L’UFP et l’ensemble des forces démocratiques et patriotiques ont appris avec une douleur indicible, le décès à Dakar de Babacar Touré. Depuis des décennies, au cœur des luttes des peuples de notre région africaine contre le néocolonialisme et les dictatures, Babacar Touré fut un ardent compagnon de tous les instants, un ami fidèle à ses engagements, un esprit libre, éclairé et solidaire des justes causes pour lesquelles il se dépensait sans compter. Ce fils du Sénégal a épousé les préoccupations et éprouvé les peines de tous les autres peuples d’Afrique.
Néanmoins, la Mauritanie occupait une place particulière dans son cœur généreux. La confiance qu'il plaçait dans notre combat date de l’époque héroïque de résistance du MND dont il fut un des grands soutiens et qui, à son tour, connaissant la valeur de l’homme, l’accueillit à bras ouverts à chaque fois que les nécessités de la lutte clandestine du mouvement révolutionnaire sénégalais auquel il appartenait, l’amenaient à chercher refuge de ce côté-ci de notre fleuve commun. Nul n'a incarné mieux que lui, le sens de la solidarité combattante, l'internationalisme agissant et l'amour des peuples frères mauritanien et sénégalais. Aussi, fût-il parmi les visionnaires qui alertèrent à temps sur les risques de dérapage incontrôlable des rapports entre les 2 pays frères du fait des politiques catastrophiques chauvines à l'œuvre de part et d'autre du fleuve, avant l'explosion de haine de 1989.
C’est essentiellement grâce à son soutien actif et décisif, que l’initiative du Mouvement National Démocratique de réunir les intellectuels et cadres politiques des différents partis venus des deux pays, put se concrétiser par la fameuse Rencontre de Dakar le 30 Mars 1989 destinée à réfléchir sur la dégradation des relations entre les 2 Etats et à proposer de toute urgence, les voies de solution aux différentes contradictions qui minaient les rapports intercommunautaires et risquaient à tout moment de faire basculer la région dans des conflits identitaires incontrôlables.
L’évènement fut de portée historique. Le niveau de responsabilité des participants et la qualité des débats lors de cette Conférence étaient largement déterminés par l’activisme efficace et fédérateur de Babacar Touré et son esprit de compromis positif. Quand, malgré tout, cette tragédie éclata, nul n'a agi mieux, avec autant de courage, de sagacité et d’intransigeance dans le respect des principes que lui, pour dénoncer les crimes subis par nos peuples respectifs, les pogroms, les violences aveugles et les discours haineux. Il porta haut le drapeau de la fraternité entre sénégalais et mauritaniens, unis à jamais par l’histoire, la géographie et les intérêts stratégiques.
Ouvert, franc, direct, il tenait à tous, le même discours pétri de bonté, de sérénité et d'optimisme quant à l’avenir de nos nations. Devant le malheur que fut la déportation de dizaines de milliers de mauritaniens, dont nombre de nos camarades, il se dépensa sans compter pour aider comme il le pouvait, à la solution des difficultés subies par nos compatriotes et à la normalisation des rapports entre les deux pays frères. Nous, patriotes mauritaniens, vivons donc pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, ce jour du décès de Babacar Touré comme une perte immense qu'il nous sera difficile de combler.
Au nom de l’UFP, de tous ses organes, de tous ses militants et sympathisants, à mon nom personnel et au nom du camarade Bâ Boubacar Moussa à qui le liait une fraternité légendaire, je présente au grand peuple sénégalais frère mes condoléances les plus attristés pour ce digne fils qui fut toujours l'un de ses meilleurs et plus vaillants messagers de fraternité et de paix en direction du nôtre. A sa famille et à ses amis de par le monde, je présente mes plus sincères condoléances.
Notre parti et tous les mauritaniens qui l'ont connu, n'oublieront jamais la haute personnalité politique et morale et l'œuvre démocratique colossale de Babacar Touré. Repose en paix Camarade Babacar. Qu'Allah le Tout- Puissant t'accueille dans son Paradis.
Mohamed Ould Maouloud, Président de l'UFP
Par SIÉ OFFI SOME
ADIEU LE CONDISCIPLE, ADIEU L’AMI
Babacar Touré qui est décédé le 26 juillet 2020 a commencé sa carrière professionnelle à Enda Tiers-monde, en 1979, au sortir de sa formation professionnelle au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI).
Désormais, la Maison de la presse à Dakar va porter le nom de Babacar Touré. Une décision prise par le président Macky Sall, en hommage à l’ancien président-fondateur du Groupe Sud Communication et ancien président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA). Babacar Touré qui est décédé le 26 juillet 2020 a commencé sa carrière professionnelle à Enda Tiers-monde, en 1979, au sortir de sa formation professionnelle au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI). Comme journaliste, il avait ainsi participé au lancement du périodique «Vivre Autrement». A ses côtés, Sié Offi Somé qui fut aussi son condisciple au CESTI. SOS, comme l’appelait Babacar, revient sur son parcours avec son «ami» et sur ces moments durant lesquels les idées avancées par Enda Tiers Monde étaient marquées d’originalité et préfiguraient les transformations fondamentales (consommation, énergie, environnement, etc.), qui sont toujours actuelles pour nos sociétés.
«J’ai connu Babacar en octobre 1976, à Dakar, au CESTI. Babacar Touré faisait partie d’un groupe de sept Sénégalais, Ibrahima Fall, Martin Faye, Mamadou Koumé, Sidy Gaye, Ibrahima Souleymane Ndiaye et Fatoumata Sow. Nous étions la septième promotion. J’avais choisi la presse écrite et je m’intéressais au secrétariat de rédaction. J’avais ainsi eu à coordonner la publication des suppléments de journaux-école que nous faisions, aussi bien à Dakar qu’à Montréal. A la fin de notre formation, je suis retourné au Burkina (à l’époque Haute-Volta).
En 1984, Babacar Touré, qui était alors à enda tiers monde, m’avait demandé si j’étais intéressé à travailler dans une revue en gestation comme secrétaire de rédaction. En mars 1984, j’ai intégré la petite équipe de la rédaction de «Vivre Autrement» dirigée par Jacques Bugnicourt, le Secrétaire exécutif d’Enda Tiers Monde. Il y avait Diana Senghor, rédactrice en chef, Babacar Touré, rédacteur et moi comme secrétaire de rédaction. Charles Diagne en était le maquettiste pigiste. Babacar Touré, a contribué à au lancement du journal en parcourant quelques pays d’Afrique de l’Ouest francophone pour faire sa promotion.
En somme, mettre en place un réseau de distribution, identifier des collaborateurs éventuels et récolter les sujets susceptibles d’intéresser le lectorat. La revue voulait impulser une autre façon de traiter l’information en mettant l’accent sur l’analyse de grandes thématiques économiques et sociales comme l’école, l’énergie domestique, l’agriculture, la consommation, les valeurs sociales, etc. Elle aura des de la peine à s’imposer dans une Afrique de l’Ouest en proie à des régimes politiques rigides, avec une liberté d’expression surveillée. L’équipe était également réduite et le réseau de correspondants peu dynamique.
Avec les lenteurs administratives et les difficultés financières d’Enda Tiers Monde, la revue «Vivre Autrement» ne parviendra pas à s’imposer comme un journal grand public. Au bout de quatre numéros, réalisés dans des conditions éprouvantes, Babacar Touré, avait décidé d’aller tenter une autre expérience.
C’est ainsi qu’il va lancer, avec d’autres journalistes sénégalais, mais pas seulement, «Sud Magazine», embryon de ce qui est aujourd’hui le Groupe Sud Communication. Diana Senghor, la rédactrice en chef de «Vivre Autrement», elle, ira à Paris pour diriger l’Institut Panos qui s’installait alors en Afrique francophone. «Vivre Autrement», de journal à vocation grand public va devenir, au début des années 90, un périodique militant, le porte-voix du mouvement consommateur qui émergeait sur le continent.
En mars 1992, c’est à mon tour de quitter «Vivre Autrement», et Enda Tiers Monde pour regagner mon pays. Babacar Touré, l’ami J’ai gardé d’excellentes relations avec Babacar Touré Je suis resté en contact régulier avec lui.
Après l’expérience d’Enda Tiers Monde, j’avais eu l’occasion de le revoir plusieurs fois, lorsque je passais à Dakar au cours de mes voyages professionnels. Il me faisait l’amitié de m’inviter à la maison. S’il ne le pouvait pas, il faisait l’effort de passer me voir dans l’hôtel où je descendais. En 2004, alors que je travaillais comme chargé de projets à Terre des Hommes Allemagne au Burkina, j’étais tombé gravement malade. Il fallait m’évacuer à l’étranger pour des soins appropriés assez coûteux.
Dans la chaîne de solidarité qui s’était constituée à l’occasion, Babacar Touré avait été l’un des maillons forts. Il avait travaillé alors en tandem avec Gary Engelberg, un autre ami disparu en août 2019. Babacar, dans la discrétion, avait activé également son réseau pour contribuer à réunir la somme nécessaire. C’est donc dire si, pour moi, la disparition de Babacar, ce 26 juillet 2020, est une perte éprouvante. Notre dernière rencontre remonte à 2009, lors d’un séjour professionnel à Dakar.
C’est cette année-là que nous nous sommes revus après ma convalescence. Il revenait, m’avait-il dit, d’un long voyage à l’intérieur du Sénégal. Il avait tout de même tenu à venir me voir. C’est la seule fois où, parlant de mon état de santé à moi, il avait – brièvement- évoqué le sien, mais en n’y attachant pas beaucoup d’importance. Je lui avait tout de même conseillé de se ménager. En rigolant, il m’avait assuré de ce que cela n’était pas bien grave. Nous ne nous sommes plus revus depuis. Nous échangions de temps à autre au téléphone et par mail. Et c’est justement en voulant le taquiner dans la journée du lundi 27 juillet dernier, à l’occasion de l’Aid el Kébir, que j’ai vu le triste message de notre ami et condisciple Mamadou Koumé m’annonçant sa mort la veille, le dimanche 26 juillet. Babacar, SOS (comme tu aimais à m’appeler) te dis « Repose en paix ! »
SIÉ OFFI SOME
SECRÉTAIRE DE RÉdACTION DE «VIVRE AUTREMENT» à ENdA TIERS MONDE (1984-1992) SIEOFFISOME@GMAIL.COM
Par Mamadou WANE
ADIEU, ETOILE FILANTE !
Je ne saurais malheureusement parler de Babacar Touré que sous la toge du ‘’je’’. Aussi ‘’méprisable’’ soit-il, pour utiliser un terme du philosophe français Blaise Pascal, fasciné comme Babacar Touré le fut, par la ‘’mort’’.
‘’Le courage, c'est d'agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l'univers profond, ni s'il lui réserve une récompense’’. Jean Jaurès
Je ne saurais malheureusement parler de Babacar Touré que sous la toge du ‘’je’’. Aussi ‘’méprisable’’ soit-il, pour utiliser un terme du philosophe français Blaise Pascal, fasciné comme Babacar Touré le fut, par la ‘’mort’’. ‘’Je’’, parce que chaque fois qu’un être qu’on aime nous quitte, c’est toujours une partie de nous-même qui meurt.
Et les mots échouent à remplir l’énorme vide des maux, l’abime sous nos pieds, qui nous rappelle que nous sommes comme tous les vivants sur terre, appelés à mourir… A partir, sans jamais revenir, et ne vivre que dans les souvenirs évanescents de ceux qui vous aiment, jusqu’à ce qu’eux-mêmes oublient avec le temps ou… la mort elle-même. C’est une grande tristesse de constater que même les plus belles ‘’étoiles’’ qui illuminent nos vies, finissent par s’éteindre, de la même manière.
Et que la poésie des mots, les hommages aussi éloquents soient-ils, les oraisons funèbres et les statues, ne peuvent cicatriser la blessure qui fend nos cœurs en de pareilles circonstances. Je m’en vais raconter une anecdote, qui se passe à la morgue de l’hôpital Principal de Dakar. Nous venions, vers une heure du matin, déposer la dépouille mortelle d’Amath Dansokho, qui fut son grand ami.
Dans le stress qui a suivi l’annonce de la mort de cet autre ‘’géant’’, Babacar Touré en avait oublié ses médicaments à Ngaparu et ne se sentait pas bien. Mes épaules pourraient en témoigner car chaque fois qu’il faiblissait, c’est vers elles que ses bras venaient prendre appui, pour reprendre l’équilibre. Et ce commentaire presque chuchoté, devant le corbillard qui avait ouvert ses portes : ‘’Finalement, c’est ça !’’, ‘’la mort, l’ultime vérité que nous fuyons tous les jours… Nous courons toute notre vie pour en arriver là’’. On était tous saisi d’émotion au moment où le corps d’Amath est extrait du corbillard pour la chambre froide de la morgue. Il faisait très chaud en cette soirée hivernale du 23 août 2019 et son corps était tout dégoulinant de sueur. C’est lui qui me dépose ce soir-là, vers 2 heures du matin chez moi. Nous étions tous les deux installés à l’arrière de la voiture. Babacar avait pleuré en silence, pudiquement. Ça a duré quelques secondes ou une éternité. En quittant pour Ngaparu, il me dit ceci : ‘’je ne viendrai pas demain à la levée du corps…’’.
En vérité, Babacar Touré avait coupé bien des fils, ces dernières années, se repliant dans son ‘’ile’’, à Ngaparu qui était devenu pour lui, une sorte de sanctuaire. Bien avant que la Covid 19 n’impose sa loi de fer, il était devenu un solitaire qui ne se connectait que par téléphone au monde des hommes. Il choisissait ses interlocuteurs et pouvait rester avec eux au téléphone de longues minutes durant. Solitaire, mais vigilant, très informé, lucide et… solide dans la tête.
Les nombreuses vies qu’il a eues dans sa riche carrière professionnelle depuis la naissance de Sud, les épreuves traversées surtout sous le règne du Président Wade qui s’était juré de détruire Sud après la publication du livre d’Abdoulatif Coulibaly, ‘’Wade, un opposant au pouvoir…’ l’expérience de la maladie (il se savait fragile), tout cela avait fini par forger chez l’homme, un regard perçant et froid sur la société sénégalaise et le devenir du monde. Il faut le dire, malgré son naturel optimiste qui se traduit dans sa joie de vivre dont peuvent témoigner ceux qui le connaissent bien, Babacar Touré était incommodé – que dis-je, meurtri par la décomposition sociale créées par la montée en puissance de valeurs décadentes.
Le Sénégal est sur une mauvaise pente. Cette vision de Nboumbélane (le Sénégal sous forme métaphorique), cristallisée dans son dernier papier, publié en deux jets dans les éditions 8145 et 8146, les 13 et 14 juillet derniers, ‘’De la Culture au Culte de Violence’’ est à la fois une diatribe et une invite à une réelle et profonde introspection. Morceaux choisis : ‘’ A côté de la Téranga sénégalaise tant vantée, se distille une culture de violence atavique, qui ne cherche que la moindre occasion pour s’exprimer, y compris de la plus hideuse et la plus cruelle des manières’’. Une violence qui trouve ses racines dans Ndoumbélane, ‘’ce royaume magique sorti de l’imaginaire de deux monstres sacrés de notre littérature, Léopold Sédar Senghor et Abdoulaye Sadji. C’était au temps où les animaux parlaient. Leuk-le-lièvre, rusé, espiègle et gouailleur, représente le Sénégalais de notre époque. Il tient de Kakatar- le caméléon, toujours aux aguets, doté d’ yeux à mobilité indépendante, d’une capacité à changer de couleur à des fins de communication (séduction) et de camouflage. La nature a également pourvu ce reptile d’une langue protractile à même d’attraper sa proie, comme le font certains compatriotes passés maîtres dans l’art de médire, d’affabuler et de jeter en pâture d’honnêtes citoyens, parfois par méchanceté envieuse, souvent par mesquinerie gratuite’’
Le Sénégal tel que rendu par nos contes. La caricature prend racine dans la réalité vécue. Plus précisément, la chute se manifeste par le pourrissement des valeurs porteuses de progrès et de prospérité. ‘’De la chance, plutôt qu’une licence (d’enseignement) ou le hasard plutôt que l’effort, l’argent de la débrouille plutôt que gagné honnêtement, à la sueur de son front ou avec la « force de ses bras », résume cette mentalité de plus en plus partagée dans notre société, notamment dans sa frange jeune…’’, écrit Babacar Touré.
N’échappe pas à sa plume, ‘’ces brigades du Net préposées à une cyberguerre peu glorieuse et dégradante, à la solde de politiciens, d’hommes d’affaires de lobbies, etc., (qui) envahissent l’espace viral pour distiller leur venin’’, dans un contexte d’un déficit de leadership à tous les niveaux de la société, de la cellule familiale au sommet de l’Etat. La loi, ce n’est pas l’arbitrage, mais le ‘’laisser-faire’’ et le ‘’laisser-aller’’. Même s’il fait un petit clin d’œil aux acteurs souvent méconnus d’une ‘’histoire sublimée par de hautes œuvres d’hommes et de femmes exceptionnels et exemplaires qui font la fierté et la bonne réputation de notre pays’’, le constat reste bien amer. On est mal barrés.
La vraie générosité de Babacar Touré réside à notre avis dans ce courage qu’il a de rendre visibles les zones de faiblesse de notre société, qui sont autant de fausses notes à l’émergence réelle. C’est le cadeau post mortem qu’il offre aux jeunes. Il faudra relire les écrits de cet homme très sensible et intéressé à l’avenir de la jeunesse sénégalaise et africaine. Les latins ne disent-ils pas : ‘’qui bene amat, bene castigat’’ (Qui aime bien châtie bien). Personnellement, j’ai eu la chance de croiser dans ma vie, cet homme, alors que j’avais juste 28 ans. Mais je ne l’expérimente qu’en 2000, après l’arrivée de Wade au pouvoir. Ma vie serait, sans aucun doute, différente si cette étoile n’avait pas visité mon jardin. Il m’a réellement aidé à ouvrir bien grands les yeux, à rester lucide, résilient et surtout libre.
Son trait de caractère dominant, après sa folle générosité, est son attachement à la liberté. C’est parce qu’il est fondamentalement libre, qu’il peut se battre pour l’irradier autour de lui, dans la société qui l’a vu naître. Cela lui a permis de se faire des amis au plus haut sommet de la pyramide sociale. Me vient en souvenir ce dîner avec le Président Guinéen Alpha Condé, en octobre 2011. Nous étions en train de manger du ‘’poulet sans hormones’’, comme aime bien dire le président guinéen. Il y avait les membres de son cabinet et Babacar Touré engage une discussion avec Alpha Condé, son ‘’grand ami’’.
Le débat finit en disputes entre les deux amis qui s’apprécient. ‘’Tu racontes des histoires Alpha’’, lui lance Babacar Touré. Un à un, les membres de son cabinet s’éclipsent et il ne restait que les deux amis rigolant et s’injuriant, sous nos yeux. Baye Omar (pour qui il avait une grande affection) et moi-même ont été témoins de cette scène qui renseigne de l’amitié entre les deux hommes mais aussi de l’absence de complexe et la force de caractère de Babacar Touré. Puisses-tu, cher ami, reposer en paix pour l’éternité !
Par Madiambal DIAGNE
BABACAR TOURÉ A FINI PAR FAIRE CE QU’IL NE SAVAIT PAS FAIRE, NOUS TRAHIR !
La disparition de Babacar Touré laisse sans voix. C’est une de ces situations lors desquelles on ne cesse d’interroger le décret divin, qu’on ne s’empêche de repenser à tous les moments partagés avec la personne disparue et qu’on n’arrive pas à comprendre
La disparition de Babacar Touré laisse sans voix. C’est une de ces situations lors desquelles on ne cesse d’interroger le décret divin, qu’on ne s’empêche de repenser à tous les moments partagés avec la personne disparue et qu’on n’arrive pas à comprendre. Le choc est violent pour tous ceux qui y ont eu à connaitre, pratiquer, apprécier et aimer BT.
L’homme, par sa courtoisie, son entregent, son humanité et son altruisme, avait fini d’être, pour beaucoup, un interlocuteur passionné, une oreille attentive, un pacificateur discret. Il avait tellement habitué son monde à sa présence marquante que dans notre for intérieur, nul ne pouvait s’imaginer un jour sans la bienveillance de BT.
Babacar Touré laisse un vide, celui que laisse un pionnier et un militant des libertés et de la démocratie qui n’a ménagé aucun effort pour faire du Sénégal une terre de débat public de haut niveau, de démocratie à travers une expression de voix plurielles, de gouvernance orthodoxe avec une transparence dans la présentation des faits et de la chose publique. Babacar Touré est comparable dans ses combats, à un puits dont l’œil se trouve en lui-même. Il agissait par la force de ses convictions, de sa foi en un idéal démocratique, et dans une nécessité de concilier toutes les contributions utiles à la construction des nations africaines et de leurs citoyens. Albert Camus disait à propos de René Char, ce qui suit : «J’aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure, en un mot et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours.» Ces mêmes mots peuvent être lus à Babacar Touré, car il s’est fait aîné et compagnon, a guidé des pas, a motivé et encouragé toutes les aventures constructives dans lesquelles des personnes décidaient de se lancer en sollicitant ses conseils. En observateur averti et acteur de première ligne, il ne manquait aucune occasion de recadrer par un discours franc et véridique, de suggérer des voies plus à même d’apporter des résultats bénéfiques pour le plus grand nombre. Tout cela, avec une joie de vivre et un humour sans égal.
UN BERGER VIENT DE TOMBER, LE CŒUR DES JOURNALISTES EST EN LARMES*
Le Sénégal a perdu en la personne de BT un de ses meilleurs fils. Son œuvre et son service seront à jamais ici pour témoigner du grand homme que fut Babacar Touré. Chaque jour qui passe, cette perte se fait de plus en plus pesante et le vide nous rappelle à quel point cette vie ici ne tient qu’à un fil. «Le jour où l’un de nous disparaîtra, l’autre ne saura plus à qui parler de certaines choses.» Ce mot de Picasso à Matisse est plus que parlant pour tout ce que BT fut pour nous, pour le vide qu’il laisse et pour tout l’amour et l’estime qu’on ne pourra plus lui témoigner de vive voix à chaque détour de conversation. En novembre 2017, j’avais fait de Babacar Touré l’invité spécial des Assises de l’Union internationale de la presse francophone (Upf) à Conakry. Il fallait rendre hommage à ce monument des médias et cet inspirateur de nombre de fondateurs d’entreprises de médias et d’écoles de formation de journalistes en Afrique. Je l’avais apostrophé par ces mots : «Je voudrais saluer la présence de mon ami Babacar Touré. Son déplacement à Conakry pour venir prendre part à notre manifestation me va droit au cœur. BT, c’est comme cela que nous l’appelons, est un monument de la presse africaine. C’est un précurseur de la création d’entreprises de médias libres et indépendants en Afrique. C’est un grand professionnel qui nous inspire par sa sagesse, sa rigueur professionnelle et morale mais aussi par sa générosité, son sens du partage. De toutes les personnes que je pratique, il m’est le plus proche par l’identité de vues et par l’empathie qu’il me manifeste. Je vous demande de le saluer chaleureusement ». La salle lui réserva une forte et longue ovation. BT n’avait pu contenir son émotion. A la fin de la cérémonie, il me prit par la main pour dire: «Je te dispense d’une oraison funèbre à ma mort ». Ma réponse a été : «On a le temps de voir venir car ce ne sera pas avant vingt-cinq ans». Le Président Alpha Condé voulait nous l’arracher pour l’amener déjeuner avec lui, Babacar lui dira : «Alpha, je reste avec les miens». La réplique du chef de l’Etat guinéen ne se fit pas attendre et dénota le degré de leur amitié et de leur familiarité. Tout cela avait fini par de fous rires.
BABACAR PRÉPARAIT CHAQUE JOUR SA PROPRE MORT
Babacar Touré ne pensait sans doute pas rester sur terre jusqu’à l’âge de 69 ans. En 2011, pour fêter ses 60 ans, sa famille lui avait offert une petite fête. Babacar y invita quelques amis dont Mansour Cama qui nous a lui aussi quitté hier. La fête était très sympathique. Jusqu’à ce que Babacar la gâcha quelque peu. Il se réjouissait de fêter ses 60 ans d’autant qu’il n’espérait pas trop arriver jusqu’à 70 ans. Il venait de sortir d’une pénible période durant laquelle son pronostic vital avait été des plus pessimistes.
Avec son sens de l’autodérision, Babacar Touré fit en quelque sorte son legs testamentaire. Des années ont passé et Babacar reprit sa vigueur. Ces derniers mois, Babacar Touré restait cloitré dans sa résidence de Ngaparou. Il s’imposait l’isolement, la réclusion même, comme mesure de prophylaxie contre la pandémie du Covid-19. Mais Babacar s’inquiétait plus pour nous autres en nous prodiguant à chaque conversation téléphonique de faire attention, d’éviter les contacts et de prendre garde à la maladie. Subitement, Babacar a été piqué par on ne sait quelle mouche. Il prétexta du décès de la maman d’un ami de jeunesse pour se déplacer. Il fera un détour jusqu’à sa nouvelle résidence à Touba. Il fera le tour pour saluer du monde et improvisa un déplacement à Porokhane où il voulait bâtir une demeure et à Foundiougne pour aller voir ses neveux et nièces qu’il n’avait pas revus depuis quelques temps. Il fera des sorties pour offrir des ambulances aux populations de Ngaparou et prit de temps en temps la liberté de faire des promenades, disant en avoir marre de rester enfermé. Je lui criais dessus pour ces escapades et il s’en sortait par une pirouette: «Ndok samarak». (Ndlr: tant pis jeune frère). Il m’appela et je boudai ses appels, bien que j’avais bien envie de lui parler. Il m’envoya un message pour me dire que je suis sadique en le torturant de la sorte. C’était reparti pour de fous rires ! Je lui avais présenté des amis étrangers qui étaient intéressés de participer à son projet d’installation d’un centre de remise en forme à Ngaparou. Babacar disait que c’était son dernier projet sur terre. Je devais retourner à Ngaparou avec ces amis qu’il recevait généreusement à sa table.
Pour le taquiner, je lui commandais de la grillade de viande de gazelles «oryx» pour faire tendance. Il répondit: «Je n’ai pas possédé des gazelles oryx mais j’aurais pu vous servir de la viande de lama si je n’avais pas vendu mes bêtes entre temps». Comment a-t-il pu faire ça? Babacar Touré s’était débarrassé de ses nombreuses espèces d’animaux rares et de son cheptel de bovins parce que disait-il, à sa mort sa famille ne pourrait pas s’en occuper et il ne souhaitait pas faire souffrir les pauvres bêtes. Le dimanche 12 juillet 2020, il me fit l’amitié de me faire lire un texte, qu’il a prévu de publier le lendemain et intitulé « Le Sénégal entre défi et déni ». Il me disait : «Puisque tu as pris un congé pour tes «Lundis» j’assure ton intérim». Le texte était exquis, sublime même. Je le rappelais après la lecture pour lui dire que le lecteur ne saurait lâcher cet intérimaire de luxe et qu’il devra continuer à nous gratifier d’aussi profondes et pertinentes réflexions. Il ne voulait envisager cette perspective. J’insistai et il chercha à s’en sortir par une pirouette disant : «Mettons cette question au registre de nos divergences irréconciliables». Un tel registre ne saurait exister. J’eus la prétention de lui «ordonner» de faire ses papiers le «Mardi», après les miens du «Lundi».
Avec son sens de la répartie, il me dit «Tu veux que je te fasse du «felu» (Ndlr: un mot wolof qui traduit le geste d’un danseur qui entre sur la scène pour prendre le relais ou pour féliciter un autre danseur épatant). Qu’à cela ne tienne! Il rajouta: «Et ce sera Talata. Tu voudrais que je fasse du Talata » (Ndlr: le jour du mardi est nommé talata en wolof mais ce mot peut aussi signifier donner une gifle». La discussion se termina par un fol éclat de rires. En écrivant ces lignes, je dois avouer que je suis envahi par l’émotion car je ne pouvais pas m’imaginer qu’en reprenant mes chroniques, je le ferai avec une oraison funèbre à la mémoire de Babacar Touré.
Le 13 juillet 2020, je commentais avec lui son article. Nous nous parlions plusieurs fois dans une même journée et pendant de longs moments. Je lui fis part de la volonté d’un ami Marocain de le prendre comme un associé dans un grand projet immobilier à Touba. Babacar Touré n’était pas intéressé par le partenariat, indiquant que pour ce qu’il lui reste à vivre il ne voudrait pas se lancer dans des projets qui lui boufferaient sa vie. C’était Babacar Touré qui avait introduit, quelques mois auparavant, ces investisseurs auprès du Khalife Général des Mourides, Serigue Mountakha qui d’ailleurs, s’en était félicité et avait béni le projet. Serigne Mountakha avait indiqué l’emplacement où ce projet immobilier devait être érigé et avait annoncé qu’il donnerait le ton à la communauté Mouride en achetant directement des villas. Serigne Mountakha considère qu’un tel projet participerait à moderniser la ville de Touba. Le 15 juillet 2020, en fin de journée, Babacar Touré me confia qu’il ne se sentait pas trop bien, qu’il ressentait de la fatigue suite à ces derniers déplacements. Je lui conseillais de penser à faire un test de paludisme. Il chambra à nouveau avec son autodérision: «Je ne pense pas supporter un gros paludisme encore moins le fichu Covid-19». Il se révéla que Babacar Touré sera emporté par le Covid-19. Quand on se rappelle ces petites discussions et anecdotes, ajoutées à celles vécues avec lui par d’autres proches, on mesure la banalité de l’être humain mais surtout on réalise a postériori que Babacar Touré nous faisait subtilement ses adieux à chaque occasion.
UNE MAISON DE LA PRESSE SI BIEN NOMMÉE
Le secteur des médias a tout donné à Babacar Touré, mais Babacar Touré le lui a rendu au centuple. C’est en reconnaissance à son mérite que le Président Macky Sall avait choisi Babacar Touré pour être le premier professionnel des médias à avoir l’insigne honneur de diriger le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) du Sénégal. Le choix était judicieux et unanimement salué à travers le Sénégal et le monde. Durant tout son mandat à la tête du Cnra, Babacar Touré a su conforter le sentiment que le président Sall ne pouvait pas faire un mieux choix. Babacar Touré, avec son panache naturel, a réussi sa mission avec brio.
En quittant le Cnra, Babacar Touré avait fini de mettre la dernière main sur tous les projets de textes de réforme du secteur des médias. Le meilleur hommage à lui rendre serait sans doute de conduire à terme les réformes préconisées au grand bénéfice du secteur des médias. En reconnaissance à son oeuvre, le président Macky Sall qui l’avait déjà honoré de son vivant, a tenu à donner le nom de Babacar Touré à la Maison de la Presse du Sénégal. Aux personnes qui tenaient à remercier le chef de l’Etat pour ce geste, Macky Sall a répondu: «Damay motali kolëre». C’est dire toute l’admiration, l’estime et l’affection qu’il avait pour celui qu’il appelait «le grand». Babacar Touré avait un sens élevé de l’amitié et de la loyauté, mais il aura fini par nous trahir tous, en partant pour toujours et au moment où nul ne s’y attendait. Il avait une obsession, celle de voir sa dépouille exposée à la face du monde.
Repose en paix BT, ta volonté a été scrupuleusement respectée !
*Cet intertitre est inspiré par la chanson de Enrico Macias en hommage au président Anouar El Sadate.
PAR Omar Arouna
LE BÉNIN A SOIXANTE ANS MAIS DANS UN CUL-DE-SAC
EXCLUSIF BENINPLUS - Il y a peine à ne pas hurler « y a-t-il un adulte dans la maison rupture, pour parler au chef de l’Etat ? » ; lui expliquer que cette notion provinciale du développement en porte-à-faux avec les libertés et droits humains, est ridicul
Un cul-de-sac, également appelé, une impasse, est un passage avec une seule entrée ou sortie. Dans le jeu d’échecs, l’impasse est une situation où le joueur dont c’est le tour de se déplacer n’a aucun mouvement légal.
Ici, impasse est en référence au contexte dans lequel une résolution ou une action supplémentaire semble très difficile ou improbable pour tous. Force est donc de constater en ce jour où nous célébrons soixante ans d’indépendance que nous sommes dans l’impasse au Benin, dans un cul-de-sac, socio-économique et politique de tout point de vue.
Sur le plan socio-économique, même si on nous parlera désormais de « pays à revenu intermédiaire de tranche inferieure », (après les bisbilles du « rebasage » économique) ou « d’asphaltage », ne nous y méprenons pas ; la pauvreté reste rampante. Les emprunts frénétiques et récurrents, les impositions et taxations tous azimuts, les licenciements massifs, les fermetures d’entreprises fréquentes, des chômeurs par milliers, un système éducatif tangentiel, la fermeture des frontières avec le voisin fortuné de l’est, la baisse drastique du trafic portuaire, les purges au sein de l’armée, la chute du coût mondial du Coton, l’isolement diplomatique, l’embastillement, le déni de justice, la fuite des capitaux, l’incapacité d’accompagnement social de COVID-19 que sais-je d’autre… sont des signes avant-coureurs d’une situation socio-économique sans issue, un cul-de-sac.
Au plan politique, le constat est sans ambages. Le pays ne peut pas, avancer ou faire des progrès depuis que subsiste l’exclusion qui a conduit à la crise post-électorale de mai 2019 ou plusieurs enfants du Benin ont connus la morts, la population est tétanisée.
Des lois crisogenes, une constitution non consensuelle, une Assemblée nationale illégitime, des élus communaux désignés, des institutions sans crédibilité, des exilés, des résistants, des opposants, des opposants faire-valoir, des partisans, des partisans faire-valoir, des candidats sans parrains, des parrains sans candidats; une présidentielles élusive … autant d’indices patents d’un contexte politique boueux où aucun progrès ne peut être réalisé en raison d’un désaccord fondamental. En somme, il s’agit d’une impasse, d’un cul-de-sac.
Il y a peine à ne pas hurler « y a-t-il un adulte dans la maison rupture, pour parler au chef de l’Etat ? » ; lui faire prendre toute la mesure du contexte socio-économique alarmant et surtout lui expliquer que cette notion provinciale du développement qui existerait exclusif d’un ordre démocratique ou en porte-à-faux avec les libertés et droits humains, est ridicule et sans mérite. « Y a-t-il un adulte dans la maison rupture pour rappeler au chef de l’Etat » si le rêve est toujours d’être « porté en triomphe à la fin de son premier et unique mandat » comme dans un cul-de-sac, il devra se retourner car la porte de sortie est la même que la porte d’entrée… la restauration de l’ordre démocratique et républicain.
Ambassadeur Arouna, MBA est Managing Partner chez USAFCG, fondateur et PDG de Global Specialty (GSL), ancien ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du Bénin aux États-Unis d’Amérique, et représentant du Bénin au Mexique et à l’Organisation des États américains. Il est un expert reconnu des investissements du secteur privé en Afrique, des relations gouvernementales et des relations entre les États-Unis et l’Afrique.
par Armelle Mabon
CES MORTS SANS NOM QUI DÉRANGENT
L’État français ne peut plus se perdre dans les méandres d'une écriture négationniste du massacre de Thiaroye par loyauté pour ces soldats qui n'ont fait que réclamer leurs droits. Il est temps de retrouver une morale politique, historique, citoyenne
Le 25 juillet 2020 un hommage a été rendu à tous les soldats venus d’Afrique, de l’Océan indien, du Pacifique et des Antilles sous l’Arc de Triomphe en ravivant la flamme du soldat inconnu en présence de membres du gouvernement et de la directrice de l'ONACVG. Ceux massacrés par l'armée française le 1er décembre 1944 à Thiaroye au Sénégal pour avoir osé réclamer leur solde de captivité, sont exclus de tout hommage. Ils sont sans nom dans des fosses communes mais ne sont pas des soldats inconnus. Le gouvernement a remis, le 1er juillet 2020, aux parlementaires des commissions de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale et du Sénat un livret avec le parcours de cent combattants de la Seconde Guerre mondiale. Comme l'indique le site du ministère, ce livret est un outil à destination des maires de France, qui souhaitent répondre à l’appel du président de la République lancé lors du 75ème anniversaire du Débarquement de Provence. Nommer des rues, des places et des écoles du nom de combattants africains permettra que ces soldats méconnus ne demeurent pas des soldats inconnus.
Aucun des hommes massacrés à Thiaroye ne figure dans ce livret : ils sont exclus du champ mémoriel comme le rappelle l'ajointe au maire de Rennes Lénaïc Biero: « Je vous remercie de votre proposition de cérémonie concernant les morts de Thiaroye, toutefois je vous informe qu'elle ne relève pas du champ mémoriel de la Ville de Rennes. En effet, le président de la République a rendu hommage aux soldats morts à Thiaroye en 2014, à l'occasion du sommet de la francophonie. Ce temps de célébration, chargé d'une symbolique qui engage toute la Nation, ne peut se décliner sur un hommage local ».
N'y a t-il pas partout en France des déclinaisons locales d'un hommage national ?
Le président Hollande a engagé la nation en diffusant des erreurs historiques, en réitérant le mensonge d’État et en faisant croire que le lieu de leur sépulture était inconnu.
Ils méritent un hommage national avec non pas des expositions relayant un récit officiel mensonger mais avec l'exhumation de leur corps des fosses communes et l'octroi de la mention « Mort pour la France ». L'Etat français les a nommés « mutins » et a condamné 34 d'entre eux pour un crime qu'ils n'ont pas commis. Le procès en révision permettra de décharger la mémoire des morts. Ce sont des préalables indispensables avant que ces hommes puissent intégrer le champ mémoriel des villes de France, là où ils ont combattu, là où ils ont été prisonniers de guerre, là où ils ont rejoint la résistance, là où ils ont quitté la métropole.
Leur histoire a été confisquée, salie. On prête à Faidherbe cette phrase : « Ceux-là, on les tue on ne les déshonore pas », qui est aujourd’hui la devise de l’armée sénégalaise « On nous tue, on ne nous déshonore pas ». A Thiaroye, le 1er décembre 1944, des officiers français se sont déshonorés et l’État français aussi en couvrant une ignominie. Il est temps de retrouver une morale politique, historique, citoyenne et mémorielle. En affrontant la vérité, ces morts ne dérangeront plus, ils seront nommés, auront une sépulture digne, seront innocentés et seront honorés localement comme nationalement. L’État français ne peut plus se perdre dans les méandres d'une écriture négationniste du massacre de Thiaroye par loyauté pour ces soldats qui n'ont fait que réclamer leurs droits.
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
LES COULEURS DE SANDAGA
EXCLUSIF SENEPLUS - Rien, ou presque, de tout ce qui se vend et s’achète n'est l'ouvrage du Sénégal. Tout est importé. On peut imaginer que la majorité des produits vient de Chine. Qu’est-ce que cela dit de nous et de notre pays ? NOTES DE TERRAIN
Je ne sais pas qui de nous deux devait râler. Mais j’avais de bonnes raisons de lui demander de faire attention. Je l'ai fait. Il m'a proposé d’aller me faire voir. Pourtant, le tort lui revient. Voici toute l'histoire. J’étais en train de marcher tranquillement sur l’avenue Lamine Gueye, lorsqu’il a freiné, presque à mes pieds, en braquant la voiture soudainement. Il ne voulait pas rater le piéton qui lui tendait la main. Celui-ci était à moins de cinq mètres, devant moi. Mon sang n'a fait qu'un tour. Sa conduite était absurde. Je lui ai fait remarquer, fortement. Le bon gaillard a alors renversé la charge de la faute. Je n’avais qu’à bien regarder devant moi, observa-t-il. Je me suis vite ressaisi. Il ne fallait pas que je perde mon temps. L’heure de mon rendez-vous approchait, le soleil était impitoyable. Je m’étais emporté pour rien.
Dakar change de dimension, les veilles de fêtes. On dirait que les corps sont possédés par les esprits, qui se mêlent à l’effervescence. Telle dans une fête païenne ou une représentation chamanique. Tout bascule dans une atmosphère déchaînée. Tout est folie, tempête, désordre. La foule est en transe. Les individus, surexcités, entrent dans un monde double. De ferveur et de démesure. Le spectacle est hypnotique. Le rythme endiablé. À Sandaga, ce matin, les arômes, les clameurs et les couleurs s'en donnent à cœur joie. C'est une puissante énergie. Qui se décharge tout autour. Les geignements uniformes des hauts-parleurs. La musique furieuse. Les klaxons séquentiels. Les corps qui se heurtent, et s’évitent. La sueur qui perle dans les visages. L'affabilité intéressée des marchands. Les visages aimables, fermés, chantants, masqués, effrontés des hommes et des femmes qui passent ou 'arrêtent. Les habits. Les chaussures. Les lames des couteaux.
La rue est en délire. De Sandaga aux allées Pape Gueye Fall, où je dois me rendre, un rythme hystérique déborde de partout. Tout, ici, semble être envoûté. Avant la fin de la semaine, dans quatre jours, la Tabaski viendra comme une séance collective d’exorcisation. Je remarque que le coronavirus est presque oublié. En tout cas, les gens qui portent le masque sont minoritaires. Les gestes barrières n’existent pas. On pourrait voir cette effervescence, en temps de crise sanitaire et économique, comme de l’imprudence. Mais, on ne peut pas obliger un peuple à renoncer à ses grands rites et à ses moments de bonheur. Surtout si ses chefs ont abdiqué. À la fin, il faudra collectivement assumer. Nous avons préféré l’allégresse de la fête et le maintien de l’économie à la vie de certains des nôtres, les plus fragiles.
Mon regard est interpellé par autre chose. Presque toutes les marchandises sont importées. À part les chaussures « Ngaay », et peut-être certains habits africains - je me demande s'ils sont fabriqués ici ? -, presque rien de tout ce qui se vend et s’achète n'est l’ouvrage du Sénégal. Tout arrive d'ailleurs. On peut aisément imaginer que la majorité des produits vient de Chine. Qu’est-ce que cela dit de nous et de notre pays ? Ce n'est pas seulement dans les marchés que les produits sont importés. Dans nos maisons, dans nos bureaux et même dans nos assiettes - donc dans nos ventres, nos corps et nos esprits -, l'objet le plus insignifiant vient de l'autre bout du monde. Nous consommons ce que les autres fabriquent. Nous n'inventons et ne produisons que très peu. C'est une attitude d'abandon et, quelque part, de servilité.
Quel peuple peut songer, sérieusement, à la souveraineté, s'il ne sait pas façonner avec son esprit et ses mains, la grande partie des choses qui le nourrissent ? Le cœur de notre économie repose sur le courtage, la rente, l'intermédiation. Si cela marchait, nous l'aurions su. Ce n'est pas le cas. Nous ne pouvons pas encore nous targuer d’être une nation qui entretient ses citoyens et les protège de la précarité. Pourquoi donc n'y arrivons-nous pas ? L’innovation et la production sont les socles des progrès économiques. De la prospérité sociale. Une communauté est indépendante lorsqu'elle prend en charge sa propre destinée. Tous les peuples autosuffisants développent des techniques de production et des plateformes d’innovation. En ce qui concerne l'Afrique en général, nous sommes encore déficitaires dans notre commerce avec le reste du monde. Et nous proposons que très peu de choses aux autres.
Il n'y a aucune fatalité dans notre situation actuelle. Les peuples, quand ils le veulent font de grands bonds en avant. Ils peuvent se surpasser et même étendre leur influence culturelle, économique et politique au reste du monde. Ils peuvent aussi décliner. Parle-t-on aujourd’hui de la Mésopotamie, de la Phénicie, de l'Indus, des Aztèques, de l'Empire inca, de l'Empire khmer, de l'Empire moghol, ou même de ce qui a été une grande civilisation africaine, l'Egypte ? Dans les livres d’histoire, seulement. Ces grandes civilisations au rythme de la vie ont vécu, triomphé, puis se sont effondrées. Aujourd’hui, le grand ensemble occidental, ainsi que la Chine sont les civilisations les plus conquérantes. Parce qu'elles savent mieux entretenir leur système productif et developer des technologies, dans tous les secteurs. Elles bénéficient, ainsi, d'un avantage comparatif sur le reste du monde. Mais d'autres pays savent aussi se rendre indispensables et entretenir leur prospérité.
Seule l'Afrique manque de volonté, de puissance et d’influence. Le continent est bien doté, pourtant, en ressources naturelles. Mais ne sait pas les transformer. Car il crée très peu d’activités productrices. En 2019, l'Afrique avait une croissance de 3,4 %. Sans retombées réelles sur les populations. Pour justifier ce paradoxe, les mêmes arguments sont avancés. Faible diversification de l’économie, réinvestissement insuffisant dans des secteurs sociaux (éducation, santé), déficit en insfrastructures. Mais on parle très peu du paradigme et des contradictions entre l’infrastructure et la superstructure. Il y a une invraisemblance, que l'on tait ou que l'on survole : le déséquilibre entre les activités intellectuelles et morales et les activités des affaires. En Afrique, les valeurs relationnelles et sociales sont en coupure avec la politique et l’économie. Or, partout ailleurs, les schémas de l’économie entrent en résonance avec l'ordre culturel.
L'Occident affirme sa gloire et marche en avant, s’accrochant à son éthique du progrès. La confiance conquérante de la Chine trouve ses racines dans un bouillon de convictions, qui appelle au pragmatisme - le confucianisme, le bouddhisme, le taoïsme, le communisme. La Turquie en se déployant militairement en Syrie, en Libye, en mer Égée, ou industriellement en Afrique, revendique l'orgueil ancestral des ottomans : occuper d'autres nations pour y développer commerce et y puiser richesses. Et nous ? Rien, j'allais dire. Mais ce n'est pas tout à fait cela. Il y a bien quelque chose, sauf qu'elle ne sert que pauvrement. Il y a des civilisations brillantes, en Afrique. Des ressorts culturels extraordinaires. Qui peuvent être des stimulants pour de grandes avancées technologiques et scientifiques. On y prête que très peu d’attention.
L’extraversion économique est l'autre versant de la mise sous tutelle culturelle. Plus précisément, la base économique d'une part, et d'autre part le juridico-politique et l’idéologique marchent en complète désynchronisation. La créativité, la générosité, les sources d’énergie sont dissociées de l’âme profonde du peuple. Voilà le fond du problème. C'est ce déséquilibre-là qu'il faut interroger. Si nous voulons rester sincère dans l’inventaire de nos maux sociaux, politiques, et économiques. Tant que l'axe culturel sera dévié, on ne progressera pas vraiment. On manquera de force et de dynamisme pour produire et innover. Pour protéger nos ressources. Pour développer des compétences dévouées et loyales. Pour promouvoir la liberté et l’égalité pour tous. Pour devenir véritablement souverains. On empêchera l'audace et la prise de risques.
Retrouvez sur SenePlus "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
COVID-ORGANICS, L'OPTIMISME TRADIPRATICIEN FACE À LA FLAMBÉE MALGACHE
Faut-il désespérer du « remède » au coronavirus promu par Andry Rajoelina? Avec la hausse des cas, les Malgaches ne savent plus à quel artemisia se vouer…
Jeune Afrique |
Damien Glez |
Publication 02/08/2020
Sur un sujet aussi neuf que la Covid-19, difficile de s’insinuer entre l’arbre des faits et l’écorce de la propagande. Les statistiques elles-mêmes, forcément incomplètes mais formelles, n’échappent pas au trompe-l’œil. Faut-il se réjouir que, ce 28 juillet, le continent atteignait le seuil des 500 000 patients guéris ou s’inquiéter que cette même Afrique, vingt jours auparavant, dépassait la barre des 500 000 infections officielles ?
Les données continentales ayant de moins en moins de sens – l’accélération du rythme de propagation du virus n’étant pas également réparti sur le plan géographique –, il convient de scruter certains pays symptomatiques de tel ou tel aspect de l’événement sanitaire.
Mais quatre mois après l’apparition du premier cas de coronavirus à Madagascar, c’est une forte augmentation du nombre d’infections que connaît Antananarivo. L’île a dépassé, cette semaine, la barre symbolique des 10 000 cas, dont 93 morts. Alors que le nombre de nouvelles contaminations quotidiennes s’était stabilisé à une centaine, il se situe désormais entre 300 et 400.
L’heure est clairement au branle-bas de combat sanitaire, au doute populaire et aux dissensions politiques…
Mamadou Diouf, professeur d'Histoire à Columbia University, est l'invité de Baye Omar Guèye dans l'émission Objection de ce dimanche.
L'UNIVERS ENCHANTÉ DU FRANC DES COLONIES FRANÇAISES D'AFRIQUE
Les élites africaines finiront bien par comprendre que, sur ce continent, les postures conservatrices sont un corbillard. Peut-être même qu’elles le sauront avant que la 70è génération d’ici ne soit déjà débitrice aux clubs de Paris
Quand pour contourner la maligne pandémie les planches à billets soutiennent à tour de bras les économies souveraines à travers le monde, alors les colonies françaises d’Afrique réalisent qu’elles n’ont pas le moindre pouvoir d’adoucir, rien qu’un peu, la fatale misère de leurs populations. Et que la transition sous la harangue populaire, du franc CFA vers l’Eco dans les formes énoncées au mois de décembre 2019, n’y changera rien.
Les indépendances africaines furent le chant du cygne des devises coloniales à travers le continent. Exit la livre sterling, l’escudo, la peseta, la zone monétaire belge. Les nouveaux États indépendants s’imposèrent la mission fondatrice d’émettre leurs monnaies nationales, matérialisant leur ascension à la condition d’entités souveraines internationalement reconnues.
A l’exception des colonies françaises d’Afrique noire passives, à l’adresse desquelles fut allouée une monnaie excentrée et surévaluée, annihilant tout espoir de compétitivité internationale, pour des ersatz d’États formatés à attendre de l’horizon leur pain de tous les jours.
Quelques subsides furent bien octroyés depuis sur ce long chemin de croix avec le transfert, au cours des années 1970 des banques centrales à Yaoundé et Dakar, précédé de l’africanisation du personnel. Puis vint décembre 2019, où la fin du dépôt des réserves, ainsi que l’improbable suspension de la présence d’administrateurs étrangers au sein des conseils d’administration, vinrent consacrer l’évolution du 21eme siècle.
Entre alors en scène la parité Eco-Euro, troublant exotisme monétaire s’il en est: l’Eco, comme le franc CFA, dépendra encore et toujours du taux de l’Euro, et par conséquent de la santé des économies nationales de la zone Euro, l’Allemagne en tête est-il utile de rappeler qu’aucun pays de la zone Euro ne peut suivre la cadence de la compétitivité allemande?
Tout comme l’esclavage d’entières générations d’Africaines et d’Africains se poursuivit sereinement dans les plantations tout au long des abolitions intermittentes de la traite négrière, l’indépendance des colonies n’avait pas pour dessein de mettre un terme à leur assujettissement. Il n’est pas surprenant, donc, que la mise au placard de l’appellation CFA en décembre 2019 rassemble les peuples des pays concernés autour d’une incrédulité commune, convaincus que le naturel incestueux est tapi dans l’ombre. Il suffit de voir les images annonçant la transition vers l’Eco, l’assurance étriquée que les choses se passeraient en toute «responsabilité», c’est-à-dire, en substance, qu’il ne fera pas nuit entre aujourd’hui et demain, pour réaliser que décidément à cette séquence il manquait Patrice Lumumba, qui ne put se contenir lorsque le 30 juin 1960, un Kasavubu (le premier président de la République du Congo) politiquement correct ne se résolut pas à solder les comptes de la colonisation.
Dans le cas de figure, nous avons donc la «responsabilité» de nous agripper, vaille que vaille, aux mamelles de la parité et de la convertibilité: à l’aune de notre histoire, cette «responsabilité» est de triste augure pour nos populations appauvries, et habituées.
Il n’y a qu’à constater l’enthousiasme … mesuré des opinions publiques africaines à cette annonce d’un autre temps, où s’entrechoquaient à l’envi, «responsabilité», «convertibilité», «parité». A ce tour de passe-passe présenté urbi et orbi depuis la torpeur tropicale, il ne manquait que les applaudissements. Il n’y en aura pas.
C’est à se demander si les bénéficiaires de ces arrangements sont exclusivement ceux qui viennent du froid. Car la monnaie coloniale ne fait pas grand mal aux importateurs prospères et autres capitaux africains qui trouvent leur compte dans le taux de change surfait qu’offre le franc CFA. Les élites politiques et économiques du continent y trouvent une facilité de transfert de leurs ressources financières, justifiant qu’elles se bouchent le nez.
Élites bombées d’avantages indus, agiles complices de la mise en œuvre des échafaudages savants qui aliènent nos capacités d’innovation, comme si l’état de misère dans lequel, elles complaisent les peuples du continent, était pour l’éternité un constat inamovible.
Alors, pour nos élites profiteuses du statu quo, les indignés sont …indignes, forcément: leur ridicule colère épidermique et souverainiste devra donc être tempérée par ceux qui ont conservé toute leur raison; qui ont, disent-ils, autant d’amour pour notre chère Afrique qui nous coûte bien cher, décidément, et la voudraient tout aussi indépendante et affranchie. Mais, assurent-ils, il serait suicidaire de se ruer, à la Don Quichotte.
La vague sans écume des révolutions marxistes monopartites juchées en équilibre sur le socle incertain de l’orgueil patriotique devrait nous avoir suffi. Et de nous susurrer que le mécanisme de garantie du CFA/Eco par l’ancienne métropole est le plus sûr garde-fou qui soit, solide rempart face aux fluctuations impitoyables du négoce international. La main sur le cœur, ils nous préviennent : la convertibilité du CFA/Eco avec l’Euro est indispensable pour maintenir les pays de la zone dans l’économie mondiale.
Ce serait donc le bon sens qu’on oppose à l’idéalisme béat : quitter le mécanisme CFA, pour imparfait qu’il soit, précipiterait nos destins dans l’abîme. La stabilité que confère la zone contribuerait à réduire l’inflation, ou en tout cas, à la maintenir à des hauteurs absorbables. Le choix de maintenir cette parité viserait donc à rassurer les investisseurs sur la stabilité de la monnaie et éviter le risque de fuite des capitaux.
Soit. Or, tous ces arrangements précautionneux n’ont pas empêché l’effondrement structurel de nos économies à la monnaie garantie. Il suffit de parcourir les paysages délabrés des pays de la zone CFA. Où est l’erreur ? Ces économies sont génétiquement misérables, convertibilité ou pas. Car les personnes qui devraient être l’objet de nos angoisses ne sont pas celles qui représentent nos populations dans les colloques et autres estrades, en costumes ciselés et boubous empesés.
Celles qui nous importent se comptent en centaines de millions de gueux, trainant le poids de leur misère à travers les générations, depuis la minute de leur naissance, jusqu’à l’ultime souffle de leur vie. Par centaines de millions, ils n’ont pas d’eau potable, d’écoles primaires et de centres de santé, naissent diminués ou meurent en couches. Ce sont eux, pauvres hères, qui sont en contradiction physique avec les bénéficiaires locaux et extérieurs du CFA/Eco.
C’est à eux qu’il faut expliquer que leur misère eut été encore plus abyssale si la convertibilité de la monnaie nationale n’était pas garantie au-delà des mers. Oh, pour le même prix, leur préciser que cette garantie est absolument indispensable pour éviter la spéculation et la fuite des capitaux. Ça pourrait, qui sait, leur arracher un sourire. Heureux ceux qui mènent leurs vies dans l’ignorance de l’existence de la justice sociale. L’inénarrable exigence du «maintien de l’inflation à un taux bas» que résoudrait le concept CFA/Eco révèle la pauvreté d’une pensée élitiste qui a depuis abdiqué ses missions, et bradé aux commissaires-priseurs la légitime espérance de générations successives.
Les «Don Quichottes» perdront la bataille des idées, s’ils se limitent à guerroyer en terres statistiques, et cartésiennes.
Car le piège est insidieux: par-delà les chiffres et évaluations savantes, nos peuples restent étouffés par la conviction de leur impuissance éternelle, qui leur fait sous-traiter leurs énergies et leurs initiatives à une élite politique et intellectuelle, qui elle, les sous-traite mécaniquement à ses maîtres. CQFD: c’est à l’intérieur de notre propre périmètre que s’élèvent les critiques les plus acerbes de notre besoin de dignité. Sur le long voyage de notre histoire, ceci n’a rien d’inédit: l’esclave de maison se délectait des restes de la table du maitre; l’esclave des champs se contentait de ce que lui jetait l’esclave de maison.
Ainsi, l’Afrique post coloniale n’a pas fait une utilisation abusive du concept de fierté. À trop courber l’échine au nom de la raison, on glorifie le statu quo, qui érode la légitimité de désirer tenter autre chose. Le mécanisme CFA/Eco n’est qu’une étagère dans un rayon bien garni. S’en occuper serait déjà ça de fait.
Savoir ce qu’on fait est sans doute aussi important que ce qu’on fait. Tant que l’Eco ne sera pas flexible, la logique du franc des colonies françaises d’Afrique survivra, son cortège d’indignités avec elle. La fixité immobile de la convertibilité avec l’Euro, pour transitoire qu’elle est, participe de ces endormissements hypnotiques sous le regard matois des rentiers qui n’en finissent pas de troquer un manteau contre un autre, s’ajustant au gré des circonstances historiques et géopolitiques, toujours une longueur d’avance, et proposant des changements qui ne cassent aucune habitude.
Les convertibilités et parités sclérosées nous tiennent en laisse, même s’il nous est permis de gambader un peu plus loin dans le pré. Ce sont les petites satisfactions distillées qui mettent du baume au cœur, et laissent nos plaies béantes. L’espiègle pirouette CFA/Eco ne doit rien aux verroteries, liqueurs, miroirs et autres bibelots offerts aux chefs locaux en échange des esclaves enfouis dans les cales des navires en direction des plantations du Brésil. Les pires forfaitures de l’histoire de l’humanité ont prospéré à l’abri du vernis de la respectabilité.
Le piège donc, c’est être maintenu en équilibre sur la pointe d’un pied ; on ne s’écroulera pas ; on n’en mourra pas. Mais tous les efforts et énergies seront exclusivement concentrés à ne pas perdre cet équilibre. Le souffle court, la langue pendante, les yeux exorbités, un sursis permanent.
Imaginons ensemble que la zone CFA et ses succursales intellectuelles venaient à disparaitre définitivement. Et alors… Est-il possible de périr davantage? Pensons-nous sérieusement que cela affecte fondamentalement les femmes et enfants de nos hameaux? Sera-ce pire que les circonstances actuelles de nos économies bringuebalantes où des taux de croissance à deux chiffres nous sont faussement présentés comme des progrès probants, quand en réalité l’on est parti de si bas que beaucoup signifie pas grand-chose ? Les croissances sonores n’ont pas d’autre vertu que de rendre la vie plus chère encore pour la majorité des populations, mettant hors d’atteinte de leur indigence la capacité de s’offrir les produits tous importés de la malheureuse croissance.
Lorsque la raison et le pragmatisme nous maintiennent la tête sous l’eau plus longtemps qu’il ne faut, alors il faut se précipiter pour survivre. Les élites africaines finiront bien par comprendre que, sur ce continent, les postures conservatrices sont un corbillard. Peut-être même qu’elles le sauront avant qu’il ne soit trop tard, et que la soixante dixième génération d’ici ne soit déjà débitrice aux clubs de Londres et de Paris.
Absolument, il faut s’affranchir du fétichisme du franc CFA, et de ce qui en tient lieu. Se détacher de ses métaphores logistiques, toutes ces sempiternelles justifications chiffrées qui illuminent les uns toujours les mêmes, et affament les autres toujours les mêmes. Rebrousser chemin, faire machine arrière, n’exige rien qu’un peu de courage. Le courage de faire… autre chose. Eureka.
Qu’est-ce qui objectivement n’autoriserait pas ces pays à établir leur monnaie sur des bases fragiles, mais portées par l’espérance et la foi, un surcroît de discipline, une vision commune, une envie d’histoire ? Beaucoup d’espoir et d’inspiration bâtis sur des fondations différentes. Une monnaie arrimée à une convertibilité factice est aux antipodes de cette ambition, et prolonge seulement la vassalité qui ruine nos élans, bride notre génie, nous rapetisse encore et encore.
L’inconnu n’est pas nécessairement l’apocalypse. Si les explorateurs, «civilisateurs» et colonisateurs avaient eu peur du vide, ils n’auraient pas dominé le monde de leurs orientations. «L’hyperpuissance tyrannique du confort»… cette chose qui nous tient si souvent en respect au moment de prendre des décisions […] importantes» (Gilles Yabi, 2013), est ici logée dans le corset de l’ignorance tenace d’une vérité éternelle : il est toujours possible de faire autrement.
La sauvegarde passe par la promotion de concepts différents, face à la froideur du «raisonnable» statu quo qui garrotte nos indignations au nom du discours de la méthode; une méthode étanche aux douleurs de ses victimes. Au nom des statistiques; statistiques coupées d’eau qui coulent dans le même moule, profiteurs et souffre-douleurs. Au nom et pour le compte des certitudes que nos misères sont de l’ordre naturel des choses.
On peut, si l’on veut, se contenter d’affirmer son rejet du CFA. Car la malicieuse entourloupe Eco ne réussira pas à faire de cette posture une idéologie d’arrière-garde: l’architecture CFA, que sous nos yeux incrédules on métamorphosa en Eco quand la saison fut venue, est anachronique à l’étape présente où le monde découvre soudain que la vie des uns devrait compter tout autant que celle des autres. Mais on ne peut vaincre un adversaire qui a sept vies, sans commencer par s’accorder sur le sens ultime de l’effort: ce qu’il nous faut, c’est un usage, à valeur réelle, de la notion de dignité, qui soit opposable où qu’on se tourne.
Afin que seuls nos lointaines mémoires et nos livres d’histoire évoquent à nos enfants la grande douleur que fut pour nos quotidiens le manège enchanté du franc des colonies françaises d’Afrique.
Titulaire d’un Doctorat d’État en Droit international public, Moudjib Djinadou est analyste politique et fonctionnaire à l’Organisation des Nations Unies.. Il est également écrivain.