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3 mai 2025
Opinions
Par Madiambal DIAGNE
LE SÉNÉGAL REPREND LE CHEMIN QUI AVAIT MENÉ À L’ASSASSINAT DU JUGE SÈYE
Le décor est planté avec une similitude des circonstances et des attitudes des acteurs, comme il y a trente ans ! L’opposition conduite par Wade s’en prenait avec véhémence aux magistrats accusés de tous les forfaits et désignés à la vindicte populaire
Le 15 mai 1993, la violence politique avait atteint son paroxysme au Sénégal, avec l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye. Le forfait était le fait d’un groupe communément appelé la «Bande à Clédor», qui comprenait Amadou Clédor Sène, Assane Diop et Papa Ibrahima Diakhaté. Ils avaient été reconnus coupables des faits et condamnés à des peines d’emprisonnement ferme de 20 et 22 ans. Les commanditaires de cet ignoble crime avaient été épargnés, à la faveur de vulgaires arrangements politiques entre le président Abdou Diouf et son principal opposant d’alors Me Abdoulaye Wade. Ce dernier, une fois arrivé au pouvoir en 2000, s’était empressé de sortir les détenus de prison par une grâce, avant de leur faire bénéficier d’une loi d’amnistie portée en 2005 par le député Ibrahima Isidore Ezzan.
Va-t-on laisser fatalement survenir la répétition de l’histoire ?
Le décor est planté avec une similitude stupéfiante des circonstances et des attitudes des acteurs, comme il y a trente ans ! Il était alors question pour l’opposition de contester les conditions d’organisation des élections et la tension politique était forte. Le régime du président Abdou Diouf était accusé de chercher à voler les scrutins en vue, les mêmes accusations portées actuellement contre le régime du président Macky Sall. L’opposition conduite par Me Wade s’en prenait avec véhémence aux magistrats qui étaient accusés de tous les forfaits et qui étaient désignés à la vindicte populaire. Jean Paul Dias promettait un linceul aux magistrats.
La même rhétorique est empruntée par Ousmane Sonko et ses partisans. Le leader de Pastef ne rate aucune occasion pour menacer juges et procureurs. En 1993, la pression était si forte sur les magistrats qu’un juge du Conseil constitutionnel, Kéba Mbaye, avait fini par jeter l’éponge, se désistant. L’histoire nous apprendra qu’il avait cédé à des menaces graves qui mettaient en péril la vie d’un membre de sa famille. Toutes proportions gardées, le juge Mamadou Seck, saisi de l’instruction de la plainte d'Adji Sarr contre Ousmane Sonko pour abus sexuels, s’est désisté pour des raisons familiales. Les menaces continuent de plus belle contre les magistrats.
Dans les années de braise (1988-1993), les médias, comme la société civile, pardonnaient tout aux acteurs politiques qui attisaient le feu et trouvaient des excuses à toutes les velléités d’atteinte aux institutions de l’Etat. Ainsi, on détournait le regard des dérives verbales de Me Wade et des responsables de l’opposition, qui étaient systématiquement absous de tout. Des journalistes feignaient de ne pas voir les attaques, invectives et menaces contre certains de leurs confrères qui montraient le moindre esprit critique à l’endroit des thèses de l’opposition. C’est ainsi que la voiture de Nicolas Balique, correspondant de RFI à Dakar, avait été cramée. En 2021, des voitures de journalistes ont été brûlées et des domiciles de personnalités du pouvoir ont été attaqués et mis à sac. Mais pour de nombreuses personnes, fustiger cette situation de faits équivaudrait à un parti pris pour le régime de Macky Sall.
Sur un autre registre, l’opposition sénégalaise accusait la France de François Mitterrand de manifester une complaisance ou une complicité avec le régime de Abdou Diouf. Les mêmes accusations sont reprises contre la France de Emmanuel Macron. Pour autant, l’opposition se félicitait de quelques sorties médiatiques d’un Alain Madelin pour critiquer le Sénégal. Aujourd’hui, on voit l’opposition sénégalaise se réjouir de tweets de Jean-Luc Mélenchon (juin 2021) ou d'Olivier Faure défavorables à Macky Sall.
En 1988, il s’était formé, dans les flancs du Parti démocratique sénégalais (PDS), un groupe d’action appelé «l’Armée du peuple». Ce groupe avait alors signé des attentats à la voiture piégée, en s’en prenant aux forces de police (explosions de voitures au commissariat de police de Dieuppeul et au siège du Conseil constitutionnel). Tandis qu’en 1993, les domiciles de personnalités proches du pouvoir comme Lamine Diack et Abdoulaye Diaw Chimère avaient été incendiés. La maison de Serigne Ndiaye Bouna a pu échapper aux pyromanes. Il peut paraître très curieux que des personnes qui étaient mêlées à ces attentats, comme Amadou Clédor Sène, lequel avait été détenu de 1988 à 1991 pour ces actes terroristes, soient dans les rangs de Pastef d’Ousmane Sonko au moment où la préparation d’actions subversives de la même nature est prêtée à un groupe composé de militants de Pastef et appelé «Force spéciale». Qui disait que le style fait l’homme ? D’ailleurs Amadou Clédor Sène, élargi de prison une première fois à la faveur de l’entrée de Me Wade au gouvernement de Habib Thiam en 1991, avait à nouveau, été brièvement interpellé avec Assane Diouf, Guy Marius Sagna entre autres, dans les casses et tueries de mars 2021. Ironie de l’histoire ? Aussi, qui ne se rappelle pas des coups de feu tirés nuitamment contre le domicile du Juge Youssoupha Ndiaye, quelque temps avant l’assassinat de son vice-président ? Des infrastructures publiques vitales avaient été endommagées par des mains criminelles. L’enquête a révélé que le nouveau groupe «Force spéciale» dont une dizaine de membres seront présentés ce lundi 27 juin 2022 devant le procureur de Dakar, planifiait des actions contre la police, la gendarmerie, des installations névralgiques de l’Etat et contre des particuliers.
En outre, qui a oublié les imbrications de la «bande à Clédor» avec le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) ? Un des éléments de ce mouvement rebelle, René Diédhiou, ainsi que des personnes, qui seraient venues spécialement de la Gambie, avaient été cités dans une série d’attentats dont le meurtre du Juge Sèye en 1993. N’est-il pas curieux de voir qu’un lieutenant du MFDC, Ousmane Kabiline Diatta, ait été arrêté à Dakar le 8 juin 2022, pour être venu prêter main forte aux manifestants d’Ousmane Sonko, qui lui-même avait annoncé qu’il assumait son appel public à une insurrection pour déloger Macky Sall du Palais présidentiel ? Le mouvement religieux des Moustarchidines, qui avait laissé 6 policiers morts sur l’asphalte du Boulevard Général De Gaulle en 1994, se trouve embarqué avec Ousmane Sonko. «Capitaine», le fils de Serigne Moustapha Sy, dit n’attendre qu’un simple ordre de son père pour réduire le Sénégal en cendres. Peut-être que l’histoire ne se répète pas, mais ses rendez-vous se ressemblent et les prémices le montrent à suffisance. Il est alors de la responsabilité du président Macky Sall et des différentes personnalités préposées à conduire les destinées de l’Etat et de la Nation, de veiller à ce que la sinistre histoire ne se rejoue en tragédie.
Oui, dans une démocratie, la police encadre des manifestations pacifiques mais casse la gueule aux manifestants qui appellent à l’insurrection
La mission régalienne de l’Etat est notamment, de protéger les institutions démocratiques et la sécurité des citoyens. Il ne saurait y avoir de compromis sur cette question. C’est ainsi que l’usage de la force légitime pour accomplir cette mission est sanctuarisé dans toutes les démocraties. C’est dans cet ordre que la police fédérale américaine et l’Armée avaient été requises pour mâter durement les insurgés que Donald Trump avait lancés contre le Capitole en vue de perpétrer un coup d’Etat. Les forces d’intervention n’avaient pas hésité à user de leurs armes pour protéger les institutions démocratiques. On aura regretté des morts et de nombreux blessés mais le jeu en valait malheureusement la chandelle. Les forces de sécurité avaient été félicitées pour avoir rempli leur mission. Les personnes arrêtées sont traduites en Justice.
En France, quand le mouvement des «Gilets jaunes» avait viré à la violence pour s’en prendre aux institutions et aux biens publics et privés pour les vandaliser, la police française avait fait un usage efficace de la violence pour contrecarrer de telles actions subversives. Quand les manifestants, issus des rangs des «Gilets jaunes», avaient attaqué les commerces et autres boutiques des Champs Elysées et que certains meneurs avaient donné le mot d’ordre de se rendre au Palais de l’Elysée pour faire sa fête au président Macron, la riposte avait été foudroyante. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, au Sénégal, la police et la gendarmerie ont violemment réprimé les manifestants armés qui voulaient exécuter le mot d’ordre d’Ousmane Sonko d’aller déloger Macky Sall du Palais présidentiel. On peut augurer qu’il en sera toujours ainsi et que les fauteurs de troubles sauront trouver à qui parler. Autrement, le président Sall ne mériterait plus d’être à son poste. La police et la gendarmerie du Sénégal avaient encadré avec bonheur la manifestation du 8 juin 2022 que l’opposition avait organisée, dans le respect strict de la légalité républicaine. Un autre exemple du genre a été observé au Canada, où les camionneurs, qui avaient bloqué la capitale fédérale Ottawa, avaient obtempéré aux sommations de la police et évacué le Parlement et les artères de circulation de la ville. Les manifestants n’avaient opposé de résistance et ainsi il n’y a eu ni mort ni blessé à déplorer.
L’hypocrisie de prétendus donneurs de leçons aux médias sénégalais
Il a été observé des attaques en règle contre les médias sénégalais qui, dans leur titraille, auraient mis l’accent sur l’échec de la manifestation de l’opposition du 17 juin 2022 plutôt que de dénoncer la répression policière. Il convient de souligner que si les objectifs claironnés et assumés par Ousmane Sonko, le chef de file de l’opposition, avaient été atteints, le Sénégal aurait essuyé un putsch qui aurait fait basculer le pays dans des lendemains de troubles. La veille de cette manifestation, tout le pays retenait son souffle et les médias s’étaient fait l’écho d’une telle panique générale. Quel est l’esprit cynique qui voudrait interdire aux médias d’exprimer le soulagement de tout un pays après qu’un funeste objectif n’a pas été réalisé ? Seulement, les détracteurs des médias sont gênés de voir relever et dénoncer les appels répétés d’Ousmane Sonko à la violence et aux atteintes aux institutions de l’Etat. Il aurait été rassurant d’entendre, pour une fois, un responsable de la Société civile sénégalaise prendre position contre ces turpitudes, comme cela honorerait également un Khalifa Ababacar Sall, un Abdoul Mbaye, un Malick Gackou ou un Mamadou Lamine Diallo, entre autres, de refuser publiquement de s’associer à toutes actions contraires à la conquête du pouvoir par des voies démocratiques. C’est sûrement trop leur demander, car on en a vu saluer avec enthousiasme des coups d’Etat militaires au Mali, en Guinée et au Burkina Faso ! Il convient du reste de souligner que l’attitude des médias sénégalais a d’ailleurs été la même que celle, de surcroît indignée, de tous les médias américains, le 6 janvier 2021, au lendemain de l’attaque du Capitole. «La démocratie assiégée», «le coup d’Etat de folie», «Trump met le feu à Washington», ont été les principaux titres de la presse. La responsabilité avait été rejetée sur Donald Trump, qui avait appelé à l’insurrection, comme Ousmane Sonko l’a fait au Sénégal. «insurrection» en lettres capitales, s’était enflammé le San Francisco chronicle. «Le jour où la démocratie américaine était au bord du gouffre», avait constaté le Washington Post qui titrait : «Trump mob storms Capitol» (la bande à Trump prend d’assaut le Capitole). Pour sa part, le New York Times accusait Donald Trump d’avoir attisé ses troupes et voyait dans l’attaque du Capitole «le dénouement inévitable de l’ère Trump». Les forces de sécurité avaient eu droit à une «standing ovation» pour avoir protégé efficacement les institutions démocratiques américaines.
En France, au lendemain de la mise à sac des Champs-Elysées à Paris, l’action des Crs qui avait permis d’éviter le chaos à la France, avait été saluée par les médias de tous bords. D’ailleurs, on aura vu, plusieurs mois après, des sociologues des médias comme Jean-Louis Siroux, assimiler le traitement médiatique du phénomène des «Gilets jaunes» comme une tendance à «disqualifier le mouvement et à l’exclure symboliquement de l’espace public». C’est ainsi qu’il avait été constaté que les médias avaient jeté leur dévolu sur les questions sécuritaires, la dénonciation des violences des manifestants et les périls économiques et sociaux provoqués. «Les médias français n’ont commencé à s’intéresser à la violence policière pour contenir les manifestants, que six mois après ces événements», a relevé l’Ong Acrimed dans une étude.
C’est dire que les journalistes sénégalais, qui ne traînent aucun complexe vis-à-vis d’aucun journaliste américain ou français, n’ont aucune raison de baisser le regard pour le traitement médiatique de la manifestation du 17 juin 2022 à Dakar et à Ziguinchor. Ces mêmes médias avaient pourtant fait un traitement unanime de la belle manifestation pacifique du 8 juin 2022 et avaient mis en exergue la vitalité de la démocratie sénégalaise. Y’avait-il une main secrète ou une officine qui inspirait les titres de la presse du 9 juin 2022 ? Personne ne les avait accusés pour ce coup d’avoir pu être achetés par le «Palais». On ne peut pas s’empêcher de croire que certains ont mesuré leur vénalité pour croire que tout le monde aurait un prix ! D’ailleurs, on a mieux compris, avec certaines réactions, pourquoi certaines grandes plumes de la presse sénégalaise n’ont jamais pu réussir un projet éditorial, en dépit de leurs multiples tentatives. Et le plus burlesque vient, encore une fois, du Conseil pour le respect de l’éthique et de la déontologie (Cored). Quand il s’agit du journal Le Quotidien, cette structure, qui se croit investie de la mission de chercher la petite bête à ce journal, s’est fendue d’une interpellation à l’endroit de la rédaction du journal pour demander de s’expliquer sur des «Unes» que le Cored voudrait juger «tendancieuses». Jamais, avons-nous dit, depuis 2003, dans notre projet éditorial, que nous aurions fait vocation de neutralité ? Au demeurant, on est bien tenté de relever l’imposture de prétendre s’ériger en arbitre d’un match quand on ignore les règles les plus élémentaires du jeu. Qui expliquera un jour aux «éminents» membres du Cored que la «Une» d’un journal n’appartient pas à la rédaction mais plutôt à l’éditeur ? «Le ridicule est fait pour notre amusement.» Les journalistes qui sont passés par Le Quotidien peuvent témoigner de leur chance d’avoir un patron, d’une si rare ouverture d’esprit, qui s’interdit de commanditer un article quelconque à ses journalistes et qui les associe à l’élaboration de la «Une» du journal, autour de la table de la rédaction.
Texte Collectif
CONTRE LA FAILLITE DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES ET JURIDICTIONNELLES
Le droit que nous enseignons contredit la conception de l’ordre public du Préfet de Dakar. Le Conseil constitutionnel n’a pas dit le droit. La sagesse inscrite au frontispice de l’institution devrait l’empêcher de conduire notre pays dans l'impasse
Le primat de la loi (au sens large) est une marque de l’État de droit dont la réalisation passe nécessairement par l’existence d’une justice indépendante et d’une administration républicaine mues exclusivement par la satisfaction de l’intérêt général. Dès lors, la justice et l’administration doivent offrir des garanties suffisantes pour l’exercice des libertés fondamentales et la promotion de la démocratie. Cependant, les exigences évoquées ci-dessus tranchent avec le contexte politique actuel caractérisé par une turbulence électorale et une restriction des libertés. Cette situation conforte un constat d’affaissement de l’État de droit comme en témoignent les vives controverses suscitées par les récentes décisions rendues aussi bien par l’administration que par la juridiction constitutionnelle. Des décisions dont la teneur s’éloigne manifestement des enseignements dispensés dans les facultés de sciences juridiques et politiques. Les graves conséquences pouvant résulter de cette discordance interpellent tout citoyen, y compris les universitaires. En outre, l’enseignement du droit dans lesdites facultés présente un décalage avec le droit tel qu’il est appliqué.
Le droit que nous enseignons contredit la conception de l’ordre public proposée par le Préfet du département de Dakar.
S’il est vrai que l’autorité administrative dispose d’un pouvoir d’interdiction des manifestations, celle-ci est assujettie au respect de deux conditions cumulatives prévues par la loi n° 78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions. La première se rapporte à l’existence de menaces réelles de troubles à l’ordre public et la seconde renvoie à l’insuffisance des forces de défense et de sécurité.
L’arrêté du Préfet de Dakar portant interdiction du rassemblement qui était prévu le vendredi 17 juin 2022 par une partie de l’opposition sénégalaise ne satisfait pas à la condition relative à l’insuffisance des forces de défense et de sécurité. L’autorité préfectorale invoque, à l’appui de son arrêté, l’existence d’un trouble potentiel à l’ordre public et la violation de l’article L. 61 du Code électoral. Or, la lecture combinée des articles 10 et 14 de la loi n° 78-02 du 29 janvier 1978 susmentionnée permet d’en déduire : (i) que les réunions publiques sont libres ; (ii) que l’autorité responsable de l’ordre public doit être informée par écrit de leur tenue au moins trois jours francs avant la date prévue pour l’organisation de la réunion; (iii) que l’autorité administrative responsable de l’ordre public peut interdire toute réunion publique s’il existe une menace réelle de troubles à l’ordre public et qu’elle ne dispose pas de forces de sécurité nécessaires pour s’opposer à ces troubles. Le Préfet a galvaudé la volonté claire du législateur qui considère que même s’il y a surexcitation des esprits à la suite d’événements politiques ou sociaux récents (ou) prévision de manifestations simultanées organisées par des groupements opposés, l’autorité administrative a l’obligation d’encadrer la manifestation. Ainsi, le refus du Préfet, en sus de son illégalité manifeste, correspond à l’arbitraire d’une administration peu soucieuse des libertés fondamentales. L’administration sort de l’orthodoxie de la légalité pure en ce qu’elle ne justifie pas, pour fonder son refus, de l’insuffisance de forces de sécurité.
Le droit que nous enseignons est à rebours de la position défendue par la Cour suprême.
Dans les décisions Alioune TINE (Cour suprême 13 octobre 2011), Sidia BAYO (Cour suprême, 13 janvier 2015), Amnesty international Sénégal (Cour suprême, 09 juin 2016), Assane BA et deux autres (Cour suprême, 23 mai 2019) etc., la Cour suprême fit sienne l’affirmation selon laquelle « en matière de police, la liberté est la règle et la restriction, l’exception ». Dans toutes les affaires susmentionnées, la Cour suprême prit la décision d’annuler les arrêtés préfectoraux interdisant des réunions publiques. Elle se fondait alors sur un argumentaire technique indiscutable : « s’il incombe à l’autorité administrative compétente, de prendre les mesures qu’exige le maintien de l’ordre, elle doit concilier l’exercice de ce pouvoir avec le respect de la liberté de réunion garantie par la Constitution ». Le droit que nous enseignons part du principe simple que le juge de l’excès de pouvoir doit, sans aucune autre considération, veiller à ce que les autorités de police administrative ne portent pas atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale au-delà de ce qui est nécessaire au maintien de l’ordre public. Ce concept ne relève nullement d’une vue de l’esprit mais d’une appréciation concrète de la situation. En matière de police, « la liberté est la règle et la restriction de police l’exception ». La Cour suprême a toujours respecté ce principe dans sa jurisprudence antérieure. Comment comprendre alors le traitement judiciaire de la requête en référé-liberté aux fins d’ordonner la suspension des effets de l’arrêté n°198/P/D/DK du 15 juin 2022 portant interdiction d’un rassemblement sur la voie publique ? Cette requête a été régulièrement introduite en application de l’article 85 de la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017. L’atteinte à la liberté fondamentale de manifestation est grave et manifestement illégale pour défaut de base légale ; l’autorité ayant fondé son acte sur une règle juridique inapplicable. En effet, l’article L. 61 ne peut nullement être invoqué à l’appui d’une interdiction de manifestation. Cette disposition s’adresse aux médias. Il leur est interdit d’être les supports d’une propagande déguisée durant les trente (30) jours précédant l’ouverture de la campagne officielle électorale. Cela n’a rien à voir avec le droit de manifester. Et la Cour suprême a elle-même violé le Droit.
Le droit que nous enseignons s’inscrit aux antipodes de la surprenante sortie du Gouverneur de Dakar.
Comment comprendre la sortie du Gouverneur de Dakar en parfaite méconnaissance de la loi n° 2021-35 du 23 juillet 2021, modifiée, portant Code électoral qui charge le CNRA de veiller à l’application stricte de cette interdiction faite aux médias ? Il lui appartient, en cas de violation de cette interdiction, de proposer des formes appropriées de réparations au bénéfice de tout candidat, de tout parti politique ou coalition de partis politiques lésés. Comment peut-il alors se fonder sur ces dispositions pour interdire une manifestation ? L’exercice de la liberté de réunion consacré par la Constitution ne saurait être suspendu de manière générale et absolue par l’autorité administrative sur le simple fondement d’une disposition du Code électoral.
Le droit que nous enseignons s’éloigne du raisonnement abscons du juge constitutionnel sénégalais dans sa décision n° 9/E/2022.
Après avoir rappelé clairement dans le considérant n° 7 de sa décision les exigences de la parité, le juge constitutionnel se limite à dire qu’« aucune disposition du code électoral ne prévoit qu’un vice entachant l’une des listes puisse avoir des répercussions sur l’autre ». Le droit enseigné dans les facultés de sciences juridiques et politiques postule l’unicité de la liste au scrutin proportionnel. Laquelle liste est composée de candidats titulaires et de candidats suppléants. Ce principe se fonde sur certaines dispositions du Code électoral, notamment l’article L. 149 qui dispose : « Pour pouvoir valablement présenter UNE liste de candidats, les partis politiques légalement constitués et les entités regroupant des personnes indépendantes, doivent recueillir la signature … ». Si, comme le pense à tort le juge constitutionnel, il y a deux listes, pourquoi le législateur dispose à l’article L.154 du Code électoral, que « CHAQUE liste de candidats au scrutin de représentation proportionnelle avec liste nationale comprend cinquante (50) candidats suppléants » ? Le Conseil constitutionnel n’a pas dit le droit et n’honore pas le monde du droit. Il cloue au pilori, contre la grammaire du droit électoral, le principe de l’indivisibilité ou de l’indétachabilité de la liste nationale. Il demeure constant que la règle qui s’applique à une liste de candidats est celle de l’entière solidarité entre titulaires et suppléants. La liste proportionnelle étant une et indivisible, le destin des candidats titulaires et des suppléants est indéniablement lié. Ce faisant, le Conseil constitutionnel sort du droit. Le statut de régulateur qu’il avait pourtant brandi dans sa décision n° 2-C2021 du 20 juillet 2021 n’est pas pleinement assumé. La sagesse inscrite au frontispice de l’institution devrait l’empêcher de conduire notre pays, le Sénégal, vers une impasse juridique et sociale certaine.
ONT SIGNÉ
Mame Penda Ba, Professeure assimilée en sciences politiques, Agrégée des Facultés de droit, UFR SJP/UGB Tapsirou Ba, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB Philippe Bassène, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SES/UASZ Jean Charles Biagui, Maître de conférences assimilé en sciences politiques, FSJP/UCAD Marie Bouaré, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB Mouhamadou Boye, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB Aminata Cissé-Niang, Professeure assimilée en droit, Agrégée des Facultés de droit, FSJP/UCAD Jean-Louis Corréa, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, UVS Karamoko Demba, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Fatimata ia-Biaye, Professeure assimilée en droit, Agrégée des Facultés de droit, FSJP/UCAD Abdoulaye Diallo, Maître de conférences assimilé en droit, SES/UASZ Pape Fara Diallo, Maître de conférences titulaire en sciences politiques, UFR SJP/UGB Thomas DIATTA, Maître de conférences assimilé en droit, SES/UASZ Moussa Diaw, Maître de conférences titulaire en sciences politiques, UFR SJP/UGB Karounga Diawara, Professeur titulaire de droit, Université Laval, Québec Abou Adolf Dieme, Maître de conférences assimilé en droit, SES/UASZ Abdoulaye Dieye, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD Adrien Dioh, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB Maurice Soudieck Dione, Professeur assimilé en sciences politiques, Agrégé des Facultés de droit, UFR SJP/UGB Yacente Diène Dione, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Abdou Khadre Diop, Maître de conférences titulaire en droit, UVS Abdoul Aziz Diouf, Professeur Titulaire de droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD Christian Ousmane Diouf, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Gane Diouf, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Massamba Gaye, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD Souleymane Gaye, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Ababacar Gueye, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Abdoulaye Guissé Maître de conférences assimilé en droit, UFR SES/UASZ Zeinab Kane, Maître de conférences titulaire en droit, UFR ECOMIJ/UADB Dieynaba Ndiaye, Professeure de droit, Université de Québec à Montréal El Hadji Samba Ndiaye, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD Ndéye Astou Ndiaye, Maître de conférences titulaire en sciences politiques, FSJP/UCAD Ndéye Coumba Madeleine Ndiaye, Professeure assimilée en droit, Agrégée des Facultés de droit, FSJP/UCAD Sidy Alpha Ndiaye, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD Thierno Amadou Ndiogou, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD Amary Ndour, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Nogaye Ndour-Niang, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Moustapha Ngaide, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD Babacar Niang, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD Bachir Niang, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB Bira Lo Niang, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD Mouhamed Bachir Niang, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD Yaya Ning, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB Moussa Samb, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/UCAD Yamar Samb, Professeur assimilé en droit, Agrégé des Facultés de droit, UFR SJP/UGB Salif Sané, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SJP/UGB Abdou Yade Sarr, Maître de conférences assimilé en droit, FSJP/UCAD Marie-Pierre Sarr-Traoré, Maître de conférences titulaire en droit, FSJP/UCAD Ibrahima Seck, Maître de conférences assimilé en droit, UFR SES/UASZ Mamadou Seye, Maître de conférences assimilé en droit, UFR ECOMIJ/UADB Ibrahima Silla, Maître de conférences titulaire en sciences politiques, UFR SJP/UGB
PAR Yann Gwet
UNE DÉMOCRATIE AFRICAINE À INVENTER
Il convient de se libérer de l’influence occidentale qui pèse sur la vie intellectuelle africaine, non pas nécessairement pour voguer vers des cieux asiatiques, mais pour penser par nous-mêmes, en fonction de nos aspirations
Le Sommet de Copenhague sur la démocratie a eu lieu les 9 et 10 juin dernier. Il s’est tenu dans le contexte d’une guerre russo-ukrainienne qui, parmi d’autres évènements, accentue les lignes de fracture au sein de la communauté des nations. Comme à l’époque de la guerre froide, l’affrontement est présenté comme fondamentalement idéologique. D’un côté, il est question, nous dit-on, d’un corps-à-corps entre « démocraties » et « autocraties » ; de l’autre, d’une croisade contre l’impérialisme occidental et en faveur de la souveraineté des peuples.
Ces débats peuvent paraître éloignés des préoccupations des pays africains, pourtant ils les concernent directement. Après tout, la vague de putschs qui a balayé des gouvernements d’Afrique centrale et de l’Ouest ces derniers mois a remis au goût du jour le sempiternel débat sur l’enjeu de la gouvernance. Par ailleurs, des manifestations antifrançaises continuent d’avoir lieu dans divers pays africains pour réclamer le respect, par la France, de la souveraineté des peuples d’Afrique.
La question reste donc posée à chaque Africain concernant le type de régime politique qui sied le mieux aux intérêts du continent. Il se trouve qu’elle a été soumise récemment à de nombreux jeunes (âgés de 18 à 24 ans) par la fondation sud-africaine Ichikowitz, dans une étude menée à travers une quinzaine de pays. Selon les résultats, 53 % des sondés estiment que « la démocratie à l’occidentale ne convient pas au contexte africain. Les pays devront [donc] concevoir leurs propres systèmes et institutions démocratiques pour se développer ». Pour 39 % des sondés, en revanche, la réplique du modèle démocratique occidental est la voie du salut. Près de 74 % des jeunes gens interrogés s’accordent néanmoins sur l’idée que « la démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement et devrait être recherchée ».
À quoi pourrait ressembler ce système politique dont le visage devrait être différent du modèle occidental sans pour autant trop s’en éloigner ? Difficile à dire. Mais peut-être le fait que la création d’emplois bien rémunérés soit « la priorité principale » pour ces jeunes, qu’en outre ils considèrent l’égalité des citoyens devant la loi, la liberté d’expression et les élections « libres et transparentes » comme « les piliers les plus importants de la démocratie », permet-il d’y voir clair. En fait, pas vraiment. Après tout, les piliers mentionnés constituent le socle des démocraties libérales occidentales. À quoi on peut objecter que les exemples abondent de régimes rompus aux élections « libres et transparentes » qui produisent des pouvoirs incapables de réduire le chômage et de créer des emplois à la mesure des besoins de leur économie ; à l’inverse, certains régimes peu convaincus des vertus de la démocratie élective s’avèrent redoutablement efficaces.
Les Chinois satisfaits de leur gouvernement
Les résultats de l’Indice de perception de la démocratie 2022 (IPD) – présentée comme « l’étude la plus exhaustive sur la démocratie au niveau mondial », même si elle réussit l’exploit d’ignorer l’Afrique – publiés par l’Alliance des démocraties, sponsor du Sommet de Copenhague, donnent des informations qui permettent de progresser dans notre réflexion. Le tableau d’honneur des pays dont les citoyens considèrent qu’ils sont les plus démocratiques comprend la Chine (83 %), le Vietnam (77 %), Taïwan (75 %).
par l'éditorialiste de seneplus, Jean-Claude Djéréké
LA DENT DE PATRICE LUMUMBA
EXCLUSIF SENEPLUS - Les pays qui ont trempé dans le lâche assassinat de Lumumba doivent être jugés en Afrique. C’est le minimum qui puisse être exigé par un peuple qui souhaite se faire respecter. Trop de blessures injustement infligées à l’Afrique
Jean-Claude Djéréké de SenePlus |
Publication 25/06/2022
À peine les Belges ont-ils rendu une dent couronnée d’or de Patrice Lumumba, que certains Nègres, superficiels et émotifs, se sont mis à se réjouir et à remercier le bourreau. Il ne manque plus que les danses endiablées pour que la boucle de l’inconscience soit bouclée.
En effet, dans les jours ou semaines à venir, les éternels complexés danseront ici et là, puisque la danse est dans le sang de l’Africain, pour exprimer leur reconnaissance à cette Belgique qui a bien voulu restituter la dent de Lumumba. Or, en pareille circonstance, pour des personnes qui ont le sens de la dignité et de l’honneur, il ne s’agit, ni de gratitude ni de réjouissances, mais de gravité et de colère car Lumumba n’est pas mort de maladie. Il a subi d’atroces souffrances, a été torturé, humilié et animalisé. Son corps a été découpé en morceaux, puis dissous dans de l’acide sulfurique. En plus du silence que commande un tel événement, il faut se poser quelques questions : Qu'est-ce qui prouve que cette dent appartient à l’ancien Premier ministre du Congo ? A-t-on procédé à un test ADN ? Pourquoi le leader congolais fut-il assassiné ?
Lumumba fut éliminé parce que, dans son discours prononcé devant Gustave Baudoin, le roi des Belges, le 30 juin 1960, il avait déclaré que son pays traiterait désormais d’égal à égal avec l’ancienne puissance colonisatrice et que les Congolais étaient fiers d’avoir mené la lutte contre le colonialisme qui les méprisait, les bastonnait, les exploitait, les chosifiait et crachait sur eux, parce qu’il voulait “montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière”, parce que sa proximité avec Moscou et Pékin dérangeait les pays occidentaux.
À supposer que ce soit vraiment la dent de Lumumba, pourquoi la Belgique a-t-elle attendu 61 ans pour la restituer ? Faire tuer quelqu'un parce qu'il a dit ce qu’il pensait, parce qu’il refusait d'être un traître à la patrie, parce qu'il voulait défendre les intérêts de son peuple, et faire semblant de regretter ce crime six décennies après, n'est-ce pas un peu trop facile ? Quand on sait que le Blanc ne fait jamais rien pour rien, on peut se demander si les Belges ne poursuivent pas un objectif précis en restituant la dent de Lumumba. La France et l’Europe en général n’ont plus bonne presse en Afrique. Un peu partout, on assiste à une rébellion de la jeunesse africaine contre l’homme blanc. De Dakar à N’Djamena en passant par Bamako et Ouagadougou, les peuples africains demandent la fin du franc CFA, le départ des bases militaires étrangères et la non-immixtion de l’Europe dans les affaires africaines. Dans ce contexte, on peut bien imaginer que les Européens veulent se servir de la restitution de la dent de Lumumba et du retour des œuvres d’art africains pour se “réconcilier” avec les Africains. On peut croire que, en posant un tel geste, ils espèrent faire baisser la tension entre l’Afrique et l’Europe. Mais suffira-t-il de rendre la dent de Lumumba pour que les Africains ne gardent plus une dent contre l’Occident ? Rien n’est moins sûr. Car il y a un lourd contentieux entre les deux continents. Trop de blessures ont été injustement infligées à l’Afrique. Il est illusoire de penser que ce sont des gestes symboliques qui pourront guérir ces blessures.
Au-delà de sa famille et de son pays, Lumumba appartient à toute l'Afrique. Cette Afrique, qui n'a pas fini de le pleurer, devrait dire non à de petits arrangements entre le gouvernement belge et la famille de Lumumba. Elle ne devrait pas non plus accepter les plates excuses d'une Europe qui n'a pas encore démontré par des actes qu'elle a dit adieu au crime, à la barbarie et au racisme.
Les pays qui ont trempé dans le lâche assassinat de Lumumba doivent être jugés en Afrique. C’est le minimum qui puisse être exigé par un peuple qui souhaite se faire respecter.
Y en a marre des excuses hypocrites et des larmes de crocodile.
Sur un continent où la disparition d’un seul leader d'envergure suffit pour que le destin de tout un peuple se trouve détraqué, nombreuses sont les leçons que les peuples africains peuvent tirer du sacrifice consenti par Patrice Lumumba
Sa famille semble apaisée de pouvoir donner enfin à Patrice Emery Lumumba une sépulture où reposer en paix. Alors que les populations de la République démocratique du Congo, dans une ferveur perceptible, n’en finissent pas de s’incliner devant la seule relique qui reste du héros panafricaniste, certains Africains refusent de se résoudre à cet apaisement voulu par sa famille, et continuent de crier leur colère. Comment expliquer cela ?
À l'indépendance, Patrice Lumumba était de ces leaders totalement en phase avec leur peuple et leur patrie. Il portait les espérances de l’Afrique, avec une détermination qui a vite effrayé le néocolonialisme naissant, dont les tenants étaient, pour la plupart, dans le camp occidental. Le langage, pour exprimer alors la foi panafricaniste, résonnait aux oreilles de l'Occident comme le pire péril communiste. En pleine guerre froide, l’Ouest comme l’Est n'envisageait avec l'Afrique qu'un amour exclusif, frisant le totalitarisme. Et l’assassinat, l’aurions-nous oublié, est un moyen de travail habituel et justifié du totalitarisme cynique.
D'où la cruauté avec laquelle ils ont achevé Lumumba, et qui continue de révulser des millions d’Africains. Car, selon les propres mots de Lumumba, « les blessures sont encore trop douloureuses, aujourd'hui, pour que l’Afrique puisse les chasser de sa mémoire ».
Certes, la récupération de cette dent met fin à six décennies de profanation du corps du héros continental. Mais, respecter la paix du cœur voulue par la famille n’empêche pas de décolérer, rien qu’en imaginant l’inhumaine férocité avec laquelle ces gens ont achevé ce leader posé, pacifique, qui n’avait pour seule arme que la puissance du verbe, au service de la dignité de son peuple. Ni canif ni rien d'autre, pour agresser ou pour se défendre.
Si nous nous sevrons des énergies fossiles, les gains seront considérables, et pas seulement pour le climat. Les prix de l’énergie seront moins élevés et plus prévisibles, ce qui aura des retombées positives sur la sécurité alimentaire et économique
La seule solution pour parvenir à la sécurité énergétique, à la stabilité des prix de l’électricité, à la prospérité et pour que la planète reste habitable, c’est d’abandonner les combustibles fossiles polluants et accélérer la transition énergétique fondée sur les énergies renouvelables
Néron est tristement célèbre pour avoir joué du violon pendant que Rome brûlait. Aujourd’hui, certains dirigeants font pire. Ils mettent littéralement de l’huile sur le feu. Alors que les répercussions de l’invasion de l’Ukraine par la Russie se ressentent dans le monde entier, la réponse de certaines nations à la crise énergétique croissante a été de doubler la mise sur les combustibles fossiles -en injectant des milliards de dollars supplémentaires dans le charbon, le pétrole et le gaz, les matières mêmes qui sont à l’origine de l’aggravation de notre urgence climatique.
Pendant ce temps, tous les indicateurs climatiques continuent de battre des records, annonçant un avenir émaillé de tempêtes féroces, d’inondations, de sécheresses, d’incendies de forêt et de températures invivables sur de vastes étendues de la planète. Notre monde sombre dans le chaos climatique. Il est insensé de verser de nouveaux financements dans les infrastructures d’exploration et de ¬production de combustibles fossiles. Les énergies fossiles ne sont pas la solution, et ne le seront jamais. Nous pouvons voir de nos propres yeux les dégâts que nous causons à la ¬planète et à nos sociétés. On en parle tous les jours dans les médias, et personne n’est à l’abri.
Les combustibles fossiles sont précisément la cause de la crise climatique. Seules les énergies renouvelables constituent une réponse -pour limiter les dérèglements climatiques et renforcer la sécurité énergétique. Si nous avions investi plus tôt et massivement dans les énergies renouvelables, nous ne nous retrouverions pas une fois de plus à la merci de l’instabilité des marchés des combustibles fossiles. Les énergies renouvelables sont les garantes de la paix au XXIe siècle. Mais la bataille pour une transition énergétique rapide et juste ne se livre pas à armes égales. Les investisseurs continuent de soutenir les combustibles fossiles et les Etats ¬continuent de distribuer des milliards de dollars de subventions pour le charbon, le pétrole et le gaz, soit quelque 11 millions de dollars par minute.
Il y a un terme pour désigner le fait de privilégier le soulagement à court terme au détriment du bien-être à long terme : l’addiction. Nous sommes encore dépendants aux combustibles fossiles. Pour la santé de nos sociétés et de notre planète, nous devons nous sevrer. Immédiatement. La seule solution pour parvenir à la sécurité énergétique, à la stabilité des prix de l’électricité, à la prospérité et pour que la planète reste habitable, c’est d’abandonner les combustibles fossiles polluants et accélérer la transition énergétique fondée sur les énergies renouvelables.
A cette fin, j’ai exhorté les ¬gouvernements du G20 à démanteler les infrastructures charbonnières, en vue de leur¬élimination complète d’ici à 2030 pour les pays de l’Ocde et d’ici à 2040 pour tous les autres. J’ai demandé instamment aux acteurs financiers d’abandonner le financement des combustibles fossiles et d’investir dans les énergies renouvelables. Et j’ai proposé un plan en cinq points pour stimuler les énergies renouvelables sur tout le globe.
Premièrement, nous devons faire de la technologie des énergies renouvelables un bien public mondial, notamment en abolissant les règles de propriété intellectuelle qui font barrière au transfert de technologies.
Deuxièmement, nous devons améliorer l’accès mondial aux chaînes d’approvisionnement en composants et matières premières nécessaires pour les technologies d’énergie renouvelable. En 2020, il existe 5 gigawatts de stockage par batterie à ¬l’échelle mondiale. Il nous faut 600 gigawatts de capacité de stockage d’ici à 2030. Il est ¬évident qu’il faut une coalition mondiale pour y parvenir. Les goulets d’étranglement dans le transport maritime, les contraintes exercées sur la chaîne d’approvisionnement et la hausse des coûts du lithium et d’autres métaux pour ¬batteries freinent le déploiement de ces technologies et matériaux au moment même où nous en avons le plus besoin.
Troisièmement, nous devons réduire les formalités administratives qui bloquent les projets solaires et éoliens. Il faut des procédures d’approbations accélérées et plus d’efforts pour moderniser les réseaux -électriques. Dans l’Union européenne, il faut huit ans pour approuver un parc éolien et dix aux Etats-Unis. En République de Corée, les projets d’éoliennes terrestres exigent 22 permis délivrés par huit ministères différents.
Quatrièmement, le monde doit réorienter les subventions aux énergies fossiles pour protéger les personnes vulnérables des chocs énergétiques et investir dans une transition juste vers un avenir durable.
Et cinquièmement, nous devons tripler les investissements dans les énergies renouvelables. Cela concerne les banques multilatérales de développement et les institutions de financement du développement, de même que les banques commerciales. Elles doivent toutes augmenter et stimuler considérablement les investissements dans les énergies renouvelables.
Nous avons besoin d’une conscience plus aiguë de l’urgence chez tous les dirigeants mondiaux. Nous sommes déjà dangereusement proches du seuil des 1,5°C qui, d’après la science, est le niveau maximum de réchauffement tolérable pour éviter les pires conséquences climatiques. Pour que le seuil de 1,5°C reste réaliste, nous devons réduire les émissions de 45% d’ici à 2030 et atteindre zéro émission nette au milieu du siècle. Or les engagements nationaux actuels entraîneront une augmentation de près de 14% au cours de la présente décennie. C’est la catastrophe assurée.
La réponse est dans les énergies renouvelables -pour l’action climatique, pour la sécurité énergétique et pour fournir de l’électricité propre aux centaines de millions de personnes qui en sont actuellement privées. Les énergies renouvelables présentent un triple avantage.
Il n’y a aucune excuse pour s’opposer à la révolution des énergies renouvelables. Alors que les prix du pétrole et du gaz atteignent des niveaux record, les énergies renouvelables sont de moins en moins coûteuses. Le coût de l’énergie solaire et des batteries a chuté de 85% ces dix dernières années. Le coût de l’énergie éolienne a baissé de 55%. Et les investissements dans les énergies renouvelables créent trois fois plus d’emplois que les investissements dans les énergies fossiles.
Bien sûr, les énergies renouvelables ne sont pas la seule réponse à la crise climatique. Les solutions fondées sur la nature, telles que l’inversion de la déforestation et de la dégradation des sols, sont tout aussi indispensables, de même que les efforts visant à promouvoir l’efficience énergétique. Mais nous devons avoir l’ambition d’accomplir une transition rapide vers les énergies renouvelables.
Si nous nous sevrons des énergies fossiles, les gains seront considérables, et pas seulement pour le climat. Les prix de l’énergie seront moins élevés et plus prévisibles, ce qui aura des retombées positives sur la sécurité alimentaire et économique. Lorsque les prix de l’énergie montent, le coût des denrées alimentaires et de tous les biens dont nous dépendons s’envole dans leur sillage. Il nous faut donc d’urgence une révolution des énergies renouvelables : reconnaissons-le enfin tous et cessons de jouer du violon pendant que notre avenir brûle.
SY MALICK !
Cent ans. Etre célébré 100 ans après sa disparition, il faut être… un être exceptionnel pour avoir un tel privilège. Seydi El hadj Malick Sy en est un. Ainsi donc, voilà un siècle que Mame Maodo n’est plus de ce monde.
Cent ans. Etre célébré 100 ans après sa disparition, il faut être… un être exceptionnel pour avoir un tel privilège. Seydi El hadj Malick Sy en est un. Ainsi donc, voilà un siècle que Mame Maodo n’est plus de ce monde. En effet, le 27 juin 1922, disparaissait Cheikh al-Saïdi al-Hadji Malick ibn Ousmane ibn Demba Chamseddine Sy, après avoir accompli sa mission de commandeur des croyants. A 67 ans à son décès, le fils de Mame Fawade Wélé rendait à son Créateur une copie avec la mention honorable tant est immense sa contribution à la diffusion au Sénégal, en Afrique et dans le monde de l’école de jurisprudence malikite et de la tarikha soufie tidjane. « Zéro faute », diraient les sages de Gaé, village au cœur du Walo où naquit le guide religieux. Si Seydi El hadj Malick est encore et pour l’éternité, présent dans les cœurs et les esprits, c’est parce qu’il n’avait jamais dévié de la voie de la Tijanyya tracée par Cheikh Ahmed Tidiane Chérif avec le souci d’être et de rester le digne continuateur de l’œuvre d’El hadj Omar al-Foutiyou Tall. Le tout et avant tout au service exclusif d’Allah (SWT) et de son prophète Mohamed (PSL).
Tous les chemins mèneront à Tivaouane la Sainte, à partir de ce vendredi 24 jusqu’au lundi 27 juin. Va donc pour Tivaouane ! Pour s’abreuver à la source intarissable que sont la vie et l’œuvre de Maodo en matière d’être et de savoir-être. En digne héritier et dans le sillage de ses prédécesseurs, le khalife général des Tidjanes, Serigne Babacar Sy Mansour a fait preuve de leadership en célébrant le Centenaire de son vénéré grand-père. Il fallait y penser d’abord et le faire ensuite. Non seulement il y a pensé, mais également il l’a fait. Lui, Mbaye Sy Mansour, est aussi sur le point de réaliser une prouesse historique : achever les travaux de la Grande Mosquée de Tivaouane.
Il faut remonter à très loin pour mesurer la dimension de l’œuvre qu’il est en train d’accomplir. Sous le contrôle des historiens et archivistes, l’arrêté accordant une parcelle de terrain à Tivaouane à l’effet d’édifier une Mosquée fut signé le 17 février 1903 de la main du Lieutenant-Gouverneur du Sénégal, établi à Saint-Louis. Il accédait ainsi à la demande formulée par les nommés Diocounda N’Diaye et consorts agissant, bien entendu, au nom et pour le compte de Seydi El hadj Malick. A une époque où l’islam avait encore des bastions à conquérir en milieu thiéddo, la vision de l’érudit tidjane reposait sur le fait que « les règles d’application orthodoxe de la religion requéraient les dispositions suivantes : une mosquée, une zawiya et une surface cultivable. Ce n’est pas un hasard si Serigne Babacar Sy Mansour, ce fils de Serigne Mansour Sy Malick, porte sur ses frêles et larges épaules le surnom « gardien du temple ».
Un centenaire peut en cacher ou en révéler un autre. La commémoration du siècle de la disparition de Cheikh al-Saïdi al-Hadji Malick Sy coïncide avec celle des 100 ans de la disparition d’un autre guide tout aussi prestigieux de la confrérie tidjane. Il s’agit de Cheikh El hadji Abdoullahi Niass, père du Cheikh al-Islam Ibrahim Niass dit Baye Niass. Ce n’est pas la seule coïncidence ou curiosité à relever dans la vie de nos vénérés. Seydi Malick Sy et El hadj Abdoulaye Niass, disparus la même année 1922, étaient les aînés de 5 ans de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Et tenez-vous bien, c’est également 5 ans après, en 1927, que disparut le fondateur du Mouridisme. Si le Sénégal commémore aujourd’hui le double centenaire de la disparition, en 1922, d’El hadj Malick et El hadj Abdoulaye Niass, cela signifie que notre pays se prépare déjà à commémorer dans 5 ans, un autre centenaire, celui de la disparition de Mame Serigne Touba. Et vous comprendrez mieux le lien qui existait et qui existe toujours entre Tivaouane et Touba quand on vous dit que parmi les grands bienfaiteurs des travaux de la Grande Mosquée de Tivaouane, figurent de célèbres talibés mourides que sont feus les richissimes Serigne Mouhamadou Mbacké Gayndé Fatma, El hadj Djily Mbaye et El hadj Ndiouga Kébé.
Question de contexte après tout ce qui précède : peut-on être d’une telle descendance d’érudition, de tolérance, de solidarité et de générosité, en parlant des Sénégalais d’aujourd’hui, et promouvoir en même temps, le manque d’éducation, de discipline, de dialogue et la violence ? Il y a matière à réflexion.
Par Kadialy Gassama,
QUELLES SOLUTIONS DE SORTIE POUR L’AFRIQUE ?
Crises alimentaire et énergétique mondiales, Les nombreuses difficultés qui régissent de nos jours la marche du monde risquent de devenir de plus en plus inextricables
Les nombreuses difficultés qui régissent de nos jours la marche du monde risquent de devenir de plus en plus inextricables devant la montée en puissance des périls alimentaires dont l’accélération, à cause de la guerre en Ukraine, fait entrevoir à l’horizon le spectre d’émeutes de la faim.
En plus des perspectives déjà sombres de l’économie mondiale résultant de la pandémie du Covid-19, du changement climatique, des crises des dettes souveraines des pays de l’Ocde et ses impacts négatifs sur le niveau général des prix et les productions agricoles, la guerre en Ukraine vient complexifier davantage la situation alimentaire mondiale, plus particulièrement en Afrique et au Sud du Sahara. Si l’on n’y prend pas garde, les pays au Sud du Sahara connaîtront probablement des complications pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle de leurs populations.
En dépit des mesures coercitives et de relance de l’activité économique globale dans les pays de l’Ocde, les éclaircis tardent à se manifester alors qu’au même moment, les productions céréalières mondiales ont considérablement diminué pour atteindre un déficit de l’ordre de 30 milliards de tonnes, engendré par les effets négatifs du changement climatique sur les récoltes.
Les Usa, qui assuraient la moitié des exportations mondiales de mais et de blé, consacreront le peu de récoltes disponibles pour reconstituer ses réserves stratégiques à leur plus bas niveau. La Russie a connu le même phénomène d’une sévère sécheresse, qui a fait qu’elle réservera le peu de quantités disponibles de céréales à la nourriture de sa population, au point que les cours se soient envolés pour être proches des niveaux explosifs de 2008.
La profonde crise économique mondiale post-Covid 19, associée aux effets du changement climatique et de la guerre en Ukraine, conduit l’humanité vers des déséquilibres et perturbations des marchés ; pire, le contexte économique mondial défavorable a tendance à orienter les nations de ce monde vers des replis identitaires et d’auto-survie, provoquant une désorganisation des systèmes et accentuant davantage les instabilités dans le commerce mondial.
Au niveau de l’Omc, certaines pratiques protectionnistes et de concurrence déloyale prennent de plus en plus d’ampleur et nous font penser aux accords de partenariat économique dont l’Ue voulait faire avaler la pilule amère à l’Afrique dans l’objectif de s’octroyer des zones d’influence exclusive afin de se protéger contre la concurrence des nouvelles puissances économiques comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Il s’y ajoute la volonté des pays de l’Ocde de sortir de la tyrannie du pétrole par une croissance des surfaces arables pour la production de biocarburant et de biogaz, ce qui réduit l’offre mondiale de biens alimentaires et favorise l’explosion des cours mondiaux.
Le paradoxe en est que la lutte contre le changement climatique, par la réduction de la consommation des énergies fossiles et du nucléaire pour une énergie alternative propre avec les agrocarburants, bien que salutaire, diminue par ricochet l’exploitation des surfaces arables pour la production de biens alimentaires. De sorte que la volonté de réduire la dépendance au pétrole et au nucléaire au profit des agrocarburants dans les pays de l’Ocde, modifie les enjeux stratégiques dans les relations internationales dans le sens d’un retour vers le vieux continent et, particulièrement, vers le Sahel où existent de vastes plaines propices à la culture intensive des biocarburants. Cette option nouvelle privilégie la satisfaction des besoins énergétiques des pays de l’Ocde par rapport à la satisfaction des besoins primaires dont nous sommes loin d’atteindre l’objectif en Afrique.
L’Afrique ne devrait pas sacrifier ses terres au profit de la culture des biocarburants sous l’autel de l’alimentation des machines des puissances industrielles, tandis que ces dernières conserveront leur espace vital à la culture de biens alimentaires. C’est ainsi que la Suède envisage d’assurer son indépendance énergétique en 2025, de même que l’Allemagne fédérale et la France, au point qu’il aura fallu consacrer tout le territoire de ces trois pays à la culture du colza pour supprimer leurs importations de pétrole. Mais, l’exigence d’assurer la couverture alimentaire des populations de ces trois pays et la nécessité de recourir à l’énergie verte ont conduit les gouvernements à édicter un code d’utilisation et d’affectation des terres afin de préserver les équilibres nécessaires pour les productions vivrières.
L’heure est devenue grave, surtout dans nos pays sahéliens à situation alimentaire précaire et à faible revenu, vers lesquels les multinationales et puissances économiques, en vue de disposer de terres arables dans leur pays pour la production d’une énergie verte, reviennent à grandes enjambées pour recoloniser l’Afrique afin d’assurer leur survie devant le changement climatique.
Les chocs alimentaire et énergétique, qui risquent de s’amplifier, pouvaient être jugulés, sinon atténués, si des mesures résilientes de priorisation de l’économie rurale avaient été très tôt prises à la suite des émeutes de la faim de 2007, en consacrant une part plus importante du budget national au secteur primaire et à la production d’une énergie alternative à l’énergie thermique. Ce souci de résilience aux chocs alimentaires exogènes nous aurait permis de réduire davantage notre dépendance alimentaire et de nous éloigner de la tyrannie du pétrole (énergie solaire et éolienne, microbarrages pour la production d’électricité, maîtrise de l’eau et lutte contre la salinisation des sols). Cependant, les perspectives plus intéressantes de la production de gaz naturel au Sénégal nous permettront, à court terme, de réduire le choc énergétique exogène, sinon d’être en la matière un pays exportateur net.
Les problématiques essentielles du développement véritable dans nos formations sociales relèvent principalement de phénomènes économiques se rapportant à des mesures dont les effets se projettent sur un temps assez long. Si bien que dans nos pays, les problématiques relatives au développement durable sont en effet les plus importantes et constituent les contraintes majeures en ce qu’elles sont à la base de la production de richesses dans les secteurs stratégiques que sont le secteur primaire et le secteur secondaire, qui occupent la plus grande partie du potentiel productif et de l’utilisation du travail.
Il faut convenir qu’entre ces deux chocs, alimentaire et énergétique, celui alimentaire reste le plus dévastateur et le plus pernicieux au vu des crises sociales du travail et des désorganisations dans les systèmes que cela pourrait induire, pouvant provoquer des chutes de taux de croissance, des déficits récurrents, la montée de la demande sociale et l’affaiblissement des capacités d’intervention de la puissance publique.
La Fao vient une nouvelle fois de tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité urgente des Etats se trouvant au Sud du Sahara de mettre l’agriculture au service du développement et d’agir vite afin d’augmenter les surfaces arables pour la production de biens alimentaires et relever les faibles croissances des productions agricoles, tout le contraire de servir les intérêts des multinationales en leur octroyant des quantités industrielles de terres arables pour nourrir les machines dans les puissances industrielles au détriment de nos populations, de notre faune et de notre flore. Il reste entendu que l’exploitation intensive des surfaces arables pour la culture du biocarburant appauvrit de façon rapide les sols.
A cet effet, l’agriculture ne doit pas être considérée comme une simple question de sécurité alimentaire, mais comme une question fondamentale qui se trouve au cœur du développement de nos Etats, en ce qu’elle permettra de stimuler la croissance économique globale et d’offrir à la majorité de la population différentes voies possibles pour sortir de la pauvreté. Car la croissance économique qui profite à des minorités et des entreprises privées étrangères qui n’ont comme viatique que la recherche effrénée du profit dans les domaines des infrastructures de prestige, de l’immobilier ou de l’agrobusiness, renforce la pauvreté et creuse les inégalités dans nos Etats, tout en aggravant la destruction de l’environnement.
Moins d’argent public dans le monde rural équivaut à un surplus de problèmes macroéconomiques et sociaux, d’une dette plus accrue, d’une pauvreté plus grande. L’élasticité de la réduction de la pauvreté, au regard des composantes sectorielles de la croissance, montre l’importance du secteur agricole dans ce domaine. Une hausse de 1% de la contribution de l’agriculture au Pib augmente le revenu des pauvres jusqu’à concurrence de 2%, tandis qu’elle est de 1,2% dans l’industrie et de 0,8% pour les services et infrastructures.
Le président Mamadou Dia avait eu raison en ayant très tôt la bonne inspiration de fonder sa pensée économique pour le développement intégral du Sénégal sur la promotion de l’économie rurale. Aujourd’hui, la primauté du développement de l’économie rurale et de l’agriculture est plus que nécessaire afin de contrecarrer, sinon d’amoindrir les chocs externes. C’est dire que les orientations économiques et les plans de développement économique et social, selon la vision du président Dia, étaient prophétiques, eu égard à la grande menace actuelle que nous vivons sur fond d’une double dépendance alimentaire et énergétique.
Il reste évident que si l’offre mondiale de biens alimentaires diminue au fur et à mesure que la demande de consommation augmente, les prix des denrées comme le blé, le maïs, le riz le mil et les autres biens de consommation comme le lait, la viande, vont subir des explosions dans le marché mondial ; ce qui est actuellement le cas. Nous nous souvenons des émeutes de la faim des années 2007 et 2008 au Sénégal et dans certains pays d’Afrique, si des mesures d’urgence de sauvegarde ne sont pas immédiatement prises pour améliorer les productions et constituer des stocks stratégiques de sécurité alimentaire, les mêmes causes vont produire les mêmes effets.
Il semble que la providence va nous gratifier (d’après la météo) cette année d’une bonne pluviométrie, mais attention, cette clémence de la providence n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le Sénégal gagnerait à s’orienter vite vers une plus grande maîtrise de l’eau, une vraie bataille d’envergure pour vaincre la salinisation et l’appauvrissement des sols et l’augmentation assez substantielle des surfaces arables, en plus de la modernisation de l’agriculture, du relèvement de la productivité du travail, de la création de chaînes de valeurs et de la réduction du coût du loyer, afin de réaliser la souveraineté alimentaire du pays. De ce point de vue, il est absolument heureux que le Président Macky Sall se soit inscrit depuis longtemps déjà dans la perspective d’accroître sensiblement les ressources vers le secteur primaire stratégique pour l’autosuffisance alimentaire du Sénégal.
Les mesures tarifaires par l’instrumentation des droits de porte et de la fiscalité intérieure seront des mesures certes nécessaires, mais pas suffisantes sur les prix internationaux dont les niveaux sont déterminés à partir du jeu entre l’offre et la demande mondiales de biens alimentaires, les seules variables principales de la modification des prix relatifs.
La lutte contre la faim et la sous-alimentation dans un contexte mondial défavorable qui ira en s’aggravant sous l’effet du changement climatique et de la croissance démographique mondiale, nous impose la constitution d’une coalition nationale pour la révolution agricole dans notre pays, afin de développer efficacement les résiliences contre les chocs exogènes multiformes.
Kadialy Gassama,
Economiste
Rue Faidherbe X Pierre Verger
Rufisque
Par Serigne Saliou DIAGNE
UN GRAVE ACTE TERRORISTE
Il y a tout de même un sacré questionnement, malgré le concert de casseroles, que pose l’ambition de vouloir servir un pays et ses populations tout en cherchant à mettre à genoux ses infrastructures vitales
Les arrestations effectuées par les Forces de défense et de sécurité, avant la manifestation interdite de la coalition Yewwi askan wi (Yaw) du 17 juin, ont le mérite d’éclairer, au fur et à mesure que l’enquête se poursuit, d’une entreprise visant à s’attaquer à des infrastructures vitales au Sénégal. Une telle situation, assez inédite dans l’action politique sous nos cieux, ne saurait être négligée pour ce qu’elle représente comme menace à l’ordre public et à la stabilité. Il ne peut être oublié le précédent de 1998 avec des syndicalistes autour de Mademba Sock, qui avaient orchestré un sabotage des installations de la Société nationale d’électricité face à un projet de privatisation. C’est toutefois une première de voir une action aux relents politiques tenter, par la terreur, de mettre à genoux le réseau électrique malgré toutes les sombres conséquences.
Si l’on en vient dans l’action politique à penser à saborder des infrastructures vitales comme des installations de la Senelec, on ne peut s’empêcher de croire que le fond n’est plus loin dans cette logique de détricotage du tissu de stabilité sur lequel repose le Sénégal. L’enquête de la Sûreté urbaine suit son cours avec l’arrestation des principaux membres du commando dénommé la «Force spéciale», mais le coup de filet ayant permis de saisir un arsenal fait de cocktails Molotov, herses, masques à gaz, fumigènes, armes blanches et produits chimiques, en dit long sur les desseins troubles d’une opération heureusement tuée dans l’œuf. Les révélations de personnes arrêtées dans ce commando, avec comme projet de s’attaquer à la centrale d’électricité du Cap-des-Biches ainsi que leur modus operandi après avoir brûlé un poste électrique de la Senelec sur la sortie 10 de l’autoroute à péage, sont assez graves. Elles incitent surtout à de la vigilance sur les infrastructures critiques que compte le Sénégal et dont la mise à l’arrêt aurait de fâcheuses conséquences.
Les infrastructures critiques ou vitales sont tous les édifices qui, par leur fonctionnement, sont essentiels à l’activité humaine. Leur spectre est assez large, mais on peut citer toute activité essentielle à la marche d’un pays, au confort des populations et au maintien des capacités de sécurité. Cela va de l’approvisionnement en énergie à celui en eau, en passant par les télécommunications, les services bancaires, les transports et l’alimentation.
Le Sénégal dispose au stade actuel, d’un plateau d’infrastructures vitales dont la paralysie pourrait être source d’instabilité ou mener au chaos, de surcroît si les dommages venaient d’initiatives terroristes et déstabilisatrices. Que ferait-on si un jour, un blackout énergétique se produisait avec un réseau électrique hors service ? Que dirait-on si les circuits de distribution d’eau de nos centres urbains étaient paralysés ? Les actes de vandalisme commis le mois dernier sur le tracé du Train express régional (Ter), avec le sectionnement d’un câble et les perturbations subséquentes, laissent présager le pire si une attaque visait un tel système de transport.
A l’échelle internationale, la protection des infrastructures vitales est un enjeu majeur sur lequel les Etats ne badinent plus. Aux côtés des menaces physiques, l’essor des technologies a multiplié les risques potentiels, avec une cybercriminalité faisant des infrastructures vitales les cibles privilégiées pour mettre à genoux les Etats. Les attaques contre le réseau texan d’oléoducs opéré par Colonial Pipelines ou celles contre les installations du producteur d’énergie SolarWinds sont des exemples récents d’opérations subversives contre des infrastructures vitales donnant une mesure du phénomène. Le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies est monté au créneau en 2017 face à cette nouvelle donne, en invitant les Etats par la résolution 2341, à faire de la protection des infrastructures vitales un enjeu majeur de sécurité nationale.
Le Sénégal, dans son arsenal juridique, a pris en charge, dans la loi modifiant le Code pénal sur les actes terroristes en 2016, la question de la protection des infrastructures vitales. Il aurait été impossible sans une telle réforme, de qualifier les actes subversifs orchestrés par le commando funeste qu’est la «Force spéciale». Dans un monde changeant, on ne peut s’empêcher d’anticiper sur les potentiels facteurs de crise. La marche vers le progrès et le démarrage des activités dans des secteurs nouveaux pour notre pays comme l’exploitation des hydrocarbures poseront des défis certains pour la protection des diverses installations et des réseaux d’acheminement. Ce n’est vraiment pas face à un tel tournant que le Sénégal a besoin de groupes domestiques œuvrant à créer du chaos par des actions terroristes et subversives.
Il peut être vrai que le chaos soit une échelle pour des politiques opportunistes afin de se propulser. Il y a tout de même un sacré questionnement, malgré le concert de casseroles, que pose l’ambition de vouloir servir un pays et ses populations tout en cherchant à mettre à genoux ses infrastructures vitales. Ce ne serait pas une première qu’on brûle tout, quitte à régner sur des cendres. C’est peut-être ça l’amour vache ou fou (pour sa Patrie) !
Par Habib Nao
ET DE PRENDRE POSITION
Un courant anti-intellectuel parcourt notre société, porté par des forces à peines voilées mais diffuses dans le corps social global. Il y a des discours ambiants portés par les médias de plus en plus clivant
Désormais, tous les jeudis — à titre exceptionnel ce vendredi pour cause d’actualité chargée avant-hier —, nous publierons cette chronique du doyen Habib Ndao. Pour ceux qui ne le connaissent pas, ce « grand », comme on dit, qui nous fait l’honneur désormais de sa prose est un professeur de lettres de métier. Il est aussi un spécialiste de la communication qui a d’ailleurs fondé et animé un cabinet dédié à cette science. Surtout, il a animé pendant des années, dans le journal « Sud Quotidien », une chronique très populaire intitulée « Ras-le-bol ! ». Comme un pied-de-nez, il débute sa collaboration avec « Le Témoin quotidien » au lendemain d’un assourdissant concert de casseroles et de…bols ! Mais, cette fois-ci, ce n’est pas pour exprimer son « ras-le-bol » de ce qui se passe dans ce pays. Bienvenue à lui, donc.
Effort de lucidité et option de posture citoyenne ? En tout cas, prendre parole. Non pas parce que l’on est détenteur de la vérité qui instaure une communauté d’esprit au centre du débat sociétal, mais simplement parce que l’on s’impose une exigence de recul, le courage d’accepter le risque de la solitude et la menace des bourreaux de la non-pensée. Parce qu’il s’agit de cela : d’une société qui brouille les repères non comme prémisses d’un ordre nouveau qui ne saurait être différé, mais pour des ambitions circonstancielles, des appétits bien réels, portés par une classe politique qui a fait de la conquête et du maintien au pouvoir, une fin en soi. Notre société n’est en rien plus bénie de Dieu que n’importe quel autre groupe humain au monde. Comme toutes les autres sociétés, elle est traversée par des fulgurances de violence auxquelles n’échappe aucun établissement humain.
Les Hommes l’ont compris depuis la première table de Lois de Moise ! Vivre ensemble relève toujours d’une volonté concertée d’assurer la sécurité de tous à travers des dispositifs et des dispositions divers et inégaux mais qui concourent invariablement à contenir les disparités, les iniquités, les injustices dans des proportions et des conséquences relativement maitrisées.
Pour dire que la paix sociale, la paix tout court, est un ‘’construit humain’’ qui ne se décrète pas et qu’aucune invocation d’intervention non humaine ne saurait évacuer de la sphère des tissus relationnels par la simple vertu des mots : ce sont les Hommes qui portent la violence et ce sont aussi les Hommes – sûrement aidés par la force de leurs convictions et de leur foi — qui travailleront à la circonscrire pour rendre la vie ensemble possible : C’est l’enjeu fondamental de toutes les communautés vivantes.
L’enjeu ! Il n’y a pas des hommes attachés aujourd’hui à détruire le Sénégal pour des raisons qu’il faut aller chercher loin dans les instincts les plus insondables de l’homme, mais il y a, derrière toutes les flambées de violence sociétales, des responsabilités, des ambitions, des dysfonctionnements, des déséquilibres dont il faudra chercher les ressorts dans notre mode de vie, de penser, dans l’incohérence des formats d’organisation sociopolitique et dans la mauvaise application des principes structurants censés en assurer l’équilibre, la solidité et la fiabilité. Notre société a fait des progrès mais notre société n’est-elle pas aujourd’hui malade ? Que nous arrive-t-il, nous qui ne sommes ni aphones ni sourds ? Médecin, pour opposer un diagnostic d’érudit ? Que non !
Mais, le réel Africain, Sénégalais est têtu : L’Etat, en construction à travers des ‘’espaces pacifiés à la fois pour initier des synergies et gérer les divergences et conflits’’, est devenu lui-même un enjeu de réalisation personnelle et d’enrichissement licite ! De réussite tout simplement ! Il faut se regarder en face. Il ne s’agit pas de confier le destin de notre vivre ensemble aux meilleurs d’entre nous ! Il ne s’agit même pas de prendre les plus vertueux, les plus inventifs et les plus créateurs : s’il ne s’agissait que de cela, les paradigmes opérationnels seraient la Religion, la Science et l’Art !
Les errements de l’Histoire sont encore un livre ouvert ! Il s’agit plus banalement, plus pragmatiquement, plus prosaïquement, de construire le système — contrat social — le plus susceptible de stabiliser et d’épanouir le groupe.
Et de le structurer avec un arsenal de lois pour contenir les dérives, combattre les abus, sévir au besoin mais d’abord éduquer pour former et conformer en une démarche proactive de prévention et d’intégration. Avons-nous échoué ? Non pour sûr, sauf à donner raison au Racisme et aux suprématistes de tout crin. Non, sauf à poser que l’Afrique est un monde à part, une monstruosité accidentelle de l’œuvre de Dieu !
Un courant anti-intellectuel parcourt notre société, porté par des forces à peines voilées mais diffuses dans le corps social global. Il y a des discours ambiants portés par les médias de plus en plus clivant, de plus en plus excluant et de plus en plus tolérés sous l’absolution qu’autorise l’appartenance à une majorité, qu’elle soit religieuse ethnique ou autre !
La connaissance est le fondement de la société : ceux qui ne savent pas sont marginaux de fait. Il faut surtout former, éduquer pour pouvoir espérer fonder une société juste. Sinon, ceux qui parlent et vous parlent sont et resteront toujours des imposteurs et à la base des foyers de violence qui peuvent avoir raison de n’importe quel groupe. Invoquer les saints n’y fera rien !