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3 mai 2025
Opinions
PAR Mehdi Ba
MACKY SALL, LA DERNIÈRE MARCHE ?
Depuis ses débuts en politique, l’homme a su faire preuve d’un sens aigu de la stratégie. Reste que son ultime combat en politique, celui de sa succession, se jouera par procuration
La phrase, en toute logique, devrait s’écrire sans point d’interrogation. Une Constitution n’est-elle pas destinée à fixer la règle du jeu, quelle que soit l’identité du joueur ? Et pourtant…
Au Sénégal, rien ne permet de savoir ce que Macky Sall a en tête à dix-neuf mois de la prochaine présidentielle. Prendra-t-il le risque de jeter les Sénégalais dans la rue s’il se représente ? Ou bien se conformera-t-il aux dispositions de l’article 27, lesquelles stipulent que « nul ne peut exercer plus de deux mandats [présidentiels] consécutifs ». « Je répondrai à cette question après les législatives », assurait le chef de l’État dans une interview récente.
Une échéance qui vaut également, a-t-il dit, pour la nomination du futur Premier ministre, une fonction supprimée en 2019, avant d’être rétablie en décembre 2021, mais dont le siège reste vacant jusqu’ici, alors même que Macky Sall occupe depuis le début de l’année la présidence tournante de l’Union africaine. Une tâche fastidieuse pour une fin de mandat, entre régimes putschistes au sein de la Cedeao et répercussions en Afrique du conflit en Ukraine.
Depuis l’indépendance du Sénégal, seul Léopold Sédar Senghor a mis fin volontairement à son règne au terme de son mandat. Macky Sall marquera-t-il l’Histoire en se conformant à cette disposition constitutionnelle adoptée dès 2001 – sept ans avant la France – mais qui n’a, jusque-là, jamais servi ?
Défis
Abdoulaye Wade n’avait pas eu cette sagesse, et son wax waxeet (‘dire puis se dédire’, en wolof) avait obscurci sa fin de règne et provoqué sa chute. Macky Sall est bien placé pour s’en souvenir puisque l’Union sacrée entre l’ensemble des candidats alors opposés au président sortant avait largement contribué à son élection dans un fauteuil, au second tour, au soir du 25 mars 2012.
Née en 2002, l’UA continue d’être perçue par les Africains comme inefficace et peu crédible. La faute à l’absence de volonté politique de ses chefs d’État, qui renâclent à renforcer le pouvoir de l’organisation
Née en 2002, l’UA continue d’être perçue par les Africains comme inefficace et peu crédible. La faute à l’absence de volonté politique de ses chefs d’État, qui renâclent à renforcer le pouvoir de l’organisation, seul moyen de rétablir un lien de confiance avec les populations du continent.
par Adama Samaké
DE LA CORRUPTION DE LA PAROLE DANS NOTRE SOCIÉTÉ
En Côte d’Ivoire, la parole « brouteuse » a donné naissance au phénomène des « brouteurs » qui ne sont autre que des escrocs. Dans ce pays, la parole a fait de la paix un vain mot, objet de toutes sortes de surenchères
Nos Sages, dans les contrées lointaines africaines, soutiennent avec ferveur que toute chose accouche de sa progéniture, à l'exception de la parole qui accouche de sa génitrice. Autrement dit, la parole est sacrée en Afrique. Mon cher doyen Makhily Gassama affirme à juste titre, dans son célèbre ouvrage Kuma: interrogation sur la litterature negre de langue francaise que « le mot est loin d’être un élément vulgaire de la civilisation (africaine); il constitue son âme, son souffle divin ; c’est à lui qu’elle doit l’éternité de son rayonnement ». Aussi dit-on que l’honneur est dans la parole et que la parole est dans l’honneur.
Malheureusement, l’une des plaies majeures de notre société ivoirienne contemporaine est la perversion de la parole. En Côte d’Ivoire, la parole « brouteuse » a donné naissance au phénomène des « brouteurs » qui ne sont autre que des escrocs. La parole « décalée » a certes créé un rythme urbain : le « coupé décalé », mais ce phénomène, à ses débuts, cachait une vaste déconfiture de notre société ; car étymologiquement elle signifie « voler et fuir ». L’émergence des « boucantiers » dans les « atalaku » qui avaient pour corollaire la « distribution » éhontée de billets de banques était une vaste escroquerie morale. Dans ce pays, la parole a fait de la paix un vain mot, objet de toutes sortes de surenchères et d’opportunismes.
Symbole de la dislocation des valeurs, la parole a perdu sa substance, sa sacralité légendaire africaine en Côte d’Ivoire. Ainsi voit-on des intellectuels chevronnés, des juristes émérites dire et dédire le droit au gré de leurs intérêts mesquins, de simples élections footballistiques bloquées pour déficit de transparence dans la communication, etc. La jeunesse alors flouée trouve refuge dans la quête effrénée de « Boss » (mentor) et de « vieux pères » (parrains). Le gain facile est par conséquent devenu la norme.
Comment alors être étonné de voir ces « avenirs de la nation » mourir dans la méditerranée ? Une jeunesse sans avenir ne sera jamais l’avenir d’une nation. (paraphrase de Mamadou Koulibaly)
Comment être étonné que la parole détruise une vie conjugale qui se voulait paisible, laissant sur le carreau une dame de cinq (5) enfants qui ne rêvait que d'un idéal de vie paisible et faisant simultanément d’une autre en quête d’idéal, une simple « Tchiza », « une voleuse de mari » ?
La parole mensongère, dépourvue de toute sa quintessence sacrée qui rime avec l’honnêteté est source de dérive et de tristesse.
Il est temps que nous la soignons ; car soigner la parole, c’est inéluctablement reconstruire nos valeurs morales en déperdition.
Il est aussi grand temps que nous réfléchissions, sans faux-fuyant, sur la question de la polygamie et de la légalisation du mariage coutumier.
Notre parole nous détermine et déterminera nécessairement le futur de notre société.
Adama Samaké est enseignant-chercheur, maître de Conférences, au département de Lettres modernes de l'université Félix Houphouët Boigny de Cocody-Abidjan (Côte d'Ivoire).
par l'éditorialiste de seneplus, Jean-Claude Djéréké
JERRY RAWLINGS, LE PRÉSIDENT QUI PRÉFÉRAIT ÊTRE DANS LE CŒUR DES GENS
EXCLUSIF SENEPLUS - Il menait une vie sobre et vivait les valeurs auxquelles il croyait. Il aimait l’Afrique envers et contre tout. Le 12 novembre 2020 fut un jour de grande tristesse pour tout le continent
Jean-Claude Djéréké de SenePlus |
Publication 30/06/2022
C’est de manière inattendue qu’il tira sa révérence, ce 12 novembre 2020. Sitôt informés, le président Nana Akufo-Addo décréta un deuil national de sept jours et tous les partis politiques suspendirent leur campagne pour la présidentielle de décembre. Le Ghana et l’Afrique étaient inconsolables. La disparition de Rawlings n’était pas seulement un coup dur pour des milliers de gens. Elle les rendait aussi orphelins. Pourquoi ? Parce que l’ancien président du Ghana avait positivement marqué son époque, parce qu’il avait montré une façon différente de gérer les affaires publiques, parce qu’une voix forte, la voix des sans-voix, s’était éteinte à jamais, parce qu’on ne verrait plus cet amoureux de l’ordre et de la discipline régler la circulation dans les rues d’Accra sous les ovations de ses compatriotes qui aimaient l’appeler “Papa J”.
Élevé par Victoria Agbotui, une Ghanéenne décédée le 24 septembre 2020 à l’âge de 101 ans (son père écossais refusa de le reconnaître), Jerry Rawlings se comporta effectivement en père de famille en prenant la défense de Kingsley Ofosu et de ses sept malheureux compagnons. Hormis Ofosu, les jeunes ghanéens avaient été froidement abattus et jetés par-dessus bord dans la nuit du 2 au 3 novembre 1992. Jerry Rawlings avait exigé le jugement de l’équipage du cargo MC Ruby et fait savoir que son pays pourrait rompre les relations diplomatiques avec la France et l’Ukraine si justice n’était pas rendue aux victimes et à leurs familles.
Treize ans plus tôt, il avait essayé de mettre fin à la corruption et à l’indiscipline qui progressivement détruisaient le Ghana après l’indépendance politique arrachée en 1957 par Kwame Nkrumah. Il ne supportait pas les dérives et tares de cette société que l’écrivain Ayi Kwei Armah a bien décrite dans ‘L’âge d’or n’est pas pour demain’. Il voulait dégager le régime qui était à la tête du pays et devait mener le coup avec quelques compagnons. Avant le coup, il leur déclara ceci : “Ceux qui ont pillé le pays ne peuvent pas se retirer comme cela, en héros, et continuer ensuite à tirer les ficelles. Il ne peut y avoir de changement véritable dans ce pays sans purification. Il nous faut agir, et vite. Il faut une action vigoureuse, drastique, radicale pour purger le pays. Il faut punir les criminels d’État qui nous ont réduits à cette situation d’indignité.”
Le 15 mai 1979, le jeune pilote de l'armée de l'air passe à l’action mais le coup d’État échoue. Il est condamné à mort. Ce que le peuple retient du procès radiotélévisé, ce n’est pas cette condamnation mais le discours de Jerry Rawlings. En voici un extrait : “Je suis là pour mettre en garde les officiers supérieurs, les politiciens, les hommes d’affaires et les criminels étrangers contre notre colère. Ils se sont servis de notre sang, de nos sueurs et de nos larmes, bref de notre travail pour s’enrichir et se noyer dans le vin, dans le sexe. Pendant ce temps, vous, moi, la majorité, nous luttions quotidiennement pour survivre. Moi, je sais ce que c’est que d’aller au lit avec un mal de tête provoqué par un ventre vide. Je préviens ceux qui s’aviseraient d’aider les goinfres qui nous exploitent à fuir qu’ils paieront pour eux. Ils seront jugés, châtiés pour les privations qu’ils ont imposées au peuple.” Il ajoute : “L’heure du jugement est arrivée. Et ce n’est nullement une question de militaires contre civils, d’Akans contre Ewés, ou de Gas contre nordistes, mais de ceux qui possèdent contre ceux qui n’ont rien. Vingt-deux ans après l’indépendance, vous et moi continuons à cogner nos têtes contre le sort, contre le sol, en croyant que Dieu viendra nous sauver de leurs griffes. Il ne viendra pas si vous ne prenez pas vous-mêmes en main votre propre destin ! La France a tiré son salut d’une révolution. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union soviétique, la Chine, l’Iran aussi ! Laissez-moi vous dire que Dieu n’aide pas les gens qui dorment. Ne comptez pas non plus sur les gros messieurs que vous voyez passer dans de belles voitures. Ils ne peuvent pas vous aider, parce que leur ventre est plein ; leurs enfants mangent à leur faim et ils ont les moyens d’aller et venir où ils veulent, comme ils veulent.” Un groupe d’officiers, qui intervient à temps, empêche l’exécution de Rawlings. Les officiers, dirigés par le major Boakye-Djan, renversent le lieutenant général Fred Akuffo, le 4 juin 1979. Boakye-Djan et ses hommes libèrent Rawlings et l'installent à la tête du Conseil des forces armées révolutionnaires (AFRC en anglais). Des élections générales étaient déjà prévues. Organisées par l’AFRC, elles sont remportées par le Dr. Hilla Limann mais, le 31 décembre 1981, Jerry Rawlings est obligé de reprendre les choses en main. Pourquoi ? Parce que le président Limann n’a pas mené la lutte contre la corruption. Avec le Conseil national provisoire de défense (PNDC en anglais) qu’il a créé, Rawlings dirige fermement le Ghana jusqu'à l'avènement du multipartisme au début des années 1990. Il démissionne de l'armée en 1992 pour lancer, avec des camarades, le National democratic congress (NDC). Le Ghana se dote d'une nouvelle Constitution et passe à la IVe République. Jerry John Rawlings en devient le premier président. Quatre ans plus tard, il est réélu pour un second mandat qui s’achève en 2000. Il abandonne la vie politique en 2001 mais continue de s’intéresser à ce qui se passe dans son pays et sur le continent.
Président, il menait une vie sobre et se garda de piquer dans les caisses de l’État. Il vivait les valeurs auxquelles il croyait. Pour lui, servir le peuple dans la simplicité était la chose la plus importante. Leader charismatique, il n’hésitait pas à mettre la main à la pâte en curant les caniveaux ou en transportant avec les étudiants les fèves de cacao au port de Tema. Il préférait être dans le cœur des gens plutôt que d’avoir son nom sur un édifice ou sur un stade. Bref, il abhorrait le culte de la personnalité car il estimait que le peuple n’oublie jamais ceux qui l’ont bien servi. Et le peuple ghanéen qu’il avait servi avec dévouement l’aimait tant et si bien que Rawlings n’avait pas besoin de se promener avec des gardes du corps dans les rues d’Accra. Sa sécurité, c’était ce peuple ghanéen à la grandeur et à la prospérité duquel il se consacra corps et âme, ce peuple qu’il aimait profondément. Mais Rawlings aimait aussi l’Afrique. C’est la raison pour laquelle il suivait attentivement la révolution de Thomas Sankara au Burkina Faso. Il aimait l’Afrique envers et contre tout. Il l’aimait en dépit de ses incohérences, faiblesses et blessures. Il l’aimait, non pour se résigner aux souffrances qui affligeaient le continent, mais pour changer son destin et lui permettre d’offrir au monde un meilleur visage. Il était persuadé que l’Afrique n’était pas condamnée à tourner en rond et à subir la domination et les caprices des autres, que rien n’était joué ou perdu d’avance. Il croyait que le continent pouvait sortir de l’ornière si les Africains étaient solidaires et déterminés et s’ils faisaient passer l’intérêt général avant les intérêts particuliers.
Le 12 novembre 2020 fut un jour de grande tristesse pour le Ghana et l’Afrique parce qu’il nous a arraché un grand homme, parce qu’il nous a pris un homme qui a bien travaillé pour son pays, qui y a mis de l’ordre au moment où il le fallait, qui a redonné aux Ghanéens leur dignité et leur fierté. Cet homme fait incontestablement partie des héros africains dont la vision et les actions méritent d’être enseignées dans nos écoles et universités parce qu’il ne désirait que le bien de ses compatriotes, parce qu’il refusa d’être idolâtré ou célébré de son vivant, parce que le néocolonialisme et la barbarie de la France dans ses anciennes colonies lui étaient insupportables. Jeremiah John Rawlings est un monument et une perle dont le continent africain peut et doit être fier. Il était tout simplement formidable dans une Afrique qui bien souvent produisit des dirigeants irresponsables et minables.
Le slogan du président : « gouvernance sobre et vertueuse » s’est muté en une gouvernance sombre, tortueuse et cahoteuse. Niant les principes les plus élémentaires de la démocratie : droits et libertés fondamentaux saccagés, piétinés
Gouvernance brutale, agressive, violente… symbole de méthodes révolues. Le slogan du président Macky Sall : « gouvernance sobre et vertueuse » s’est muté en une gouvernance sombre, tortueuse et cahoteuse. Niant les principes les plus
élémentaires de la démocratie : droits et libertés fondamentaux saccagés, piétinés. Interdictions répétitives de manifestations, opposants (les députés Déthié Fall, Mame Diarra Fam, Bara Dolly Mbacké, le maire Ameth Aïdara), Amadou Bâ, cadre
du parti Pastef, activistes...arrêtés. Aujourd’hui, les acquis démocratiques enregistrés dans ce pays avant 2012, année marquant l’accession de Macky Sall à la magistrature suprême, sont en souffrance.
Récemment, les nombreuses arrestations constatées le 17 juin 2022, à Dakar attestent l’état de déliquescence très avancé dans lequel le régime en place tente de confiner les droits et libertés des citoyens, les menant vers l’effondrement. Enlèvements de citoyens exerçant leur droit défini et garanti par la constitution.
Aux dirigeants du régime actuel, incarné par le président Macky Sall, faudrait-il leur rappeler, ceci : ce pays n’est pas une monarchie, encore moins leur bien privé. Et lui-même, en tant que président, doit, et c’est une obligation dans un pays normal et civilisé, où les institutions de la République fonctionnent sans entrave, se soumettre à la constitution. Les déclinaisons de cette dernière ne sont pas là pour ses caprices et ses humeurs, et on ne gouverne pas un pays selon ses sensations. C’est une honte, une vraie calamité sidérante de vouloir étouffer les libertés individuelles et collectives canonisées, constitutionnalisées. Hélas mille fois ! Qu’on parle d’autorisation pour manifester. La teneur du mot « autorisation » renseigne, à suffisance, sur le
pouvoir excessif de l’autorité. Alors qu’elle doit être simplement informée : ni plus ni moins. Le Sénégal est un pays très difficile à cerner. Parce qu’une République normale n’interdit pas à tout-va à ses populations de manifester, d’exprimer leur colère. Sa mission : c’est de créer les conditions, un cadre propice, à leur expression. Ici, au regarde des interdictions fréquentes, l’autorité semble mélanger l’exception et la règle au grand bonheur du prince : le manitou. Il fait et défait tout . L’absolutisme !
Jusqu’à présent, j’ai du mal à comprendre le kidnapping d’opposants, visiblement pacifiques. Sans aucun motif valable. Des pratiques rétrogrades. L’opposition est vitale pour une démocratie. A cet égard, elle mérite d’être traitée avec élégance, respect et dignité. Tenter de la « réduire à sa plus simple expression » traduit l’échec cuisant du pouvoir. Quel désastre ! Moribond est tout régime qui se donne pour mission d’écraser ses opposants, d’étouffer la liberté de ses citoyens. Avec ce régime, l’expression d’un droit fondamental- celui de manifester, de se regrouper pour défiler, de s’organiser pour contester, de protester en marchant dans la rue- se heurte à une répression policière, parfois aveugle. Et, le tout moulé par une justice expéditive, aux ordres, téléguidée…traquant les voix dissonantes. Qui dénoncent ses orientations et actions. Ordonnée et encouragée par le pouvoir en place, cette répression crée le chaos, avec des conséquences affreuses.
Jamais ce pays, généralement cité comme une démocratie en Afrique de l’Ouest (je me méfie toujours de démocratie mécanique (nombre), électoraliste : changement de régime ou alternance. Ces facteurs ne suffisent pas, à mes yeux, pour parler de démocratie), n’avait connu, hors de ses moments d’éclipse démocratique, un tel déchaînement de violence : judiciaire et policière.
Déferlement répressif ! Sidérant a été le bilan des événements de mars 2021 : 14 jeunes sénégalais tués, des arrestations, des blessés, des gueules cassées, des mains ou pieds arrachés, des séquelles physiques…Rappelons que le combat pour la justice, la liberté, la transparence dans le cadre du processus électoral et la gestion de nos ressources (halieutiques, minières, pétrolières…), le respect du droit des citoyens, la cherté de la vie (flambées des prix des denrées alimentaires), problématique d’accès au logement, à la santé, à une eau potable, au transport…toutes ces préoccupations sont des enjeux qui, à mes yeux, dépassent tel ou tel « leader » politique. Dans la mesure où, au fond, ils font appel également au droit des citoyens. C’est donc simpliste, à la milite réducteur, de vouloir mettre le curseur sur une ou des « personnalités » politiques pouvant profiter de cette « résistance ». Les manifestants sont assez avertis et conscients des enjeux de leur engagement. Sur le continent africain, au regard de l’histoire récente, les régimes tombés (en Guinée, au Mali, au Burkina, le printemps arabe) ont été balayés, ou du moins précipités par des mouvements de manifestation populaire.
De la révolte spontanée de mars 2021 aux mobilisations des organisations syndicales représentatives, en passant par celle des personnes à mobilités réduites (PMR) ou des invalides (anciens policiers), aucune contestation n’a été à l’abri de répression
policière. Avec ce régime, c’est la généralisation de la violence face à toute remise en cause venue du mouvement de la société. Ils se trompent de cible. La véritable lutte à engager, c’est celle de mener la croisade contre la pauvreté et la faim : elles assaillent les populations, le monde rural et urbain.
Ceux qui détiennent le pouvoir ou qui en profitent voudraient que seul le peuple soit transparent (fiché, surveillé, fliqué, repéré, espionné) tandis qu’eux-mêmes se dérobent, barricadés dans un secret qu’ils ne cessent de revendiquer et de renforcer. Alors qu’ils doivent rendre des comptes aux citoyens, sortir de leur confort et répondre aux interpellations des gouvernés. Parce qu’ils sont des serviteurs. Ainsi, le contraste entre la protection et l’indulgence dont bénéficient délinquance étatique ou corruption économique et la répression constamment exigée et assumée face aux mouvements sociaux, jusqu’à banaliser des violences policières, suffit pour dire que notre démocratie est en péril. Est complice du pire un pouvoir qui, pour perdurer, ruine toute éthique démocratique, ment à répétition et sans arrêt, violente les libertés, manoeuvre dans le but de disqualifier une partie de ses opposants de toute compétition électorale, les calomnie, assume son indifférence à l’injustice, pousse à la faute les forces de l’ordre, etc. Ce pays est à redresser pour sauver sa démocratie.
Par Walmaakh NDIAYE,
«ELECTIONS INCLUSIVES» A-T-ON DIT ? QUI EST EXCLU ? QUI A EXCLU ?
La vérité, la bonne foi, le bon sens, la loyauté et la raison sont-ils devenus une denrée très rare au Sénégal ?
La vérité, la bonne foi, le bon sens, la loyauté et la raison sont-ils devenus une denrée très rare au Sénégal ? Eh oui, le débat en cours dans notre pays autour des élections législatives est vicié à souhait par certains acteurs de la société. Cependant il a l’avantage de faire tomber beaucoup de masques, notamment de voir comment notre société est minée non seulement par l’absence de repères, de références, mais surtout par la dégradation des valeurs et l’aliénation des hommes et structures.
L’on ne le dira jamais assez, notre pays est malade, non pas de son système électoral très avancé démocratiquement, mais du comportement hypocrite, de la versatilité déroutante, de l’absence d’honnêteté intellectuelle et de loyauté d’une frange importante des parties prenantes à la ¬démocratie. Au Sénégal, malheureusement c’est cette floraison de «machins» ¬difficilement identifiables dans leur genre, qui grouillent autour de nobles concepts comme «droits humains» ou «Société civile» qu’il faut s’efforcer, à chaque fois que de besoin, d’éprouver les actes et paroles, à l’étymologie de ce dont ils se réclament, pour s’empêcher de brocarder l’histoire, la mémoire collective à la base de la création des idéaux qu’ils sont censés porter. Toute loi est créée par la communauté, pour la communauté et ¬s’applique à tous les membres de la communauté. Ensuite, celle-ci est organisée sur un modèle de vie sociale, autour d’une puissance publique librement acceptée et chargée de -l’application de cette loi. La République en est l’incarnation du prototype organisationnel parfait. Donc l’on n’attend pas plus des structures chargées de défense des droits humains ou de la Société civile qui reste le bras des communautés, d’être à côté du pouvoir ou de l’opposition, mais à califourchon sur la loi, sur ¬l’intérêt de la communauté, et non sur des intérêts d’individus ou de groupes.
Dans ce cadre et sur le débat en cours relatif aux Législatives, aussi bien l’attitude que le discours de beaucoup de responsables de la Société civile et d’organismes de défense des droits humains, ainsi que de beaucoup d’intellectuels et politiciens opportunistes, jurent d’avec le Droit, l’intégrité morale et intellectuelle, en demandant des élections inclusives qui n’existent dans aucun pays au monde et plus grave ¬encore, ils ne poussent pas la réflexion sur les fâcheuses conséquences ¬politiques, sociales, économiques qui en résulteraient.
Il s’y ajoute la légèreté et l’impertinence de l’argutie avancée selon laquelle des «pontes» politiques, incapables de se conformer à la loi, seraient écartés si les élections se tenaient. Et voilà qu’au même moment où l’on cherche à salir notre vieille et belle démocratie où chacun dit et fait ce qu’il veut, insulte, diffame, calomnie jusqu’à la plus haute Autorité, appelle à l’insurrection, sans coup férir, que l’on veuille nous fabriquer des ¬mandarins politiques qui, sans eux, la vie s’arrête. Mais bon sang ! Qui a exclu qui ? N’est-ce pas un mandataire qui s’est gouré deux fois malgré la -perche qui lui a été tendue par le Conseil constitutionnel une première fois. Non, que Yaw dise aux Sénégalais si sa liste «compétit» ou pas ? Ou bien n’a-t-elle-pas confiance à ses suppléants ? Auquel cas notre démocratie ne doit attendre rien de bon dans l’antre du «Monstre». Que la jeunesse fasse bien attention car dans la mare politique se cache bien un «yeew», un gros boa.
L’attitude responsable, ¬républicaine et patriotique de tout observateur neutre est de demander l’application stricte de la loi électorale, le respect du calendrier pour libérer le Peuple, la population active, pour qu’elle puisse vaquer à ses occupations. Dans ce cadre, il faut saluer cette fois-ci la ¬position courageuse, lucide et républicaine du Forum du justiciable. Ce qu’on demande à ces organisations n’est ni des ¬prédications funestes, ni le beau temps en hiver, mais l’équidistance, l’observation des règles de jeu et le respect de la loi par tous les acteurs.
Oui, le pays est malade de cette complaisance entre nous, cette «kersa» pour dire à l’autre la vérité, de cette compromission ou «massla» devant la loi, mais surtout de cette paranoïa ¬rampante née d’une stratégie -d’intimidation de tous ceux qui ne sont pas dans une pensée ou dynamique similaire. C’est là aussi un coin du voile levé pour se faire une idée de cette nouvelle démocratie de ceux qui pensent que notre démocratie recule.
Oui, le pays est gravement malade par son ¬secteur vital de la communication qui ne s’intéresse pas aux trains qui arrivent à l’heure, qui ravive polémiques et tensions, qui promeut et encense les médiocres, qui délaisse les faits et nourrit les commentaires.
Enfin, le mal du pays c’est aussi l’affaissement de l’autorité de l’Etat, trop absoute dans une quête quasi irrationnelle de préservation de l’image du pays, de notre démocratie, pendant que des dérives déconsolidantes se trament quotidiennement sous sa barbe. Il n’y a pas de démocratie sans respect de la loi.
Walmaakh NDIAYE
Observateur politique
Par Yoro DIA
DÉMOCRATIES D’AILLEURS ET LAÏCITÉS D’AILLEURS
La démocratie, c’est avant tout des batailles d’idées. Au Sénégal, on est passé du débat des Professeurs et des agrégés comme Senghor, Wade, Cheikh Anta, Abdoulaye Bathily aux rentiers de la tension et aux insulteurs
Si les règles de la democratie sont universelles, leur application est toujours locale. Dans son livre Démocraties d’ailleurs, Christophe Jaffrelot démontre que l’Inde est très démocratique avec ses castes, le Sénégal l’est aussi avec ses marabouts, de même que les Etats-Unis qui sont tellement démocratiques que l’on peut remporter le suffrage populaire et ne pas être élu comme ce fut le cas en 2000 et 2016. Si pour les démocraties d’ailleurs, Jaffrelot s’appuie souvent sur les Etats Unis, l’Inde et le Sénégal, pour les typologies de Laïcité, on donne les souvent les exemples des Etats-Unis, du Sénégal et de la France qui sont trois modèles de laïcité.
La laïcité française se veut freedom from religion, c’est-à-dire se libérer de la religion. La laïcité américaine se veut freedom of religion, c’est-à-dire liberté totale de religion comme vient de le rappeler la Cour suprême cette semaine, et le modèle sénégalais est une sorte de troisième voie entre les deux extrêmes des Etats-Unis et de la France. Le modèle français, qui est une sorte de laïcisme, s’explique par le long combat de l’Etat français pour se libérer de l’hégémonie et de l’emprise de l’Eglise. Le modèle américain se comprend par le fait que les premiers migrants des Etats-Unis ont quitté le vieux continent pour avoir plus de liberté religieuse qu’ils n’avaient en Angleterre. Le modèle sénégalais que nous devons au génie de Senghor s’explique par la hantise chez ce dernier d’éviter la querelle des allégeances entre le glaive de Christ et de César, c’est-à-dire la controverse sur le primat de l’Empereur ou du Pape et qui fit des millions de morts en Europe.
Les deux dernières décisions de la Cour suprême des Etats-Unis sur l’avortement, qui était légal depuis l’arrêt Roe versus Wade de 1973 et sur la prière en public, confirment le grand penseur Ralph Waldo Emerson qui disait que les «pensées gouvernent le monde». On devrait y ajouter, surtout dans une democratie. Aux Etats-Unis, la Gauche avait gagné le combat des idées progressistes dans les années 60 et 70 avec la fin de la guerre du Viet Nam, le politiquement correct, l’affirmative action. L’apogée des idées progressistes sera marquée par l’élection de Obama. La contre-offensive de la Droite conservatrice américaine sur le plan des idées, qui a commencé dès l’élection de Obama, a commencé à porter ses fruits avec le Tea party, l’élection Trump et la désignation de juges conservateurs à la Cour suprême, qui sont en train de déconstruire politiquement et légalement tout l’héritage progressiste des années 1960.
Même si la Cour suprême va aujourd’hui à contre-courant de l’évolution de la société, de la politique et de l’histoire, personne ne va accuser les juges d’écrire sous la dictée l’Exécutif, de l’opinion ou des lobbys, parce qu’au fond, le Droit est avant tout un «conflit d’interprétations» comme le fameux titre d’un livre de Paul Ricoeur. C’est la même Cour suprême qui avait légalisé l’avortement qui aujourd’hui le révoque parce que les juges conservateurs y sont majoritaires. C’est ça la democratie, c’est avant tout des batailles d’idées qu’on applique dès qu’on a la légitimité que confère l’élection. Une bataille d’idées que cette même Droite est en train de gagner en France avec la normalisation et la banalisation des idées d’extrême droite depuis que Marine le Pen a eu la bonne idée de changer l’emballage du Front national.
Au Sénégal dans notre vieille démocratie, point de bataille d’idées. C’est pourquoi on est passé du débat des Professeurs et des agrégés comme Senghor, Me Abdoulaye Wade, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Bathily aux activistes, aux rentiers de la tension et aux insulteurs. Le débat politique a quitté les marbres du Sénat pour la poussière du Colisée, avec ses gladiateurs.
Par Pr Ibrahima FALL
PARRAINAGE ÉLECTORAL QUELQUES OBSERVATIONS
Notre système électoral est frappé d’illégalité. L’interprétation et l’application du code électoral par le gouvernement et par le Conseil Constitutionnel sont tronquées et crisogènes
1- En ma double qualité de citoyen et de professionnel du droit public, je suis interpellé par les tensions qui affectent notre pays en cette période de préparation des élections législatives du 31 Juillet 2022.
2- Aussi longtemps que des voies et moyens pacifiques étaient encore ouverts et des recours étaient possibles devant les tribunaux, je me suis volontairement abstenu de me prononcer sur la situation. En effet, j'étais confiant dans l’habileté de nos acteurs politiques et sociaux à surmonter leurs divergences par un sursaut patriotique, et confiant aussi dans la compétence de nos juridictions à dire le droit en toute indépendance, confiant enfin dans la volonté commune des acteurs et des tribunaux, de contribuer à sauvegarder notre démocratie ainsi que la paix et la sécurité nationales.
3- Aujourd’hui, suite aux derniers évènements politiques violents, et aux récentes décisions du Conseil Constitutionnel et de la Cour suprême qui épuisent toute possibilité de recours devant les tribunaux, force est de constater qu’une impasse dangereuse s’est installée et menace notre pays. Cette impasse renvoie, sur le strict plan juridique, à deux facteurs, à savoir : d’abord notre système électoral actuel dans son fondement, ensuite les décisions surprenantes du Conseil Constitutionnel et leurs conséquences troublantes.
Notre système électoral est frappé d’illégalité
4- Au cœur de notre système électoral actuel, il y a le parrainage, consacré notamment par le code électoral en son article L.57. Aux termes de cet article, « toute candidature à l’élection présidentielle et aux élections législatives est astreinte au parrainage par une liste d’électeurs » et « un électeur ne peut parrainer qu’un (01) candidat ou une liste de candidats et qu’une seule fois »
5- Le parrainage dont l’adoption et l’application ont suscité beaucoup de controverses et d’agitations parfois violentes, a fait et continue de faire l’objet de vives contestations au niveau national depuis son application lors de l’élection présidentielle de 2019, marquée par l’élimination de nombreux candidats. Par la suite, la cour de justice de CEDAO a été saisie pour se prononcer sur sa légalité.
6- Dans un arrêt en date du 21 avril 2021, la Cour a considéré que le parrainage « constitue un véritable obstacle à la liberté et au secret de l’exercice du droit de vote d’une part, et une sérieuse atteinte au droit de participer aux élections en tant que candidat d’autre part ». La Cour a ordonné au gouvernement du Sénégal de supprimer « le système de parrainage électoral » ; Elle a également fait injonction à notre gouvernement de soumettre dans un délai de 6 mois un rapport sur l’exécution de sa décision. Et, selon l’article 15 du traité révisé de la CEDEAO du 24 juillet 1993, ratifié par le Sénégal, « les arrêts de la Cour de Justice ont force obligatoire à l’égard des Etats membres... », donc à l’égard de notre pays qui a l’obligation de prendre les mesures d’exécution de la décision de la Cour.
7- Au lieu de s’exécuter, par respect du droit et par respect de son propre engagement international tiré du traité révisé de la CEDEAO et du protocole relatif à la Cour de justice, notre gouvernement a décidé de refuser d’appliquer l’arrêt de la Cour. Il a décidé de maintenir le système de parrainage, en toute illégalité internationale
8- A cette illégalité internationale du parrainage, s’ajoute une illégalité nationale. En effet, le maintien du parrainage, malgré l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO, viole notre loi fondamentale qui, en son article 98, reconnait aux traités ou accords régulièrement ratifiés par le Sénégal une « autorité supérieure à celle des lois » nationales, ce qui est le cas à la fois pour le traité révisé de la CEDEAO et pour le protocole relatif à la Cour de justice de la CEDEAO.
9- Le droit et la sagesse voudraient donc que notre gouvernement se conforme à la décision de la Cour de justice de la CEDEAO, et qu’il procède avec courage et responsabilité, au moins à la suspension de l’actuel processus électoral doublement illégal, avec son lot de violence, de tensions et troubles graves, aux conséquences désastreuses en termes de morts, de blessés, de destructions et d’impacts négatifs sur les plans économique, social, sécuritaires et autres.
L’interprétation et l’application du code électoral par le gouvernement et par le Conseil Constitutionnel sont tronquées et crisogènes.
10- La décision du Conseil Constitutionnel , portant distinction, séparation et autonomie de deux listes (une de titulaires et une de suppléants) pour chaque coalition de partis politiques ou de personnes indépendantes est certes fondée sur l’alinéa de 6 de l’article L149 dont les dispositions, claires et précises, stipulent que « Les listes de candidatures, titulaires comme suppléants, doivent être alternativement composées de personnes des deux sexes ». Toutefois isoler cet alinéa et s’en tenir exclusivement à ces dispositions revient à faire, une lecture incomplète, tronquée et non différenciée de l’ensemble de l’article L 149 et du code électoral lui-même.
11- Tout d’abord, le même article L149 en son alinéa 3, consacre formellement le caractère unique de la liste de candidats aux élections législatives, en précisant que l’obligation faite aux partis politiques et coalitions de partis politiques…,de recueillir la signature de 0,5 % à 0,8% des électeurs inscrits est une condition préalable « pour pouvoir valablement présenter UNE liste de candidats » (et non deux). De même, l’article L149, en son alinéa 8, qui traite, entre autres, du nom ou du titre de la coalition, dispose que ce nom ou ce titre. « doit être notifié au ministre… et figurer en tête de LA liste des candidats présentés aux élections » On observe aussi que les alinéas 1 et 2 dudit article L149, qui font référence à DES listes de candidats, n’affirment ni n’impliquent que les candidats titulaires et les candidats suppléants relèvent de deux listes séparées pour la même coalition et pour le même scrutin.
12- En dehors de l’article L149, le code électoral comporte d’autres dispositions qui, également, confirment l’unicité de la liste et, donc le caractère indissociable de ses deux composantes que sont les titulaires et les suppléants unique. C’est également le cas, notamment, de l’article L153 qui spécifie que le scrutin proportionnel porte « sur une liste nationale ». Faut-il aussi rappeler l’obligation faite par l’article L154 à CHAQUE liste de candidats au scrutin majoritaire et à CHAQUE liste de candidats au scrutin proportionnel de comprendre des suppléants, ce qui illustre, à l’évidence, l’unicité de la liste de chaque coalition pour chaque mode de scrutin. Il en est de même de l’article 157, alinéa 6, qui précise que dans une élection, un électeur ne peut parrainer qu’UN candidat ou UNE liste de candidats. Enfin l’article L173, alinéa 2 relatif aux déclarations de candidatures aux élections législatives, fait expressément référence à LA liste nationale et à LA liste départementale, tout en rappelant qu’elles doivent être complètes.
13- Ce bref rappel des dispositions de l’article L149 et de celles d’autres articles du code électoral qui consacrent l’unicité de la liste des candidats, aux côtés de l’alinéa 6 de l’article L149 qui, lui, consacre l’existence de deux listes de candidats pour chaque scrutin, offre l’avantage de constater d’abord les incohérences évidentes des dispositions du code électoral sur une question aussi importante que l’unicité de la liste des candidats ou la dualité des listes des candidats pour les élections législatives. Il permet, surtout de conclure que l’unicité de la liste est bien le principe fondamental et que la dualité des listes tirée de l’alinéa 6 de l’article L 149, représente l’exception, ce qui remet en cause la pertinence de la décision du Conseil Constitutionnel fondée sur l’exception et non sur le principe.
14- A la lumière de ses incohérences contenues dans le code électoral et du caractère peu pertinent, des décisions du Conseil Constitutionnel en la matière, le gouvernement devrait suspendre le processus électoral actuel et initier une concertation nationale inclusive avec entre autres objectifs celui de supprimer toutes les incohérences relevées et qui sont liées au système de parrainage, et refondre l’ensemble du code électoral.
15- Le rappel des dispositions du code électoral sur l’unicité de la liste de candidats de chaque coalition pour chaque scrutin et le caractère indissociable des deux composantes titulaires et suppléants de la liste est par ailleurs révélateur de conséquences crisogènes des décisions du Conseil Constitutionnel
16- La décision du Conseil Constitutionnel basée sur l’alinéa 6 de l’article L 149 qui distingue deux listes séparées et autonomes de candidatures l’une composée de titulaires et l’autre de suppléants pose problème non seulement par rapport aux dispositions de l’article L57 qui spécifie que « dans une élection un électeur ne peut parrainer qu’UN candidat (01) ou UNE liste de candidat et qu’une seule fois », mais aussi dans sa rationalité.
17- En effet, comment concevoir sur le strict plan de la rationalité juridique qu’une liste de candidats (composée de titulaires et de suppléants), de caractère unique au moment de sa signature par un électeur parrain, peut, au moment de son examen par le Conseil Constitutionnel, se transformer, par la magie d’une mutation génétique, en deux listes distinctes et autonomes de titulaires et de suppléants. Ne faudrait-il pas, alors, réécrire les dispositions de tous les articles qui consacrent l’unicité de la liste de candidature afin de permettre à chaque électeur de parrainer, en toute connaissance de cause non pas UNE mais DEUX listes de la même coalition, pour non pas chaque mode d’élection mais désormais pour chaque mode de scrutin.
18- D’autres conséquences crisogènes, à la limite étranges, peuvent également être relevées à propos des décisions du Conseil Constitutionnel fondée sur la dualité et l’autonomie respective des listes titulaires et de suppléants. C’est par exemple l’impossibilité de remplacer, en cas de décès, un candidat élu sur une liste de titulaires sans suppléants, ou de remplacer, en cas de décès, un candidat élu sur une liste de suppléants.
19- En conclusion, tout comme les observations faites sous la première partie, les remarques contenues dans cette deuxième partie relativement aux incohérences du code électoral et au caractère tronqué et crisogène des décisions du Conseil Constitutionnel illustrent l’impasse grave qui affecte le présent processus électoral fondé sur le parrainage. Comme elles, les remarques ci-dessus suggèrent au moins, la suspension du processus électoral et la tenue de concertations nationales inclusives en vue de l’adoption d’un nouveau code électoral consensuel, cohérent et débarrassé du système de parrainage.
PAR Mamadou Abdoulaye Sow
LES MAGISTRATS ET LES FONDS POLITIQUES
Il convient donc de protéger l’indépendance des magistrats en mettant en place un mode de rémunération transparent qui ne dépend pas du bon vouloir du chef de l’Exécutif
En 2006, un juge confiait au journaliste Abdou Latif Coulibaly :« Tous les chefs qui dirigent les hautes juridictions… et tous les chefs de parquets…émargent à la présidence de la République. Ils sont payés par l’Exécutif sous forme de dessous de table … ».
Ce procédé bancal et hypocrite est-il toujours en vigueur ?
« La rémunération constitue l’un des problèmes les plus importants de la condition de juge au Sénégal. », dixit Demba Sy.[i]
Dans l’ouvrage intitulé « Chantiers de Thiès : les faits », paru en 2006 sous la direction de Jacques Habib Sy, Aide Transparence y aborde une problématique qui est de nature à fragiliser l’indépendance de certains magistrats : il s’agit du versement en espèces de complément de rémunération à certains magistrats juges ou procureurs « sous forme de dessous de table », en violation des dispositions de la loi organique sur le statut des magistrats et de son décret d’application [ii] et de celles de la loi fiscale Le journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly consacre également des développements relativement importants à cette question dans son ouvrage « Une démocratie prise en otage par ses élites. Essai politique sur la pratique de la démocratie au Sénégal », paru en 2006 chez l’Harmattan.
C’est de ces deux ouvrages que sont extraits les développements qui suivent.
« Le magistrat qui reçoit (des) fonds politiques… ne peut, par la suite, se prévaloir d’aucune indépendance de jugement ou même d’une éthique conforme au serment qui fonde sa profession... », dixit Aide Transparence Sénégal
D’après Aide Transparence Sénégal, « selon les reportages dans la presse (de l’époque) au sujet de l’audition de M. Idrissa Seck (dans l’affaire dite « Les chantiers de Thiès »), des chefs de juridiction semblent avoir reçu, sur une base régulière des sommes importantes d’argent venant (des) fonds politiques »[iii]. Aide Transparence Sénégal note: «L’argent de tous les Sénégalais ainsi mis à la disposition du camp présidentiel peut conduire à un état d’anarchie qui fragilise la stature dont les magistrats doivent se prévaloir, s’il est avéré…que de hauts magistrats auraient reçu, sur une base mensuelle et secrète, des sommes très élevées que l’on pourrait assimiler à une sorte de bakchich pour acheter le silence de certains d’entre eux qui se comportent avec complaisance devant les entorses à la loi et au viol des droits sociaux, politiques et économiques les plus élémentaires.
Le magistrat qui reçoit de tels fonds politiques, sur une base secrète et à un rythme aussi intense, ne peut, par la suite, se prévaloir d’aucune indépendance de jugement ou même d’une éthique conforme au serment qui fonde sa profession et son engagement social »[iv].
« Tous les chefs qui dirigent les hautes juridictions du pays et tous les chefs de parquets … sont payés par l’Exécutif sous forme de dessous de table… », dixit un juge
Pendant la préparation de son ouvrage précité, un juge a confié à Abdou Latif Coulibaly, dans un entretien en date du 22 mars 2006, ce qui suit :
« …. Je suis révolté par la médiocrité qui caractérise le milieu, l’incompétence de certains de mes collègues, le carriérisme de ses chefs qui ne sont plus rien que des commis des politiques. Je suis inquiet, pour dire le moins. Je ne peux pas comprendre que tous les chefs qui dirigent les hautes juridictions du pays et tous les chefs de parquets de leur rang émargent à la présidence de la République. Ils sont payés par l’Exécutif sous forme de dessous de table qui leur sont déposés en catimini par un gendarme qui fait la ronde des Cours et Tribunaux, à la fin de chaque mois » [v]».
Ce procédé bancal et hypocrite est-il toujours en vigueur ? En tout état de cause, nous estimons qu’une telle pratique fragilise l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il convient donc de protéger l’indépendance des magistrats en mettant en place un mode de rémunération transparent qui ne dépend pas du bon vouloir du chef de l’Exécutif. « Protéger l’indépendance des juges dans l’intérêt des justiciables, c’est avant tout donner à ses titulaires, personnes et institutions, les moyens concrets d’exercer pleinement leur fonction. Le juge doit en effet bénéficier d’un traitement décent qui puisse le mettre à l’abri des tentations qui émaneraient tant du pouvoir politique que du monde économique [vi]».
Toutefois, la revalorisation de la fonction de juge doit aller de pair avec l’organisation d’ « un système de responsabilité plus effective des juges » (expression empruntée à A. L. Coulibaly). « Se pose alors, selon A. L. Coulibaly, une question somme toute légitime : n’est-il pas juste et souhaitable d’organiser la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du juge, voire pénale de ce dernier, dans tous les cas où il obéirait à des ordres … dans sa prise de décision ? [vii]».
Pour conclure, nous laisserons la parole à Jacques Habib Sy et Habib Ndiaye : « Seule une Cour suprême et un Conseil constitutionnel suffisamment forts, indépendants des pouvoirs exécutif et législatif, et capable de garantir sa propre autonomie budgétaire, en conformité avec la loi, pourrait être en mesure d’assurer au peuple sénégalais une justice impartiale, parce que non corruptible par un pouvoir exécutif omniscient et disposant, au surplus, de l’argent public, à sa guise, comme s’il s’agissait de son patrimoine personnel »[viii].
[ii] Nous n’avons pas jugé utile d’évoquer ici l’allocation totalement arbitraire d’un salaire net d’impôts de cinq millions francs CFA aux chefs des hautes juridictions dans des conditions non prévues par la loi organique sur le statut des magistrats.
[iii]Aide Transparence. Commission indépendante d’investigation , « Chantiers de Thiès : LES FAITS » (sous la direction de Jacques Habib Sy), 2006, p. 196.
[iv]Ibidem. pp. 186-187. (Nous mettons en gras et soulignons).
[v] Abdou Latif Coulibaly, « Une démocratie prise en otage par ses élites. Essai politique sur la pratique de la démocratie au Sénégal », L’Harmattan, 2006, p. 114. (Nous mettons en gras et soulignons).
[vi] Selon la déclaration de l’AHJUCAF adoptée à Bruxelles le 10 octobre 2017 sur « Renforcer l’indépendance des Hautes juridictions par leur autonomie budgétaire », Revue Française de Finances Publiques n° 142, p. 34. (Nous mettons en gras).
[viii] Repris tel quel de l’ouvrage « Chantiers de Thiès : LES FAITS », p. 187.(Nous mettons en gras).
par Magaye Gaye
L'HÉRÉSIE DES STRATÉGIES ÉCONOMIQUES DU TOUT INFRASTRUCTURE EN AFRIQUE
Les projets de constructions de stades et de modernisation de bâtiments administratifs sont-ils pertinents dans un contexte chômage endémique des jeunes ? N’est-ce pas quelque part mettre la charrue avant les bœufs ?
Le 7eme forum international sur la finance islamique ouvert à Dakar ce 20 mai, et portant sur le thème : « Le financement des grands projets d’infrastructures des pays de l’Afrique de l’Ouest » constitue pour nous une occasion de choix de reposer la problématique de la pertinence des politiques d’infrastructures en Afrique.
Un organisme comme la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (Cnuced) estime certes que l’Afrique perd 1 % par an de croissance économique par habitant en raison de son déficit d’infrastructures, mais la question est de savoir si ces politiques de financement du quasi tout infrastructure mises en œuvre par les gouvernants africains depuis des années peuvent économiquement être considérées comme la panacée pour l’Afrique.
Le propre des projets d’infrastructures est qu’ils sont très capitalistiques, en général peu rentables sur le court terme et parfois exigeants en ressources concessionnelles, lesquelles deviennent rares dans les pays prêteurs en crise. D’où la nécessité de conduire des études approfondies en termes d’opportunités, mais aussi d’alternatives moins coûteuses en matière d’investissement dans les infrastructures. Leurs spécificités résident aussi dans le fait qu’ils peuvent générer d’importants recrutements de main d’œuvre à court terme, mais constituent souvent des problématiques en phase d’exploitation : frais d’entretien élevés souvent peu supportables pour les budgets nationaux, contrats de concession (BOT, BOOT etc…) mal négociés, faible utilisation par les usagers, faible employabilité, etc. De ce point de vue, ce type de projets pourrait ne pas être une solution viable à l’emploi des jeunes dans un contexte où plus de 10 millions de chômeurs grossissent chaque année la population inactive en Afrique.
Depuis longtemps, cette tendance, voire cet effet de mode infrastructurel a mobilisé de nombreux décideurs sur le continent et englouti des centaines de millions de dollars sans résultats tangibles concrets. Ainsi elle n’a pas permis de booster par exemple, pour l’écrasante majorité des pays du continent, les Investissements directs étrangers (Ide) lesquels ne représentant que 3% des Ide dans le monde et se concentrent sur 5 pays (L’Egypte, l’Ethiopie, le Nigéria, l’Afrique du Sud et la RDC). Ce mode infrastructurel n’a pas aussi permis de développer le secteur privé encore moins réduire de manière drastique la pauvreté. Les besoins en infrastructures du continent sont estimés à 130-170 milliards de dollars EU par an, avec un déficit de financement de l’ordre de 68 à 108 milliards de dollars EU. Le moment n’est-il pas venu de changer d’option économique ?
Les politiques infrastructurelles peuvent constituer des orientations importantes si elles s’inscrivent dans de véritables stratégies de relance de la production nationale, de politiques de désenclavement et de promotion de la mobilité urbaine. Par exemple les projets d’infrastructures développés dans l’érection d’autoroutes urbaines, d’unités de production de mix énergie peuvent constituer de solides supports pour des stratégies économiques de substitution aux importations, de transformation de matières premières locales et d’exportation ; il est temps de réfléchir à des politiques d’infrastructures ciblées, calibrées en fonction des vrais besoins de l’économie ; à titre d’exemple, des infrastructures financières de soutien aux Pme, chainon faible des économies africaines sont à promouvoir pour lutter contre le taux de financement faible de l’économie.
Par ailleurs, l'Afrique fait face à des taux de croissance démographiques élevés ainsi que des villes en élargissement constant vers des banlieues de plus en plus loin des centres urbains. Cette situation implique des besoins en termes d’infrastructures notamment de transport de plus en plus importants et non satisfaits du fait d’une grosse pression sur les ressources disponibles. Aussi dans de nombreuses villes, les embouteillages font perdre beaucoup de temps et nuisent à la prospérité.
Face à une telle situation, la mobilité urbaine devient un enjeu majeur et le télétravail est incontestablement une solution à explorer.
Les avantages du télétravail sont très nombreux. Ce mode de travail peut en effet améliorer la mobilité en diminuant le nombre d’usagers de la route et semble pouvoir permettre un meilleur contrôle de l’émission des gaz carboniques. C’est un facteur favorisant en termes de santé en considérant que les travailleurs concernés sont moins stressés et plus épanouis. Il peut aussi augmenter la productivité du travail grâce à un meilleur épanouissement psychologique et familial. Il contribue également à améliorer la sécurité routière. Le télétravail est aussi un facteur potentiel de compétitivité pour les entreprises qui peuvent diminuer leurs charges d’exploitation en matières et fournitures grâce à un meilleur recours à la digitalisation sans compter des économies possibles en frais de transport, en dépenses de santé, etc. Bien entendu son impact sur la cohésion sociale et sur l’éducation des enfants peut être utile pour la collectivité.
Bien entendu, la mise en œuvre d’une telle stratégie requiert quelques pré requis: une culture de responsabilité, la nécessaire promotion d’une culture digitale efficiente grâce à des actions de formation et un investissement plus accru dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication et les dispositifs de surveillance, l’adoption d’une nouvelle législation du travail et une approche novatrice dans la relation employeurs-employés fondée sur la confiance, le contrôle à distance et la mesure des progrès accomplis.
Il urge aussi de se départir de ces tentations de mimétisme qui amènent à réaliser des projets grandioses soit disant modernes, mais qui s’avèrent en fin de compte de véritables «éléphants blancs». Les projets de constructions de stades et de modernisation de bâtiments administratifs sont-ils pertinents dans un contexte chômage endémique des jeunes ?
A côté d’une politique d’infrastructure ciblée, les autorités africaines devraient aussi investir dans la recherche développement, dans le renforcement des capacités entrepreneuriales, le recensement, la protection et la mise en application des nombreuses découvertes scientifiques et techniques recensées sur le Continent et trouver des stratégies efficaces d’appui à un secteur informel dynamique et innovant. Elles devraient aussi être plus regardante dans l’efficience des coûts de réalisation des infrastructures en étant plus exigeante dans les procédures de passation des marchés et dans les stratégies de lutte contre la corruption qui font perdre 50 milliards de dollars par an à l’Afrique. Sans oublier la pertinence des projets ciblés, véritables gâchis qui obéissent souvent à des impératifs politiques.
En conclusion, le moment est venu de se poser la question de savoir à quoi servent des politiques d’infrastructure qui n’arrivent pas à stimuler la production et à faire reculer la pauvreté ? N’est-ce pas quelque part mettre la charrue avant les bœufs ? Ne faudrait-il pas tester un autre modèle économique consistant à développer la production locale, créer de la valeur, digitaliser les économies et donner plus de moyens fiscaux à l’Etat et autofinancer plus facilement les infrastructures ?
Magaye Gaye est économiste international, Professeur à l’Institut Supérieur de Gestion de Paris.