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5 mai 2025
Opinions
par Seydou Ka
DE LA FUITE À LA MOBILITÉ DES CERVEAUX
Le départ de Felwine Sarr pour Duke repose le vieux débat sur la fuite des cerveaux. À l’évidence, c’est une grosse perte pour l’UGB où il a passé 13 ans. Il est important que cette circulation des savoirs se fasse dans les deux sens
L’universitaire sénégalais Felwine Sarr a annoncé, le 27 juillet dernier, qu’il rejoint l’Université Duke à Durham en Caroline du Nord (Etats-Unis). Il y occupera la chaire Anne-Marie Bryan et enseignera la philosophie africaine contemporaine et diasporique. Il y dispensera également deux autres cours dans lesquels il se propose « d’explorer les dynamiques politiques et sociales des nations africaines depuis les indépendances, à travers l’archive musicale », et sur « le soin et la guérison dans le roman contemporain africain ».
Après l’historien Mamadou Diouf et le philosophe Souleymane Bachir Diagne – tous deux à l’Université Columbia à New York ; l’un en tant que chef du département Middle Eastern, South Asian and African Studies, l’autre directeur de l’Institut d’études africaines–, c’est donc un autre universitaire sénégalais de renom qui franchit l’Atlantique. Du reste, le contingent d’universitaires sénégalais (africains de façon générale) établis aux Etats-Unis ne cesse de se s’agrandir. Comparé à l’armée d’assistants et autres maîtres de conférences dans les universités françaises, ce nombre est encore faible. Mais une tendance nette est en train de se dessiner : nos meilleurs cerveaux préfèrent désormais aller aux Etats-Unis – et dans une moindre mesure en Chine pour ce qui est des étudiants – là où la génération précédente choisissait systématiquement l’Hexagone. De ce point de vue, les intellectuels africains, surtout ceux de la jeune génération, ont été plus prompts que les politiciens à « rompre les amarres » (la formule a été prononcée par Emmanuel Macron à Abidjan en décembre 2019) avec l’ancienne puissance coloniale. Lors d’un séjour en France l’année dernière, j’ai pu percevoir que cette nouvelle donne était prise au sérieux par les universités françaises.
Sans doute l’Europe garde encore quelques atouts, compte tenu de son infrastructure de recherche, mais elle n’est plus le centre de gravité du monde dans la géopolitique des savoirs. Au-delà des meilleures conditions de travail qu’offrent les universités américaines, les chercheurs africains y trouvent un environnement intellectuel plus favorable. Il suffit de voir la violence de la tribune signée, le 26 décembre 2019, par une demi-douzaine d’universitaires français contre « l’institutionnalisation » des études postcoloniales en France pour mesurer le conservatisme académique, pour ne pas dire l’hostilité d’une frange du milieu académique vis-à-vis du projet de décolonisation des savoirs, objectif revendiqué par les penseurs postcoloniaux. Dès lors, rien de surprenant de voir ces intellectuels africains préférer les universités américaines où les études postcoloniales trouvent un terrain propice. D’ailleurs, c’est tout un symbole de voir Felwine Sarr rejoindre l’Université Duke où a enseigné pendant quelques années Valentin Mudimbé – qui vit toujours à Durham. L’auteur de « Invention of Africa » (1988), à qui on doit la formule « bibliothèque coloniale », a exercé une influence décisive sur la pensée décoloniale.
Le départ de Felwine de l’Université Gaston Berger (Ugb) repose donc le vieux débat sur la fuite des cerveaux. À l’évidence, c’est une grosse perte pour l’Ugb où il a passé treize ans. Mais l’intéressé garde quelques attaches avec son ancienne université : il continuera à y donner (en ligne) un cours d’épistémologie et à encadrer des doctorants. Les chantiers entrepris sur le continent, notamment les Ateliers de la pensée et l’école doctorale des Ateliers, qu’il organise avec Achille Mbembé, se poursuivront également, précise-t-il. C’est pourquoi, certains préfèrent parler de mobilité des compétences et des savoirs au lieu de fuite des cerveaux, terme à la connotation chargée, qui ne reflète plus la réalité actuelle. En effet, avec la mondialisation et le perfectionnement de l’enseignement à distance, point besoin d’être sur place pour dispenser des enseignements. Evidemment, on aimerait que nos meilleurs chercheurs puissent disposer sur place de conditions plus favorables mais, à défaut, le fait de découvrir d’autres horizons ne peut que leur être bénéfique. Toutefois, dans cette nouvelle configuration, il est important que cette circulation des savoirs se fasse dans les deux sens. Après sa nomination comme directeur de l’Institut d’études africaines, Souleymane Bachir Diagne me confiait vouloir faire venir un maximum d’universitaires africains à Columbia pour y présenter leurs pensées. « Il est important, disait-il, que nos pensées soient traduites et entendues dans le Nord et que ce ne soit pas seulement en sens unique que les choses se passent ». C’est à ce prix que les savoirs endogènes et les chercheurs africains seront respectés dans le monde.
par le chroniqueur de SenePlus, Hamadoun Touré
GRANDEUR ET SOLITUDE
EXCLUSIF SENEPLUS - On suggère au chef ce qu’il doit aimer et bien sûr avec qui frayer. L’ivresse du pouvoir, fille de la célébrité, du succès, ajoutée aux manœuvres d’habiles courtisans, annihile ses capacités de discernement
Hamadoun Touré de SenePlus |
Publication 04/08/2020
« …La solitude trouble les cerveaux qu’elle n’illumine pas ». Victor Hugo
Un chef est un être seul dans sa gestion des hommes et de la cité, face aux défis du quotidien et à l’actualité qui lui est imposée bien souvent comme urgence. Le pouvoir s’exerce dans la solitude, loin du bruit et de la fureur du monde extérieur. Face à lui-même, le Chef scrute le bon chemin à emprunter, réfléchit sur le jugement à émettre et mûrit la bonne décision à prendre.
La solitude de celui qui tient le gouvernail n’est jamais aussi profonde qu’au moment des décisions graves, quand vient le temps des récompenses et des sanctions. Il n’a alors que sa seule conscience pour juge.
Devenu la proie des nouvelles passerelles, que l’on appelle les réseaux sociaux, le chef se sent épié, vu et exposé dans cette démocratie hyper médiatisée. Tout se sait, tout se dit et tout est filmé. Son intimité est violée, diffusée en temps réel accroissant son besoin de protection ainsi que de solitude.
Renfermé sur lui-même, le chef revoit avec nostalgie son jour de gloire quand le wagon de l’adhésion à sa personne est bondé, transporté par la houle des partisans de la 25è heure embarquant toujours au portail des vainqueurs. Sa résidence, comme son carnet d’audiences, est pleine à craquer. Politiciens parvenus, stars de la scène, sportifs de haut niveau, nouveaux riches subissent le même vertige d’un pouvoir longtemps espéré ou soudain offert.
Son nouveau détenteur devient une attraction comme le bébé inespéré dans un foyer resté longtemps triste, car sans enfant. On anticipe ses vœux, ses ordres parfois imaginaires s’exécutent. Sa gaîté devient forcément contagieuse.
On suggère au chef ce qu’il doit aimer et bien sûr avec qui frayer du haut de son nouveau standing. La crème de la cohue est là, pense pour lui, trie la bonne graine de l’ivraie à sa place.
L’ivresse du pouvoir, fille de la célébrité, du succès, de l’argent, ajoutée aux manœuvres d’habiles courtisans, annihile ses capacités de discernement. Cet être ne doit pas douter. Tout en lui doit exprimer le contentement.
Le chef est heureux. Son bonheur lui est instillé par une perfusion d’allégresse placée à la manière du remède chez un malade. Nombreux sont les auteurs de cette joie immense, ces inconnus devenus nouveaux amis aux talents et entregent miraculeux.
Destin inscrit dans les étoiles
Les ancêtres qui se sont penchés, telles des fées, sur le berceau du futur chef, les visites nocturnes pleines de risques chez tous les charlatans des contrées les plus lointaines pour matérialiser le grand destin du chef inscrit dans les étoiles avant même sa conception, ce sont eux. Toutefois, la lucidité, qui vient après l’innocence de l’enfance, le rend souvent insensible à la flatterie dont les auteurs, comme on le sait depuis la Fontaine il y a quatre siècles, vivent aux dépens de ceux qui les écoutent.
Ces amis des jours de triomphe avancent masqués avec à l’esprit une seule préoccupation : comment monnayer l’ivresse collective en portefeuilles ministériels ou boursiers, en marchés, influence et argent, ce nouveau Dieu.
Les hommes qui ont concouru à le hisser au sommet attendent un retour d’ascenseur, demandent des faveurs qui jurent en général d’avec les lois et les règlements en vigueur. Le chef est le seul à décider ayant en perspective les prochaines échéances électorales. Il ressent cette solitude unique dans le choix entre le respect de son serment, donc l’intérêt de tous et les sollicitations partisanes.
Le même sentiment l’étreint au moment d’initier les grands changements susceptibles de bouleverser les habitudes acquises et les traditions de la société. Dans son intime conviction, ces actes doivent être posés même s’ils heurtent des mentalités rétives à la nouveauté.
Il vit un autre dilemme lorsqu’il doit exercer son droit de grâce. Au-delà de ce que prévoit la loi, de ce que suggèrent les conseillers, contre surtout une grande partie de l’opinion du moment, il doit trancher. Et choisir entre ce qu’il estime utile pour le grand nombre et sa propre inclination à reculer pour ne pas compromettre son propre avenir. Comment agir alors pour entrer en guerre ou faire la paix avec l’ennemi ?
Attentes des partisans
Le chef sans envergure, parvenu à la haute charge sans être leader, ne connait pas de de tels déchirements. Ayant scellé un pacte avec la durée, son obsession est de rester pour jouir des délices du pouvoir qui lui permettent de violer allègrement la loi, les normes, les procédures pour s’attacher la fidélité de ses partisans
Lorsque vient le temps où il n’est confronté qu’à lui-même dans son intimité absolue, quand le jour se retire, le chef n’a alors que la solitude pour seule compagne. Alors, doit lui venir à l’esprit cette sentence du poète, romancier prolifique et homme politique Victor Hugo : « la solitude est bonne aux grands esprits et mauvaise aux petits. La solitude trouble les cerveaux qu’elle n’illumine pas ».
Quand la cour se clairseme autour du chef, que désertent les visiteurs du soir, que montent les contestations, que les sondages signalent la lassitude du peuple, alors, le wagon des partisans tombe en panne subite et ne circule plus. Son téléphone sonne de moins en moins, sa salle d’attente se vide. Lui seul connait enfin ses désirs auparavant portés par des courtisans soudain introuvables. C’est le signe que l’histoire s’émancipe du pouvoir. Le dilemme pour le chef est d’abandonner l’une pour l’autre. Le pouvoir veut être conservé et exercé alors que l’histoire vous tend les bras en vous imposant le renoncement.
Face à l’éternité, deux temps inconciliables : hier et demain. Et en ses mains, un pouvoir dépouillé qui met en lumière compromissions et lâches ententes.
Dans sa solitude, le chef rumine cet instant consubstantiel à l’exercice du pouvoir. Tiraillé entre conseillers aux visions contradictoires, celles qui forgent sa religion.
Récriminations
Le chef constatera qu’un désert s’est créé autour de lui avec un décret controversé, une décision critiquée, une faveur refusée, une ambition inassouvie, un ordre incompris, un jugement erroné. Alors vient le temps où il sera accusé de n’avoir jamais voulu écouter, d’avoir été perméable au favoritisme, de manquer de leadership et de bon sens. On sera loin de l’homme décrit par des laudateurs comme le messie que la nation entière attendait.
Le chef, hier porté aux nues, devient, sans transition, têtu, obstiné, dictateur, manipulé par un entourage agrippé à ses privilèges, prompt à s’accaparer des prébendes et autres avantages illicites. Les thuriféraires sont les premiers à se tourner vers d’autres horizons qu’ils croient plus verdoyants, vers lesquels ils dirigent sans état d’âme leurs éloges en même temps que leur nouvelle allégeance.
Ils ferment les oreilles aux mots de Charles De Gaulle leur disant dans ses Mémoires : « Dans le tumulte des hommes et des évènements, la solitude était ma tentation. Maintenant, elle est mon amie ». Nos chefs esseulés n’en diront pas moins.
L’écartèlement permanent est le lot quotidien du chef. La solitude triste et sécrète qui demeure la seule lumière des meilleurs cerveaux.
La nouveauté avec ce qui s’est passé dans le saccage des locaux du journal Les Echos, c’est de voir quasiment une revendication du crime. On semble vouloir nous ramener aux heures sombres de la décennie 2000-2010
Depuis des années, la presse au Sénégal donne le sentiment, pour ceux qui en sont membres, de faire du surplace. Si les années de Wade s’étaient caractérisées par des dérives et des menaces à l’encontre des médias, dont les moindres et les plus banals furent les emprisonnements de journalistes selon la volonté des tenants du pouvoir, au moins on n’hésitait pas à les dénoncer. Mais l’arrivée de Macky Sall, loin d’apporter le changement profond et véritable que tous espéraient, semble vouloir nous ramener aux heures sombres de la décennie 2000-2010. Sans nous offrir le paravent de la justice.
La nouveauté avec ce qui s’est passé dans le saccage des locaux du journal Les Echos, c’est de voir quasiment une revendication du crime. En effet, quand un parti politique légalement constitué se permet, de manière concomitante à la commission des actes de barbarie à l’encontre d’un journal, de publier un communiquer pour «avertir» la Rédaction dudit journal sur les conséquences de ses écrits, ne peut-on parler de revendication ? Le fait que cet acte ne soit suivi d’aucune conséquence légale ne peut-il être assimilé à une marque d’impunité et à un appel à casser du journaliste ?
Le Cdeps a rappelé que ce saccage n’est que le dernier acte d’une suite d’agressions que subissent les journalistes dans ce pays, sans que leurs auteurs ne soient inquiétés. La presse dans ce pays n’a jamais demandé de traitement de faveur, preuve que les journalistes ne se considèrent pas comme des citoyens à part. Pour autant, ils n’estiment pas jouir des mêmes droits que le citoyen moyen. Rien ne leur est pardonné dans la pratique de leur métier.
Le Sénégal aime à se vanter d’être une grande démocratie qui se caractérise par sa large liberté de presse. De plus en plus, cette affirmation devrait être nuancée au regard de la pratique. Nous en sommes arrivés au point où nous nous demandons s’il y a une différence entre vivre sous le régime de Yahya Jammeh et être journaliste dans le Sénégal de Macky Sall. Au moins, sous Jammeh, les gens étaient conscients de ce qu’ils risquaient en écrivant. Sous Macky Sall, ne sont réprimées que des infractions que les personnes bien pensantes jugent contraires à leur morale. Des disciples de certains dirigeants religieux peuvent se permettre de menacer les journalistes sans que personne ne songe à les interpeller.
Pense-t-on que ces hordes que l’on laisse agir ainsi ne se limiteront-elles qu’aux journalistes ? Que fera-t-on quand les journalistes commenceront à brider leur plume et n’oseront plus dénoncer certaines dérives, comme le souhaitent tous ces délinquants ? Qui se posera alors en recours ?
par Abdoulaye Bathily
SENGHOR DÉFORME L'HISTOIRE DU PEUPLE SÉNÉGALAIS
EXCLUSIF SENEPLUS - Juillet 1978, l'ancien ministre alors en clandestinité, déconstruit point par point dans les colonnes de Vérité, organe de la Ligue Démocratique, un pan de l'Histoire du pays travesti par le président-poète
Ce texte a été publié dans Vérité N°2, organe de la Ligue Démocratique (LD), en Juillet 1978 dans les conditions de la clandestinité. Mais nous avons tenu à garder le texte intégralement en n’en corrigeant que quelques méprises de formes.
Il a été distribué sous le manteau aux participants des Assisses des Etats Généraux de l’Education organisées en juillet 1978 à l’Ecole Berthe Maubert à Dakar, et qui précéderont ceux tenus sous l’égide du gouvernement en 1981 sous la pression de la grève du SUDES.
L'histoire comme toutes les sciences en général et les sciences sociales en particulier, ne saurait échapper à l'influence déterminante de la lutte des classes. Pour justifier telle ou telle attitude du présent, chaque classe et chaque groupe de la société à besoin de présenter une certaine image du passé. Ainsi le régime colonial représentait les Africains comme appartenant à une sous-humanité éternellement dépendante du reste de la planète. Cette image des sociétés africaines servait de justification idéologique à la politique d'exploitation économique sans limite des travailleurs et des peuples des colonies.
Le développement du nationalisme africain dans la première moitié du XXe siècle a conduit à un renversement de cette perspective colonialiste de notre histoire.
Par exemple, les travaux d'un Nkrumah, d'un Eric Williams pour les colonies britanniques, ceux de Cheikh Anta Diop, de Mahjmout Diop, d'un Abdoulaye Ly, de Joseph Ki-Zerbo, etc. pour les pays sous domination coloniale française, s'inscrivent avec leur mérite respectif dans le courant de la décolonisation de l'histoire africaine.
Depuis l'indépendance, de nombreux historiens africains patriotes et même des internationalistes comme Jean Suret Canale, Basil Davidson, etc. poursuivent en l'approfondissant cette œuvre de renaissance culturelle africaine.
A contre courant de ce mouvement se situe Senghor et ses historiens de service. La bourgeoisie bureaucratique et compradore qui représente les intérêts de l'impérialisme français chez nous tente par tous les moyens de faire prévaloir une certaine image de notre passé qui concilie ses propres intérêts avec ceux de ses maîtres étrangers. Ces efforts sont déployés au mépris de la vérité scientifique.
Ainsi pour Senghor, les trois siècles de présence française sur notre sol sont « trois ans d'amitié entre le Sénégal et la France » ! La traite des esclaves, la conquête militaire, l'exploitation économique, et leur corollaire, la destruction de nos sociétés, seraient des témoignages de l'amitié entre ces deux pays !
L'on sait qu'en 1945 déjà le théoricien de la Négritude minimisait les effets de la colonisation lorsqu'il écrivait : « le problème colonial n'est rien d'autre au fond qu'un problème provincial, un problème humain. Je ne suis pas le premier à l'avoir remarqué. Lyautey, l'avait déjà dit, et, plus près de nous, Delavignette, cet humaniste impérial, dans son livre au titre si suggestif : Soudan - Paris - Bourgogne, Paris unissant les deux provinces ». (Léopold Sédar Senghor, la communauté impériale française).
Deux autres faits montrent encore le travestissement de notre histoire nationale au profit de l'impérialisme français par les idéologues du régime.
- Le problème des cahiers de doléances des habitants de Saint-Louis aux états généraux de la révolution française de 1789
- Le chant de la jeunesse : Niani Bagnna.
1. De manière rituelle, Senghor proclame que les auteurs des cahiers de doléances sont les précurseurs de la nation sénégalaise d'aujourd'hui. Ils seraient même les fondateurs de la démocratie sénégalaise, etc.
Cette interprétation ne résiste pas à une critique tant soit peu sérieuse. Les auteurs des cahiers de doléances représentaient environ 2000 individus libres, des traitants pour la plupart (métis ou mulâtres, des petits blancs venus chercher fortune en Afrique et quelques nègres) sur une population totale évaluée à plus de 6 000 à l'époque (île de Ndar). La majorité de la population de l'île était composée d’esclaves, de domestiques, d'ouvriers et de laptots (ouvriers de la navigation fluviale) tous nègres, qui étaient tenus à l'écart de l'administration et de la politique du comptoir de Saint-Louis.
Cette poignée de traitants vivait essentiellement en marge du reste de la population du pays. Les rapports entre les traitants et le reste de la population autochtone n'étaient que des rapports de marchands à clients. Les traitants n'ont jamais envisagé un seul instant de représenter les intérêts des « indigènes » auprès des autorités françaises.
Leurs doléances portaient sur deux points essentiellement :
a) les traitants aspiraient à être traités comme des citoyens français à part entière. A l'instar de Senghor, aujourd'hui, ils considéraient la France comme le pays modèle en tout.
« Nègres ou mulâtres nous sommes tous français puisque c'est le sang des français qui coule dans nos veines ou dans celles de nos neveux. Cette origine nous enorgueillit et élève nos âmes. Aussi, aucun peuple n'a montré plus de patriotisme et de courage ! Lorsqu'en 1757, le Sénégal fut lâchement rendu aux anglais. Nous voulions le défendre malgré les chefs de la colonie ...
Nous avons regardé comme le plus beau jour de notre existence, celui où en 1779, nous jouîmes du plaisir de voir flotter la bannière française sur le port de Saint-Louis. Nous accueillîmes tous les français comme nos libérateurs, comme nos frères ... »
b) Aux 17ème et au 18ème siècle la traite des esclaves et le commerce de la gomme était pratiquée par une compagnie, la compagnie du Sénégal qui en avait le monopole. Ce monopole était exercé au détriment des petits blancs et des traitants qui revendiquaient le droit d'exercer librement le métier très lucratif qu'était alors le commerce des êtres humains. Les cahiers de doléances étaient adressés au roi de France pour amener ce dernier à supprimer le privilège de la compagnie et à libéraliser le trafic négrier. Cet autre passage du document est très net à ce sujet.
« Aussi notre étonnement fut extrême quand nous vîmes publier le privilège exclusif de la traite des Noirs dans toute l'étendue du fleuve. Ce fut un jour de deuil et de consternation dans tout le pays ! ...La traite des Noirs est celle où nous avons généralement le plus de part parce que nous avons des bateaux et des esclaves matelots que nous envoyons jusqu'en Galam (Haut Fleuve) traiter des noirs que nous vendons ensuite à des marchands européens au Sénégal avec un léger profit ». Sur le texte intégral des cahiers de doléances, voir le livre de Lamiral l'Afrique et le peuple africain considérés sous tous leurs rapports avec notre commerce et nos colonies. Paris, Librairie Dessenne, 1789.
Les doléances qui avaient été adoptées le 15 avril 1789 par l'Assemblée générale des habitants de l'île Saint-Louis furent rédigées par le nommé Charles Cornier, alors maire de Saint-Louis et président de la dite Assemblée. Elles ont été portées devant les Etats Généraux par un autre colon M. Lamiral désigné en la circonstance comme « député du Sénégal ».
Comme on le voit, le contenu de ces doléances n'a rien à voir avec les préoccupations de l'immense majorité des populations du territoire qui forment le Sénégal d'aujourd'hui. Les revendications de ces colons étaient diamétralement opposées à celles des paysans de l'époque qui étaient soumis à la tyrannie des négriers.
On ne peut donc décemment proposer au peuple sénégalais de telles doléances comme une source d'inspiration dans sa lutte pour la démocratie véritable et le progrès social.
2. Le choix de Niani Bagnna comme hymne de la jeunesse de notre pays révèle encore l'orientation néocoloniale de la politique culturelle du régime. Les Sénégalais savent que ce chant a été composé par des griots du Kajoor à l'occasion de la guerre qui a opposé le Damel Lat Joor au roi du Niani (royaume sénégalais de la Haute Gambie).
Par sa signification, ce chant évoque un chapitre des luttes intestines entre les entités politiques du territoire de notre Sénégal actuel. Ces divisions crées et entretenues par les conquérants ont pesé négativement sur l'action unie des différents mouvements populaires contre la conquête. Leur influence a heureusement commencé à s'estomper chez les citoyens d’aujourd’hui.
Un régime soucieux de promouvoir l'unité nationale en général et celle de la jeunesse en particulier aurait pu choisir un hymne autre que celui-là.
Par exemple Malaw, ce chant dédié au célèbre coursier de Lat Joor. Malaw refuse, dit-on, de voir le chemin de fer qui, à ses yeux symbolisait la domination française au Kajoor. Un tel hymne, par sa signification sied mieux aux préoccupations de notre jeunesse qui dans sa majorité lutte contre la domination du capital étranger et ses alliés, les principaux ennemis de notre peuple.
Ici, encore, on le constate, le choix de Niani Bagnna n'obéit à d'autre logique que celle qui consiste pour le régime de Senghor inconditionnellement profrançais, à ne rien entreprendre tant au plan économique que culturel qui touche aux intérêts de ses maîtres.
Le combat pour une culture nationale et populaire est indissociable de la lutte générale que mène notre peuple pour sa libération totale. La lutte sur le front culturel est une autre dimension importante de l'action multilatérale que Vérité, notre journal, entend mener.
par l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
ENTRE L’INCONSCIENCE DES SENEGALAIS ET L’IMPUISSANCE DES AUTORITES
Et si le coronavirus faisait plus de victimes que ce que les autorités veulent bien admettre à travers leurs communiqués quotidiens et leurs statistiques ?
L’année 2020 restera gravée dans les annales de notre Histoire comme étant l’une, si ce n’est la plus macabre. En effet, en l’espace de sept mois seulement, le Sénégal a perdu plusieurs de ses fils et non des moindres. Le rythme de décès des personnalités politiques, religieuses, médiatiques, économiques, culturelles est tel qu’on ne peut s’empêcher de s’inquiéter. Et si le coronavirus faisait plus de victimes que ce que les autorités veulent bien admettre à travers leurs communiqués quotidiens et leurs statistiques ?
On peut citer entre autres illustres morts de ces derniers mois — et dans un désordre chronologique — Pape Diouf, ancien président de l’Olympique de Marseille, Bamba Ndiaye, ancien ministre, journaliste, islamologue, Alioune Badiane, ancien directeur des Programmes de ONU-Habitat à Nairobi, Pape Malick Sy, porte-parole du khalife général des Tidianes, Mansour Kama, patron de la Cnes, Reine-Marie Faye, journaliste, Gora Ngom, patron de khelcom bâches, Babacar Touré, journaliste, Président fondateur du groupe sud Communication, Cheikh ahmed Tidiane Niasse, khalife général de Médina baye, Cheikh Ahmed Tidiane Seck, khalife de Thienaba Seck, El Hadj Tafsir sakho, de la famille d’El Hadj ibrahima sakho, kader Diop, journaliste, El Hadj Moussa Dia , khalife de Mbeuleukhé. s’y ajoutent Ousmane Dramé, le khalife de Keur Samba kheury Dramé, l’anthropologue, muséologue, musicologue, critique d’art et chercheur, Ousmane sow Hu - chard, serigne abdou aziz Fall, petit-fils de Mame Cheikh Ibrahima Fall, Mouhamed Samb, secrétaire général du Cadre de Concertation Libérale (CCL), le guide religieux de Sagne bambara, Cheikh samba Diallo, Balla Sidibé, chanteur et fondateur de l’orchestre baobab. Bien qu’illustres, le journaliste Mamadou Ndiaye Doss et l’ancien ministre de l’intérieur du président Wade, Cheikh Sadibou Fall, eux, sont décédés à l’étranger.
Il faut le dire tout haut : plusieurs de ces décès sont liés au coronavirus même si certains parents de ces illustres personnes décédées refusent mordicus de lier la mort de leur proche au Covid-19.
La gestion par les autorités de la pandémie présentée comme une « maladie de la honte » fait en effet qu’aujourd’hui beaucoup de ces personnes atteintes refusent d’admettre qu’ils ont contracté le coronavirus. Et pour beaucoup de morts rapides et suspectes, les parents des défunts jurent leurs grands dieux que leur proche disparu est mort d’une maladie autre que le « corona ».
En effet, il y a eu plusieurs mythes qui ont été développés autour de cette maladie et qui ont fini par la diaboliser. a preuve, pas plus tard qu’hier, des talibés de serigne Moustapha Sy ont attaqué le siège du journal Les Echos coupable d’avoir simplement relaté l’information selon laquelle le guide des Moustarchidines serait infecté par le coronavirus.
D’ailleurs, au niveau de ministère de la santé, il est strictement interdit de prononcer le nom des morts du Covid-19 par peur de stigmatisation. C’est un secret de Polichinelle de dire que le Covid-19 a emporté les ¾ de ces personnalités sus-citées. Surtout, à côté de ces personnalités célèbres, des anonymes meurent désormais chaque jour dans nos villes et nos villages et sont enterrés à la hâte sans être comptabilisés dans les statistiques officielles des victimes du coronavirus. Ce n’est pas tout puisque, quand on constate le relâchement des populations dans le respect des mesures barrières, notamment le port du masque et la distanciation physique, il y a de quoi craindre le pire c’est-à-dire un éventuel boom de contaminations dans les prochains jours.
Pape Diouf décède à Dakar du Covid 19
La nouvelle surprenante de la mort de l’ancien président de l’Olympique de Marseille, Pape Diouf, première victime du Covid dans notre pays, avait sonné le tocsin de la dangerosité du Covid19. L’anxiété était palpable chez beaucoup de sénégalais au point que la plupart d’entre eux avaient respecté strictement les mesures barrières et les mesures restrictives édictées par le chef de l’Etat et son gouvernement. Mais indépendamment du discours présidentiel qui recommande de vivre avec le virus et de sortir de l’auto confinement, la lassitude, le manque de ressources et les exigences de la dépense quotidienne ont fini par conduire les sénégalais, fatigués économiquement, à dédramatiser la maladie et reprendre leurs activités.
Avec le raisonnement suivant : on n’est pas sûrs de mourir du coronavirus mais, par contre, on est certains de mourir de faim si nous restons confinés dans nos maisons. aujourd’hui, le talon d’Achille du gouvernement dans la lutte contre le coronavirus, c’est son incapacité à lier efficacement la reprise des activités économiques et la cohabitation avec le virus tueur.
Au vu du comportement de nos compatriotes, on a comme l’impression que le Covid-19 est un souvenir lointain alors qu’il continue de faire son œuvre macabre. Rien n’indique dans le comportement de la majorité des sénégalais une conscience de la dangerosité de la maladie. Dans certaines parties de notre pays, les rares personnes qui portent le masque sont indexées. Dans certains services, le thermoflash est inexistant et à l’entrée, il n’y a plus de gel hydro-alcoolique. Et les quelques personnes qui font semblant de porter le masque, le mettent sous le menton.
Aucun respect de la distance sociale. D’ailleurs, les accolades sont fréquentes et les prises de thé collectives avec les mêmes tasses dans les quartiers ou dans certains points de vente sont redevenues une réalité. Dans les transports publics, le protocole mis en place par le ministre des Transports n’a plus été respecté à l’approche de la tabaski où les voyageurs prenaient des bus hors des lieux officiels légaux de départ que sont les gares routières. Lors des funérailles de Pape Diouf, des mesures drastiques avaient été prises pour limiter le nombre personnes assistant à la levée du corps et à l’inhumation de l’ancien président de l’Olympique de Marseille. D’ailleurs des agents de police étaient même déployés pour veiller à l’application des mesures restrictives lors de sa mise en terre. Depuis quelques semaines, voire des mois, il y a désormais foules dans les cimetières sans que cela dérange qui que ce soit. Les cérémonies matrimoniales, les baptêmes, les funérailles, les prières collectives occasionnant des rassemblements grandioses ont repris de plus belle. Dans les quartiers, les terrains de sports refusent du monde. Finalement les regroupements humains craints au niveau des établissements scolaires sont déportés dans les quartiers. A cela s’ajoutent les plages et autres stations balnéaires qui sont bondées de monde, des jeunes pour la plupart. D’ailleurs il n’est pas étonnant de voir que la tranche d’âge la plus touchée est celle allant de 16 à 39 ans. Et au sortir de cette tabaski, il est à craindre une explosion des taux de contamination.
Le Sénégal dans la zone rouge
Les indicateurs de la situation épidémiologique montrent que notre pays est dans la zone rouge de la pandémie. Au jour du 3 août, le Sénégal comptait 10 386 cas de contaminations officiellement recensées. Les quatre districts de Dakar concentrent à eux seuls 5 669 des cas de contamination (CC) (Dakar Ouest : 1 541 ; Dakar Centre : 1 509 ; Dakar sud : 1 413 et Dakar Nord : 1 206) soit 54,58%. Les autres localités de Dakar font 2 044 soit 19,68 %. Par conséquent la région médicale de Dakar fait 7 713 des CC soit 74,26%. Suivent les régions de Thiès avec 1043 CC soit 10,04 % et de Diourbel avec 678 CC soit 6,52 %. Ces trois régions médicales concentrent 9434 de CC soit 90,83 %. Avec ses 211 morts, le Sénégal affiche un taux de létalité (TL) de 2,03 % alors que celui moyen de l’Afrique est de 2,15 % et le Tl du monde de 3,81 %. il y a un mois, le TL du Sénégal était à 1,5 %. Concernant le nombre de personnes infectées, notre pays est 2e au niveau de l’Uemoa, 4e dans la Cedeao, 13e en Afrique, 82e au niveau mondial. Et pour ce qui est du nombre des morts, les places du Sénégal ne sont guère enviables : 1er au sein de l’Uemoa, 2e dans la Cedeao, 11e en Afrique, 77e au niveau mondial.
Hélas, face à une telle hécatombe, la seule stratégie du ministre de la santé, Abdoulaye Diouf Sarr, pour faire reculer ces chiffres macabres et désespérants, c’est de livrer aux sénégalais une litanie matinale sur la situation épidémiologique. Une litanie que les sénégalais n’écoutent d’ailleurs même plus. Si Serigne Babacar Sy Mansour, khalife des Tidianes, en arrive encore à enjoindre aux autorités de dire aux sénégalais la vérité sur la pandémie, c’est parce qu’il sait, comme beaucoup de nos compatriotes, que les chiffres livrés chaque jour sont loin de livrer la réalité épidémiologique. il y a plus de morts du corona, plus d’infectés que ce que dit le ministère de la santé.
C’est l’impression générale corroborée par le nombre effarant d’annonces de décès faites chaque jour. Tout se passe, au niveau des autorités, comme s’il ne fallait pas dépasser les cinq morts quotidiennes. Pourtant des sources nous indiquent que le seul jour où l’on a annoncé cinq décès, il y en avait 10 autres passés sous silence. Le nombre de tests a été réduit parce que les centres de traitement sont sursaturés. Les 78 milliards dépensés en 5 mois de pandémie n’ont pas donné les résultats escomptés. Qu’a-t-on fait de tout cet argent au point que le Dr Abdoulaye Bousso, directeur du Centre des opérations d’urgence sanitaires (Cous), lance un cri de détresse avec ses maigres 50 millions de francs CFa de fonctionnement de sa structure ?
Pourtant le Cous, en matière pandémique, doit être en première ligne dans toute lutte contre les maladies d’origine virale. Un changement d’attitude s’impose chez les sénégalais, c’est incontestable. Toutefois, les autorités en charge de la santé des sénégalais ne doivent pas baisser les bras, avouer leur impuissance comme s’ils livraient nos compatriotes à cette pandémie à coronavirus qui a déjà fait plus de 600.000 morts à travers le monde.
Par Cheikh Tidiane NDIAYE
CE QUE J’AURAIS VOULU TE DIRE !
Babacar... c’est pour nous tous le temps de regretter cette perte amère… pour moi, le temps de feuilleter le livre de ma vie et d’en marquer les pages à la lumière de ta présence bienveillante.
Il y a quelques jours s’éteignait l’une des belles âmes de notre pays.
Babacar... c’est pour nous tous le temps de regretter cette perte amère… pour moi, le temps de feuilleter le livre de ma vie et d’en marquer les pages à la lumière de ta présence bienveillante.
Au-delà de ma peine, je relie avec émotion ces pages privées et professionnelles que toi et moi avons partagé ensemble.
Ces rencontres et ces entretiens toujours riches et constructifs, souvent décisifs qui ont jalonné ma vie…Mais je sais, à travers mon chagrin que si l’absence sépare les amis, elle ne désunit jamais les cœurs.
Babacar tu fus l’ami proche de mon frère ainé disparu que tu rejoins aujourd’hui dans un monde de paix et de sérénité…J’en suis heureux pour vous.
Tu as souvent partagé le pain dans notre maison familiale, nous t’avons toujours considéré comme l’un des nôtres …
Pour moi admiratif et jeune reporter qui partageais ta passion pour le journalisme et l’information, ta soif d’entreprendre et ton besoin crucial d’indépendance, tu fus plus qu’un modèle… tu es une référence…
Associé et partenaire éclairé, tu devins un précieux ami.
Sache Babacar que c’est par tes conseils judicieux, ton sens de la persuasion et ta générosité discrète que j’acceptais de quitter la France pour tenter l’aventure sénégalaise qui aujourd’hui encore définit ce que je suis.
Sache que je suis fier des pages que nous avons remplies ensemble.
Homme d’influence, tu as cru en moi, tu m’as ouvert les portes de plusieurs figures emblématiques de notre continent et d’ailleurs.
Homme d’entreprise visionnaire, tu m’as longtemps et discrètement soutenu dans nos prises de risques communes pour offrir à notre pays la presse audiovisuelle indépendante qu’elle mérite.
Après plusieurs collaborations fructueuses, tu fus celui qui en coulisses m’apporta tout son appui, pour produire ce que beaucoup considèrent encore comme l’un des films documentaires phare des années 2000, un produit de qualité répondant aux normes techniques les plus exigeantes « Sénégal la démocratie à l’épreuve des urnes ».
Sans toi le magazine « Raconte un peu » et son succès populaire n’auraient peut-être jamais existé l
Alors « grand frère », merci pour tout, merci d’être toujours resté l’homme que j’ai connu malgré ta réussite et ta notoriété, un homme érudit mais simple, un homme puissant qui sut toujours rester abordable, ouvert et altruiste.
Adieu mon cher Babacar, pars avec toute mon amitié et ma reconnaissance… Ton souvenir m’est si présent, que nous ne serons jamais vraiment séparés.
CHEIKH Tidiane NDIAYE
directeur général MMN pictures
ANCIEN directeur général de senvision SA/ sud prod ( 1998- 2005 )
Par Alioune TINE
LA BRUTALE INTERRUPTION D’UNE ADMIRABLE ET COMPLEXE IDENTITÉ NARRATIVE
On peut considérer Babacar Touré comme la figue archétypale des intellectuels africains post soixante-huitards, panafricanistes, qui partagent des références politiques, culturelles et artistiques de la période postcoloniale
On peut considérer Babacar Touré comme la figue archétypale des intellectuels africains post soixante-huitards, panafricanistes, qui partagent des références politiques, culturelles et artistiques de la période postcoloniale. La profondeur et la sincérité de son engagement pour la cité et pour les autres « je », son combat intransigeant pour le pluralisme politique et médiatique mais aussi pour une démocratie émancipée de toutes les impostures qu’il a d’ailleurs bien déconstruites dans ses derniers éditoriaux qui densifient notre compréhension très restrictive de la démocratie.
On connait l’intérêt majeur que porte Babacar Touré pour l’application des conclusions des Assises nationales et de la CNRI chaque fois qu’il est question de dialogue national au Sénégal. Babacar Touré était, avec Sidy Lamine Niass, un des grands commençants, un des tout pionniers inventeurs d’entreprise de presse privée de qualité, non partisane, animée par des journalistes-intellectuels, libres, compétents, dynamiques et pétris dans les normes d’éthique et de déontologie. Un véritable vivier qui a bien fécondé et enrichi l’écosystème médiatique et démocratique du Sénégal et de l’Afrique.
Sa vision et ses convictions pour une presse libre étaient soutenues par une volonté de créer et de participer à la mise en œuvre de cadres, de mécanismes ou d’institutions de protection et de régulation d’une presse libre, plurielle et démocratique : il a contribué concrètement à la création du SYNPICS, des mécanismes d’autorégulation de la presse et surtout a présidé la CNRA qu’il a profondément marqué. Il avait mis sa démission sur la table lorsqu’on avait voulu enlever l’antenne d’une télévision privée.
Le Groupe Sud communication, avec Babacar Touré a joué un rôle fondamental dans les deux alternances démocratiques, celles de 2000 et de 2012. Avec une touche tout à fait personnelle de Babacar Touré. En 2000, Sud et la RADDHO ont collaboré étroitement avec l’Université Laval au Canada et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), pour la collecte et le traitement des résultats de la Présidentielle. SUD FM était représentée par Chérif El Valide Seye. La RADDHO qui avait déployé 2000 observateurs à l’époque transmettait directement les informations à SUD à la fin des dépouillements. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si Abdou Diouf président sortant s’était adressé à Babacar Touré pour être édifié définitivement sur les résultats du vote, indépendamment des informations fournies par son Ministre de l’intérieur de l’époque le Général Lamine Cissé. Il convient de corriger une image d’Epinal portée à l’époque par les médias et consistant à dire que l’alternance était l’affaire des téléphones portables et des radios libres qui ne sont en fait que des supports en oubliant le travail de terrain substantiel des observateurs de la RADDHO.
Concernant l’alternance de 2012, Sud et Walfadjri avec Babacar et son style qu’on lui connait a joué un rôle fondamental d’abord par sa contribution précieuse dans les orientations et la stratégie du M23, j’ai eu des discussions périodiques très riches souvent aux Almadies où l’on avait l’habitude de se rencontrer.
Le 23 Juin, Babacar Touré faisait partie des toutes premières personnes à venir me voir à mon chevet à l’hôpital Principal après mon agression et m’appelait souvent. A ma sortie de l’hôpital, c’est lui qui est venu me chercher pour me loger gratuitement, dix jours durant, à la Résidence Madamael dans une Suite qu’il réservait à son ami, le professeur Alpha Condé. Il mettait gratuitement à la disposition du M23, les salles de réunions de la Résidence. Je me rappelle qu’une des réunions les plus stratégiques du M23 qui se déroulait dans la salle 2, qui réunissait les candidats à la présidence pour signer une déclaration commune qui devait sceller l’unité des leaders politiques du M23.
Participaient à cette rencontre, Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Ibrahima Fall, Mahmoud Saleh. Modiène Ndiaye et Serigne Mbaye Thiam étaient dans le comité de rédaction du texte. SUD et Babacar avaient amplifié la plupart des actions militantes de la RADDHO. Je me rappelle qu’en 1994, après la détention à Rebeuss de Maître Abdoulaye Wade, Landing Savane, Cheikh Tidiane Sy (Anciens Garde des sceaux), Serigne Pape Malick Sy et Habib Sy, suite à l’affaire des Moustarchidines et des policiers tués, la RADDHO avait demandé la libération des parlementaires et fait circuler une pétition publiée par Sud.
Babacar Touré avait offert gratuitement une page du journal Sud quotidien à la RADDHO. Plus récemment, lors de la Présidentielle de 2019 au Sénégal, la société civile avait engagé des actions pour apaiser la situation politique tendue avec la déclaration de certains leaders. On avait envisagé d’aller à Touba rencontrer le Khalife Général des mourides.
C’est Babacar Touré qui de façon discrète a arrangé tous les détails de la rencontre et du séjour qui s’est déroulé dans son domicile de Touba. Babacar Touré avait une influence réelle et effective en Afrique de l’Ouest, avec ses médiations discrètes, silencieuses et à peine visibles.
Récemment après l’échec de la médiation de la CEDEAO et de la communauté internationale auprès du Président Alpha Condé, il s’est rendu en Guinée sur la recommandation du Professeur Abdoulaye Bathily, pour parler avec le président Guinéen pour tenter d’intervenir sur la situation politique très complexe et très tendue pour faciliter le dialogue et apaiser les tensions.
En 2000, avec Babacar Touré, Albert Bourgi, Maître Robert Dossou on a mis en place le comité pour la libération d’Alpha Condé avec Maître Boucounta Diallo, Maître Ousmane Ngom et Maître Amady Aly Kane comme avocats défenseurs.
En 2005, je l’ai rencontré au Togo pendant la grave crise électorale et en Mauritanie lors de l’élection présidentielle de mars 2007, avec l’élection du président Cheikh Ould Abdallahi. On évoque peu la figure de l’acteur du développement économique et social qu’est Babacar Touré, par sa vision du développement, par ses initiatives audacieuses et par ses actions concrètes qu’il doit également en partie à son passage à Enda et à son compagnonnage avec Jacques BUGNICOURT.
Cet homme avait tous les talents, et c’est véritablement un atout de plus que détenait Babacar Touré par rapport à la plupart des militants et activistes de gauche souvent fauchés et à qui il venait en aide en toute discrétion. Babacar Touré incarnait jusqu’au bout la philosophie sénégalaise du « YËG », qui est le pendant de la philosophie anglophone du « Care », du soin, de l’altruisme, de la considération à l’autre. Autrement dit l’humanisme, l’empathie, la sacralité et l’éternité des liens avec l’autre.
D’ailleurs toutes les personnes qui ont eu des relations suivies avec Babacar Touré, ont l’impression d’avoir des relations tout à fait privilégiées avec lui, parce que Babacar considérait toujours son semblant comme une personne importante, comme une relation qui compte beaucoup. J’ai été un témoin et un bénéficiaire de ce soin particulier que Babacar Touré portait à l’exceptionnalité de la personne humaine.
Comme dit si bien la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury dans sa leçon inaugurale de la Chaire humanités et santé au CNAM : « Pour ma part, défendre l’exceptionnalité de l’homme reste la seule manière d’imaginer, de maintenir l’humanisme du genre humain au sens que cet humanisme remet en cause les barbaries de l’homme, au sens où cet humanisme est ce visage, capable de mettre à nu son horreur et son spectre.
Donc l’exceptionnalité de l’homme demeure une fiction régulatrice encore faut-il l’interpréter justement du côté de la responsabilité, du côté de l’éthique et du cercle de l’éthique à agrandir et non pas de l’impunité. Une exceptionnalité de l’homme du côté du devoir de symbolisation et de sublimation pour nous permettre non pas de nier nos limites intrinsèques, nos manques, mais d’en faire quelque chose et de bâtir une société qui ne soit pas celle du ressentiment ». Rarement je n’ai été autant bouleversé par la mort d’une personne.
On était dans une situation d’échanges et d’interactions soutenues sur les problèmes du Sénégal et du continent en prenant comme prétexte certains éditoriaux de Sud signés Calame ou ses propres éditoriaux que je commentais dans mes tweets que je lui renvoyais. Et après discussions, il terminait toujours ses phrases par la formule rituelle: « Frangin, on reste dur sur le point ». C’est pour cela je considère la mort de Babacar Toure comme quelque chose d’abstrait et d’irréel, mais surtout la brutale interruption d’une admirable et complexe identité narrative. Il n’avait pas terminé sa mission en tant qu’être humain, nous sommes par définition des manquants, il nous est impossible de terminer notre mission sur terre.
L’essentiel c’est le legs et celui de Babacar est très riche et peut constituer le patrimoine immatériel, source d’inspiration pour nous tous, pour les jeunes générations. C’est à nous d’accompagner Sud communication, qui a été un des marqueurs les plus sûres de l’évolution politique et médiatique du Sénégal depuis les années 80 pour qu’elle poursuive avec succès cette exaltante mission.
A Sud communication, aux professionnels des médias, à sa famille et à tous, je présente mes condoléances les plus sincères.
par Koulsy Lamko
TOUT DÉBOULONNER MAIS NE RIEN OUBLIER
EXCLUSIF SENEPLUS - Pendant la colonisation l’on pouvait être heureux de s’appeler les évolués, aujourd’hui l’on cultive l’empathie avec son bourreau au point de lui reconnaitre la vertu d’avoir attelé nos ancêtres à la construction des ponts
« Un homme arrive dans une église. On veut le baptiser. On lui dit « On te baptise aujourd’hui ». On prend sa tête et on met dans l’eau. Une fois, deux fois, trois fois. Quand on l’a retirée, on lui dit : « À partir d’aujourd’hui tu es baptisé. Ton ancien nom ? Tu n’es plus ton ancien nom. A partir d’aujourd’hui tu t’appelles David. Et tu ne dois plus boire de l’alcool.
Il arrive à la maison ; il ouvre son frigo, il prend une bière bien glacée. Il plonge dans l’eau : une fois, deux fois, trois fois. « A partir d’aujourd’hui tu ne t’appelles plus… bière. Tu t’appelles… jus d’orange. »
Et il boit.
Un humoriste sur RTI
L’on peut se réjouir que certains actes forts, certaines idées forces qui ont jalonné les processus de décolonisation dans nos pays, reviennent comme un leitmotiv, pour nous rappeler la nécessité et l’exigence d’un transfert intégral de nos souverainetés confisquées. Zaïrianisation, politiques de l’authenticité ayant pour corollaire le changement de prénoms au Tchad, au Togo, le défi sankariste couronné par le dé-baptême de la Haute Volta, etc. Et puis hier encore cette déferlante que soulève la tragédie de George Floyd… et qui parfois s’en prend aux monuments, aux statues, aux noms de rue, de villes, de places publiques… qu’elle s’efforce d’emporter. L’on serait tenté de regarder la vague haute moutonner simplement vers son extinction, sans coup férir. Et puis l’on hésite à se tenir ou non hors des rangs. Surtout que, de se pencher à nouveau sur le déboulonner-débaptiser s’apparenterait à enfoncer les portes ouvertes d’un débat inépuisable, tant il l’est que désormais il se nourrit de la bulle médiatique au point de sortir les politiques de leurs gonds. Il n’en demeure pas moins que les nouveaux contextes géopolitiques nous exhortent au débat. Déboulonner, ne pas déboulonner, débaptiser, ne pas débaptiser… Et voilà plantée la question « existentielle » ! Certes, elle n’est pas à l’abri de la complexité et davantage parce que la spectacularisation de l’obscène est devenue la panacée d’un monde à court d’inspiration et qui se laisse tenir en laisse par l’émotion… douteuse, parfois traitresse. A mon humble avis - puisqu’il s’agit d’opinion -, le dilemme ne devrait pas en être un. Et la question devrait plutôt s’énoncer en ces termes : que veut donc conserver la mémoire collective d’une communauté humaine, d’une nation, d’un empire, lorsqu’elle arpente les péripéties de son Histoire ? C’est de souveraineté qu’il s’agit, de Mémoire et d’Histoire.
D’emblée, il me faut avouer que je comprends difficilement la fougue des jeunes français, belges, anglais, ceux nés de l’immigration récente et qui veulent s’en prendre à la statue de Léopold II dans un patelin de Belgique, celle de Colbert au Sénat français, celle d’Edward Colston à Bristol. Ils devraient avoir adopté tous les fantômes de leur terre de naissance : l’Europe, s’ils ont décidé d’en faire partie !
Et parfois, les mauvaises questions, il faut ne pas éviter de se les poser ? Comment vouloir exiger des nations-criquets-pèlerins, issues d’une civilisation qui s’est construite sur le principe de la prédation systémique et qui au sortir d’un Moyen-âge brumeux lourd de superstitions, de famine, de surpopulation, de maladies, endémiques, qu’elles ne se fussent pas lancées dans l’aventure des conquêtes territoriales et razzias esclavagistes ? Comment attendre de ces nations-criquets-pèlerins qui pour mettre en œuvre leur révolution industrielle, ont eu besoin de matières premières, d’étendre leur marché, de secréter les lois du laisser-faire, qu’elles n’eussent pas été des modèles du gangstérisme ? Que dire donc de toute l’armada intellectuelle, ce que Nkrumah appelle l’Empire scientifique, qui par le biais de mythes têtus et doctrines, a jeté les fondations idéologiques très pérennes de toutes ces formes de domination ?… Comment veut-on que ces nations-criquets-pèlerins qui par deux fois ont entrainé l’Humanité entière dans leurs guerres byzantines chroniques et qui se gavent du négoce des armes, tout en continuant de détruire les autres peuples par tous les moyens de leur « intelligence » et de leurs nouvelles Bulles papales Onusiennes, ne vénèrent-elles pas les héros et hérauts de leur suprématie ? Pourquoi voudrait-on que français, belges, anglais, hollandais, etc., déboulonnent-ils de leur Mémoire barbare, une Histoire certes construite autour de la déprédation, mais qu’ils assument comme hauts faits de gloire puisqu’elle leur a procuré la pitance, les a enrichis et a consolidé leur hégémonie sur le monde ? Leur faire rendre gorge ? Faut pas rêver : la repentance, le pardon, le regret, la contrition, c’est évidemment une chausse-trape judéo-chrétienne, belle ruse qui lave le crime ! De Gaulle adulé n’en est pas moins comptable de l’extermination de centaines de milliers d’Algériens, de centaines de milliers de Biafrais, de trois cent mille militants de l’Union des Populations du Cameroun, de la fondation du système françafricain, des crimes économiques qui résultent de l’imposition du Franc CFA… Et la liste est longue.
En définitive, les gens en Europe sont souverains chez eux et les statues, les bustes, les monuments, sont parfaitement à leur place, là où ils ont décidé de les planter. Image, miroir, images kaléidoscopiques : c’est une question de reflet, de réfraction. Ces œuvres-là ne rappelleraient que mieux la cruauté nécessaire au Léviathan, si elles ne constituent pas en outre un panthéon de fantômes inspirateurs de nouveaux crimes bien d’aujourd’hui. Haro sur le vandale qui voudrait ruiner la mémoire glorieuse des autres !
Déboulonner, débaptiser, dégrader… Ah le cri du cœur : l’on en arriverait à dépeupler les nations esclavagistes et les empires coloniaux de toutes leur belle mise : l’archéologie des savoirs fondateurs de la mission civilisatrice de l’Occident et dont l’édifice idéologique a implanté la fabrique de la mélanophobie, de l’indigénat, du sujet, de la mentalité prélogique, de l’homme de couleur, du nègre primitif, du bon sauvage, de la Terra incognita... C’est dire tagger, noyer, dégrader, maculer de peinture rouge ou fouetter Voltaire, Humes, Beaumarchais, Montesquieu, Adam Smith, Bartholomé de las Casas, Napoléon, Renan, De Gobineau, Ferry, Hegel, Maupassant, Nicolas V, Sarraut, Kant, Colbert,… Victor Hugo dont l’ode au colonialisme continue de résonner si haut, si fort. …"Au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra." "Allez, Peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. »[1]
Oh oui ! J’entends déjà les appels à l’objectivité ! Bien sûr qu’il serait réducteur de limiter toute l’action d’un homme, illustre philosophe ou politique à un discours, un acte malencontreux singulier dans l’éventail vaste d’autres actions plus humanistes qu’il a pu poser. Bien sûr qu’il n’est pire cécité que celle de vouloir juger les gens d’hier à l’aune de nos jours d’hui et de convoquer morale ou éthique dans une perspective axiologique sentencieuse quand le champ des valeurs est multiple et divers… Bien sûr que beaucoup parmi eux ont été et continuent de marcher à nos côtés dans nos luttes de libération… Cela n’empêche pas de se poser les questions qu’on refuse parfois de se poser… comme : « Pourquoi donc les multiples associations internationales qui quotidiennement scrutent à la loupe le moindre mouvement en Afrique pour épingler leaders criminels et propriétaires des biens mal acquis ne traduisent-elles pas en justice les Bush pour leurs guerres dévastatrices en Irak ? Sarkozy et Bernard Henry Levy pour leur abominable guerre en Lybie ? Où donc ont disparu les avoirs libyens du temps de Kadhafi, estimés à de centaines de milliards de dollars ?...
La communitas, le grand leurre : en fait, le colon, il n’est jamais parti !
Mais pour nous africains, que donc nous racontent les boulevards Giscard d’Estaing, les interminables avenues Charles de Gaulle qui fendent nos capitales, en deux ? Quelles épopées de nos victoires nous chantent Leclerc et Eboué à quelques dizaines de mètres de l’Hôtel de Ville de Ndjamena ? Pierre Savorgnan de Brazza ? Et ce trio Léopold II, Albert Ier et Henry Stanley, tous bénis de la Monusco qui curieusement se découvre la responsabilité de les faire transférer au Parc du Mont N’galiema, et de les dresser haut, altiers, tournés vers le fleuve Congo et sous l’œil vigilant du bon piquet de gardes… Oublierait-on tout aussi aisément l’épisode du Régime de la Communauté, qui permettait au colonisateur de marquer le pas pour installer et « boulonner » ses gardes-chiourmes physiques et symboliques… avant que l’on en soit venu à obéir à l’injonction du Plan Marshall, lequel exigeait un territoire élargi de consommateurs solvables… donc les « indépendances chachacha » ? La bride ne fût lâchée que parce que le maître s’était assuré d’avoir solidement installé ses monuments dans la tête des colonisés, amarré ses accords de monopoles énergétiques et du continuum de l’occupation militaire, satisfait d’avoir défini à merveilles les contours de la dette coloniale dont le CFA est l’instrument sensible… jusqu’à ce matin encore.
Un clin d’œil à Mongo Béti qu’intéressent énormément les questions qu’on se refuse de poser : « Pourquoi nous a-t-on si longtemps pourchassés sur nos côtes, raflés jusque dans nos communautés de l’intérieur des terres, transportés au fond des cales, vendus à l’encan sur les marchés américains comme vil bétail, courbés sous le cruel soleil des plantations de coton, entassés et lynchés dans les ghettos de grandes villes industrielles, contraints aux travaux forcés sur les chantiers africains, assujettis à un système colonial inhumain d’abord, puis au pillage des firmes néocoloniales après les « indépendances », et aux dictatures que ces firmes sécrètent tout naturellement ? Pourquoi ? Parce que nous étions et sommes d’ailleurs toujours des sauvages à civiliser, des cannibales dont il convient de corriger les goûts pervers, des païens à convertir, des paresseux à transformer en producteurs »[2] Le colon s’en était-il allé ? Revient-il ? Oh que non ! Dans les faits, aux indépendances de nos pays, il n’y a jamais eu de véritable repli du colonisateur pour que l’on évoque sereinement le retour du colonial. L’on pourrait sans trop de risques souligner plutôt le phénomène de substitution frauduleuse de présence permanente avec de temps à autres des accès d’apparition de fantômes et d’ectoplasmes au seuil de la conscience. Dans le champ de la théâtralité, l’on parlerait de spectres, d’apparitions liminales. Des monuments coloniaux ? Il s’agit d’une espèce d’esthétique de la mémoire politique, qui revendique une certaine territorialité, une présence presque liminaire et convie à un genre de communitas perpétuel où les spectres sont légion au bal nocturne des sorciers. Si l’on en croit Jean-Louis Borloo, ancien ministre français : « Donc, nos destins sont liés… Et tout le monde s’en rend compte ! D’abord les liens avec l’Afrique, même inconscients, restent forts. Ensuite, on ne peut plus éviter le sujet. Pas besoin d’avoir fait des années d’études pour comprendre que, si l’Afrique ne se développe pas, les mouvements migratoires vont évidemment se poursuivre et s’intensifier. Ce n’est pas des centaines de milliers, mais des dizaines de millions de personnes qui voudront aller vers la lumière. Et si l’Afrique se développe, le marché au bout de la rue, avec ses 2 milliards de personnes, pourrait bien remplir les carnets de commandes de nos entreprises. Les grands dirigeants économiques français, ceux dont le métier consiste à définir des visions stratégiques, ont identifié un nid de croissance en Afrique. L’avenir de la France se joue en l’Afrique[3]… Mais oui, colonisés et colonisateurs, nous sommes les mêmes, n‘est-ce pas ? Nous parlons la même langue, nous adorons le même dieu barbu qui trône au milieu des anges, nous mangeons le même pain, buvons le même vin, arborons la même cravate, vénérons Aristote, Kant, Spinoza, Lamartine, Machiavel, Baudelaire, Shakespeare, Keynes, Marx, Hegel, le Fourrier des phalanstères ! Et lorsque le lien spirituel est établi entre les statues de Léopold II à Kinshasa, celui de Leclerc à Ndjamena, celui de Faidherbe à Saint-Louis, et quand à tout ce beau monde se joignent les entrelacs toponymiques des rues et avenues aux mille noms d’oiseaux, la monnaie fantôme de la colonie, etc. la Communauté resurgit. Les spectres s’installent autour du cercle des initiés dans le bois sacré : les rituels sont rodés. Que le même amour divin nous unisse ! Et vive la communitas ! C’est cathartique ! Nous en avons besoin pour combler l’absence, la disparition programmée des indépendances « chachacha » … Déprimant que l’on se refuse de sentir que « l’ocelot est dans le buisson, le rôdeur à nos portes, le chasseur d’hommes à l’affût, avec son fusil, son filet, sa muselière ; le piège est prêt, le crime de nos persécuteurs nous cerne les talons…! »[4]
Et si l’on épiloguait encore, l’on dirait que l’aurore rouge que l’on nous promet, n’a rien de boréal. Eh oui, chiche, le mondialisme sauce cube Maggi… Le tout homogénéisé politique, économique, culturel, transforme l’infinie diversité des « sujets pensants » en un bloc monolithique régi par la pensée unique eurocentrée. Et surtout nivelle un terre-plein sur lequel construire le nouvel ordre mondial : celui de la domination du capital, des grandes fortunes, de quelques illuminés lubriques décidés à en découdre avec notre Humanité. La zombification de l’Homme par le marché et le tout « intelligence artificielle », outils de la conquête du comportemental battent le plein. Bientôt nous ne serons tous que des consommateurs passifs et lobotomisés, pavloviens accrocs aux produits fastfood du marché abêtissant, incapables d’exercer la faculté de jugement et de réaction, tant la machine huilée avec ses gardes chiourmes, ses armées répressives, veille à ce qu’aucune liberté, aucune différence ne puisse s’exprimer. A l’Homme de fer succède aujourd’hui l’Homme transhumain et pour les siècles à venir, zombie métamorphosé par les dieux peu avenants, ceux du contrôle total de nos moindres gestes, de notre moindre pensée. Le nouveau challenge se logerait certainement dans cette autre confrontation supra coloniale.
Le Syndrome de Stockholm
Pour revenir à nos bustes et monuments en question, l’idéologie néocoloniale perpétue ardemment une sorte de Syndrome de Stockholm. C’est inscrit dans ses gènes. Hier encore pendant la colonisation l’on pouvait être heureux de s’appeler les évolués, aujourd’hui l’on cultive l’empathie avec son bourreau au point de le défendre becs et ongles, de justifier sa cruauté, de lui reconnaitre la vertu d’avoir eu la merveilleuse idée d’atteler nos ancêtres à la construction des ponts, des routes, des chemins de fer, le fouet sur l’échine. Parfois on leur a coupé les mains…, les mains de milliers d’hommes et de femmes pour toujours plus de sève d’hévéa… Drôle tout de même qu’il se trouve des africains défenseurs de monuments et statues de colons en Afrique. Tragique et comique à la fois ! Le tango des arguties et éloges se déploie ample : le monument document-pédagogique, sans lequel l’Histoire serait tronquée, le monument-témoin du bienfait de la colonisation civilisatrice, l’habitus confèrerait valeur à la statue de Faidherbe et de « son » pont ! Une seule statue de Faidherbe nous manque et Saint-Louis est dépeuplé ! On aime le colonisateur, l’on s’éprend de lui, l’on attend de lui qu’il nous aime, qu’il nous adoube, qu’il nous reconnaisse et pour cela l’on s’affuble de magnanimité, ce grand désir de fraternité christique qui lui tendrait l’autre joue lorsqu’il a déjà assené sa main d’acier sur la droite ! « Mais c’est à ce seul prix-là qu’on aura connu le développement ! » L’argument est très vigoureux : celui de l’illimitée dévotion du nègre à son bourreau. Beaucoup d’entre nous sont convaincus que sans la colonisation le continent n’aurait pas connu le développement que propose le monde moderne capitaliste - encore qu’il serait bien à propos de se demander où il commence, où il finit et s’il satisfait vraiment nos besoins vitaux - ; c’est méconnaitre l’Histoire du continent qui pendant des siècles a été au centre des échanges dans le monde et qui sans la rencontre avec l’Occident aurait sans doute connu d’autres formes de développement… Quant à la science, elle n’est ni du septentrion, ni du midi. Elle est de partout, même de nos moindres hameaux. Les résultats des recherches technologiques, scientifiques, les découvertes, nous appartiennent à tous. Ils sont l’aboutissement de processus historiques pendant lesquels, telle découverte succédant à l’autre s’est alimentée de la précédente. C’est l’usage que l’on en fait qui nous distinguerait, surtout quand des esprits malins en confisquent les secrets. Ici la question qui se pose est celle de la profondeur de la plaie. Oh la pertinence, un brin prémonitoire de Cheikh Anta Diop pendant la Conférence de Niamey : « l’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme et quand on croit s’en être débarrassée, on ne l’a pas encore fait complètement. Souvent le colonisé, l’ex colonisé ressemble un peu à cet esclave du 19e siècle qui, libéré, va jusqu’à la porte puis revient à la maison parce qu’il ne sait plus où aller. Depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a acquis des réflexes de subordination, depuis le temps qu’il a appris à penser à travers son maitre… »[5]
Et cet orage qui gronde : Panafricanisme au secours !
Au-delà des statues, des bustes coloniaux et des places et rues aux mille noms d’oiseaux, c’est la question de nos souverainetés qui se pose. Quand la mondialisation est anormalement gourmande : on brade nos territoires, nos aéroports, nos ports à tour de bras, l’on abandonne la gestion des eaux, de l’énergie, des communications, aux entreprises coloniales et multinationales sans foi, ni loi ; le vol lourd des cargos remplis de terres rares, l’extractionisme, l’on brandit le prétexte des réformes agraires par la réglementation des titres fonciers pour déposséder les communautés paysannes de leurs terres et ainsi en préparer la vente à la grande industrie agroalimentaire … Les roses et les tulipes d’Amsterdam se cultivent en Ethiopie, au Kenya. … et la liste est longue ! L’on abandonne « notre sécurité » aux armées étrangères dont le chapelet de bases militaires encercle le continent, nous étouffe, exactement comme au temps des forts et comptoirs du yovodah, la traite des esclaves. We can’t breath ! Tout, pour que la jeunesse debout clame « ya basta le Syndrome de Stockholm ! »
En 2001, André Blaise Essama, au Cameroun, était venu à bout de la statue de Leclerc qui trônait devant le palais du Gouverneur à Douala. Il lui a arraché la tête qu’il a transférée dans une plantation agricole et qui devait servir à des rites « pour libérer les camerounais de la domination française », et a laissé le buste gisant auprès du piédestal. Oh la geste épique et symbolique, à la fois politique : « J’ai cassé ce monument afin que le général Leclerc rejoigne la terre de ses ancêtres en Hexagone. Car je pense bien que sa place est certainement de ce côté-là. Cette place où trônait ce monument de la honte est désormais pour nous, la place de Um Nyobe, John Ngu Foncha, Martin Paul Samba, Douala Manga Bell et bien d’autres héros nationaux »[6] L’on a dit de lui qu’il était un déséquilibré mental. Pour sûr qu’il faut être un azimuté pour être logique et cohérent dans cette Afrique possédée par le Syndrome deStockholm. C’est ce mouvement de bascule que nous retrouvons difficilement sous nos tropiques ! Peut-être plus pour longtemps. Cette jeunesse panafricaine debout se réclame de ces hallucinés de l’azur qui n’ont pas besoin de permission pour déboulonner et rebaptiser, exiger la reconnaissance de leurs héros-résistants.
L’oubli fondamental qui sera fatal à l’Occident c’est d’avoir fait la sourde oreille à la nécessité de l’équilibre dans un corps quel qu’il soit. L’ubuntu ou la mâât le traduisent excellemment. Aimé Césaire dans sa façon ferme, effrontée et pugnace le résume parfaitement « c'est de votre maigreur que ces messieurs sont gras ». Six siècles de déséquilibre sont intolérables ! Et les retours du colonial et de l’impérialisme qui consistent à provoquer la destruction par proxy des communautés millénaires constituées, l’écosystème et la planète entière avec, ne pourra plus jamais assurer la prééminence d’une civilisation violente et décadente. Le déséquilibre est désormais rompu. La crise ne se colmatera plus par ces stratagèmes et leurres qui n’ont que trop longtemps duré. Il va falloir trouver un autre discours. A celui-là la jeunesse africaine voudra participer, et, même avec effronterie. Il y a bien longtemps, Emile Cioran a identifié le monstre : Chaque civilisation croit que son mode de vie est le seul bon et le seul concevable, qu’elle doit y convertir le monde ou le lui infliger ; il équivaut pour elle à une sotériologie expresse ou camouflée ; en fait, à un impérialisme élégant, mais qui cesse de l’être aussitôt qu’il s’accompagne de l’aventure militaire. On ne fonde pas un empire seulement par caprice. On assujettit les autres pour qu’ils vous imitent, pour qu’ils se modèlent sur vous, sur vos croyances et vos habitudes ; vient ensuite l’impératif pervers d’en faire des esclaves pour contempler en eux l’ébauche flatteuse ou caricaturale de soi-même.[7]
Les statues de colons, les monuments coloniaux, les avenues et places aux noms de colons, c’est dans nos têtes qu’ils sont érigés ; c’est aussi dans nos têtes qu’il faut les renverser, les déboulonner, les débaptiser…
Koulsy Lamko est universitaire, spécialiste du théâtre, romancier, dramaturge et poète. L’auteur Tchadien est un des grands noms de la littérature africaine contemporaine.
[1] Extrait du discours prononcé le 18 mai 1879, pendant le banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage par Victor Schœlcher.
MANSOUR CAMA, DÉFENSEUR D'UN SECTEUR ÉCONOMIQIUE NATIONAL DIGNE
Tout au long des travaux des Assises Nationales dont il a été, à côté d'Amadou Makhtar Mbow, un des principaux piliers il a, sans relâche, défendu les principes du patriotisme économique
J'éprouve une profonde tristesse avec la disparition brutale de Mansour Cama.
Militant engagé sur le front de l'indépendance économique de notre pays, il s'est battu pour la construction d'un secteur privé national agent indispensable d'un développement national véritable. Tout au long des travaux des Assises Nationales dont il a été, à côté d'Amadou Makhtar Mbow, un des principaux piliers il a, sans relâche, défendu les principes du patriotisme économique.
Il laisse en héritage les conclusions de cette expérience inédite dans notre histoire et dont la pertinence vient d'être encore démontrée par la crise du Covid-19.
Adieu cher ami !
Ton modèle d'humilité et de recherche passionnée d'une Afrique maîtresse de son destin économique continuera d'inspirer les jeunes entrepreneurs de notre cher continent que tu as tant aimé.
Repose en paix.
PAR Ibrahima Thioye
DES MURS D’INCOMPREHENSION AUX FENÊTRES DE CONNEXION BIENVEILLANTES
Les vices de népotisme et de corruption sont exacerbés dans nos sociétés par le lien étroit qu’ils entretiennent avec la vertu de réciprocité chère à notre système de valeur traditionnel
Cet article nous rappelle nos fragilités et mentionne quelques pistes de dépassement dont la plupart sont en lien avec la pensée systémique. Nous sommes sujets à l’erreur, aux illusions, à l’aveuglement et aux carences de toutes sortes. Ces insuffisances constituent le ciment des murs d’incompréhension qui s’érigent entre nous. Les quatre toxines (mépris, blâme, attitude défensive et dérobade) constituent les types de briques de ces murs. Une bonne compréhension de la configuration de ces murs devrait nous pousser vers l’humilité et la compassion. Celles-ci atteignent un bon niveau de perfection (pas la fine pointe), lorsqu’elles sont accompagnées par l’intégrité et l’assertivité. Nous pouvons également ouvrir des fenêtres qui nous permettent de dépasser (ou surmonter) ces murs. Elles ont pour noms : la courtoisie, l’autodiscipline et surtout la conscience d’une connexion élargie et bienveillante avec tous les habitants de la Terre.
Murs d’incompréhension
Quels sont les niveaux de ces murs d’incompréhension ? Dit autrement, quels sont ces éléments qui entretiennent et nourrissent l’incompréhension ? Sans prétendre à l’exhaustivité, nous en avons dénombré cinq que nous nommons RIFED :
- la (R)elativité du bien et du mal, des vertus et des vices,
- l’(I)nconscience de nos propres défauts et l’ «hyperconscience» de ceux des autres,
- la (F)orce des idées qui peuvent nous posséder,
- l’(E)cologie de l’action (pour utiliser un concept d’Edgar Morin),
- le (D)ilemme entre nos devoirs moraux.
R : relativité des vertus et des vices
Dans la sagesse populaire, un individu, doté de raison, sait parfaitement distinguer le bien du mal ou l’acte vertueux du comportement vicieux. Nombreux sont les penseurs qui réfutent cette thèse. Il y a une certaine relativité des vertus et des vices illustrée par cet exemple dont parle Aristote : pour un lâche, le courageux peut être perçu comme un téméraire ; pour un téméraire, ce même courageux peut être perçu comme un lâche. Cette relativité découle des différences de perceptions.
Pascal, le grand dialecticien, dit qu’il ne peut concevoir une vertu sans son complément (ou vertu opposée). A les examiner de près, on voit bien que vice et vertu sont complètement mêlés. Les penseurs systémiques confirment qu’on ne peut concevoir le vice sans la vertu. L’un, poussé au loin, produit l’autre. Quand l’un des termes s’actualise, l’autre se potentialise. La seule chose possible est de réduire, mais pas d’éliminer totalement l’un ou l’autre.
I : inconscience de nos défauts et «hyperconscience» de ceux des autres
Comme le dit l’adage : «Il voit la paille dans l’œil du voisin, mais pas la poutre dans le sien ». L’œil ne peut se voir. En général, nous sommes très objectifs vis-à-vis des autres et «hypersubjectifs» vis- à-vis de nous-mêmes. Nous sommes très détachés et utilisons toutes nos ressources pour observer, interpréter les actes des autres, mais nous sommes parfaitement indulgents vis-à-vis de nous-mêmes ; nous nous cajolons.
Qu’est-ce qu’une querelle ? Elle ressemble à un jeu d’acteurs qui entrent dans un cycle vicieux où chacun explique avec netteté le tort qu’il a subi, et qui justifie son comportement. La séquence commence toujours par ce que l’autre a fait. La personne est un centre de référence ultime qui connaît le bien et le mal. Elle voit parfaitement le tort qu’elle a subi, mais ignore royalement ou sous-évalue ce qu’elle a commis. Et comme les actes/paroles entrent régulièrement dans des cycles, nos actions peuvent être à la source de ceux-ci. Dans tous les cas, elles participent à l’entretien de ces cycles.
Sans nul doute, la tendance inverse existe. C’est le cas des personnes qui estiment qu’elles ont plus de défauts qu’elles en ont réellement. Leur acuité perceptive leur permet également de déceler les qualités des autres tout en sous-estimant les leurs.
F : Force des idées
Les idées nous possèdent autant que nous les possédons. La bonne illustration est celle de l’histoire de Bouki-l’hyène, qui avait menti en annonçant aux animaux qu’il y avait de la viande à un endroit précis de la brousse. Sitôt dit, les animaux s’enfuirent en direction de l’endroit indiqué par Bouki. Au bout d’un certain temps, ce dernier pensa que c’était vrai, et lui-même suivit la troupe. Lorsque les idées nous possèdent, nous devenons leurs prisonniers incapables de prendre du recul. Nous devenons des doctrinaires, des personnes fanatiques, des dogmatiques. Nous pensons détenir une vérité universelle et nous écartons de notre champ de conscience toute idée pouvant la remettre en cause.
Cela pose la question de l’illusion qui nous permet de supporter la difficile réalité, mais qui peut également nous aveugler complètement. Ce qui nous éclaire peut également nous aveugler. Les idées sont comme des virus. Lorsqu’elles nous pénètrent, elles ont souvent la force de réduire l’anxiété, de nous mettre en harmonie avec une certaine identité ou de nous préserver psychologiquement, mais elles peuvent également créer des impairs qui ont pour noms : l’aveuglement, l’hallucination, l’erreur, la bonne mauvaise foi, l’oubli sélectif etc.
E: Écologie de l’action
La corrélation n’est pas toujours parfaite entre une intention et son impact ou son résultat. Une intention peut aboutir au pire résultat, confirmant l’adage selon lequel «l’enfer est pavé de bonnes intentions». L’intention de nuire (ou d’écarter du pouvoir) également peut entraîner un effet contraire. Abdou Diouf, l’ancien président de la République, avait placé Ousmane Tanor Dieng à la tête du parti socialiste, le positionnant ainsi comme son dauphin. Cela a contribué aux différents déboires enregistrés par ce parti, y compris la défaite aux élections de 2000, remportées par Abdoulaye Wade. Ce dernier, s’est séparé de son ancien président de l’assemblée nationale, ouvrant ainsi, contre ses intentions, un boulevard à Macky Sall qui devint son challenger et son tombeur aux élections de 2012. L’ancien président du conseil, Mamadou Dia, avait à cœur la construction d’un État de droit arrimé aux valeurs républicaines et l’émergence économique du Sénégal. Très mal comprises, les actions posées dans ce sens (manquant peut-être de pédagogie) ont provoqué son éviction du pouvoir.
Toute action prise dans le jeu des interactions/rétroactions échappe aux intentions de son auteur. L’on n’est jamais sûr de la parfaite harmonie entre l’intention et le résultat de l’action.
Au niveau de l’interaction humaine, nous maîtrisons nos intentions, mais nous n’avons aucune prise sur l’impact chez le destinataire. L’action est donc un pari qui nécessite explications et pédagogie.
Même à supposer que nous ayons la possibilité de bien définir le bien, d’être objectif et de résister à la force des idées qui peuvent nous posséder, nos intentions ne sont pas toujours perçues comme telles.
D: Dilemme à propos de nos devoirs
A supposer que notre acteur soit conscient de tous les niveaux d’incompréhension évoqués plus haut, il en reste un qui a son importance. Comment régler le problème des contradictions entre ses différents devoirs ? On en dénombre plusieurs : devoirs égocentriques liés à sa préservation, devoirs génocentriques relatifs à sa famille, son clan, devoirs sociocentriques couvrant le champ complet de la société et nos devoirs envers tous les êtres vivants de cette planète et les générations à venir.
Les vices de népotisme et de corruption sont exacerbés dans nos sociétés par le lien étroit qu’ils entretiennent avec la vertu de réciprocité chère à notre système de valeur traditionnel. Nous avons tendance à sacrifier nos devoirs sociocentriques (fondées sur les valeurs républicaines) au profit de nos devoirs géocentriques.
Conscients de ces dérives qui montrent nos fragilités, nous devons faire des efforts pour ouvrir des fenêtres en nous appuyant sur l’humilité (woyof), la compassion (laabir), l’intégrité (ngor) et l’assertivité (fulla ak fayda).
Humilité et compassion sont deux vertus importantes, reconnues généralement pour contribuer largement à l’harmonie de toute société. Nous devons être indulgents vis-vis des autres (compassion) et accepter que la première personne qui peut être victime de ces insuffisances c’est d’abord nous-mêmes (humilité). Elles ont comme compléments naturels : l’intégrité et l’assertivité.
Fenêtres de connexions élargies et bienveillantes
L’humilité et la compassion sont-elles des vertus absolument bonnes ?
De mon point de vue : Non.
- l’humilité qui pousse la personne à accepter l’asservissement ou l’assujettissement n’est pas bonne ; idem pour celle qui anesthésie la personne et étouffe son potentiel de développement ou la possibilité d’accès à ses ressources ; la bonne humilité est accompagnée par l’assertivité ;
- l’humilité, poussée à un certain niveau, nous introduit dans une vie en prose, sans sel, sans poésie. Le meilleur humour consistant à rigoler (beaucoup de nous-mêmes et un peu des autres) lorsque nous devenons narcissiques, mégalomanes ou paranoïaques etc. L’action inventive et la créativité ont besoin de passion, d’ego surdimensionné ;
- la compassion pose problème lorsqu’elle ressemble à de la condescendance ;
- la compassion ne doit pas rimer avec l’apathie, l’anarchie ou le lasser-allez ; l’intégrité (dans sa dimension courageuse) lui apporte un complément.
Munis de tous ces éléments (compréhension de la fragilité humaine, humilité, compassion, assertivité et intégrité), nous pouvons facilement ouvrir des fenêtres qui vont nous habituer à la bonne action et ainsi surmonter les murs d’incompréhension. Je les nomme CAC :
(C)ourtoisie et respect,
(A)utodiscipline ou autoéthique,
(C)onnexion élargie ou reliance planétaire (au sens d’Edgar Morin).
C: Courtoisie et respect
Comme tout est cycle dans les interactions humaines, nous devons exiger de nous-mêmes le respect de nos semblables. En cela, nous devons nous appuyer sur la règle de platine plus puissante que la règle d’or : « ne jamais faire à l’autre ce qu’il ne souhaite pas qu’on lui fasse » « faire à l’autre ce qu’il souhaite qu’on lui fasse ». La courtoisie poussée jusqu’au respect est un apprentissage qui demande de l’écoute et de la compréhension. Ces trois instances forment un trio magique inséparable car on respecte mieux ce que l’on comprend et l’on comprend mieux après avoir écouté. Cette écoute doit mettre le focus sur les émotions et les besoins de l’autre.
A : Autodiscipline ou «auto-éthique»
Étant d’emblée un être soumis à l’erreur et aux aveuglements, la vigilance vis-à-vis de nous-mêmes peut nous aider à surmonter ces murs. Le premier réflexe est de changer de paradigme : apprendre à être plus objectif vis-à-vis de soi et plus subjectif vis-à-vis des autres. Comment puis-je faire pour être «hypersubjectif» vis-à-vis des autres et «hyperobjectif» vis-à-vis de moi-même ?
Il y a une difficulté, l’idée n’est pas de se sentir coupable systématiquement, ni de prendre tout sur soi. Mais la bonne démarche est de prendre sa juste part de responsabilité et de mettre l’accent sur cela. Quelle est ma part d’action qui contribue à entretenir le phénomène ? Comment puis-je agir dessus pour rompre le cycle vicieux ?
Comment puis-je concrètement changer ce paradigme ? C’est là qu’intervient cette autodiscipline :
auto-examen et auto-observation permanents, en surveillant son corps et le champ émotionnel résultant des différentes interactions que nous avons avec le monde extérieur ;
invitation au feedback, autocritique et réflexe d’apprentissage permanent,
«hypervigilance» sur les défauts qui nous gênent (ils peuvent être des projections de nos propres défauts), et ceux des nôtres (parents, génération, peuples etc.) qui existent probablement en nous à l’état latent ou potentialisé ;
conscients de tout ce qui a été évoqué plus haut, nous devons traquer les 4 toxines (mépris, blâme, attitude défensive et dérobade) qui constituent les types de briques que l’on retrouve dans les murs d’incompréhension ; elles s’emboîtent les unes dans les autres (mépris, blâme ou critique déclenchent la dérobade ou l’attitude défensive et vice versa) ; nous devons leur mener une lutte lucide et intelligente en cassant les boucles dans lesquelles elles s’insèrent; cela requiert une bonne capacité de communication ;
refuser toute forme de grossièreté, de rejet, d’exclusion ou d’humiliation ;
ériger l’intégrité en principe sur lequel se fondent nos pratiques de tous les jours ; à ce niveau, chacun doit mener le combat contre lui-même.
C : Connexion élargie et bienveillante ou «reliance» planétaire
Se relier à tous les êtres vivants de la planète Terre, voilà le type de connexion qui contribuera à l’harmonie générale. Il est facile à dire, mais difficile à mettre en pratique, car cela exige de notre part qu’on se départisse de tous les « centrismes » sectaires et élargir nos responsabilités et nos devoirs à l’égard de tous les autres habitants de la planète Terre. Cette première disposition est notre axe horizontal. Sur l’axe vertical, nous devons également développer les mêmes responsabilités et obligations vis-à-vis des générations futures.
Faire tomber les murs d’incompréhension en ouvrant des fenêtres de connexion élargies et bienveillantes, tel est le propos de cet article. Contrairement à la vision populaire, nous avons du mal à distinguer le bien et le mal. Nous sommes objectifs vis-à-vis des autres et «hypersubjectifs» vis-à-vis de nous-mêmes. Nous possédons des idées qui peuvent nous posséder. Nous subissons les contrecoups de l’écologie de l’action ; nous n’avons aucune certitude sur la cohérence entre nos intentions et les résultats de nos actions. Mépris et blâme suscitent attitude défensive et dérobade. Nous pouvons également nous retrouver dans des dilemmes à propos des devoirs moraux. Trois fenêtres peuvent cependant nous aider à surmonter ces difficultés. Elles s’appuient d’abord sur l’humilité, la compassion, l’assertivité et l’intégrité et ont comme noms : le respect, la courtoisie, l’ «auto-éthique» et la connexion élargie avec tous les êtres humains (axe horizontal), en prenant en compte également les générations futures (axe vertical).