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1 mai 2025
Opinions
par Babacar Justin Ndiaye
LE SÉNÉGAL A BESOIN D'HOMMES D'ÉTAT ET NON DE ZÈBRES D'ÉTAT
La littérature ordurière et l’éloquence boueuse structurent, de façon rageuse, le débat national. Chose, à la fois cocasse et curieuse, le trio déchainé (Cissé Lo, Farba Ngom et Yakham Mbaye) furent et/ou demeurent des fidèles fiévreux du président Sall
Citadelle de tous les raffinements, sous le magistère du poète-président Léopold Sédar Senghor, le Sénégal devient inexorablement le bastion de toutes les grossièretés. Maitre Lamine Guèye qui avait le double don de l’élégance et de l’éloquence, trésaille convulsivement dans son linceul, en recevant, outre-tombe, les échos répugnants du débat débile en cours sur l’échiquier politique.
Les observateurs interloqués s’interrogent : par quelle malvenue alchimie, le fécond choc des idées s’est mué en triste télescopage des insanités ? L’une des explications (la liste des causes est évidemment longue) renvoie globalement à la dégradation accélérée de la gouvernance étatique et à la vie politique subitement au rabais. Le culte de l’ascension sociale – via la politique – et l’absence d’initiation à la responsabilité nationale en sont les nettes illustrations.
La réalité est de plus en plus accablante. Les artilleurs de l’injure massive et les voltigeurs des insanités en rafales tiennent fâcheusement le haut du pavé. La littérature ordurière et l’éloquence boueuse (celle des caniveaux) structurent, de façon rageuse, le débat national. Chose, à la fois cocasse et curieuse, le trio déchainé (Moustapha Cissé, Farba Ngom et Yakham Mbaye) furent et/ou demeurent des fidèles fiévreux voire furieux du Président Macky Sall.
Bien entendu, les prestations, toutes outrancières, reflètent un tiercé de styles bien décalés. Le polémiste Yakham Mbaye peaufine ses écrits, en y couchant une fine pellicule d’érudition ou un vernis d’académisme. Ce qui embellit mais n’amortit guère la frappe toujours ajustée là où ça fait atrocement mal. Le Député Moustapha Cissé Lo balance des bordées d’injures à la manière d’un tireur sourd au cessez-le-feu. Quant au Maire Farba Ngom, il parle sans ambages ni emballages. Avec un verbe qui allume sa cible, à la manière d’une mitraillette en folie. Chez Farba Ngom, la pertinence est le cadet des soucis, l’essentiel est de déchiqueter les contempteurs ou les ennemis du Président Macky Sall.
On est aux antipodes des débats – percutants mais savants – de l’ère Senghor-Cheikh Anta Diop-Majmout Diop. C’était la profusion des idées et non la débauche des inepties. On était convié au festival de la pensée et non attiré vers le banquet de la bêtise. Les grandes plumes du senghorisme (Abdou Salam Kane alias ASAK, Mocktar Kébé, Habib Thiam, Bara Diouf, et l’Ambassadeur Momar Seyni Mbengue) croisaient le fer avec les rédacteurs idéologiquement bien armés (Samba Diouldé Thiam, Sémou Pathé Guèye et le Président Mamadou Dia) du journal « AND SOPI » et des publications de la gauche sénégalaise.
Le regrettable virage a été amorcé durant le premier mandat du président Abdoulaye Wade. Au lendemain de la brouille entre le Président et son Premier ministre, Idrissa Seck, le journal « Il est Midi » fut porté sur les fonts baptismaux. Objectif : démolir Idrissa Seck et pulvériser son influence immense dans le PDS. Pour la première fois, le débat politique a évacué les arguments et amoncelé les immondices. La littérature ordurière a fait florès dans les allées du Pouvoir libéral. Des attaques en dessous de la ceinture ont visé les bêtes noires du wadisme triomphant comme Latif Coulibaly, Penda Mbow, Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng etc. La vérité historique commande de rappeler que le président Abdoulaye Wade et le Premier ministre Macky Sall avaient parrainé et financé le journal « Il est Midi ».
Il est temps que les Sénégalais soucieux de la protection et de la vitalité des institutions sonnent le tocsin ; afin que cette pluie d’injures cesse de tomber. Car le débat sale, salace et dégueulasse éloigne le pays des cimes de la bonne gouvernance et, à contrario, le précipite dans les bas-fonds où grouillent et grenouillent des fripouilles de la politique. Les compatriotes et administrés du Président Macky Sall sont nostalgiques des hommes d’Etat, d’hier, et horrifiés par les zèbres d’Etat, d’aujourd’hui.
par Adama Aly PAM
MULTIPLE PHOTOS
IL FAUT SAUVER LE MARCHÉ SANDAGA
Ils ont renoncé à comprendre comment les différents régimes politiques protègent les arts dans un pays qui ne dispose ni d’une bibliothèque nationale, ni d’une maison des archives nationales et où l’on défigure les monuments publics à coup de bulldozers
Leral.net |
Adama Aly Pam |
Publication 05/07/2020
Au moment où des débats enflammés sur le déboulonnage de statues coloniales fait rage au Sénégal et un peu partout dans le monde, il est urgent de ne pas céder au populisme mémoriel et à la confusion entre histoire et mémoire.
Certes le temps est venu de décoloniser les pensées, mais il est aussi important d’arrêter d’essentialiser les cultures africaines. Il y a une lecture romantique fondée sur une fiction d’une culture africaine éternelle aux caractéristiques irrémédiablement figées. L’Afrique est comme tous les continent, un espace ouvert avec des expressions culturelles plurielles fécondées au cours de l’histoire par plusieurs apports internes et externes.
Le marché San-daga (marché des étrangers en langue mooré) dont la démolition-reconstruction serait prévue dans les jours à venir est l’expression d’un énième drame du patrimoine sénégalais. Pays de paradoxes, les gens sensés ont renoncé à comprendre comment les différents régimes politiques essaient de protéger les arts et les lettres dans un pays qui ne dispose ni d’une bibliothèque nationale, ni d’une maison des archives nationales et où l’on défigure les monuments publics à coup de bulldozers ?
Inauguré le 29 avril 1935, en présence de Monsieur Armand Angrand, maire de Dakar et de monsieur Martine, Administrateur de la Circonscription, le marché est à l’origine un projet de la municipalité de Dakar. La carte postale en illustration de ce texte qui montre un marché à ciel ouvert encadré par une rangé de petites boutiques est antérieur à la construction de l’édifice actuel de Sandaga.
Le type architectural du marché de Sandaga du type néo-soudano-sahélien est une synthèse de l'architecture de Tombouctou et du béton armé. Il s'agit là d'une symbiose et d’une rencontre. Le marché Kermel, situé quant à lui, à l'autre côté de la ville est d'inspiration mauresque. Il est une synthèse entre le Maghreb et l'Occident en terre africaine.
Ces deux marchés racontent l'histoire de la ville de Dakar. Les deux marchés, le premier destiné aux africains et le second aux européens, témoignent de la politique de distanciation sociale entre européens et africains du fait d'une politique sanitaire prônant la séparation des races pour prémunir les européens des risques sanitaires dont les africains sont réputés propagateurs.
Cette mesure était doublée d'espaces non aedificandi entre la ville européenne (le plateau) et la ville indigène (la médina). Le camps militaire Lat Dior et Mangin à la périphérie de la ville européenne servent de sentinelles de surveillance de la mise à l’écart des indigènes par des cordons sanitaires en cas de besoin. Réservé aux non-européens, comme la médina, il garde la trace de la ségrégation raciale au cœur de la ville.
Classé dans le registre du patrimoine national, Sandaga ne peut et ne doit être rasé pour deux raisons. La première raison est que les textes législatifs et réglementaires l’interdisent et la seconde est que restauration n’est pas synonyme de reconstruction. Il y a des normes à respecter et des études préalables à conduire. A défaut de reconduire la fonction première dédiée à cet espace, le marché pourrait être transformé en musée agrémenté d’un espace vert. Cela mettrait fin au tout-béton et des espaces urbains arides et insalubres pour une architecture bio-climatique intégrée.
Les ministères de l’urbanisme et de la culture du Sénégal ont la mission de concevoir des politiques d’aménagement de l’espace public porteuses de sens. Cela passe par la mise en cohérence de l’espace et la protection des lieux de mémoire de sorte que les habitants se réapproprient leur environnement.
Créer par exemple des centres d’interprétation culturels où l’on donnerait à voir toutes les expressions culturelles du pays. Les concours d'architectures des bâtiments publics devront être conçus de sorte à s'adapter aux climats et aux référents culturels locaux. La promotion des voutes nubiennes, le géo béton et différents styles d’habitats pourraient être envisagés afin de réduire bâtiments énergétivores et inadaptés. La plupart des modèles architecturaux sont circulaires et traduisent l'esprit communautaire de nos sociétés. Des études concluent à la nécessité de repenser les espaces de soin psychiatriques des africains à ce paradigme.
C’est par une bonne compréhension de la mémoire de la ville que nous pouvons mieux comprendre son histoire et restaurer les différentes polyphonies des courbes architecturales de la vieille cité cosmopolite. Gardons espoir qu’à son bicentenaire prévu dans moins de 4 décennies, la pierre pourra raconter l’histoire de Dakar et de son marché des étrangers.
Dr. Adama Aly Pam est chef archiviste de l’UNESCO, ancien conservateur aux Archives du Sénégal
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
LES OUBLIÉS DE NOTRE MÉMOIRE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’appel a duré près de 3 heures. Le téléphone, agonisant, a surchauffé. La conversation a tourné autour d'une question. Senghor, père de la nation, leader néocolonial, prolongement de la colonisation française ? NOTES DE TERRAIN
L’appel a duré près de 3 heures. Le téléphone, agonisant, a surchauffé. C’est seulement à la fin que j’ai senti la chaleur du smartphone. Tellement l’entretien était passionnant. J’ai beaucoup appris. Je pensais bien connaître, dans ses grandes lignes, l’histoire politique du Sénégal. Mais j’ignorais certaines phases décisives de la lutte pour l’émancipation et le progrès social de notre pays. J’ai découvert des noms de héros méconnus. Des détails très émouvants, tristes. Et aussi, des histoires drôles. De femmes et d’hommes engagés dans la poétique de l’émancipation. Qui ont dit non, de la manière la plus radicale. Qui ont sacrifié une grande partie de leur existence pour un idéal de justice, de liberté et de démocratie. Depuis deux semaines, on se loupe au téléphone. Il est déconnecté, à chaque fois que j’appelle sur WhatsApp. Et quand il essaie de me joindre, je suis occupé.
Il faut dire que nous sommes dans deux régions du monde éloignées. Lui à Washington et moi, ici, à Dakar. Le décalage horaire est quand même important. Quatre heures de différence actuellement. Il est parvenu à me joindre en cette fin d’après-midi. Alors que je venais juste de rentrer de Rufisque. Exténué. J’allais terminer la lecture d’un roman de Boubacar Boris Diop. Le cavalier et son ombre. Puis je devais finir un travail, avant de préparer à manger et de me reposer. Le téléphone a vibré. J’ai vu qu’il s’agissait de René. J’ai fermé le livre. Nous avons commencé à parler des petites choses de la vie. Et, comme d’habitude, nous avons dévié sur la politique et les affaires du pays. Nous avons discuté de ce qui fait actuellement l’actualité, la statuaire coloniale.
Esprit universel et scrupuleux, il a commencé à faire l’inventaire de notre histoire. En s’attardant sur les détails. Sans jamais nier les complexités de la grande aventure humaine. Tous les deux, évidemment, sommes pour le déboulonnement des statues de ceux qui ont participé à l’aventure barbare de la colonisation. Et leur confinement dans les musées. Nous avons parlé de notre histoire, difficile et jonchée d’épines. Nous avons conclu que les blessures de la mémoire ne doivent pas nous pousser vers un jugement binaire. Nous avons aussi évoqué les femmes et les hommes qui se sont sacrifiés pour l'avènement d'une terre de liberté. Nous avons parlé de Senghor. Je lui ai dit que mon jugement, concernant le premier président de la République du Sénégal, a évolué. Je vois, aujourd’hui, ce dernier comme le bâtisseur de notre nation. Mais je le trouve très décevant. Il était doté d’une culture exceptionnelle. Il était ancré dans ses humanités africaines. Pourtant, il s’est fourvoyé dans son activité politique. Dans sa relation, aussi, avec des hommes de sciences et de culture, de son époque. Qu’il a beaucoup censuré. Dernièrement, j’ai lu son petit ouvrage, Pour une relecture africaine de Marx et d’Engels.
J’ai dit à René que je trouvais Senghor très contradictoire. Dans le recueil, Senghor fustigeait l’attitude des intellectuels africains de gauche. Qui, selon lui, «n’ont pas compris » le socialisme scientifique. Senghor était même catégorique et sans nuance. En affirmant que la majorité des intellectuels africains ont lu Marx et Engels « avec des yeux de parisiens, de londoniens et de new-yorkais ». Plus loin, il invitait à « penser et agir par nous-mêmes et pour nous-mêmes ». Et il ajoutait que les vertus nationales faisaient partie des productions non matérielles. Comment pouvait-il admettre que la langue était un élément à part entière de la superstructure, et refuser l’utilisation des langues nationales dans l’administration et les écoles ? Faut-il en déduire une schizophrénie des élites africaines. Qui doivent, tout le temps, négocier avec une juxtaposition de mondes. Et, pour certaines, ne veulent en aucun cas abandonner leurs privilèges - la maîtrise de la langue française en fait partie.
René m’a raconté une histoire, concernant le livre. La parution du recueil avait donné lieu à une controverse idéologique dans la presse d’Etat. Le Soleil avait, à l’époque, ouvert ses colonnes à Abdoulaye Elimane Kane. Le philosophe avait alors critiqué, dans une tribune, les idées du président-poète. Une première dans l’histoire de notre pays. La presse n’était pas libre. C’était donc un événement. Nous vivons une époque où la presse est épanouie. Où la liberté d’opinion est, presque, consacrée. Et oublions, parfois, que le chemin a été périlleux. Qu’il a fallu, à certains moments, l'intrépidité de porteurs de sacrifice. Sur Senghor, René m’a à peu près confié ceci : « Il faut juger les hommes selon le contexte. Senghor représentait le prolongement idéologique et institutionnelle de la colonisation. S’il n’avait pas le choix, on aurait pu le mettre du bon côté de l’histoire. Mais il y avait des femmes et des hommes de refus. Il n’en faisait pas partie. »
C’est exact. D’autres figures, connues ou ignorées de notre histoire, se sont dressées. Des forces patriotiques, qui n’ont pas transigé sur la souveraineté. On pourrait présumer que ces femmes et ces hommes sont venus tôt. Que nenni. C’était une période cruciale de notre nation. L’étape de la liberté pour tous - qui malheureusement a été manquée. Car partout ailleurs, le même cri gonflait les poitrines : l’être-soi. C’est-à-dire la liberté, la justice et l’égalité. Pour tous les hommes et les femmes. Pour tous les peuples. On doit, je le pense, à Senghor les institutions républicaines - quoique brinquebalantes - qui nous protègent aujourd’hui de l’arbitraire. Il est, à mon avis, le meilleur chef de l’Etat que nous ayons eu. Mais, il a assuré la pérennité d’un système colonial, semi-féodal et obscurantiste. Senghor a participé activement « à la stabilisation du système néocolonial ». À l’émergence d’un pouvoir maraboutique, obscurantiste.
Le rapport de forces de l’époque ne peut justifier, à lui tout seul, l’absence d’initiatives révolutionnaires. Pour sortir les masses sénégalaises de la longue nuit de l’oppression. En vérité, Senghor n’était pas un homme de l’Aube. Il ne faisait pas partie de ceux qui se lèvent lorsque le jour est encore brumeux. Qui savent que midi sera rude. Et minuit enveloppé par les ténèbres. Mais qui s’en vont porteurs d’espoir. Pour annoncer une nouvelle aurore. La tête haute, le front digne, le poing courageux. Ces femmes et ces hommes, qui n’attendent pas que « toutes les conditions subjectives et objectives soient réalisées », avant d’enfourcher leur monture. Comme l’écrivait Régis Debray, dans sa préface sur Les grands révolutionnaires d’Amérique latine. « C’est parce que la route est longue qu’il vaut mieux seller son cheval de bon matin plutôt que de pourrir sur pied en attendant le soir. Car à trop attendre l’espérance, elle aussi, pourrit toute seule. » Au Sénégal, ces femmes et ces hommes, qui ont, contre l'impérialisme et parfois contre la société, préféré la souveraineté et la dignité, sont nombreux.
René m’a révélé des histoires d’héroïsme, dont je n'avais pas connaissance. Ainsi, pendant trois heures, j’ai noté dans ma mémoire. Des récits. Des noms. Moussa Kane, Eugénie Aw, Marie Angélique Savané, Aloyse Ndiaye, Momar Coumba Diop, Bouba Diop, Penda Mbow, Fatima Dia, Pape Touty Sow, Alymana Bathily, Fatou Sow, Pathé Diagne, Amadou Top, Daba Fall, Sakhir Diagne, Dame Babou, El Hadj Amadou Sall, Nafissatou Diouf, Marithew Chimère Diaw, Mamadou Mao Wane, Ismaila Sarr, Abdoul Aziz Sow, Landing Savané, Mamadou Diop « Decroix », Jo Diop, Djiby Gning, Idrissa Fall, Boubacar Boris Diop, Mamadou Ndoye, Magatte Thiam, Samba Dioulé Thiam, Abdoulaye Bathily, Alioune Sall « Paloma », Ada Pouye, Abdou Fall, Mody Guiro, Mahmoud Kane, Awa Ly… Pour ceux qui sont encore là. Nous avons convoqué d’autres noms. Ceux des combattants des temps héroïques. Du PAI, et du RND pour la plupart. De Seydou Cissokho, Majmouth Diop, Tidiane Baïdy Ly, Mawade Wade, Madicke Wade - il ne s’agit pas de l’ancien ministre de la Justice -, Cheikh Anta Diop, Babacar Niang, Cheikh Mbacké Gaïnde Fatma, Bocar Cissoko, Amath Dansokho, Sémou Pathé Gueye, Abdoulaye Ly, Makhtar Diack, Ibrahima Sarr, Thioumbé Samb, Abdoulaye Gueye « Cabri, », Valdidio Ndiaye, Marianne d'Enerville, Rose Basse (arrêtée à la Bourse du travail en 1968 avec Christiane Sankalé, la mère de René), Seyni Niang, Félicia Basse, Samba Ndiaye, Omar « Blondin Diop », Papa Gallo Thiam… Quelles leçons ces « vies fiévreuses », insoumises nous apprennent-elles aujourd’hui ?
D’abord, que la génération actuelle est la moins courageuse de l’histoire du Sénégal. Ensuite, qu’elle est la plus pauvre. Intellectuellement. Elle manque d’épaisseur et de générosité. Ses élans d’émancipation sont minces. Même si elle étouffe. Elle est caractérisée par une torpeur politique et une incapacité idéologique. Si elle se bat parfois, les termes du problème sont flous. Combat-elle pour la justice sociale et les libertés individuelles ? Pour le progrès de la conscience ? Pour la démocratie spirituelle ? Met-elle la dignité de l’Homme au-dessus de tout ? Ou veut-elle seulement imposer un ordre nouveau, conservateur et toujours oppressant ? Il faut savoir, pour reprendre Fanon, si ceux qui se battent, aujourd’hui, disent « non à une tentative d’asservissement ». Ou s’ils sont seulement poussés par la fougue de leur bigoterie ? Enfin, nous pouvons dire que ce qui compte, c’est le souci de l’Homme et le courage de l’indépendance. Demain, c’est à cette aune que l'histoire jugera.
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
POURQUOI LA FRANCE DOIT DÉBOULONNER LES SYMBOLES DU RACISME
Ce racisme dans certaines institutions françaises, nié pendant des décennies, explose à la figure et demande un traitement politique qui ne se suffit plus de déclarations
Jeune Afrique |
Karfa Diallo |
Publication 05/07/2020
Le président Emmanuel Macron aura donc choisi de refuser la discussion sur le passé colonial, esclavagiste et raciste français. Pendant que bruissent les revendications de justice raciale sur l’espace public, le chef de l’État expose ses lacunes et abandonne le terrain de la justice pour celui de la morale.
Car fondamentalement c’est de la question de la réparation qu’il s’agit. De la réparation d’un crime contre l’humanité et de ses conséquences dont la pandémie multiséculaire du racisme anti-Noirs.
D’Haïti, qui, pour son indépendance, a dû payer 90 millions de francs aux colons de la colonie la plus riche d’Amérique au XVIIIe siècle, à la Guadeloupe, où la République a indemnisé les esclavagistes après 1848, en passant par les législations spécifiques justifiant le travail forcé auquel les Africains ont été soumis pendant la seconde colonisation, justice peine à être rendue pour les spoliations que l’Afrique et ses descendants subissent sur le continent comme en diaspora.
Et, en déclarant que « la République n’effacera aucun nom ou aucune trace de son histoire », Emmanuel Macron juge nulles et non avenues des mobilisations citoyennes qui essaient de redéfinir une nouvelle conscience historique et progressiste sur un espace public mondialisé en proie à de vives tensions. Par son incapacité à définir un cap et une vision des relations sociales entre des communautés heurtées par les injustices raciales pandémiques, l’État français risque d’accroître les tensions exacerbées depuis la mort de George Floyd à Minneapolis.
Crime contre l’humanité
L’acuité nouvelle de ces mobilisations interraciales interroge la subsistance des symboles du racisme sur l’espace public perçus comme une sorte « d’apologie du racisme ». Il est très édifiant qu’elles aient d’abord pris pour cibles les honneurs rendus à des personnalités qui se sont enrichies grâce la traite des noirs et à l’esclavage. Comme si ce crime contre l’humanité continuait de hanter la conscience contemporaine mondiale. Comme si ce passé ne passait toujours pas.
Il est vrai qu’à l’exception de la France et du Sénégal, pratiquement aucun autre pays n’a qualifié dans son corpus législatif ce crime contre l’humanité et ne commémore le souvenir de cette tragédie. Pourtant, les études historiques sont là. Quelques romanciers en dégagent une matière sensible partageable. Quelques musées en racontent les modalités. De rares artistes s’en saisissent pendant que le cinéma européen est quasiment absent de l’évocation et de la mise en images et en sens d’une histoire plus proche qu’on ne veut le penser et le voir.
C’est ainsi que de Minneapolis à Dakar, en passant par le Cap, Abidjan, la Martinique et Bristol, le monde s’interroge sur l’usage du passé et son instrumentalisation dans l’espace public. Des statues sont bousculées, des monuments déboulonnés, des rues renommés et des États sommés de répondre à cette colère inédite dans l’histoire contemporaine.
Pandémie de quatre siècles
Si les mobilisations du Black Lives Matter ont pris ce tour symbolique, c’est que les circonstances historiques et politiques de la mort de George Floyd réveillent une pandémie de quatre siècles que les démocraties occidentales peinent à éradiquer. L’agonie de George Floyd est donc ouvertement reliée aux siècles d’oppression raciale et de brutalisation que les noirs subissent indifféremment de leur situation géographique dans le monde et de leur statut social.
MAIS POURQUOI LES SÉNÉGALAIS TROUVENT-ILS AVILISSANT LE STATUT D'OUVRIER AGRICOLE ?
Quand ils cultivent pour un patron, les Sénégalais pensent devenir des esclaves captifs. Ce préjugé tenace et rétrograde est aussi un des obstacles au décollage des DAC, les domaines agricoles du PRODAC qui peinent à trouver du personnel
Dans cette vidéo où il tient une conférence de presse, le sieur Bassirou Diomaye Faye de Ndiaganio "accuse" Sedima de vouloir faire des populations de Ndingler des "ouvriers agricoles". Mais si cela était vrai, en quoi est-ce scandaleux ? Des puissances mondiales développent leur agriculture sur des surfaces latifundiaires employant des centaines d'ouvriers agricoles. Et c'est très bien ainsi, avec une haute productivité et des rendements élevés. Car la seule autre alternative viable pour un agribusiness de développement, c'est l'agriculture mécanisée où deux personnes dans un champ, au volant de tracteurs et de moissonneuses-batteuses, produisent à eux seuls des récoltes pour des centaines de milliers de personnes. Et cette option n'est pas à privilégier au Sénégal, dans un pays au chômage élevé (notamment celui des jeunes) et à l'emploi précaire généralisé. Quant à l'agriculture dite familiale sur de petites parcelles, c'est une douce utopie qui nous fait revenir aux temps moyenâgeux du troc et de l'agriculture de subsistance. Nous n'en voulons pas.
Mais pour comprendre cette répulsion des Sénégalais à être des ouvriers agricoles, il faut entrer dans leur psyché. Dans un pays dont les ethnies majoritaires (Wolofs et Hal pulaar) croient au système des castes, l'agriculture était l'apanage des prétendus "nobles". Donc, quand ils cultivent pour un patron, les Sénégalais pensent devenir des esclaves captifs. Ainsi, en devenant ouvrier agricole, le Sénégalais a l'impression qu'il se retrouve à l'époque des champs de coton esclavagistes des Amériques où ont été convoyés des Africains mis en captivité durant la Traite Atlantique. Il revoit le feuilleton Racines avec Kunta Kinté. Et ce préjugé tenace et rétrograde est aussi un des obstacles au décollage des DAC, les domaines agricoles du PRODAC qui peinent à trouver des ouvriers agricoles et comme palliatif bancal, le PRODAC établit des contrats de travailleurs indépendants pour un nombre encore très insuffisant d'entre eux et pour un résultat inopérant. Les Sénégalais ont hélas un rapport fétichiste à la terre et restent ainsi des intermittents de l'agriculture quand ils sont cultivateurs, travaillant la terre trois mois sur douze, en s'en remettant au bon vouloir du ciel quand il veut bien ouvrir ses vannes et déverser des pluies. Nos compatriotes refusent donc, majoritairement, toute évolution, aussi bien en termes de méthodes de culture modernes, qu'en termes de relations contractuelles entre ouvrier agricole et promoteur agricole. Au pire, ils veulent bien louer la terre qu'ils cultivent à son propriétaire. De plus, on semble n'avoir le droit de cultiver au Sénégal que sur les terres du village de ses ancêtres. Diantre ! Trêve d'obscurantisme.
A cet égard, il ne faut d'ailleurs pas oublier la tradition d'antan des "Navétanes", où pendant l'hivernage (Nawet) propice au semis et au labour, le Sénégal importait des ouvriers agricoles venus de la sous-région (Mali, Guinée, etc.), comme si le travail champêtre n'était pas fait pour les Sénégalais bon teint.
Il faut définitivement arrêter avec ces représentations mentales féodalistes qui voudraient qu'un citoyen libre ne puisse pas louer ses bras comme ouvrier agricole. Et l'État du Sénégal doit prendre ses responsabilités pour faire prévaloir ce discours et faire évoluer les mentalités.
par Abou Bakr Moreau
DÉBOULONNER, DÉBAPTISER ET BIEN ENCORE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’histoire ne s’enseigne pas dans les rues. C’est bien pourquoi il faut déboulonner les statues indignes de servir de repères géographiques dans nos sociétés, pour les « confiner » dans les livres d’histoire
L’histoire retiendra que c’est dans le sillage de l’abominable asphyxie de George Floyd (46 ans), le 25 mai 2020 à Minneapolis (Etats-Unis d’Amérique), agonisant affreusement sous le genou d’un policier blanc du nom de Derek Chauvin que l’on a assisté au Royaume-Uni, en Belgique, aux Etats-Unis et dans d’autres pays à des déboulonnages de statues de figures historiques responsables de l’esclavage et de la colonisation. À travers le monde, les statues et monuments représentant des figures majeures du colonialisme et de la traite des esclaves sont devenus la cible des manifestants contre le racisme et la discrimination. Ce sont là des actions symboliquement fortes qui posent le problématique rapport des peuples à leur passé, et elles marquent en même temps un moment important dans la lutte contre les inégalités et les différentes formes d’oppression raciale, passées et présentes.
Le débat sur le déboulonnage de statues de figures de l’histoire qui ont pleinement contribué ou profité du passé colonial des peuples n’a certes rien de nouveau, mais il est ravivé par les fractures qui traversent les sociétés, les inégalités criantes fondées sur la race dans les pays colonisateurs et esclavagistes, la montée des extrémismes dans ces pays où les mouvements xénophobes et ouvertement racistes sont devenus non seulement visibles et représentatifs (jusque dans les institutions comme le parlement) mais ces derniers tendent même à être banalisés. Dans le même temps, les citoyens issus des pays colonisés (en France particulièrement) qui croulent sous le poids d’une pluralité de rapports d’une domination à la fois sournoise et dégradante sont accusés de pratiquer le « communautarisme ». C’est précisément l’hypocrisie de l’universalisme républicain qui désigne à la vindicte publique des citoyens d’origine étrangère que l’Etat a lui-même fait le choix de discriminer. Il n’y a aucun hasard si ces citoyens évoluent dans des quartiers (des pavillons de banlieues où se rencontrent toutes les pathologies des sociétés) qui leur sont spécifiques et souffrent d’inégalités qui ne sont fondées que sur l’identité raciale. Il n’y a aucun hasard !
Ce que le déboulonnage des statues montre, c’est que si les historiens ont trop tardé dans la réécriture de l’histoire, les manifestants eux présentent leur propre lecture de l’histoire de leur peuple. Ce que le déboulonnage montre aussi, c’est que si les personnages statufiés étaient aujourd’hui de ce monde, les manifestants se seraient donné les moyens d’avoir accès à eux et de les attaquer pour les faire tomber. Les personnages statufiés ont du sang sur les mains et des massacres de peuples sur leur conscience. Leur place, ce n’est donc pas dans les espaces publics de nos villes.
Mais alors où les installer pour ne pas occulter une partie tragique de notre histoire avec les pays esclavagistes et colonisateurs ? C’est la romancière Africaine-Américaine Toni Morrison (1931-2019) qui nous apporte la réponse : interrogée sur le pourquoi de son chef-d’œuvre « Beloved » (au moment de sa parution en 1987), elle indique que c’est parce qu’il n’ya pas dans son pays aux Etats-Unis d’Amérique un lieu de mémoire national spécifiquement consacré à l’esclavage, c’est pourquoi elle a voulu écrire un livre-monument. Et effectivement, le livre est devenu un livre-monument : le livre est depuis plusieurs années dans les programmes d’enseignement des plus grandes universités américaines. L’auteure Toni Morrison a été canonisée (de son vivant même, ce qui est extrêmement rare en la matière), son œuvre est aujourd’hui largement enseignée dans les programmes scolaires et universitaires aux Etats-Unis et le roman « Beloved » s’est imposé dans l’enseignement de l’esclavage. En clair, il n’est donc pas question de tomber dans l’amnésie qui, par le déboulonnage des statues, pourrait effacer de la mémoire collective des pans qui font partie intégrante de l’histoire d’un peuple. Au contraire, il y a un certain nombre de ruptures qui pourraient être opérées, notamment :
L’intégration systématique de l’enseignement de l’esclavage (et de la colonisation) dans les programmes scolaires et universitaires et pour commencer l’outillage intellectuel des historiens appelés à l’enseigner. Car en vérité, l’histoire comme discipline à enseigner n’a rien de l’objectivité que l’on pourrait lui donner. Elle est controversée et problématique. A titre indicatif, on se rappelle tous, il y a quelques mois, la vive polémique (les contestations et remises en question souvent subjectives et biaisées) qui a accompagné la rédaction de l’histoire de notre pays. Ici comme ailleurs, l’écriture de l’histoire fait toujours des vagues, ce n’est jamais un long fleuve tranquille. En fait, il faudra certes enseigner les figures nationales (politiques, religieuses, culturelles) historiques ayant combattu l’esclavage et la colonisation en leur restituant toute leur dimension de façon aussi objective et équilibrée que possible mais sans émotion. Mais il faudra tout autant enseigner qui étaient Faidherbe, le général de Gaulle, Jules Ferry, Colbert, Thiers, Peytavin, etc. jusqu’aux écrivains qui portaient l’entreprise coloniale dans leurs textes, avec pour objectif de mieux étayer le sous-bassement du fait colonial.
Et les statues qui auront été déboulonnées alors ? Leur place, c’est dans un musée où se retrouveraient non pas les statues (ni dans leur dimension grandeur nature ni même en miniature mais plutôt en images) mais les figures de chacune des personnages en question et d’autres que les peuples devraient aussi connaitre, en même temps que les figures des résistants nationaux patriotiques les ayant combattus dont certaines pourraient être immortalisées en étant statufiées, bien entendu avec des récits doctement élaborés et suffisamment explicatifs de l’action de chacune de cette figure. Dans ces musées (dont il pourrait y avoir plus d’un et en outre dans des lieux de mémoire que les historiens nous indiqueraient), il devrait y avoir autant que possible des éléments explicatifs des figures de l’histoire de la traite et de la colonisation : les navires négriers mobilisés, les expéditions faites, les pratiques en cours à l’époque, les hauts-lieux de la traite, les noms des résistants ayant payé de leur vie, etc. Pour qu’à terme on sache qui était qui. En quelque sorte, de vrais récits gravés sur du marbre pour que ne soient jamais effacées de la mémoire ces tragédies de l’histoire. En clair : les cours d’histoire, ce sont dans les salles de classe, dans les manuels scolaires, et par les activités scientifiques des universités qui dans un effort de transmission et de vulgarisation associeraient les enseignants de tous les niveaux jusqu’au préscolaire où les enseignements ont un impact indélébile sur la mémoire et l’imaginaire des tout-petits apprenants.
Dans la restitution de ces tragédies dans toute leur ampleur et leur impact, il serait question d’indiquer clairement entre autres faits, par exemple que : avant la découverte de l’Amérique, tout l’or qui arrivait en Occident venait d’Afrique, et que sans l’or de l’empire du Ghana, l’histoire de l’Occident n’aurait jamais pu être la même. Que les Etats-Unis d’Amérique ne seraient pas le même pays aujourd’hui sans les forces vives arrachées du continent africain et réduites à l’esclavage sur le sol américain. L’histoire des Africains-Américains, c’est plus de 400 (quatre cents) ans d’oppression raciale sous toutes les formes. Dans le décompte : 246 ans d’esclavage (1619-1865), 99 ans de lois Jim Crow (1865-1964) de discrimination institutionnalisée (un système d’apartheid exactement tel qu’il a existé en Afrique du Sud), 86 ans de lynchages (allant de 1882 à 1968, où les corps des Noirs étaient l’objet des pires atrocités (lapidés, torturés, pendus, et même dépecés et brûlés vifs, etc.), et enfin 14 ans de luttes pour les droits civiques allant de 1954 à 1968.
Quel autre peuple aurait vécu et survécu au moins autant ? Entre l’esclavagisme et le capitalisme occidental, le lien est direct et clairement établi. Ce sont les forces vives des peuples noirs arrachés du continent africain qui ont rendu possible la Révolution industrielle en Europe : sans cette main-d’œuvre facile et accessible sur plusieurs siècles, il n’y aurait pas eu de plantation de canne à sucre ni d’industrie de distillation du sucre, ni d’industrie tout court et donc ni de Révolution industrielle. Et sans les champs de coton en Amérique, il n’y aurait jamais eu le coton qui alimentait l’industrie textile anglaise. Et ainsi de suite.
Il n’existe pas de statue innocente ou neutre. Une statue c’est un outil de glorification et d’immortalisation d’une personne, d’une idéologie, d’une certaine conception de l’histoire. Statufier quelqu’un c’est l’honorer. Un tyran qui impose la statue de son personnage dans les rues de son pays c’est une autoglorification comme la glorification d’une figure statufiée par le pays oppresseur. C’est l’hypocrisie de l’universalisme républicain occidental qui amène à approuver et à se réjouir du déboulonnage de la statue de Saddam Hussein dans les rues de Bagdad, il y a quelques années dans le sillage de la chute de l’ancien président irakien, et de vouloir laisser intactes trôner sur les places publiques de nos villes les statues de figures tout aussi despotiques et tyranniques que Faidherbe et tous les autres…
Le fait même que des voix se soient élevées en France pour s’émouvoir du déboulonnage de la statue de Faidherbe à Saint-Louis du Sénégal, c’est une des manifestations du racisme. Car au-delà des pratiques discriminatoires fondées sur l’identité raciale dans la vie ordinaire, au-delà des éruptions et flambées sporadiques du phénomène, le racisme est aussi dans la volonté d’étouffer la voix de l’autre (étouffer au sens propre comme avec George Floyd et le policier assassin, et étouffer au sens figuré comme avec Cheikh Anta Diop et ses travaux lumineux et éclairants sur « l’antériorité des civilisations nègres » que l’ancienne puissance coloniale a toujours cherché à discréditer et à ridiculiser), de chercher à empêcher l’autre de parler de sa condition en son nom propre ; le racisme est dans l’incapacité de se mettre à sa place, de voir dans le visage de l’autre (de race différente) le reflet de son propre visage d’être humain, de chercher à discréditer son action, de lui refuser le droit de se défendre en réécrivant sa propre histoire comme une façon de l’amener à se contenter du récit que lui l’oppresseur a écrit sur lui, ce qui somme toute revient à lui refuser son humanité. Le racisme est aussi dans la banalisation d’un fait tragique que l’oppresseur historique voudrait voir comme un simple accident malheureux ou un cas isolé, un évènement à jeter aux oubliettes. L’ancienne puissance coloniale n’a-t-elle pas remis en question l’ampleur du drame de Thiaroye 44, la place de Gorée dans le trafic des esclaves, etc. ?
L’histoire bouge. Les peuples ne sont pas inertes. Nos peuples ont le droit d’exiger que soit effacé de nos rues le nom de quelque figure historique que ce soit, effacé des artères de nos villes et de tous nos bâtiments publics. Qu’il ne figure plus que dans les livres d’histoire et que cette même histoire qu’il reste à rédiger n’occulte aucun aspect (surtout pas les moins glorieux de ces pays) de son passé avec nos peuples. C’est une aberration que de donner le nom d’une grande artère d’une de nos villes à un combattant, un libérateur, une grande figure politique ou religieuse dans l’histoire de la nation et le nom d’une autre grande artère à celui qui était là en même temps que lui rien que pour l’opprimer, quelqu’un qui aurait voulu l’éliminer, quelqu’un qui aurait agi comme Derek Chauvin appuyant son genou, envers et contre tout, sans scrupule et sans frémir, sur la gorge de George Floyd jusqu’à son dernier souffle. L’oppresseur et le libérateur, ce sont deux figures de l’histoire mais aux antipodes l’un de l’autre. Donner le nom d’un individu à une rue ou à un édifice public, c’est nécessairement l’honorer, le célébrer, le glorifier, l’immortaliser. L’histoire ne s’enseigne pas dans les rues. C’est bien pourquoi il faut déboulonner les statues et débaptiser les noms de toutes les figures de l’histoire qui sont indignes de servir de repères géographiques dans la vie de nos sociétés, pour les, passez-moi l’expression, « confiner » dans les livres d’histoire avec les récits relatifs à leur action !
Abou Bakr Moreau est Enseignant-chercheur, Etudes américaines, UCAD.
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C'EST LA JEUNESSE QUI DOIT DÉBOULONNER FAIDHERBE
EXCLUSIF SENEPLUS - L'ancien secrétaire général d'Amnesty International, Pierre Sané, lance un appel aux jeunes pour qu'ils s'engagent dans un mouvement effectif de décolonisation du Sénégal - EXTRAIT DE L'ÉMISSION SANS DÉTOUR
Dans cet extrait de l'émission de SenePlus, "Sans Détour", l'invité Pierre Sané, ancien secrétaire général d'Amnesty international, lance un appel à la jeunesse sénégalaise pour qu'elle aille déboulonner elle-même la statue de Faidherbe à Saint-Louis quand celle-ci sera ré-installée à la fin des travaux actuellement en cours.
Selon l'ancien fonctionnaire de l'Unesco, c'est à la jeune génération de s'engager pour décoloniser le pays.
Sans Détour est une émission de SenePlus et de l'école d'imagerie numérique Sup'Imax, présentée par Abdoulaye Cissé et produite par Mame Lika Sidibé. L'intégralité de l'émission est à retrouver ici même en tout début de semaine.
par Gilles Olakounlé Yabi
SALE TEMPS POUR L'INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE DE L'OUEST
La monnaie unique peut être une parade à la fragmentation de l’espace ouest-africain. Mais il faut aussi admettre que, faute d’un leadership suffisant pour porter l’eco, c’est le pire moment pour le lancer
Jeune Afrique |
Gilles Olakounlé Yabi |
Publication 04/07/2020
Mais le tweet du président nigérian confirme une paralysie du processus. « Cela me donne un sentiment de malaise que la zone UEMOA souhaite reprendre l’eco en remplacement de son Franc CFA avant les autres États membres de la Cedeao », écrit Buhari.
Cette sortie est le dernier épisode du long et déroutant feuilleton qui devait s’achever avec la mort du franc CFA, symbole des relations particulières instaurées avec la France après les indépendances. Porté depuis deux décennies par la Cedeao, le projet devait être une brique supplémentaire – et pas n’importe laquelle – dans la construction d’une communauté économique, politique et humaine pleinement intégrée.
La Cedeao est donc aujourd’hui à un tournant. Elle a certes a réussi à donner naissance à un vaste espace de circulation libre des citoyens de 15 pays, un espace doté d’un tarif extérieur commun, d’une commission basée à Abuja, la capitale fédérale du Nigeria, et d’une série d’agences spécialisées. Elle dispose aussi de protocoles ambitieux en matière de paix, de défense et de sécurité, de gouvernance démocratique, de justice et de respect des droits humains.
En outre, et même si les pays de l’Uemoa cultivent des liens économiques et politiques plus forts entre eux, c’est bien la Cedeao qui a incarné institutionnellement depuis des décennies le projet d’une Afrique de l’Ouest dont les peuples imaginent un avenir commun.
Des hauts et des bas
La Cedeao a connu des hauts et des bas, et a sans doute produit plus de résultats probants dans les domaines politiques et sécuritaires qu’économiques. Au vu des faiblesses structurelles, des errements politiques de la majorité de ses membres et des crises multiples, son bilan relève quasiment du miracle.
Mais elle est aujourd’hui dans un de ses grands moments de faiblesse. Le président nigérian a agité le spectre d’une dislocation de la communauté si les pays de l’Uemoa décidaient de lancer l’eco avant les autres pays de la Cedeao qui avaient collectivement choisi le nom de la monnaie unique, et sans consensus préalable sur la marche à suivre.
Le Nigeria avait estimé en février dernier que les conditions ne seraient pas réunies pour lancer l’eco en 2020 et recommandé un report de l’échéance. C’était avant la pandémie de la Covid-19, qui est venue plonger les pays de la région – à des degrés certes variés – dans une détresse économique et financière brutale. Le Nigeria, très dépendant de ses exportations d’hydrocarbures, est sévèrement touché.
Les analyses lues ou entendues ici et là n’évoquent dans leur grande majorité que la question du choix de régime de change, l’interrogation sur le bien-fondé de la monnaie unique dans une communauté qui ne constitue pas une zone monétaire optimale, le risque d’instabilité monétaire et financière en cas de naissance d’un eco sans préparation adéquate ou encore la dimension géopolitique régionale réduite à un jeu de dupes entre les chefs d’État des pays francophones et francophiles, emmenés par l’Ivoirien Alassane Ouattara, et leurs homologues anglophones, emmenés par Buhari.
La France, encore elle, serait à la manœuvre, avec l’intention de saboter le projet initial de la Cedeao pour maintenir son influence via un franc CFA rénové, déguisé en monnaie ouest-africaine souveraine.
Créer un maximum d’emplois
Ces questions et ces points de vue sont pertinents, mais ils sont aussi réducteurs. Sur le plan économique, j’entends très peu parler des possibilités pour l’unification monétaire d’impulser une transformation structurelle dans l’espace Cedeao avec, comme locomotive, l’économie nigériane souvent réduite à son secteur pétrolier et gazier alors que la taille de sa population (environ 214 millions d’habitants en 2020) est un facteur puissant de développement agricole, industriel et d’une grande variété de services par le jeu des économies d’échelle.
Or l’une des clés pour les perspectives économiques de l’Afrique de l’Ouest dans les prochaines décennies réside dans la capacité de la région à produire en son sein les biens et services qui seront nécessaires à sa population en forte croissance.
S’il y a bien une priorité vitale pour la région, c’est de créer un maximum d’emplois et d’opportunités de revenus aujourd’hui et demain pour ses dizaines de millions de jeunes. Nombre d’entreprises européennes, chinoises, américaines, turques ou indiennes l’ont compris depuis longtemps et ont l’œil rivé sur la croissance du marché nigérian et ouest-africain. Ils savent que même les plus pauvres consomment beaucoup, dès lors qu’ils sont très nombreux.
Il faut ajouter les classes moyennes urbaines aussi en forte croissance. L’enjeu économique de l’intégration régionale, c’est la possibilité d’en faire un moteur de dynamisation et de transformation des économies réelles au profit des populations ouest-africaines.
Quant à l’enjeu politique de la monnaie unique, qui est à mon sens encore plus important, c’est l’approfondissement de la solidarité et, in fine, la construction d’un espace de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest. Plus on renforce des liens entre les États, plus on se dispute dans des réunions, plus on se fréquente, plus on se connaît, et moins on a envie de se faire la vraie guerre.
C’est en cela que le débat sur les critères de convergence à satisfaire par les États avant de lancer l’eco ou sur l’appréciation des coûts et bénéfices de la monnaie unique n’est pas le plus important.
Mauvais timing ?
La monnaie unique à elle seule ne résoudra aucun des problèmes cruciaux des économies réelles. Elle peut en revanche être un puissant accélérateur de l’intégration politique et une parade à la fragmentation institutionnelle de l’espace ouest-africain.
Le souci est que personne ne semble y croire. Le drame actuel réside dans l’absence de leadership au niveau régional. Il n’y a personne pour porter le projet de l’eco, et les chefs d’État les plus passionnément francophiles ne sont pas les seuls en cause.
Si la Cedeao s’est dramatiquement affaiblie depuis une quinzaine d’années, c’est d’abord parce que le Nigeria, sa seule vraie puissance, s’est affaiblie, engluée dans ses crises sécuritaires et politiques internes. Son président actuel, le général à la retraite Buhari, qui avait déjà dirigé la fédération sous régime militaire il y a 37 ans, n’est certainement pas le plus intéressé par un agenda régional.
Rappelons-le : le Nigeria représente 70% du PIB de la Cedeao et 52% de sa population. Le Ghana et la Côte d’Ivoire sont loin. Sans impulsion nigériane, il n’y a simplement pas de perspective d’accélération du projet d’intégration.
Que la France ait quelque raison de se réjouir de la fragmentation institutionnelle et politique de la région est une chose. Qu’elle y contribue un peu, c’est probable. Que toutes les autres puissances moyennes ou grandes n’aient pas intérêt à ce que les blocs régionaux africains se renforcent au point de s’entendre sur les questions les plus stratégiques, c’est une évidence.
Mais si on abandonne la Cedeao, si souvent donnée en exemple à l’échelle continentale, à un affrontement improductif entre francophones et anglophones, ce sont les personnalités politiques de la région qui en porteront la responsabilité, et personne d’autre.
Je continue à croire au projet de monnaie unique de la Cedeao comme à un formidable accélérateur d’intégration politique, humaine et économique. Mais il faut admettre que c’est le pire moment pour lancer l’eco. La majorité des pays de la région sont en crise sécuritaire ou politique avec des incertitudes majeures également sur le plan économique post-Covid 19.
L’urgence est d’éviter une rupture totale de confiance au sein de la communauté. Et d’attendre qu’émergent des hommes, ou mieux, des femmes, qui voient loin et croient réellement à la possibilité de faire quelque chose de beau, de digne, de fort, d’exemplaire, dans cette partie du monde.
Par Louis CAMARA
SAINT-LOUIS ET NDAR OU LES DEUX FACES D'UNE MÊME MÉDAILLE
Amputer cette ville, lieu d’une symbiose trinitaire Négro-Africaine, Arabo Berbère et Judéo-Chrétienne Occidentale, de l’une quelconque de ses composantes, y compris au niveau symbolique de la dénomination, serait un coup porté à son identité
Dans un article récent, au demeurant d'excellente facture, le Professeur Fadel Dia, écrivain, ancien directeur du CRDS de Saint-Louis suggère d'abandonner le nom de Saint-Louis au profit de Ndar pour des raisons de conformité avec notre identité propre et d'adéquation aux paradigmes de l'Histoire en devenir.
Je voudrais en toute amitié répondre à l’éminent Professeur que « Ndar ou si vous préférez Saint-Louis-du-Sénégal*» n’est prête à renoncer ni à l’une ni à l’autre de ses dénominations et ce, conformément au vœu de la grande majorité des Saint-Louisiens/Doomu Ndar/.
En effet, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO sous ce label, notre cité tricentenaire ne peut se permettre de cracher dans la soupe et courir le risque de perdre ce statut enviable. Mais là ne réside pas la raison fondamentale de l’attachement des Doomu Ndar à ce nom de Saint-Louis venu d’ailleurs, d’au-delà des mers. Comme le fait à juste titre remarquer le professeur Souleymane Bachir Diagne « Saint-Louis est une ville métisse et plurielle, cette caractéristique est inscrite dans son ADN et tout acte de nomination doit refléter le poème pluriel qu’elle est, sans en gommer aucune strophe ». Cela est l’évidence même : cette ville est le lieu d’une symbiose trinitaire Négro-Africaine, Arabo Berbère et Judéo-Chrétienne Occidentale dans l’ordre des strates historiques qui la fondent.
L’amputer de l’une quelconque de ses composantes, y compris au niveau symbolique de la dénomination, serait un coup porté à son intégrité, à son identité et à son authenticité.
Disons le sans ambages, débaptiser ou plutôt, éradiquer purement et simplement le nom de Saint-Louis au profit exclusif de celui de Ndar équivaudrait à vouloir faire du neuf avec du vieux ( Il ne faut pas oublier que le nom Ndar est antérieur à celui de Saint-Louis), et ne constituerait donc ni une cure de jouvence ni le signal fort d’une entrée dans une modernité souhaitée et souhaitable. C’est un peu comme si, sous prétexte de vouloir faire de Paris une ville du futur, l’on décidait de lui redonner son ancien nom de Lutèce, ce qui serait le comble de l’archaïsme vêtu des oripeaux d 'une modernité factice. Non, vraiment les Saint-Louisiens sont des Doomu Ndar et les Doomu Ndar sont des Saint-Louisiens. De la même manière, Ndar et Saint-Louis, Saint-Louis et Ndar ne sont que l’envers et l’endroit d’une même médaille. Que l’on ne vienne surtout pas nous accuser de faire dans l’ethnocentrisme insulaire et la fausse fierté identitaire, d’être des « Ndarolâtres » ou des suppôts du colonialisme ou de son avatar, le néo-colonialisme.
Les Doomu Ndar sont d’aussi fiers patriotes que n’importe quels autres Sénégalais et la mémoire collective retiendra aussi que c’est en terre Saint-Louisienne qu’est né « Moom sa Réew », le mouvement d’indépendance le plus radical du Sénégal d’alors. Les Doomu Ndar ont tous des racines dans le pays profond. Ils les connaissent, en sont fiers et ne rejettent aucune des composantes de leur identité. Comme l’écrit le Professeur Fadel Dia dans l’un des beaux passages de son article : « Saint-Louis c’est notre Amérique, le melting-pot où s’est formée une culture neuve, métissée, en rupture avec les ordres anciens.
Toutes ces raisons devraient inciter tout regroupement de Saint-Louisiens à être, non un cercle fermé, mais une communauté ouverte, sans exclusive, car on appartient à cette ville moins par la naissance que par la culture. C’est pourquoi nous devrions faire de Saint-Louis notre maison familiale, notre patrimoine commun, souhaiter que chaque Sénégalais (et chaque Sénégalaise) y ait un point d’ancrage. »
TOUT UN PROGRAMME !...
Saint-Louis, il est vrai, a aujourd’hui perdu son prestige de capitale d’empire et ne s’est jamais remise du transfert de ses attributs Dakar, elle a aussi perdu, et cela est bien plus grave, son rôle pôle économique et économique sous l’effet conjugué des catastrophes naturelles et des méfaits humains, au point d’être ravalée au rang de petite ville de province voire de gros bourg. Force est de le reconnaître, Saint-Louis, Ndar-Géej, n’est plus que l’ombre d’elle-même et nombre de Doomu Ndar nostalgiques d’un passé révolu n’ont plus que leurs yeux pour pleurer sa splendeur évanouie dont l’ultime refuge est peut-être l’imagination des poètes. C’est triste mais vrai, la culture raffinée et composite qu’avait su créer Ndar (et qu’on lui a parfois même reprochée, pointant du doigt le maniérisme de ses habitants) a presque totalement disparu. Les vestiges qu’il en reste se meurent à petit feu, à l’ombre des vieilles bâtisses coloniales, rongés par le sel, l’humidité, la pauvreté et la négligence coupable des politiques mais aussi par l’ingratitude de ses enfants les plus favorisés par le destin qui, le plus souvent, ont préféré lui tourner le dos et n’y reviennent malheureusement que les pieds devant. Mais tout ceci n’est pas une raison pour baisser les bras et céder au découragement ou succomber au chant mortifère des sirènes de la nostalgie. Il y a plutôt lieu de se retrousser les manches et de travailler sans relâche pour faire de Saint-Louis une ville résolument tournée vers l’avenir, une ville où il fait bon vivre et, pour reprendre les mots du poète Senghor « poreuse à tous les souffles du monde ». Cela seul pourra faire retrouver à Ndar, la belle endormie, son sourire radieux et son lustre d’antan.
Dans cette marche en avant de leur vieille cité, patrimoine du Sénégal, de l’Afrique et du monde entier, les Saint-Louisiens se doivent d’assumer pleinement leur passé, rester fiers de leur histoire dans sa globalité et ne rejeter aucun des éléments constitutifs de leur identité. Autant il leur faudra veiller à consolider leurs racines profondes, qu’ils ont en commun avec leurs compatriotes, autant il leur faudra être ouverts au monde et rester arrimés aux grands principes de la fraternité humaine et de l’universalité. C’est aussi la raison pour laquelle il est, à mon humble avis, impensable de vouloir « enterrer Saint-Louis, qui est le nom de plusieurs dizaines de villes dans le monde », ce qui du reste constitue pour elle un gage supplémentaire d’universalité et qui garantit son statut de site du patrimoine de l’humanité. C’est le lieu de rappeler l’existence du beau jumelage entre Saint-Louis-du-Sénégal et Saint-Louis-du-Missouri, la ville du Blues, majoritairement peuplée de descendants d’Africains et, comme sa jumelle, située à l’embouchure du grand fleuve Mississipi où s’élève majestueusement le Gateway Arch, ouvrage d’acier qui n’est pas sans rappeler notre pont Faidherbe.
Et puis, Ndar n’est pas la seule ville au monde à être dotée de deux noms : sans être géographe, je pourrais citer de mémoire la ville de Porto-Novo/Ajashé au Bénin dont la première appellation est Portugaise est la seconde Yorouba. Les habitants de cette ville d’Afrique de l’ouest la désignent indistinctement par l’un ou l’autre de ces deux noms sans que cela ne dérange personne. L’autre problème soulevé par l’article du professeur Dia est celui de la charge symbolique intrinsèque liée au nom Saint-Louis. En effet, Saint-Louis n’a pas été comme beaucoup le pensent, baptisée au nom du roi Louis XIV sous le règne duquel elle a été fondée. Ce dernier n’était pas, loin s’en faut, un saint et la vieille ville porte plutôt le nom du roi Louis IX qui, lui, en était un vrai, et a été canonisé par l’église catholique en la personne du pape Boniface VIII le 4 Août 1298.
Effacer son nom de l’histoire de la ville serait à coup sûr porter atteinte à la sensibilité d’une communauté religieuse qui, si minoritaire soit-elle, a toujours joué et continue de jouer un rôle important dans la bonne marche de Saint-Louis. Après tout, Saint-Louis n’est pas Léopoldville et si les Congolais ont eu mille fois raison de gommer de leur histoire le nom de celui qui fut leur pire bourreau, il n’en va pas de même pour Saint-Louis roi de France qui fut un souverain exemplaire doublé d’un Saint et avec qui les Doomu Ndar n’ont aucun contentieux particulier. Encore heureux que Faidherbe n’ait pas eu l’idée de donner son nom à la ville qu’il a largement contribué à bâtir et qui se serait peut-être appelée Faidherbeville ! Cela aurait en tout cas largement justifié les doléances radicales des militants du mouvement « Faidherbe dégage » ! Mais nous n’en sommes pas là et le nom de ce Louis auréolé de sainteté ne porte pas les mêmes stigmates. Notre souhait est donc qu’il continue d’être le patron de cette ville qui fut aussi visitée par tant de soufis musulmans parmi les plus grands et qui demeure un symbole de cet œcuménisme annonciateur du fameux « dialogue Islamo-Chrétien ». Il est aisé de constater que les débats autour de la question de l’héritage colonial et de son impact sur les consciences collectives et individuelles occupent la une de la presse ces temps derniers. Ces débats sont parfois houleux voire teintés d’une certaine « agressivité », ce qui peut paraître normal au vu de l’importance des enjeux.
Néanmoins il faut savoir raison garder et éviter que ces échanges intellectuels, dont le but est d’éclairer la lanterne des lecteurs, ne virent à la polémique stérile et ne deviennent contre-productifs. Il serait peut-être plus utile de les recentrer et d’en poser les termes de manière plus apaisée et plus scientifique, sans passion ni ressentiment mais avec la lucidité qu’exige une approche objective des faits et événements de l’Histoire. Il nous faut tous continuer à pratiquer cette introspection critique qui est la base de tout dialogue constructifs et qui seule peut nous aider à nous désinhiber, à nous débarrasser des préjugés, complexes et clichés qui encombrent nos mémoires et les obscurcissent. La décolonisation des mentalités qui est d’abord une affaire collective se pose aussi au niveau individuel et nous enjoint à chacun, d’assumer tous les héritages qui composent et définissent nos identités plurielles.
En définitive, ce qu’il faut En définitive ce qu’il faut d’abord comprendre en ce qui concerne Saint-Louis, c’est qu’elle est le fruit de rencontres multiséculaires, d’une symbiose de cultures, de races, de religions et que son âme profonde est métisse, cosmopolite. Le nom de Saint-Louis doit continuer à faire écho à celui de Ndar dans une harmonie naturelle et sans fausse note. Je conclurai donc cette modeste contribution aux débats sur la place du patrimoine historique de Ndar par ces lignes admirables du professeur Fadel Dia : « L’important aujourd’hui, c’est de redonner à la vieille cité l’harmonie et la grâce dont avaient peut-être rêvé les plus inspirés de ses bâtisseurs ainsi que cette patine qui est la marque d’une longue existence (…). Il faut restituer* Saint-Louis à l’Histoire et rendre à Ndar ce qui lui appartient et qui non seulement survivra au pic des démolisseurs, mais pourrait encore remplir une enviable corbeille de mariage ou inspirer un risorgimento salvateur… »
• *« Ndar ou Saint-Louis-du-Sénégal si vous préférez », extrait de l’incipit de mon roman « Au dessus des dunes » • *restituer : je comprends ce verbe dans le ses de « faire retrouver sa place à… »
par Iba Der Thiam
DEVOIR D’INVENTAIRE DE LA PÉRIODE COLONIALE
Le dépassement nous permettra de débaptiser certains de nos rues sur lesquels trônent encore les noms de colonisateurs horribles. La part de responsabilité que nos ancêtres avaient dans des guerres qu’on leur a imposées, était malgré tout, considérable
Le Professeur Abdoulaye Bathily vient, dans un style frais et courtois, de répondre à tous ceux qui désiraient savoir si la statue de Faidherbe mérite d’orner nos rues, nos places publiques et nos édifices. Je voudrais marquer mon accord avec tout ce qu’il a dit et rendre hommage à son érudition et à son expérience. Dans le même sillage, nous posons la question suivante.
Quel bilan provisoire, peut-on dresser de la furie meurtrière et répressive qui s’est abattue sur le Sénégal pendant les années d’épreuves avec la nomination de Faidherbe à la tête de la colonie du Sénégal et les actions menées par lui-même et ses successeurs ?
Nous l’avions déjà dit, mais il faut le répéter, parce que c’est, important, André Demaison, hagiographe de la colonisation, exaltant les faits d’armes du Général Faidherbe, évalue à 20 000 morts, en 8 mois, le nombre de victimes de la répression féroce et brutale, que le Gouverneur du Sénégal avait exercée sur les populations
1 . Il le compare à Hannibal et le crédite d’avoir conquis 400 000 kilomètres carrés au bénéfice de la France, soit l’équivalent du double de la superficie actuelle du Sénégal. Faidherbe lui-même s’était donné pour modèles les conquistadors européens des Amériques qui furent d’inégalables éradicateurs du pauvre peuple indien d’Amérique.
Le Professeur Mamadou Diouf Ibn Tafsir Baba de Bargny déclare à son tour à la page 67 de son ouvrage que «Il (Faidherbe) avait combattu sauvagement les écoles coraniques édifiées dans les colonies françaises. Aussi avait-il brûlé, démoli et saccagé quarante mille (40 000) écoles coraniques»
2 . Ces chiffres, dont l’origine n’a pas été précisée, bien qu’impressionnants, ne prennent certainement pas en compte tous les paramètres des massacres et destructions que les pauvres populations sénégalaises ont eu à subir. Nous verrons qu’en 1903, au moment de l’inventaire des r e s - sources du continent africain, le Dr Barrot crédita Faidherbe d’avoir conquis « 60 0000 kilomètres»
3. Si cela e s t vrai, on est en droit de se poser la question de savoir à quel prix cet «exploit » attribué à quelqu’un qui aimait, semble-t-il, les Africains, a-til été réalisé ? Combien y a-t-il eu de morts au total ? Combien y a-t-il eu de blessés ? Combien y a-t-il eu de mutilés ? Combien de villages avaient été livrés aux flammes, avec leurs cases, leurs greniers, leurs infrastructures sociales, leurs lieux de Culte ? Combien de cimetières avaient été ouverts ou profanés ? Combien de puits avaient été empoisonnés, ensablés ou rendus inutilisables ? Combien de populations, ressentant l’humiliation, la défaite, la peur, l’insécurité, avaient préféré déserter la terre de leurs ancêtres, pour émigrer vers d’autres cieux, sans même apporter avec eux, le plus petit baluchon ? Combien de bœufs, vaches, chameaux, taureaux, chevaux, mulets, ânes, moutons, chèvres, volaille, avaient été, soit capturés, confisqués ou perdus à tout jamais, dans le tumulte général ? Combien y a-t-il eu de disettes et de famines, dès lors que le contenu des greniers avait été pillé ou emporté et que le bétail pouvant fournir de la viande avait été fortement razzié ?
Le Pr Mamadou Moustapha Dieng, qui a publié en 2015 à L’Harmattan «Famines, Disettes et Epidémies dans la Moyenne Vallée du Fleuve Sénégal : 1854-1945», signale, entre autres facteurs, les contrastes climatiques et leurs conséquences, mais aussi l’action de l’homme sur la nature en termes de disettes et d’épidémies dans cette partie du Sénégal. Bien que son étude ne couvre qu’une région, elle nous apprend la fréquence des épidémies de variole(page 48), les proliférations d’acridiens, l’absence presque totale de recettes de récoltes, de mil, de certaines années à Matam, par exemple ; les inondations et leurs méfaits, l’action des prédateurs nuisibles aux cultures, comme les phacochères, les singes et les mange-mil, en 1878 et 1881, par exemple, mais aussi, le rôle de l’homme, provoqué par les guerres, les destructions, les incendies, les mouvements de populations, etc.
A la page 191 de sa publication, il dresse de 1858 à 1898 un tableau des épidémies de variole en 1858, de fièvre jaune en 1859, de choléra en 1878 à Saint-Louis, Richard-Toll, Dagana, Podor, Saldé et dans le Fouta, en général. Les services sanitaires avaient, en plus, enregistré des épidémies et des maladies contagieuses comme le béribéri, le paludisme, la méningite, la scarlatine, l’influenza, la peste, le tripanozomiase, la diphtérie, etc.
Tout naturellement, les zones rurales subissaient toutes ces calamités de plein fouet. Si la situation décrite dans ces intéressants travaux de monographie régionale était étendue à tout le Sénégal, on aurait une idée exacte des désastres et catastrophes occasionnés par cette furie meurtrière. Combien de champs avaient été délaissés, de cultures abandonnées, de pêcheries désertées ? Combien de familles avaient été disloquées, avec femmes et maris séparés, des enfants orphelins abandonnés, ou simplement perdus, parce que n’ayant plus aucune attache parentale ? Combien de communautés avaient été massacrées, leurs institutions foulées au pied, leur culture bafouée, leur dignité piétinée, leur avenir hypothéqué ? Combien de rêves avaient été anéantis ? Qui pourra, un jour, évaluer toutes les conséquences dans l’économie, la culture, dans les mentalités et les esprits, que ces événements avaient occasionnés par comparaison avec tout ce que la colonisation a réalisé au Sénégal ? Quels traumatismes les populations ont-elles eu à subir ?
Pourra-t-on un jour avoir une idée précise des conséquences exactes que tous ces événements avaient eu sur l’environnement, la faune, la flore, le cadre de vie, les activités professionnelles, la production, les courants d’échanges, le commerce, les diasporas marchandes, les voies de communication, les mines; sur les progrès économiques, sociaux et culturels accumulés depuis des siècles et sur le délabrement du Sénégal au moment de la course au clocher au lendemain de la conférence de Berlin de 1884-1885 ?
Les populations africaines n’avaient comme armes, que des fusils à silex, ou à pistons et rarement des fusils à deux coups, achetés généralement en Gambie là où il en existait, et ne disposaient comme munitions, que de quelques dizaines de balles. Elles n’avaient, ni canons, ni cartes d’Etat-major, ni moyens de communication à longue distance, ni lunettes à longue vue, ni mines, ni fusils à tir rapide, ni artillerie, ni navires de guerre, ni flottille, ni chalands, ni méharies de dromadaires. Tout au plus, quelques arcs, quelques flèches, quelques lances, quelques sabres (voir en annexe la polémique sur cette dernière arme4), quelques couteaux, des gourdins, des cravaches, des massues, des couteaux, des poignards, etc.
Leurs principales armes étaient au nombre de six, dont nous avons déjà parlé. Le Sénégal et la France sont aujourd’hui des pays amis unis par une langue commune, une histoire commune et une fraternité d’armes ; deux pays partageant une coopération multiforme. Ils sont liés par des intérêts multiples et ont le devoir de préserver cet acquis, parce qu’il constitue un legs majeur pour les générations passées, actuelles et futures. Ils doivent préserver leurs bonnes relations dans le respect de l’égale dignité de leur peuple, le respect de leurs cultures respectives et de leurs valeurs réciproques. Pour réaliser ce noble dessein, nous devons faire preuve de capacité de dépassement.
C’est le dépassement qui nous permettra sans rancœur, ni acrimonie de débaptiser certains de nos rues, édifices et lieux publics sur lesquels trônent encore, de nos jours, les noms de colonisateurs horribles, violents, haineux, racistes, choisis par des autorités méprisantes et qu’aucun peuple africain ne devrait célébrer, pour mettre à leurs places, d’authentiques amis de l’Afrique comme le Comte de Volney, Brissot de Warville, Condorcet, William Wilberforce, William Pitt et les autres membres de la Société des Amis des Noirs avec Thomas Jefferson. La Fayette, l’Abbé Grégoire, le jeune Pasteur anglais Clarkson, Mirabeau, Madame Roland, Talleyrand, Clavières, etc., ou bien des Africanistes comme Delafosse, Martin et Becker, Pélissier, Yves Person, Monteil, Jean SuretCanale, Fage, etc.
Le chercheur qui voudrait s’intéresser aux origines du sous-développement du Sénégal et aux causes du retard, des complexes, des frustrations et traumatismes socio-culturels que ses populations ont accumulés ou subis, trouverait dans le tableau incomplet qui vient d’être esquissé, des mines de renseignements qui n’épuisent, hélas, nullement une problématique multisectorielle, large et complexe. La part de responsabilité que nos ancêtres avaient dans les situations décrites et dans la plupart des guerres qu’on leur a imposées contre leur gré, était, malgré tout, considérable. Devons-nous continuer d’occulter les fautes graves qui incombent à certains des acteurs sénégambiens de cette époque et mettre tous les torts, tous les massacres, toutes les destructions que ces évènements douloureux ont provoqués du côté des seuls colonisateurs ? Ne devons-nous pas regarder la réalité de face et faire courageusement et honnêtement notre autocritique ?
En se livrant à des querelles internes, à des affrontements fréquents pour des motifs qui n’en valaient pas toujours la peine et à des actes de prédations injustes au détriment des faibles, des sans défense et des démunis, au lieu de cultiver l’unité, la paix, la réconciliation, le pardon et la cohabitation pacifique et fraternelle, les populations locales avaient prêté le flanc à ceux qui ne cherchaient qu’à les diviser et à instrumentaliser leurs frustrations, leurs querelles et oppositions pour mieux les dominer et les exploiter.
En pratiquant à l’intérieur de certaines sociétés négro-africaines, l’esclavage qui, quels qu’en soient la forme et les modalités, a toujours été une privation de liberté et de dignité exercée par les plus forts sur les plus faibles ; en pratiquant l’injustice, la répression, l’exclusion, la marginalisation, la spoliation, le népotisme, la discrimination, le mépris, au détriment de certaines couches sociales pour des raisons que rien, ni personne ne peuvent valablement justifier ; en recourant systématiquement à la violence dans le traitement de certains différends, plutôt que de faire appel au dialogue et à la concertation, dans la paix et la sérénité ; en refusant de sceller l’entente et la solidarité pour des raisons d’intérêts personnels et d’égo à des moments où les forces du colonisateur ne pouvaient être vaincues que par la mobilisation optimale de toutes les ressources humaines sénégambiennes, n’avons-nous pas donné à ceux qui voulaient conquérir le Sénégal, l’occasion de réaliser leurs objectifs, des raisons de s’ingérer dans nos affaires intérieurs, de s’ériger en protecteurs des exclus et des faibles, au point que ces derniers préféraient vivre sous leur magistère, plutôt que sous celui de leurs propres frères ? Nous avons perdu notre souveraineté, parce que le rapport de forces était, certes, fortement en notre défaveur, mais aussi, parce que nous avons commis certaines fautes et excès. Nous avons pour cela, pendant des années, subi la domination et l’oppression de forces extérieures animées d’une volonté de conquête ferme, féroce et résolue. Ces évènements si douloureux soient-ils, renferment donc des leçons que les générations actuelles doivent méditer pour le présent et pour le futur.
Pour résister à l’agression extérieure, un peuple a besoin d’unité, de cohésion, d’intégration et de participations inclusives qui ne peuvent prendre racines que dans une atmosphère de paix, de calme, de confiance réciproque, de fraternité agissante et de respect mutuel de tous ses fils et de toutes ses filles.
1-C’est pourquoi, nous devons, désormais, considérer que tous ceux et toutes celles, qui ont lutté contre la colonisation extérieure pour l’indépendance et la souveraineté de leur patrie, la dignité de leurs populations et la préservation de leurs valeurs religieuses, culturelles positives comptent parmi les authentiques résistants du XIXe siècle.
2- Mieux, nous avons le devoir de reconnaitre que les résistants contre la colonisation extérieure sont tous des héros et des modèles et doivent être traités comme tels par les générations africaines actuelles et futures.
Ndiaga Isseu Dièye Diop, Djilé Fatim Thiam, Thierno Bachir, Maba Diakhou Ba, El Hadji Omar Foutiyou Tall, , Sidiya Ndaté Yalla Diop, Lat Dior Ngoné Latyr, Demba War Sall, Ahmadou Cheikhou de Ouro Madiwou, Amari Ndack Seck, Mohamed Amar, Limamoulaye Thiaw, Sounkari Camara, Alpha Molo Baldé, Alboury Ndiaye, El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba, Baïdy Katié, Ndiouma Diatt, El Hadji Abdoulaye Niasse, Fodé Kaba Doumbouya, Ibrahima Ndiaye, Fodé Sylla, Thiéba, Samory Touré, Alpha Yaya, Béhanzin, Moussa Molo Baldé et Souleymane Bayaga, etc., se battaient pour sauvegarder leur dignité et la souveraineté de leur pays. Ils n’étaient des adversaires, ni de l’Afrique, ni du Sénégal, mais du système colonial, qui cherchait à leur arracher leur patrie comme certains Européens l’avaient déjà fait au détriment d’autres peuples dans d’autres continents et à leur imposer une autre religion et une autre culture, au nom, disaient-ils, de la civilisation, du progrès, de la paix, de la justice et de la démocratie à l’Européenne ; des peuples qu’ils disaient, à tort, « arriérés », parce qu’ils n’avaient pas atteint leur niveau technologique, scientifique et militaire. Ces pages sombres de notre passé ne doivent plus continuer à nous diviser perpétuellement. Nous devons les dépasser.
Poussant plus loin la réflexion, ne devrions-nous pas faire notre introspection et réfléchir au rôle qu’on a fait jouer aux Spahis et aux Tirailleurs dans l’Histoire africaine, prendre l’initiative courageuse de dire à tous ceux dont ils ont été les adversaires dans les guerres coloniales africaines : « Nous nous sommes combattus dans un contexte de dépendance, où nous n’étions pas maîtres de notre destin, alors que nous appartenions, quelquefois, au même continent et à la même race. Nous avions les mêmes familles, les mêmes traditions, les mêmes coutumes, les mêmes valeurs, les mêmes langues, les mêmes religions. Mais, nous reconnaissons que vous avez été des résistants courageux et dignes de respect ».
3- Le moment n’est-il pas venu de solder ce passé et de réfléchir comme la France et l’Allemagne l’ont fait, sur ce lourd passif qui risque, sinon de hanter à jamais notre présent et notre avenir, du moins d’empêcher toute réconciliation sincère entre Africains d’une part, entre le Sénégal et les anciennes autres colonies françaises dans le monde, d’autre part ? C’est pourquoi, nous pensons que si la description des violences contenues dans certains actes d’irresponsabilité, d’égoïsme déjà évoqués, ou bien de compromission honteuse réveille en nous des souffrances légitimes, nous ne devons pas nous en arrêter à ces états d’âme, encore moins instruire des procès ou vouer aux gémonies tel ou tel acteur mis en scène.
L’Histoire n’est pas un tribunal. Ceux qui agissaient ainsi étaient des hommes de leur temps. Ils évoluaient dans un contexte colonial dont les mécanismes et le contrôle échappaient, quelquefois, à leur autorité, à leur pouvoir et à leur volonté.
Dans l’Ecole, dans l’Administration, dans l’Armée, on les avait soumis à un processus de décérébration et de recérébration pour formater leurs consciences et façonner des sujets totalement soumis au colonisateur, à sa vision, à ses valeurs et à ses intérêts. Tous ceux qui s’opposaient aux autorités établies étaient considérés comme des ennemis à abattre et traités comme tels. Mais, plus d’un siècle et demi après les douloureux événements décrits plus haut, le temps est venu de nous poser certaines questions, pour régler définitivement tous ces douloureux problèmes comme l’ont fait l’Allemagne et la France, tourner la page, fraterniser, nous aussi, même si nous n’oublions pas.
Du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, la nation africaine doit se serrer définitivement la main, le cœur libéré de toutes les rancunes du passé, pour œuvrer, désormais, à l’unisson, sincèrement et loyalement, à l’édification d’un monde de réconciliation, de dépassement, d’amour, de fraternité, de solidarité, de paix et de coopération entre nous d’abord, puis entre nous et le reste de la planète.
Si la France et l’Allemagne, après avoir perdu en 1914-1918, 8 500 000 morts et en 1939- 1945, 30 millions de morts, sans compter les mutilés et les dommages économiques, psychologiques, moraux, sociaux, culturels ou autres, ont pu transcender les ressentiments, la haine et la vengeance, au point de constituer aujourd’hui les deux locomotives de l’Union Européenne, à travers une coopération exemplaire s’exprimant par une amitié et une confiance inoxydables et par des manifestations de fraternisation, des inaugurations d’ouvrages de réconciliation, le jumelage des écoles et des villes et l’édification de projets communs, l’érection de stèles, de nécropoles, de musées, de monuments, des actes et symboles de paix (toutes choses qu’il faut saluer et dont il faut se réjouir) ; si elles ont élaboré une coopération fondée sur le dépassement, la réconciliation sincère et la solidarité agissante, n’est-il pas temps pour les Spahis et Tirailleurs sénégalais ou leurs descendants de faire autant vis-à-vis de tous les peuples et pays qu’ils ont eu à combattre pendant les XIXe et XXe siècles au service de la colonisation française?
Le moment est bien venu de réfléchir sereinement à tout ce qui nous a, jadis, séparés. Le moment est venu de faire preuve de dépassement. Le moment est venu de tourner la page (nous le répétons à dessein), non pour oublier mais pour relativiser et pour œuvrer, désormais, à un monde de réconciliation, d’amour, de fraternité, de solidarité, de paix et de coopération fraternelle. 4- C’est dans la réconciliation et le dépassement que nous édifierons un monde de paix, d’amour, de fraternité, de confiance retrouvée et d’unité. Les affrontements et violences qui nous ont, dans le passé, opposés ne doivent-ils pas être, désormais, considérés comme des motifs nouveaux et des raisons supplémentaires de bâtir ensemble ce monde de réconciliation, de paix, dont l’humanité actuelle a tant besoin ? C’est à nous, héritiers, par notre africanité des Spahis et des Tirailleurs sénégalais, hommes politiques et responsables administratifs de nos peuples, qu’incombe la mission historique de déconstruire ce que nos ancêtres ont construit, jadis, pour bâtir une humanité enfin réconciliée avec elle-même et unie dans la fraternité et la paix.
En ce qui concerne le rôle que les Spahis et les Tirailleurs Sénégalais ont joué dans les deux guerres mondiales, celle de 1914-1918 et celle de 1939-1945, rôles qui leur ont valu d’être distingués comme des acteurs authentiques dans l’avènement du Monde Libre, en participant à la défaite du fascisme, du nazisme et du militarisme, il doit continuer d’être magnifié.
Le sacrifice des soldats tombés au champ d’honneur ne doit jamais être oublié. Parce qu’ils s’étaient investis dans des causes justes, en contribuant aux combats destinés à libérer un peuple dominé et envahi injustement, pour qu’il retrouve son indépendance et sa dignité, les Tirailleurs et les Spahis Sénégalais devraient continuer à les célébrer avec tout l’éclat qui convient. Cette situation est totalement différente des guerres coloniales qui, dépouillées de tout humanisme, poursuivaient des objectifs de domination, d’occupation et d’exploitation. Il est temps que nous fassions la part de choses. Le Sénégal, une fois encore, aurait assumé sa vocation de précurseur qui ouvre la voie aux générations actuelles et futures et aurait, ainsi, donné une nouvelle leçon d’humanisme, de responsabilité, de réconciliation (nous le répétons à dessein), de dépassement, de fraternisation, pour tout dire, de paix et de pardon au monde entier.
Le tableau qui vient d’être dressé sur le rôle que Faidherbe a joué dans l’Histoire du Sénégal est loin d’être complet. Il ne prend pas en compte ni son action administrative, ni son action culturelle et politique, ni son action économique, ni son action militaire. Il n’était pas fait pour cela. Faidherbe avait exercé les fonctions de Gouverneur pendant onze (11) années. Mais, sa présence au Sénégal qui avait commencé en 1852, avait duré au total 13 années. Lorsqu’il quitta le pays où il avait passé moins de temps qu’en Algérie, (où il séjourna pendant 15 années), la ligne politique qu’il avait définie et mise en œuvre était si forte, si puissante et si profonde, qu’elle resta en vigueur bien après son départ, comme nous l’avons déjà dit, à cause du mythe qu’il avait créé sur sa personne, de l’expertise et de la vision du Sénégal dont on le créditait dans les hautes sphères de la colonisation. Elle continua de guider et d’inspirer tous ceux qui lui avaient succédé. Nous le répétons à dessein, parce qu’il s’agit d’une idée forte.