En communication politique, une technique bien connue de dissimulation d'une mesure impopulaire prise par un pouvoir en place ou d'un échec dans la gestion d'un dossier par la haute administration consiste à créer des sujets sans portée dont tout le monde discute et qui éloignent les citoyens de la réalité plutôt préoccupante.
Les politologues anglo-saxons usent dans leur jargon du concept "Issues" pour désigner les questions insignifiantes dont se servent les politiciens en perte de vitesse pour fabriquer un coin ("wedge" en anglais). On parle alors de "wedge issues" leur permettant d'"enfoncer un coin" pour diviser le camp adverse et l'affaiblir dans un contexte où rien n'indique que les citoyens souhaitent les entendre ou modifier leurs préférences à leur profit.
En France, "l'enfumage sarkozyen" consista, entre autres, à susciter un débat sur la burqa plutôt que sur la réforme (impopulaire) des retraites. On connaît la suite : la réforme passe malgré la levée de boucliers des syndicats. Dans les années 80, les ultra-conservateurs américains (tous républicains) se montrèrent particulièrement habiles dans l'utilisation de la technique qui leur permettra d'obtenir le ralliement inattendu d'un grand nombre d'électeurs et de remporter les élections face aux démocrates.
Ces derniers, pourtant plus sérieux, eurent du mal à se prévaloir de leur patriotisme face à des adversaires républicains qui firent campagne sur le thème de la bannière étoilée que d'aucuns –moins d'une dizaine d'Américains par an– osèrent brûler.
Quid des "wedge issues" dans la communication des politiciens sénégalais ? Dans ses attaques récurrentes et toutes infondées contre le président Macky Sall, Idrissa Seck semble vouloir en user. Mais que cherche-t-il à cacher lorsqu'il fait feu de tout bois dès que l'occasion se présente à ses yeux ?
Si, comme le laisse entendre Idrissa Seck, le président Macky Sall avait été "incompétent" au cours des quatre dernières années, l'artifice aurait été au coeur de sa méthode pour gagner du temps. Il n'en est rien, le Président préférant mouiller la chemise en faisant le pari (réussi) de la croissance (6,5% en 2015 au lieu de 1,7% en 2011) dans la solidarité (30 milliards de nos francs en 2015 distribués aux ménages éligibles au titre du Programme national de bourse de sécurité familiale).
Obligé de changer son fusil d'épaule, Idrissa Seck parla de "déshonneur" quand arriva le moment pour le peuple souverain de trancher le débat sur la durée du mandat en cours du président Sall. Le 20 mars 2016, les Sénégalais décident que l'expérience se poursuive jusqu'en 2019. Le temps de concocter un plan alternatif au PSE existe donc qu'Idrissa Seck ne mettra pas à profit, préférant "enfoncer un coin", celui de l'"indignité" dont Karim Wade paierait le prix fort quelques jours seulement après sa sortie de prison. Cette fois, l'ancien maire de Thiès cherche à dissiper la clameur de l'accusation très grave portée contre lui par Samuel Sarr dans les colonnes de Libération.
Selon l'ancien ministre d'Abdoulaye Wade, Idrissa Seck aurait volé 74 milliards de nos francs avant de diligenter la clôture du compte pillé. Dans l'essai que nous avons consacré à la succession du président Abdoulaye Wade (L'Harmattan, Col. Pensée Africaine, 2009), nous conclûmes le chapitre de 8 pages consacré au "Protocole de Rebeuss" en ces termes :
"Pendant qu'Abdoulaye Wade et Idrissa Seck s'obstinaient à ne pas reconnaître l'obsolescence de leur jeu, Karim Wade, pendu aux basques de son père, s'efforçait, lui, de trouver les moyens de sa propre histoire. Le clan se fissure à son profit exclusif. C'est le moment choisi par Idrissa Seck pour créer son propre parti afin de nouer les alliances censées lui éviter le pire. Histoire, le moment venu, de faire monter les enchères."
L'issue est désastreuse : Idrissa Seck ne tire toujours pas les leçons des échecs de 2007 et 20012. Il est peu probable que l'usage de "wedge issues" -tel un borgne au royaume des aveugles- le sauve d'une bérézina dans un peu moins de trois ans.
Dans une démocratie où "le Président de la République a le droit de faire grâce" (Article 47 de la Constitution), le citoyen peut toujours se demander s'il y a abus de pouvoir en cas de grâce accordée à un détenu. Le décret n° 2016-880 du 24 juin 2016 montre que le Président s'est refusé à tout abus de pouvoir par le maintien des "sanctions financières" et de la "procédure de recouvrement commencée" contenues dans la décision de justice du 23 mars 2015 concernant les anciens détenus Karim Meïssa Wade, Ibrahima Aboukhalil dit Bibo Bourgi et Alioune Samba Diassé.
Celles et ceux qui, comme Idrissa Seck, reconnaîtraient au Président le droit de dealer s'arrogeraient ce droit le moment venu. Parce que ce moment tarde à venir, M. Seck s'arc-boute aux techniques éculées de manipulation du public pour ne jamais s'expliquer sur l'origine de sa fortune et s'affranchir du travail politique qui vaut au président Macky Sall son rang et son prestige international depuis le 25 mars 2012. C'est naturellement sur la teneur et l'application effective du décret présidentiel –plutôt que sur la réaction émotionnelle du coordonnateur du Forum civil– que portera en partie le coup de projecteur de Transparency international (TI).
En cas de parti pris, que reste-t-il du statut (honorable) d'un observateur neutre de la gouvernance dans son pays ? Quant aux intermittents de l'activité partisane (Mame Adama Guèye, Cheikh Tidiane Dièye et Mouhamed Sall Sao), il est souhaitable qu'ils continuent d'habiter seuls le territoire imaginaire, baptisé "Senegaal Bi Ñu Bëgg", où les élus sommés de dire tout ce qu'ils savent se lâchent, torpillant ainsi leur propre sécurité et celle des autres. Ce qui les fait jaser par intermittence est tout aussi dérisoire que la haine des partis politiques au pouvoir partout dans le monde. Mais pour combien de temps encore ?
Abdoul Aziz DIOP
Conseiller spécial à la Présidence
de la République
PAR MODY NIANG
WADE-PÈRE ET WADE-FILS
Comment l'un a créé pour l'autre les conditions qui lui ont permis d'organiser le pillage systématique de nos maigres deniers publics
Il a donc franchi le Rubicon, en graciant sans état d'âme le premier condamné de la Traque des biens mal acquis, Karim Wade, le fils de son père, le distingué disciple de son marabout.
Je ne m'attarderai pas sur le mystère, les nombreuses zones d'ombre qui entourent cette rocambolesque grâce. Des observateurs plus avertis que moi se chargeront de jeter une lumière sur cette affaire qui est un reniement de plus, et pas des moindres, des engagements du candidat Macky Sall. L'objectif de cette contribution est de revenir un peu en arrière, de montrer comment Wade-père a créé pour Wade-fils les conditions qui lui ont permis d'organiser le pillage systématique de nos maigres deniers publics.
Je me souviens, en particulier, d'avoir adressé une lettre publique, sous forme de contribution, à certains ambassadeurs accrédités chez nous. Je l'avais ainsi intitulée :
"Excellences, Messieurs les Ambassadeurs d'Inde, d'Iran, de Corée, de la République populaire de Chine et des Monarchies du Golfe accrédités à Dakar !" C'était pour attirer leur attention sur le pouvoir exorbitant qui venait d'être confié au fils par le père.
Je me félicitais d'abord des bonnes relations de coopération qui existaient entre nos pays, et que nous entretenions également avec les pays occidentaux. Le libéral Wade, qui accédait à la magistrature suprême le 1er avril 2000, avait tôt fait de changer de cap : au fur et à mesure, il donnait l'impression de tourner le dos aux Occidentaux et d'ouvrir davantage les portes du Sénégal aux pays du Sud, en particulier à ceux des ambassadeurs à qui ma lettre était destinée. Pour les convaincre de son nouveau choix, il donna une conférence de presse, le 1er octobre 2007, dans la salle des Banquets de la présidence de la République.
Il revenait alors fraîchement des États-Unis d'Amérique. Dès l'entame de sa conférence, il annonça avec fracas que le Sénégal renonçait à l'important Projet dit de la Plateforme de Diamniadio, financé pour environ 500 milliards de francs Cfa, dans le cadre du Mca. Et il expliquait ainsi son choix : "Pour l'histoire, je n'ai jamais cru à ce projet de plateforme de Diamniadio. Je ne l'ai jamais aimé. Je n'ai jamais compris ce qu'il y avait dedans. Je l'appelais serpent de mer."
Pour préciser davantage son divorce d'avec les USA, il ajouta : "Les Américains sont très lents dans la mise en œuvre de nos projets. C'est pourquoi, j'ai dit non !" La vraie raison était lâchée : les Américains sont lents, surtout pour décaisser. Le projet était pourtant très avancé, mais ne trouvait plus grâce auprès de Me Wade : non seulement les Américains étaient lents à ses yeux, mais ils étaient trop transparents. Au rythme où les choses avançaient, les 500 milliards étaient partis pour profiter directement aux populations, et sans intermédiaires. Me Wade ne pouvait pas supporter une telle perspective. C'est ce que j'avais voulu faire comprendre à leurs Excellences qui le savaient sûrement déjà.
À la place des Américains donc, il intronisait les Émirats arabes unis. Sur les cendres de Diamniadio, le Président Wade mettait en place, avec l'accord de Dubaï, une "Zone économique spéciale", dont les résultats probants se font encore attendre.
Je rassurais leurs Excellences que nous n'étions pas gênés du renforcement de la coopération avec leurs pays respectifs qui devenaient la destination privilégiée des Wade. Cependant, je leur faisais remarquer ce qui suit : "(…) Mais nous avons l'impression, peut-être même la conviction, que nous ne coopérons pas dans la transparence (…)." J'attirais aussi leur attention sur le premier acte du projet monarchique du Président-père : "l'Agence nationale pour l'Organisation de la Conférence islamique (Anoci) taillée sur mesure pour le fils qui a géré, pendant au moins quatre ans et de façon presque discrétionnaire, des centaines de milliards, sans jamais rendre compte et sans qu'aucune structure de contrôle ait osé fouiner dans cette gestion." Après l'Anoci, le père envisagea de placer le fils gâté sur une autre rampe de lancement vers le sommet : la Mairie de Dakar. La liste où il figurait est sévèrement battue aux élections locales du 22 mars 2009.
Wade-père ne se découragea pas outre mesure. Contre toute attente, le fils battu fit une entrée fracassante dans le gouvernement formé le 1er mai 2009 : il y était nommé Ministre d'État (déjà !), Ministre de la Coopération internationale, de l'Aménagement du Territoire, des Transports et des Infrastructures.
Quatre gros départements en un seul ministère pour quelqu'un qui faisait sa première expérience gouvernementale, avec des prérogatives étendues, tentaculaires, transversales, et qui lui permettaient de rogner sur celles de tous les autres départements ! Le super Ministre, qui parcourait le monde en jet privé, avait bien plus de prérogatives que le Premier ministre.
En particulier, Wade-père essaya de dépouiller le Ministre d'État, Ministre de l'Economie et des Finances, M. Abdoulaye Diop. Á la lecture du décret du 1er mai 2009 portant nomination du nouveau gouvernement, ce dernier tapa vigoureusement sur la table pour retrouver ses pleines prérogatives : Wade-père lui avait enlevé sans état d'âme les Finances au profit de Wade-fils, pour lui permettre de capter tous les financements qui rentraient dans le pays. Wade-père allait se rattraper avec les deux décrets n° 2009-567 et n° 2009-568 du 15 juin 2009, relatifs respectivement aux attributions des deux ministres.
À l'article premier du premier décret, il est notamment précisé : "(…) À ce titre, il (Karim Wade) est chargé de la coopération économique et financière que le Sénégal entretient avec l'ensemble des ses partenaires du continent asiatique, à l'exception du Japon (c'est moi qui ai souligné)."
L'article premier ajoute : "Dans le cadre de la coopération bilatérale, il est notamment chargé du développement des relations avec les pays arabes, la République populaire de Chine, la République de Corée et l'Inde. Dans le cadre de la coopération internationale multilatérale, il est chargé des relations avec toutes les banques et institutions financières arabes ou relevant de l'Organisation de la Conférence islamique. Il représente l'État auprès de la Banque islamique."
L'article premier du second décret qui portait attributions du Ministre d'État, Ministre de l'Économie et des Finances, le cantonnait dans la représentation de l'État "auprès des institutions financières internationales et notamment du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de Développement."
Le même article précisait vers les tout derniers alinéas ceci : "Dans le domaine de la coopération internationale bilatérale, il (le ministre Abdoulaye Diop) est chargé des relations avec tous les partenaires au développement, à l'exception des pays arabes, de la République de Corée, de la République populaire de Chine et de l'Inde. Dans le domaine de la coopération internationale multilatérale, il est chargé des relations avec tous les partenaires à l'exception des banques et institutions financières arabes ou relevant de l'organisation de la Conférence islamique."
Je tenais à attirer l'attention de leurs Excellences sur les véritables intentions de Wade-père qui traînait partout Wade-fils et le présentait comme étant le meilleur expert en finances au Sénégal. Pourquoi le grand expert n'allait-il jamais négocier des financements à Washington, à Ottawa, à Berlin, à Paris, à Londres, à Tokyo, à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international ? Et je posais cette série de question à leurs Excellences :
"Pourquoi, Excellences, ne vous posez-vous pas la question pour laquelle vos pays respectifs lui sont exclusivement réservés ? Pourquoi est-il chargé ‘'de la coopération économique et financière que le Sénégal entretient avec l'ensemble des ses partenaires du continent asiatique, à l'exception du Japon'' ? Pourquoi son collègue le Ministre d'État Diop est-il ‘'chargé, dans le domaine de la coopération internationale bilatérale, des relations avec tous les partenaires au développement, à l'exception des pays arabes, de la République de Corée, de la République populaire de Chine et de l'Inde'' ? Pourquoi, ‘'dans le domaine de la coopération internationale multilatérale, (est-il) seulement chargé des relations avec tous les partenaires à l'exception des banques et institutions financières arabes ou relevant de l'organisation de la Conférence islamique''" ?
"Á l'exception du Japon" ! Cet élément de phrase est lourd, très lourd de signification et révélait au grand jour les intentions malsaines et manifestement antirépublicaines du président Wade. Le Japon fait bien partie de l'Asie mais, en matière de politique économique et financière, on le considère comme membre des pays occidentaux, avec lesquels il partage les mêmes procédures de gestion.
Le yen japonais n'est pas jeté par la fenêtre. Les autorités de ce très sérieux pays ne sont pas prêtes à remettre des chèques au premier venu. Elles ne décaissent pas aussi vite que le souhaitait Wade-fils, à l'image de la République populaire de Chine, dont il lui est arrivé de rendre hommage à la rapidité des décaissements.
Les Ambassadeurs auxquels je destinais ma lettre n'étaient probablement pas naïfs, mais ils ne connaissaient sûrement pas bien les Wade qui avaient mille tours dans leurs sacs. Ils étaient surtout passés maîtres dans l'art de chercher des milliards. En conclusion de ma lettre, je lançais en direction de leurs Excellences l'avertissement suivant :
"Ce garçon vous sollicitera à outrance dans les mois qui viennent. Il vous acculera jusque dans vos derniers retranchements pour vous faire financer mille projets. Il est déjà, avec son père, en pleine campagne pour l'élection présidentielle de 2012. Ils ont besoin d'ouvrir des chantiers partout au Sénégal, même s'ils sont sûrs qu'ils n'auront pas le temps de les terminer. Il leur faut surtout un gros trésor de guerre, car ils sont persuadés que c'est avec l'argent qu'ils vont arriver à réaliser leur projet monarchique. Notre préoccupation n'est pas que vous vous absteniez de financer les projets qui vous seront soumis. Notre souhait est plutôt de vous voir suivre la traçabilité de l'argent que vous donnez à ce garçon qui est hyper protégé par son père. Nous n'avons aucun moyen de contrôle sur les milliards qu'il dépense à sa convenance et pour ses seules ambitions présidentielles. Or, ce sont nos enfants et nos petits enfants qui payeront ces milliards-là."
ET j'ajoutais : "Ce que nous attendons plutôt de vous, c'est la même rigueur et la même vigilance que les Occidentaux. Votre collègue des États-Unis en particulier, Son Excellence Marcia Bernicat, s'est signalée par sa ferme volonté de veiller sur l'utilisation de l'argent du contribuable américain. Comme une sentinelle, elle a les yeux rivés sur les dollars donnés à notre pays et ne baissera la garde que lorsqu'elle sera assurée qu'ils sont arrivés directement aux populations auxquelles ils sont destinés (…)."
Pour les convaincre davantage, je leur rappelais en la détaillant, l'histoire rocambolesque des quinze millions de dollars des "Fonds taïwanais", qui étaient initialement destinés à réaliser des projets sociaux au profit de nos populations et que Wade-père avait finalement soustraits à la collectivité nationale, avec la complicité de Wade-fils, d'un de ses sulfureux conseillers (un certain Pierre Aïm) et d'un certain Gérôme Godard, un ami de Wade-fils qui, disait-on, serait à la base de la faillite des Industries chimiques du Sénégal (Ics).
Et j'en appelais, pour terminer, à la responsabilité et à la vigilance de leurs Excellences, en leur demandant de ne pas mettre sans discernement à la disposition des Wade, des fonds importants qui risqueraient de connaître le même sort que les 15 millions de dollars des "Fonds taïwanais". Ce que nous attendions et attendons encore de leurs pays respectifs, c'est qu'ils fassent montre de plus de rigueur, de vigilance et de transparence dans la coopération avec le nôtre ; qu'ils aient, comme les Occidentaux, un œil vigilant sur l'utilisation des sommes importantes qu'ils remettaient aux Wade !
Mes chers compatriotes, voilà pour cette contribution, dont l'objectif est de m'inscrire en faux contre l'innocence de Wade-fils qu'on veut nous faire avaler. Wade-père lui a créé les conditions qui lui ont permis de piller nos maigres deniers publics, et il ne s'en est pas privé. Dans la prochaine contribution, nous passerons en revue quelques graves forfaits qui ont caractérisé sa nébuleuse gestion de l'ANOCI pendant quatre ans, forfaits mis en évidence par l'Inspection générale d'État (IGE), dans l'un de ses rapports publics.
Par Bacary Domingo MANE
SAMUEL SARR ET IDRISSA SECK DOIVENT ETRE ENTENDUS !
«Que celui d'entre vous qui voit une chose répréhensible la corrige de sa main! S'il ne le peut pas de sa main, qu'il la corrige avec sa langue! S'il ne le peut avec sa langue, que ce soit avec son cœur et c'est là le degré le plus faible de la foi. »
M. Le Procureur de la République, ce Hadith du Prophète (Psl), rapporté par l’Imam Mouslim, guide et explique ma démarche, surtout en ce mois béni de Ramadan. Qu’Allah exhausse nos prières et nous mette sur le droit chemin !
M. Le Procureur, j’aurais pu me taire, comme ces Sénégalais, en se disant que parler et dénoncer n’y feront rien. Le silence est donc une posture facile, certes, personne ne saura ce que vous pensez réellement, mais elle est lâche. Et surtout contraire aux enseignements du PSL.
M. Le Procureur, cette société semble s’inscrire résolument dans une passivité telle, que combattre l’injustice, se dresser contre l’inacceptable et le répréhensible, lutter pour la restauration des valeurs de la République, devient iconoclaste. C’est le paradoxe sénégalais dont le nom de code est le «masla», cette hypocrisie qui enrobe la vérité, qui fâche de ses formules mielleuses, préférant rester superficiel par profondeur.
Pas au sens nietzschéen (qui en fait la marque des esprits libres qui prennent le réel pour ce qu’il est), M. Le Procureur, puisqu’ici, les apparences sont grosses de tous ces non-dits enveloppés dans les vocables de «yermendé» (pitié) et de «diam» (paix des cœurs). Permettez-moi alors d’aller droit au bout en déclinant l’objet de cette missive : les accusations gravissimes de Samuel Sarr contre Idrissa Seck, nous interpellent. Dans une interview accordée au quotidien Libération, il dit du président du parti Rewmi : «Il a volé 74 milliards de FCfa dans un compte qu’il a manipulé avant de le clôturer. Je pèse bien mes mots : il a volé 74 milliards de FCfa avant de fermer le compte bancaire. Il sait très bien que je sais et il sait pourquoi il a été viré de son poste de Premier ministre». Cet homme - qui n’est pas à son coup d’essai - semble être dans le secret des dieux.
D’ailleurs, les silences de sa déclaration qui sont matérialisées par l’expression (Il sait très bien que je sais…) en disent long. De deux choses l’une, soit il dit la vérité, soit il est de mauvaise foi. Mais ce qui est constant, c’est qu’au cœur de cette accusation grave, il s’agirait du bien public. Cet argent (74 milliards de F Cfa), appartiendrait au contribuable. M. Le Procureur, pourquoi alors vous ne vous autosaisissez pas pour entendre Samuel Sarr dans le but de lui tirer les vers du nez? Et surtout pour que les Sénégalais en soient édifiés.
La personnalité mise en cause, en l’occurrence Idrissa Seck, doit aussi être entendue pour livrer sa part de vérité. D’ailleurs, ce qui est étonnant, c’est le silence de l’ex-maire de Thiès. Pourquoi, s’il est convaincu de son innocence, il ne porte pas plainte pour diffamation contre Samuel Sarr? Quid de l’accusateur dont le nom est sur les tablettes de la CREI? En plus, il n’est pas à sa première accusation.
Dans une de ses contributions, Samuel Sarr a accusé le président Macky Sall et l'avocat William Bourdon d’enrichissement illicite : «William Bourdon se tait lorsqu’il est grassement payé par ceux-là même, comme Macky Sall, qui crient au voleur alors que leurs comptes bancaires sont pleins d’argent mal acquis», écrivait-il. Et cela lui avait valu une garde à vue. Pourquoi les représentants des organisations de la société civile ne disent rien ? M. Le Procureur, le devoir vous appelle. Au nom de l’intérêt général, Samuel Sarr et Idrissa Seck doivent être entendus. Et je ne doute pas de votre engagement pour un Sénégal plus juste et prospère.
Par Abdoulaye THIAM
ENCORE DES ACTES DÉCONSOLIDANT
On est au regret de constater que nos dirigeants n'aient pas voulu aller plus loin dans la réforme afin de libérer notre justice du poids du pouvoir exécutif, en cassant le monopole du Chef de l'État qui favorise l'hyper-présidentialisme
Dites désormais "7 Sages". Les membres du Conseil constitutionnel viennent de passer de cinq à sept, avec l'adoption par l'Assemblée nationale du projet de loi, mardi 28 juin. A priori, c'est bonne une chose pour cette juridiction. Surtout qu'avec l'exception d'inconstitutionnalité où désormais, tout procès pendant devant la cour d'Appel peut déboucher sur la question d'inconstitutionnalité. Autrement dit, les parties en conflit devant la cour d'Appel, peuvent demander l'examen de la constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel.
Toutefois, on est au regret de constater que nos dirigeants n'aient pas voulu aller plus loin dans la réforme afin de libérer notre justice du poids du pouvoir exécutif, en cassant le monopole du Chef de l'État qui favorise l'hyper-présidentialisme.
A ce changement numérique, devrait y adjoindre celui - le plus important - de l'indépendance. Hélas, il faudra encore attendre pour que nos "Sept Sages" aussi inamovibles, soient-ils, puissent sortir de la tutelle d'un Chef de l'État qui continue d'avoir le droit de vie et de mort sur eux. C'est pourquoi, nous estimons qu'il n'y a aucune avancée démocratique dans cette augmentation des membres du Conseil Constitutionnel de Cinq à Sept. La possibilité offerte au président de l'Assemblée nationale de proposer quatre juges dont deux seront choisis par le président la République, n'est que du saupoudrage, pour ne pas dire une réformette.
N'est-on dans le système dit majoritaire au Sénégal, qui voudrait que le président de la République ait la majorité à l'Assemblée nationale ? Le cas échéant, il devient le chef à l'Assemblée nationale. Si Moustapha Niasse occupe jusque-là le Perchoir, c'est parce que Macky Sall l'a voulu. L'on constate, dans le même sillage, le refus de Moustapha Cissé Lô de céder, à un opposant, un fauteuil dévolu à la deuxième personnalité de l'État, assurant l'intérim du Chef de l'État, en cas de vacance de pouvoir. Par conséquent, que le président de l'Assemblée nationale propose quatre juges et que le président de la République en prenne deux en plus de son quota fixé à cinq, ne change en rien le schéma initial. Au finish, c'est le même chef qui choisit.
Toutes les personnes éprises de démocratie et d'indépendance de la justice auraient préféré voir Macky Sall poser un acte consolidant allant dans le sens de diversifier les acteurs devant choisir les membres de cette haute juridiction. En plus du président de la République, d'aucuns avaient pensé à l'Assemblée nationale ; certains aux ordres des avocats et des notaires ; d'autres aux magistrats eux-mêmes, via l'UMS (Union des magistrats du Sénégal) et enfin à la société civile. Ce qui dans tous les cas de figure aurait pu donner à notre pays, une structure beaucoup plus indépendante. Quid du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) ?
A notre avis, le Haut Conseil ne devrait, en principe, être assimilé à un Sénat bis. Loin de là. Ou du moins dans sa phase conceptuelle. Cette institution pourrait participer au renforcement de la décentralisation, engagée depuis plusieurs années dans notre pays. Il s'agit là d'une solidarité verticale. Elle devrait donc prendre en compte différentes localités.
Toutefois, sa phase opérationnelle risque de plomber sa mission. Notamment dans sa composition. Là également, le président de la République gagnerait à offrir une certaine autonomie à ses membres, notamment son président, qui devrait être élu par ses pairs conseillers et non par le Chef de l'État qui va le révoquer, selon ses humeurs. Qui ne se souvient pas de ce fameux : "redonnes-moi ce que je t'avais donné".
Hélas ! La leçon n'a pas été retenue. Pis, on est passé de 100 sénateurs à 150 conseillers, dont 80 élus au suffrage universel indirect et 70 nommés directement par le Chef de l'État. Ce qui a apporte de l'eau au moulin aux détracteurs du HCCT, leur confortant dans leur argumentaire qu'il ne s'agit autre qu'une "institution de trop, budgétivore dans le seul but de caser une clientèle politique".
Ainsi, après la modification de l'article 15 du règlement intérieur de l'Assemblée nationale rendant impossible ou presque toute constitution de nouveau groupe parlementaire et confinant les députés de la majorité dans Benno Bokk Yakaar, le maintien du cumul entre président de la République et président du parti, les tenants du pouvoir posent deux nouveaux actes que nous jugeons déconsolidant pour notre démocratie.
Le président de la République, usant d’une prérogative qu’il est seul à détenir, a décidé de faire sortir l’ancien ministre d’Etat, fils de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade, de prison, trois ans après qu’il y eut été enfermé, pour six années. Et pour le délit d’enrichissement illicite, selon les lois sénégalaises, suite à un procès en bonne et due forme. Ce qui précède reste clair, net et précis. A portée de lecture pour n’importe qui est doté d’ouïe, de vue et de raison. Mais le prisonnier n’était pas n’importe qui, et il faut ajouter qu’il avait été investi candidat du Parti démocratique sénégalais pour la prochaine élection présidentielle, alors même qu’il n’avait pas encore été condamné.
Par conséquent, depuis sa mise en demeure, selon les procédures de la juridiction l’ayant finalement condamné, et jusqu’à sa libération, des pans entiers de militants du Pds et responsables de cette formation politique, des «Karimistes», sincères ou opportunistes, s’étaient enrégimentés pour sa libération. Selon des modalités politiques qu’ils avaient certainement arrêtées. Leur objectif : sortir leur champion de prison, lavé de sa condamnation infamante, auréolé de la couronne de lumière du martyr, pour le présenter, neuf comme un sou, face à Macky Sall et d’autres candidats, en 2019.
La libération de Karim était aussi voulue par ses parents, ses amis, certains guides religieux et médiateurs sociaux, dont c’est le rôle librement assumé de concilier les Sénégalais, de les réconcilier s’il le fallait -«Taape Xol yi» disait un de leurs fameux prédécesseurs, Maam Abdou - la voulaient aussi. Leur objectif : voir sortir Karim de prison – sans souci pour son casier judiciaire ou son avenir politique-, juste pour qu’il retrouve la liberté «retourne auprès de sa famille» ; «Et pour que le pays continue de vivre en paix», ont pu ajouter certains parmi eux. Comment ne pas penser aux Sénégalais qu’on ne trouve dans aucune des deux catégories décrites ici. Ceux qui désiraient que l’ancien ministre d’Etat purge sa peine de prison jusqu’au bout. Ils sont nombreux et se trouvent dans toutes les couches de la société, sont issus de partis politiques et d’organisations de la société civile, sont des individus connus ou anonymes de toutes conditions. On peut penser que ceux-ci, leur objectif était de voir Karim rendre l’argent et purger une peine qu’ils estimaient largement méritée.
Et cela n’épuise pas les sensibilités, nombreuses et diverses, que le président de la République doit prendre en compte quand il prend la décision la plus anodine. Alors, celle-ci !!! Or, ce même président de la République est un homme politique qui a accédé au pouvoir pour y demeurer le temps que la loi le lui permet. Le seul moyen de rester au pouvoir au Sénégal étant la politique, Macky Sall ne pouvait prendre une telle décision, sans garder un oeil politiquement vigilant sur les groupes qui entendaient armer Karim contre lui, un œil politiquement intéressé sur ceux qui lui demandaient de le libérer «pour le bien du pays» ; et un dernier regard politiquement attentif sur les inconditionnels de la punition pleine et entière de Karim Wade.
Cela peut paraître comme la quadrature du cercle, mais Macky Sall semble avoir tiré son épingle du jeu. Et, apparemment, il s’est même payé une espèce de Cerise sur le gâteau. Les déclarations des responsables du Pds, cinq longs jours après la grâce de Karim, pour expliquer le voyage express du grâcié, et que l’on peut résumer par «On lui avait posé des conditions qu’il a accepté, et il tient parole » indiquent bien que rien n’a été laissé au hasard dans cette affaire par le pouvoir (la presse, notamment Le Pop, en a rendu compte amplement). Macky Sall et son équipe ont été très attentifs à éviter que Karim sorte et fasse une conférence de presse, par exemple, plus une marche bleue, et se rende à Touba, Tivaouane, etc. Cela aurait bien sûr été ingérable, en tout cas très sensible, du point de vue sécuritaire, pour tout dire, catastrophique au plan politique. Or, en se livrant à des bravades, genre : «Je ne demanderai pas de grâce», Karim nous avait fait saliver…
Une manche difficile donc de gagnée par Macky Sall que cet «exil» inattendu, lointain, et sans «Au revoir», de l’ex-prince héritier vers le Qatar. Et c’est là qu’on se dit que la libération de Karim à cette date, «un 23 juin», ne pouvait pas être imputée à une étourderie du pouvoir. C’est peut-être carrément fait exprès. Alors, « Est-ce que PSK a trouvé ça tout seul ? » Hé bien, non, justement ! Au lieu de voir ce symbole comme une agression contre le «M 23», comme l’ont voulu certains esprits hâtifs, j’ai plutôt prêté crédit au doyen Abdou Salam Kane (ASAK) dans sa chronique du lundi, (27/06) dans le journal Enquête, qui y décèle plutôt un humour féroce, ou «franchement noir» de la part de M. Sall, que de grâcier son désormais ex-challenger à la Présidentielle le jour anniversaire de l’effondrement du projet monarchique qui devait le mener au sommet.
Ainsi je terminerai ce papier par un adage wolof : «Mag matt naa bayi cim reew». Parce que c’est beaucoup plus sensé pour Macky Sall de symboliquement ironiser ainsi, que de vouloir chahuter le 23 juin, jour où, à la fin des fins, a commencé son ascension vers le sommet où il trône aujourd’hui.
PAR L'ÉDITORIALSITE DE SENEPLUS, IBE ARDO NIANG
DE QUI SE MOQUE-T-ON ?
Il incarnait des contre-valeurs. Il est incarcéré et, aujourd'hui, gracié un 23 juin par celui là même que nous avions élu, sur la base de la promesse de nous réconcilier avec nos valeurs. Qu'a donc fait ce peuple Sénégalais pour mériter cela ?
IBE NIANG ARDO DE SENEPLUS |
Publication 29/06/2016
A propos de l'élargissement de Karim Wade de la prison de Rebeuss qui fait l'actualité ces derniers temps, il m'avait semblé bon d'attendre d'entendre les arguments du Président pour pouvoir me faire une opinion plus précise sur ses motivations qui semblent pour le moins surprenante. Karim et ses complices sont graciés, mais il est, dans le même temps, remis entre les mains d'un procureur général de la République du Qatar, qui l'a conduit illico presto à Doha. Qui aurait pu imaginer un tel scénario ?
Le bon sens est supposé être la vertu la plus commune des êtres humains que nous sommes. Nul n'accepte, sans rechigner, l'injure que l'on questionne son bon sens. Alors ce pourquoi il y a tant de controverses et passion autour de cette décision qui est contraire aux promesses faites ? Et puis rappelons que notre système judiciaire poursuit, juge et condamne uniquement des crimes, et jamais des individus en tant que tel.
Le crime quel qu'il soit est un fléau dans la nation et, chaque fois qu'il est perpétué en son sein, la société entière en est la victime. Quand le peuple élit à la magistrature suprême l'un de ses citoyens, c'est pour qu'il soit, entre autres, garant du bon fonctionnement et de l'efficience du système judiciaire. S'il y a quelqu'un qui doit bénéficier de la compassion du premier magistrat de l'Etat, c'est bien le peuple et non celui qui a été condamné pour crime par nos institutions compétentes.
Cela rend clairement l'argument de compassion du président Sall irrecevable pour ce peuple trahi, parce que fallacieux. Il faut donc aller rechercher la motivation de cette décision ailleurs que dans la magnanimité du chef de l'Etat.
D'autres argumentent autour du fait que la grâce est l'une des prérogatives régaliennes du président de la République et que Karim et ses complices y ont droit au même titre que les 7000 détenus qui en auraient déjà profité. Ne s'agit-il pas là d'un amalgame qui ressemble à s'y méprendre à de la fourberie ?
La nature du crime de Karim et ses complices est sans commune mesure avec ce que notre pays a connu jusque là. Si l'on prend le butin cumulé de tous les détenus condamnés pour vols ou détournements de deniers de nos 66 années d'indépendances, je doute fort qu'il n'atteigne les 10% des 138 milliards en jeu dans ce seul procès.
Au lieu de cela, au prétexte d'une tolérance coupable (masla tous azimuts), lui, le président, jadis chantre de la rupture, d'une justice sans discrimination, de la reddition des comptes et traque des biens mal acquis, a fini paradoxalement à défendre le principe d'une grâce présidentielle qui serait accessible à des crimes d'une ampleur sans précédent.
esressentons la nécessité d'un changement dans la façon de conduire les affaires publiques depuis des décennies, et ne cessons de l'exprimer de diverses manières.
Très tôt dans la décennie 80 à 90, les conditions objectives d'un changement se sont réunies et cela a aidé à ce que l'on s'engage dans un processus qui a abouti à deux alternances en l'espace de seize ans. Mais nous demeurons insatisfaits, convaincus d'avoir été bernés par tant de manœuvres politiciennes à répétition.
Et dans le même temps, les conditions de vie des populations se dégradent gravement dans la quasi indifférence des gouvernants. La désillusion gagne de l'espace et gare à celui qui a cru aux promesse du politicien à l'époque de ses campagnes électorales.
La manœuvre de ces politiciens est simple : créer les conditions d'un chaos en cherchant constamment à mettre les affaires publiques et privées sens dessus dessous de façon à être les seuls à pouvoir tirer leur épingle du jeu. Cette politique machiavélique s'emploie continuellement à saper nos valeurs et symboles. Il n'y a qu'à voir comment ils s'y sont pris pour faire en sorte que la date symbolique du 23 Juin coïncide désormais avec la libération de Karim, celle d'une confusion navrante d'événements particulièrement contradictoires.
Celui qui cinq ans auparavant incarnait le projet et les valeurs que le peuple abhorrait le plus et qui a fini par en être incarcéré, est gracié et relâché à la même date, par celui là même que nous avons élu, sur la base d'une promesse de nous réconcilier avec nos valeurs, de nous garantir la reddition des comptes et de ne protéger aucun délinquant. Qu'a donc fait ce peuple Sénégalais pour mériter cela ? Qui pouvait seulement imaginer en 2012 que cela se terminerait ainsi?
PAR L'ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, MOMAR SEYNI NDIAYE
UNE INTRIGUE DE PLUS
Si dans un court ou moyen terme, la libération de Karim Wade se révélait comme une scandaleuse transaction politico-financière, alors, l'image présidentielle en prendrait un sacré coup
MOMAR SEYNI NDIAYE DE SENEPLUS |
Publication 29/06/2016
La libération de l'ancien ministre Karim Wade, n'en finit pas d'intriguer les Sénégalais. Abasourdis par cette tournure rocambolesque de la nuit du 24 au 25 juin, nos concitoyens, s'interrogent invariablement sur le sens qu'il faut donner à cet élargissement inédit dans l'histoire de notre pays. Ils étaient loin de s'imaginer qu'une fois gracié, Karim serait, pour ainsi dire exfiltré de la prison de Rebeuss, pour être parachuté à Doha, après un bref transit chez son compère Me Madické Niang, lui-même passager du Jet privée aux côtés du Procureur du Qatar.
Transbahuté au Golfe au milieu de la nuit, le fils de l'ancien président Wade, n'a même eu un mot de gratitude pour ses nombreux souteneurs, ses militants, les foyers religieux et la société civile. La voie épistolaire qu'il a empruntée pour les remercier, est trop formelle, pour susciter la même intensité emphatique que nombre de Sénégalais lui avait témoignée avant, pendant le procès, et sitôt après sa libération.
Derrière, leur mutisme, ils sont nombreux à ressentir une légitime frustration, devant cette froide et incroyable indifférence. Mais à la vérité, l'ancien pensionnaire de Rebeuss, avait-il les moyens de faire autrement ?
A-t-il consenti à son extirpation de Rebeuss ? En a t-il négocié le modus operandi ? Ou au contraire l'a-t-il subie ? Quelles garanties financières, politiques le Qatar a-t-il mises sur la table du président Macky Sall, pour obtenir ce que les chefs religieux sénégalais, une bonne partie de la société civile, d'autres hommes d'Etat africains, le Groupe de travail des Nations Unies, n'ont pu avoir, durant trois années d'infructueuses sollicitations ?
Quel l'argument prédominant a tant pesé sur la balance, pour déclencher le processus d'élargissement de Karim Wade ? Qu'est-ce qu'a fait ou promis de faire le Qatar pour que son poids dans la balance de la décision ait pu être plus décisif que ceux de la France, des Etats-Unis et de l'ONU rassemblés ?
Et pourquoi le Qatar, richissime monarchie pétrolière et dont les relations commerciales avec le Sénégal sont encore si malingres, a pu calmer le courroux du pouvoir, pour accueillir et héberger l'encombrant prisonnier ? Bien entendu, qu'en espère politiquement, le Président Sall ? Et last but le the least, quels sont l'état et la nature des relations entre Karim Wade et l'Emir, pour susciter tant d'énergie, dans l'unique dessein de tirer le précieux embastillé de ses geôles ? Mystère et boule de gomme serait-on tenté de dire, devant cette extraordinaire nébuleuse dont on ne cernera, peut-être jamais tous les contours.
On aurait multiplié à suffisance ces questionnements, qu'on ne ferait qu'amplifier le mystère de la libération de Karim. Serait-il alors superflu d'essayer de percer ces énigmes, parce que les imbrications sont complexes, les ramifications tentaculaires ? Démêler cet écheveau serait aussi spéléologique de remonter le fils d'Ariane. Dans cette d'affaire d'Etats, quelles pourraient être les interactions, forcément souterraines entre les présidents Aly Bongo du Gabon, Alassane Ouatara de la Côte d'Ivoire, le Roi du Maroc, l'Emir du Qatar, les forces sociales du Sénégal ?
Et pourtant force est de constater que ces interférences multipolaires ont généré la combinaison essentielle, qui a permis de décadenasser le cachot de Karim. Le mode opératoire utilisé pour le tirer de son univers carcéral rappelle singulièrement, celui utilisé, pour sécuriser un parrain de haute voltige. Et pourtant, pour le commun des Sénégalais, la chose relevait d'une simplicité proverbiale. En effet, il ne s'agissait pour eux que d'une grâce présidentielle, normalement attendue, et à l'issue de laquelle, le bénéficiaire rejoindrait ses pénates après quelques instants de forte émotion. Et rien de grave s'il regagnait à Versailles, ses enfants orphelins et ses parents en âge avancé. Et l'honneur serait sauf ! Sans frais !
Face à cette mystérieuse vacuité, épiloguer sur l'avenir politique de Karim Wade apparaît bien incongru. Après cet innommable épisode, Karim Wade est passé de victime d'un système politique à une inconfortable posture dans, ce qui apparaît comme une scabreuse manipulation. Le temps nous édifiera sur le rôle qu'il y aura joué. Alors que de lourdes contraintes pèsent sur lui en dépit de la grâce, Karim Wade pourra difficilement agiter le levier de la victimisation pour être un adversaire crédible face à un Macky Sall, pour l'heure en meilleure position.
En effet, le Président Sall, libérateur du plus célèbre prisonnier sénégalais, va probablement engranger l'estime et la reconnaissance des foyers religieux, pour avoir enfin fait preuve de magnanimité. Même si cette mansuétude (tardive) est très relative si l'on l'apprécie à l'aune de la nature inique de la CREI et du poids des consignes sur la conscience des juges durant tout le processus judiciaire de l'affaire Karim Wade.
A vrai dire, on en est qu'au début de l'histoire d'une affaire à rebondissements, à l'allure anthologique. Seule la révélation de ses obscurs desseins donnera les éclairages pour une meilleure appréciation de ses enjeux. Cependant, dans l'imagerie populaire sénégalaise, la tentation est forte de renvoyer dos à dos les protagonistes de cette ténébreuse occurrence. Karim Wade reste, en tout état de cause, politiquement handicapé par la lourde hypothèque sur ses droits civiques et politiques. Il est susceptible d'être soumis à la contrainte par corps s'il ne remboursait pas la bagatelle de 139 milliards. Son parti, le PDS est en lambeaux et ne voit son salut que dans sa dilution dans la majorité gouvernementale. En conséquence, ses perspectives politiques sont certainement plus sombres que jamais, s'il tentait de reprendre la main. Ce qui est moins sûr compte tenu de l'adversité ambiante qui l'attend à l'intérieur comme à l'extérieur de son parti, décapité, sans autorité, vidé de ses cadres, en instance de transhumance ou de ralliement.
Si dans un court ou moyen terme, la libération de Karim Wade se révélait comme une scandaleuse transaction politico-financière, alors, l'image présidentielle en prendrait un sacré coup. Et pour cette fois, il faudrait une véritable baraka à Macky Sall, pour s'en tirer à bon compte, comme ce fut le cas, après sa promesse non tenue de réduire son mandat.
La misère profonde de populations démunies confrontées à la dèche et à la faim se trouve ignominieusement exploitée par des organisations prétendument humanitaires travaillant au nom de l'Islam ou de la solidarité citoyenne
Le mois de Ramadan est la période des bonnes œuvres circonstancielles et de la piété conjoncturelle. Chaque musulman sénégalais se donne à cœur joie de respecter les cinq prières quotidiennes, donner de l'aumône, se priver de plaisirs instinctuels, se montrer altruiste et solidaire vis-à-vis de son prochain. Et dans cette frénésie humaniste, les ONG islamiques ne sont pas en pas reste. Ces structures religieuses qui, pour la plupart, font leur fond de commerce et fructifient leurs business sur la pauvreté et la misère des populations.
On connaît la manœuvre, il faut réunir toute cette population nécessiteuse, inviter des autorités étatiques et les médias surtout audiovisuels, filmer ostensiblement les denrées à distribuer afin de pouvoir les transmettre aux généreux bailleurs, lesquels n'hésiteront pas à mettre à la main à la poche pour d'autres financements ultérieurs.
Ainsi, chaque année, on voit le ballet de responsables d'ONG islamiques distribuer, sous les feux pétillants des caméras de la RTS et de télés privées, du sucre, de l'huile, de la viande, du riz, des dates, des nattes. Même un groupe scolaire étranger pour mieux faire sa publicité et réussir son implantation nationale organise chaque année une cérémonie au mois de Ramadan de distribution de vivres aux couches vulnérables issues de différentes régions du Sénégal.
Mais l'invitée-surprise dans le cercle des bienfaiteurs magnanimes, c'est la gracieuse Première dame Marème Faye Sall, patronne de la Fondation Servir le Sénégal, qui, depuis le début du Ramadan parcourt vaillamment avec le sourire au coin la banlieue pour construire des latrines décentes à des pauvres qui sont obligés de déféquer en plein air, distribuer des kits de "ndogou" ou distribuer des matelas à des démunis qui se couchent à même le sol.
Et ces moments de bienfaisance où la femme du président Sall, très humaniste, très humble et sobrement habillée s'enlacent doucereusement avec les crasseux banlieusards sont immortalisés par ses caméras de la RTS avec en appoint le reportage d'un journaliste l'affublant de superlatifs flagorneurs qui feraient pâlir d'envie Mère Teresa, la "sainte de Calcutta".
Ainsi la misère profonde de ces populations démunies confrontées à la dèche et à la faim se trouve ignominieusement exploitée par des organisations prétendument humanitaires travaillant au nom de l'Islam ou de la solidarité citoyenne mais dont le seul but est de se remplir les poches sur fond d'assistance sociale ou d'en récolter des dividendes politiques.
Mais où est passé cette notion de discrétion qui est une vertu cardinale dans l'Islam ? Pourtant, il y a un Hadith qui dit : "Réalisez de vos affaires dans la discrétion", et un autre qui dit que "ce que donne une main, l'autre ne doit même pas le savoir". Ce qui est loin d'être le cas chez certaines de nos ONG caritatives qui organisent des cérémonies publiques pour faire des dons à des populations nécessiteuses.
En présence de la télévision, rien n'est laissé en rade pour rendre visible tout le spectacle : les vivres à distribuer, les attributaires et les distributeurs aux côtés desquels se trouvent toujours des autorités étatiques pour apprécier urbi et orbi, très souvent hypocritement, les bonnes œuvres de telle ou telle autre ONG ou Fondation.
Ces moments fort intenses d'assistance humanitaire constituent le moyen le plus crédible pour renforcer son crédit auprès des bailleurs arabes et bénéficier davantage de leurs pétrodollars de leurs billes ou de pécher d'éventuelles voix électorales.
Pourtant, il est de notoriété publique que certaines de ces organisations ne sont pas blanches comme neige et que certaines d'entre elles souvent liées à des histoires de scandales et de malversations financières. Certains de leurs responsables, qui s'accoutrent d'une façon particulière ou laissent pendre une longue barbe pour jouer ostensiblement aux vertueux, ont été éclaboussés au vu et au su de tout le monde dans des histoires de détournements de vivres ou d'argent.
Il n'est pas rare de voir certains lieux de commerce être inondés de produits estampillés de la marque de telle ONG caritative. Ce qui veut dire que certaines de ces activités que mènent ces structures ne sont fondées sur aucun principe de l'Islam qui interdit beaucoup de ces pratiques déviantes auxquelles elles s'adonnent.
Pourtant ils nombreux ces organisations ou samaritains musulmans qui, chaque jour, font de bonnes œuvres dans la plus grande discrétion, loin des feux des caméras de télévisions ou autres moyens de vulgarisation médiatique. Ce qui n'est pas le cas de certaines ONG islamiques samaritaines ou Fondation dont l'unique souci est d'exploiter en toute ignominie la pauvreté des sans-revenus pendant le mois béni de Ramadan.
Coïncidences ? Ou la main de Dieu ? Le destin, le simple hasard ? Je n’en sais rien du tout ! Mais le fait est cependant bien là, curieux, étonnant et stupéfiant même : c’est le jour du ‘’Brexit’’ que Karim Meissa Wade a reçu son exeat c’est-à-dire sa grâce et la levée d’écrou qui s’en est suivie. Ainsi il est sorti de prison, de Rebeuss donc, au moment même où la Grande Bretagne, sa patrie d’adoption (il en était résident permanent) sortait elle de l’Europe dont elle était membre depuis 1973 !
Une autre coïncidence, pour faire simple, c’est que cette libération s’est faite un 23 juin, date importante et symbolique s’il en fût jamais. Il y faut méditer aussi. En attendant, la situation objective de Karim est la suivante : il est sorti après avoir ‘’négocié’’, toute chose qu’il avait juré de ne jamais faire.
Il n’a pas été amnistié, bien sûr, et ne le sera probablement jamais. Lui et ses amis se retrouvent déjà ‘’pauvres’’ de plus de 50 milliards Cfa, ce qui n’est pas rien quoique que certains puissent penser ou en dire !
Dans cette affaire, il fallait et il faut, plus que jamais, garder l’esprit clair et le sang-froid. Personne, en fait, de responsable je veux dire, ne voulait dans ce pays la mort du ‘’petit cheval’’, du pécheur au sens littéral et physique s’entend. Bien sûr que les pratiques de Karim Wade étaient détestables, ses buts inavouables et son modèle haïssable ! On ne l’a qu’assez dit ici comme ailleurs !
La très grande majorité des Sénégalais étaient aussi de cet avis qui ont refusé à son père le troisième mandat qui lui aurait permis de réaliser le rêve qui était le sien : à savoir de pouvoir se perpétuer au pouvoir à travers son propre rejeton !
Exit ainsi le projet de dévolution monarchique et c’est un 23 juin que cela est arrivé. Il y a cinq ans de cela, jour pour jour ? Pour l’anniversaire de cette défaite à jamais historique de son père et de lui-même, Karim Wade a été libéré lui qui, entre-temps, avait été arrêté, jugé et définitivement condamné à séjourner bien à l’ombre aux cent mètres carrés de Rebeuss ! Etait-ce hasard aussi que le choix de cette date, de cette nuit ?
J’y vois, pour ma part, une forme d’humour, assez féroce sinon noir franchement qu’il faut savoir, lire et apprécier telle qu’il est : au second degré. C’est qu’en l’espace de cinq années, Karim Meissa Wade est passé du statut de tout-puissant héritier présomptif à celui, non pas de délinquant, mais de détenu de droit commun bénéficiant d’une grâce présidentielle !
C’est une très grande leçon de vie qui montre, presque et jusqu’à la caricature, combien ainsi que je le rappelais encore l’autre fois, combien donc le Sommet ‘’peut-être proche du gouffre et des abysses et le Capitole d’où l’on régnait de la Roche Tarpéienne sur laquelle l’on venait se fracasser une fois qu’on y avait été jeté !
Quid maintenant de Karim donc ? Le voici libre après trois ans, plus ou moins, de prison et il est parti sans un mot, sans un regard pour personne ou quiconque et convoyé, nuitamment et par avion privé, vers le Qatar ! Certains ont trouvé cela cavalier moi pas parce que cela m’a semblé devoir aller sans dire : on ne peut pas accepter le bénéfice d’une grâce présidentielle et se livrer le même jour à des troubles de l’ordre public !
Et c’est ce qui se serait immanquablement passé si Karim qui a passé ses trois années de cachot à chauffer ses adhérents s’était amusé à s’organiser une ‘’marche bleue’’ pour ‘’fêter’’ sa libération. D’où son ‘’exfiltration’’ en mode ‘’express’’.
Si les gens, ses adeptes je veux dire, voulaient réfléchir un peu à tout cela, peut-être comprendraient-ils jusqu’à quel point ils sont et manipulables et manipulés !
Plein de personnes ont subi des pertes, des désagréments, des ennuis ou des blessures de toutes sortes du fait de l’attachement, sincère pour certains, qu’ils avaient pour Karim Wade, qu’en est-il aujourd’hui ? Elles sont, ces personnes, en plein veuvage car s’il est bien vrai que Karim soit dehors, ce n’est pas seulement de Rebeuss mais du Sénégal aussi ! Il serait encore au Qatar où il a encore quelques bons amis à ce qu’il semble.
Il risque, cependant, d’y rester longtemps car pour ce qui est de Londres, l’onde du Brexit ne fait que commencer et Karim qui y était employé et résident va devoir dire bientôt adieu aussi bien à son ‘’job’’ qu’à son titre de séjour !
Le Français, qu’il est, ne devant plus avoir droit de cité automatique à la City de Londres. Sombre perspective et d’autant plus que toute épargne libellée en livres sterling va subir la dépréciation violente que va connaître la devise britannique qui fut pendant longtemps pourtant l’une des mieux cotées au monde !
Ce Brexit concomitant de sa levée d’écrou, c’est une vraie tempête sur la tête de Karim Meissa Wade puisque tous les paradis fiscaux qu’il connaissait ou pratiquait -Monaco excepté- depuis sa City de Londres naviguaient dans le sillage de la livre Sterling laquelle, désormais va trembler sur ses bases.
‘’Libre mais pauvre’’, je ne sais plus qui s’interrogeait ainsi l’autre semaine à propos de l’avenir qui attendrait maintenant Karim Wade. Il n’avait pas envisagé ou pensé au Brexit, mais était-ce seulement possible ?
C’est comme si c’était Dieu lui-même qui s’acharnerait sur le fils de Wade qui n’aura été libéré de prison que le jour même où son monde s’effondrait ! Il ne faudrait toutefois pas trop dramatiser : il n’est pas fauché ‘’et il ne le sera pas ! Ses amis qataris seront là pour lui : ce ne sont pas des ingrats et il leur avait rendu bien des services signalés.
Ils seront là pour lui, je crois du moins tant qu’il aura la sagesse de se résigner à ne rester, désormais, que dans la sphère privée. L’intelligence en politique comme dans la vie ou les affaires d’ailleurs, c’est de savoir qu’au bout du bout et, pour tout dire, du compte, certains comptes justement doivent être soldés et gagnent à l’être une bonne fois pour toutes ! Définitivement !
PAR MADIAMBAL DIAGNE
MILLE RAISONS DE GRACIER KARIM WADE…
Il est de notoriété publique que les grands dignitaires religieux de Touba, de Tivaouane, de Ndiassane, entre autres, jusqu'au chef de l'Eglise catholique, ont demandé au Président Macky Sall d'accorder la grâce aux condamnés
La libération de Karim Wade et de ses compagnons de fortune et/ou d'infortune, par le biais d'une grâce accordée par le Président Macky Sall, suscite naturellement des réactions diverses. Je fais partie des personnes qui considèrent que le chef de l'État avait toutes les raisons d'user, en faveur de ces condamnés, de sa prérogative constitutionnelle exclusive que constitue le droit de grâce. La question n'est plus seulement d'invoquer les circonstances de leur emprisonnement. Nous avons souvent croisé le fer avec Karim Wade et le journal Le Quotidien a toujours été à la pointe du combat pour la traque des biens mal acquis. Mais on peut nous reconnaître une certaine constance d'avoir battu en brèche les circonstances inéquitables du jugement de Karim Wade et de ses acolytes par la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei).
Nous avions estimé que les conditions de la procédure devant la Crei n'étaient nullement conformes à l'idée que nous nous faisons d'un procès juste et équitable (voir notamment Le Quotidien du 15 décembre 2014 et du 26 octobre 2015). Aussi, nous avons plaidé que les détenus qui étaient gravement malades et dont l'état de santé était dûment décrit par des experts médicaux comme mettant en péril leur vie devaient être autorisés à se soigner dans les conditions optimales (voir Le Quotidien du 11 août 2014 et celui du 14 juillet 2015). Il faut dire que ces prises de position n'avaient pas manqué de nous valoir des incompréhensions ou même des procès d'intention.
Il n'est pas nécessaire alors de rabâcher les arguments contre la Crei, mais il est question de se demander si Macky Sall pouvait continuer de laisser Karim Wade et compagnie en prison. La réponse est assurément négative à divers points de vue. Tout le monde peut concéder au président de la République une attitude conforme aux principes républicains qui consistaient à laisser aux instances judiciaires toute la plénitude de leurs prérogatives, de leurs compétences et de leurs actions dans le cadre du traitement judiciaire des procédures liées à la traque des biens mal acquis. Les juges ont rendu librement les décisions qu'ils ont voulu rendre et pour certaines, il faut encore le rappeler, contre l'avis ou la volonté du pouvoir exécutif. Le Parquet a eu alors à épuiser tous les moyens et voies de recours à sa disposition, avant que lesdites décisions devinrent définitives. Un bel exemple de cet état des choses reste le traitement de la fameuse affaire "Aïda Ndiongue".
En dépit de nombreuses alertes, jusque dans les médias, sur la tournure que cette affaire allait fatalement prendre du fait du traitement peu orthodoxe de cette procédure par les instances judiciaires, le chef de l'État a observé la justice faire son travail. Il n'a certainement pas de mérite particulier pour cela, car il était dans son rôle. Seulement, il était obligé, au bout du compte, de faire contre mauvaise fortune bon cœur pour accepter des décisions judiciaires qu'il ne partageait certainement pas. Alors, dans un dossier quelconque, quand Dame justice aura fini son travail, pourrait-on dénier à une autre institution républicaine d'user de son pouvoir constitutionnel discrétionnaire ?
Par exemple, le juge Maguette Diop, président de l'Union des magistrats sénégalais (Ums), s'était senti obligé de recadrer le débat pour dire que la Magistrature n'avait point d'opinion à exprimer sur la prérogative constitutionnelle du président de la République d'accorder une grâce à un condamné. Seulement, d'autres voudraient emprunter le mauvais chemin de la contestation. Dès lors qu'on reconnaît aux juges le droit de condamner, d'acquitter ou de relaxer en vertu de leurs prérogatives constitutionnelles, on devrait admettre au président de la République son droit constitutionnel de pouvoir accorder la grâce (voir Le Quotidien du 15 décembre 2014). Ce droit de grâce a toujours été appliqué à des personnes condamnées au Sénégal, qui pourtant ne remplissaient pas toujours aussi parfaitement que Karim Wade les conditions d'éligibilité à la grâce.
Alors, la question qui se pose est de savoir pourquoi Karim Wade, qui ne devrait certainement pas avoir plus de droits que les autres Sénégalais, devrait-il avoir moins de droits que tout autre citoyen de ce pays. Il s'y ajoute que le fils de Abdoulaye Wade a beau être le symbole le plus achevé de la traque des biens mal acquis, le fait qu'il ait été la seule personne à être passée à la trappe lui donnait une image de victime d'un acharnement ou d'un règlement de comptes politiques. Cette situation inéquitable a beaucoup gêné des proches du Président Sall. Il apparaît également curieux que certaines personnes ou organisations de la société civile qui s'étaient insurgées contre la Crei du fait de ses procédures inappropriées dans un régime d'État de droit s'offusquent maintenant qu'une grâce soit accordée à Karim Wade. Cette mesure ne corrigerait-elle pas, en quelque sorte, une injustice ou ne participerait-elle pas à rétablir, plus ou moins, une personne dans ses droits bafoués ?
La question de la légitimité de cette grâce ainsi posée, interrogeons-nous sur les enjeux. Relisons le décret qui stipule la grâce à Karim Wade, Bibo Bourgi et Amadou Samba Diassé. Un nom manque à l'appel, c'est celui de Pape Mamadou Pouye, lui aussi condamné dans la même procédure. Ce condamné n'a pas bénéficié de la même mesure, simplement parce qu'il avait préalablement bénéficié, quelques semaines auparavant, sans tambour ni trompette, d'une décision de libération conditionnelle accordée par le juge d'application des peines. Cette décision produisant les mêmes effets que la grâce sur la condamnation pénale, il serait superfétatoire de lui accorder une grâce présidentielle. L'enseignement qu'il convient de tirer de cela est que si Pape Mamadou Pouye a pu se débrouiller avec ses arguments, ses astuces ou ses moyens jusqu'à obtenir la libération par un juge d‘application des peines, force devrait être de reconnaître que Karim Wade ou Bibo Bourgi ou Amadou Samba Diassé pourraient, chacun, emprunter les mêmes voies. Surtout un Karim Wade qui a purgé plus de la moitié de la peine qui lui a été infligée.
Devant une telle situation, peut-on s'imaginer que le Président Macky Sall resterait sans réaction aucune, sans prendre l'initiative pour chercher à contrôler la situation en sa faveur et s'éviter ainsi le risque de se voir obligé de constater une libération de Karim Wade qu'il n'aurait pas inspirée, voulue ou organisée ? Le cas échéant, quel gain politique pourrait-il en tirer ? Ce serait plutôt un véritable camouflet pour lui. Encore une fois, dans l'affaire Aïda Ndiongue, le chef de l'État avait beau vouloir se montrer intransigeant, il était bien obligé d'accepter les décisions scandaleusement suspectes des juges.
Sur un autre registre, toutes les autorités religieuses et morales du Sénégal se sont immiscées dans le règlement de l'affaire Karim Wade et compagnie. Il est de notoriété publique que les grands dignitaires religieux de Touba, de Tivaouane, de Ndiassane, entre autres, jusqu'au chef de l'Eglise catholique, ont demandé au Président Macky Sall d'accorder la grâce aux condamnés. Le chef de l'Eglise catholique, monseigneur Benjamin Ndiaye, qui avait habitué son monde à plus de circonspection, a même eu à rendre une visite à Karim Wade en prison.
Le khalife général des mourides, Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké, avait envisagé de faire de même. Il avait fallu beaucoup d'entregent pour l'en dissuader. Si le khalife des mourides s'était présenté un petit matin devant la porte de la prison de Rebeuss et que Karim Wade ne sortait pas ce jour-là, Macky Sall se serait mis à dos toute la communauté mouride. C'est cela la réalité du Sénégal. Et si jamais le chef de l'État baissait la garde en le faisant sortir de prison dans ces conditions, tous les objecteurs de conscience diront qu'il s'est plié devant les religieux. Diantre !
Quel chef d'État fermerait-il les yeux devant une telle pression et se mettrait dans une situation qui lui échapperait, quand on sait le poids social et politique de ces autorités religieuses ? N'importe qui serait à la place de Macky Sall anticiperait sur de pareilles situations. Le bon sens politique serait de transformer de telles difficultés en opportunités. D'ailleurs, peut-on reprocher à quelqu'un de s'enlever une épine du pied ? Ils sont nombreux, les autorités religieuses et coutumières, les hommes politiques ou les citoyens lambda qui ont écrit au chef de l'État pour demander la grâce en faveur de Karim Wade. Le chef de l'État disait attendre que toutes les procédures judiciaires soient terminées pour avoir les coudées franches. Il n'a plus d'alibi dès l'instant que même les procédures d'exécution ont été engagées.
Ainsi, en attendant le moment qu'il juge opportun pour user de son pouvoir de grâce, le Président Macky Sall apparaît devant ces autorités religieuses et morales comme ayant satisfait leurs demandes insistantes. On nous dira qu'il faudrait que l'État se départît de certaines entraves. Soit ! Mais l'histoire des institutions politiques enseigne qu'aucun régime politique n'a survécu en ignorant l'influence et le poids de la religion dans la société.
De toute façon, la jurisprudence de la demande de grâce par des tiers est bien connue. Le Roi Hassan II du Maroc avait demandé et obtenu du président de la République française, Jacques Chirac, la grâce en faveur de Omar Raddad. Au Sénégal, le Président Wade par exemple avait pris prétexte d'une demande formulée par Madiambal Diagne pour libérer le jeune militant socialiste Malick Noël Seck. Ce dernier n'avait certainement rien demandé à qui que ce soit.
Une autre pression, et non des moindres, exercée sur le Président Macky Sall, reste celle de ses pairs chefs d'État. Nombre d'entre eux projetaient le sort de leurs propres progénitures sur celui de Karim Wade, sans compter les relations personnelles que certains d'entre eux pouvaient avoir avec Karim Wade ou son père Abdoulaye Wade. Macky Sall passait devant nombre de ses pairs comme le mouton noir, celui qui restait insensible aux sollicitations répétées de ses homologues. Pouvait-il continuer dans une telle posture, surtout qu'il pourrait être amené à avoir besoin de l'aide ou de la collaboration de certains autres dirigeants du monde dans le traitement de quelques dossiers économiques ou diplomatiques du Sénégal ?
Il demeure une autre dimension subjective à ne pas occulter. Qui peut croire un seul instant que le Président Macky Sall, vu son compagnonnage avec Abdoulaye Wade et peut-être avec Karim Wade même, a pu dormir du sommeil du juste pendant tout le temps que Karim Wade était en prison ? Un chef d'État est-il un robot sans cœur ou un être quelconque avec un cœur en pierre ? Le Président François Hollande avait promis, à sa prise de pouvoir en France, qu'il n'userait pas de son pouvoir d'accorder la grâce. Seulement, pris de compassion pour Mme Jacqueline Sauvage, meurtrière d'un époux qui lui a pourri la vie, le Président Hollande a consenti à lui accorder la grâce. "Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes", disait Corneille.
Macky Sall a ainsi invoqué des raisons humanitaires pour accorder la grâce à Karim Wade et à ses compères. S'il arrivait un événement heureux ou malheureux dans la famille du Président Wade, le Président Macky Sall pourrait-il s'y associer pendant que Karim Wade gardait encore prison ? Quand Me Alioune Badara Cissé, fraîchement nommé médiateur de la République, avait réfléchi à haute voix sur une telle éventualité, le Président Abdoulaye Wade s'en était un peu amusé pour dire : "C'est bien vrai ce qu'il dit, mais s'il avait la culture du Kayoor (Ndlr : Une province traditionnelle du Sénégal réputée pour ses sagesses populaires), il ne l'aurait pas dit publiquement." Macky Sall avait toujours été accusé de chercher à assouvir une vengeance personnelle contre Karim Wade, mais la décision de grâce l'absoudrait totalement de ce péché.
Il y a lieu de souligner que Karim Wade s'est montré chevaleresque dans cette affaire et a tout fait pour faciliter au Président Macky Sall les conditions de la prise de décision de la grâce. Il a fermement refusé la surenchère que certains de ses proches semblaient vouloir faire. Karim Wade devrait savoir par ailleurs que ce n'est pas tout le monde au sein du Pds qui souhaitait sa libération. Il reste que Karim Wade s'est révélé bien disposé à envisager l'avenir sous de bons auspices de dépassement et de réconciliation. Sa première déclaration, après son élargissement de prison, le montre éloquemment.
On pourrait néanmoins nourrir des appréhensions quant à l'exercice politiquement périlleux auquel le Président Sall vient de se livrer. Coup de poker ou manœuvre politique bien réfléchie ? On peut lui reconnaître un certain sens de l'initiative pour imposer ou impulser une recomposition politique en vue de conforter son régime. La libération de Karim Wade pourrait déplaire fortement à certains challengers du Président Macky Sall. La démarche s'avèrera-t-elle pertinente ? On peut en discuter, mais il reste qu'il faudrait reconnaître à Macky Sall de n'être pas un naïf ni un nigaud, autrement il ne serait pas arrivé au niveau où il a réussi à se hisser. Dans tous les cas, ce sera de sa propre responsabilité s'il se brûle les doigts.