamadou Coulibaly.
AU SÉNÉGAL, BRISER LE TABOU DU VIOL PEUT COÛTER CHER
Adji Sarr a été "décrédibilisée" et invisibilisée car c'est une femme issue du petit peuple. Il risque d'être désormais plus difficile pour une femme de porter plainte en cas de viol ou de violences sexuelles de la part d'un homme en position de pouvoir
Depuis qu'elle a accusé l'une des principales personnalités politiques du Sénégal de l'avoir violée, la jeune masseuse Adji Sarr a appris à ses dépens que briser le tabou des violences sexuelles pouvait coûter cher.
Des producteurs de télévision ont envisagé de lancer une série qui aurait porté le nom d'Adji Sarr et dont le personnage principal aurait été une prostituée, selon les avocats de la jeune femme.
Les producteurs ont fait marche arrière. Mais Adji Sarr se serait bien passée de la notoriété qui est la sienne depuis que le scandale a éclaté il y a trois mois.
En février, les médias révèlent qu'une employée d'un salon de beauté de Dakar, âgée d'une vingtaine d'années, porte plainte pour viols répétés et menaces de mort contre Ousmane Sonko, troisième de l'élection présidentielle en 2019 et pourfendeur du pouvoir à la forte popularité au sein de la jeunesse.
La détention du député de 46 ans pendant cinq jours en mars provoque des émeutes et pillages qui feront une douzaine de morts. Le président Macky Sall calme alors les esprits en levant les restrictions liées à la pandémie et en allouant des centaines de millions d'euros à l'aide à l'emploi des jeunes.
Et Adji Sarr dans tout ça ? Depuis trois mois, elle se terre, disant craindre pour sa sécurité. Les partisans d'Ousmane Sonko l'accusent d'être la complice d'un complot du pouvoir destiné à écarter leur candidat de la prochaine présidentielle.
Lors de son unique interview télévisée, la jeune femme maintient ses accusations et balaie la thèse du complot, réclamant juste que la justice "fasse son travail".
Mais sa parole n'est pas entendue, dit le chroniqueur et essayiste Hamidou Anne. Le débat a été "biaisé par sa politisation", à l'instigation du pouvoir comme de l'opposition, dit-il. Adji Sarr a été "décrédibilisée" et "+invisibilisée+ car c'est une femme pauvre, une femme issue du petit peuple", dit-il.
- "Souffrir en silence" -
Au Sénégal, plus de 8% des femmes déclarent avoir subi des violences sexuelles, rapportait une enquête publique en 2017.
En 2019, le meurtre d'une jeune femme à Tambacounda (Est) à la suite d'une tentative de viol avait ému l'opinion, au point que le Parlement avait durci la loi, faisait du viol un crime, passible de la prison à perpétuité, et non plus un délit.
Malgré cela, "on entend beaucoup de personnes dire qu'ils s'en foutent si (M. Sonko) est un violeur", ou encore "qu'être un violeur ne définit pas une personne", constate avec amertume une jeune Sénégalaise, Aïssatou.
"On vit dans un pays où les femmes sont abusées tous les jours et où elles taisent leurs traumatismes. Beaucoup n'ont jamais eu de soutien et ne vont jamais en avoir, beaucoup souffrent en silence. Ces femmes sont vos mères, épouses, filles, nièces, cousines", dit-elle sur son compte Twitter.
La sociologue Selly Ba s'inquiète: "Les victimes vont se dire: +Si je raconte ce que j'ai enduré, ne vais-je pas subir le même sort qu'Adji Sarr ? Va-t-on me croire ?+".
Pour le sociologue Cheikh Niang, "il risque d'être désormais plus difficile pour une femme de porter plainte en cas de viol ou de violences sexuelles de la part d'un homme en position de pouvoir".
Dans une société aux moeurs imprégnées par un islam conservateur, des associations féministes semblent mal à l'aise et plusieurs refusent de s'exprimer.
Françoise-Hélène Gaye, qui a pris la tête d'un rare collectif de soutien à Adji Sarr, ne compte plus les menaces. Mais elle dit aussi trouver de la force dans la parole de victimes qui se sont malgré tout adressées à elle.
Maïmouna Yade, une militante de longue date de la cause des femmes, souhaite que la procédure judiciaire débouche sur une solution "équitable pour les deux protagonistes", Ousmane Sonko et Adji Sarr.
"Les gens ont beaucoup fouillé dans la vie privée de la plaignante. La société civile doit suivre le déroulement de cette affaire de très près, c'est crucial pour l'avenir des droits des femmes dans notre pays", dit-elle.
DÉCÈS DE MORIBA MAGASSOUBA
Le journaliste est mort ce samedi à Abidjan où il résidait. Auteur du livre "L’Islam au Sénégal : demain les mollahs ?", le diplômé de la deuxièe promotion du Cesti a travaillé au Soleil, à Jeune Afrique et à l’agence panafricaine Pana, entre autres
Le journaliste sénégalais Moriba Magassouba est décédé ce samedi à Abidjan (Côte d’Ivoire) où il résidait, a-t-on appris de source informée.
Moriba Magassouba était issu de la 2e promotion du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI), l’école de journalisme de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Il a travaillé au journal Le Soleil, à l’hebdomadaire Jeune Afrique, à l’agence panafricaine Pana, au magazine Africa international, entre autres.
Moriba Magassouba est l’auteur du livre "L’Islam au Sénégal : demain les mollahs ?".
AFFAIRE PAPE NDIAYE, LES DÉTAILS DE L'ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE
La Sûreté urbaine de Dakar indique que le journaliste invitait ses victimes à lui verser de l’argent qu’il décharge sous forme de prêt pour le remettre au procureur de la République et aux juges en charge des dossiers des plaignants
En attendant que jaillisse la vérité judiciaire, les faits collectés par la Sûreté urbaine de Dakar semblent confondre le journaliste Pape Ndiaye dont le procès est prévu lundi. Il invitait «ses victimes à lui verser de l’argent qu’il décharge sous forme de prêt» pour le remettre au procureur de la République et aux juges en charge des dossiers des plaignants, selon l’enquête préliminaire.
Placé sous mandat de dépôt mercredi pour escroquerie présumée et tentative de jeter le discrédit sur l’institution judiciaire, Pape Ndiaye attend son procès en flagrant délit prévu lundi prochain. En attendant, Le Quotidien en sait davantage sur son interrogatoire mené par les policiers de la Sûreté urbaine du Commissariat central de Dakar. Visé d’abord par une plainte de Ndèye Awa Ndir, Pape Khone Ndiaye à l’état civil a vu une autre se greffer dans son dossier, de la part de Pape Demba Diop, pour les mêmes faits. Dans sa plainte du 7 mai dernier, l’Informaticienne et gérante de la société «Seydi ordi», Ndèye Awa Ndir, a précisé que le propriétaire de l’entreprise en question est «présentement sous mandat de dépôt à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss pour des faits de recel d’ordinateurs».
Selon la plaignante, son patron a été déféré par le commissariat de Grand-Yoff suite à un cambriolage perpétré par trois individus qui ont déclaré lui avoir cédé un des ordinateurs issu du butin. Assurant l’intérim de la direction de l’entreprise et résolue pour une liberté provisoire de son patron, Ndèye Awa Ndir a confessé avoir saisi un ami, un journaliste du groupe Walfadjri, pour l’aider à tirer d’affaire son patron. C’est ainsi qu’il a été mis en rapport avec Pape Ndiaye, journaliste et chroniqueur judiciaire à Walf Tv. Durant sa rencontre avec Pape Ndiaye dans le bureau de ce dernier à Walfadjri, Ndèye Awa Ndir affirme qu’il lui «a réclamé la somme d’un million de francs».
Le procès-verbal des services du commissaire Bara Sangaré ajoute : «Persuadée grâce à ses habitudes au prétoire, la dame a admis lui avoir versé un acompte de 500 mille francs et le reliquat du même montant devait être versé après l’élargissement de son patron. Ainsi, pour matérialiser cette remise, le sieur Ndiaye a établi le 20 mars 2020 une décharge attestant avoir reçu ladite somme en prenant la précaution de mentionner qu’il s’agit d’un ‘’prêt’’.» Troublée par la mention «prêt», l’accusatrice dit avoir demandé des explications au chroniqueur judiciaire. Mais, dit-elle, le mis en cause lui «a tout simplement signifié que l’essentiel est que le montant y figure, car l’argent est destiné aux autorités judiciaires». Le Sûreté urbaine est formelle : «En fait, le sieur Ndiaye a utilisé ses connaissances juridiques pour soutirer de l’argent à la dame pour ensuite se réfugier sur le caractère civil de la décharge afin d’échapper à la loi pénale. En agissant ainsi de la sorte, il a gravement porté atteinte à l’honorabilité du juge d’instruction, chargé du 2e cabinet, ainsi qu’à celle de tous les magistrats et de l’institution judiciaire d’une manière générale.»
Etant consciente qu’elle a été «bernée» par Pape Ndiaye avec le non élargissement de son patron, Ndèye Awa Ndir a déclaré avoir contacté le mis en cause via le réseau social WhatsApp le 6 juillet 2020 et le 29 avril 2021 pour «rentrer dans ses fonds, mais celui-ci a refusé de s’exécuter, préférant faire jouer au dilatoire». Par conséquent, la plaignante a décidé d’ester en justice après avoir fait constater les discussions WhatsApp par un huissier de justice. «L’exploitation du procès-verbal de constat en date du 6 mai 2021 a fait ressortir les discussions dans lesquelles le sieur Ndiaye avoue implicitement la réception de ses fonds en disant à la dame ‘’tu veux qu’on annule toute la procédure en cours et que je réclame l’argent aux gars pour restitution’’. Le ‘’gars’’, évoqué en l’espèce, ne devrait être en principe que le juge en charge de cette affaire. Pis, selon la dame, le sieur Ndiaye lui a déclaré ouvertement que c’est une affaire civile et personne ne pourrait le poursuivre pénalement», mentionne le procès-verbal de police.
Après avoir entendu le journaliste du groupe Walfadjri, facilitateur de la rencontre entre Ndèye Awa Ndir et Pape Ndiaye (il a confirmé les dires de la plaignante), la police a convoqué Pape Ndiaye. Ce dernier a été cueilli par la police après son refus de déférer à la convocation.
Concernant les 500 mille francs qu’il a reçus de la dame Ndir pour faire sortir son patron de prison, Pape Ndiaye a expliqué que c’est un prêt, même s’il était au courant de l’emprisonnement du sieur Cheikh Ahmadou Bamba Sèye. «Ses propos incohérents et illogiques ne cadrent pas avec les discussions qu’il a eues avec la plaignante sur WhatsApp où il reconnaît à demi-mot qu’il était en train de régler une procédure relativement à la somme encaissée. A ce propos, ses déclarations ont été contredites par son collègue journaliste dans le même groupe de presse. Ce dernier a déclaré que la dame l’avait sollicité pour une intervention suite au placement sous mandat de dépôt de son employeur», souligne la police.
«Un million qui devait être partagé entre le procureur et le juge d’instruction…»
Selon la police, les «revirements abracadabrantesques» prouvent le caractère fallacieux des déclarations ainsi que la mauvaise foi de Pape Ndiaye. Ayant les échos de l’arrestation de Pape Ndiaye, Pape Demba Diop a aussi déposé une plainte contre ce dernier pour les mêmes faits d’escroquerie. Il a soutenu que son frère était incarcéré à la Mac de Kaolack pour offre et cession de drogue. M. Diop a fait savoir que lors de la visite de son oncle Mamadou Lamine Mbengue à son frère détenu à Kaolack, ce dernier lui avait demandé de se rapprocher des services du journaliste Pape Ndiaye pour le faire sortir de prison, mentionne la police. Selon Pape Demba Diop, le chroniqueur judiciaire «a réclamé la somme d’un million de francs qui devait être partagé respectivement entre le procureur de la République et le juge d’instruction en charge du dossier avant de leur faire savoir que ces derniers sont tenus de le libérer après avoir reçu l’argent», relève le procès-verbal de police. La Sûreté urbaine de déduire : «Ces propos d’une telle gravité constituent des actes de nature à jeter le discrédit sur l’institution judiciaire et ces deux magistrats dont tout le monde connaît leur sens élevé de la responsabilité.»
Dans le désarroi et voulant à tout prix que leur frère recouvre la liberté, Mamadou Lamine Mbengue «s’est rendu au domicile de Pape Ndiaye à la date du 28 mars 2020 où, au terme de leur discussion, il lui a fait un transfert Orange money de 500 mille francs contre la remise d’une décharge matérialisant le dépôt avant de compléter le reste par un autre transfert le 4 avril 2020 par le même canal après s’être rendu au siège du groupe Walfadjri où il s’est entretenu à nouveau avec le sieur Ndiaye». Après ces versements, Pape Ndiaye «n’a pas honoré ses engagements. Pis encore, il a continué à réclamer des fonds supplémentaires pour soi-disant faire un rapport destiné aux organisations des droits de l’Homme (…)», a fait savoir le rapport de police.
Interrogé sur les raisons de la remise du montant d’un million par le sieur Mbengue, il a déclaré qu’il «s’agissait d’un prêt destiné à assurer ses dépenses quotidiennes». Sur le discrédit jeté sur les procureurs et juges en leur traitant de magistrats corrompus, Pape Ndiaye a déclaré «n’avoir jamais été de ses intentions». Les réquisitions faites au niveau de l’opérateur Orange money ont permis de prouver l’existence des transferts d’argent entre Pape Ndiaye et les plaignants. Au terme de sa garde à vue, la Sûreté urbaine a relevé que le modus operandi de Pape Ndiaye est «d’inviter ses victimes à lui verser de l’argent qu’il décharge sous forme de prêt avant de déclarer à ces dernières qu’il va remettre ces sommes au procureur de la République et aux juges qui ont en charge les dossiers».