Face à l’onde de choc créée par les nouvelles surtaxes américaines, les économistes Souleymane Keita et Demba Moussa Dembélé sonnent l’alerte : l’urgence, pour les économies africaines, selon eux, c’est de rompre avec la dépendance structurelle vis-à-vis des marchés extérieurs. Tous deux plaident en faveur d’un modèle économique plus résilient, reposant sur l’intégration régionale, la transformation locale des ressources et la diversification des partenariats commerciaux. Pour le Sénégal, cette crise apparaît non seulement comme une menace sérieuse à court terme, mais également comme un catalyseur potentiel d’une refondation économique stratégique à l’échelle nationale et continentale.
SOULEYMANE KEITA, ENSEIGNANT-CHERCHEUR A L’UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR : « Des initiatives de diversification des partenaires commerciaux s’avèrent inéluctables »
L’annonce de l’entrée en vigueur depuis, hier mercredi 9 avril 2025, d’une nouvelle série de surtaxes douanières décidée par l’administration américaine de Donald Trump, suivie du retropedalage de ce dernier, marque une inflexion majeure dans les échanges commerciaux internationaux. Sur le plan diplomatique, les autorités sénégalaises demeurent prudentes. Cependant, le Premier ministre a affirmé la volonté du gouvernement de défendre la souveraineté économique du pays. Cette position ouvre la voie à des initiatives de diversification des partenaires commerciaux, de renforcement des chaînes de valeurs locales, et de redéfinition stratégique des priorités commerciales.
Ces mesures, qui visent plusieurs puissances économiques ainsi que des nations émergentes, concernent également le Sénégal, avec l’instauration d’un droit de douane minimal de 10 % sur les produits en provenance du pays.
Cette orientation protectionniste du gouvernement américain s’inscrit dans une volonté affichée de « "rééquilibrer" des relations commerciales jugées historiquement désavantageuses pour les États-Unis », analyse l’économiste industriel, Souleymane Keita, enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Outre la Chine (34 %), l’Union européenne (20 %), le Japon (24 %), la Corée du Sud (25 %) et l’Inde (26 %), certains pays comme le Viêt Nam (46 %) et le Cambodge (49 %) sont particulièrement ciblés, en raison de leur dynamisme industriel croissant.
« CONJONCTURE DELICATE » EN AFRIQUE
Selon lui : « Les pays africains, pour leur part, se trouvent plongés dans une conjoncture délicate, marquée par une forte vulnérabilité liée à leur dépendance à un nombre restreint de marchés d’exportation. Le Sénégal, partenaire commercial des ÉtatsUnis dans le cadre de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), est directement concerné par cette évolution ».
EFFETS DIRECTS SUR L’ECONOMIE SENEGALAISE
Dans le cas où l’AGOA est maintenu sans modifications, « les produits sénégalais textiles, produits agricoles transformés, ressources halieutiques continueront de bénéficier d’une exonération de droits de douane, limitant ainsi les impacts immédiats de la décision américaine », indique l’économiste industriel. Toutefois, si certaines surtaxes venaient à s’appliquer même partiellement en dehors du cadre de l’AGOA, « la compétitivité du Sénégal serait sévèrement affectée par rapport à d’autres exportateurs, notamment asiatiques ou latino-américains », précise-t-il.
En scénario pessimiste, « une éventuelle exclusion du Sénégal de l’AGOA entraînerait une baisse significative des exportations textiles, pouvant atteindre 30 %, avec à la clé la suppression de milliers d’emplois et une contraction sensible des recettes en devises », prévient-il, non sans rappeler que les États-Unis représentent près de 15 % des exportations sénégalaises bénéficiant de l’AGOA.
EFFETS INDIRECTS : CHAINES D’APPROVISIONNEMENT ET INVESTISSEMENTS
Les conséquences de ces mesures dépassent le cadre strict des exportations. Certaines entreprises sénégalaises, qui importent des matières premières américaines (médicaments, équipements technologiques, etc.), pourraient voir leurs coûts de production grimper, affectant l’ensemble du tissu industriel. Par ailleurs, l’incertitude réglementaire générée pourrait freiner les investissements directs étrangers, notamment dans les secteurs clés des hydrocarbures et des infrastructures, où interviennent des firmes américaines telles qu’Exxon Mobil ou Kosmos Energy
Enfin, dans un contexte de guerre commerciale globale (USA-ChineUE), les perturbations sur les chaînes logistiques mondiales pourraient entraîner une flambée des prix à l’importation, touchant des produits stratégiques comme le pétrole, le blé ou les machines-outils.
RIPOSTES AFRICAINES : ENTRE ISOLEMENT STRATEGIQUE ET QUETE D’UNITE COMMERCIALE
Face à cette tourmente commerciale sans précédent, le professeur dira que les réactions des pays africains demeurent fragmentées, révélant l’absence d’une politique commerciale continentale véritablement coordonnée, en dépit des ambitions affichées de la Zone de libreéchange continentale africaine (ZLECAf).
DES REPONSES NATIONALES CONTRASTEES
Pour s’en convaincre, l’expert industriel donne en exemple le cas du Zimbabwe. A l’en croire, le président Emmerson Mnangagwa a pris l’initiative de suspendre les droits de douane sur les importations américaines, dans le but de stimuler le commerce bilatéral. Cette décision, motivée par une volonté d’apaisement et de coopération, reflète une orientation pragmatique face à un relèvement tarifaire de 18 %.
Face aux surtaxes américaines, plusieurs pays africains adoptent des stratégies différenciées. Le Lesotho, dont les exportations textiles vers les États-Unis représentent 45% de ses ventes extérieures et plus de 10 % de son PIB, a dépêché une délégation pour négocier un allègement tarifaire. L’Afrique du Sud, pour sa part, opte pour une réponse prudente et privilégie le dialogue, bien que ses exportations soient frappées d’un tarif de 31%, remettant en question les acquis de l’AGOA. Madagascar, confronté à une surtaxe de 47 % sur des produits clés comme la vanille, les métaux et les vêtements, a entamé une démarche diplomatique pour obtenir une révision des mesures. Quant au Nigeria, tout en valorisant le partenariat stratégique avec Washington, sa ministre du Commerce appelle à accélérer le commerce intra-africain à travers la ZLECAf et le PAPSS, afin de réduire la vulnérabilité économique du continent.
DEMBA MOUSSA DEMBELE, ECONOMISTE : «Des pays comme le Sénégal seront très affectés »
La récente décision de l’administration Trump d’instaurer des surtaxes douanières constitue un tournant décisif dans les relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique. L’African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui visait à faciliter l’accès des produits africains au marché américain en les exemptant de droits de douane, semble désormais remis en cause. Dès lors, plusieurs observateurs, dont l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, estiment que cette orientation marque la fin de l’AGOA tel qu’on le connaissait
La décision du président américain Donald Trump de fouler aux pieds et de manière unilatérale les règles de l’Organisation de Mondiale du Commerce (OMC) ne sera pas sans conséquences pour tous les pays singulièrement les pays africains les moins avancés (PMA). Comme l’a souligné le Premier ministre de Singapour, c’est même l’ensemble du système de libre-échange qui vacille. Interrogé sur les effets immédiats de ces droits de douane dont un taux de 10 % est appliqué au Sénégal, Demba Moussa Dembélé reconnaît la difficulté à quantifier, à ce stade, l’impact précis sur les exportations sénégalaises. Il précise que ces mesures toucheront non seulement les produits précédemment éligibles à l’AGOA, mais également l’ensemble des exportations à destination des États-Unis. Cependant, nuance-t-il, l’ampleur des échanges commerciaux entre le Sénégal et les États-Unis demeure modeste. Selon les données de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), les États-Unis ne figuraient qu’au dixième rang des partenaires à l’importation du Sénégal en 2024. En comparaison, la Chine s’impose désormais comme le premier partenaire commercial du pays.
UN IMPACT GENERALISE A L’ECHELLE DU CONTINENT
Au-delà du cas sénégalais, tous les pays africains seront touchés. L’imposition d’un tarif d’au moins 10 % sur la majorité des exportations africaines vers les ÉtatsUnis signifie une érosion de leur compétitivité, surtout pour les produits qui étaient déjà soumis à des taxes, et qui le seront désormais davantage. Les produits les plus exposés sont : le pétrole brut, les minerais et les denrées agricoles. Ainsi, les grands exportateurs de pétrole comme l’Algérie, l’Angola ou le Nigeria subiront de plein fouet cette réforme tarifaire. La Côte d’Ivoire, dont une part importante du cacao est écoulée sur le marché américain, figure également parmi les pays à risque. Quant aux pays les moins avancés (PMA) – parmi lesquels figure le Sénégal – leur vulnérabilité est accentuée par leur forte dépendance au régime préférentiel de l’AGOA. Demba Moussa Dembélé cite les exemples de Madagascar, frappé de 47 % de taxes sur la vanille et les métaux, ou du Lesotho, confronté à un tarif de 50 % sur ses exportations de diamants et de textiles. Ce dernier envisage d’ailleurs l’envoi d’une délégation à Washington pour tenter d’amortir le choc.
UNE REPONSE AFRICAINE FRAGMENTEE ET PEU CONCERTEE
Face à cette reconfiguration des échanges mondiaux, « l’Afrique ne semble pas en mesure d’apporter une réponse unifiée, à la différence de blocs régionaux tels que l’Union européenne ou l’ASEAN », constate l’économiste pour s’en désoler. Chaque pays adopte sa propre stratégie, parfois prudente, parfois offensive. À titre d’exemple, l’Afrique du Sud a déclaré qu’elle n’imposerait pas de mesures de rétorsion, bien qu’elle soit durement frappée (31 % de taxes supplémentaires, en plus des 24 % sur ses exportations de véhicules électriques). Cette prudence semble être partagée par plusieurs autres pays africains, soucieux de ne pas aggraver les tensions commerciales ou de compromettre d’éventuelles négociations bilatérales.
DES CONSEQUENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES MAJEURES A PREVOIR
Demba Moussa Dembélé d’alerter sur la multiplicité des répercussions que ces mesures douanières entraîneront sur les économies africaines. Selon lui : « On peut s’attendre à une baisse des recettes d’exportation en raison de la diminution de la demande américaine; à une hausse des coûts à l’importation pour les produits industriels américains ; à un creusement des déficits de la balance des paiements ; et à une aggravation de l’endettement extérieur, en particulier pour les PMA ». À terme, « certaines nations pourraient sombrer dans une crise économique et sociale profonde, si des mesures d’ajustement ne sont pas prises rapidement », conclut M. Dembélé.
LE GOUVERNEMENT CONFIRME LE SCANDALE À LA SÉCU
Selon le ministre du Travail Abassi Fall une instruction judiciaire est en cours concernant des détournements estimés à plus d'un milliard de francs CFA à la Caisse de Sécurité sociale. Plusieurs personnes inculpées sont déjà en détention
(SenePlus) - Dans une réponse officielle adressée au président de l'Assemblée nationale, le ministre du Travail, de l'Emploi et des Relations avec les Institutions (MTERI), Abassi Fall, a confirmé qu'une instruction judiciaire est en cours concernant les allégations de détournement à la Caisse de Sécurité sociale, estimé à plus d'un milliard de francs CFA.
Cette réponse fait suite à une question écrite posée par le député Guy Marius Sagna le 6 mars dernier, qui s'inquiétait non seulement de l'illégalité des conseils d'administration de la Caisse de Sécurité sociale et de l'IPRES, dont les mandats ont expiré depuis 2016, mais également des soupçons de malversations financières.
"Le dossier sur l'affaire du détournement à la Caisse de Sécurité sociale a d'abord été confié au juge d'instruction du 3ème cabinet qui a déjà procédé à l'audition au fond de toutes les parties concernées", précise le ministre dans sa lettre. Il ajoute que "les inculpés sont, pour la plupart, dans les liens de la détention."
Un développement juridique important est survenu le 14 mars 2025, avec l'ordonnance de dessaisissement rendue par le Procureur de la République au profit du Pôle Judiciaire Financier (PJF), désormais compétent en raison de l'importance du montant en jeu.
Concernant la gouvernance des institutions de prévoyance sociale, le ministre a assuré que le gouvernement est "préoccupé par la question du renouvellement des mandats" et qu'un processus a été enclenché depuis plusieurs mois. Ce processus a abouti à la désignation de nouveaux représentants au sein des Collèges des représentants et des Conseils d'administration des deux institutions. Le renouvellement des membres des instances dirigeantes de ces institutions devrait être finalisé avant le 1er mai 2025.
PAR Makhtar Diouf
CES AGENCES DE NOTATION FINANCIÈRE ET NOUS
EXCLUSIF SENEPLUS - Les investisseurs directs étrangers et les bailleurs de fonds ont d’autres références que ces notes. On peut présumer que le Sénégal de l’après 24 mars 2024 est devenu plus attractif
Moody’s et Standard & Poors sont des Agences de Notation Financière (Anf) devenues familières aux Sénégalais depuis leur note (pas bonne) attribuée au nouveau régime. Est-ce la sanction d’une gestion catastrophique de ‘’ces incompétents’’ au pouvoir depuis près d’un an ? Des éclairages sont nécessaires.
J’avais écrit un article sur ces Anf (‘’ Euros, dollars, en veux-tu en voilà’’, 6/09/2021) dans ‘’Sud Quotidien’’. Il m’a paru opportun d’y revenir avec de nouvelles données.
Présentation des Anf
Les Anf (Credit Rating Agencies) sont créées aux Etats-Unis au début du 20èmesiècle avec la clientèle de grandes entreprises. Après la grande crise de 1929 leurs services sont orientés en direction des Etats. Les trois plus grandes Anf sont américaines : la pionnière Moody’s (de John Moody), Standard & Poors (de Henry Poors) qui interviennent en Afrique, et Fichte (de John Fichte). Elles contrôlent 95 pour cent du marché financier. Des Anf de moindre envergure sont présentes en Chine, en Inde, en Afrique du Sud, dont les clients sont des entreprises. Bloomfield opère à Abidjan avec représentation à Douala au Cameroun.
L’Anf intervient sur l’endettement sur les marchés financiers internationaux, surtout sur le marché des obligations. Elle se place entre l’emprunteur (une firme ou un Etat) et un prêteur potentiel appelé investisseur. Lorsqu’un Etat désireux de financer des projets émet une obligation sur les marchés financiers, l’Anf se base sur une évaluation de son degré de solvabilité : situation économique, financière, remboursement de dettes antérieures, stabilité politique. Elle donne une note censée indiquer son aptitude à rembourser le prêt sollicité, et à décider les investisseurs directs.
L’Anf est payée par l’émetteur d’obligation lorsque c’est une entreprise, parfois par l’investisseur qui cherche à placer ses liquidités dans un lieu sûr. Elle vend ses notes à la presse financière et à des institutions comme Bloomberg (agence d’informations financières et économiques) qui les publient.
Les notes des Anf sont données en lettres selon le système de notation en vigueur dans le système américain d’enseignement. Elles se présentent dans l’ordre décroissant, de ‘’excellent’’ à ‘’médiocre’’(en équivalent numérique à peu près de 20 à 1).
Bien des déboires ont jalonné le parcours de ces Anf dans leurs notations de grandes entreprises et de gouvernements.
En 2001, la firme américaine d’énergie Enron, après avoir reçu une bonne note tombe en faillite 4 jours après. En 2003, la banqueroute de World Com est précédée d’une bonne note. En 2003, Parmalat (société laitière italienne du groupe français Lactalis) est déclarée en faillite après une bonne note 18 jours avant. En septembre 2008, la banque américaine Lehman Brothers est en faillite après la bonne note A- de Standard&Poors. La même note est attribuée à la compagnie d’Assurance AIG qui n’est sauvée de la faillite que par un renflouement financier.
Certains financiers prêteurs sont actionnaires dans le capital des Anf, ce qui donne lieu à des conflits d’intérêts. Lorsqu’une firme paie les services d’une Anf, ce n’est pas pour recevoir une mauvaise note. Ce qui pose des doutes sur l’objectivité de ces notations.
Les Anf ont été accusées de grande responsabilité dans la crise financière des années 1990 ayant affecté des pays asiatiques (Corée Sud, Indonésie, Thailande). Les Anf sont aussi culpabilisées dans la crise financière de 2008-2009, en donnant de bonnes notes à des établissements financiers fautifs de la crise des ‘’subprimes’’ (crédits hypothécaires consentis à des personnes sans garantie).
Les Anf n’ont pas bonne presse en Europe, accusées d’avoir arbitrairement dégradé certains pays. La Commission économique de l’Union européenne envisage de créer sa propre Agence de notation financière.
Pourquoi alors le maintien de ces Anf ? Pour certains Européens, c’est parce qu’elles sont américaines. Elles font preuve d’un part pris flagrant en faveur des gouvernements américains. Leurs erreurs ne sont pas sanctionnées, car elles prétendent n’exprimer que des opinions, passibles de la liberté d’expression, comme le leur garantit le premier amendement de la Constitution.
S’y ajoute que bon nombre d’institutions financières (compagnies d’assurance, fonds de pensions, banques commerciales …) pour intervenir sur le marché des dettes sont tenues d’exiger de leurs clients d’être notés par les Anf.
En juin 2010, Obama, décide d’introduire un peu de discipline dans le comportement spéculatif des institutions financières, dont les Anf. Son projet de loi introduit au Sénat par le député Barney Frank et le sénateur Chris Dodd, est adopté comme ‘’Frank- Dodd Act’ qui s’attaque aux conflits d’intérêt. Mais cette pratique ne concerne que les entreprises et non les gouvernements. Le Frank-Dodd Act reconnaît que les notations des Anf sont de nature commerciale sans rapport avec la liberté d’expression et que le chaos financier créé devrait relever de la responsabilité civile. Mais aucune mesure n’est prise à cet effet.
Une méthode de notation inadéquate
La méthode de notation utilisée par les Anf consiste à ne tenir compte que des seules caractéristiques économiques les plus stables, les plus permanentes du pays emprunteur. Ce qui néglige les changements les plus récents survenus dans le paysage économique et politique. C’est la méthode dite ‘’Notation étalée sur le cycle’’ (through the cycle rating)
La méthode différente est dite ‘’Evaluation ponctuelle’’ (Point-in time-rating) qui intègre les caractéristiques permanentes et les changements. Elle permet une notation basée sur une évaluation stable et exacte. C’est la méthode utilisée par les banques pour apprécier le degré de solvabilité de leurs emprunteurs. On comprend ainsi que le dernier eurobond du Sénégal en 2025 ait été souscrit entièrement par la banque américaine J P Morgan.
Il est reproché aux Anf de continuer à utiliser la première méthode, avec retard à l’allumage, ne tenant compte que des informations qui leur viennent des pays via le Fmi, la Bm et d’autres sources.
L’Afrique et les Anf
C’est à partir de 2000 que les gouvernements africains sont poussés vers les Anf. L’argument est que l’aide au développement et les prêts concessionnels (avec faible taux d’intérêt) ont fortement baissé, et dans la nouvelle situation de mondialisation, l’alternative pour le financement des projets est le recours aux marchés financiers des titres obligataires. Les prêteurs ne peuvent plus être seulement les banques, mais aussi d’autres intervenants, avec intermédiation des Anf.
es pays africains commencent à s’endetter en termes de euro-obligation, ou euro-bond mais en fait en dollars. L’euro-obligation est une dette remboursable avec une certaine maturité à un certain taux d’intérêt. Ce type de dette est plus flexible, moins contraignant que la dette des bailleurs traditionnels comme le Fmi et la Bm avec leur lenteur et leurs conditionnalités. Surtout qu’avec les réductions et annulations de dettes qui ont suivi la crise de la dette des années 1980, le niveau d’endettement ayant baissé, pour financer des infrastructures, les pays africains ont opté pour les euro-bonds jusqu’à 20 pour cent de leur endettement total.
L’Etat du Sénégal se lance sur le marché des euro-bonds en 2009 avec 7 opérations à ce jour : 2 sous Wade, avec un taux d’intérêt de 9,25 pour cent ; 4 sous Macky dont 1 avec un taux d’intérêt record de 5, 375 pour cent ; 1 sous Diomaye, au taux de 7,75 pour cent.
Les notes des deux Anf qui interviennent sur le Sénégal se présentent ainsi :
Avec Moody’s :
Sous Wade, une seule note B1 en 2011.
Sous Macky, les notes sont : B1 en 2014 ; Ba3 en 2017, 2020 et 2022.
Sous Diomaye, la note est B1 en octobre 2024, et B3 en février 2025.
Avec Standard & Poors :
Sous Wade (2000,2006,2009,2010) la note est B+
Sous Macky (2013,2018,2019) la note est B+
Sous Diomaye, la note est B+ en octobre 2024, et B en février 2025.
Le niveau d’endettement le plus élevé en eurobond est réalisé sous Macky, avec aussi le taux d’intérêt le plus bas en 2021. C‘est avec lui que les notes des Anf sont ‘’meilleures’’ (en fait moins mauvaises). Cela tient à la confiance due à deux raisons : le Sénégal est perçu comme un prochain exportateur de pétrole et de gaz ; les clignotants économiques conjoncturels présentés sont au vert, rassurants.
Le rapport de la Cour des Comptes en février 2025 révèle que les statistiques présentées sous Macky étaient faussées. Ce qui explique la dégradation de la note du Sénégal par les Anf sous le régime Diomaye qui a hérité de cette situation financière désastreuse.
Les pays africains sont mal notés par les Anf, abonnés à la tranche des B. Les notes du Sénégal se situent en moyenne entre 8 et 9 sur 20.
L’exception est constituée par le Botswana qui flirte avec la note A2, grâce à ses exportations d’or et de diamant.
Le Nigeria et le Kenya ont rejeté les notes qui leur ont été attribuées par Moody’s, estimant que ces agences n’ont pas une claire compréhension de leur situation économique qui n’est pas aussi alarmante.
La Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (Addis Abeba) reproche aux Anf de décourager les investissements étrangers en Afrique et recommande de mettre en place une Anf africaine.
La Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (Cnuced, Genève) est aussi très critique à l’égard des Anf suspectées de discrimination à l’encontre des pays en développement.
Les institutions de Bretton-Woods ne figurent pas parmi les critiques des Anf. La Banque mondiale crée en 2002 le mécanisme ‘’Doing Business’’ avec l’objectif de comprendre et améliorer l’environnement réglementaire des affaires. Il s’agit d’attribuer des notes aux Etats et d’établir un classement annuel sur lequel se baseront des investisseurs. Comme le font les Anf. En 2021 la Banque mondiale met fin au projet ‘’Doing Business’’ qui faisait doublon et concurrence avec les Anf. La Banque mondiale est cliente de Moody’s pour ses levées de fonds. Le FMI suggère seulement aux Anf d’améliorer leurs procédures.
Moody’s comporte plusieurs divisions dont une collabore avec le Bureau d’Etudes Mc Kinsey qui a confectionné d’inutiles et coûteux Plans Emergents à 37 pays africains. Le Plan Sénégal Emergent avait permis à Mc Kinsey d’encaisser du Sénégal 2,5 milliards F cfa. Pour quels résultats ?
Et maintenant
Les Anf avec leurs notes ne doivent ni faire peur, ni alimenter la politique politicienne. Elles ne sont pas aussi importantes et décisives. Les investisseurs directs étrangers et les bailleurs de fonds ont d’autres références que ces notes. On peut présumer que le Sénégal de l’après 24 mars 2024 est devenu plus attractif.
La dette est inséparable de la vie des gouvernements et des entreprises. Les dettes souveraines des pays les plus développés sont de l’ampleur de leur produit intérieur brut, mais ils sont considérés solvables. Les plus grandes entreprises du monde affichent au Passif du Bilan des postes ‘’Dettes à long, moyen et court terme’’ qui financent des investissements dont la rentabilité figure au Compte d’Exploitation.
Les pays africains aussi sont solvables. Walter Wriston, un influent directeur de Citibank l’avait laissé entendre : Countries don’t go out of business (‘’Les pays ne tombent pas en faillite’’). Parce que les infrastructures, la productivité de la population, les ressources naturelles ne quittent pas le pays. Ainsi l’Actif excède le Passif. Les bailleurs de fonds ne perdent pas de vue les ressources naturelles des pays pour s’y engager.
La dette ne devrait financer que des opérations rentables, en rapport direct avec le développement. Ce qui doit aller de pair avec la rationalisation des dépenses publiques, la chasse aux ‘’faux frais’’ et la mobilisation autant que possible des ressources internes.
Dans leurs rapports avec l’extérieur, la sagesse africaine doit être en sentinelle de vigilance :
Lorsqu’on est tiré à la traîne pour marcher on ne choisit pas son chemin et sa destination.
Ou encore :
Lorsque quelqu’un te prête des yeux, tu ne peux regarder que dans la direction qu’il t’indique.
par Aminata Touré
MACKY SALL COOPTÉ PAR MO IBRAHIM, UN POISSON D'AVRIL ?
Soit la Fondation ignore la réalité de la gouvernance sous Macky, révélant une grave défaillance dans ses vérifications préalables ; soit il s'agit d'un arrangement entre élites qui compromet sérieusement la crédibilité de l'indice Ibrahim
Lorsque j’ai appris que Macky Sall siégerait au Conseil d’Administration de la Fondation Ibrahim qui a bâti sa renommée sur la promotion de la bonne gouvernance sur le continent, j’ai d’abord cru à un poisson d’Avril.
Pour rappel, la fondation Ibrahim créée par le milliardaire anglo-soudanais Mohamed Ibrahim (qui a fait fortune dans les télécommunications) a lancé avec succès l’indice Ibrahim de la Gouvernance en Afrique. Communément appelé IAG, il s’agit d’un outil théorique de mesure de la performance des 54 pays africains en matière de Gouvernance.
Alors que nous sommes en plein scandale de la dette cachée de 4000 milliards sans compter les nombreux scandales à milliards dont celui des fonds Covid que je ne me lasserai jamais de rappeler, le principal responsable de ces pratiques de mal-gouvernance maximales dans son propre pays, Macky Sall himself va attribuer bonus et des malus en matière de bonne gouvernance.
Nous sommes ici face à deux hypothèses :
1/ ou la Fondation Ibrahim ne connait absolument rien de la situation de la gouvernance sous Macky Sall, ce qui serait une faute grave dans son processus de “due diligence” et de vérification préalable.
2/ ou alors, tristement, il s’agit du fameux service-camarade entre riches qui porte sérieusement atteinte à la crédibilité de l’indice de bonne gouvernance Ibrahim.
En état de cause, shoking ! comme on dit au pays d’adoption de Sir Mo Ibrahim.
LE SÉNÉGAL EN NÉGOCIATIONS POUR INTÉGRER LES BRICS
La ministre des Affaires étrangères, Yassine Fall, souligne que la stabilité, les ressources et les ambitions industrielles du pays constituent des atouts majeurs pour son intégration.
Le Sénégal a entamé des discussions avec les pays membres des BRICS+, dans le but d’intégrer ce groupe de 10 pays se positionnant comme les rivaux des sept pays les plus industrialisés du monde, a-t-on appris mercredi de sa ministre de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, Yassine Fall.
‘’Le Sénégal fait partie des pays qui ont apprécié la création des BRICS et sont en pourparlers avec [ce groupe] pour, certainement, en faire partie’’, a dit Mme Fall dans une interview accordée récemment à la télévision Russia Today et publiée mercredi sur son compte X.
‘’Le Sénégal a quelque chose à apporter aux BRICS en raison de sa stabilité, de ses ressources et de cet élan de développement industriel que nous voulons mettre en place’’, a-t-elle affirmé.
Yassine Fall estime que ‘’le Sénégal a un rôle à jouer’’ au sein de ce groupe de pays.
Le Sénégal a des arguments à faire valoir pour son intégration dans ce groupe de 10 pays, a insisté Mme Fall.
Elle considère les BRICS comme ‘’une alternative pour les pays du Sud’’, auxquels ce regroupement d’États donne ‘’plus d’espace d’échange, d’expression et d’accès à des ressources monétaires ou commerciales’’.
L’appellation BRICS désigne initialement le rapprochement en 2009 de quatre pays, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, auxquels s’est ajoutée l’Afrique du Sud en 2011.
L’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran sont les derniers pays membres du groupe des BRICS à partir du sommet de 2024, qui a eu lieu à Kazan, en Russie.
Ce groupe envisage la création d’une monnaie commune comme alternative au dollar américain. Il se positionne comme le rival d’un groupe similaire, le G7, qui est constitué de l’Allemagne, du Canada, des États-Unis d’Amérique, de la France, de l’Italie, du Japon et du Royaume-Uni.
SONKO-OUATTARA, LE FACE-À-FACE DES VISIONS RIVALES
La visite d'Ousmane Sonko en Côte d'Ivoire s'inscrit dans une période délicate où les critiques envers l'ancien président Macky Sall, proche d'Alassane Ouattara, ont refroidi les relations entre les deux pays
Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, s’apprête à effectuer une visite officielle en Côte d’Ivoire, prévue dans la première quinzaine d’avril 2025. Ce déplacement, le troisième à l’étranger depuis sa nomination, mais le premier en territoire ivoirien, revêt un caractère éminemment politique. Il s’inscrit dans un contexte de recomposition des rapports de force en Afrique de l’Ouest, marqué par la montée en puissance de l’Alliance des États du Sahel (AES), les tensions persistantes entre la Côte d’Ivoire et ses voisins sahéliens, et la méfiance croissante d’Abidjan vis-à-vis des nouvelles orientations diplomatiques de Dakar.
Ousmane Sonko, qui n’a jusqu’à présent jamais voyagé en dehors du continent africain depuis sa prise de fonctions, semble vouloir poser les jalons d’une nouvelle ère diplomatique, tout en tentant de rééquilibrer une relation ivoiro-sénégalaise fragilisée par les bouleversements internes des deux pays et les dynamiques géopolitiques régionales.
Des relations à réparer
La visite du chef du gouvernement sénégalais survient dans un contexte marqué par des tensions larvées entre Dakar et Abidjan. L’arrivée au pouvoir du tandem Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko a bouleversé les équilibres diplomatiques hérités de l’ère Macky Sall. En effet, selon Afrique Intelligences, les attaques de la nouvelle administration à l'endroit de Macky Sall et de son entourage ont particulièrement irrité Abidjan. Depuis son départ de la présidence, le patron de l'Alliance pour la République (APR) est resté très proche d'Alassane Ouattara, avec qui il est en contact régulier. Il avait discrètement séjourné à Abidjan au mois d'août 2024 et a encore été reçu à déjeuner par Alassane Ouattara dans sa résidence de Mougins, dans le sud de la France, le 28 mars, cette année .
D’après des sources diplomatiques, la Côte d’Ivoire aurait peu goûté aux attaques répétées contre l’ancien président sénégalais et ses proches. À Abidjan, certains considèrent que Dakar cherche à solder des comptes internes sur la scène régionale, ce qui pourrait nuire à l’esprit de coopération. Une autre source de crispation tient à l’absence de soutien ivoirien à la candidature d’Amadou Hott à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Ouattara aurait préféré soutenir le Mauritanien Sidi Ould Tah, une décision interprétée à Dakar comme un signal politique, voire une manœuvre influencée par Macky Sall en coulisses, renseigne la même source.
Le malaise AES-Abidjan en toile de fond
La réorientation diplomatique sénégalaise, marquée par un rapprochement affirmé avec les régimes militaires de l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger), est un autre point de friction. Bien que Dakar maintienne officiellement une ligne de neutralité bienveillante, sa volonté de dialoguer avec les juntes et de relancer la coopération sécuritaire et commerciale avec l’AES inquiète Abidjan. En effet, la Côte d’Ivoire entretient des relations notoirement difficiles avec le Mali et le Burkina Faso.
Le souvenir de l’affaire des 49 soldats ivoiriens détenus à Bamako en 2022-2023 reste vivace. Ces militaires avaient été accusés de « tentative de déstabilisation » du gouvernement malien et condamnés à 20 ans de prison avant d’être graciés par le colonel Assimi Goïta. Cette crise, qui aura duré près de six mois, a laissé des traces profondes, d’autant qu’elle avait mobilisé plusieurs chefs d’État ouest-africains, sans pour autant apaiser les tensions entre Bamako et Abidjan.
Autre épicentre de crispation: la frontière ivoiro-burkinabè, aujourd’hui considérée comme l’une des plus inflammables de la sous-région. En l’espace de deux ans, plusieurs incidents ont renforcé la méfiance entre les deux capitales. Le dernier en date, en février 2025, concerne l’arrestation de trois agents ivoiriens des eaux et forêts par les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils burkinabè, sur un site d’orpaillage contesté à Kalamon. L’affaire a ravivé le spectre de l’incident de 2023, au cours duquel deux gendarmes ivoiriens avaient été détenus plusieurs mois à Ouagadougou.
Une visite stratégique à plusieurs niveaux
C’est dans ce contexte régional sous tension que s’inscrit la visite d’Ousmane Sonko. Pour les autorités sénégalaises, il s’agit à la fois de rassurer Abidjan sur les intentions réelles du Sénégal dans le Sahel, et de préserver les acquis historiques de la coopération ivoiro-sénégalaise. Sur les dossiers économiques, les deux pays entretiennent des relations denses, avec de nombreux échanges commerciaux, des investissements croisés et des communautés importantes de ressortissants installés de part et d’autre.
Mais cette visite sera aussi l’occasion pour Sonko d’envoyer un message politique clair : celui d’un Sénégal souverain dans ses choix diplomatiques, soucieux de son positionnement régional, mais décidé à sortir des tutelles implicites. Le Premier ministre, qui a fait de la refondation des relations internationales une priorité, souhaite replacer le Sénégal comme acteur pivot entre les blocs de l’Afrique de l’Ouest, à équidistance des alliances traditionnelles comme la CEDEAO et des forces émergentes comme l’AES.
Pour rappel, au lendemain de l'élection de Bassirou Diomaye Faye, le chef de l'État ivoirien avait été l'un des premiers présidents africains à s'entretenir avec lui par téléphone. Un échange qui avait été facilité par Macky Sall en personne. Dans la foulée, Bassirou Diomaye Faye avait effectué une visite officielle dans la capitale économique ivoirienne au mois de mai.
Franc CFA : une fracture monétaire entre prudence ivoirienne et rupture sénégalaise
Au-delà des sensibilités politiques et des repositionnements géostratégiques, la question monétaire cristallise l’une des plus profondes divergences entre Dakar et Abidjan. Depuis leur accession au pouvoir, le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko ont clairement affiché leur volonté de rompre avec le franc CFA, qu’ils considèrent comme un symbole persistant de domination postcoloniale et un frein à la souveraineté économique.
Le projet, encore à l’état d’intention, oscille entre deux options : rejoindre une monnaie unique régionale comme l’ECO, en gestation depuis plusieurs années, ou créer une monnaie nationale souveraine, arrimée à un panier de devises plus représentatif des échanges commerciaux réels du Sénégal. Lors de leur campagne électorale, les deux dirigeants ont répété que la souveraineté monétaire faisait partie intégrante de leur programme de rupture, au même titre que la réforme des institutions ou la refondation de la justice sociale.
Cette position tranche nettement avec la prudence – pour ne pas dire l’orthodoxie – adoptée depuis plusieurs années par la Côte d’Ivoire, pilier économique et politique de l’UEMOA. Le président Alassane Ouattara, fervent défenseur du franc CFA, n’a cessé de rappeler l’attachement de son pays à cette monnaie, qu’il considère comme un facteur de stabilité et de performance macroéconomique. Dans une déclaration restée célèbre, prononcée le 15 février 2019 à l’issue d’un entretien avec le président français à Paris, Ouattara – alors président en exercice de la Conférence des Chefs d’État de l’UEMOA – avait vertement tancé les détracteurs du franc CFA : « J’ai entendu beaucoup de déclarations sur le franc CFA (…) Je ne comprends pas ce faux débat (…) Le franc CFA est notre monnaie, c’est la monnaie de pays qui l’ont librement choisie (…) Cette monnaie est solide, elle est appréciée, elle est bien gérée (…) Les huit économies qui la composent sont parmi les meilleures en performance économique (…) Nous sommes très heureux d’avoir cette monnaie qui est stabilisante pour nos économies. »
Cette sortie, au ton ferme, illustre l’approche conservatrice d’Abidjan en matière de politique monétaire. Pour Ouattara et une partie des élites économiques ivoiriennes, le maintien dans la zone franc garantit un cadre macroéconomique stable, qui attire les investissements étrangers, limite l’inflation et facilite l’accès aux marchés financiers internationaux.
Du côté sénégalais, à l’inverse, les critiques se fondent sur l’argument selon lequel le franc CFA, arrimé à l’euro, prive les économies ouest-africaines de leviers d’ajustement, empêche toute politique monétaire proactive et consacre une dépendance vis-à-vis des institutions françaises, notamment via la présence du Trésor public français dans le processus de garantie.
Cette divergence n’est pas nouvelle, mais elle prend désormais une dimension plus aigüe, car le Sénégal est gouverné par une équipe politique qui fait de la souveraineté monétaire un marqueur idéologique fort. La Côte d’Ivoire, en revanche, entend préserver un statu quo jugé favorable à sa croissance.
L'ombre de la rencontre Sonko-Thiam
Par ailleurs, un autre élément, plus discret mais politiquement significatif, pourrait expliquer la prudence d’Abidjan face à la nouvelle posture de Dakar. En octobre 2024, Ousmane Sonko avait reçu à huis clos Tidjane Thiam, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), principal opposant au président Alassane Ouattara. Cette rencontre, qui n’a jamais été officiellement médiatisée, a néanmoins été perçue comme un geste d’ouverture à l’égard d’un acteur stratégique dans le paysage politique ivoirien, à quelques mois d’une présidentielle décisive.
Tidjane Thiam, ancien patron du Crédit Suisse et personnalité respectée dans les milieux financiers internationaux, est aujourd’hui le candidat naturel du PDCI pour la présidentielle d’octobre 2025.
Le lien entre Thiam et le Sénégal n’est pas que circonstanciel. Son père, Amadou Thiam, était un journaliste sénégalais de renom, né à Dakar en 1923, diplômé de l’Institut international de journalisme de Strasbourg, qui s’est installé en Côte d’Ivoire en 1947. Il bénéficiait de la nationalité française à l’époque coloniale, avant d’adopter la nationalité ivoirienne. Il est aussi le frère cadet de Habib Thiam, ancien Premier ministre du Sénégal sous les présidences de Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf. Ce pan d’histoire familiale renforce un ancrage affectif et symbolique fortentre Tidjane Thiam et le Sénégal, et pourrait expliquer en partie les affinités politiques actuelles.
Ce rapprochement, même s’il ne relève d’aucune alliance formelle, n’a pas manqué de faire sourciller le palais présidentiel ivoirien. Dans un contexte où chaque geste diplomatique est scruté, la rencontre Sonko–Thiam, combinée à la montée en puissance du discours souverainiste à Dakar, alimente une forme de méfiance croissante chez certains proches d’Alassane Ouattara, soucieux de préserver l’équilibre politique interne à l’approche d’échéances électorales déterminantes.
Pourtant sa candidature est menacée, elle est récemment contestée en justice. Une militante de son parti remet en cause sa légitimité. Mercredi 2 avril, des députés et militants du PDCI ont manifesté devant le palais de justice d’Abidjan. Ils dénoncent une manœuvre politique visant à l’empêcher de se présenter.
Depuis quelques semaines, un débat sur la nationalité de Tidjane Thiam agite la scène politique de la Côte d'Ivoire. En février, il avait annoncé renoncer à sa nationalité française, qui lui avait été accordée en 1987. Une mesure qui a pris effet par décret le 20 mars dernier. Mais, pour ses détracteurs, Tidjane Thiam a entre-temps perdu sa nationalité ivoirienne.
La diplomatie de proximité comme priorité
Il est également notable que Sonko, depuis son arrivée à la primature, n’a effectué aucune visite hors du continent africain. Ses priorités sont régionales. Après une première tournée discrète dans les capitales voisines, puis un passage à Addis-Abeba pour les réunions de l’Union africaine, c’est vers Abidjan qu’il dirige maintenant son attention. Une diplomatie de proximité assumée, cohérente avec la vision panafricaniste qu’il défend depuis des années.
Pour beaucoup d’observateurs, la rencontre prévue avec Alassane Ouattara sera donc lourde de symboles. Elle permettra de tester la capacité des deux hommes à dépasser les différends récents, à retrouver une base de confiance et à poser les bases d’un partenariat rénové.
Dans une Afrique de l’Ouest à la croisée des chemins, où les lignes diplomatiques se déplacent vite, cette visite pourrait être l’un des marqueurs les plus significatifs de la nouvelle ère sénégalaise. À condition que les non-dits soient mis sur la table, et que les susceptibilités politiques cèdent la place à une logique de coopération pragmatique.
POURQUOI 600 POLICIERS ONT ÉTÉ REMERCIÉS
Ces agents, embauchés en 2021 "hors des procédures habituelles", avaient provoqué des grincements de dents dans l'armée en raison de leurs salaires avantageux
C'est une mesure qui en a surpris plus d'un. Comment, dans un pays qui fait face à tant de défis sur le plan sécuritaire, on peut se permettre de libérer autant de policiers d'un coup ? ‘’EnQuête’’ a essayé de comprendre. Selon des sources bien informées, il n'y a rien d'anormal. Il se trouve juste que ces éléments rattachés au Groupement mobile d'intervention (GMI) avaient des contrats de quatre ans.
Recrutés en 2021, dans un contexte marqué par une profonde crise, la tutelle a tout simplement décidé de libérer ces 600 éléments, avec l'arrivée à terme de leurs contrats. La décision a été rendue publique hier. Dans un document parcouru par ‘’EnQuête’’, le ministre de l'Intérieur décide : “Pour compter de la date de signature de la présente décision, il est mis fin au contrat de la première cohorte des policiers adjoints volontaires de la 7e génération (PAV7) dont les noms figurent sur la liste en annexe.”
Aussitôt pris, aussitôt exécuté. Dans une note, le commandant du GMI par intérim, Jean Méan, a notifié cette décision de libération de la première cohorte. “La première cohorte des policiers adjoints volontaires de la 7e génération a été libérée pour fin de contrat, conformément à la décision du ministre de I'Intérieur et de la sécurité publique, jointe en annexe, dont les noms des concernés y sont cités. À cet effet, vous demanderai-je de prendre toutes les diligences nécessaires pour notifier pour procéder à la notification, selon la procédure en vigueur”, enjoint le commandant du Groupement mobile d'intervention.
Par ailleurs, souligne le chef du GMI à l'intention des chefs de service, il faudra veiller à ce que tous les actes ou procès-verbaux de notification soient préparés et transmis au secrétariat de l'État-major de la direction dans les plus brefs délais.
Nous sources ont tenu à préciser qu'en fait, cette mesure était attendue, vu les conditions dans lesquels ces hommes ont été recrutés, ce qui n'avait pas fait l'unanimité. “En fait, c’est depuis 2021 que Macky Sall avait instauré cela. Ils sont en fin de contrat et l'État ne veut pas les renouveler. C’est compréhensible à mon avis, d'autant plus que la mesure de les intégrer dans les FDS avait créé des grincements de dents du côté de l’armée, du fait que leurs salaires dépassaient la solde des soldats. Ils étaient payés hors des procédures habituelles”, souligne notre interlocuteur.
Le policier adjoint volontaire, selon le texte fondateur de ce corps, est une jeune personne de nationalité sénégalaise, âgée de 21 ans au moins et de 40 ans au plus, au 1er janvier de l'année de recrutement. Le recrutement, qui se fait sur la base d'un contrat de quatre ans, est ouvert à tous les candidats civils et militaires.
LE SÉNÉGAL MET FIN À L’IMPORTATION D’OIGNONS ET DE POMMES DE TERRE
Cette mesure, selon le ministre du Commerce, repose sur une production nationale jugée désormais suffisante pour couvrir les besoins du marché local.
Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Serigne Gueye Diop, a annoncé mardi une décision majeure dans la gestion des produits agricoles de grande consommation : le Sénégal n’importera plus d’oignons ni de pommes de terre à partir de cette année.
Cette mesure, selon le ministre, repose sur une production nationale jugée désormais suffisante pour couvrir les besoins du marché local. « Il y a une forte production d’oignons et de pommes de terre », a-t-il affirmé, soulignant que cette dynamique permet de franchir une nouvelle étape vers l’autosuffisance alimentaire.
Mieux encore, l’excédent enregistré dans la production d’oignons ne sera pas gaspillé. Il servira à la fabrication de poudre d’oignon, une innovation industrielle qui permettra non seulement de conserver le surplus, mais aussi de valoriser davantage la chaîne de production agricole.
Cette initiative s’inscrit dans la volonté du gouvernement de renforcer la souveraineté alimentaire du pays, tout en soutenant le développement du secteur agro-industriel. Elle vise également à stabiliser les prix sur le marché local et à encourager les producteurs nationaux.
Avec cette décision, le Sénégal amorce un tournant stratégique dans la gestion de ses ressources agricoles, en misant sur la transformation locale et en réduisant sa dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs.
LA TRAQUE AUX DÉTOURNEMENTS S'ACCÉLÈRE
Mamadou Faye, président de la Cour des comptes, a annoncé ce mercredi que les dossiers liés aux irrégularités financières identifiées dans le dernier rapport ont été transmis au Procureur général, ouvrant la voie à de possibles poursuites judiciaires
En marge de la cérémonie d’ouverture de la 10ᵉ Assemblée générale de l’Association des institutions supérieures de contrôle ayant en commun l’usage du français, tenue ce mercredi 9 avril 2025 à Dakar, le Premier président de la Cour des comptes, Mamadou Faye, s’est exprimé sur le dernier rapport de son institution portant sur les finances publiques. Il a révélé que les dossiers concernés ont déjà été transmis au Procureur général de la Cour, qui pourrait, à son tour, saisir le ministre de la Justice pour d’éventuelles poursuites.
Le dernier rapport de la Cour des comptes a mis en lumière plusieurs cas présumés de malversations. Selon Mamadou Faye, les instances habilitées donneront les suites appropriées.
« La Cour instruit à charge et à décharge. Lorsqu’un rapport est produit, il peut faire ressortir des faits relevant de la Chambre de discipline financière — en cas de fautes de gestion — mais également des faits susceptibles de constituer des infractions pénales. Dans ce cas, la chambre compétente se réunit et établit un référé à l’attention de la Chambre de discipline financière, ainsi qu’un autre référé destiné aux autorités judiciaires », a expliqué Mamadou Faye à l’issue de la cérémonie d’ouverture.
Précisant que « le financier ne conditionne pas le pénal, tout comme le pénal ne conditionne pas le financier », il a ajouté : « L’exploitation judiciaire qui est faite ne nous préoccupe pas outre mesure, car la justice mènera ses enquêtes selon ses propres procédures et son propre calendrier. »
Toujours selon Mamadou Faye, les procédures disciplinaires au niveau de la Chambre de discipline financière suivent leur cours et des décisions seront prises en temps opportun. Toutefois, il a tenu à préciser que, pour les procédures aussi bien financières que pénales, les dossiers ont déjà été transmis au Procureur général de la Cour des comptes.
Ce dernier, a-t-il conclu, « ne manquera pas de saisir, d’une part, la Chambre de discipline financière et, d’autre part, le ministre de la Justice pour les faits susceptibles de relever du pénal. »
LA PROFESSION DE GEOMETRE EN PERIL AU SENEGAL
Dakar accueille depuis hier, mardi, les 72 heures du géomètre-expert, un événement de référence qui permet aux professionnels du secteur d’examiner en profondeur les défis liés à l’exercice de leur métier.
Dakar accueille depuis hier, mardi, les 72 heures du géomètre-expert, un événement de référence qui permet aux professionnels du secteur d’examiner en profondeur les défis liés à l’exercice de leur métier.
L’exercice de la profession de géomètre au Sénégal est sous la menace des pratiques illégales, du retard institutionnel et du manque de soutien étatique, constatent les experts géomètres du Sénégal réunis autour du thème choisi pour cette toute première édition. « Le géomètre-expert, votre partenaire pour un environnement résilient et un foncier sécurisé », met en exergue l’importance stratégique de cette profession dans la planification du territoire et la gestion durable des ressources foncières. Professionnel hautement qualifié, le géomètre-expert est un spécialiste des sciences de la mesure et de la représentation de l’espace. Il intervient en amont de tout projet d’aménagement qu’il soit domanial, urbain,rural, minier ou infrastructurel pour établir des plans précis et fournir une documentation essentielle à la sécurisation des espaces et à leur mise en valeur. Son rôle dépasse celui de simple technicien : il est à la fois conseiller, médiateur, concepteur et expert, et contribue ainsi à la mise en œuvre de politiques d’aménagement durables et équitables, ont dit les acteurs. Et de poursuivre : « Grâce à une cartographie rigoureuse et une connaissance fine du territoire, le géomètre participe à la résilience écologique, en facilitant une gestion cohérente des écosystèmes face aux perturbations climatiques et anthropiques »
Qui plus est, en matière de gouvernance foncière, « son intervention garantit la clarté des délimitations, la fiabilité des transactions et la stabilité sociale », fait savoir le président de l’Ordre national des géomètres experts du Sénégal (ONGES), Mamadou Lamine Fall. Pour cela, plusieurs éléments sont nécessaires au nombre desquels une politique foncière claire et adaptée; des procédures simples et transparentes; une planification spatiale cohérente; une connaissance approfondie des territoires.
Toutefois, malgré ce rôle central, « l’exercice de la profession au Sénégal est sérieusement compromis par quatre grandes difficultés majeures à savoir la pratique illégale de la profession; le retard dans la délégation de service public; l’insuffisance du soutien étatique et l’absence de politique de promotion des cabinets nationaux. Face à cette situation, il devient impératif, selon les acteurs, que l’État prenne des mesures structurelles pour : élargir effectivement la délégation de service public; encadrer et réprimer les pratiques illégales; valoriser les compétences nationales à travers une politique d’attribution équitable des marchés; et réviser le cadre législatif afin d’assurer une répartition équilibrée des cabinets sur l’ensemble du territoire. Dans un contexte marqué par une pression croissante sur le foncier, « les 72 heures du géomètre-expert interviennent à un moment stratégique. La question foncière, d’envergure mondiale, est particulièrement sensible dans les pays en développement, confrontés à une urbanisation rapide et à une forte demande agricole », a dit Bassirou Sarr, le directeur de cabinet du ministre des Finances et du budget. Souvent perçu à tort comme un simple technicien, « le géomètre-expert joue en réalité un rôle crucial dans la gouvernance territoriale : il est acteur du développement durable, garant de la sécurité juridique et partenaire privilégié de l’État dans les politiques d’aménagement », soutient M. Sarr.
Le thème retenu, « Le partenariat pour un environnement résilient et un foncier sécurisé », invite à une approche concertée impliquant l’ensemble des acteurs publics, professionnels et citoyens. Dans cette optique, « il est nécessaire de renforcer la délégation de service public confiée à l’Ordre des géomètres-experts, et d’inscrire la profession dans la dynamique de transformation numérique de l’État », dira-t-il. La rencontre, marquée par la participation d’experts internationaux et de jeunes futurs décideurs, traduit une volonté forte de valoriser la profession et de bâtir un écosystème foncier sécurisé, moderne et résilient. L’État réaffirme à cet égard son engagement à accompagner cette dynamique à travers un cadre juridique adapté et incitatif.