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2 mai 2025
Développement
PAR Daouda MANE
LES LANGUES MATERNELLES, L’ÉCOLE ET NOUS
Toute langue véhicule du savoir - Cela est incontestable. Mais en Afrique, le colon a tellement réussi à nous entortiller en nous faisant croire que nos langues sont inutiles qu’on a fini par y croire
Toute langue véhicule du savoir. Cela est incontestable. Mais en Afrique, le colon a tellement réussi à nous entortiller en nous faisant croire que nos langues sont inutiles qu’on a fini par y croire. D’où les expressions « langues vernaculaires », autrement dit, nous n’avons pas de langues, mais des baragouins. Ce qui n’est que pure négation qui ne s’inscrit que dans une logique de domination. Or, « la langue rend à l’homme son humanité ». « Elle est un patrimoine, une richesse, un bien précieux irremplaçable à préserver.
La langue maternelle, parce que acquise par la naissance, favorise mon enracinement. Elle permet d’être soi-même, de ne rien perdre de sa culture. Quant à la langue étrangère comme le français, nous l’acquérons par de l’apprentissage, à l’issue de longues études. En l’apprenant, nous nous ouvrons un horizon plus large », disait l’écrivain Marouba Fall. L’école sénégalaise, héritière de l’école française, en a gardé l’esprit et les grandes lignes directrices.
La principale langue enseignée demeure toujours le français. Autant dire que la question de l’introduction des langues nationales dans notre système éducatif se pose toujours. Or, à Saint-Louis, lorsque débarqua, en 1816, l’instituteur Jean Dard qui ouvrit la première école en Afrique, il commença par apprendre la langue locale (wolof) et entreprit de former ses élèves avec cette langue, anticipant ainsi sur un débat qui est aujourd’hui d’actualité : l’introduction des langues nationales à l’école. Mais l’expérience de l’audacieux enseignant ne fit pas long feu. Elle ne dura qu’une année. En effet, le colonisateur s’est vite rendu compte que cette initiative de Jean Dard ne s’inscrivait pas dans sa vision globale qui ne consistait qu’à former des subalternes et non de vrais commis de l’Etat. Par cette décision, l’administration coloniale venait de tuer dans l’œuf une initiative qui aurait aujourd’hui permis au Sénégal d’avoir un système éducatif de qualité, sans aliénation.
Au lendemain des indépendances, nos élites n’ont jamais cherché à inverser la tendance. L’enseignement se fait toujours en langue française, celle de l’administration et des affaires. Pourtant, le débat sur l’introduction des langues nationales dans le système éducatif ne doit pas se poser. Il aurait suffi de plancher sur les raisons qui ont poussé Jean Dard à adopter cette voie.
On peut également citer les initiatives du Pr Sakhir Thiam pour l'enseignement des mathématiques en wolof, les travaux de Cheikh Anta Diop qui a traduit certains concepts comme la théorie de la relativité d’Einstein en wolof, etc., qui battent en brèche la thèse qui soutient que nos langues sont inaptes pour l'enseignement des sciences ou de la philosophie. C’est dire que la question relève d’abord d’une volonté, mais aussi et surtout, de la recherche de l’efficacité pédagogique. Toutes les études menées un peu partout en Afrique (Madagascar, Burkina…) l’ont prouvé : il y a plus à gagner si les premières acquisitions de l’enfant se font dans sa propre langue.
Au Sénégal, le programme bilingue (français/wolof et français/pulaar) de l’Ong Ared (Association pour la recherche et l’éducation pour le développement), exécuté entre 2014 et 2018 dans les académies de Dakar, Kaolack et Saint-Louis, qui a fait l’objet d’un partage le 9 avril dernier, en est une parfaite illustration. Modèle d’éducation à temps réel qui consiste en l’utilisation simultanée de la langue maternelle (wolof et pulaar) et du français, les apprenants du CI au CE2 ont obtenu des « résultats nettement supérieurs aux Cfee 2018 à ceux des élèves traditionnellement inscrits ». Ces classes bilingues, en 2016-2017, ont aussi surpassé les classes traditionnelles presque dans tous les sous-tests et les moyennes étaient plus élevées pour la langue et la communication, les mathématiques. Même scénario en 2017-2018.
Satisfaite de ces résultats, la secrétaire générale du ministère de l’Education nationale, Mme Ndèye Khady Diop Mbodj, a assuré que le département travaille à une généralisation de l’utilisation des langues nationales dans le système éducatif. Ce qui est une bonne chose. Puisque les résultats dans notre cycle primaire ne sont pas fameux, comme l’attestent les études du Laboratoire de recherche sur les transformations économiques et sociales de l’Ifan (Lartes) de 2016. Les conclusions de celles-ci démontrent, selon le baromètre « Jangandoo », que les enfants ont des difficultés dans les disciplines fondamentales comme la lecture, les mathématiques, surtout dans le domaine de la compréhension et de la résolution des problèmes.
Les taux de réussite n’atteignent pas les 50 % au niveau médian, c'est-à-dire en deçà de ce qui est attendu d’un enfant de 9 à 16 ans à qui on administre un test de 3ème année d’apprentissage. Le 1er seuil de l’enquête s’est intéressé aux classes de CE2, le 2ème à celles de 6ème et 5ème collège et le dernier à celles de 4ème et 3ème. En lecture, les résultats sont très faibles et légèrement meilleurs en mathématiques et culture générale. Plus de 16 000 ménages et 22 000 enfants ont été touchés. Sur ces 22 000 enfants, seuls 20 % ont réussi à ce test. C’est dire que l’introduction de la langue maternelle s’impose. Toutefois, il y a un hic : quelles langues utiliser à l’école, toutes nos langues nationales n’étant pas codifiées. Là réside encore l’un des nœuds du problème.
Par Ibrahima MBODJ
TALON D’ACHILLE D’UNE DÉMOCRATIE
Aujourd’hui, il sera difficile au Bénin de continuer à se réclamer d’un haut standard démocratique alors que l’opposition n’est pas présente à l’Assemblée nationale
Le Bénin a vécu dimanche des législatives singulières où aucun parti d’opposition n’était représenté et ceci en l’absence de tout boycott. Pour un pays qui depuis l’installation du multipartisme en 1990 tient à polir une image de démocratie exemplaire, cette situation devrait plutôt être gênante. Les deux seuls partis politiques autorisés à concourir pour élire les 83 députés de l’Assemblée nationale, à savoir le Bloc républicain et l’Union progressiste, sont parrainés par Patrice Talon, le président béninois lui-même.
Tous les autres partis de l’opposition ont vu leur dossier rejeté par la Commission électorale nationale autonome (Cena) pour non-conformité aux prescriptions légales. Un nouveau code électoral voté fin 2018 et visant à maîtriser l’inflation des formations politiques (près de 250) est passé par là. Mais cet argument est-il recevable si l’on sait que dans l’opposition, on compte des ténors expérimentés comme les deux anciens présidents Yayi Boni de Forces cauris pour un Bénin émergent (Fcbe), Nicéphore Soglo, président d’honneur de la Renaissance du Bénin (Rb), et Sébastien Ajavon de l’Union sociale libérale (Usl) classé troisième à la présidentielle de 2016.
Pourtant, jusqu’au bout, l’opposition croyait pouvoir faire intervenir le président Talon pour un réexamen favorable des dossiers ou au pire reporter les élections législatives. Même l’Union africaine et la Cedeao ont tenté une médiation, mais en vain. La non-satisfaction de cette demande a installé le pays dans une certaine tension et beaucoup d’organisations de la société civile ainsi que des représentants internationaux ont décidé de ne pas superviser les élections pour ne pas donner leur caution à ce qu’ils considèrent comme « une mascarade ».
Les partis recalés ont également appelé les 5 millions d’électeurs béninois à rester chez eux et le faible taux de participation noté sur le terrain prouve qu’ils ont été entendus. Même des partisans du président Talon ont reconnu l’effet sidérant de la faible affluence des électeurs dans les bureaux de vote. Les arrestations d’opposants et de journalistes et le blocage de l’Internet sans explications pendant la journée du scrutin sont vécus, par ailleurs, comme les signes d’une « dérive autoritaire ».
Pourtant, le Bénin était connu pour ses campagnes électorales naguère très animées, savoureuses même au cours desquelles chaque parti présentait son offre politique au peuple souverain. Il est donc étonnant que le président Talon, qui a connu l’exil en France (de mai 2012 à octobre 2015) avant son accession au pouvoir pour des bisbilles avec le régime de l’époque, soit l’homme sous le magistère duquel ce blocage s’est produit. Celui qui a obtenu son bac C (scientifique) à Dakar avant d’entamer à l’Ucad des études de mathématiques et qui ambitionnait d’être pilote de ligne pourra-t-il maintenir l’altitude de croisière à laquelle volait la démocratie béninoise ?
Car le b.a. ba d’une démocratie en bonne santé, c’est l’expression multi-partisane et qui doit se refléter jusqu’à l’Assemblée nationale, l’instance où les forces politiques représentatives votent les lois et contrôlent l’action du gouvernement. Mais la nouvelle législature béninoise sera une assemblée monocolore et c’est là son talon d’Achille, sans mauvais jeu de mots. Ce qui posera forcément un problème de légitimité et constituera un abcès de fixation entre le pouvoir et l’opposition. Cela nous rappelle la pertinence de la déclaration du président Obama qui disait au Caire en septembre 2009 que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes » car elles seules peuvent garantir l’exercice d’une véritable démocratie à même de libérer les forces créatrices. Ces institutions fortes protègent également contre les saillies éventuelles du prince dans la mesure où elles pourront obliger tout le monde à respecter les règles du jeu. Le problème dans beaucoup de démocraties en Afrique et même dans le monde, c’est qu’elles ne sont jamais tout à fait à l’abri d’un processus d’involution, annonciateur d’un recul démocratique. Aujourd’hui, il sera difficile au Bénin de continuer à se réclamer d’un haut standard démocratique alors que l’opposition n’est pas présente à l’Assemblée nationale à cause de ce qui a été susmentionné. Car la démocratie n’est jamais acquise définitivement. Ses conquêtes doivent en permanence être renforcées et préservées par une vigilance citoyenne et ses équilibres maintenus par des institutions solides.
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LE JAZZ CONTRE VENTS ET MARÉES
Le festival de Saint-Louis tient sa 27e édition, malgré les problèmes financiers, dans une ville menacée par l’érosion côtière
Des concerts, des masterclasses et des jam-sessions : pendant près d’une semaine, Saint-Louis, ville historique du Sénégal, bat au rythme de son 27e festival de jazz, un événement menacé par des problèmes financiers, sur une île elle-même attaquée par l’érosion côtière.
Dans les rues ensablées, l’atmosphère est fébrile. Sur la place Faidherbe, au cœur de cette ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco pour son architecture coloniale française, les accords de répétition générale se mêlent au bruissement du trafic, au concert des klaxons et à la mélopée des vendeurs ambulants.
Le festival, qui s’est ouvert vendredi 26 avril, s’achève mardi par un concert du pianiste français Lorenzo Naccarato. Cette édition, placée sous le sceau de la parité avec une majorité d’artistes féminines, a pourtant bien failli ne jamais voir le jour.
« Cette année a été compliquée », reconnaît Birame Seck, responsable de la programmation : « Il y a eu des tensions de trésorerie terribles. » Certains partenaires historiques du festival ont retiré leurs financements. « Un mois avant le lancement, on ne savait toujours pas si le festival aurait lieu, soupire M. Seck. On a perdu beaucoup d’artistes pourtant programmés à cause de ce flottement. »
« Tout est en péril ici »
Quand, vers minuit, résonnent les dernières notes du concert place Faidherbe, le « off » bat son plein. Il n’est alors pas un bar, pas une discothèque ni un restaurant qui ne produise des talents venus de tout le Sénégal. « Dans le off, on voit nos artistes émerger », se réjouit David Lapolice, originaire de Saint-Louis. Fou de jazz, le jeune homme y revient tous les ans pour le festival. « On peut les voir, prendre des photos avec eux, communiquer, échanger. Je ne manquerais ça pour rien au monde », assure le consultant économique.
« Si le festival disparaît, ce sera la fin d’un événement culturel majeur qui donne une voix aux artistes sénégalais et africains », estime Christine Traoré, jeune consultante indépendante venue spécialement de Dakar pour la troisième année d’affilée. « Saint-Louis c’est le jazz, et le jazz c’est Saint-Louis », résume Malick Sall, Saint-Louisien qui ne compte plus le nombre de festivals à son actif. Ce jeune professeur est cependant soucieux : « Tout est en péril ici : la musique comme la lagune. Il faut protéger Saint-Louis comme son festival. »
Edifiée sur une île à l’embouchure du fleuve Sénégal, à 260 km au nord de Dakar, et menacée par l’érosion côtière, Saint-Louis pourrait disparaître sous les assauts de l’océan Atlantique. Quelque 200 familles ont déjà été contraintes de déménager. A terme, « plus de 10 000 personnes devront être relogées », indiquait en 2018 à l’AFP Louise Cord, la directrice des opérations de la Banque mondiale au Sénégal. Sans compter que le patrimoine architectural de la ville, insuffisamment entretenu, est en déclin.
Les hôtels affichent complets
Ce péril annoncé n’empêche pas des centaines d’amoureux de la note bleue d’affluer, à la nuit tombée, sur la place Faidherbe. Deux semaines avant le concert inaugural, tous les hôtels de la ville affichaient déjà complet. Selon les organisateurs, le festival a attiré 92 000 visiteurs d’une trentaine de pays en 2018.
Cette année, les festivaliers ont découvert Manou Gallo, bassiste ivoirienne qui a régalé l’assistance de sa virtuosité audacieuse et de sa voix puissante. « Elle est fantastique, se réjouit Fatou Diop, étudiante saint-louisienne. C’est encourageant de voir toutes ces femmes africaines dans la programmation. C’est un signal fort pour les femmes et pour l’Afrique. »
Birame Seck, le programmateur, veut croire en l’avenir du festival malgré les problèmes : « Tous les ans, on a des difficultés, mais on réussit à faire le festival malgré tout. C’est un rendez-vous immanquable et une véritable aubaine économique pour Saint-Louis. »
PAR Alioune SY,
LE BAL DES COURTISANS
Abdoulaye Matar Diop après ses incessants voyages d’un camp politique à l’autre rivalise d’ardeur avec d’autres pour aider Macky Sall à réduire ses propres pouvoirs de député
Un président nouvellement élu ne manque jamais de laudateurs non plus d’avocats pour défendre ses plus sinistres desseins. Le député Abdoulaye Matar Diop après ses incessants voyages d’un camp politique à l’autre rivalise d’ardeur avec d’autres pour aider Macky Sall à réduire ses propres pouvoirs de député. Cela pourrait s’appeler de la dignité.
Par contre, on relèvera son manque d’originalité lorsque les arguments pour s’en prendre à Abdoul Mbaye rappellent une rencontre qui eut lieu entre des députés de la majorité et le Premier ministre de cette même majorité. Quoi de plus normal !
Fort heureusement ses coiffes d’exception continueront de le rendre original et d’attirer regards et compliments.
Alioune SY est responsable communal de Dalifort, Secrétaire National chargé des Structures
POURQUOI MACKY EST ILLÉGITIME
Le processus électoral a été émaillé de fraudes sur la constitution et sur l'état civil, entre autres - Aly Ngouille Ndiaye et Ibrahima Diallo accusés de dérèglement du système de contrôle - RAPPORT DE LA COALITION IDY SUR LA PRÉSIDENTIELLE
SenePlus publie ci-dessous, le rapport daté du 30 avril 2019, de la coalition Idy2019 sur le déroulement de la présidentielle, consécutivement à l’ensemble du processus électoral.
Les résultats de l’élection présidentielle de 2019 sont contestés par l’ensemble de l’opposition en raison de l’entièreté d’un processus électoral non consensuel, non transparent, non respectueux de la loi et frauduleux.
L’opposition n’a cependant pas jugé utile de présenter des recours auprès du Conseil Constitutionnel en raison de sa défiance à l’égard de cette institution.
Par contre engagement avait été pris par la Coalition Idy2019 de rédiger et publier un Livre blanc permettant de :
Prouver que le Président élu n’est pas légitime car l’ayant été à la suite de fraudes de toutes sortes ;
Fonder pourquoi il y a défiance à l’égard du CC.
Enfin proposer sous forme de recommandations les réformes indispensables qui pourraient permettre le retour à un processus électoral transparent et incontesté.
Le tout au profit de l’établissement d’une paix sociale et politique durable au Sénégal
La Commission électorale de la Coalition électorale Idy2019 que j’ai l’honneur de diriger a achevé la rédaction de ce livre blanc intitulé « Rapport public sur l’élection présidentielle du 24 février 2019 ».
C’est l’objet de ce point de presse que de vous le présenter après qu’il a été validé par l’ensemble des leaders membres de la Coalition
Le Rapport public a été conçu comme une exigence pour l’histoire de notre pays et la construction de sa démocratie. C’est pourquoi n’ont été pris en compte pour sa rédaction que des éléments :
Significatifs,
Étayés par des faits probants,
Le résultat est celui d’un document ayant un caractère scientifique certain dont aucun paragraphe ne peut être contesté.
Il s’achève bien entendu sur un certain nombre de recommandations qui valent pour l’ensemble de l’opposition, pour la démocratie sénégalaise et pour l’histoire.
A l’occasion de l’élection présidentielle du 24 février 2019, il y a eu hold-up électoral. Ce dernier a été prémédité et planifié, il est donc important d’en distinguer la phase préparatoire de l’exécution. C’est le plan du rapport qui contient une 3ème partie relative aux recommandations sur le processus électoral à réaménager pour qui souhaite un scrutin sincère et intègre.
La phase préparatoire du hold-up
Le moyen principal en a été le refus du consensus (tradition politique liée à la paix sociale au Sénégal) et le recours l’unilatéralisme décisionnel pour toutes les questions liées aux réformes électorales. Sachant que deux appels au dialogue n’ont été que des leurres pour mieux faire passer les projets du chef de l’Etat, chef de parti.
Par ailleurs, les élections législatives de juillet 2017 ont été une étape importante du processus global en ce sens qu’elles établissent une minorité du régime sur le plan électoral, mais lui ont donné une majorité au Parlement qui lui a permis de dérouler son système de fraudes à la Constitution et à la loi électorale
A- Il y a eu fraudes à la Constitution :
L’introduction du système de parrainage intégral est une violation du principe de « l’intangibilité des dispositions relatives au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du Président de la République » introduit par la loi constitutionnelle de mars 2016 (art 103, al.7) p 8 du rapport
Il y a eu violation de l’Esprit de la Constitution : le système de parrainage réclamé aux candidats indépendants vise à étendre l’offre politique en ouvrant la compétition à des candidats indépendants. Il a par contre été utilisé pour restreindre cette offre non seulement au niveau de ces derniers, mais surtout au niveau des partis et coalitions de partis
Tout cela n’a été possible qu’avec la complicité du juge constitutionnel qui n’a pas hésité à plagier le juge constitutionnel français pour bâtir son argumentaire en recopiant mot pour mot deux considérants 19 et 34 d’une décision du C.C français de 1992 en se trompant malheureusement pour eux de contexte. Et alors que les « considérants français » avaient été utilisés pour asseoir la compétence de la juridiction française, le CC sénégalais les a utilisés pour asseoir son incompétence et son laisser faire. (Rapport p13)
Enfin, dans le traitement du contrôle des parrainages visant à arrêter la liste des candidats le C.C n’a respecté ni la Constitution qui définit la parrainage comme la signature d’un électeur (les signatures n’ont pas été contrôlées p15 du rapport), ni son propre arrêté (P17 dernier §)
B- Il y a eu fraudes à la loi électorale :
Par contre le CC sénégalais tout en reconnaissant son incompétence à intervenir sur des articles de la loi électoral à caractère organique, s’est trouvé la compétence pour requalifier ces articles en changeant leur nature juridique de LO115 à LO121 à L115 à L121 sans justifier que le législateur ordinaire était compétent pour ce faire. Le CC s’est donc transformé en législateur de fait.
Pourquoi ? Pour ne pas mettre en difficulté le régime vis-à-vis de la règle de la CEDEAO (interdisant changement loi électorale sans large consensus moins de 6 mois avant les élections).
Il y a eu également fraude aux articles 3, 28 et 29 de la Constitution mais aussi à l’art. 27 de la loi électorale (Rapport p 20) par la modification de l’art.57 de la loi électorale qui a permis de restreindre et de violer la liberté constitutionnelle de candidature. C’est de nouveau avec la complicité du CC cette liberté a été violée par rajout de la condition d’électeur pour écarter des candidatures ciblées.
On retient de l’ensemble de ces fraudes qu’elles n’ont été possibles que parce que le CC sénégalais s’est donné les compétences d’une juridiction qui légifère pour pouvoir appliquer les volontés de Macky Sall.
C’est pour cette raison que l’opposition n’a pas jugé nécessaire de présenter des recours auprès de ce même Conseil Constitutionnel après le hold-up organisé le 24 février 2019
C- Il y a eu dérèglement volontaire et général du système de gestion et de contrôle du processus électoral
Par le moyen d’hommes choisis pour être au service du système de fraudes qui devaient être mises en place :
Le Ministre de l’intérieur qui déclarait : « J’ai la ferme intention de travailler pour que le Président Macky SALL gagne au 1er tour de l’élection présidentielle du 24 février 2019… » (Rapport p24)
Ibrahima Diallo, directeur de la DAF, maintenu malgré ses droits à aller à la retraite, mais surtout malgré son profil pénal puisqu’qu’un rapport de la Cour des comptes demandait de « traduire, pour toutes les irrégularités qu’il a commises dans le cadre de la passation des marchés publics et de l’exécution des dépenses publiques, devant le conseil d’Enquête pour manquement aux devoirs de sa charge, conformément à la loi » rapport Cour des Comptes 2009.
Au titre des dérèglements organisés par l’administration électorale sont cités :
Le non respect de l’art. 39 du code électoral relatif la constitution des Commissions Administratives (CA) d’inscription sur les listes électorales, chargées des opérations d’établissement et de révision des listes électorales. Cela a permis l’enrôlement de milliers d’électeurs sur la base de faux extraits et de mineurs.
La démission de la CENA ou le fait qu’elle ait été tenue volontairement à l’écart. Elle a validé beaucoup de CA dont la constitution violait pourtant l’art.39 ;
Elle n’a pas supervisé la distribution des cartes d’électeurs. Ces dernières se sont retrouvées entre des mains douteuses ;
Elle n’a supervisé ni contrôlé le processus d’établissement du fichier électoral, non plus la mise à jour de la carte électorale ;
Elle est restée passive face aux messages départ du Ministre de l’Intérieur le jour même du vote et qui viole l’art. L66 de la loi électorale (Rapport p 32).
La réalisation du hold-up
A- Une fraude massive et inédite à l’état civil
Elle prend plusieurs formes, à chaque fois étayées par des cas identifiés :
Des cartes établies sur la base de pièces d’état civil inexistantes avec des numéros de déclaration au registre appartenant à d’autres citoyens.
Des numéros de carte d'identité intégrant un numéro de centre d’état civil alors qu’à la date de déclaration de la naissance ce centre n’existait pas encore.
Des numéros d’acte d’état civil dépassant le numéro de clôture du registre concernant le citoyen dont la naissance est déclarée.
Des numéros de N.I.N reprenant des codes inexistants dans le répertoire de codification des centres d’état civil.
L’inscription massive d’électeurs par audience foraine en particulier dans le Fouta et conduisant à des aberrations en matière d’évolution démographique.
L’attribution de N.IN en doublons sur le fichier électoral par rajout du chiffre 2, allant donc jusqu’à la modification de la structure du N.I.N. (14 chiffres et non plus 13) pour créer un électeur bis fictif avec des états civils absolument identiques. (total de 155 248 doublons identifiés Rapport p 39)
Des électeurs dont le lieu de naissance est « Sénégal » sans qu’il ne soit possible de leur trouver un lieu de naissance précis
B- Des atteintes graves sur les opérations de vote
Les 2 messages du Ministre de l’intérieur, actes administratifs illégaux pour cause d’incompétence manifeste, vice de forme, vice de procédure, défaut de base l’égale et détournement de pouvoir, qui ont violé l’article L66 de la loi électorale fondant l’intangibilité de la carte électorale une fois publiée.
Par ces actes et en particulier le second, le Ministre a non seulement modifié le code électoral mais surtout ordonné l’application d’une règle inexistante en droit électoral sénégalais permettant de couvrir le transfert massif d’électeurs à travers tout le territoire. (Rapport p 49)
Quelques recommandations choisies sur un TOTAL DE 39 pour l’organisation de scrutins transparents et sincères
Recommandation n° 3 : Suppression du parrainage pour les partis politiques aux élections locales, législatives et présidentielles, notamment par le retour à la situation initiale.
Recommandation n° 4 : Confier le contrôle des listes de parrainages à la CENA ;
Recommandation n° 6 : Réviser la Constitution et sortir le Conseil constitutionnel de son état de vassalisation par le Président de la République en démocratisant la nomination de ses membres dont deux devraient être nommés par l’opposition.
Recommandation n° 9 : Nomination d’une personnalité neutre au poste de Ministre chargé des élections qui aura pour mission de préparer, conduire et organiser les scrutins électoraux et référendaires. Une telle mesure est une condition primordiale afin d’assurer la sincérité des discussions et concertations indispensables sur le processus électoral. Elle exprimera de façon claire la volonté politique de dépasser la gestion partisane du processus électoral.
Recommandation n° 10 : Combler le vide juridique relatif à l’article 54 de la Constitution à travers l’adoption d’une loi organique relative au statut du Gouvernement. Ce dispositif devrait permettre de préciser la qualité de membre de Gouvernement et notamment celle de Ministre chargé des élections qui sera incompatible avec tout mandat électif, toute activité professionnelle publique ou privée rémunérée et toute fonction ou appartenance à un parti ou mouvement politique.
Recommandation n° 11 : Les manipulations du fichier électoral et de la carte ayant été opérées sous la direction de Monsieur Ibrahima Diallo, malgré son profil pénal et sa situation de retraité 2015, il y a lieu de le relever de ses fonctions ;
Recommandation n° 14 : Démocratiser la nomination du directeur de la DAF. La nomination du Directeur de la DAF doit se faire par appel à candidature et après avis favorable de l’Assemblée Nationale et pour une durée non renouvelable ;
Recommandation n° 16 : Procéder à un renouvellement générationnel sans délai des membres de la CENA et de ses démembrements. Ainsi, exclure les personnes déjà à la retraite dans la gestion de la CENA.
Recommandation n° 20 : Rétablir le régime initial d’inscription sur les listes électorales avec la suppression de la possibilité de s’inscrire sur la base d’un extrait de naissance. Cette suppression est d’autant plus nécessaire que l’application de la mesure a encouragé le recours massif à de faux extraits de naissance.
Recommandation n° 21 : Pour ne pas priver, notamment les jeunes de leur droit constitutionnel de vote juste parce qu’il se sont inscrits dans les commissariats de police, il y a lieu, soit de discuter sur le transfert parallèle des données du demandeur à la Commission Administrative territorialement compétente pour la confection d’une carte en bonne et due forme ; soit de retirer la compétence d’enregistrement à la Police. Le couplage de la CNI et la carte d’électeur rend inadmissible et impertinente l’existence de cartes d’identité avec la mention ‘‘personne non inscrite sur le fichier’’. Mieux encore, cette pratique est illégale au regard de l’article article L.53 du code électoral. En vertu de cette disposition : « La carte d’électeur est couplée à la carte d’identité biométrique CEDEAO. Celle-ci fait office de carte d’électeur. Les données électorales sont mentionnées au verso. » Donc, la carte d’identité sans données électorales n’a aucune base juridique.
Recommandation n° 23 : La coalition Idy 2019 demande un audit intégral et indépendant du fichier électoral. Ainsi elle refuse qu’un tel audit soit confié à un organisme privé étranger comme ce fut le cas avec la Mission d’audit financée par le Ministère des Affaires Étrangères de la République Fédérale d’Allemagne et l’Union Européenne dans le cadre du Projet d’Appui au Processus Électoral (PAPE) du Sénégal, conduit par le Centre Européen d’Appui Électoral (ECES). L’audit du fichier par les experts de la Coalition Idy 2019 et dont les résultats sont intégrés au présent Rapport montre de façon évidente que le Centre Européen d’Appui Électoral qui a produit le Rapport de la MAFE 2018 n’a point audité le fichier qui a servi à l’élection présidentielle.
Conscient que le régime usera des mêmes stratagèmes afin d’égarer toute mission d’audit indépendant, la coalition Idy 2019, exige l’audit du fichier électoral effectivement délivré aux candidats à la présidentielle.
L’audit devrait être confié à un organisme sénégalais indépendant, suite à un appel d’offres ouvert et transparent. Dans le cadre de l’exercice de sa mission, l’audit se fera sous la supervision et contrôle des experts électoraux et informaticiens mandatés par les partis d’opposition, de la majorité et la CENA. L’audit devra notamment établir de façon claire l’unicité ou non du fichier électoral (y compris de la carte électorale).
Recommandation n° 24 : Intégrer dans le cahier des charges de l’audit général du fichier électoral un audit démographique ciblé afin d’élucider la situation démographique réelle de plusieurs localités qui ont doublé ou triplé leur électorat depuis 2012 (Matam, Fatick, Podor, etc.)
Recommandation n° 25 : La Coalition IDY 2019 propose le vote anticipé des militaires, magistrats et journalistes au moins une semaine avant le scrutin afin de lutter contre la distribution massive et incontrôlée d’ordres de mission.
Recommandation n° 29 : La coalition Idy 2019 propose l’introduction du bulletin unique à toutes les élections. Le parrainage ayant montré qu’avec une bonne campagne d’information, le citoyen sénégalais s’adapte rapidement d’autant plus que le procédé se généralise dans tous les pays de la sous-région.
Recommandation n° 36 : Déclencher le contentieux administratif et pénal du transfert forcé d’électeurs
La question du transfert forcé ou non volontaire du lieu de vote des électeurs est une réalité que le contrôle des listes de parrainages a permis d’établir en raison du nombre exorbitant de rejets de signatures sur cette base par le Conseil constitutionnel. Toutefois, il s’agit d’une réalité incertaine au niveau quantitatif, car son échelle d’application par les services de la DAF, c’est-à-dire le nombre d’électeurs concernés, est encore inconnu.
Pour se faire, il y a lieu de :
Sensibiliser les candidats à la candidature membres de la Coalition Idy 2019 et ayant déposé des signatures au titre de la procédure du parrainage à identifier, et surtout, à collecter toutes leurs signatures qui ont été rejetées sur cette base par le Conseil constitutionnel.
Il ne fait pas de doute que c’est un acte de volonté que d’attribuer à l’avance un électeur dans un bureau de vote (lequel est mentionné expressément sur sa carte d’électeur) et en même temps faire figurer son nom dans une autre liste d’émargement d’un autre bureau de vote situé dans un autre lieu de vote, centre ou région de vote.
Centraliser lesdites données sur le transfert forcé d’électeurs.
Trois approches sont susceptibles d’être prises. La Coalition Idy 2019 pourra entreprendre les premières actions soit de façon alternative ou cumulative :
Action n°1 : sur la base des données disponibles et qui établissent le transfert non volontaire d’électeurs engager un procès au pénal contre le Ministre de l’Intérieur et le Directeur de la DAF pour transfert illégal d’électeurs de leur lieu de vote. A cet effet, les infractions impliquées dans le transfert illégal d’électeurs sont :
Faux en écriture publique sanctionné par l’article 132 du code pénal ;
Faux commis dans certains documents administratifs (ici cartes d’électeurs) puni par l’article 137 du code pénal ;
Privation de droit de vote, laquelle infraction est considérée comme une dégradation civique et sanctionnée par l’article 27 paragraphe 2) du code pénal ;
Attentat à la liberté puni par l’article 106 alinéa 1 du code pénal : « Lorsqu'un fonctionnaire public, un agent, un préposé ou un membre du Gouvernement, aura ordonné ou fait quelque acte arbitraire, ou attentatoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d'un ou de plusieurs citoyens, soit à la Constitution, il sera condamné à la peine de la dégradation civique. » En effet, le vote est une liberté fondamentale garantit par l’article 8 alinéa 1 de la Constitution au titre des droit civils ;
Déformation de données à caractère personnel interdit par l’article 71 de la loi n°2008-12 du 25 janvier 2008 sur la protection des données à caractère personnel ;
Détournement de données à caractère personnel interdit par les articles 34, 35 et 36 de la loi sur la protection des données à caractère personnel.
Action 2 : Elle comprend deux étapes :
Il convient primo, et sans délai, d’exiger au moyen d’une lettre publique adressée au Ministre de l’Intérieur dont l’objet sera l’évaluation et la détermination exactes du nombre de citoyens concernés par la pratique du transfert non volontaires d’électeurs de leur lieu de vote.
Secundo, après silence de quatre (4) mois ou à la suite de la réponse expresse du Ministre, introduire en même temps un référé et un recours pour excès de pouvoir contre le Ministre de l’intérieur pour transfert illégal d’électeurs de leur lieu de vote et ce, sur le fondement de l’article L.53 du code électoral.
Cette disposition interdit la modification forcée de données électorales sans une demande de l’électeur. On peut lire en vertu de cette disposition qu’ « une demande de modification des données électorales ne peut se faire que devant une commission administrative et pendant la période de révision des listes électorales ».
Recommandation n°37 : Élever le contentieux du transfert forcé d’électeurs au niveau de la Cour de justice de la C.E.D.E.AO Le fichier électoral étant également celui des Cartes d’identité C.E.D.E.A.O du fait du couplage de leur émission (la carte d’électeur constitue le verso de la carte C.E.D.E.A.O), informer les Instances supérieures de la C.E.D.E.A.O de la confection de plus d’un million (1000000) de « vraies-fausses » cartes d’identité C.E.D.E.A.O sur la base de faux états civils.
Ce serait le lieu de dénoncer la violation des engagements internationaux notamment l’article 27 du traité portant création de la CEDEAO qui précise la notion de citoyen de la communauté. La Cour de justice de la CEDEAO est compétente car l’institution d’une carte d’identité biométrique constitue la décision majeure adoptée par la quarante sixième (46ème) session ordinaire de la conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tenue à Abuja le 15 décembre 2014.
Recommandation n° 38 : Faire engager des poursuites auprès des tribunaux compétents (Tribunal d’instance et Tribunal de grande instance) contre les auteurs et complices des fraudes à l’état civil identifiées dans le Rapport suite à l’audit du fichier électoral remis aux candidats à l’élection présidentielle du 24 février 2019.
L’officier d’état civil ou un tiers quelconque qui effectue la fraude est puni légalement. Engager la responsabilité pénale des maires impliqués parce que c’est du faux en écriture puni par l’article 137 du code pénal ;
Engager, en vertu de l’article 140 du Code général des Collectivités territoriales, la responsabilité disciplinaire des maires impliqués parce que l’officier d’état civil qui commet de tels actes, peut être suspendu et/ou révoqué par l’autorité administrative (adresser une demande suspension automatique ou de révocation immédiate de tous les maires concernés à cet effet).
Recommandation n°39 : Engager un procès au pénal contre l’administration électorale pour forfaiture
Cette PLAINTEPOUR FORFAITURE vise à engager la responsabilité pénale des autorités administratives directement impliquées dans la modification du régime de vote le jour même du scrutin au moyen deux actes administratifs nommés « MESSAGE DEPART ».
Cette infraction est consacrée et punie par l’article 118 du code pénal et plus précisément au paragraphe 2 du même article s’agissant des ministres et fonctionnaires. Il dispose que : « Seront coupables de forfaiture et punis de la dégradation civique : les Ministres, Gouverneurs, Préfets, Maires, tous chefs de circonscription administrative et autres administrateurs qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif (…) ». En clair, la forfaiture sanctionne l’immixtion de l’administration dans le législatif. Il y a forfaiture lorsqu’un Ministre ou un administrateur viole le principe de la séparation des pouvoirs.
"LA RÉBELLION EN CASAMANCE EST PLUS AFFAIBLIE QUE JAMAIS"
Sept ans après le début des négociations initiées par Macky, et alors que le processus de paix est toujours en cours, la rébellion a considérablement perdu de sa force, selon Jean-Claude Marut, spécialiste du conflit
Jeune Afrique |
Marième Soumaré |
Publication 30/04/2019
Dans le sud du Sénégal, les rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) menacent de reprendre les armes. Sept ans après le début des négociations initiées par le président Macky Sall, et alors que le processus de paix est toujours en cours, la rébellion a considérablement perdu de sa force, selon Jean-Claude Marut, spécialiste du conflit.
Le leader du front Nord du mouvement indépendantiste est même allé plus loin. Par la voix de ses fidèles réunis dans le village de Koundjoughor, il a menacé de reprendre les armes pour « faire avancer » un État du Sénégal qui ne « montre aucune volonté de respecter ses engagements ».
Pour l’ancien géographe Jean-Claude Marut, spécialiste du conflit casamançais, la rébellion a perdu de sa force mais est tout de même suffisamment armée pour mener des « opérations symboliques ».
Jeune Afrique : En janvier 2018, Salif Sadio menaçait déjà de reprendre les armes, après les opérations militaires lancées par l’armée suite au massacre de 14 hommes partis chercher du bois dans la forêt de Bayotte, près de Ziguinchor. Le MFDC pourrait-il, cette fois-ci, mettre sa menace à exécution ?
Jean-Claude Marut : Le rapport de force entre l’État et le MFDC a évolué de telle manière que toute action militaire de la rébellion ne peut pas aller très loin. D’autant plus que le front de Salif Sadio, isolé du reste du groupe rebelle, a perdu, avec la chute de l’ancien dictateur Yahya Jammeh, les possibilités de repli et de ravitaillement que lui offrait la Gambie voisine. Mais les rebelles sont tout de même assez armés pour pouvoir mener des opérations symboliques.
Le jeu en vaudrait-il la chandelle, si le rapport de force leur est défavorable ?
Il existe une concurrence entre le groupe de Salif Sadio et le reste du MFDC, une lutte de positionnement au sein du mouvement qui explique ces menaces. Salif Sadio a besoin de montrer qu’il existe encore, de prouver ses capacités militaires. Il a sans doute voulu aussi dénoncer le fait que le processus de paix n’avance guère depuis plusieurs années.
Des négociations officielles sous l’égide de la communauté catholique de Sant’Egidio ont été initiées par Macky Sall en 2012, à son arrivée au pouvoir. Où en sont-elles aujourd’hui ?
Les dernières discussions officielles se sont tenues à Rome, en 2017. À ma connaissance, ce sont les seules discussions officielles auxquelles participe l’État.
L’État a-t-il vraiment intérêt à négocier avec les indépendantistes ?
Au contraire, au vu de l’évolution du rapport de force, il a tout intérêt à chercher à affaiblir la rébellion par tous les moyens. Accepter aujourd’hui de négocier avec une rébellion aussi affaiblie reviendrait à la relancer, à lui redonner une importance qu’elle n’a plus. L’État est en train de gagner la partie. Des soubresauts sont encore possibles, mais la rébellion est plus affaiblie que jamais.
Le gouvernement semble également mettre beaucoup de moyens au service du désenclavement de la région : grands projets d’infrastructures, programmes de développement… On peut également citer l’inauguration du pont de Farafenni en janvier dernier, et la promesse de 300 milliards de francs CFA d’ici à 2022 pour la région. Est-ce un moyen efficace de mettre un terme au conflit ?
L’État dit que la paix et le développement vont de pair. Des efforts ont été faits dès le début des années 2000, surtout en termes d’infrastructures. Mais sur le plan économique, cela reste difficile, faute d’investisseurs. En revanche, les programmes de réinsertion et de développement attirent à la fois les populations réfugiées en Gambie ou en Guinée-Bissau et certains anciens combattants, qui peuvent être séduits par le retour à la vie civile. Mais en cas de besoin, ces anciens combattants sont tout à fait à même de reprendre les armes.
Est-ce la seule menace qui pèse sur la stabilité de la région ?
L’exploitation et la lutte pour les ressources naturelles peuvent également dégénérer en conflits. Dans le village de Niafrang, dans la région de Ziguinchor, le projet national d’exploitation de zircon, un minerai lourd présent dans le sable, se heurte à la résistance de certains rebelles, soutenus par la population. Si le gouvernement essaie de passer en force et de lancer l’exploitation, il y a un risque réel d’affrontements.
GREENPEACE SALUE LA MOBILISATION POUR "UN NOUVEAU SÉNÉGAL, AVEC ZÉRO DÉCHET"
C’est avec intérêt que l'ONG a suivi la motivation créée par cette initiative du président et encourage la population à s’engager dans cette bataille
Le responsable de la campagne océans de Greenpeace Afrique encourage le gouvernement sénégalais dans "la mobilisation générale pour forger l’image d’un nouveau Sénégal, avec zéro déchet".
"C’est avec un grand intérêt que Greenpeace Afrique a suivi la motivation créée par cette initiative du président Sall et encourage le gouvernement sénégalais, les autorités territoriales et locales et tous les citoyens sénégalais à s’engager dans cette bataille", a déclaré Dr Ibrahima Cissé. Il exhorte les autorités sénégalaises à "mettre en place des mesures concrètes pour lutter contre toutes formes de pollutions, en particulier celle causée par le plastique à usage unique". "L’ampleur de la contamination du milieu marin par les déchets plastiques est énorme. Une fois dans l’océan, il est très difficile, voire impossible de nettoyer ces déchets. Ils flottent dans tous les océans du monde, à toutes les profondeurs", soutient Cissé dans sa déclaration transmise à l’APS.
Il rappelle qu’en 2018, "les volontaires de Greenpeace avaient participé au mouvement #BreakFreeFromPlastic ou #LibéronsNousDuPlastique# à travers le monde, en menant des opérations de nettoyage et des audits de marque pour identifier les responsables de la pollution par le plastique. Les résultats de ces opérations étaient édifiants". "Au Sénégal, nous avions réalisé que ce sont principalement les plastiques à usage unique qui polluent l’environnement notamment les emballages, les sacs, les sachets d’eau, les bouteilles, les gobelets…", ajoute-t-il.
Au total, note Dr Ibrahima Cissé, "ce mouvement mondial avait permis d’effectuer 239 opérations de nettoyage dans 42 pays dont cinq en Afrique, à savoir le Sénégal, l’Afrique du Sud, le Kenya, la RDC et le Cameroun, pour désigner les grandes entreprises qui sont responsables de cette situation, mais aussi pour montrer qu’il est possible de vivre dans un environnement sain". Selon lui, "c’est aussi la responsabilité des entreprises de biens de consommation de réduire les quantités de plastique mis sur le marché, et d‘investir dans des systèmes innovants de distribution plus durables permettant de réduire le recours aux emballages plastiques".
par Landing Badji
SALIF MON FRÈRE, PARDONNES ET RENONCES
La Casamance, il faut le reconnaitre, a largement bénéficié de sa politique d’équité territoriale dont la mise en œuvre, fera de Macky, le constructeur de la nation Sénégalaise avec les "baols-baols", les "saloums-saloums", etc.
Il y a plus de vingt ans, le vieux Sady Touré (qui était un père pour moi) m’avait dit : « Landing, comme tu es un fils pour moi, Salif Sadio est aussi un fils pour moi » et me confia un message pour toi. Nous ne nous sommes pas encore rencontrés. Nous ne nous sommes toujours pas parlés pour que je te transmette son message, lui qui est mort Sarakolé mais en grand Casamançais.
I n’y a pas de continuité territoriale entre la Casamance et le reste du Sénégal, c’est vrai. La Casamance peut être le grenier du Sénégal, c’est aussi vrai. Le potentiel agricole et économique de la Casamance n’a pas été mis en valeur, c’était, aussi vrai.
Mais le 30 Mars 2014, après son discours à Ziguinchor, j’ai écrit au président Macky Sall à qui je n’ai jamais parlé et que je n’ai toujours jamais rencontré :
« Excellence,
Monsieur le Président de la République,
Votre appel << à la paix des braves. Sans vainqueurs ni vaincus. Pour le bénéfice de tous >> était, vous l’avez compris, votre devoir. Il devrait être entendu parce que vous entreprenez ce qu’aucun de vos deux prédécesseurs n’avait osé envisager : << Construire (une paix) dans le respect de la dignité de tous les acteurs, mais aussi et surtout, sur un véritable développement territorial >>. Ce qui vous met en droite ligne d’une résolution de l’ONU : << la paix n’est pas seulement l’absence de conflits, mais est un processus positif, dynamique, participatif qui favorise le dialogue et le règlement de conflits dans un esprit de compréhension mutuelle et de coopération>> (Résolution A/RES /53/243 du 06/10/1999 de l’Assemblé Générale des Nations Unies).
Tous les projets que vous voulez faire réaliser sont pertinents parce qu’ils reflètent les aspirations profondes des populations depuis de nombreuses années… >>.
Et les faits m’ont donné raison, Salif.
Le président Macky Sall a accepté de négocier avec le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance hors du Sénégal. Il a aussi réalisé, en un temps record, des infrastructures et démarrer des projets qui vont jeter les bases de l’industrialisation de la Casamance. Ce à quoi il s’était engagé, il l’a fait. Et je suis sûr que le meilleur est à venir.
La Casamance, il faut le reconnaitre, a largement bénéficié de sa politique d’équité territoriale dont la mise en œuvre à l’échelle de tout le pays, fera du président Macky Sall – et je pèse mes mots - le constructeur de la nation Sénégalaise avec les << baols-baols >>, les <<saloums-saloums>>, les << cayors –cayors>>, les << foutankais>> , les <<walo-walo>> , les << jambours-jambours>> , les << casamançais >> , les << guidimakhankais>> , les << sine-sine>> , les << nianiouliankais>> .
Un leader, quel qu’il soit ; dans quelque domaine qu’il agit doit rester à l’écoute de son peuple, sinon il va verser dans le nihilisme.
« Allah appelle à la demeure de la paix », dit le verset du Qur’an.
Et ce n’est pas pour rien que dans toutes les prières de Dieu lui-même sur ses messagers et prophètes, il leur souhaite la paix << Salam>>.
Landing Badji est Avocat à la Cour, Consultant International
L'AFRIQUE DÉPOUILLÉE DE SES POISSONS
L’accaparement des eaux poissonneuses de l’Afrique par les chalutiers industriels français, espagnols, chinois, coréens, japonais ou russes menace la sécurité alimentaire du continent
Le Monde Diplomatique |
Kyle G. Brown |
Publication 30/04/2019
Les océans font l’objet d’une exploitation si intense qu’elle met en péril la reproduction de nombreuses espèces. L’accaparement des eaux poissonneuses de l’Afrique par les chalutiers industriels français, espagnols, chinois, coréens, japonais ou russes menace la sécurité alimentaire du continent. Il prend une forme légale avec les accords ouvrant les zones côtières aux navires des pays riches, auxquels s’ajoute un pillage à grande échelle contre lequel la lutte semble inégale.
ans son vaste bureau de Gaborone, au Botswana, M. Per Erik Bergh scrute les images satellites du trafic maritime au large des côtes de l’Afrique de l’Est. Parmi les dizaines de petits points qui se déplacent sur son écran, il en est un qui retient toute son attention.
Voilà plus de vingt ans que ce robuste Norvégien aux cheveux blancs traque les bateaux de pêche industrielle qui viennent exploiter les ressources halieutiques du continent africain au mépris des lois et des réglementations. Année après année, il tente d’alerter les autorités locales, souvent réticentes ou sous-équipées, afin qu’elles interviennent contre ces criminels des mers qui emportent illicitement dans leurs filets des milliers de tonnes de poissons.
Grâce aux renseignements fournis par les forces navales de l’Union européenne présentes dans l’océan Indien, recoupés avec les photographies de leurs sources locales et les relevés transmis par satellite et par radar, M. Bergh et les dix membres de son équipe — tous employés de l’organisation non gouvernementale Stop Illegal Fishing (SIF, « Arrêtons la pêche illégale ») — ne tardent pas à identifier le suspect : le Greko 1. En cette journée d’octobre 2016, ce chalutier grec qui a déjà changé plusieurs fois de pavillon est manifestement en train de faire son marché dans les eaux territoriales somaliennes, réservées aux petits pêcheurs de la côte.
M. Bergh avertit aussitôt la force d’intervention FISH-i, un dispositif regroupant huit pays de la région — de la Somalie au Mozambique — sous la coordination de SIF. Entre les autorités locales et les associations s’instaure une division du travail dictée par la faiblesse des ressources financières : SIF fournit conseils et renseignements ; les militants de Greenpeace et de Sea Shepherd patrouillent en bateau et embarquent les agents de la force publique, dépourvus d’autres moyens, pour effectuer les arrestations. Mais, cette fois, ce sont les représentants du gouvernement qui interviennent.
Le Greko 1 se trouve à proximité du port de Mogadiscio quand le message du Norvégien tombe sous les yeux de M. Saïd Jama Mohamed, alors ministre adjoint de la pêche et des ressources maritimes. Le nom du navire ne lui est pas inconnu. Le Greko 1 a déjà été localisé à maintes reprises dans les eaux territoriales de son pays. M. Mohamed sait qu’il va devoir agir vite s’il veut le prendre en flagrant délit et intercepter son équipage avant qu’il débarque avec de faux papiers.
Pirogues contre navires industriels
À bord d’embarcations rapides empruntées à la police — les rares vedettes du ministère de la pêche n’ont pas toujours assez de gazole pour prendre le large —, il se lance à l’abordage. L’inspection s’avère fructueuse : dans les soutes du chalutier s’entassent trente tonnes de poissons, parmi lesquels des espèces familières des eaux somaliennes, comme la perche rouge ou le rouget. Les autorités mettent aussi la main sur un lot de faux documents. Le 12 octobre, M. Mohamed ordonne l’ouverture d’une enquête judiciaire. Mais, le lendemain matin, le Greko 1 est déjà loin. « Nous avons demandé aux pays membres de FISH-i d’arraisonner tout bateau venant de Somalie pour vérifier ses papiers, déclare M. Mohamed. Nous avons dit à tout le monde : “Jamais nous n’avons accordé une licence auGreko 1 pour 2016, alors arrêtez-le, s’il vous plaît !” Il y a tellement de bateaux qui se servent de faux documents pour naviguer d’un pays à l’autre. » Encore et toujours la même histoire : un bâtiment affrété dans un pays riche met à sac les ressources vitales de l’un des pays les plus pauvres du monde, puis se sauve en narguant ses victimes. Face à cette prédation organisée, les quelques patrouilleurs dérisoires constamment à court de carburant dont la Somalie dispose pour surveiller les trois mille kilomètres de son rivage — le plus long du continent africain — ne font guère le poids.
Avec leurs eaux poissonneuses et leurs États démunis ou défaillants, les pays d’Afrique sont une aubaine pour les industriels de la pêche russes, asiatiques et européens. Ces derniers ayant épuisé les réserves de poissons dans leurs propres zones géographiques, ils envoient leurs navires-usines faire le tour du monde, avec une prédilection pour l’eldorado africain. Sur la côte est du continent, les autorités maritimes éprouvent déjà les pires difficultés à contenir les appétits des centaines de chalutiers qui écument l’océan Indien. La gigantesque armada qui déferle de l’autre côté du continent, sur la côte ouest, pose un problème d’une tout autre ampleur.
Selon les estimations du centre de données FishSpektrum, une plate-forme spécialisée dans l’identification des navires, la Chine disposerait à elle seule d’une flotte de six cents bateaux disséminés le long de l’Afrique de l’Ouest, de Gibraltar au Cap. Leurs concurrents européens, russes et turcs leur disputent âprement cet espace. Depuis les plages de Mauritanie, on peut assister au ballet des chalutiers qui brillent toute la nuit sur la ligne d’horizon telle une guirlande lumineuse.
« Du soir au matin, il y a des lumières partout, on se croirait dans une grande capitale », souffle M. Doudou Sène. Depuis trente-cinq ans ce pêcheur quinquagénaire tire ses filets au large de Saint-Louis, dans les eaux frontalières du Sénégal et de la Mauritanie. Il a vu le nombre de chalutiers étrangers grossir peu à peu, jusqu’à rendre ses conditions de travail de plus en plus périlleuses. Sur les rivages du nord du Sénégal, où la pêche est une tradition ancestrale, la rotation quasi quotidienne de près de vingt mille pirogues joue un rôle crucial dans la survie économique et la cohésion sociale des communautés villageoises.
La pirogue de M. Sène mesure quatorze mètres. Plusieurs fois par semaine, il la poussait à l’eau pour attraper des poulpes, jusqu’à ce jour de janvier 2017 où tout s’est brisé net. De sa vie d’avant, il a gardé un bras musclé, la souplesse juvénile et la tenue de marin, débardeur et bonnet de laine enfoncé sur la tête. Mais, à présent, M. Sène vit confiné dans sa chambre à coucher et fixe le plafond en racontant son dernier jour en mer.
Il avait appareillé avant l’aube en compagnie de Youssoupha, l’aîné de ses sept enfants, le seul à vouloir prendre la succession de son père. Depuis longtemps déjà, Youssoupha attendait le moment propice où il pourrait dire à son « vieux » de rester à la maison et de ne plus s’inquiéter. C’est une coutume bien ancrée au Sénégal que de voir l’un des fils reprendre la pirogue familiale et nourrir à son tour la maisonnée. De Youssoupha, son père raconte avec fierté qu’il n’était pas du genre à se laisser décourager par la rudesse du travail en mer ni par la nécessité de naviguer de plus en plus loin pour une pêche de plus en plus maigre. « À mes débuts, je ne m’éloignais pas du rivage de plus de trente ou quarante kilomètres,précise M. Sène. Aujourd’hui, on doit parcourir au moins cent trente kilomètres pour trouver du poisson. »
Ce 16 janvier à l’aube, M. Sène, son fils et leur équipage de trois marins font une première halte à huit milles marins (quinze kilomètres) seulement de la côte. Ils viennent de faire leur prière du matin et de jeter leur filet quand Youssoupha aperçoit à l’arrière un chalutier qui fonce droit sur eux. En un clin d’œil, son père rallume le moteur et met les gaz, mais il est déjà trop tard. Le monstre d’acier les percute à pleine vitesse. « Quand j’ai repris mes esprits, j’étais sous l’eau. Je ne suis remonté à la surface que quand le bateau était déjà loin », raconte M. Sène. Ni lui ni ses compagnons n’avaient enfilé leur gilet de sauvetage. Le corps de Youssoupha n’a jamais été retrouvé et M. Sène a été amputé du bras gauche.
À quelques kilomètres de là, sur la plage encombrée de Saint-Louis, les pêcheurs rentrés à bon port sautent de leurs pirogues et s’affairent à décharger leurs caisses de poissons. Tout en les regardant faire, M. Moustapha Dieng, le chef de leur syndicat, souligne que les collisions sont « de plus en plus fréquentes ». « Nous avons l’impression qu’à partir d’une certaine heure de la nuit les navires industriels se mettent en pilotage automatique, si bien qu’il n’y a plus personne à la barre, dit-il. Ils ne voient même plus les pirogues qu’ils ont devant eux. Ils les percutent sans s’arrêter. »
L’accident qui a coûté la vie à Youssoupha Sène résulte aussi de la concurrence acharnée que se livrent les industriels autour d’un magot en voie de raréfaction. À la malédiction de la pêche illégale s’ajoute en effet la surpêche « légale », car autorisée par les accords privés (et souvent opaques) entre les pays côtiers et les armateurs, ainsi que par les accords de partenariat de pêche durable (APPD), signés entre l’Union européenne et plusieurs pays africains — dont dix sont actuellement en vigueur. Ces derniers cèdent aux navires européens le droit d’exploiter leurs zones économiques exclusives (une bande qui peut s’étendre jusqu’à 370 kilomètres au large des eaux territoriales) en échange d’un soutien technique et financier très variable — 1,8 million d’euros pour le Sénégal et 59 millions pour la Mauritanie, aux côtes plus vastes et poissonneuses (1). Un argent dont les pêcheurs locaux ne voient guère la couleur, pas plus qu’ils ne profitent des fonds alloués à la gestion des ressources halieutiques.
« La pêche industrielle est une catastrophe pour le Sénégal », juge M. Abdou Karim Sall, président de la Plate-forme des pêcheurs artisanaux du Sénégal et responsable des aires maritimes protégées (AMP) du pays. « Ils pêchent dans des zones interdites. La prise qu’ils déclarent ne correspond jamais au tonnage réel — quand ils déclarent cinquante mille tonnes, en réalité, ce sont plutôt cent mille. Et ils ne se contentent pas de faire de la surpêche : ils utilisent aussi un équipement qui détruit l’habitat naturel de la faune marine. »
Une coopération régionale encore balbutiante
Comme leurs prises sont de plus en plus maigres près de leurs côtes, les pêcheurs sénégalais s’aventurent dans les eaux mauritaniennes. Or, depuis l’expiration en 2015 d’un accord entre les deux pays autorisant la pêche artisanale chez le voisin, la Mauritanie n’hésite plus à faire feu sur les intrus (2). Plusieurs piroguiers sénégalais sont morts sous les balles des gardes-côtes mauritaniens. Le cas de Serigne Fallou Sall, un pêcheur de 19 ans abattu en janvier 2018 sous les yeux de ses huit compagnons, a provoqué de violentes protestations à Saint-Louis et ravivé les tensions entre Dakar et Nouakchott. Trois semaines plus tard, le président sénégalais, M. Macky Sall, rendait visite à son homologue mauritanien, M. Mohamed Ould Abdel Aziz, en s’engageant à conclure avec lui un nouvel accord (3). M. Sall a été élu en 2012 sur la promesse qu’il réformerait le secteur de la pêche, qui fait travailler 600 000 personnes au Sénégal, et modérerait les exigences des pays riches. Le pays a depuis resserré sa législation, révoqué les licences de plusieurs opérateurs douteux et instauré un système de certificats visant à réduire les fraudes. La direction de la protection et de la surveillance des pêches (DPSP) a été dotée de moyens supplémentaires et inflige des amendes plus élevées — un effort salué dans une récente étude sur la pêche illégale publiée par la revue en ligne Frontiers in Marine Science (4).
« Les dommages causés par la pêche illégale diminuent à mesure qu’augmentent les amendes sanctionnant ses formes extrêmes, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) », observe Dyhia Belhabib, coauteure de cette étude, qui supervise le projet Sea Around Us (« La mer autour de nous ») au sein d’un institut de recherche sur l’impact humain et environnemental de la pêche à l’université de Colombie-Britannique. Selon Belhabib et ses collègues de Mauritanie, du Sénégal, de Gambie, de Guinée, de Guinée-Bissau et de Sierra Leone, la pêche illégale représente pour ces six pays un manque à gagner de 2 milliards d’euros par an. « La pêche illégale, ajoutent les auteurs, équivaut à 65 % des prises légales effectuées en Afrique de l’Ouest. Elle pose un sérieux problème en matière de sécurité alimentaire et d’économie pour toute la région. »Un problème d’autant plus urgent que l’Organisation des Nations unies prévoit un doublement de la population africaine d’ici à 2050.
Bien que les chalutiers se moquent des frontières, la coopération régionale reste encore balbutiante, comme l’a montré un incident survenu lors d’une inspection de routine menée par la marine sénégalaise le 25 février 2016. Ce soir-là, aux environs de 21 heures, les autorités surprennent le Gotland, un chalutier-usine de 94 mètres, en train de pêcher frauduleusement dans leurs eaux. L’équipe de surveillance contacte par radio le capitaine du navire, afin de monter à bord, mais le Gotland prend la poudre d’escampette. S’ensuit une course-poursuite de quatre heures dans les eaux mauritaniennes, à l’issue de laquelle Nouakchott refuse d’apporter son soutien à la patrouille sénégalaise. Le Gotlanddisparaît et ses poursuivants rentrent à Dakar, dépités. « Nous avons demandé de l’aide à nos voisins, malheureusement ils n’ont pas coopéré, déplore M. Mamadou Ndiaye, directeur de la DPSP. Vous pouvez toujours surveiller votre zone économique exclusive, mais si celle de votre voisin est laissée sans surveillance, les bateaux peuvent y trouver refuge, puis revenir dès que nous sommes rentrés au port. Nous n’avons pas les moyens de maintenir des patrouilles dans la zone vingt-quatre heures sur vingt-quatre. » La direction générale d’exploitation des ressources halieutiques (DGERH) de Mauritanie affirme de son côté n’avoir reçu aucun message d’alerte concernant le Gotland.
Plutôt que de constituer leur propre flotte de pêche industrielle, la plupart des États de l’Afrique côtière préfèrent vendre des permis d’exploitation de leurs eaux territoriales, cédant aux opérateurs étrangers la part du lion. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que la vente de ces droits de pêche leur rapporte 400 millions de dollars par an, alors qu’en les exerçant eux-mêmes ils s’assureraient des recettes de 3,3 milliards de dollars (5).
Le droit maritime est taillé pour les armateurs
Certains pays acceptent cependant de coopérer avec des organisations de défense de l’environnement dans le souci de mieux administrer leurs ressources marines. En février 2017, Greenpeace a ainsi dépêché son vaisseau Esperanza pour une mission de surveillance de deux mois au large du Sénégal, de la Guinée, de la Sierra Leone et de la Guinée-Bissau. À bord de cet imposant navire de soixante-douze mètres construit en Russie sous l’ère soviétique, équipé d’un hélicoptère et de vedettes rapides, militants et équipage utilisaient des bases de données de navires et les renseignements fournis par les gardes-côtes pour localiser les bâtiments suspects. À raison d’une patrouille de quatre à sept jours dans les eaux de chaque pays, les équipes composées de militants de Greenpeace et des agents des ministères de la pêche ont effectué plus d’arrestations que certains pays n’en font en une année entière. Plus de la moitié des navires interceptés étaient immatriculés en Chine ; les autres venaient d’Europe, de Corée du Sud et des Comores.
Conscients que les pays et les associations recourent de plus en plus souvent aux images satellites, un nombre croissant de chalutiers falsifient ou désactivent leurs signaux émetteurs. « Quand, depuis votre bateau, vous voyez tous ces chalutiers qui n’apparaissent pas sur votre écran d’ordinateur, c’est qu’ils ont débranché leur système d’identification automatique (6) », explique M. Pavel Klinckhamers, le chef de mission de l’Esperanza, qui nous accueille à bord pendant une dizaine de jours. Cet écologiste néerlandais de 46 ans passe seize heures par jour à éplucher cartes, écrans et banques de données, ne s’interrompant dans sa tâche que pour grimper sur le pont et scruter les navires qui croisent à l’horizon. « Plus de la moitié de ces bateaux ne transmettent pas de signaux,constate-t-il. Ce sont des bateaux cachés. »
Des décennies de pêche intensive ont produit leurs effets. L’année dernière, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a conduit une étude sur les stocks de poissons osseux dans les eaux d’Afrique, de la Mauritanie à l’Angola. Il en ressort que 51 espèces, indispensables pour la plupart à l’alimentation des populations côtières, sont en voie de disparition (7).
Un matin de mars, au milieu d’une mer agitée, l’Esperanza croise une nappe de déchets. Des centaines de poissons morts flottent à la surface. D’après le capitaine, ils ont été rejetés par un chalutier qui convoitait des espèces plus commerciales. Soudain, deux pirogues font leur apparition. Leurs équipages se jettent à l’eau et entreprennent de ramener à bord les poissons comestibles, en particulier les maigres, une espèce de belle taille et bien en chair, comparable au loup, dont chaque pièce suffit à nourrir une famille de sept ou huit personnes. La ruée désespérée de ces petits pêcheurs contraste cruellement avec l’économie du gaspillage propre aux industriels, qui jettent par-dessus bord les poissons jugés trop peu lucratifs sur les marchés du Nord.
M. Abdou Karim Sall a souvent assisté à de telles scènes. « Quand un chalutier cible les poulpes, toutes les autres espèces ramassées dans ses filets sont balancées à l’eau, mortes ! » Dix millions de tonnes de poissons disparaissent ainsi chaque année, soit 10 % du volume total pêché en mer, selon les estimations de Sea Around Us (8). Tandis que l’Esperanza met le cap au sud, les officiers bissau-guinéens présents à bord repèrent un chalutier véreux qui fait route avec un cargo battant pavillon comorien, le Saly Reefer. La vedette rapide de Greenpeace se lance à leur poursuite. Visage de marbre, le capitaine russe ne bronche pas quand l’un des officiers lui annonce qu’il devra s’acquitter d’une amende pour transbordement illégal — la prise du chalutier ayant été chargée sur le cargo en pleine mer — et que les deux navires seront escortés jusqu’au port. Une petite revanche pour les autorités locales, qui ont rarement les moyens d’intervenir au-delà de quelques milles marins.
Pour les compagnies, le transbordement constitue un moyen rapide et efficace de comprimer les délais entre la capture du poisson et sa mise sur le marché — surtout si l’opération se déroule en pleine mer, à l’abri des regards et des règlements. Cela permet de mélanger prises légales et illégales et de commercialiser au plus vite une production d’origine douteuse. L’Union européenne — le plus gros marché de la planète — évaluait, en 2005, à 1 milliard d’euros le volume de poissons importés illégalement chaque année (9).
À l’instar du Gotland ou du Saly Reefer, de nombreux navires opèrent pour le compte de compagnies européennes en se protégeant derrière le pavillon d’un pays exotique, généralement pauvre et peu regardant, auquel cela vaut parfois les réprimandes de l’Union européenne (10). Le droit maritime international est taillé sur mesure pour les armateurs, puisqu’il les autorise à hisser les couleurs du pays de leur choix. Non contents d’emprunter des pavillons de complaisance, certains changent à volonté les noms de leurs bateaux, utilisent de faux papiers d’enregistrement, ou créent des structures opaques pour camoufler l’identité du commanditaire.
Le Gotland, par exemple, est lié à une société domiciliée en Belgique, Inok NV. Lorsqu’on tente de joindre celle-ci au téléphone, on est renvoyé vers un bureau russe, qui, à son tour, renvoie vers le pays dont le Gotland a endossé le pavillon : Saint-Vincent-et-les-Grenadines, un petit paradis fiscal des Caraïbes. Quant au propriétaire réel, il reste évidemment inconnu. Le type de montage idéal pour égarer les enquêteurs éventuels.
Le Saly Reefer, lui, se présente comme affilié à une société installée en Espagne, Sea Group S.L., impossible à joindre en dépit de tentatives répétées. Malgré cette attache officielle, le ministère de la pêche espagnol a pris l’initiative inattendue de nier publiquement que le bateau appartient à un ressortissant de son pays. Il est vrai qu’après des années d’inertie Madrid est récemment passé à l’offensive contre la pêche illégale en poursuivant des armateurs de poids, comme Vidal Armadores — même si la procédure engagée contre ce dernier a été mise en échec l’année dernière par la Cour suprême.
Transfert de protéines entre pays pauvres et pays riches
En Somalie, bien loin de ces filouteries sophistiquées, M. Mohamed, au ministère de la pêche, reçoit enfin une bonne nouvelle : une alerte en provenance du Kenya signale l’arrivée du Greko 1 dans le port de Mombasa. Quelques heures plus tard, son équipe embarque sur un vol pour le Kenya. Le nombre d’hommes en uniforme qui les réceptionnent au débarquement a dû surprendre le capitaine indien et son équipage, partis si précipitamment de Mogadiscio qu’ils y ont laissé leurs papiers, et même l’ancre de leur bateau. Le comité d’accueil comprend la police kényane, les autorités portuaires et maritimes locales, les représentants somaliens et des membres de la force d’intervention FISH-i. « En inspectant le navire, nous avons trouvé tellement de poissons qu’il n’y avait plus de place pour y glisser une allumette »,témoigne M. Bergh. Les Somaliens retiennent plusieurs chefs d’accusation, dont défaut de licence, pêche dans la zone des vingt-quatre milles marins que l’État réserve aux pêcheurs locaux, possession de faux documents. Une négociation s’engage, au terme de laquelle les parties s’accordent sur une amende de 60 000 euros — une sanction bien modeste comparée aux 300 000 euros que vaut la cargaison du navire.
Le propriétaire, M. Stavros Mandalios, crie pourtant à l’injustice. « Bien que nous récusions les charges retenues contre nous, nous n’avons pas eu d’autre option que de payer, proteste-t-il. Il fallait mettre fin au plus vite à l’immobilisation du navire et nous voulions éviter de longues procédures devant les tribunaux. » À la suite de cette affaire, l’État du Belize a retiré de son registre le Greko 1,désormais apatride — du moins jusqu’à ce qu’il déniche un nouveau pavillon.
L’impunité dont jouissent les bateaux de pêche européens pourrait cependant toucher à sa fin. L’Union a adopté en 2017 un règlement visant à rendre la politique commune de la pêche (PCP) plus contraignante pour les milliers de bateaux opérant à l’extérieur des eaux européennes (11). À compter de cette année, chaque navire se voit attribuer un numéro d’identification unique inscrit dans les registres nationaux. Les États membres peuvent exclure de ce registre les bâtiments reconnus coupables d’infraction ou qui abusent des changements de pavillon.
« Cette nouvelle législation est un exemple pour le reste du monde,veut croire M. Bergh. La pêche est une industrie qui coûte cher : si on les prive du droit de pêche, même pour un an, les compagnies s’exposent à de lourdes pertes. » Reste un écueil de taille : en cas de poursuites, les armateurs gardent la possibilité de négocier un arrangement, comme celui dont a bénéficié M. Mandalios. « La plupart des litiges se règlent à l’amiable, sans passer devant un tribunal, note M. Bergh. C’est potentiellement une faille, dans la mesure où les propriétaires et les missions diplomatiques trouvent un intérêt commun à ces marchandages et où, au bout du compte, il ne reste aucune trace de l’infraction. » Si ce règlement ne s’applique pas à la flotte chinoise, impliquée dans maintes violations des règles sur la pêche INN, Pékin a annoncé en février son intention de sanctionner la pêche illégale pratiquée par les navires battant pavillon rouge.
Dans l’immensité des océans, difficile de prédire combien de Gotland continueront de passer entre les mailles du filet. Signe que les temps changent, plusieurs pays d’Afrique ont toutefois renforcé leurs systèmes de surveillance. Des réseaux comme FISH-i ou la Commission sous-régionale des pêches d’Afrique de l’Ouest ont amélioré leurs dispositifs de renseignement et d’échange d’informations, rendant la tâche un peu moins aisée aux truands des mers.
Mais d’autres gouvernements persistent à leur faire bon accueil, au grand mécontentement de leurs oppositions. Alors que le Sénégal a adopté une législation destinée à soutenir la pêche artisanale, une clause protégeant la pêche industrielle y a été ajoutée par un passage en force, avec tous les risques d’instabilité qui en découlent (12).
Quoi qu’il en soit, le problème de fond demeure inchangé : malgré son coût prohibitif, la pêche intensive à longue distance restera florissante aussi longtemps qu’elle satisfera la demande du consommateur. En Europe et en Asie, la consommation de poisson par habitant n’a cessé de croître, jusqu’à atteindre vingt-deux kilos par an (13). Dans le même temps, elle recule fortement en Afrique subsaharienne, où elle ne dépasse pas, en moyenne, une dizaine de kilos (14). Ce transfert de protéines des pays pauvres vers les pays riches est lourd d’« énormes conséquences », alerte la FAO, qui estime que les trois quarts des espèces marines pêchées sur la planète font l’objet d’une exploitation excessive ou sont déjà en voie d’épuisement.
« Pendant des années, le Sénégal pensait que ses ressources étaient inépuisables et les gouvernements signaient aveuglément contrat sur contrat, lâche M. Abdou Karim Sall. Que se passera-t-il quand il n’y aura plus de poissons ? Quand un homme commence à avoir faim, de quoi est-il capable ? »
Article publié en Mai 2018
LES NON-DITS DE LA SUPPRESSION DU POSTE DE PREMIER MINISTRE
Selon la version officielle, ce changement obéirait à des impératifs «d'efficience», sans pour autant bousculer les équilibres institutionnels - Mais c'est également une réforme qui pourrait renfermer certains messages politiques
Le Sénégal va se passer de Premier ministre pour assumer son régime politique présidentiel. Selon la version officielle, ce changement obéirait à des impératifs «d'efficience», sans pour autant bousculer les équilibres institutionnels du pays. Mais c'est également une réforme qui pourrait renfermer certains messages politiques. Analyse.
À l'instar de ses prédécesseurs, particulièrement du Président Abdoulaye Wade et son célèbre wax waxeet (renoncement, en wolof), Macky Sall n'a pas été avare en réformes institutionnelles depuis sa victoire en 2012 sur son ancien mentor, ledit Abdoulaye Wade. Alors qu'il avait été élu sur la promesse d'un retour au quinquennat, il s'est pourtant gardé d'appliquer ce changement à son premier mandat, réduisant significativement sa portée politique. Dès sa réélection, le 24 février dernier avec plus de 58% des suffrages, pour un deuxième mandat, de cinq ans cette fois-ci, il donne le ton en annonçant la suppression du poste de Premier ministre.
Alors que la question ne figurait pas comme thème de sa campagne, le Président sortant a annoncé, lors de sa prestation de serment du 2 avril 2019, des «changements dans la gouvernance de l'exécutif pour un meilleur suivi des politiques publiques». À la suite de la démission «de courtoisie» présentée par son Premier ministre, Mohamed Dionne, dès le 5 avril, il s'est plus clairement exprimé en faveur d'un renforcement du régime présidentiel.
«Nous avons un régime où le Premier ministre tire l'essentiel de ses pouvoirs du Président. Le Premier ministre n'a pas de pouvoirs autonomes qui soient délimités de manière expresse dans la Constitution. La réforme n'entraînera pas, donc, une modification substantielle de la Constitution, d'autant plus que le texte fondamental du Sénégal n'oblige pas le Président à nommer un Premier ministre. C'est dire que nous ne sommes pas dans un régime parlementaire», a déclaré à Sputnik El Hadj Hamdiou Kassé, ministre conseiller et porte-parole du Président de la République.
Un constat que rejoint en partie Emmanuel Desfourneaux, directeur général de l'Institut de la culture afro-européenne à Paris, partenaire officiel de l'Unesco. Ce juriste et ancien conseiller du Président sénégalais Abdoulaye Wade estime que la Constitution sénégalaise et sa pratique consacrent bien une forme de régime présidentiel, alors même qu'il existe un Premier ministre. C'est la conclusion tirée, d'une part, des dispositions de l'article 36 de la Constitution, qui attribue au Président la détermination de la politique de la Nation, une fonction qui échoit au gouvernement dans un régime parlementaire. D'un autre côté, le fait majoritaire empêche, dans la pratique, que l'Assemblée nationale mette sérieusement en cause la responsabilité du gouvernement, comme c'est, là encore, le cas dans les régimes parlementaires. «Il y a bien eu des ministres qui ont été démis de leurs fonctions. Mais était-ce le fait de l'Assemblée? Non, mais du Président!», analyse le juriste français.
«Cela veut dire qu'on est dans un régime que j'appellerais, quasi-présidentiel, se situant entre le régime présidentiel pur et dur et le régime semi-présidentiel à la française. Ici, le Chef de l'État est Président, mais aussi chef du gouvernement, puisque, avec cet article 36, le Premier ministre joue un rôle de pure coordination, de courroie entre le Président et les différents ministères du gouvernement.
Donc, la suppression du Premier ministre ne va pas remettre en cause cet équilibre des pouvoirs. En ce sens que c'est bien le Président qui continuera d'exercer la réalité des pouvoirs et qui restera le maître absolu du jeu institutionnel. Ceux qui parlent d'un changement de régime vers un hyperprésidentialisme se trompent totalement. Il n'y aura pas de chamboulement réel dans l'équilibre des pouvoirs, d'un point de vue technique, si ce n'est qu'on sera dans un régime présidentiel plus assumé», analyse Emmanuel Desfourneaux.
Si cette révision constitutionnelle ne risque donc pas d'affecter les équilibres institutionnels, c'est à l'aune de l'histoire politique sénégalaise qu'il convient d'en examiner les ressorts. En effet, le Premier ministre a toujours été le parent pauvre des institutions sénégalaises. Dès 1963, le bicéphalisme de l'exécutif a été sacrifié par Léopold Sédar Senghor, avant qu'il ne le rétablisse sept ans plus tard pour servir de tremplin au «meilleur d'entre nous», à savoir Abdou Diouf.
Sitôt élu, en 1983, ce dernier se passa à son tour de Premier ministre, avant de rétablir la fonction à la faveur de la réforme constitutionnelle de 1991. Dans les deux cas, il s'agissait de «contextes particuliers», selon Emmanuel Desfourneaux, qui cite à titre d'exemple la crise institutionnelle de 1962 et le duel entre Leopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, le Président du Conseil, qui en a résulté. Dans la logique du vainqueur, Senghor, il s'agissait d'éviter qu'il y ait «deux caïmans dans le même marigot», d'après l'adage africain, abondamment cité par les commentateurs de l'époque. Pour Diouf, en revanche :
«La Constitution de l'époque [1983] m'imposait de nommer un Premier ministre. Pourtant au lendemain de ces élections, Jean Collin et Moustapha Niasse me dirent: M. Le Président, le peuple vous a élu, il vous a même plébiscité. D'après tous nos renseignements, il attend de vous que vous gouverniez directement. Senghor avait créé le régime présidentiel déconcentré pour préparer sa succession, mais vous, vous êtes au début de votre présidence, par conséquent vous n'avez pas besoin de Premier ministre. Il faut que vous soyez en même temps chef de l'État et chef de gouvernement», peut-on lire dans l'autobiographie de l'ancien Président (Mémoires, p231, Seuil, 2014).
Un conseil suivi à la lettre par Abdou Diouf, bien qu'il estimât que «compte tenu de la complexité des problèmes dans le monde, il était bon qu'un Président ait un Premier ministre» (ibid). Inversement, rétablir la Primature a souvent été perçu comme le signe d'une succession que l'on préparait, dans le cas de Senghor, ou d'une distanciation des affaires publiques rendue nécessaire par la complexité de la situation sociopolitique.
C'est justement dans ces conditions que Habib Thiam fit son entrée au Gouvernement, en 1991, trois ans après les élections difficiles de 1988, mais aussi, pour tenir compte de la montée en puissance du Parti démocratique sénégalais (PDS) d'Abdoulaye Wade. C'est la même logique de puissance qui faisant défaut à Abdoulaye Wade, au plus bas de sa popularité, pour aller au bout de sa réforme devant aboutir à la suppression du Premier ministre, en 2011.
Partant, il serait possible de lier la réforme envisagée par Macky Sall à la question de sa succession, mais aussi aux équilibres des pouvoirs sur la scène politique sénégalaise. C'est toute la question du «timing politique» de la réforme sur laquelle s'attarde Emmanuel Desfourneaux.
«Certains commençaient à dire que c'était son dernier mandat, qu'il serait diminué, et que c'est maintenant sa succession qui est en jeu. Cette réforme, c'était donc aussi pour dire qu'il reste le maître du jeu. Ce message était adressé, notamment, à son propre camp, et les ambitions grandissantes des uns et des autres. C'est le cas avec Amadou Ba, à qui l'on prête des ambitions présidentielles, et dont Macky Sall a scindé le ministère de l'Économie en deux, avant de lui confier les Affaires étrangères. Même chose pour le ministère de l'Intérieur, avec la sécurité publique qui relèvera, désormais, d'un autre ministre délégué», décrypte Emmanuel Desfourneaux.
Mais le timing de la réforme obéit également à d'autres tempos. Ceux qui rythment la marche du Sénégal vers le développement. Dévoilé au début du premier mandat de Macky Sall, le Plan Sénégal Émergent (PSE) est une vision stratégique visant l'émergence économique du pays à l'horizon 2035. Dans une réunion qui s'est déroulée à Paris, en décembre dernier, en amont de la phase deux du projet (2019-2023), les autorités sénégalaises ont pu récolter 14 milliards de dollars auprès des bailleurs institutionnels, une somme «bien au-delà de leurs espérances», alors qu'ils tablaient sur quelque 4,9 milliards de dollars, témoigne Emmanuel Desfourneaux. Alors que la réalisation de certains projets accuse un certain retard, le changement institutionnel est aussi un message «d'assurance» et «un gage d'efficacité», envoyés aux bailleurs institutionnels, poursuit l'expert français. En ce sens, il rejoint, El Hadj Hamidou Kassé, qui cite également les impératifs «d'efficience».
«Le Président Macky Sall, qui n'a plus que cinq ans [d'exercice, ndlr], a estimé que nous devions travailler en mode d'accélération, de fast-track. D'autant plus que nous allons bâtir une nouvelle économie pétrolière et gazière après les récentes découvertes. Il pense que pour la réalisation de tous ces projets, il faut faire une réforme qui lui donnera une visibilité directe sur la mise œuvre politique qu'il a proposée aux Sénégalais. Cette réforme lui permettra de contrôler directement cette mise en œuvre, pour assurer son suivi et sa validation», explique le ministre conseiller sénégalais.
Pour illustrer ce souci d'efficacité, le responsable sénégalais rappelle le précédent du XVe sommet de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), à Dakar, capitale du pays en 2014. Le pays ne disposait alors pas d'un centre de conférences à même d'accueillir la soixantaine de chefs d'État et de gouvernement, mais aussi les milliers de journalistes et de fonctionnaires internationaux devant prendre part à cet événement international. «Le Président a piloté directement le projet. Bien que tout le monde fût sceptique, au début, on a pu finir les travaux en 11 mois, au lieu des 24 prévus», illustre El Hadj Hamidou Kassé.
Messages politiques et souci d'efficacité… mais les considérations purement institutionnelles ne seraient pas pour autant totalement absentes de cette réforme, estime Mohamed Sy, président du Think Tank Ipode. Dans un entretien avec Sputnik, cet expert sénégalais rappelle d'abord que celle-ci s'inscrit dans une tendance générale de «rationalisation du pouvoir exécutif» au Sénégal. La fluctuation historique de la Primature se calque, selon lui, sur les changements fréquents de la durée des mandats présidentiels, qui sont plusieurs fois passés des quinquennats aux septennats et vice-versa. «Les temps politiques n'étant pas les mêmes, pour une Assemblée législative et pour le pouvoir exécutif, cela posait souvent un problème de légitimité justifiant, parfois, la suppression du Premier ministre, des fois que le Président voulait avoir la mainmise directe sur les réformes.» Par ailleurs, Nous avons une Constitution jeune qui s'adapte à la marche du pays. On découvre la sociologie politique de nos acteurs et il faut, à chaque fois, ajuster selon ces impératifs. Certes, la Constitution avait besoin de s'adapter aux nouveaux droits des Sénégalais, à la mondialisation et à la création des droits inaliénables des citoyens. Elle avait également besoin d'être plus claire au regard de nombreux points. C'est en cela qu'elle était nécessaire. On s'étonnait, par exemple, qu'elle ne contînt aucun article gérant, en cas de cohabitation, les relations entre le Président et le Premier ministre. Que se passerait-il, par exemple, en cas d'une majorité à l'Assemblée nationale qui ne serait pas de la même couleur politique que celle du Président? On aura un Premier ministre qui ne déciderait pas de la politique de la Nation, puisque l'article 36 attribue cette prérogative au Président! Aujourd'hui, la décision du Président d'engager une réforme institutionnelle nous donne des réponses», analyse Mohamed Sy.
Reste la question de savoir dans quelle mesure la réforme prévue ira jusqu'au bout de sa logique institutionnelle. Contrairement à une croyance populaire, le régime présidentiel n'est pas forcément un régime consacrant un Président de la République omnipotent. En ce sens, l'appellation forgée vers la deuxième moitié du XIXe siècle par «un auteur britannique, Walter Bagehot, impressionné [alors] par le rôle exceptionnel joué par Abraham Lincoln» (Droit constitutionnel, François Chevalier) aux États-Unis prête à confusion. Le régime présidentiel est en effet plutôt défini comme un régime de séparation stricte des pouvoirs, contrairement au régime parlementaire, marqué par une forme de collaboration des pouvoirs. «C'est ainsi que les procureurs américains, disposant d'une véritable indépendance, ont été à même de mettre en difficulté le Président Trump sur certains dossiers», rappelle Desfourneaux.
Au Sénégal, en revanche, le basculement vers le régime présidentiel ne semble pas devoir imposer à Macky Sall de se démettre de la présidence du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), regrette le juriste français. «C'est une réforme qu'on a déjà proposée, dès 2013, dans le cadre des 35 propositions de l'IPODE», insiste, pour sa part, Mohamed Sy. «On avait dit qu'il serait à la fois logique et symbolique de modifier toute référence au Président de la République, dont le rôle sera uniquement de veiller au respect de cette indépendance et non d'en être le garant», poursuit-il.
Le ministre Kassé a pour sa part jugé que quand bien même le régime présidentiel impose une séparation stricte des pouvoirs,
«Je ne crois pas que l'on puisse interpréter un fait politique à partir d'un référentiel purement juridique ou constitutionnel. Celui-ci devrait évoluer pour prendre en compte d'autres réalités et spécificités politiques. Quant au Parlement, il continuera d'exercer ses fonctions, comme avant. Le Président n'aura plus la possibilité de dissoudre le Parlement, de même que celui-ci ne pourra plus proposer, ni faire voter, une motion censure», a-t-il déclaré à Sputnik.
Concernant la nature des relations que sera amenée à entretenir l'Assemblée législative avec l'Exécutif à l'issue de cette réforme, Mohamed Sy regrette que la première mouture du projet de réforme qu'il a consultée accroisse les pouvoirs du Président, sans pour autant renforcer ceux du Parlement. Or, si les régimes présidentiels concentrent, habituellement, l'essentiel du pouvoir exécutif aux mains du Président et mettent l'exécutif à l'abri des moyens de pression du Parlement (comme la motion de censure), c'est au généralement prix d'une marge de manœuvre renforcée au niveau des attributions législatives.
«Il aura été intéressant de prévoir, par exemple, une deuxième chambre qui puisse donner une possibilité à l'opposition d'être plus présente, plus forte, notamment grâce à des commissions d'enquête parlementaires. C'est une garantie et une solution consacrées, par exemple, au Bénin. Ce n'est pas encore le cas aujourd'hui au Sénégal. Or, l'opposition ne pourra rien faire à l'Assemblée tant qu'elle n'a pas la majorité simple», compare le juriste français.
D'où l'intérêt, voire la nécessité pour l'opposition de se réorganiser pour gérer son espace d'expression, qui va s'arrêter à l'Assemblée nationale, suggère Mohamed Sy.
«Une opposition qui va à l'assaut d'une législative pour espérer récupérer le poste de Premier ministre et des postes d'exécution au gouvernement est certainement plus motivée à mettre le Président en difficulté qu'une opposition qui va au combat seulement pour espérer récupérer un nombre de sièges de députés», conclut Mohamed Sy.