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4 mai 2025
Opinions
par Ababacar Lo
CONTRIBUTION À L'AMÉLIORATION DE LA DÉCENTRALISATION
EXCLUSIF SENEPLUS - Des acquis non négligeables sont notés grâce à l’acte 3 qui n’est pas un aboutissement, mais il fait partie du chemin à parcourir pour une meilleure appropriation des politiques de développement par les populations locales
La loi sur la décentralisation constitue une étape très importante dans l’opérationnalisation du développement à la base des territoires. Des acquis non négligeables sont notés grâce à l’acte 3 de la décentralisation qui n’est pas un aboutissement, mais il fait partie du chemin à parcourir pour une meilleure appropriation des politiques de développement par les populations locales.
Cependant, pour une réussite de la décentralisation, il faut l’évaluer et l’améliorer. A ce propos, il y a deux points sur lesquels je veux insister en guise de contribution.
Premièrement, il faut absolument réfléchir sur les frontières entre les collectivités territoriales.
En effet, dans certaines parties du pays, la communalisation universelle a permis à plusieurs localités de devenir des communes avec toutes les implications en termes de gestion du foncier. Brusquement, des compétitions naissent entre des communes pour le contrôle des espaces qui se trouvent entre deux ou plusieurs localités et qui présentent des intérêts économiques, écologiques et culturels notables.
Dès lors, il est urgent de délimiter rapidement les frontières des collectivités territoriales (communes, départements) avec l’agence qui s’occupe de l’aménagement du territoire.
Deuxièmement, il y a l’implication des collectivités territoriales dans le développement économique local en devenant de véritables acteurs et partenaires de l’investissement économique. Dans chaque commune ou, à défaut, dans chaque département, il faut une agence de développement pour accompagner les activités socioéconomiques locales. L’ARD est à un niveau éloigné, et souvent il est difficile, à son niveau, de maîtriser tout le potentiel et les opportunités des départements. Une gestion de proximité est à favoriser.
Les entreprises qui s’installent dans les collectivités territoriales doit obligatoirement contribuer au développement local, en consacrant une partie de leurs bénéfices aux budgets d’investissement des territoires dans lesquels elles sont implantées.
Il faut penser à une sorte d’actionnariat des collectivités territoriales, avec le foncier comme contribution. Il ne faut pas se contenter de la responsabilité sociétale des entreprises ou des patentes ou taxes payées à la collectivité, mais imposer un pourcentage sur les bénéfices de toute entreprise à verser au territoire local hôte. Ainsi, les populations se sentent mieux impliquées et les dégradations et pollutions des entreprises sont en partie compensées. Par exemple, un taux de 10% des bénéfices n’est pas excessif eu égard aux perturbations susmentionnées engendrées par les activités des entreprises. La plus grande partie de cet argent, reversé à la collectivité, est investie dans les secteurs social, culturel, sportif et le cadre de vie.
Pour éviter des rivalités et des problèmes entre des collectivités territoriales, il serait peut être intéressant de penser au partage des retombées économiques entre elles lorsqu’une entreprise est implantée au niveau de leurs limites territoriales.
Par ailleurs, dans le cas où une entreprise est aussi installée dans une commune et n’est pas distante de 1 kilomètre d’une autre, cette dernière doit bénéficier, à un degré moindre, des retombées financières. Par exemple, les fumées et les odeurs provenant des industries sont ressenties loin de l’entreprise.
Enfin, une part de la contribution des entreprises locales doit être reversée au conseil départemental qui la redistribue aux autres collectivités du département. La région d’accueil doit aussi être prise en compte dans la répartition des contributions des entreprises qui s’implantent dans la zone.
Les avantages sont innombrables, et nous pouvons citer, entre autres, l’appropriation et la protection par la population locale de tous les investissements dans la localité, un développement endogène des territoires plus cohérent, une décentralisation plus poussée.
L’Etat, en diminuant légèrement le pourcentage, va continuer à percevoir des impôts auprès des entreprises.
Par Yoro DIA
MALI, A QUI PROFITE LA CRISE ?
Alors que le Mali n’a jamais été aussi proche de la disparition ou de la partition, la classe politique se divise à Bamako et fait de la politique politicienne comme si de rien n’était, en avançant masquée derrière l’imam Dicko
«Le temps ne chôme pas», nous enseigne la grand évêque africain Saint Augustin de la ville d’Annaba. La crise actuelle au Mali ne profite qu’aux jihadistes dont le temps est l’allié le plus précieux. Les jihadistes et autres séparatistes jouent le temps en attendant que la France se retire, soit après un méga-attentat qui va choquer l’opinion publique et entraîner le retrait français, comme celui des Américains à Mogadiscio.
Les jihadistes jouent le temps en attendant une alternance (respiration naturelle d’une démocratie) en France et un changement de politique. Il n’est pas évident que l’armée française serait encore au Mali si Marine Le Pen avait été élue. Les jihadistes et autres séparatistes jouent le temps en attendant une lassitude de l’Onu et de la communauté internationale sur le dossier du Mali ou qu’une autre crise plus importante le relègue au second plan. La seule urgence pour les Maliens est de comprendre cela et de se lancer dans une course contre la montre pour rebâtir une armée pendant qu’il en est encore temps, c’est-à-dire en profitant du parapluie français et international. C’est tout le contraire qu’on voit. Quand Rome était la proie des flammes, Néron déclamait des vers.
Alors que le Mali n’a jamais été aussi proche de la disparition ou de la partition, la classe politique se divise à Bamako et fait de la politique politicienne comme si de rien n’était, en avançant masquée derrière l’imam Dicko. Depuis leurs grottes dans l’Adrar des Ifoghas ou leurs planques dans le désert, les jihadistes doivent bien rire sous cape et remercier le ciel d’avoir des adversaires aussi inconscients, car en plus du temps, les divisions et les clivages politiciens sont l’autre chance des jihadistes. Leur silence stratégique en est la meilleure preuve car, comme dit Napoléon, «n’interrompez jamais un ennemi en train de faire une erreur».
Les jihadistes sont silencieux, n’entreprennent aucune action pour ne pas «interrompre l’ennemi en train de faire l’erreur». Une attaque jihadiste pourrait interrompre l’erreur de la guerre politicienne et montrer aux Maliens que l’urgence est ailleurs, non pas dans la querelle de strapontins gouvernementaux. L’urgence est une union sacrée pour bâtir une armée digne de ce nom, capable de réaffirmer l’autorité de l’Etat sur les territoires perdus. Face à cette urgence nationale, IBK est une variable. La seule constante doit être la prise de conscience des Maliens que leur pays est au bord de la partition comme l’ont été le Soudan, l’Ethiopie ; par contre le Sénégal et le Nigeria ont évité la partition grâce à leur armée. L’histoire est remplie de pays qui ont disparu ou des pays charcutés pour en créer d’autres. Si le général Atatürk n’avait pas été un génie militaire, il existerait un Kurdistan.
L’existence ou non de l’Azawad ne dépend pas du droit international ou de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation (Soudan du Sud, Erythrée…), mais dépend en grande partie de la capacité des Maliens à rebâtir une armée et de la motiver par l’exemple. Que IBK parte avant la fin de son mandat ou à la fin, l’urgence est dans l’armée. Le Mali a besoin d’un Lincoln, c’est-à-dire un chef de guerre, mais aussi un chef d’Etat, pour réconcilier le pays divisé. Face à l’urgence, les djihadistes jouent le temps et IBK la montre.
Par Ass Malick NDOYE
LES TRAGIQUES COMPAGNONS DE MACKY SALL
Aujourd’hui nous sommes à la fois dessillés et ulcérés par le comportement public, innommable, de ces troubles personnages qui revendiquent leur amitié et leur compagnonnage avec le président
«Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami; Mieux vaudrait un sage ennemi.» Jean De La Fontaine
Oh peuple du Sénégal ! Vous ne pouvez plus fermer les yeux sur la moralité et la dignité des amis et compagnons de tout prétendant à la magistrature suprême. Désormais, tous les candidats à la fonction présidentielle, devront passer par un filtre de moralité intraitable, y compris leurs futurs compagnons, dans l’exercice du pouvoir. Quelle que soit l’urgence ! Quel que soit le désir irrésistible au changement ! Au risque évidemment d’une désillusion brutale. Aujourd’hui nous sommes à la fois dessillés et ulcérés par le comportement public, innommable, de ces troubles personnages qui revendiquent leur amitié et leur compagnonnage avec Macky Sall, arpentent les plus hauts cercles du pouvoir et semblent ne pas s’en apercevoir. Tant il est vrai que l’inconduite scandaleuse, les propos immondes de ce ramassis de cloportes, est une sanglante injure à la dignité et à l’intelligence du peuple sénégalais. Voilà ces genres de comportements répugnants qui ne feront qu’accentuer le désarrimage, le désamour, le désintérêt des sénégalais, vis-à-vis de la politique.
A ce niveau la bêtise donne une idée de l’infini ! Nous, peuple du Sénégal, qu’a-t-on fait pour mériter le spectacle de ces faquins et gougnafiers, qui viennent nous débagouler, dans toutes sortes d’enregistrements, des déballages, insanités et vulgarités d’une puanteur insoutenable ? Sinon élire un président de la république qui avait, assurément, le meilleur profile parmi tous les candidats en 2012. Décidément la moralité est partie sans laisser d’adresse ! Les sombres individus de cette raclure déconcertante que nous nous garderons bien de citer ici nommément, sont devenus, hélas, à la faveur de l’alternance et de leur amitié avec le président, qui ministre, qui parlementaire, qui directeur de société nationale ou même griot attitré du président de la République. Les compétences importent peu. Il suffit d’avoir eu la chance de connaitre personnellement le président ou la première dame avant l’alternance.As’y méprendre, quelques fois, ces zélotes ressemblent à l’âme damnée du président. Ils n’ont peur de rien ! Pas même du ridicule !
La wadophobie, le repoussoir Abdoulaye Wade aidant, l’obnubilation de défaire le régime dangereux du vieil autocrate, nous ont conduit aveuglément au pis-aller Macky Sall en 2012, sans être vraiment regardant quant à la moralité de ses compagnons. Aujourd’hui nos œillères enlevées, notre sérénité retrouvée, les mots d’aucune langue humaine ne peuvent exprimer notre révulsion horrifiée. Le président doit être dans un profond embarras. Mais, grand Dieu, qu’a-t-il-fait pour nous épargner ce cabotinage vaudevillesque de ses piètres et pitoyables amis ? Ne pas sanctionner sévèrement de tels comportements, est une permissivité qui ouvre la porte à toutes les fenêtres. D’ailleurs des têtes ont été décapitées, avec perte et fracas, pour moins que ça ! Nous en sommes témoins. Quel paradoxe !
En revanche Il faut éviter une bouc-émissairisation grossière et hâtive, sans souci d’objectivité. Le délateur ostensible, les corbeaux masqués qui ont révélé ces insanités formulées en privée, sont aussi pendables que l’auteur de ces grossièretés. Nous sommes sans doute épiés par des esprits tordus qui ne manqueront de faire des commentaires malveillants du genre : dans la querelle de clocher qui opposait un sulfureux troubadour Tutsi proche du prince, à un remuant et dangereux agitateur politique Hutu qui n’est pas, lui, dans les petits papiers du prince, le président Tutsi, a tranché en faveur du troubadour Tutsi. Parfum de partialité ! Alors équité et retenue dans les décisions à prendre ! Tous ceux qui ont déjà ouvert le robinet de boue, provocateurs et ceux qui ont succombé à la provocation, sont tous coupables. Ils nous ont fait un très grand tort en tant que militant de l’organisation politique. Et un autre tort, encore plus grave, en tant que citoyen soucieux de l’assainissement de la pratique politique dans ce pays.
En 2012, Les radars des observateurs politiques n’ont pas vu l’avion furtif Macky Sall s’approcher de la station présidentielle. Mais aussi le peuple souverain qui a validé l’alternative Macky Sall, dans l’ivresse de son aversion instinctive au repoussoir Abdoulaye Wade, n’a pas été assez regardant et scrupuleux quant à la moralité des compagnons du futur chef de l’état. Alors mea culpa pour tout le monde ! Si le peuple viscéralement attaché à la moralité publique avait vu les vulgaires cloportes camouflés dans la soute à bagages de l’avion furtif Macky Sall, jamais il n’aurait autorisé l’atterrissage de cet aéronef à la station présidentielle du Sénégal.
Ass Malick NDOYE
Responsable APR, Fass Gueule Tapée Colobane
Par Ndiaga LOUM
DU JOURNALISME D’APRES BABACAR TOURE !
Le baobab Babacar Touré (BT) voit donc son tronc flancher, mais ses racines sont si profondément ancrées qu’il suffirait juste pourle redresser, de continuer à arroser cet héritage lourd de sens qu’il laisse à la profession journalistique, à la postérité
La dernière fois que je t’ai revu, c’est ce jour du 23 septembre 2013, lors d’un colloque initié par notre cher ami Ibrahima Sarr (alors directeur du CESTI et ancien de Sud Quotidien) sur le thème : « Des médias en démocratie : les défis de la formation et de l’information », tu me disais ceci : « je sais que c’est Latif qui est ton ami, mais, là, je t’ai en main, je ne te lâcherai plus ». Je passe sur ces mots sympathiques tenus alors qu’on dissertait publiquement sur la pertinence scientifique du quatrième pouvoir et du cinquième pouvoir. Quelle modestie! Quelle grandeur! Quelle générosité! J’aurais tellement voulu te revoir pour te dire ma gratitude et mon admiration!
De générosité, j’en ai entendu des témoignages multiples sur toi que je n’ai pu eu l’occasion de te rapporter de vive voix lors de cette brève rencontre. Ton ami, Tamsir (ancien directeur des études de l’ISSIC que j’ai perdu de vue depuis plus de 20 ans) me disait en 1998, alors que j’enquêtais sur l’ascension fulgurante du groupe Sud Communication dans le paysage médiatique africain et francophone : « Babacar, BT, quand tu le rencontres, lou mou yore diox la ko, il vide ses poches ».
Bref, je n’insisterai pas sur tes qualités humaines, je laisse d’autres mieux informés que moi parce qu’étant très proches de toi en parler. Je préfère retenir la leçon de journalisme que tu as donnée durant ce riche et exemplaire parcours professionnel. Me vient alors en souvenir un événement majeur ayant profondément marqué l’histoire politique récente du Sénégal et durant lequel tu as enseigné par la plume et le comportement, combien Spinoza avait raison de lier dans la pensée sophistiquée et la praxis domestiquée les deux notions de liberté et de responsabilité.
LE SENS DE LA RESPONSABILITÉ LORS DU CONFLIT SÉNÉGALO-MAURITANIEN
En 1989, survinrent des accrochages entre populations sénégalaises et mauritaniennes sur le long des frontières séparant les deux pays. Ces petits incidents tournèrent par la suite à une recrudescence de la violence entre citoyens mauritaniens et sénégalais. Une question intéressante serait de savoir s’il existait en ce moment grave de l’- histoire du Sénégal, une presse suffisamment responsable, sachant faire preuve de discernement, ayant en plus une capacité d’influence pour décliner les réactions des deux États vers le bon sens et non dans le sens choisi en général par des populations qui traversaient une sorte de folie collective passagère ?
C’est là qu’il faudrait particulièrement mettre l’accent sur le discours de rupture élaboré en cette circonstance par le responsable moral du groupe Sud, Babacar Touré (BT) dans un éditorial resté historique qui indiquait la position originale de son groupe de presse. Sud Hebdo s’était comporté à l’époque des faits, plus comme un éclaireur de l’opinion que comme un simple reflet de l’opinion. Pourtant, qu’il eût été confortable de s’aligner sur les réactions populaires ! Il fustigea les « manchettes de la presse qui rivalisaient de catastrophismes et diatribes à volonté » et qui avaient contribué, à coup sûr, à chauffer à blanc des esprits déjà désorientés par la crise économique et sociale que chaque Sénégalais vivait dans sa chair. Le président du groupe Sud Communication critiqua également l’attitude des autorités sénégalaises et mauritaniennes qui avaient agi « sous le coup de l’émotion » et d’une certaine « dynamique de groupe ».
Ne prenant partie ni pour l’État sénégalais, ni pour l’État mauritanien, Sud Hebdo fit porter aux autorités politiques des deux pays la responsabilité de n’avoir pas fourni les efforts nécessaires pour calmer les événements. L’éditorialiste de Sud Hebdo rapportait qu’il ressortait des consultations entre les ministres de l’intérieur des deux pays que les deux parties s’engageaient à circonscrire l’incident dans sa dimension locale, à porter aide et assistance aux familles des victimes, à assurer la protection et la sécurité des ressortissants des pays voisins sur leurs territoires respectifs. Mais comme l’affirmait Babacar Touré « cet accord n’aura pas été appliqué avec toute la diligence que requièrent la gravité de la situation et la vivacité des passions ».
Faisant preuve d’un sens de la responsabilité qui tranchait avec tout discours populiste, Babacar Touré affirmait que les représailles étaient beaucoup plus prévisibles du côté sénégalais, mais ajoutait-il, « la nonchalance et le nombre réduit des forces de l’ordre, qui bien souvent ont regardé faire des pillards avant de réagir tardivement, ont été particulièrement troublants ».
Pour faire bonne mesure, BT affirmait aussi que du côté mauritanien « la fermeté a été tardive ». Nulle autorité ayant un pouvoir d’agir ne fut épargnée par les critiques virulentes du fondateur du groupe Sud Com. Ni le parti au pouvoir à l’époque des faits (le Parti socialiste) qui ne s’était pas manifesté pour protéger « nos hôtes », ni les partis d’opposition qui ne s’étaient pas interposés pour garantir la sécurité des victimes.
Ni encore le Président Abdou Diouf qui, selon l’éditorialiste de Sud Hebdo, n’avait rien trouvé de mieux à faire que « de disserter sur la Charte Culturelle », ni le chef de l’opposition de l’époque, Abdoulaye Wade, qui s’était tu alors qu’il fût d’habitude si prolixe.
La sentence finale et retentissante encore aujourd’hui du Président du Groupe Sud fut fatale : « Dans ces conditions, disait-il, parler de démocratie sénégalaise devient une insulte à la conscience démocratique ». Cette position éclairée et singulière du groupe Sud Communication lui valut tant d’inimitiés dans les cercles du pouvoir.
Le groupe Sud Communication avait simplement compris que les mentalités naissantes au Sénégal après tous ces événements et les réactions collectives violentes qui en découlaient, exigeaient une nouvelle façon de concevoir l’information et de redéfinir le rôle de la presse, surtout celle dite indépendante. Tout le monde n’avait pas interprété cette évolution de la même manière. C’est donc ce rapport étroit au contexte et au sens de l’histoire qui fait la particularité de Sud Communication. Pourtant, qu’il eût été plus facile dans ce contexte de porter en bandoulière un patriotisme de circonstance !
BT avait préféré se poser ces questions qui fâchent, ne craignant point les effets d’anticonformisme et refusant le diktat confortable de la pensée unique. Se poser toutes ces questions au nom d’une éthique de la responsabilité, c’était, selon BT, refuser de diluer son honnêteté intellectuelle dans une sorte d’hypocrisie collective symbolisée par ce mot « masla » fondé sur la sacralité de prétendues traditions (fussent-elles républicaines), comme s’il en existait de figées, de fixes ou de définitives. Il mesurait le poids symbolique de la ligne éditoriale d’un groupe de presse privé pour devoir assumer cette responsabilité collective dans un moment exceptionnel et crucial de l’histoire d’un pays. Quoique cela coutât ! Parfois, il faut aller à contresens de l’opinion majoritaire pour aller dans le sens de l’- histoire professait Hannah Arendt qui plaçait le journaliste et l’historien dans la catégorie des « diseurs de vérité » en raison de la forte estime rattachée à ces professions et sous-tendues par un idéal d’autonomie, de liberté.
L’ATTACHEMENT A LA LIBERTÉ: L’INCARNATION PERSONNIFIÉE DES DEUX ÉTHIQUES DE WEBER.
Attention, la fonction de « diseur de vérité » ne rimait pas forcément avec une idéologie du misérabilisme chez BT, voilà pourquoi il a très tôt lancé l’idée d’un groupe multimédia privé, sans doute le premier en Afrique francophone (magazine, quotidien, radio, société de marketing, site web, école de journalisme, télé émettant de Paris faute d’autorisation au Sénégal). L’option radicale multimédia devait ainsi assurer l’autonomie du groupe de presse et protéger la liberté des journalistes. Pour ce faire, il pouvait compter sur ses compagnons historiques, tous démissionnaires du quotidien national Le Soleil, pour, disaient-ils, « faire le journalisme tel qu’on l’avait appris à l’école » : je pense à A. Ndiaga Sylla, Sidy Gaye, aux défunts Cherif El Walid Sèye et Ibrahima Fall, à d’autres plus jeunes qui sont venus après, comme Latif Coulibaly, Oumar Diouf Fall, tous exécutants audacieux et courageux des idées novatrices et des rêves de grandeur du groupe Sud.
À la source de cette clairvoyance nourrie par un profond patriotisme économique et adossé à un certain nationalisme linguistique inspiré sans doute par l’enseignement de Cheikh Anta Diop, Babacar Touré n’avait pas besoin de se référer au fondateur du journal Le Monde Beuve-Mery qui disait qu’« il ne faut pas laisser nos moyens de vivre l’emporter sur nos raisons de vivre ».
Lui, le patriote, fier des ressources humaines de son pays et de l’expertise locale avait juste besoin d’avoir comme référent spirituel le Grand-Père, l’auteur de « Asirou Mahal Abrari », Serigne Touba : «je cheminais en vérité lors de ma marche vers l’Exil…». BT avait juste besoin comme référence intellectuelle l’auteur de L’Aventure ambigüe, Cheikh Hamidou Kane : « lorsque la main est faible, l’esprit court de grands risques car c’est elle qui le défend ».
Comme modèle d’affaires, il avait juste besoin de se référer au défunt dirigeant des ICS, Pierre Babacar Kama. Ce patriotisme économique fort chez BT (soutien indéfectible des commerçants locaux et industriels nationaux) expliqua quelque part le conflit entre le groupe Sud et la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS) dont le triste aboutissement judiciaire fut la condamnation du groupe de presse à payer 500 millions de francs CFA à l’industriel Mimran pour diffamation. C’était le « début de la descente aux enfers » du groupe Sud, disait-on à l’époque. Ceux qui avaient ourdi le plan de liquidation se demandent toujours comment Sud Communication a fait pour survivre ? Ceux qui se demandent encore comment un homme d’affaires peut être si fort pour « s’aliéner » le soutien de l’État et combattre un groupe de presse gênant, devraient aussi s’intéresser à la genèse de cette affaire (Pour plus de détails, voir mon ouvrage, Les médias et l’État au Sénégal, l’impossible autonomie, Paris, L’- Harmattan, 2003).Bref, l’esprit Sud, c’était la liberté et la responsabilité arrimées à un patriotisme économique et un nationalisme linguistique non négociables.
Dans ce pays, pendant que d’autres bombent le torse et se targuent avec mégalomanie d’être des personnalités importantes et influentes, qui a déjà entendu Babacar Touré dire que c’était lui que le président Abdou Diouf appelât d’abord le 19 mars 2000 pour annoncer qu’il allait reconnaître sa défaite et féliciter le gagnant ? Qui a déjà entendu BT raconter que c’était lui que l’opposant d’alors Abdoulaye Wade appelât d’abord pour lui apprendre qu’il venait de recevoir le coup de fil du Président Abdou Diouf pour le féliciter et reconnaître sa défaite ? Il aurait pu se prévaloir publiquement de cette influence unique pour se laisser griser par cela. Non ! Jamais il ne chercha à en tirer une quelconque gloriole !
L’on oppose souvent dans une lecture malheureusement hâtive et biaisée les deux éthiques de Weber, celle de la conviction et celle de la responsabilité. Weber n’a jamais voulu dire que celui qui a l’éthique de la conviction n’a pas l’éthique de la responsabilité ; il n’a jamais voulu dire que celui qui a l’éthique de la responsabilité n’a pas l’éthique de la conviction. L’une renvoie à une position qui consiste à dire la vérité en toutes circonstances sans tenir compte des conséquences sociales de son acte. L’autre consiste en une attitude prudente qui tient toujours compte des répercussions possiblement pernicieuses d’une parole ou d’un acte. Babacar Touré (BT) était l’incarnation personnifiée des deux éthiques de Weber. Il savait dire la vérité, mais il savait quand la dire, comment la dire et où la dire pour que finalement en bénéficient les cibles préalablement, adéquatement, subtilement, intelligemment pré-désignées. Voilà ce qui en faisait un journaliste hors-pair qui enseignait sans dire un mot de plus parce que le verbe de trop qui pouvait déborder et finalement manquer sa cible était déjà harmonieusement interprété par un comportement éthique exemplaire : la pédagogie de l’exemplarité.
Le baobab Babacar Touré (BT) voit donc son tronc flancher, mais ses racines sont si profondément ancrées qu’il suffirait juste pourle redresser, de continuer à arroser cet héritage lourd de sens qu’il laisse à la profession journalistique, à la postérité !
Adieu BT!
NDIAGA LOUM,
PROFESSEUR TITULAIRE, UqO TITULAIRE DELA ChAIRESENGhOR DELA FRANCOPhONIE DIRECTEUR DU PROGRAMME DE DOCTORATEN SCIENCESSOCIALES APPLIqUÉES
Par Henriette Niang KANDE
BABACAR A DIEU
Babacar était un Sénégalais atypique engagé, toujours à disséquer les actes et les choses, sous un angle original, en partager des aspects ignorés ou négligés et proposer des voies inattendues.
«Brillant » est le mot qui vient tout de suite à l’esprit de ceux qui l’ont connu. Que dire, quoi dire de lui ? Sa rigueur professionnelle ? Son esprit d’équipe ? Sa grande courtoisie et son respect absolu des personnes ? Ses réalisations ? Sa générosité ? Son «même-pas-peur-du risque» ? Son exquise élégance ? Ses coups de gueule ou ses froncements de sourcils ? La clairvoyante détermination de ses engagements ?
Babacar était un Sénégalais atypique engagé, toujours à disséquer les actes et les choses, sous un angle original, en partager des aspects ignorés ou négligés et proposer des voies inattendues. En cela, il n’était pas un modèle (toujours reproductible), mais une référence. Atypique, parce que dans ce pays où l’on a vite fait de mettre les gens dans des catégories, Babacar, était à la fois, mouride, urbain, rural, «rurbain» et «assimilé» comme il se définissait lui-même, non sans ajouter dans un éclat de rire : « qu’est-ce que tu crois ? Il n’y a pas que vous qui êtes civilisés ».
Sa capacité d’adaptation est son intelligence. Babacar est un personnage de roman. Il s’est battu, avec d’autres, pour que ce « qu’ils savent faire le mieux, c’est-à-dire le journalisme», soit l’assise du vécu démocratique dans sa liberté d’expression. Ce ne fut pas facile. Mais la méfiance et la frilosité de nombre d’acteurs locaux, l’européocentrisme de certains et l’afro pessimisme des uns n’ont jamais émoussé ses ardeurs dans cette démarche d’appropriation par les hommes et femmes du métier, des instruments et moyens de lutte pour leurs droits et leur protection.
En homme de combats, jusqu’au soir de sa vie qui est tombé trop tôt, il n’a pas hésité, un seul instant, de signer ou de prendre la tête de revendications qu’il jugeait justes, démocratiques, en y apportant le prestige de son nom. Un jour que nous étions au bureau, en pleine réunion, son téléphone sonne. A le regarder écouter la personne qui lui parlait, c’était une mauvaise nouvelle.
En effet on lui annonçait, le décès d’un de ses compagnons de lutte. Il quitta la salle de réunion, alla se réfugier dans son bureau et y resta des heures entières. Au moment de rentrer chez lui, il dit : «quand on reçoit une telle information, c’est à sa propre vie - donc à sa propre mort - que l’on raccorde celle d’un proche, d’un être cher ».
Le lendemain, il écrit en hommage à cet être cher qu’il venait de perdre : « Un être supérieur dont la résonance feutrée s’insinue dans les éclats évanescents d’une humilité vécue sans ascétisme aseptisée ou démonstrative. Une humilité vraie, vécue comme une appréhension submersible et dissolvante. « Tu es poussière et tu retourneras poussière». Il aura eu le temps et les moyens physiques, intellectuels et spirituels de survoler les espaces, de saupoudrer avec cette fine touche, qui marque de façon indélébile, des esprits et des êtres de toutes origines, de tous horizons.
Envoyé auprès des siens, officiant au nom de tous, il avait choisi d’être, parmi les siens, c’est-à-dire préoccupé par l’humain, le spirituel, le divin, au sens non divinatoire du terme. Il en avait le charisme. Il en avait le savoir et le savoir-être. Il en avait l’esprit. Un homme dont l’humilité est finalement devenue lumière ». De qui parlait-il ? De son ami, de lui-même, ou des deux à la fois, au singulier ?
N’ayant pas les mots pour parler aussi bien de lui, je lui emprunte les siens. À lui, à cet homme rare qui m’a accordé sa confiance morale et son estime intellectuelle, qui avait compris l’importance de pratiquer le Bien dans une absolue discrétion, je dis mon immortelle gratitude.
par Jean Pascal Corréa
LA RESILIENCE, C’EST D’ABORD PARTIR DE SES RESSOURCES ET ATOUTS
Une approche bien sénégalisée de la lutte contre la propagation de la Covid-19 appelle un cadre conceptuel dynamique, mobilisateur et socio-culturellement significatif, en ce qu’elle procède de nos valeurs culturelles et sociétales
Depuis que des mesures d’assouplissement ont été édictées par les autorités publiques sénégalaises, les cas d’infections ne cessent d’augmenter, et le risque de crise économique et sociale est encore loin d’être résorbé. Est-il trop tard pour envisager la lutte contre la propagation de la Covid-19 sous une ou d’autres perspectives ?
Une approche bien sénégalisée de la lutte contre la propagation de la Covid-19 appelle un cadre conceptuel dynamique (la vie continue !), mobilisateur (chacun est concerné !) et socio-culturellement significatif, en ce qu’elle procède de nos valeurs et, en outre, les bénéfices et les risques sont partagés.
A travers des Forums, des messages-vidéo (qui ne cherchent pas à moraliser mais plutôt à susciter un questionnement/réponse personnel), entre autres, la sensibilisation et l'activation des consciences individuelles peut donner un sens à l'intériorisation (en soi) du contrôle social. C’est ici que nous invitons à convoquer nos propres cadres conceptuels afin de s’accorder autour de paradigmes qui nous sont propres et communs, au plan culturel et sociétal.
Le Nawle a la particularité de mettre en exergue "li ñu lay xoole, li ñu lay xeebe… am deet". C’est un puissant instrument de référence sociétale et, en tant que tel, cet instrument oblige à ne pas banaliser la (bonne) pratique qui est prônée, le comportement attendu par la société, dans ses différents segments.
Par rapport à la lutte contre la Covid-19, tout l'effort qui suit la sensibilisation peut alors consister dans la détermination des choses à faire ou ne pas faire (bonne/mauvaise pratique ; bon/mauvais comportement individuel ou collectif), dans un périmètre donné (ménage, quartier/village, Commune), ainsi que le dispositif de veille et d'alerte à l'intérieur de chacun de ces périmètres, en toute cohérence entre les échelles.
Le défi – dont l'anticipation favoriserait l'adhésion des populations – consisterait à intégrer l'hypothèse selon laquelle les enfants, les jeunes, les femmes, les hommes, les OCB, les acteurs économiques (y compris le boutiquier du coin, le charretier et le taximan), le nettoyeur de rue et autre travailleur communal, chacun devrait pouvoir mener ses activités mais en les réorganisant de façon à intégrer son Nawle et l'obligeance de ne pas l'exposer à la Covid-19 en s'exposant soi-même.
Nous aurions pu nous passer d’une tentative de « définition » du Nawle, considérant, à priori, que, intuitivement, ce concept parle à toutes les Sénégalaises et tous les Sénégalais qui comprennent la langue Wolof, en plus de pouvoir, pour certains d’entre nous, déterminer l’équivalent dans nos autres langues nationales voire africaines. Cet évitement envisagé procédait simplement du fait que le mot Nawle revêt une charge conceptuelle et théorique beaucoup plus forte que sa simple traduction en langue française, laquelle renvoie à mon prochain, mon vis-à-vis, l’autre pour qui j’ai de l’égard, de la considération… En Français, pour représenter le Nawle, il faut un groupe de mots, il faut toute une construction. Sauf à se référer à une acception biblique du prochain ou la notion philosophique d’autrui.
La véritable force du concept de Nawle, c’est qu’il crée une obligation, une attitude de déférence envers autrui, sans considération de son statut, c’est-à-dire sans sujétion. Lorsque l’enfant est Nawle aux yeux de son parent, c’est que le parent reconnait ses droits et devoirs vis-à-vis de l’enfant. Le statut n’a pas de place lorsqu’il est question de Nawle. Le Nawle dit simplement « Comme moi, tu es ; je te dois considération ». Et chacun est Nawle de l’autre, réciproquement.
Cela nous amène à présent à convoquer le concept de Nawle dans ses périmètres d’observance en contexte Covid-19 et par rapport à sa prise en charge au niveau communautaire.
Responsabilisation du microsocial (ménage, quartier, commune)
Tout d’abord, accordons-nous sur une dimension importante : le Nawle offre un miroir de dignité. Grâce à lui et ce qu’il représente, je m’interdis « li ñu may xeebe ».
Ainsi, une approche stratifiée – au niveau communautaire – consiste à mettre en place et informer les populations des mesures pouvant découler des attitudes individuelles ou collectives, avec la particularité que ces attitudes individuelles ou collectives produiront dorénavant des effets sur les entités auxquelles appartient l’individu. Que ce soit le ménage, le quartier ou la Commune ; que ce soit le chef d’atelier, le chef de garage, le patron d’entreprise ; l’entité à laquelle appartient l’individu infecté sera de facto concernée (impactée) par les mesures de lutte contre la propagation de la Covid-19.
Cette perspective se fonde sur le contrôle social en tant que cadre coercitif qui met l’accent sur la responsabilité individuelle devant les paires ou, plus contextuellement, devant le Nawle. Pourquoi notre famille devrait se singulariser négativement dans le quartier ? Pourquoi le nom de notre quartier devrait être indexé en public ? Pourquoi notre commune devrait être celle par qui la propagation du virus devrait passer pour handicaper la mobilité et l’activité économique des populations ?
Lesdites mesures sont stratifiées tel que les présente la matrice en illustration de ce ce texte (ndlr).
La mise en place de cette approche stratifiée – et possible à transposer dans les autres entités ou sphères d’interaction d’un individu (entreprise, milieu sportif, vie associative, etc.) – pourrait également constituer une opportunité de rationaliser la mobilisation des forces de sécurité. Typiquement, il s’agirait de focaliser les unités de Police et de Gendarmerie dans les limites géographiques du quartier ou de la Commune mise sous confinement, avec l’apport des Agents de sécurité de proximité (ASP).
Cependant, la notion de confinement doit être entendue dans son sens dynamique et constructif pour la collectivité. Ainsi, les travailleurs qui s’activent hors de leur périmètre communal devraient pouvoir se mouvoir ; mais à la seule condition de renseigner, individuellement et par sms, les paramètres symptomatiques principalement ciblés, de même que la destination strictement professionnelle admise. La bonne foi constitue la part d’engagement et de responsabilité individuelle. Elle confère un crédit à la parole donnée, quand bien même il est possible d’être porteur sain ou asymptomatique. Les voies d’entrée et de sortie sont organisées et contrôlées par les forces de l’ordre. Ce filtrage viserait aussi à marquer les esprits, y compris pour les communes non concernées. L’évitement du transport du virus par un individu sorti du périmètre communal implique une gestion complète du parcours journalier de cet individu qui, lui-même, est tenu de participer à ce traçage. Cette gestion devrait intégrer le référent au niveau du milieu professionnel. La procédure de sortie du périmètre communal resterait également la même au retour, en fin de journée de travail. La technologie permet aujourd’hui de borner le téléphone du concerné, celui-ci ayant interdiction d’éteindre son appareil. En cas de suspicion d’un déplacement non professionnel, le contrôle a posteriori permet aux forces de sécurité de vérifier tout écart présumé, avec un régime de sanctions stipulées par arrêté et susceptibles de générer une interdiction temporaire de l’activité professionnelle voire des poursuites judiciaires.
D’où la nécessité pour poursuivre les campagnes d’information et de sensibilisation des populations, qui est à distinguer de la communication y compris de type social.
Sensibilisation des populations autour des enjeux, si les tendances se confirment
En mettant en exergue des illustrations scénarisées, il est possible de capter l’attention des populations sur les taux de propagation et les risques (en vert, jaune et rouge) de paralysie de la société dans divers domaines. Avec des graphiques et des pictogrammes, il est possible de présenter les tendances avec des hypothèses constantes (situation en cours), de moyenne portée (faible accroissement des taux) ou de haute portée (débordement incontrôlé) ; le tout projeté dans le temps (dans 1 mois, dans 3 mois, dans 6 mois). Certaines populations ont besoin de ces illustrations pour se représenter ce que serait la mobilité, l’économie, la mortalité, le débordement des structures de santé, l’épuisement des personnels de santé, le remplissage de cimetières, les infections et les affections au sein des familles, l’indisponibilité des enseignants et formateurs pour les enfants, l’indisponibilité des personnels pour produire l’eau et/ou l’électricité, si chaque hypothèse se vérifiait. Ainsi, les populations pourraient davantage envisager leurs responsabilités premières dans la manifestation de chacune des conséquences mises en scène.
Il peut également s’avérer pertinent d’attirer l’attention des parents sur les conséquences du manque d’emprise sur leurs ménages. Toutefois, dans le contexte actuel de la dé-responsabilité des parents (qui auraient d’autres urgences !), il ne serait pas vain de fonder le propos sur les conséquences en termes financier et social. A quels risques de précarité les parents exposent-ils leurs ménages s’ils tombaient eux-mêmes malades ? Sachant aussi qu’ils pourraient fortement infecter les membres du ménage.
Du risque de stigmatisation à la culpabilisation du Nawlé
Le contrôle social peut engendrer, comme effet pervers, une autre forme de stigmatisation et de mise en culpabilité de l’autre. La prise de conscience de cette réalité que connaissent les sociologues invite à déterminer des formes d’anticipation, ainsi qu’une permanence des alertes-sensibilisations à l’échelon le plus local (jusqu’à la boutique du coin) pour que l’individu s’approprie l’attitude non répréhensible. Cette intériorisation de la bonne attitude est la seule condition pour instiller un réflexe immédiat de rejet de l’attitude risqué, téméraire ou nonchalante.
Par ailleurs, l’empathie collective prônée par les chefs de ménages, chefs de quartiers et autorités locales, doivent pousser vers l’organisation « conformée » de séances publiques d’information et de sensibilisation. Les responsables concernés pourraient ainsi organiser ces séances foraines dans un délai défini par l’Autorité déconcentré. La participation des femmes, des jeunes, des chefs de ménages, des chefs de quartiers, etc., devrait constituer un impératif pour asseoir le caractère impérieux et urgent de la situation. La participation des partenaires au développement de la commune (ou des structures associatives intervenant dans un quartier ou un village) devrait également être envisagée, le cas échéant. Ces derniers sont porteurs d’une capacité d’influence qui impacte clairement sur les acteurs locaux, sachant qu’en cas d’observance de cas d’infection constitutifs de mesures de quarantaine ou de confinement, lesdits partenaires seront tenus de surseoir à leurs interventions jusqu’à nouvel ordre.
Information sur le déploiement d’une nouvelle stratégie
D’un point de vue pédagogique, il est important que toute nouvelle stratégie de lutte soit préalablement portée à l’attention des populations, bien avant son entrée en vigueur, et avec l’annonce de la période d’entrée en vigueur ainsi que les objectifs visés (les motivations étant liées aux tendances observées, et qui ont été évoquées plus haut). Cela est différent des mesures de prévention ou encore de l’information sur le changement de stratégie lui-même (ce qui va changer).
Le but d’une telle préparation des populations, c’est d’offrir à chaque ménage et entité, le temps de prendre des dispositions internes, y compris en termes d’autosensibilisation, d’aménagement, d’ajustement de ressources et moyens pour s’adapter à la dynamique à venir.
Considérant aussi que des cas d’infection et des cas-contacts sont déjà identifiés et suivis, le délai édicté permettrait à chaque ménage et entité d’éviter une propagation résiduelle entre l’annonce et l’effectivité de toute nouvelle stratégie de lutte contre la propagation de la pandémie. Ce temps de latence ou d’épurement des risques latents permettrait, ne serait-ce que symboliquement, d’entamer la nouvelle stratégie sur des bases communes. Les infectés sont déjà identifiés et pris en charge ; les asymptomatiques ou les malades cachés auraient aussi le temps et l’opportunité de ne pas transférer leur responsabilité à leurs ménages et entités d’appartenance.
Par contre, la cohérence veut que les éventuels cas importés ne soient pas « imputés » aux ménages et autres entités. A cet effet, il appartient aux autorités compétentes de prendre toutes dispositions idoines pour sécuriser les ménages et les entités concernées. Cette responsabilité relève des mesures sécuritaires à prendre par rapport à la gestion des frontières et des mobilités internationales.
Et, d’un point de vue technique, il appartiendrait aux autorités de se rapprocher des experts universitaires et des professionnels du digital pour développer des Applications susceptibles d’offrir une plateforme d’information et de collecte des retours d’informations fournies par les individus et les chefs de ménages, selon le cas. Le relevé familial quotidien (RFQ) constitue un outil à étendre aux responsables de toutes autres entités à laquelle appartient un individu infecté.
Une telle démarche aurait aussi l’avantage de ne pas laisser le Sénégal hors des recherches visant à développer un outil maitrisé de traçage et de suivi de sa population par rapport à la Covid-19. Dans divers autres pays, les universitaires-polytechniciens et les experts du Digital sont déjà à l’œuvre dans ce domaine, en rapport avec les organes étatiques de gestion des données personnelles. L’un des enjeux consiste dans la maitrise des paramètres et la gestion sécurisée des données personnelles. Ce type d’outil peut rassurer l’individu en ce que, tacitement, il atteste à autrui la non-observance d’une exposition à la Covid-19. Ne pas anticiper cette perspective, c’est aussi laisser planer le doute. Et tous Sénégalais prochainement appelés à entrer dans l’espace Schengen s’expose à l’obligation d’attester de sa non infection. Cette permanence du doute peut engendrer un stress dommageable et générateur de fausses alertes.
Le suivi de l’état de santé des déclarés guéris constitue un autre défi majeur. Ailleurs, de premiers résultats tendent à montrer qu’il y a des raisons de ne pas laisser ces personnes s’éloigner trop fortement des structures hospitalières ; ne serait-ce que les mettre en rapport avec des médecins généralistes de leurs proximités. Au-delà des aspects psychologiques et des séquelles visibles, les séquelles « intérieures » pourraient générer de nouvelles pathologies et devenir irréversibles.
Il y va aussi de la responsabilité des autorités sanitaires et politiques de « libérer » les individus seulement lorsque les conditions objectives s’y prêtent, et lorsque le mieux-être collectif n’est pas menacé.
par l'éditorialiste de seneplus, boubacar boris diop
FAIDHERBE OU LA FASCINATION DU BOURREAU
EXCLUSIF SENEPLUS - Tout se passe depuis un siècle et demi comme si Sidiya Ndaté Yalla Diop n’a jamais été de ce monde. Quoi de plus absurde qu’une mémoire historique tournant à vide ?
Boubacar Boris Diop de SenePlus |
Publication 28/07/2020
‘’L’art suprême de la guerre est de réussir à assujettir l’ennemi sans avoir à combattre’’ (Sun Tzu)
Nous sommes des milliers à passer, chaque jour que Dieu fait, devant le Théâtre National Daniel Sorano. Que savons-nous de son parrain qui fut, semble-t-il, un grand acteur francais ? La réponse à cette question est aussi simple que troublante : nous ne savons rien de ce monsieur Sorano. À part un insignifiant hasard biographique – son père a été greffier à Dakar au début du siècle dernier - rien ne le rattache à notre pays. De son riche répertoire, pas une pièce ne concerne, même de loin, l’Afrique ou encore moins le Sénégal où il n’a du reste jamais mis les pieds.
On pourrait en dire presque autant du philosophe Gaston Berger dont une de nos meilleures universités porte le nom. ‘’L’inventeur de la prospective’’ – comme Senghor aimait, curieusement, s’en vanter à tout bout de champ – né à Saint-Louis, petit-fils de Fatou Diagne, a toutefois quitté le Sénégal dès sa plus tendre enfance et, que l’on sache, n’y est jamais revenu.
Que l’histoire humaine soit avant tout ce qui en subsiste au fil des âges dans l’esprit des vivants, chacun en est bien conscient. Mais quoi de plus absurde qu’une mémoire historique tournant à vide ? On ne peut sommer un peuple de cultiver le souvenir de personnalités auxquelles rien ne le relie et qui n’ont eu aucun impact sur sa destinée. C’est pourtant, à en juger par ces deux exemples, ce à quoi nous conviait Senghor. Il aurait pu tout aussi bien, sous le même prétexte chic et tellement irritant –‘’métissage culturel’’, ‘’civilisation de l’universel’’ – appeler ce théâtre ‘’Alexandre Pouchkine’’ ou ‘’Alexandre Dumas’’.
Le plus remarquable toutefois, à mon humble avis, c’est qu’une situation aussi cocasse ne nous ait jamais fait ni chaud ni froid. En son temps, personne n’a cru devoir souffler avec déférence à l’oreille du président-poète : ‘’Pourquoi pas Cheik Aliou Ndao, Aimé Césaire, Douta Seck ou Doura Mané ?’’ entre autres figures théâtrales majeures. Il se pourrait bien qu’au fond, nous nous en moquions complètement de ces noms au fronton des édifices publics. Peut-être aussi préférons-nous éviter toute confrontation avec notre véritable passé, si compliqué voire embarrassant à bien des égards, comme nous l’a délicatement rappelé Fadel Dia dans Sud Quotidien.
Que l’on me permette de donner un autre exemple de ce désir d’amnésie qui doit avoir des racines très profondes. À la fin du mois d’octobre 1986, le président Abdou Diouf et son ministre de la Culture, Makhily Gassama, ont fait construire le mausolée de Lat-Dior sur l’ultime champ de bataille de notre héros national. Avant cette louable initiative, Dékheulé et son fameux puits étaient complètement à l’abandon, comme j’avais eu l’occasion de m’en rendre compte moi-même avec stupéfaction. Eh bien, en fin 2017 un article du journal Le quotidien nous apprenait que trente ans après, le lieu était redevenu encore plus misérable qu’avant. Venant d’un peuple si prompt à exalter ses valeureux ancêtres, de telles attitudes incitent à parler, au moins, de schizophrénie. On n’a d’ailleurs pas assez relevé que de Lat-Dior lui-même à Aline Sitoé Diatta en passant par Alboury Ndiaye, Cheikh Omar Foutiyou Tall, Sidiya Ndaté Yalla Diop et d’autres encore, l’épopée de nos figures héroïques se conclut presque toujours par la disparition pure et simple de leur corps et souvent loin de leur patrie. Tombouctou. Dosso au Niger. Les falaises de Bandiagara. La forêt gabonaise de Nengue-Nengue. Ce sont là quelques-unes des terres lointaines où se sont perdues leurs traces. Pour toujours ? On espère bien que non.
Au final, seule une certaine désinvolture mémorielle peut expliquer qu’il n’y ait pas depuis 1960 une imposante statue – qui aurait pu être, quoi qu’on pense de lui par ailleurs, celle de Senghor – symbolisant notre accession à la souveraineté internationale. Le monument de la Renaissance ? Ses géants mal dégrossis ne daignent même pas nous regarder dans les yeux. On les dit occupés à scruter le soleil. Grand bien leur fasse. Eussent-ils été des éléphants ou des cachalots qu’ils ne nous parleraient pas davantage.
Ces réflexions m’ont été inspirées par la polémique en cours à propos d’un certain Louis-Léon César Faidherbe. À ce général français quasi caricatural – moustache fournie, binocles, menton volontaire, uniforme flamboyant – le Sénégal a déclaré sa flamme de mille et une manières. En plus de la statue et de la place qui sont aujourd’hui au centre de toutes les controverses, une avenue, un hôtel, des rues et, last but not least, le pont de Saint-Louis, lui ont été dédiés. Ce n’est pas tout, puisqu’à Dakar une autre de ses statues a trôné jusqu’en août 1983 en face du Palais de la République, dans la cour de l’actuelle Maison militaire.
L’homme ainsi glorifié a massacré, pillé, violé, incendié des bourgades et écrasé en toutes circonstances notre peuple de son mépris raciste. Le Professeur Iba Der Thiam a résumé avec sobriété ses sanglants exploits : ‘’En huit mois, dit-il, Faidherbe a tué 20 000 Sénégalais.’’ Et c’est là une évaluation à minima. Tous ces crimes sont bien documentés et personne à ce jour n’a osé les mettre en doute. Soit dit sans passion, c’est se rouler dans la fange que de chercher la moindre excuse à un conquérant aussi brutal. Lors du siège de Fatick, le guerrier, comme enivré par sa propre cruauté, lâcha dans un petit moment d’abandon philosophique : “Ces gens-là, on les tue, on ne les déshonore pas !’’ Très sympa, ce compliment, à l’instant même où il taillait en pièces les nôtres. Mais voilà : Senghor a tellement adoré ce propos condescendant qu’il l’a repris dans un somptueux poème de Chants d’ombre avant d’en faire la devise de l’armée nationale, pourtant une des institutions les plus respectées de ce pays. Il est temps de s’interroger sur cette humiliante anomalie.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Ma génération et celles qui l’ont précédée ne sont pas exemptes de reproches. Nous les aînés, avons fauté et c’est pourquoi la campagne Faidherbe doit tomber, initiée par des jeunes, ne peut que nous interpeller. On est bien obligé d’admettre que les symboles de la colonisation nous encerclent depuis soixante ans et que, pour être franc, ils n’ont jamais dérangé grand monde. J’avouerai moi-même sans façons n’avoir pas été épargné par une aussi étrange indifférence. Au plus fort de cette querelle sur la statue de Faidherbe, j’ai trouvé fascinant ce vide émotionnel, ce flottement mental qui empêche la victime de sentir les fers à ses pieds s’il ne l’amène à en aimer la musique… Pointer du doigt cette sorte de folie douce, ce n’est pas jeter la première pierre à qui que ce soit. Je sais bien que je suis mal placé pour sonner, avec des hurlements patriotiques, la charge contre une malheureuse statue. Après tout, malgré plusieurs années passées à Saint-Louis, je n’en avais jamais relevé l’incongruité ni peut-être même l’existence. À ma connaissance, à part Sembène, auteur en 1978 d’une lettre incendiaire à Senghor, personne n’avait protesté contre la statue de Faidherbe avant la présente campagne. Et Dieu sait si des milliers de rebelles en ont eu l’opportunité à Saint-Louis la turbulente ! Ndar-Géej en a vu défiler, des femmes et des hommes de refus qui avaient toutes les raisons de tenter un petit coup d’éclat contre cet oppresseur étranger continuant à crier victoire d’outre-tombe. Si tant d’ennemis de l’ordre colonial ou néo-colonial sont quotidiennement passés à côté de ce cri de révolte-là, c’était sans doute moins par mollesse idéologique que du fait d’une distraction bien compréhensible.
Le fait est qu’à force de se fondre dans le paysage, le monument érigé en 1886 par des négociants français, avait fini par devenir invisible. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne paie pas vraiment de mine. Nous ne sommes pas en train de parler ici d’une sculpture géante plantée au cœur de la ville et la narguant du haut d’on ne sait quelle glorieuse épopée coloniale. Sans être évidemment un petit machin de rien du tout, la statue de Faidherbe n’est même pas, pour le dire ainsi, à la hauteur de sa mauvaise réputation. La place qui l’abrite est excentrée et exiguë et l’œuvre elle-même, quoi qu’à l’air libre, donne l’impression d’y être à l’étroit ou même au rebut. Il est dès lors normal qu’en un siècle et demi l’image, délestée de toute charge politique, ait fini par tirer sa seule légitimité d’une forme de droit du premier occupant du sol. Le monument est juste là, prisonnier du passé, si peu en résonance avec la vie des gens qu’il en devient irréel. Comment pourrait-il déranger ? Mais aussi comment se résigner à ce qu’il ne soit plus là ? Tel est sans doute le dilemme des habitants de la ville. Pas de tous ses habitants, j’imagine, puisqu’on peut être, me semble-t-il, Saint-Louisien, natif de Saint-Louis, sans être Doomu-Ndar. C’est de ces derniers qu’il est question ici. Il se pourrait qu’ils soient moins hantés par l’effacement de la figure de Faidherbe – à laquelle ils ont rarement prêté attention – que par le trou qu’une telle opération risque de creuser dans leur mémoire. Mais il y a tout lieu de craindre qu’il ne leur restera plus sous peu que leurs yeux pour pleurer : si jamais une statue a été à l’article de la mort, c’est bien celle-là. Son sort semble en effet définitivement scellé depuis le matin de 2017 où le vent est entré dans la danse, prenant sur lui de l’arracher et de la jeter par terre. Simple caprice de la météo ? Cela est possible mais on aura bien du mal à expliquer aux sceptiques pourquoi le vent a choisi de frapper à l’aube du 5 septembre, jour anniversaire de la condamnation, dans le palais situé juste en face, de Cheikh Ahmadou Bamba à sept longues années d’exil au Gabon…
Quoi qu’il en soit, cet orage nocturme a donné des idées à de jeunes activistes qui ont créé il y a trois ans le collectif Faidherbe doit tomber.. Surfant fort à propos sur la vague du Black Lives Matter, ses initiateurs, parmi lesquels Khadim Ndiaye, Pape Alioune Dieng, Thierno Dicko et Daouda Guèye, ont réussi à changer la donne du tout au tout. Ils sont jeunes et cela est bien normal, car en dépit des apparences ce qui se joue a plus à voir avec le futur qu’avec le passé comme en témoigne l’appel que leur a lancé Pierre Sané. En fait, leur action a consisté à retenir par la manche des passants au bord des routes – et sur les autoroutes de l’information ! – pour leur dire : ‘’Regardez bien le Toubab sur cette statue avec l’infâme mention ‘‘Le Sénégal reconnaissant !’’ et à leur demander, après le récit des atrocités commises par le soudard : ‘’Est-il normal que nous fassions de notre bourreau un héros ?’’ Bien sûr que c’est un scandale, une honte, la preuve d’un inquiétant mépris de soi-même. Voilà ce que presque tout le monde a toujours pensé sans juste trouver le temps de s’y arrêter. À présent, les mots n’en finissent pas de donner corps à cette colère longtemps endormie, inconsciente d’elle-même. Et ces mots cristallisant désormais toutes les passions sur Faidherbe sont la pire chose qui pouvait lui arriver. Ses victimes vont le réveiller d’entre les morts pour bien s’assurer que son deuxième trépas sera, si on ose dire, le bon. Au bout du compte, il est tout simplement devenu impossible de passer devant le monument dédié à Faidherbe sans s’interroger sur sa présence à cet endroit précis. Et rien que cela est une victoire des militants du collectif. Je ne sais si les partisans du maintien de la statue constituent ou non la majorité à Saint-Louis mais cela n’a plus grande importance. Faidherbe est en train de mourir de sa belle mort et chaque mot proféré dans cette dispute – peu importe si c’est pour ou contre lui – est un clou de plus à son cercueil. Mon ami Louis Camara a déclaré l’autre soir sur une télévision : ‘’Si la statue de Faidherbe disparaît, j’éprouverai peut-être un peu de nostalgie mais en aucun cas du regret’’. C’est à la fois courageux et d’un raffinement tout saint-louisien mais j’ai cru aussi entendre des paroles d’adieu…
Il est du reste essentiel de savoir qu’au moment où la polémique bat son plein, Faidherbe repose en paix dans une petite pièce du Centre de Recherche et de Documentation de Saint-Louis. Le débat porte donc sur un monument ‘’décapité’’ pour cause de travaux sur la place. D’après les officiels, la statue devrait être remise sur son piédestal entre janvier et mars 2021. La situation ainsi créée est pour le moins insolite et on a bien du mal à savoir quoi en penser. Il n’est même pas exclu que ce soit pour le gouvernement une façon de se débarrasser en douce du problème, à la sénégalaise en quelque sorte. Mais quelles qu’aient été ses intentions, il aura seulement réussi à faire marquer de nouveaux points aux adversaires de l’ancien Gouverneur. Ce n’était en effet pas pour eux une mince affaire que de se battre pour faire déboulonner Faidherbe. À present, il leur suffira de rester mobilisés pour qu’il ne soit pas reboulonné. C’est là une tâche infiniment plus aisée depuis que le meurtre de George Floyd fait braquer les projecteurs du monde entier sur tous les symboles de ‘’la férocité blanche’’ – pour parler comme Amelia Plumelle-Uribe – à l’égard des autres races humaines. Même pendant la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis et celle contre l’apartheid, l’anti-kémitisme n’avait pas fait l’objet d’une réprobation aussi universelle. On ne voit pas comment le pouvoir de Macky Sall pourrait ne pas en tenir compte. Reboulonner Faidherbe par peur de fâcher Paris serait, dans le contexte actuel, un aveu si spectaculaire de larbinisme que personne n’en croirait ses yeux. Cela ferait assurément rire toute la planète à nos dépens, surtout au moment où les Français eux-mêmes commencent à en avoir assez du personnage. Et les autorités de notre pays ne pourront pas non plus se tirer d’embarras en escamotant la statue pour ensuite faire comme si elle n’a jamais existé. Malheureusement pour elles, tant que la place ne sera pas débaptisée, le problème – leur problème - restera entier.
L’histoire est d’ailleurs en train de s’accélérer et certains signes ne trompent pas : il est surtout question désormais de savoir par qui remplacer Faidherbe. Deux personnalités politiques de premier plan, Mary Teuw Niane, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et Aminata Touré, ex-Premier ministre et actuelle présidente du Conseil Économique, Social et Environnemental, ont clairement pris position contre cet insultant vestige de l’époque coloniale. Un autre ancien ministre, de l’Education nationale cette fois-ci, le Professeur Iba Der Thiam, avait ouvert la voie en 1984, en donnant au lycée Faidherbe le nom de Cheikh Omar Foutiyou Tall. Soit dit au passage, c’est aussi grâce à Iba Der Thiam qu’à Kaolack, la même année, le lycée Gaston Berger – comme on se retrouve ! – est devenu Valdiodio Ndiaye. Le célèbre pont de Saint-Louis et une grande avenue dakaroise attendent leur tour d’être renommés. Tout cela peut donner l’impression d’un acharnement contre cet administrateur colonial. Il n’en est rien. Des toubabs comme lui, le Sénégal en a vu passer beaucoup mais aucun d’eux ne reste aussi envahissant tant d’années après sa mort. Ceux qui le défendent, d’ailleurs non sans gêne, on l’a bien remarqué, devraient s’interroger sur l’hyper-célébration d’un tel individu. Sembène avait bien raison d’apostropher en termes assez rudes le président de l’époque : ‘’ Notre pays n’a-t-il pas donné des femmes et des hommes qui méritent l’honneur d’occuper les frontons de nos lycées, collèges, théâtres, universités, rues et avenues ?’’ C’est une excellente question. Même si la réponse semble couler de source, il faut aussi se demander, en toute honnêteté, pourquoi presque un demi-siècle plus tard, elle reste d’actualité.
S’il est une leçon à retenir de l’histoire des relations entre les nations, c’est qu’un peuple conquis ne guérit jamais tout à fait des blessures de la défaite. En somme, il n’y a rien de nouveau sous le soleil et les Africains ne sont pas les seuls à qui la petite Europe a imposé au cours des siècles sa volonté de puissance. Partout l’Europe a d’abord détruit des royaumes par le fer et par le feu avant de s’ingénier à pétrir longuement, lentement, presque avec tendresse, tel un potier sa glaise, la cervelle des élites. D’avoir ainsi fragilisés les humains et leurs Dieux lui a permis de bouleverser à son avantage la production économique et les rapports sociaux.
Dans l’histoire du Sénégal, il existe un véritable cas d’école de ce processus de fabrication du fantoche par le maître venu de l’autre bout du monde. Je fais allusion ici à la tentative - heureusement avortée - de Faidherbe de faire de Sidiya Diop, prince héritier du Walo, un Brack blanc à la peau noire. L’histoire, pourtant avérée mis à part certains points de détail, est difficile à croire. Il est encore plus incroyable que si peu de Sénégalais la connaissent.
Destiné à régner sur le Walo, Sidiya Diop était le fils de la Reine Ndaté Yalla Mbodj, dont notre peuple chérit tant la mémoire. Aminata Touré a d’ailleurs récemment proposé que la place Faidherbe porte désormais son nom. Sidiya avait à peine dix ans quand il fut envoyé de force à l’Ecole des Otages de Saint-Louis. Frappé par sa vivacité d’esprit et sa précocité, Faidherbe entreprit, avec sa détermination habituelle, de faire du futur souverain un étranger parmi ses sujets, un être humain totalement différent de celui qu’il était à sa naissance. Si on l’appelle encore aujourd’hui Sidiya Léon Diop, c’est parce que Faidherbe avait ajouté son propre prénom à celui de l’adolescent lors de son baptême chrétien. C’était, littéralement, une entreprise de dévoration de l’âme du jeune homme. À l’école française, Sidiya Léon Diop se montre si brillant que Faidherbe n’hésite pas à l’inscrire au ‘’Lycée Impérial’’ d’Alger. Mais la ville ne plaît pas à Sidiya et au bout de deux ans son puissant protecteur le fait revenir à Saint-Louis où il complète sa formation dans un établissement tenu par des religieux. Bien né, bon catholique, d’une intelligence supérieure, chouchouté par les colons et, dit-on, féru de stratégie militaire, Sidiya Léon Diop avait tout lieu d’être content de son sort. Croquant la vie à belles dents, il était tout à fait à l’aise dans les costumes, les manières, la nourriture et la langue des toubabs. Inutile de préciser que, formaté pour mépriser les siens, il ne s’en priva pas.
Il en fut ainsi jusqu’au jour où, lors d’un rassemblement public à Mbilor, le griot Madiartel Ngoné Mbaye refusa de chanter, comme il se devait, les louanges de Sidiya Léon Diop. Lorsque ce dernier voulut savoir pourquoi il se comportait ainsi, le griot lui répondit ceci : “Sidiya, je ne peux plus te chanter car je ne te reconnais plus, tu n’es pas habillé comme nous, tu n’agis pas comme nous et personne au Walo ne comprend les mots qui sortent de ta bouche !’’ Sans doute le Prince héritier du Walo se sentait-il déjà mal dans sa peau, car il reconnut sur-le-champ s’être fourvoyé et entama sa seconde métamorphose allant, dit-on, jusqu’à ne plus proférer un seul mot de français. Il renoua aussi avec la religion de ses ancêtres, se débarrassa du ‘’’Léon’’ dont son mentor l’avait affublé et redevint Sidiya Ndaté Yalla Diop.
Pour Faidherbe qui s’était senti poignardé dans le dos, le revirement de son ‘’fils’’ valait déclaration de guerre. Et celle-ci eut lieu mais plus tard. Sidiya Ndaté Yalla finit par prendre les armes contre les successeurs de Faidherbe et leur imposa par ses succès militaires d’importantes concessions. Fait prisonnier à Bangoye, exilé dans la forêt de Nengue-Nengue au Gabon, Sidiya y devint si populaire parmi les colons de l’époque que ceux-ci décidèrent de le faire rentrer au Sénégal à l’insu de l’administration française. Lorsque le Colonel Brière de Lisle apprit que le bateau le transportant avait accosté au port de Dakar, il monta à bord et lui fit savoir qu’il serait abattu à la seconde même où il en sortirait. Le même bateau le ramena au Gabon. Sidiya Ndaté Yalla Diop, qui n’avait pas encore trente ans, réalisa alors qu’il ne reverrait plus jamais sa terre natale. Une nuit de juin 1878, il se tira une balle en plein cœur.
Il est facile de comprendre à partir de ces faits historiques pourquoi Sidiya Ndaté Yalla Diop aurait dû être au centre de l’actuelle controverse. En raison même de sa relation personnelle avec Faidherbe, tout ce qui se dit et s’écrit en ce moment évoque, en creux, le destin tragique et singulier de Sidiya. Or, tout se passe depuis un siècle et demi comme s’il n’a jamais été de ce monde. Il se pourrait que sa mémoire se perpétue d’une façon ou d’une autre au Walo mais ce serait bien l’exception. Sa volte-face de Mbilor n’était pourtant pas anodine car on peut penser, avec le recul, qu’elle a modifié en profondeur le cours de notre histoire politique. Tout porte en effet à croire que Faidherbe le préparait à la magistrature suprême, comme on dit aujourd’hui. Sous-lieutenant de l’armée française à seulement vingt ans et doué pour l’art de la guerre, il aurait pu devenir le premier Général ou même le premier Gouverneur noir de l’Empire colonial français. S’il en avait été ainsi, il serait aujourd’hui la référence absolue de notre pays toujours si prompt à se pâmer devant tout compatriote ayant réussi à être ‘’le-premier-quelque-chose-noir.” Qu’il s’agisse de Blaise Diagne, de Léopold Sédar Senghor ou de Lamine Guèye, les exemples ne manquent pas chez nous de grosses carrières politiques bâties sur ce genre de malentendu. En tout état de cause, il est quasi certain que si Faidherbe était arrivé à ses fins avec Sidiya, le Sénégal aurait à l’heure actuelle un visage bien différent. Et probablement pas pour le meilleur…
Débarrasser nos artères des noms de Jules Ferry, Pompidou, Charles de Gaulle et autres Béranger-Ferraud est certes une œuvre de salubrité publique. Pourtant la présente querelle – une affaire sérieuse, s’il en est – va bien au-delà de quelques boulevards et monuments. Elle nous installe au cœur de formidables enjeux historiques car il y est surtout question de la finalité de notre présence sur terre. Il n’est dès lors pas étonnant que la connexion se soit faite si aisément entre le mot d’ordre Faidherbe doit tomber et le slogan Black Lives Matter. C’est le prisme au travers duquel il faut analyser le choix existentiel de Sidiya Ndaté. En plus de nous avoir donné à lire, concrètement, dans sa trop brève vie tout notre rapport à l’occupation étrangère, il fut ce qu’on pourrait appeler un résistant stratégique. Son combat anti-colonialiste ne fut jamais inscrit dans le court terme ni rythmé par des alliances et revirements eux-mêmes dictés par le rapport de forces sur le terrain. Sa propre mésaventure lui avait fait prendre conscience qu’au-delà de la trivialité des jeux de pouvoir, l’occupant vise à détruire chez les peuples conquis ce qui en fait des humains, leur imaginaire et leur sens moral. Jusqu’à sa capture, il essaya de persuader ses homologues de l’impératif d’une grande coalition contre l’occupation étrangère. Sans succès, on l’a vu.
Ce grand homme mérite que l’Etat sénégalais mette tout en œuvre pour que ses restes soient rapatriés du Gabon. Des élus de Dagana ont paru s’y activer il y a quelques années mais cela ne semble plus être à l’ordre du jour. Sékou Touré avait bien réussi en son temps à se faire restituer par Libreville la dépouille mortelle de l’Amamy Samory Touré. Pour notre pays, c’est le moment ou jamais de marcher sur ses traces. Ce serait un sacré clin d’œil à l’histoire si la chute de Louis-Léon César Faidherbe devait se traduire par le triomphal retour d’exil de Sidiya Ndaté Yalla Diop.
Il y a 22 ans disparaissait l’un des plus brillants artistes de l’Afrique contemporaine, l’éclectique Djibril Diop Mambéty. Sa lumière, toujours écarlate nimbe l’horizon artistique de ses effluves. Hommage au kid de Colobane.
Il y a 22 ans disparaissait l’un des plus brillants artistes de l’Afrique contemporaine, l’éclectique Djibril Diop Mambéty. Sa lumière, toujours écarlate nimbe l’horizon artistique de ses effluves. Hommage au kid de Colobane.
«La mort anéantit la chair, mais pas les bonnes œuvres», chantent les griots, ces conteurs, «historiens» et troubadours bien de chez nous. Sans conteste, Djibril Diop Mambéty est de la race des plus illustres, ceux sur qui les vertus corrosives du temps n’ont point d’effets, si ce n’est qu’en vieillissant il bonifie le génie créatif, amplifie l’aura, encense la geste et adoucit les contours sans en alterner la substance. Mambéty, c’était l’artiste alpha ! Dans un article aux allures d’éloge funèbre, son ami, le réalisateur congolais Balufu Bakupa Kanyinka, concluait : «Djibril Diop Mambéty est une œuvre. Une œuvre universelle et immortelle.»
A sa suite, je me permettrai bien d’ajouter ceci : la figure de Mambéty est celle d’un démiurge «atemporel». Et de ce point de vue, il ne peut mourir et ne mourra jamais. Il est, à tout jamais, au panthéon, «dans l’ombre qui s’éclaire», pour reprendre aux mots un autre célèbre Ndiobène (le clan des Diop), le poète-vétérinaire Birago Diop. Autodidacte précoce, rien ou presque de son environnement familial ne prédestinait le jeune Djibril à une carrière aussi fulgurante, d’abord comme comédien, ensuite metteur en scène et enfin réalisateur. Le 23 février 1945 à Colobane, dans une famille pieuse, au père imam, avec l’islam comme référence primaire et ultime, naît un jeune garçon. Il portera le prénom de Djibril en hommage à l’archange qui transmit le message divin au prophète de l’islam Mohamed. Sa détermination, son goût du risque, sa volonté de sortir de l’ornière cinématographique auront eu raison de tout, même du cadre puritain et aseptisé de sa naissance. C’est derrière la caméra qu’il écrira les plus belles pages de l’histoire du septième art africain, en héraut débonnaire des plus démunis d’une société qu’il peignit souvent au vitriol, mais toujours avec style.
Le visuel par le biais du son
C’est dans le Colobane des années 50 que l’appétit de Mambéty pour le cinéma va s’aiguiser par le biais du son. Pour Mambéty, au commencement fut le son, la musique. Quoi de plus normal ! Verlaine ne voyait-il pas dans la musique l’âme de l’art poétique ? Qui mieux que lui pour raconter l’instant fondateur qui scellera pour toujours son attachement au cinéma. «J’ai grandi dans un lieu nommé Colobane, où il y avait un cinéma en plein air, appelé l’Abc. Nous étions très jeunes - 8 ans - et n’avions pas la permission de sortir le soir, parce que le quartier était dangereux. Malgré cela, nous nous sauvions de chez nous et allions au cinéma. Comme nous n’avions pas l’argent d’un billet, nous écoutions les films de l’extérieur. C’était la plupart du temps des westerns et des films hindous. Mes films préférés étaient les westerns. Peut-être est-ce pour cela que j’attache tant d’importance au son dans mes films, puisque j’ai écouté les films pendant de nombreuses années, avant de les voir», confiait-il, en 1995, à la programmatrice guyanaise June Givanni. Il n’est, dès lors, pas étonnant de retrouver dans ses différentes productions ce goût prononcé pour la musique, explorant rythmes traditionnels et modernes. Fine oreille, il fera intervenir dans la conception de ses bandes originales des compositeurs de talent, souvent méconnus d’un large public : le maître de la kora, Djimo Kouyaté (1946-2004) dans Contras’city, dans Badou boy, on retrouve le réputé koriste sénégambien, Lalo Kéba Dramé, à qui il offrit une magnifique opportunité de se sublimer, le saxophoniste Issa Cissoko, disparu en mars 2019, intervient dans Le franc alors que l’expertise de son frère Aziz «Wasis» Diop est mobilisée sur la b.o de La petite vendeuse de Soleil.
Engagé et iconoclaste
Diop Mambéty n’eut de cesse de mettre son art au service de son Peuple pour qui il fut un cinéaste engagé voire par moments écorché et enragé. Souvent loué pour ses qualités hors pairs de technicien et un maître absolu de l’esthétique, Djibi, c’était beaucoup plus que ça. Pour lui en effet, le devoir de l’artiste «est d’agression». Et il agressa, au sens le plus poétique que l’on puisse trouver au terme ! Son passage en prison pendant quelque 5 semaines, à Rome, arrêté pour avoir pris part à une manifestation de la gauche italienne contre le racisme, prouve à quel point l’homme était prêt, au péril de son intégrité physique, psychologique et peut-être de sa carrière, à aller au bout de ses idées, de sa logique humaniste. Son engagement était cependant singulier. Singulier en ce qu’il se dressait tant contre les iniquités sociales de l’Afrique postcoloniale - la satire sociale dans Les hyènes en est une illustration - que vis-à-vis des sacro-saints codes admis au sein de la communauté des cinéastes africains de l’époque. Djibril Diop Mambéty passait pour un incompris au style détonnant certes, mais parfois déroutant et trop expérimental pour un cinéma africain où le réalisme social voire le naturalisme au sens de Emile Zola avait fini d’imposer ses marques. La déconvenue de son premier long métrage, Touki bouki, dans les salles dakaroises, malgré un retentissant succès international (Prix de la critique à Cannes et Prix spécial du jury à Moscou en 1973), montre la fracture pouvant exister entre le cinéaste usant à souhait de sa licence et le public local. Lui avait, en tout cas, compris tout le sens du «castigat ridendo mores» et l’indispensable complémentarité de l’esthétique et de l’engagement. Il a distillé à merveille humour, esthétique et révolte sociale dans ses réalisations, sans que l’un des aspects ne prenne le dessus sur l’autre, tout en équilibre ...comme un funambule. Sa fascination de Yaadikone, personnage controversé, héros pour les uns et vil brigand pour les autres, est l’expression aboutie de son engagement, son attachement indéfectible à la justice sociale. Celle-ci transparaît dans toute son œuvre. Dans Le franc, il fait ainsi dire à son personnage principal Marigo, interprété par Madièye Massamba Dièye : «Lui, c’est Yaadikoone Ndiaye. Notre Robin des Bois à nous. Le protecteur des enfants et des plus faibles.»
Que reste-t-il de l’œuvre de Mambéty ?
L’œuvre de Mambéty reste entière, intacte et d’une actualité déconcertante. Dans son sillage, des cinéastes de talent sont venus s’incruster. Alain Gomis, Etalon d’or 2013 au Fespaco avec Aujourd’hui, qui lui vouait une grande admiration, est l’un d’eux. Pablo Picasso aurait un jour dit : «Les bons artistes copient, alors que les artistes géniaux volent.» Dans cet exercice, c’est Mati Diop, fille de Wasis Diop et nièce de Mambéty qui semble posséder toutes les qualités de la cinéaste géniale.
La jeune réalisatrice d’Atlantique, Grand prix du jury de Cannes 2019 succédant à BlacKkKlansman d’un certain Spike Lee, rendra ce qui s’apparente bien à un hommage à Mambéty en réalisant en 2013 le film documentaire Mille soleils qui peut se lire comme une continuité de Touki bouki dont il reprend la trame, en mêlant l’histoire personnelle des acteurs du film à l’itinéraire de ses personnages fictifs. Ces dernières années, les restaurations de ses deux seuls longs métrages Touki bouki et Hyènes, sur des initiatives exogènes, témoignent de l’attrait croissant pour son travail. La World cinema foundation de Martin Scorsese se chargea de réhabiliter Touki bouki en 2008.
Le réalisateur multirécompensé, auteur des Affranchis et de Taxi driver, pour ne citer qu’eux, qualifiera le film de «poésie cinématographique conçue avec une énergie brute et sauvage», excusez du peu ! Touki bouki sera d’ailleurs désigné meilleur film africain de tous les temps au Festival de Cinéma africain de Tarifa/Tanger en Espagne. Hyènes fut quant à lui remis au goût du jour et des standards en vigueur, à l’initiative du producteur du film, le français Pierre-Alain Meier, dans les laboratoires Eclair, à Vanves, en France.
Mais l’influence de Mambéty s’étend au-delà du cadre cinématographique. Et c’est peu de le dire ! Le clin d’œil du couple royal du hip-hop/RnB Jay-Z et Beyoncé à une séquence culte de Touki bouki comme support visuel de leur seconde tournée mondiale commune en 2018 : On the run II, reste la preuve la plus tangible que la source Mambéty est loin, très loin de tarir. Djibril Diop Mambéty ne fut pas l’homme d’une génération. Il a su, dans un extraordinaire effort artistique, développer des chefs d’œuvres holistiques. En luttant contre le prosaïsme de ses prédécesseurs, comme l’attestent les travaux de Anny Wynchank, Mambéty a démontré que tous les arts provenaient d’une commune matrice. A défaut d’être honoré par les autorités de son pays, Djibril Diop Mambéty suscite toujours, plus de deux décennies après son départ, respect à ses compatriotes ; ce qui en dit long aussi bien sur son apport intrinsèque au renouveau de la cinématographie que sur son engagement au service du changement social. Parlons des autorités administratives et politiques !
L’occasion ne leur est-elle pas offerte, en ces moments de revendications nationalistes en faveur de la réhabilitation des figures locales ou de déboulonnage des vestiges du passé colonial, de faire œuvre de salut public en baptisant une place du nom de Djibril Diop Mambéty ? Pourquoi pas dans son Colobane natal ou à Ngor où il vécut ? Ce ne serait que justice. Il mériterait bien plus : la cinémathèque nationale, par exemple. Mais devant des aînés de la stature surplombante de Paulin Soumanou Vieyra et de Ousmane Sembene, cela paraît pour le moins improbable. Pour ma part et pour l’ensemble de son œuvre, je m’incline : Gacce ngalama Joob !
Bandiougou KONATE
Laboratoire institutions, gouvernance démocratique et politiques publiques
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Email :viyekonate@gmail.com
Bravo Diop
par Elgas
INDÉPENDANCES AFRICAINES, L'ACQUIS ET L'INERTIE
Les héros africains se jugent, non à leur capacité, à transformer leurs pays positivement, mais à celle de combattre la France ou l’Occident. Voilà une zone inexplorée par l’indépendance, car elle n’y aura pas fait la rupture tant prônée
Cette année, dix-sept pays africains fêtent le soixantième anniversaire de leur indépendance, dont quatorze anciennes colonies françaises. Nous avons choisi de donner la parole à de jeunes auteurs de la diaspora et du continent, afin qu’ils nous en parlent soit à travers leur expérience, soit à partir d’œuvres africaines qui les ont marqués. Journaliste, écrivain et chercheur à l'université de Caen, en Normandie, Elgas est né en 1988 à Saint-Louis du Sénégal. Ses recherches portent notamment sur le don en Afrique. Il revient pour nous sur l'héritage de Jacques Foccart, "l'ancien baron noir de la Françafrique." Elgas est l'auteur de Un Dieu et des Moeurs, paru en 2015, aux éditions Présence africaine. Une série proposée par Christian Eboulé.
On prête à Jacques Foccart, l’ancien baron noir de la Françafrique, cette phrase au seuil des indépendances africaines : « nous partons pour mieux rester ». Prophétie, résignation, arrogance ou vue de l’esprit ? Un peu des quatre sans doute. L’homme qui murmurait à l’oreille de De Gaulle les nouvelles de la colonie, n’excellait pas que dans la répartie : dans le crime, la ruse, le mépris raciste, il avait aussi quelques billes.
Il présidait à ce grand ensemble opaque d’interconnexions héritées des relations coloniales entre une partie de l’Afrique et la France ; une vaste galaxie à laquelle Pierre Péan (1983) d’abord, François-Xavier Verschave (1998) ensuite, donneront des contenus respectivement crapuleux et affairistes, révélant l’étendue d’un problème structurel.
« Mieux rester »
Foccart le savait, dans les divorces bruyants, la prime va à la mansuétude d’apparence. Mieux, la sagesse est parfois une renonciation partielle et une mise stratégique. Des héritiers, l’homme de l’ombre en aura, bienveillants ou malveillants, ils forment cette somme importante d’individus, avec une forte inclination africaine, dans les affaires comme dans les institutions, qui ont de plus en plus quitté la scène des lumières pour œuvrer dans les coulisses, avec des desseins restés invariables.
On ne se risquera pas de les lister, ni d’évaluer cette audace teintée de condescendance du père Foccart, car si le messager fut en tout point condamnable, le message est resté lui téméraire, bilieux jusqu’au malaise. Etablir en effet, en 2020, l’inventaire de la présence française en Afrique, en plein triomphe des moments décoloniaux et de la quête vive de rupture qui n’a jamais été aussi forte, serait à la fois fastidieux et assez peu flatteur pour tous les défenseurs de la souveraineté du continent.
Soixante ans après, les discours ont changé, les structures, évolué, les intentions, aussi, mais la France est restée au cœur du continent, jusqu’à être, avec son statut de réceptacle important de la Diaspora, la scène des enjeux majeurs du continent. Sinon, sa capitale même, en termes de poids, de résonnance, de laboratoire des luttes.
Si elle perd, selon nombre d’études sérieuses, ses pré carrés bien souvent économiques, mordue par l’appétit des concurrents, chinois par exemple elle se sait jouir, d’une faveur : celle d’investir le lien symbolique, et d’influencer encore les élites dirigeantes. La phrase de Foccart ainsi résonne doublement : plus la France perd des parts de marché, plus elle sème pour demain, les graines de la filiation intellectuelle.
L’ordre du discours et l’ordre des faits
Dans l’économie, le sport, la culture, le régalien et à travers lui, le militaire ; mais aussi le médiatique, l’artistique, le culturel, partout dans les régions de l’ex-bloc de l’AOF [Afrique occidentale française], la présence est si forte, parfois si invasive – les enseignes françaises étant plus visibles de tout l’aréopage -, que l’opinion publique, instruite et ragaillardie par les activistes et autres militants panafricains, se braque.
Dans plusieurs pays africains, ce qu’on nomme le sentiment "anti-français", [rejet viscéral de ce qui est associé à l’ancienne puissance coloniale] verse de plus en plus dans des expressions radicales, voire haineuses. Mélange de ressentiment colonial, d’exaspération, de sentiment de relégation, de dépossession, disqualification des élites endogènes jugées de mèches, mais aussi, visions bassement conspirationnistes, délirantes, ou encore juste critique d’une hégémonie étouffante, le rejet de la France est une constante jamais démentie.
L’idée ici, n’est ni d’absoudre la France, ni de l’accabler, mais de remonter ce fil des liens ombilicaux, bien souvent minorés pour le confort de la militance ; ce fil avec ses flux et reflux, d’amour, de haine et de malaise, qui frappe bien souvent sinon uniquement, les lettrés formés en France qui, à peu de choses près, gouvernent les pays africains et incarnent la classe dirigeante.
Le président Emmanuel Macron, surfant sur un avantage générationnel et le vent de la nouveauté, paraissait cocher les cases d’un paradigme neuf. Même si la scène de l’amphithéâtre de Ouagadougou [Discours à l'université de Ouagadougou le 27 novembre 2017, NDLR] a pu heurter, la promesse d’un nouvel ordre des échanges, est restée comme le moment burkinabé fondateur.
Elan pareil, à peu de choses près, au grand raout qui a convié le président ghanéen, Nana Akufo-Addo – égérie de l’Afrique qui dit non -, à l’Elysée, dans ce qui semblait être un autre jalon posé sur un nouveau chemin, moins asymétrique, soucieux de faire éclore une nouvelle coopération. Avec ces deux moments, son conseil présidentiel africain (CPA) qui s’efforce de sortir de l’ombre tutélaire de Foccart, la saison Afrique à venir pour 2021, entre autres initiatives, Emmanuel Macron suscite à la fois de l’acrimonie et de l’admiration.
Les ricaneurs auront bien raison de noter, que de De gaulle à Hollande, en passant même par le professeur du discours de Dakar, Nicolas Sarkozy, l’ambition dans le discours a toujours été la même : changer la vision. Tous les locataires de l’Elysée l’ont dit. Un mantra vide ? On fera l’économie de la malveillance. Toujours est-il que le vœu est resté inaltéré.
En termes médiatiques, cela donne : changer la narration. Cette idée est devenue le certificat de naissance de plusieurs médias diasporiques, avec leur dépendance africaine, pour accompagner ladite mue du continent ; après avoir été, du reste et c’est peu de le dire, des acteurs majeurs de la séquences afro-pessimiste, juste vieille d’à peine quinze ans.
Extension du domaine de la Françafrique
Pourquoi donc si tout paraît changer, épaissit-il dans le ciel africain, toujours plus de demande de départ effectif, mais aussi et surtout toujours une dépréciation du local ? Sans doute parce que - et c’est là une hypothèse - les discours ne désinstallent rien et que le fond reste le même : une part importante des problèmes urgents n’est pas soluble par la querelle intellectuelle, pour brillante ou urgente soit-elle.
Pour la France, il faut tenir deux bouts : cajoler des alliés historiques, c’est-à-dire des anciennes colonies précieuses pour elle, un gisement de potentialités, mais aussi, se débarrasser de partenaires encombrants qui suscitent, jusque dans son opinion publique, les tirs groupés des extrêmes droites et gauches, avec des intentions différentes. Pour l’Afrique, le dénuement conduit à devoir traiter avec tous les investisseurs, quel que soit leur passif colonial.
Ainsi, au-delà des discours, il y a des deux côtés, des besoins mutuels, qui bien souvent, ne s’embarrassent pas des questions de morale ou d’éthique. Au choix, on appelle ça : la realpolitik, le pragmatisme, le business… A trop s’appesantir sur la nécessité de changer les discours, les faits eux sont restés inchangés.
Une rapide photographie : la France est fortement présente dans le tissu économique africain ; ses enseignes raflent l’essentiel des marchés ; ses relais diplomatiques sont les seules offres culturelles qui articulent la scène intellectuelle locale, ses institutions recueillent le miel artistique que la jeunesse a à offrir, ses médias sont les références pour la rigueur et la diffusion dans les perceptions.
Ses interventions militaires honnies, quoiqu’intrusives, pallient la faiblesse des armées locales ; son agence de développement finance un nombre important de projets locaux.
Ses réseaux humanitaires [Médecins sans frontières, Action contre la faim, Handicap International, Care France... NDLR] abattent un travail colossal, indispensables, ligne de front contre la pauvreté aigue ; ses offres interculturelles et citoyennes, sur les fronts civils des mouvements jeunes, séduisent les aspirants des élites locales ; la Francophonie élargit le spectre de cette présence qui se veut bienveillante…
Ainsi, quel que soit le bout par lequel on prend les affaires africaines, on retrouve la France quelque part sur le chemin ! En un mot, l’influence passe moins par les relais régaliens et diplomatiques, mais bien plus par des canaux civils. C’est la bascule nouvelle. L’influence et le maintien du lien ne sont plus verticaux mais bien horizontaux, parfois complices, sinon enchâssés.
Et que donc, au vu de ceci, dissocier la France officielle, étatique, de ses relais multiples et protéiformes, c’est se complaire dans la posture critique principielle, car la chose est bien plus complexe et la réalité des imbrications plus ténue : la France est partie pour rester, parce que l’essentiel de ses alliés, y trouve (malgré tout et parfois faute de mieux) son maigre compte et que pour l’heure, avec ses financements, son aide, le bénéfice, quoiqu’inégal, est mutuel.
Elle remplit un vide d’impulsion endogène, que la Chine et d’autres, grapillent aussi savamment. La lutte intellectuelle a peu de fois, dans l’histoire, dompté la lutte économique.
L’immigration, agent de la dépendance
Autre aspect bien plus urgent, c’est l’immigration des cerveaux entre autres, et ce qu’elle dit de la violence symbolique, de nous, de notre départ, de notre fuite, de notre quête. Avec l’aveu implicite d’aller chercher ailleurs ce que nos pays ne nous offrent pas. Comment dire le malaise et l’inconfort ?
La violence symbolique qui a fait que nombre d’auteurs, d’intellectuels africains, ont quitté leur terre, sans le vouloir ardemment, pour aller s’habiller des codes d’un pays qui se trouve être le bourreau de leur estime d’eux-mêmes, et dont, malheur de plus, ils sont devenus captifs de la langue dans laquelle se déploie toute leur activité intellectuelle.
Tout cela crée une situation intenable. Si cette réalité est présente dans beaucoup de livres post-coloniaux, il reste à voir comment on essaye de juguler ce mal qui ronge car dans l’accusation de traitrise à la cause continentale, cette dimension joue : la France reste le cœur qui fait et défait les idoles intellectuelles du continent.
Les héros africains se jugent, non à leur capacité, à transformer leurs pays positivement, mais à celle de combattre la France ou l’Occident. C’est un curieux et historique problème. Se sentir « sale », traitre à la communauté, est un lourd déshonneur à porter, surtout sur la longueur. Voilà une zone inexplorée par l’indépendance, car elle n’y aura pas fait la rupture tant prônée.
La France est restée le pays formateur des élites, pour le meilleur et le pire. Qu’ils y consentent ou pas, ils prennent un peu de cette identité française car c’est le pays où se façonnent leur esprit et leur gloire. Ce qui les rend suspects, devant des foules de chez eux en quête d’authenticité, souvent exclus des festins.
Créer les ressources de la vraie indépendance
Le parti le plus simple face à cela, est souvent de se soumettre, de se contredire, de monter des équilibres impossibles. C’est un achat de tranquillité et une expiation de la culpabilité. L’élargissement du domaine de la Françafrique que nous prônons ici pour mieux l’appréhender et à terme la vaincre, permet de sortir de la seule vue duelle, pour voir les liens, parfois inavouables, de cette romance à risque.
Nul domaine n’est exempté même si dans celui des idées, il reste un marqueur qui parcourt toutes les discussions depuis des décennies. Il faut assumer sa part française quand on en a l’héritage linguistique et la formation, pour échapper au mensonge à soi. Assumer n’étant pas renier, cela va sans dire. Revient toujours la question centrale, celle de la responsabilité, de nous-mêmes, face à nos problèmes.
De tous les manquements de l’indépendance, celui de ne pas avoir dégagé un huis clos de discussions plurielles, est le plus criant. De cet acquis dans les années 60, nous avons fait une force inerte d’accusation perpétuelle. Des évolutions positives sont notables sur tous les plans sur le continent, il ne faut manquer de le signaler. L'Afrique n’a jamais été condamnéepas plus qu’elle ne sera la panacée du monde.
Les indépendances ne sont pas à juger, car ces choses sont bien plus ardues qu’elles n’y paraissent. Elles furent une étape qui appelle une consolidation perpétuelle. L’équation, et elle est bien universelle, c’est créer les ressources de sa vie, de sa survie, de son indépendance. Hors du registre du discours, ce prérequis, n’a jamais réellement été la boussole des gouvernants. D’où les ruines circulaires et la permanence des débats identitaires qui confisquent la scène continentale.
Par Moussa NDIAYE
PRESERVATION ET PROTECTION DE LA PLAGE PUBLIQUE D’ANSE BERNARD DE DAKAR
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République
Monsieur le Président de la République,
Par décret décret N° 2017/525 du 10/04/2017 portant déclassement sur la Corniche Est de Dakar, il a été procédé au déclassement par distraction du domaine public maritime de 3548 mètres carrés de terrain.
L’assiette foncière visée selon l’information qui circule, concerne la Plage Publique de Kootou, plus connue sous l’appellation de Plage d’Anse Bernard de Dakar Plateau.
Certes, il entre dans les prérogatives de l’Etat du Sénégal de procéder au déclassement d’une assiette foncière distraite du domaine Public maritime, mais l’information la plus inquiétante est que la plage publique précitée après déclassement pourrait être attribuée à un promoteur sud-africain, la SAOTA pour qu’y soit érigé un hôtel.
En effet, selon une information publiée sur le site de la SAOTA (cf https://www.saota.com/project/hotelanse/?fbclid=IwAR055z5YAk6TdWI_BhZG W R O d L d X l - zCYHyyEX0zGSAsywyPu8w5xLm3tv9E#1 ) et relayée par le compte Instagram d’Afropolitan magazine, un hôtel appelé Hôtel Anse de Dakar (https:/ /www.instagram. com/p/BB0wHgmwHi2/) est en voie d’être construit sur la Plage Publique d’Anse Bernard de Dakar.
Aussi, devant la gravité de la situation nous sommes réunis le 20 juillet 2020 au 108 Avenue Lamine Gueye dakar et en assemblée générale le 25 a l’Ecole Abbé Pierre Sock de Dakar Plateau. je vous saisis par la présente au nom des personnes et organisations qui étaient présentes : messieurs Abdou Khadre Gaye, écrivain , Président de l’ONG Emad, El Hadj Ndiaga Samb, Président des jeunes lebu, moussa Wane, notable au Penc de Gouye Salane, Mamadou Alpha Nabé, Koba Dabo, Cheikhou Oumar Gaye, Babacar Ndao, Alpha Ba tous membres du collectif citoyen Dakar Plateau Biñu Bëgë, Matar Gaye Président de l’Association des Pécheurs Côtiers, Babacar Souare du pénc de Kaye Findiw et les jumeaux Assane et Ousseynou de l’AFAS. Suite à cette rencontre une assemblée générale s’est tenue le samedi 25 juillet au Collège Abbé Pierre Sock, de la Rue du Liban (Ex rue Tobiac) a Dakar Plateau, des acteurs communautaires, des autorités coutumières Lébu, ainsi des membres du conseil municipal de la Commune de dakar Plateau ainsi que les populations y étaient présents.
Monsieur le Président de la République, vous n’êtes pas sans ignorer que sur le littoral de la Presqu’ile du Cap Vert, la quasi-totalité des plages est classée dangereuse, exception faite de la plage d’Anse Bernard qui est la seule ouverte au public. Elle reçoit de ce fait les populations dakaroises. Anse Bernard reste une des rares plages de la région de Dakar épargnée par le fléau des noyades, qui, rien que ces derniers temps, ou à peine la saison estivale a démarré, a déjà fait ailleurs 46 victimes. Aucun cas n’est à déplorer à Anse Bernard. S’y ajoute, monsieur le Président de la République, que l’accès libre à la mer, par l’existence de plages publiques est un élément de la qualité de vie au Sénégal.
Notre façade maritime d’environ 750 km de côtes est un don de dieu. mieux, la préservation par l’Etat du Sénégal du caractère public d’une plage comme celle d’Anse Bernard pourrait s’analyser comme un élément d’une politique publique de promotion du droit à un environnement sain des populations tel que figurant dans un des quinze points du referendum de 2016. Si bien que nous estimons que toute cession par voie de bail de la Plage Publique d’Anse Bernard de Dakar Plateau à un promoteur hôtelier qui aura pour conséquences la privatisation et la privation de la dite plage serait d’une gravité extrême et ne serait alors conforme à l’exigence d’équité et de justice sous laquelle vous voulez placer votre magistère, voire, pourrait s’analyser comme une atteinte a un droit constitutionnel.
Et il nous sera très difficile, nous populations, d’accepter pour toujours la perte de cette dernière plage publique, pas seulement pour nous-mêmes, mais pour les générations futures. Ce d’autant que cette perte viendra s’ajouter à celles déjà survenues de plusieurs plages de Dakar Plateau comme, Ndaali , occupée par le projet de l’Hôtel Hilton, Boussera, sur la Corniche Est, occupée par une demeure privée, Ngadié, sur la Corniche Ouest cédée a des promoteurs immobiliers et a des particuliers. Nous vous invitons alors à user de votre autorité pour que le projet précité, privant les populations de l’accès a une plage publique ne s’implante pas à Anse Bernard. Nous vous invitons également à prendre toutes les mesures utiles pour que cette plage continue de rester publique dans l’intérêt des populations.
En vous remerciant d’avance pour l’intérêt que vous porterez à cette question éminemment environnementale et sociale, nous vous prions, monsieur le Président de la République, d’agréer l’expression de notre très haute considération.
Moussa NDIAYE
Juriste-Conseil d’Entreprise,
Expert en Gouvernance Locale Conseiller Juridique de l’ONG EMAD
108 Avenue Lamine Gueye, 2e Etage,
Dakar, BP : 21725 Dakar Ponty
E-mail : moyis5@hotmail.fr