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2 mai 2025
Opinions
Par Yoro DIA
G5 SAHEL, SOUVERAINETÉS CONFINÉES
Être du G5 ou pas n’a pas pour le Sénégal une importance stratégique. Au lieu de discuter du sexe des anges, veillons à nous donner ici et maintenant et dans le temps les moyens de sécuriser notre territoire !
«L’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents, elle n‘a que des intérêts permanents.»
Ainsi parlait Lord Palmerston qui a été ministre de la Guerre, ministre des Affaires étrangères, ministre de l’Intérieur et en enfin Premier ministre de la Grande Bretagne.
Revisiter l’œuvre de Lord Palmerston est fort intéressant pour comprendre les relations ambiguës entre le Sénégal et les pays du G5 Sahel. Ces relations concernent à la fois notre politique extérieure, celle de notre défense et de notre sécurité intérieure, ces ministères régaliens qu’a eu à occuper Lord Palmerston avant d’aller au 10 Downing street.
Lord Palmerston (Premier ministre de 1855 à 1858) avait compris bien avant Winston Churchill (Premier ministre de 1939 à 1945) que l’Angleterre, avec ou sans alliés, devait se donner les moyens de défendre son île. Cette grande sagesse stratégique a sauvé l’île face à l’ouragan Napoléon, mais aussi et surtout face aux hordes nazies qui avaient soumis presque toute l’Europe comme l’empereur des Français.
Avec le sommet du G5 de Nouakchott, le débat sur l’absence du Sénégal dans le G5 va encore se poser. Ce débat n’a pas beaucoup d’intérêt. Conformément à la sagesse stratégique de Palmerston, la question qui s’impose est celle-ci : G5 Sahel ou pas, est-ce que notre pays s’est donné les moyens d’assurer sa sécurité ? Certains pays du G5 Sahel qui ont choisi de sous-traiter leur sécurité à la France et l’Onu vivaient un confinement de leur souveraineté bien avant que le coronavirus ait popularisé le mot.
En dehors du Tchad qui s’est donné les moyens de sa politique sécuritaire et de la Mauritanie que les jihadistes semblent contourner comme le Burkina au temps de Compaoré, les pays du G5 Sahel ne s’en sortent pas du tout sur le plan sécuritaire. La France mise sur les coups d’éclats (élimination de Droukdel) et les jihadistes misent sur le temps et la lassitude.
C’est comme en Afghanistan où les Talibans ont fini par avoir les Américains à l’usure, en faisant du temps leur plus grand allié. Dans le Sahel, les jihadistes ont la même stratégie : miser sur l’usure et les alternances politiques qui sont inhérentes à toutes les démocraties. C’est pourquoi être du G5 ou pas n’a pas pour le Sénégal une importance stratégique. Au lieu de discuter du sexe des anges, veillons à nous donner ici et maintenant et dans le temps les moyens de sécuriser notre territoire !
Aussi bien la France que l’Onu et les bailleurs de fonds ne sont pas loin de la lassitude face l’insoluble question du Sahel qui est pour la France une question de politique extérieure, alors que c’est un problème de sécurité nationale pour le Sénégal qui n’a d’autre choix que d’aider le Mali à contenir les jihadistes. Donc au-delà d’aider le Mali, il est de notre intérêt que notre armée soit présente au Mali pour contenir les jihadistes, qu’il est préférable de combattre à Mopti, Gao, plutôt qu’à Kidira ou à Kédougou. La France peut se retirer, mais on ne peut déplacer le Mali ou faire déménager le Sénégal.
C’est peut-être pour cela que Bismarck disait : «Un pays subit sa géographie, mais fait son histoire.» Géographiquement, nous sommes du Sahel, être ou ne pas être membre du G5 Sahel relève d’options politiques conjoncturelles, mais avoir le sens de l’histoire consiste à se donner les moyens de défendre son pays avec ou sans alliance. C’est cette sagesse qui nous a permis de gagner la guerre en Casamance et de sauver notre pays de la partition qui guette le Mali s’il continue de sous-traiter sa sécurité.
par l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
LE GÉNÉRAL MACKY DÉPOSE LES ARMES
Les autorités font le constat d’un relâchement général de la population qui ne semble plus avoir peur de la contagion. Du côté du MSAS, aucun dispositif de riposte approprié n’est envisagé après les mesures d’assouplissement du président
A la date du 29 juin où le président de la République, Macky Sall, a pris la parole pour la 4e fois en 4 mois de pandémie, le Sénégal comptait 6 698 cas confirmés dont 788 communautaires, 4 341 guéris, 108 décès, 2 248 sous traitement et 27 cas graves sous assistance respiratoire. L’on pensait que le discours allait être catalyseur pour remobiliser les Sénégalais qui ont versé dans un relâchement quasi-généralisé dans l’observance des mesures barrières mais que nenni. On avait remarqué durant dans les deux dernières semaines précédent le discours du Président en date du 29 avril, une inflation des cas de contamination et l’on pensait donc en toute logique que le Général allait changer de fusil d’épaule. C’était nous nourrir d’illusions car il a préféré livrer ses dernières armes de guerre : fin de l’état d’urgence, levée du couvre-feu, autorisation de certains rassemblements… Bref, il a ré-autorisé tout ce qui est propice à la propagation du virus !
Au moment où, avec l’assouplissement des mesures de restriction, l’on devait se sentir plus responsable dans l’observance des mesures de prévention puisque la pandémie est en pleine croissance, les Sénégalais renouent avec leurs vieilles habitudes insalubres qui détonnent avec la lutte contre la pandémie à coronavirus. Entre le 15 et le 28 juin, 1496 cas ont été enregistrés avec en moyenne 3 morts par jour soit le ¼ de l’ensemble des cas de contamination enregistrés depuis presque 4 mois où le Sars Cov-2 a fait son apparition au Sénégal. Par conséquent, la maladie est toujours dans sa phase ascensionnelle même si le ministre de la Santé et de l’Action sociale (MSAS), Abdoulaye Diouf Sarr, avait déclaré faussement, le 17 mai dernier, que le pic était atteint. Vu l’évolution en dents de scie de la maladie, on ne peut même pas soutenir que la phase plateau est atteinte avec un nombre de tests quotidiens qui n’a jamais atteint les 1500.
Relâchement effarant
Depuis le 11 juin où le président de la République, Macky Sall, a invité les Sénégalais à « vivre avec le virus », on a constaté un effet de flexibilisation dans les gestes barrières (masques, distanciation physique…), notamment dans les transports en commun et dans les lieux de commerce tels que les marchés, certaines pâtisseries et grandes surfaces. Sans compter une reprise de plus belle des cérémonies familiales !
Avant-hier, pourtant, dans son adresse à la Nation, le président Macky Sall a fait savoir au peuple que « la lutte contre la pandémie n’est pas encore finie, la maladie est toujours là et toutes les projections montrent que le virus continuera de circuler durant les mois à venir ». En conséquence de quoi, il a appelé à « une mobilisation de toutes et de tous, pour le respect des gestes barrières et le port systématique et correct du masque ». Hélas, aucune stratégie n’est préconisée par le général Sall pour remporter la guerre contre le coronavirus qui semble prendre le dessus sur nos troupes désemparées. Et aussi contre l’indiscipline des Sénégalais rétifs à l’observance des mesures barrières. Ainsi, dans les transports publics, les passagers sont assis côte à côte avec un risque de contamination élevé surtout qu’à l’entrée des véhicules, il n’y a pas de lavage des mains.
En sus, certains masques sous le menton hâblent sans arrêt favorisant les projections salivaires. Des salives qui constituent un facteur de propagation rapide du virus au sein des moyens de transport. Pourtant, il était retenu au moment de l’assouplissement des mesures prises lors de l’état d’urgence que le respect des gestes barrières restait de rigueur partout. Malheureusement,les autorités font le constat d’un relâchement général de la population qui ne semble plus avoir peur de la contagion. Certaines plages sont bondées, les terrains de sports pullulent de monde chaque après-midi, certains restaurants ou gargotes sont peu regardants sur les normes obligatoires de distanciation des clients. Hélas, il n’est pas surprenant de voir que la frange jeune de 16 à 39 ans est la plus touchée par la pandémie. Bref, l’atmosphère anxiogène du début de la pandémie semble effectivement avoir été oubliée par une bonne partie de la population.
La vente de masques, introuvables au début de la pandémie, est désormais en chute partout. Le Délégué général au pèlerinage à La Mecque, Abdou Aziz Kébé, inquiet de la situation, compare les récalcitrants qui refusent d’observer les mesures préventives à des bestiaux insouciants et défiant même Dieu. Ce qui est alarmant, c’est que c’est dans les quatre districts sanitaires de Dakar (ouest, nord, sud, centre) qui polarisent 3 678 cas à la date du 29 juin et à Touba 495 que les habitants respectent le moins les mesures barrières ! Mais ces populations ont-elles tort quand des personnalités de l’Etat rassemblent plusieurs dizaines de gens souvent sans masque, sans respect de la distance physique dans des endroits exigus pour distribuer des colis alimentaires ? Que non ! A Touba, le sentiment le plus partagé est le déni du covid-19 nonobstant les cas qui y pullulent avec leur cortège de décès. Si Dakar et Touba demeurent les clusters, c’est-à-dire les principaux foyers de propagations du virus, c’est dû principalement à leur forte démographie. Le pire est à craindre puisque les cas de contamination augmentent de jour en jour et le nombre quotidien de malades dépasse de loin celui des guéris. C’est ce qui fait aujourd’hui que notre pays se retrouve avec plus de 2000 hospitalisés.
La capacité en lits du Sénégal, qui n’excède pas 1000, est arrivée à un seuil de saturation qui obligerait les médecins à recommander à certains malades à rester chez eux pour y recevoir les soins nécessaires. D’ailleurs, le ministre Abdoulaye Diouf Sarr, dans sa litanie matinale de mardi, a parlé de cette possibilité si le cadre familial s’y prête. Malheureusement,la prise en charge extrahospitalière connait des défaillances puisque certains malades déclarent être laissés à leur propre sort. En outre, le danger que ces hospitalisations extramuros comportent est la propension à disséminer la maladie dans toute la famille car les mesures de confinement idoines sont difficiles à observer si l’on en prend en compte la configuration de nos maisons. Et il expose le malade à une stigmatisation familiale voire communautaire.
En outre, notre système de santé ne dispose pas de plus 50 lits chauds
Ce qui condamne à mort les patients sous assistance respiratoire. Le nombre de cas sévères, qui justifient l’admission des patients dans les services de réanimation, est supérieur aux capacités logistiques globales de notre système hospitalier. Et assurément, le manque de respirateurs est un facteur de multiplication des décès chez les malades graves qui doivent être intubés et ventilés. Le professeur Seydi avait prévenu que si nos hôpitaux étaient débordés, on risquerait d’assister à un nombre de morts impressionnants même si le covid-19 est une maladie bénigne. Cette situation macabre qu’il avait prévue commence à être vécue malheureusement. Hélas, du côté du MSAS, aucune mesure de riposte appropriée n’est prise après les mesures d’assouplissement du président.
La stratégie de communication devait changer, évoluer en fonction de la nouvelle situation. Mais l’on se rend compte que la communication gouvernementale qui, en réalité, n’est qu’un compte-rendu lassant et immuable dans la forme, se limite à la livraison des résultats des examens virologiques au quotidien. Aucun changement de stratégie dans la sensibilisation. C’est là où le discours présidentiel a péché. Le président Sall a évoqué la dangerosité de la maladie, indiqué les clusters mais a omis de dire la stratégie pour endiguer voire vaincre cette pandémie. La proclamation des résultats virologiques a fini par indifférer une bonne partie des Sénégalais qui, au début de la pandémie, collaient l’oreille à leur poste de radio chaque jour. L’on a comme impression que la gestion de la pandémie échappe de plus en plus au ministre Diouf Sarr qui multiplie les erreurs dans les prises de décisions et exacerbe la colère de plusieurs doctorants qui se sentent exclus dans la distribution des indemnités allouées au personnel soignant. Le courroux du Khalife des Tidianes Serigne Babacar Sy, qui parle de « démission de l’Etat », est bien fondé.
Où sont passés les 78 milliards du fonds de riposte ?
Dans le fonds de résilience, 64 milliards avec une rallonge de 14 milliards ont été décaissés pour renforcer la riposte contre le covid19. Certainement, il doit s’agir des 14 milliards que la Banque mondiale a débloqués pour soutenir le plan de riposte contre le covid-19. Chaque semaine, l’Etat décaisse deux milliards pour le covid-19. Où est passé tout cet argent à part la prise en charge des patients ? Qu’on ne parle pas de matériels achetés ! Qu’on ne parle pas du paiement des hôtels réquisitionnés pour recevoir les cas suspects puisque ces derniers sont payés avec les fonds alloués au secteur du tourisme.
Le Sénégal a reçu beaucoup de dons de masques et autres équipements et matériels médicaux venant du Maroc et de la Chine. Jack Ma, l’homme d’affaires chinois fondateur du Groupe Ali Baba, a offert au Sénégal 100 000 masques, 1 000 combinaisons de protection à usage médical, 1000 écrans faciaux et 20 000 kits de test. Par ailleurs, le Groupe BGI, producteur chinois de kits de test, a fait un don de 500 kits du Covid-19 à notre pays. Le royaume chérifien a tenu à accompagner le Sénégal dans la lutte contre la pandémie en lui offrant 8 millions de masques, 900.000 visières, 600.000 charlottes, 60.000 blouses, 30.000 litres de gel hydro-alcoolique, 75.000 boites de chloroquine et 15.000 boites d’azithromycine.
Le président Sall a préféré passer sous silence dans discours-bilan l’utilisation de l’argent du covid-19. Il a aussi relativisé les manquements et errements de ses ministres de la Santé et de l’Equité territoriale. Certains médecins en première ligne se frottent les mains avec les indemnités dont ils bénéficient au fur et à mesure que la pandémie progresse. Le coronavirus est devenu un coronabusiness au vu et au su de ce qui se passe au MSAS. Et c’est là toute l’importance et la pertinence qu’il faut accorder à la question d’actualité de la députée Aïda Mbodj adressée au président de l’Assemblée nationale pour entendre Diouf Sarr et Mansour Faye sur les fonds débloqués par la gestion de la pandémie et la distribution des kits alimentaires. Malheureusement le 26 juin dernier, la majorité mécanique de l’Assemblée nationale a préféré, à la place d’une reddition des comptes, adopter un projet de résolution pour magnifier hypocritement le travail « abattu » par le MSAS dans le cadre de la lutte contre le covid-19 en attendant de décerner un satisfecit à Mansour Faye pour gestion efficace et transparente de la distribution des colis alimentaires et la médaille des épidémies au général. Ce même s’il a déposé ses dernières armes.
LU BEES AVEC RENÉ LAKE ET OUSSEYNOU NAR GUEYE
VIDEO
LA GENTRIFICATION DE LA PRESSION FONCIÈRE AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SENEPLUS - C'est la course à l'accession à la propriété immobilière urbaine, avec des montées de fièvre récurrentes encore illustrée par des litiges fonciers - Aux USA comme au Sénégal, les cas de Covid augmentent de manière exponentielle
Réalisation et montage Boubacar Badji |
Publication 01/07/2020
Lu Bees avec René Lake à Washington et Ousseynou Nar Gueye à Dakar : Pression foncière immobilière continue au Sénégal et regain de la pandémie Covid-19 aux USA avec une riposte contrastée selon les États
Dans ce numéro de Lu Bees, Ousseynou Nar Gueye pointe la "gentrification" de la pression foncière au Sénégal, poussée par les bourgeoisie moyenne et haute qui font la course à l'accession à la propriété immobilière urbaine, avec des montées de fièvre récurrentes encore illustrée par les litiges fonciers concernant le littoral dakarois, Gadaye dans la banlieue dakaroise ou Ndingler dans la région de Mbour. Tous les Sénégalais peuvent t-ils raisonnablement aspirer à posséder un toit en milieu urbain ou faut-il revenir à une politique locative d'un parc de logements à loyer modéré promu par les villes ?
Du côté de l'Amérique, René Lake souligne ce paradoxe du nouveau continent qui, avec 5% de la population mondiale, fournit 25% du contingent d'infectés au Coronavirus au plan international. Les réponses des États de l'Union sont diverses et souvent opposées, balançant entre retour au confinement strict et rejet du port obligatoire du masque barrière. Il fait le parallèle avec la récente levée du couvre-feu au Sénégal, alors que la courbe des contaminations ne baisse pas, pas plus quaux États-unis.
Lu Bees, un partenariat audiovisuel hebdomadaire du mercredi entre Seneplus et Tract.sn. Réalisation et montage assurés par Boubacar Badji.
par Achille Mbembe
QUE FAIRE DES STATUES ET MONUMENTS COLONIAUX ?
Il y a quelque chose de profondément offensant à voir ces masques d’un potentat racial (le potentat colonial) trôner au centre de nos villes africaines, parfois même sur la Place de l’Indépendance, si longtemps après notre prétendue émancipation
Le texte ci-dessous a été préalablement publié en 2006 dans le quotidien camerounais, Le Messager.
Les mêmes toujours les mêmes qui refusent d’entendre diront qu’il y a des choses plus urgentes à faire que de se préoccuper, maintenant, des reliques, effigies et autres monuments laissés par la colonisation. Les mêmes feront valoir que le passé est passé et qu’il faut le restituer au passé. Ils affirmeront qu’au lieu de s’en prendre aux statues érigées par l’État colonial, les Africains feraient mieux de s’attaquer aux » vraies » questions, celles que leur impose le présent la production agricole, la bonne gouvernance, les finances, les nouvelles technologies, ou encore la santé, la nutrition et l’éducation, bref ce que, depuis près d’un demi-siècle, les Nègres s’échinent, souvent sans réfléchir, à épeler : le » dé-ve-lo-ppe-ment « . D’autres encore iront plus loin. Ils diront que si et seulement si les indigènes s’étaient montrés capables de préserver le peu que la colonisation leur a laissé, ils se porteraient sans doute mieux aujourd’hui. Or, à peine leurs anciens maîtres partis, ils se sont attelés à détruire l’héritage que ces derniers leur ont si gracieusement légué.
Zélotes de l’amnésie
De tels raisonnements auxquels d’ailleurs de nombreux Africains souscrivent – ont toutes les apparences du bon sens. Ils reposent pourtant sur de fallacieux présupposés.
Et d’abord, ceux qui préconisent l’amnésie sont incapables de nommer la sorte d’oubli qu’ils nous recommandent. S’agit-il d’un oubli sélectif ou s’agit-il vraiment de tout oublier du passé tout le passé ? À quelle autre communauté humaine cela a-t-il jamais été prescrit ? Supposons, un instant, que cela soit possible : comment, dans de telles conditions d’amnésie radicale, pourrons-nous répondre de notre nom, c’est-à-dire assumer, en toute connaissance de cause, notre part de responsabilité et d’implication dans ce qu’a été notre histoire ? Par quels signes reconnaîtrons-nous ce que notre présent est capable de signifier ? Car, même s’il est vrai qu’une distance relative par rapport au passé est absolument nécessaire pour » faire la paix avec le passé » et ouvrir le futur, le passé n’appartient jamais qu’au seul passé.
C’est l’une des raisons pour lesquelles la plupart des sociétés humaines portent un tel souci pour leur histoire et mettent tant de soin à s’en souvenir à travers des commémorations et, davantage encore, par la mise en place de maintes institutions chargées d’activer la créativité culturelle et de gérer le patrimoine national (musées, archives, bibliothèques, académies). Au demeurant, il n’existe de communauté proprement humaine que là où la relation au passé a fait l’objet d’un travail conscient et réfléchi de symbolisation. Plutôt que d’oublier tout le passé, c’est ce travail (critique) de symbolisation du passé (et donc de soi-même) que les Africains sont invités à effectuer.
Deuxièmement, les zélotes de l’amnésie se méprennent sur les multiples significations des statues et monuments coloniaux qui occupent encore les devants des places publiques africaines longtemps après la proclamation des indépendances. L’on sait que pour être durable, toute domination doit s’inscrire non seulement sur les corps de ses sujets, mais aussi laisser des marques sur l’espace qu’ils habitent et des traces indélébiles dans leur imaginaire. Elle doit envelopper l’assujetti et le maintenir dans un état plus ou moins permanent de transe, d’intoxication et de convulsion – incapable de réfléchir pour soi, en toute clarté.
C’est seulement ainsi qu’elle peut l’amener à penser, à agir et à se conduire comme s’il était irrévocablement pris dans les rets d’un insondable sortilège. La sujétion doit également être inscrite dans la routine de la vie de tous les jours et dans les structures de l’inconscient. Le potentat doit habiter le sujet de manière telle que ce dernier ne puisse désormais exercer sa faculté de voir, d’entendre, de sentir, de toucher, de bouger, de parler, de se déplacer, d’imaginer, voire ne puisse plus travailler et rêver qu’en référence au signifiant-maître qui, désormais, le surplombe et l’oblige à bégayer et à tituber.
Le potentat colonial ne dérogea guère à cette règle. À toutes les étapes de sa vie de tous les jours, le colonisé fut astreint à une série de rituels de la soumission les uns toujours plus prosaïques que les autres. Il pouvait, par exemple, lui être demandé de tressaillir, de crier et de trembler, de se prosterner en frémissant dans la poussière, d’aller de lieu en lieu, chantant, dansant et vivant sa domination comme une providentielle nécessité. La conscience négative (cette conscience de n’être rien sans son maître, de tout devoir à son maître pris, à l’occasion, pour un parent) cette conscience devait pouvoir gouverner tous les moments de sa vie et vider celle-ci de toute manifestation de la libre volonté.
L’on comprend que dans ce contexte, les statues et monuments coloniaux n’étaient pas d’abord des artefacts esthétiques destinés à l’embellissement des villes ou du cadre de vie en général. Il s’agissait, de bout en bout, de manifestations de l’arbitraire absolu. Puissances de travestissement, ils étaient l’extension sculpturale d’une forme de terreur raciale. En même temps, ils étaient l’expression spectaculaire du pouvoir de destruction et d’escamotage qui, du début jusqu’à la fin, anima le projet colonial.
Mais surtout il n’y a pas de domination sans une manière de culte des esprits dans ce cas l’esprit-chien, l’esprit-porc, l’esprit-canaille si caractéristique de tout impérialisme, hier comme aujourd’hui. À son tour, le culte des esprits nécessite, de bout en bout, une manière d’évocation des morts une nécromancie et une géomancie. De ce point de vue, les statues et monuments coloniaux appartiennent bel et bien à ce double univers de la nécromancie et de la géomancie. Ils constituent, à proprement parler, des emphases caricaturales de cet esprit-chien, de cet esprit-porc, de cet esprit-canaille qui anima le racisme colonial et le pouvoir du même nom comme, du reste, tout ce qui vient après : la postcolonie. Ils constituent l’ombre ou le graphe qui découpe son profil dans un espace (l’espace africain) que l’on ne se priva jamais de violer et de mépriser.
Car, à voir ces visages de » la mort sans résurrection « , il est facile de comprendre ce que fut le pouvoir colonial – un pouvoir typiquement funéraire tant il avait tendance à réifier la mort des Africains et à dénier à leur vie toute espèce de valeur. La plupart de ces statues représentent en effet d’anciens morts des guerres de conquête, d’occupation et de » pacification » des morts funestes, élevés par de vaines croyances païennes au rang de divinités tutélaires. La présence de ces morts funestes dans notre espace public a pour but de faire en sorte que le principe du meurtre et de cruauté qu’ils ont personnifié continue de hanter notre mémoire, de saturer notre imaginaire et nos espaces de vie, provoquant ainsi en nous une étrange éclipse de la conscience et nous empêchant, ipso facto, de penser en toute clarté.
Le rôle des statues et monuments coloniaux est donc de faire resurgir sur la scène du présent des morts qui, de leur vivant, ont tourmenté, souvent par le glaive, l’existence des Africains. Ces statues fonctionnent à la manière de rites d’évocation de défunts aux yeux desquels notre humanité compta pour rien – raison pour laquelle ils n’avaient aucun scrupule à verser, pour un rien, notre sang, comme du reste on le voit aujourd’hui encore, de la Palestine à l’Iraq en passant par la Tchétchénie et d’autres culs-de-sac de notre planète.
C’est la raison pour laquelle il y a quelque chose de profondément offensant à voir ces masques d’un potentat racial (le potentat colonial) trôner au centre de nos villes africaines, parfois même sur la Place de l’Indépendance, si longtemps après notre prétendue émancipation, alors même que du fait de notre complicité, les vaincus de notre propre histoire n’ont bénéficié d’aucune sépulture digne de ce nom, encore moins d’un ensevelissement à hauteur de notre prétention à être-homme.
À cause de ces masques de terreur maquillés en visages humains, nous continuons donc de vivre, ici même, chez nous, à l’ombre du racisme colonial dont on sait que l’idée première faisait de nos pays des contrées peuplées par une » sous-humanité « . Ces statues célèbrent, chaque matin de notre vie, le fait que dans la logique coloniale, faire la guerre aux » races inférieures » était nécessaire à l’avancée de la » civilisation « . Qu’autant de ces monuments soient consacrés à la gloire des soldats et des militaires indique à quel niveau de profondeur gît désormais, dans notre inconscient collectif, l’accoutumance au massacre. Tout y est donc, dans ces monuments de notre défaite : la célébration d’un nationalisme étranger guerrier et conquérant ; celle des valeurs conservatrices héritées des contre-Lumières et qui trouvent un terrain d’expérimentation privilégié dans les colonies ; celle des idéologies inégalitaires nées avec le darwinisme social ; celle de la mort réifiée qui accompagna l’ensemble ; et, aujourd’hui, l’abjection qui, partout nous poursuit, sans repos ni pitié, à l’étranger comme ici même, chez nous.
La réalité est que rien n’a été simple ni univoque dans l’attitude des nationalismes africains postcoloniaux à l’égard des reliques du colonialisme. Trois types de réponses ont vu le jour. Et d’abord, dans la foulée des conflits liés à la décolonisation ou encore à la faveur des bouleversements politiques dont ils ont fait l’expérience dans les années soixante-dix et quatre-vingt notamment, un certain nombre de pays ont cherché à se libérer des symboles de la domination européenne et à imaginer d’autres modes d’organisation de leur espace public. Pour bien marquer leur nouveau statut au sein de l’humanité, ils ont commencé par l’abandon des noms mêmes qui leur furent affublés au moment de la conquête et de l’occupation.
L’affaire du "nom propre "
L’idée était qu’en commençant par le nom, ils redevenaient non seulement propriétaires d’eux-mêmes, mais aussi propriétaires d’un monde dont ils avaient été expropriés. Au passage, ils renouaient les lignes de continuité avec une histoire longue que la parenthèse coloniale avait interrompue. En octroyant à l’ancienne entité coloniale de la Gold Coast le nouveau prénom de Ghana (ancien empire ouest-africain) ou encore en passant de la Rhodésie au Zimbabwe, voire de la Haute Volta au Burkina Faso, le nationalisme africain cherche, avant tout, à reconquérir des droits sur soi-même et sur le monde et, au passage, à précipiter l’avènement du "dieu" caché en nous.
Mais l’on sait également que ce souci du "nom propre" n’est pas allé sans ambiguïté. Pour des raisons plus ou moins apparentes, le Dahomey (nom d’un ancien royaume esclavagiste de la côte ouest-africaine), par exemple, est devenu le Bénin. D’autres pays ont cherché à redessiner leurs paysages urbains en rebaptisant certaines de leurs villes. Salisbury est devenu Harare au Zimbabwe. Maputo s’est substitué à Lourenço Marques au Mozambique. Léopoldville est devenu Kinshasa. De Fort Lamy, l’on est passé à Ndjamena, tandis que Fort Fourreau est devenu Kousseri, et ainsi de suite.
De manière générale cependant, l’on a conservé les grands repères architecturaux de la période coloniale. Ainsi, l’on peut se promener aujourd’hui sur l’avenue Lumumba à Maputo tout en admirant, dans le même geste, les bâtiments en bordure de l’avenue et qui constituent la parfaite expression de l’Art Déco transplanté dans leur colonie par le Portugal. La cathédrale catholique est, quant à elle, l’indice même d’une acculturation religieuse qui n’a guère empêché l’émergence d’un syncrétisme culturel des plus marqués. Ainsi, à Maputo par exemple, Karl Marx, Mao Tse Tung, Lénine cohabitent avec Nyerere, Nkrumah, et d’autres prophètes de la libération noire. Si la révocation des signes coloniaux a bel et bien eu lieu, celle-ci a donc toujours été sélective.
Mais c’est dans l’ex-Congo Belge que l’enchâssement des formes coloniales et nationalistes a atteint le plus haut degré d’ambiguïté. Ici, le » nativisme » s’est substitué à la logique raciste tout en récupérant, au passage, les idiomes principaux du discours colonial et en les ordonnant à la même économie symbolique : celle de l’adoration mortifère du potentat mais cette fois, du potentat postcolonial. D’abord, sous prétexte d’authenticité, le pays a été affublé d’un nouveau nom, le Zaïre. Paradoxalement, les origines de ce nom sont à chercher, non dans quelque tradition ancestrale, mais de la présence portugaise dans la région.
Ensuite, pour pénétrer l’univers onirique de ses sujets afin de mieux les tourmenter, le potentat postcolonial a décidé qu’il devait, tout comme le Bula Matari (l’État colonial) qui l’avait précédé, être pétri et sculpté. Le culte laïc voué à l’autocrate n’a pas seulement pris la forme d’énormes statues, puissances grotesques dans un métal de cruauté. Il s’est aussi traduit par la mise en place de toute une économie émotionnelle, mélange de séduction et de terreur, modulant à volonté le viril et l’amorphe, le vrai et le faux, utilisant l’il et l’oreille à la manière d’orifices dont la fonction est d’ouvrir, de manière viscérale, le corps tout entier au discours d’un » pouvoir africain » lui aussi habité, comme le pouvoir colonial, par l’esprit-chien, l’esprit-porc et l’esprit-canaille.
Une autre configuration, mélange de créativité et d’inertie, est l’Afrique du Sud, pays sans doute le plus urbanisé du continent, et où a sévi, jusque très récemment, le dernier racisme d’État au monde, après la Seconde Guerre mondiale. Depuis la fin de la suprématie blanche en 1994, les noms officiels des rivières, des montagnes, des vallées, des bourgades et des grandes métropoles ont peu changé. Il en est de même des places publiques, des boulevards et des avenues. Aujourd’hui encore, l’on peut rejoindre son lieu de travail en remontant l’avenue Verwoerd (l’architecte de l’apartheid) pour rejoindre son bureau, aller dîner dans un restaurant situé le long du boulevard John Vorster, rouler le long de l’avenue Louis Botha, se rendre à la messe dans une église située à l’angle de deux rues portant, chacune, le nom de quelque lugubre personnage des années de fer du régime raciste. Montés sur de grands chevaux, l’armée sinistre et rougeoyante des Kruger, Cecil Rhodes, Lord Kitchener, Malan et autres dispose toujours de statues sur les grandes places des grandes villes. Des universités, voire de petites bourgades portent leurs noms. Sur l’une des collines de Pretoria, capitale du pays, trône toujours le Vortrekker Monument, sorte de cénotaphe aussi baroque que grandiose érigé à la gloire du tribalisme Boer et célébrant le mariage de la Bible et du racisme.
De fait, il n’y a pas un seul petit aventurier blanc, creuseur d’or ou de diamants, pirate, tortionnaire, chasseur, ex-préposé à l’administration bantoue, ex-régisseur de prison, qui ne dispose d’une ruelle en son nom dans l’une ou l’autre des nombreuses bourgades du pays. Tous ces esprits vraiment infâmes et fangeux, habitués de leur vivant à toujours pencher vers ce qui est bas et abject (le racisme), aujourd’hui traînent dans tout le pays et jonchent sa surface, tel des âmes errantes et des ombres décevantes que l’histoire a pourtant rejeté. Ils ont tous laissé des traces ici, tantôt sur les corps des Africains qu’ils ont visités de brûlures et de flagellations (un oeil arraché par-ci, une jambe cassée par-là, au gré des mutilations, des répressions, des incarcérations, des tortures et des massacres), tantôt dans la mémoire des veuves et des orphelins qui ont survécu à tant de violence et de brutalité.
La toponymie est telle qu’à se fier aux noms des villes et de nombreuses bourgades, l’on se croirait non en terre africaine, mais dans quelque contrée obscure de la Hollande, de l’Angleterre, du Pays de galles, de l’Écosse, de l’Irlande ou de l’Allemagne. Une partie des motifs architecturaux post-apartheid prolonge cette logique du dépaysement, comme l’indique bien la course à des modèles pseudo-toscans. Pis, de nombreux autres noms constituent, littéralement, autant d’insultes contre les habitants originaires du pays (Boesman-ceci, Hottentot-cela, et plus loin, Kaffir-et-consorts). La longue humiliation des Noirs et leur invisibilité sont encore écrites en lettres d’or sur toute la surface du territoire, voire dans certains musées.
Paradoxalement, le maintien de ces vieux repères coloniaux ne signifie pas absence de transformation du paysage symbolique sud-africain. En fait, ce maintien est allé de pair avec l’une des expériences contemporaines les plus frappantes de travail sur la mémoire et la réconciliation. De tous les pays africains, l’Afrique du Sud est en effet celui où la réflexion la plus systématique sur les rapports entre mémoire et oubli ; vérité, réconciliation avec le passé et réparation a été la plus poussée. L’idée, ici, est non pas de détruire nécessairement les monuments dont la fonction, autrefois, était de diminuer l’humanité des autres, mais d’assumer le passé comme une base pour créer un futur nouveau et différent.
Ceci suppose que les bourreaux qui, dans le passé, furent aveugles à la terrible souffrance qu’ils infligèrent à leurs victimes s’engagent aujourd’hui à dire la vérité au sujet de ce qui s’est passé – et donc à renoncer explicitement à la dissimulation, au refoulement ou au déni en contrepartie du pardon. D’autre part, ceci suppose de la part des » victimes » l’acceptation du fait que la réaffirmation de la puissance de la vie dans la culture et dans la pratique des institutions et du pouvoir est la meilleure manière de célébrer la victoire sur un passé d’injustice et de cruauté.
Tel est, au demeurant, le sens des processus de mémorialisation en cours. Ceux-ci se traduisent par l’ensevelissement approprié des ossements de ceux qui ont péri en luttant ; l’érection de stèles funéraires sur les lieux mêmes où ils sont tombés ; la consécration de rituels religieux trado-chrétiens destinés à » guérir » les survivants de la colère et du désir de vengeance ; la création de très nombreux musées (le Musée de l’Apartheid, le Hector Peterson Museum) et de parcs destinés à célébrer une commune humanité (Freedom Park) ; la floraison des arts (musique, fiction, biographies, poésie) ; la promotion de nouvelles formes architecturales (Constitution Hill) et, surtout, les efforts de traduction de l’une des constitutions les plus libérales au monde en acte de vie, dans le quotidien.
L’on aurait pu ajouter, aux figures qui précèdent, celle du Cameroun. Pris dans une commotion orgiaque depuis plus d’un quart de siècle, ce pays représente, pour sa part, l’anti-modèle de la relation d’une communauté avec ses trépassés et notamment ceux dont la mort est la conséquence directe des actes par lesquels ils s’efforçaient de changer l’histoire. Tel est, par exemple, le cas de Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kingue, Osende Afana et plusieurs autres. C’est que, ici, la conscience du temps est le dernier souci de l’État, voire de la société elle-même. Pressés par les impératifs de survie et minés par la corruption et la vénalité, beaucoup, ici, ne voient pas que cette conscience du temps et de l’histoire constitue une caractéristique fondamentale de notre être-humain. Ils ne voient pas qu’un pays qui » s’en fout » de ses morts ne peut pas nourrir une politique de la vie. Il ne peut promouvoir qu’une vie mutilée une vie en sursis.
Penser et lutter
La mémoire de la colonisation n’a pas toujours été une mémoire heureuse. Mais, contrairement à une tradition très ancrée dans la conscience africaine de la victimisation, de l’uvre coloniale il n’y eut pas que destruction. La colonisation elle-même fut loin d’être une machine infernale. De toute évidence, elle fut partout travaillée par des lignes de fuite. Le régime colonial consacra la plupart de ses énergies tantôt à vouloir contrôler ces fuites, tantôt à les utiliser comme une dimension constitutive, voire décisive, de son autorégulation. On ne comprend rien à la manière dont le système colonial fut mis en place, comment il se désarticula, comment il fut partiellement détruit ou se métamorphosa en autre chose si l’on ne saisit point ces fuites comme la forme même que prit le conflit. C’est ce que comprirent, à leur époque, ceux que le potentat postcolonial a relégués au statut de » rebelles « , » morts en surplus de l’histoire » (Um Nyobè, Lumumba et bien d’autres) et privés, à ce titre, de sépulture digne de ce nom.
La question, aujourd’hui, est de savoir préciser les lieux depuis lesquels il est encore possible de penser et de lutter. Comme on le voit en Afrique du Sud, ceci commence par une méditation sur la manière de transformer en présence intérieure l’absence physique de ceux qui ont été perdus, rendus à la poussière par le soleil du langage. Il nous faut donc méditer sur cette absence et donner, ce faisant, toute sa force au thème du sépulcre, c’est-à-dire du supplément de vie nécessaire au relèvement des morts, au sein d’une culture neuve qui ne doit plus jamais oublier les vaincus.
À cause de notre situation actuelle, une très grande partie de cette lutte porte, de nécessité, sur la critique de l’ordre général des significations dominantes dans nos sociétés. Car, face au désoeuvrement, il est facile de disqualifier ceux qui s’acharnent à penser de manière critique les conditions de réalisation de l’existence africaine, sous le prétexte qu’il faut en priorité nourrir les affamés et soigner les malades. L’accouchement d’une nouvelle conscience dépendra en effet de notre capacité à produire chaque fois de nouvelles significations. Il faut donc reprendre, comme tâche centrale d’une pensée toujours ouverte sur l’avenir, la question des valeurs non mesurables, de la valeur absolue celle qui ne peut jamais être réduite à l’équivalent général qu’est l’argent ou la force pure.
Car ce que, paradoxalement, nous enseignent la colonisation et ses reliques, c’est que l’humanité de l’homme n’est pas donnée. Elle se crée. Et il ne faut rien céder sur la dénonciation de la domination et de l’injustice, surtout lorsque celle-ci est désormais perpétrée par soi-même à l’ère du fratricide, c’est-à-dire cette époque où le potentat postcolonial n’a rien à proposer d’autre que l’évidence nue d’une existence dénudée. L’enjeu symbolique et politique de la présence des statues et monuments coloniaux sur les places publiques africaines ne peut donc être sous-estimé.
Que faire, finalement ? Je propose que dans chaque pays africain, l’on procède immédiatement à une collecte aussi minutieuse que possible des statues et monuments coloniaux. Qu’on les rassemble tous dans un parc unique, qui servira en même temps de musée pour les générations à venir. Ce parc-musée panafricain servira de sépulture symbolique au colonialisme sur ce continent. Une fois cet ensevelissement effectué, qu’il ne nous soit plus jamais permis d’utiliser la colonisation comme prétexte de nos malheurs dans le présent. Dans la foulée, que l’on se promette de ne plus jamais ériger de statues à qui que ce soit. Et qu’au contraire, fleurissent partout bibliothèques, théâtres, ateliers culturels tout ce qui nourrira, dès à présent, la créativité culturelle de demain.
Pape NDIAYE
MACKY ENFONCE UNE PORTE SANITAIRE DEJA OUVERTE
Avec la levée complète de l’état d’urgence, il n’est pas interdit d’avancer que la population risque de sauter sur mine pandémique dont les éclats feront sans doute des ravages communautaires
Hier, le président de la République Macky Sall a prononcé un énième discours… viral. Cette fois-ci, il a décrété la fin de l’état d’urgence déclaré au Sénégal depuis le 23 mars 2020 pour mieux lutter contre la pandémie du Covid-19.
Dans la foulée, il a levé définitivement le couvre-feu sur toute l’étendue du territoire à partir d’aujourd’hui, 23 heures. Entérinant une situation de fait. Car, le président de la République a enfoncé une porte de déconfinement total déjà ouverte. Ce, depuis les dernières manifestations contre ce couvre-feu à Dakar, Mbour, Mbacké, Touba, Thiès etc. Des manifestations qui avaient complètement fragilisé l’état d’urgence.
Sous la pression sociale, le président de la République avait dû écourter la durée du couvre-feu nocturne de 23h à 5 h du matin. Un couvre-feu qui avait déjà été ramené de 21h à 5h du matin après avoir été fixé à ses débuts à 20h pour se terminer à six heures du matin ! Pour en revenir au dernier format de ce couvre-feu que « Le Témoin » quotidien avait qualifié de « couvre-sommeil », les populations continuaient de repousser les « 23 h » au-delà par des violations flagrantes en cette période de chaleur.
Dans presque tous les quartiers de Dakar et sa banlieue comme Niary-Tally, Pikine, Thiaroye-gare, Parcelles Assainies, Guédiawaye, Rufisque, Hann-village, Ouakam, Colobane etc., les gens déambulaient dans les rues jusqu’au petit matin. Mieux, ils ne respectent plus les gestes barrières encore moins la distanciation sociale.
Dans les mosquées par exemple ! Pour preuve, lors des dernières prières collectives du vendredi, les fidèles n’ont pratiquement plus respecté la distanciation physique édictée par les autorités. Dans les transports en commun comme les Ndiaga-Ndiaye et cars rapides, les bonnes vieilles habitudes d’entassement ont repris. Sur les plages comme dans les lieux publics, les rares porteurs de masques les laissent pendre négligemment sur le menton c’est-à-dire au-dessous du nez et de la bouche qu’ils sont censés protéger. Le constat, le triste constat, hélas, c’est que les populations de Dakar et d’ailleurs n’ont pas attendu la levée de l’état d’urgence sanitaire pour reprendre leur vie normale en toute insécurité sanitaire.
A ce rythme, les mesures édictées n’avaient plus leur raison d’être. Pis, certains boulangeries, pâtisseries, fast-food et restaurants commençaient déjà à fonctionner jusqu’au petit matin c’est-à-dire au-delà de 23 heures.
Avec la levée complète de l’état d’urgence, il n’est pas interdit d’avancer que la population risque de sauter sur mine pandémique dont les éclats feront sans doute des ravages communautaires. A preuve, dès la fin du discours du président Macky Sall d’hier, les téléspectateurs et auditeurs n’ont retenu que la « fin du couvre-feu » qui sonne comme une délivrance. En effet, vous conviendrez avec nous ô combien nos compatriotes étaient pressés de se défaire de l’emprise de ce couvre-feu nocturne.
La propagation du virus, les gestes barrières, les masques, la contamination autour du thé nocturne etc., ils n’en ont cure ! Pour dire que personne ne croit plus vraiment à cette lutte contre le coronavirus et son cortège de morts. Quotidiennes.
Déjà 108 morts de covid 19 et des milliers de contaminés, la peur virale reste et demeure ! Mais la crainte de mourir de faim et de rater les vacances 2020 à cause du couvre-feu pourrait se dissiper. Sans compter la nécessité de préparer la Tabaski qui passe par l’obtention d’un bon mouton. Et pour les Sénégalais, c’est cela l’essentiel !
Par Mamadou Oumar NDIAYE
QUE VA FAIRE ABDOU KARIM FOFANA DANS LA GUERRE DES DIARAF À OUAKAM ?
un ministre de la République peut-il se permettre d’avaliser, voire de légitimer un coup de force provoqué par le fait qu’une partie, ou un individu, s’arroge le droit de disposer des biens de toute une communauté ?
Les pouvoirs publics, depuis la colonisation mais plus sûrement encore à partir de 1960, date de notre accession à la souveraineté internationale, se sont évertués à ne pas trop s’ingérer dans les affaires coutumières et religieuses. Ce qui fait que, généralement, ces communautés peuvent gérer leurs affaires en toute liberté.
En dehors de ce qui relève du domaine de la Loi ou de l’Administration, bien sûr. C’est pour cette raison en général, et s’agissant de la Collectivité léboue en particulier, que le Gouvernement ne s’est jamais mêlé de la désignation des Grands Serignes de Dakar. Il se contente de prendre acte et d’entériner les choix faits par la Collectivité.
Cette attitude de prudence ne devrait-elle pas prévaloir face à la guerre des Diaraf qui fait rage à Ouakam sur fond d’enjeux fonciers à centaines de milliards ? Il nous semble bien, en effet, que l’Etat, le ministre Abdou Karim Fofana en particulier, n’a pas à dire qui a raison dans cette querelle ni à choisir son camp. Les Ouakamois sont suffisamment grands et responsables et disposent des ressources pour résoudre cette crise qu’ils traversent. Au « Témoin », évidemment, nous ne sommes pas qualifiés pour dire lequel des quatre ( !) Diarafs qui s’y activent est le seul légitime. A supposer que, par extraordinaire, ils le soient tous ou, de la même manière, qu’aucun d’eux ne le soit, sur quoi s’est donc basé le ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique pour donner raison au Diaraf Youssou Ndoye et à son clan ?
Encore une fois, qu’on nous comprenne bien : nous ne soutenons nullement que cet ex-employé de la Sones ne soit pas un Diaraf légitime. Simplement voilà : il n’est pas le seul à Ouakam où un autre Diaraf, M. Oumar Samb Guèye notamment, peut lui aussi se prévaloir d’une légitimité apparemment incontestable. Dans ces conditions, un ministre de la République peut-il se permettre d’avaliser, voire de légitimer un coup de force provoqué par le fait qu’une partie, ou un individu, s’arroge le droit de disposer des biens de toute une communauté ? Car les terres de Ouakam sont indivises et appartiennent à tous les habitants. Elles ne peuvent être aliénées que de façon consensuelle. M. Abdou Karim Fofana pourra certes dire que ce n’est pas à son niveau que l’indivision a été levée mais avait-il à l’entériner ? D’une manière générale peut-on — et là on s’adresse à la Justice — permettre à une partie de lever une indivision alors qu’une autre partie au moins tout aussi nombreuse et puissante s’y oppose ? Là est tout le débat qui se pose à propos de ce fameux titre foncier N° 5007 DG ou 1751 NGA !
Du fait de la division de la communauté léboue de Ouakam, l’argent (1,3 milliard auquel vont s’ajouter 3,2 milliards représentant l’indemnisation de l’Etat pour les 2 ha pris pour la construction de la route de l’ANOCI) généré par l’exploitation de la carrière immatriculée sous le TF ci-dessus, cet argent est bloqué, aucune des deux parties qui s’opposent ne pouvant y accéder. Comment se fait-il donc que ce qui n’a pas été possible avec cet argent puisse l’être pour le TF de la controverse ? La sagesse ne commande-t-elle pas de geler toute attribution sur ce terrain jusqu’à ce que les parties s’entendent ou jusqu’à ce qu’une décision de justesse intervienne ?
Le ministre nous dit qu’il est tenu d’intervenir pour octroyer un titre de propriété aux acquéreurs de parcelles sur ce TF. Des acquéreurs dont il convient, selon lui, de sécuriser juridiquement le bien. Sauf que, s’agissant d’un bien immobilier indivis appartenant à une communauté dont les représentants disent qu’ils ne vendent pas mais délivrent juste des autorisations d’occuper, on voit mal comment le ministre pourrait s’arroger ce droit. Sauf à outrepasser ses prérogatives. Car enfin, si à Touba des citoyens qui ont construit des résidences valant souvent des centaines de millions de nos francs ne peuvent pas disposer de titres de propriété — et M. Abdou Karim Fofana n’osera jamais essayer de leur en donner —, le TF de Touba étant indivis, on voit mal pourquoi les gens qui construisent sur un bien immobilier indivis de Ouakam pourraient prétendre, eux, à un acte de propriété ! La situation est trop tendue dans ce village et recèle de gros risques de troubles à l’ordre public pour qu’il soit besoin d’en rajouter.
C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, il y a quelques années, le préfet avait pris un arrêté pour interdire toute construction sur le site litigieux. Des acquéreurs avaient saisi la Cour suprême qui avait répondu en substance que nul ne peut être privé de la jouissance de son bien. C’est sur cette décision que, paraît-il, le ministre se serait appuyé pour dire que la juridiction suprême avait tranché en faveur du Diaraf Youssou Ndoye !
Surtout, le Diaraf Oumar Samb Guèye, dont le nom figure sur la liste des notables qui auraient demandé la levée de l’indivision soutient que sa signature a été imitée et a porté plainte pour faux (voir encadré). Les notables que nous avons rencontrés — à la tête desquels le Pr Babacar Guèye mais aussi citons parmi eux l’expert-comptable Blaise Diagne, ancien trésorier de la Fédération sénégalaise de football ou l’homme d’affaires Moustapha Ndoye, patron de la défunte société informatique ATI— sont des gens responsables, très au fait des affaires de leur communauté au centre desquelles ils évoluent depuis des décennies pour certains, connaissent et documentent tout ce qu’ils disent. Ce ne sont pas des farceurs, croyez-nous. On ne peut pas les écarter comme ça d’un revers de main.
Au contraire, le ministre a le devoir de les écouter au même titre que les responsable de l’autre partie. Ils connaissent leurs devoirs et, surtout, leurs droits. Raison de plus pour que M. Abdou Kader Fofana ne les traite pas de manière cavalière ou par-dessus la jambe ! Car, encore une fois, l’Etat n’a pas à prendre parti dans ces affaires coutumières…si ce n’est veiller à la préservation de la paix sociale.
Par Makhtar Cissé et Fatih Birol
TROUVER L’ENERGIE D’ENGAGER LA REPRISE EN AFRIQUE
L’injustice de la précarité énergétique reste bien trop marquée, en particulier dans les pays d’Afrique subsaharienne, où 595 millions d’individus, soit 55 % de la population, n’ont toujours pas accès à l’électricité. Cela est inacceptable
Mouhamadou Makhtar Cissé et Fatih Birol |
Publication 30/06/2020
À quelques jours d’une table ronde ministérielle organisée par l’Agence internationale de l’énergie (AIe) et le gouvernement sénégalais, au sujet des enjeux du Covid-19 pour l’Afrique, Mouhamadou Makhtar Cissé, ministre du Pétrole et des Énergies du Sénégal, et Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIe, rappellent l’importance d’un accès à des sources d’énergies modernes en tant que base du développement économique.
Dans l’histoire de l’humanité, l’accès à des sources d’énergie fiables à un coût abordable a été trop souvent le privilège de quelques-uns, alors qu’il devrait s’agir d’un droit fondamental pour tous. Cette affirmation se vérifie tout particulièrement en Afrique où – en dépit de progrès remarquables ces dernières années – des centaines de millions de personnes demeurent privées d’électricité. Une pandémie vient aujourd’hui menacer encore un peu plus des populations vulnérables en Afrique et dans le reste du monde, avec des conséquences qui peuvent précipiter des millions de personnes vers une pauvreté extrême.
L’accès à des sources d’énergies modernes est à la base du développement économique. En sont tributaires les approvisionnements en denrées alimentaires vitales, l’alimentation en électricité des logements et des hôpitaux, ainsi que la possibilité, pour tous, de travailler, d’étudier et de voyager. Or, d’après les dernières données disponibles, les bouleversements liés à la crise du Covid-19 risquent de compromettre un peu plus encore l’atteinte des objectifs de développement durable de l’ONU visant notamment à garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable.
L’injustice de la précarité énergétique reste toutefois bien trop marquée, en particulier dans les pays d’Afrique subsaharienne. Il faut noter que des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années, dans beaucoup de pays du continent. Au Sénégal, par exemple, 69 % des citoyens ont désormais accès à l’électricité, contre seulement 26 % en 1993. De nombreux autres pays africains ont connu des avancées semblables.
Pour autant, l’injustice de la précarité énergétique reste toutefois bien trop marquée, en particulier dans les pays d’Afrique subsaharienne, où 595 millions d’individus, soit 55 % de la population, n’ont toujours pas accès à l’électricité. Cela est inacceptable. Parallèlement aux initiatives publiques, la jeune et dynamique population africaine a une occasion inédite de contribuer au développement de l’économie du continent de manière plus avisée et plus innovante.
Les entrepreneurs tirent parti des technologies numériques et des énergies renouvelables pour créer des emplois et proposer des services énergétiques propres. Parmi eux, citons notamment Akon, célèbre musicien sénégalo-américain et chef d’entreprise à l’origine d’une initiative panafricaine de fourniture d’énergie d’origine solaire, et Nthabiseng Mosia, femme d’affaires sud africano-ghanéenne et cofondatrice de la société de services énergétiques Easy Solar, en Sierra Leone.
Coronavirus : le Fmi prévoit une récession historique en Afrique Ces dernières années, de nombreux pays africains affichaient des taux de croissance économique parmi les plus élevés au monde. Avec les conséquences liées à la pandémie du Covid-19, la plupart des pays vont observer une forte baisse de leur croissance, à l’instar des autres pays du monde. L’Afrique subsaharienne s’apprête ainsi à vivre sa première récession depuis 25 ans.
Au cours des deux prochaines décennies, une personne sur deux verra le jour en Afrique, qui continuera à être le continent le plus jeune et le plus dynamique sur le plan démographique. Ces nouveaux citoyens du monde méritent d’avoir accès à des sources d’énergies fiables et durables, moyennant un coût abordable, pour avoir le plus de chances possibles de vivre en bonne santé, dans la prospérité, et de voir leurs familles et leurs sociétés en faire de même. Leur réussite sera déterminante pour l’avenir de l’Afrique – et du reste du monde.
A l’échelle mondiale, le continent africain dispose de 40 % des ressources potentielles en énergie solaire, mais ne possède que 1 % des moyens de production d’électricité de cette filière Mais, pour prendre toute sa mesure, ce dynamisme nécessitera de l’énergie.
À l’échelle mondiale, le continent africain dispose de 40 % des ressources potentielles en énergie solaire, mais ne possède que 1 % des moyens de production d’électricité de cette filière. Avec des politiques avisées et efficaces, l’énergie solaire pourrait devenir la première source d’électricité du continent. Associé à l’hydraulique et à d’autres sources clés, dont regorge l’Afrique, le solaire pourrait être exploité pour alimenter en électricité des millions de personnes qui en sont actuellement privées. Certains pays sont mieux placés que d’autres pour tirer parti de ces possibilités – et les contraintes économiques et financières consécutives à la crise du Covid-19 pourraient mettre à mal de nombreux projets énergétiques lancés par les pouvoirs publics ou les entreprises privées sur l’ensemble du continent. Sortir de la pandémie dans un souffle nouveau Les pays africains n’ont pas d’autres choix que de travailler ensemble – et, plus largement, avec le reste de la communauté internationale – pour surmonter ces obstacles. C’est pourquoi nous avons décidé, avec d’autres leaders mondiaux, de nous intéresser aux enjeux du Covid-19 pour l’Afrique à l’occasion d’une table ronde ministérielle organisée par visioconférence par l’AIE et le gouvernement du Sénégal le 30 juin prochain. Le reste du monde est investi d’une grande responsabilité, tout particulièrement à l’égard de la population jeune et grandissante du continent africain.
L’Afrique, où vit 17 % de la population mondiale, n’a produit à ce jour que 2 % des émissions de CO2 liées à l’énergie. Et pourtant, elle est, de façon disproportionnée, la première à souffrir des conséquences du changement climatique mondial. La communauté internationale doit travailler avec les pays africains au développement d’une énergie sure et durable à un cout abordable Ces pays et ces régions les moins responsables du changement climatique abritent les populations les plus vulnérables face à ses ravages. C’est pourquoi nous devons redoubler d’efforts et répondre à cet enjeu climatique collectif en réduisant considérablement les émissions mondiales au cours de la présente décennie. Ce sont les pays à l’origine de la majeure partie des émissions qui sont le plus en mesure de faire la différence. Toute crise peut amorcer une prise de conscience – et ouvrir la voie à de nouvelles possibilités. Le monde entier est aujourd’hui confronté à la difficulté de surmonter les conséquences dommageables de la pandémie et de la récession, d’où la nécessité de travailler de concert pour parvenir à une reprise rapide et durable – et de venir en aide aux personnes qui ont été les plus touchées. L’Afrique peut sortir de la pandémie avec un nouveau souffle.
La communauté internationale doit travailler avec les pays africains au développement d’une énergie sûre et durable à un coût abordable – en particulier pour leurs citoyens les plus vulnérables, mais également pour une plus grande compétitivité de leur économie. Le secteur de l’énergie peut donner à une population africaine, jeune et dynamique, le pouvoir de réaliser son énorme potentiel, pour le bien du monde entier. Cet objectif est, pour chacune et chacun d’entre nous, à la fois un devoir moral et une nouvelle perspective économique.
Mouhamadou Makhtar Cissé, ministre du Pétrole et des Énergies du Sénégal
Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie
Par Eric NDOUR
LETTRE OUVERTE AU MINISTRE DE L'ECONOMIE
Le Sénégal doit se doter d’un nouveau plan « d’urgence » stratégique de développement qui corrigera son profil économique
Lettre ouverte aux ministres de l’Economie, des Finances et du Budget
URGENCE SIGNALEE !!! Le Sénégal doit se doter d’un nouveau plan « d’urgence » stratégique de développement qui corrigera son profil économique. Messieurs les ministres de l’Economie, des Finances et du Budget, Le PSE a été une douce illusion arrosée avec du sable.
Un premier diagnostic du plan LIGGUEY NGUIR EULEUK du président Macky SALL traduit un manque d’ambition teinté de résultats non probants. Ce dernier plan a déjà fragilisé notre économie et doit être rangé aux oubliettes, surtout dans ce contexte de crise sanitaire.
A ce jour, tous les indicateurs généraux sont au rouge. Les signes d’une grave tension de trésorerie sont perceptibles, et les risques d’une dépression économique sont visibles.
L’examen de la structure actuelle de notre économie expose un PIB tiré par un secteur tertiaire détenu par des firmes étrangères à hauteur de 61%contre 22%pour le secteur secondaire.
Seulement 17% est à l’actif du secteur primaire qui emploie près de 70% de la population active. Et comme le disait Winston Churchill, mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. Il est impératif aujourd’hui d’établir l’ordre des priorités dans le choix des actions gouvernementales en veillant à ne pas compromettre la mobilisation à terme des ressources directes et indirectes disponibles.
Le plan de relance de notre économie requiert des objectifs à atteindre en s’appuyant sur des leviers importants. La banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest a déjà annoncé la couleur en réduisant les taux directeurs afin de booster les emprunts. L’autre levier de relance de notre économie est certainement le Budget. L’Etat doit fixer un objectif de collecte de recettes internes équivalant à 30% de PIB. Messieurs les ministres de l’Economie, des Finances et du Budget, La nouvelle stratégie budgétaire devra être axée sur les points ci-après :
- des réformes fiscales soutenues par des interventions dans le domaine des technologies de l'information en vue de renforcer la responsabilité et la transparence fiscale et d'améliorer les services aux citoyens et au secteur privé. Les objectifs principaux seront, dans un premier temps, axés sur l’amélioration de la discipline budgétaire et le cadre réglementaire fiscal propice aux affaires, et dans un second temps sur la gestion globale des finances publiques en améliorant la planification budgétaire, la conformité fiscale, le contrôle des dépenses.
-Une bonne stratégie visant à accroitre la conformité fiscale qui permettra de réduire l'évasion fiscale, tout en améliorant les services aux citoyens et la collecte des recettes publiques tout en nivelant le terrain de jeu pour les entreprises qui s’y conformeront.
- Le renforcement des systèmes de trésorerie du secteur de la santé avec un procès d'analyse, de conceptualisation, de conception et de déploiement pour une meilleure gestion des fonds publics, comme premier enseignement à tirer de la COVID-19.
- L’amélioration de la qualité de la budgétisation et des dépenses publiques avec la priorisation stratégique et l’évaluation des résultats fondée sur la performance pour une meilleure qualité des dépenses publiques.
- Le renforcement de l'environnement des affaires. Cela aidera les différents niveaux de gouvernement local à compenser toute perte de revenus en identifiant des sources de revenus plus productives et plus favorables aux investisseurs.
- La nécessité de renforcer la gestion de la dette publique en mettant en œuvre des modifications législatives et procédurales. Messieurs les ministres de l’Economie, des Finances et du Budget,
Pour atteindre le bien-être des sénégalais, accorder 40% du budget au secteur primaire devient une absolue nécessité. Le moteur de notre développement économique devra être axé sur le secteur primaire, avec une exploitation soutenue et continue des 6 zones agricoles, à savoir : la vallée du fleuve Sénégal, les Niayes, le bassin arachidier, la basse et moyenne Casamance, le Sénégal oriental et la zone silvopastorale du Ferlo.
Le Sénégal dispose de 4 millions d’hectares, soit 19% de la superficie totale . Malheureusement, la mise en valeur ne porte que sur moins de 60% de terres cultivables. Une place prépondérante devra être donnée à l’agriculture, avec une excellente formation et une meilleure mobilisation du capital humain. Elle permettra d’assurer « une circulation du revenu net à travers les groupes sociaux et animera toute la vie économique », comme semblent bien le soutenir ici les physiocrates, « seule la terre restitue aux hommes une matière plus abondante qu’elle n’en reçoit d’eux » Le dynamisme du secteur agricole aura probablement un effet d’entrainement sur les autres secteurs, comme les activités portant sur la transformation des produits agroindustriels, le commerce, le transport.
Le président Idrissa SECK disait que l’agriculture est le moteur de notre développement économique et social et qu’il serait opportun de changer de paradigme pour mettre le monde rural au centre de toutes les politiques publiques.
Je vous demande de vous inspirer de ses très fortes et pertinentes propositions que je partage avec vous dans les lignes qui suivent. Il prônait d’aménager et d’équiper 120.000 petites fermes qui :
- pratiqueront une agriculture écologiquement durable, économiquement rentable et socialement soutenable;
- produiront 1200 milliards de FCFA de biens chaque année ;
- créeront 500.000 emplois permanents et 500.000 emplois indirects ;
- assureront un rééquipement et rééquilibrage du territoire national ; - assureront notre autosuffisance en ovins pour la Tabaski;
- permettront de retrouver notre position d'exportateurs de légumes et de viande en direction des pays de la sous- région. La promotion du consommer local devient un impératif. Il nous faut élaborer les stratégies du changement d’échelle de la consommation de produits locaux au Sénégal avec un accompagnement protectionniste fragmenté et graduel.
Messieurs les ministres de l’Economie, des Finances et du Budget
Vous avez mis en place, en partenariat avec le secteur bancaire, un mécanisme de financement des entreprises affectées par la crise avec une enveloppe de 200 milliards de FCFA. La constitution de ce fonds de garantie doit obligatoirement permettre de lever 1.000 milliards au niveau des institutions financières qui comprennent les enjeux du moment et qui ne sont pas dans une perpétuelle maximation du profit. Il est important de redéfinir le schéma global et permettre aux PME et TPE de bénéficier au moins de 500 milliards qui serviront à financer leur besoin en fonds de roulement ainsi que leur cycle d’investissement. Face au monde qui bouge, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement, disait Francis Blanche.
Par CALAME
LES TAS D’URGENCES DIFFÉRÉES
Au moment où le virus a fini de prendre ses quartiers dans notre si accueillante terre d’inconscience et d’irresponsabilité, voilà que le pavillon lui est cédé. Et vogue la galère, toutes voiles dehors !
Le président de la République vient de délivrer les Sénégalais du corset de l'état d'urgence et du couvre-feu qui avaient fini par faire la preuve absolue de leur inefficacité. Le seul intérêt présenté par ces mesures a été à l'avantage de l'Exécutif.
En effet, abonné à l'exercice solitaire du pouvoir, il s'est arrogé les pleins pouvoirs, instaurant par voie de conséquence, un régime d'exception, suite à l'auto-confinement de l'Assemblée nationale qui s'est dépouillée allègrement de toutes ses prérogatives.
A la manière de la République romaine, qui a inauguré le recours à un dictateur exerçant une magistrature exceptionnelle avec l'attribution de tous les pouvoirs à un seul homme en cas de danger très grave, pour six mois au maximum. Dans le cas de Macky Sall, cela a duré un peu moins de quatre mois, période dans laquelle, il a légiféré sans contrôle ni toujours lisibilité, comme bon lui a semblé. Des sommes astronomiques ont été annoncées dépassant largement les mille milliards initialement alloués au Fonds Force Covid 19.
Les manquements et irrégularités notés dans l'attribution des marchés, le transport et la distribution des vivres, la politisation et le copinage sont vite passés aux oubliettes, dès la mise en place d'un Comité de Suivi aux pouvoirs inexistants. Au total, la Covid 19 aura été une aubaine pour ceux qui sont à la manœuvre.
Le recensement des bénéficiaires du programme de résilience, les données complémentaires engrangées, ajoutées au décompte des éligibles aux bourses familiales, sont autant d'acquis à comptabiliser en direction des échéances électorales majeures à venir. Notamment les élections communales et législatives qui préfigurent le profil gagnant de la présidentielle de 2024. Exit le Dialogue national piloté par Famara Ibrahima Sagna.
Le président Macky Sall a mis à profit le spectre de la pandémie pour amadouer "son" opposition au nom d'un consensus national douteux, et légitimer face à l'opinion, les tractations souterraines avec certains ténors qui, le temps d'une apparition au Palais de la République, sont retournés à leurs manœuvres en sous-sol. Ceux et celles qui ont fait le choix d'une opposition conséquente et vigilante, d'une citoyenneté active et pugnace, se verront conspuer par des individus de la meute allant jusqu'à leur denier tout "patriotisme".
Des membres du parti de la majorité et de l'entourage du président de la République ont même été taxés de déloyauté, de connivence, si ce n'est d'intelligence avec l'ennemi, simplement parce qu'incapables de défendre des mesures dont ils ignorent tout. Revient en boucle cette litanie : «on ne défend pas le président», désignant par-là de potentiels adversaires promis au supplice. En tout état de cause, la situation qui prévaut n’a pas l’heur de plaire puisqu’il se susurre un possible remaniement ministériel.
Dans l’esprit et dans l’expression de ceux qui se veulent les « boucliers» du président, un tel remaniement ne serait motivé, ni par la nécessité d’apporter des correctifs face à des insuffisances de résultats, ni par la volonté d’injecter un nouveau souffle à l’action gouvernementale, mais plutôt par le désir de venir au secours d’un chef qui souffrirait de ne pas voir une légion de séides s’ébranler, sabres au clair, pour charger l’ennemi. La logique qui prévaut voulant que : «être dans un système implique qu’on doive le défendre». Ce qui peut se traduire par, «on ne peut pas, on ne doit pas profiter des largesses du pouvoir et faire comme si de rien n’était». Est-ce pour autant la meilleure manière de défendre le chef de l’Etat ? Rien n’est moins sûr. Ne serait-ce que parce qu’il serait certainement plus efficient de se concentrer sur la satisfaction des besoins fondamentaux des populations, à savoir l’accès à l’eau, à l’emploi, à l’éducation, à la santé, etc..
Ainsi, faut-il le rappeler, l’être humain habite le monde sous le signe d’une nécessité vitale : boire, manger, dormir, et avant tout respirer. Une nécessité souvent contrariée sous nos cieux par une perversité machiavélique dont certains gouvernants ont le secret et qui consiste à essayer de s’assurer le contrôle des populations en les installant dans la précarité pour ensuite, terrible retournement des choses, se présenter à elles sous le prisme de la bienveillance et de la sollicitude.
Tout à leurs calculs, ils donnent le sentiment de miser sur l’effet contraignant du besoin. Un état qui, tant qu’il n’est pas satisfait, maintient ceux qui en sont victimes dans une hébétude qui les rend dépendants, soumis à la pression du quotidien, dans l’impossibilité de se livrer à quelque chose d’autre, interdits de penser, sans nulle possibilité d’être celui ou celle qu’ils pourraient espérer être.
Forts de cela, nos dirigeants donnent le sentiment d’avoir pris le parti d’épouser une certaine perception du pouvoir, comme lieu à partir duquel, il est loisible de s’enrichir en ayant accès directement aux ressources. Etrange conception en effet que celle-là où tout s’articule autour d’une injonction portée par une vision prédatrice, jouissive du pouvoir. C’est dire la nécessité de déconstruire une telle conception, surtout en ces temps de revendication identitaire, voire de propension à se démarquer des symboles du colonialisme. Il serait par conséquent souhaitable de se réarmer moralement en se posant comme des constructeurs d’avenir adossés à leur héritage patrimonial.
A l’instar de cette recommandation de Souleymane Baal, leader de la Révolution Toroodo de 1776, fondateur de la théocratie du Fouta Tooro, en matière du choix de l’Imam et par extension du chef de l’Etat.
Ainsi avait-il conseillé : « Choisissez un homme savant, pieux et honnête, qui n’accapare pas les richesses de ce bas monde pour son profit personnel ou pour celui de ses enfants. Détrônez tout imam dont vous verrez la fortune s’accroître, confisquez l’ensemble de ses biens, combattez-le et expulsez-le, s’il s’entête ». Voilà une recommandation forte qui devrait servir de boussole tant elle charrie des idéaux intemporels voire universels. Au passage, un détail et pas des moindres, mérite d’être relevé.
L’adresse à la Nation, exercice solennel par excellence, a été délivrée à partir du domicile privé du Président de la République, à Mermoz, comme l’indique la pancarte ostensiblement posée sur son bureau domestique. A ce que l’on sache, le domicile privé de monsieur Macky Sall n’est pas répertorié dans la catégorie des résidences officielles du chef de l’État, comme Poponguine. La seule fois où un domicile a abrité un événement officiel fut la réunion des députés putschistes contre le président Mamadou Dia en 1962 au domicile du Président de l’Assemblée nationale de l’époque, Maître Lamine Guèye. Aujourd’hui comme hier, l’heure est grave, et la “quatorzaine“ n’aidant pas, ce énième coup de canif à la gouvernance orthodoxe, n’émouvra que les râleurs indécrottables soucieux ... d’orthodoxie républicaine. Au moment où le virus a fini de prendre ses quartiers dans notre si accueillante terre d’inconscience et d’irresponsabilité, voilà que le pavillon lui est cédé. Et vogue la galère, toutes voiles dehors !
Par Maurice Ndéné WARORE
UNE DECOLONISATION INACHEVEE OU UNE DECOLONISATION IMPOSSIBLE ?
La parution des premiers tomes de l’Histoire générale du Sénégal avait suscité des réactions de la part de l’opinion publique et de quelques familles.
La parution des premiers tomes de l’Histoire générale du Sénégal avait suscité des réactions de la part de l’opinion publique et de quelques familles. Et nous avions saisi cette occasion pour publier dans la presse une série d’articles ayant pour thème principal : «Comment écrire et enseigner notre histoire ?».
A partir de ce thème, nous avons développé trois assertions qui se présentent comme suit :
Notre histoire est mal connue, car étant confrontée à un problème de sources ;
La manière dont elle est enseignée est frustrante, parce que partiale et partielle ;
Notre histoire est gagnée par la peur de l’écrire selon les exigences de «l’Histoire science».
C’est sans doute très osé de notre part de parler d’assertion quand il est question de l’Histoire africaine ou tout simplement de l’Histoire tout court. L’utilisation de ce mot se justifie par une profonde conviction : notre histoire est complexe et il serait dangereux de vouloir l’écrire au nom de «l’histoire science».
Cette assertion s’explique par une longue pratique des classes où, dans nos préparations et dans les cours que nous donnions, nous décelions les faiblesses de notre Histoire.
Dans une de nos contributions que le quotidien national avait intitulé L’Histoire coloniale est aussi la nôtre1, nous intervenions sur le débat qu’avait suscité la présence du monument de Demba et Dupont qui trônait face à la présidence de la République.
Ce monument, on est allé le «cacher» vers le cimetière de Bel-Air. S’y trouve-t-il encore ? (Voir plus loin). Et voilà que la question ressurgit à travers les monuments et l’appellation de nos rues, de nos avenues et de nos grand ’places mythiques.
Et un article sur la question a été titré : Saint-Louis, une décolonisation inachevée. Nous inspirant de cet article et d’autres parlant de Rufisque et de Gorée, nous avons intitulé notre contribution ainsi : Une décolonisation inachevée ou une décolonisation impossible ? Une forte affirmation basée sur une analyse approfondie de ces trois assertions. Seule la première a été publiée dans un quotidien de la place, courant l’année 2019. Les deux autres dorment encore dans beaucoup de rédactions de la place. La présente contribution est tirée de la deuxième Assertion qui traite de deux thèmes : l’impérialisme et les résistances. Et à la lumière de l’analyse de ces deux thèmes, nous avions conclu ainsi : «Un débat sur la colonisation est incontournable.» Nous ne pensions pas si bien dire. Et voilà que le débat se pose. Ce qui nous amène à tenter, une fois de plus, de publier cet article.
Un débat sur la colonisation est incontournable
Le projet Hgs doit donner une grande place à la colonisation. Oui notre pays, comme toutes les autres anciennes colonies, a son histoire marquée à jamais par cette forme d’impérialisme. La colonisation doit être étudiée dans tous ses aspects.
En traitant de la colonisation, il ne s’agira pas seulement de se limiter à ses aspects les plus vils, les plus pervers, les plus inhumains. Cela donnerait à notre histoire une connotation rancunière. Notre Histoire ne saurait s’encombrer de positions réactives.
En tout cas, l’Histoire coloniale est aussi la nôtre. Ne laissons pas à d’autres la responsabilité de nous l’écrire. Ecrivons-là dans toute sa dimension historique ! Nous livrons ici des éléments d’appréciation du fait colonial ou de faits coloniaux. Une vraie provocation qui ne manquera pas de faire tilt.
La colonisation vue par des paysans du Saalum
Notre accession à l’indépendance a longtemps été un sujet de débats dans le monde paysan des années soixante. En effet, jeunes collégiens, nous assistions à des débats houleux entre notables et jeunes fonctionnaires du nouvel Etat (instituteurs pour la plupart), dans les grand ’places, sous «l’arbre des vérités»2. Nos aînés, jeunes cadres du nouvel Etat, saluaient l’avènement de l’indépendance et fustigeaient le système colonial et parlaient du bel avenir qui s’offrait à nous. Et très souvent, la réaction des notables, déjà nostalgiques de «leur toubab, de leur naar3» était toujours la même.
Suivons-les : «Vous, les instruits, ignorez le fond des choses. Quand les toubabs étaient là, nous n’avions jamais faim durant la période de soudure (août- septembre). A l’approche de l’hivernage, nos ‘’toubab’’ nous donnaient du mil, du riz et de l’argent pour nous permettre de passer un bon hivernage. Nos familles mangeaient à leur faim et nous avions de l’argent de poche pour nos petites dépenses. Si cela ne dépendait que de nous, les ‘’toubabs’’ reviendraient. Avec l’indépendance, c’est la fin de ces privilèges. Vous êtes des égoïstes, car vous ne pensez qu’à vous. Vous ne sentez pas la mauvaise situation que vivent les paysans, car vous avez vos salaires.»
Devinez que les réponses se résumaient à rappeler aux notables les formes d’exploitation qu’il y avait derrière ces «privilèges». Dialogue de sourds, car pour ces paysans l’indépendance était une mauvaise chose pour eux. Débat sans fin, car mal posé. Nos instituteurs ne parlaient pas dans leur argumentaire des nouvelles structures mises en place pour prendre en main les paysans. Les Centres régionaux d’assistance au développement (Crad), l’Office de commercialisation agricole du Sénégal (Ocas)4. Ils ne parlaient pas de la Circulaire n°35 de Mamadou Dia relative au système autogestionnaire qu’il envisageait dans le monde paysan. En un mot, nos aînés, bien qu’instruits, ignoraient le rôle qui était attendu d’eux. La question de la colonisation et de l’indépendance devait donc être débattue autrement. Elle appelait de la part des «intellectuels» une autre démarche, une bonne clarification des politiques post coloniales. Et René Dumont avait averti. L’autre exemple est tiré d’un livre de lecture écrit par l’inspecteur André Prosper Davesne5. Dans cette histoire, il s’agit d’un commandant de cercle, en tournée, qui relate les propos d’un éleveur dont il admirait l’immensité du troupeau, suivons :
La colonisation vue par un éleveur
«…Commandant, je vais vous dire une chose. Vous parlez de mon troupeau avec admiration. Nous sommes là sur une colline qui surplombe la plaine d’où je peux admirer mon immense troupeau, en train de paître tranquillement, en toute sécurité. Je ne crains plus les voleurs et autres envahisseurs qui sévissaient dans le temps. Et tout ça, grâce à vous qui nous avez amené la paix, la sécurité. Merci commandant…» Propos rapportés par un acteur de la colonisation, bien qu’instituteur, éducateur. Inventée ou non, cette histoire révèle un autre aspect de la colonisation. Ces deux exemples ne sont qu’un aspect des multiples facettes de la colonisation. Et aujourd’hui, il est question de monuments, de rues et d’avenues. Ces deux aspects de la colonisation nous amènent à revenir sur un article que nous avions publié dans un quotidien de la place durant les années 80.
Dans cet article, nous disions que «l’histoire coloniale est aussi la nôtre». C’était en réponse à un article qui fustigeait la présence de la stèle Demba et Dupont6 dans la cour de l’ancien ministère de la Modernisation de l’Etat, en face de la Présidence. Dans le même article, nous donnions notre avis sur la débaptisation de beaucoup de rues et d’avenues de Dakar. Thiers (Assane Ndoye), Maginot (Lamine Guèye) William Ponty (Georges Pompidou) etc. Oui, l’histoire coloniale est aussi la nôtre, donc nombre de ses différents aspects doivent être connus et conserver autant que possible, car témoins de faits historiques. Les gouverneurs William Ponty, Roume, Boisson, Faidherbe, pour ne citer que ceux-là, n’appartiennent pas seulement au Sénégal, mais à l’Aof donc actuellement aux pays de la Ceao ou de l’Umoa. Ils appartiennent à l’Histoire de l’Afrique, pas seulement à celle de la France. La conservation de leurs noms au niveau de nos rues et avenues ne saurait constituer une honte, ni une nostalgie de la colonisation.
C’est des sources de connaissance de notre histoire coloniale. Mais dans cette conservation, il faudra faire un tri. Tous les colons n’ont pas le même mérite ou les mêmes mérites. Joost Van Vollenhoven est de loin incomparable à Faidherbe. Dakar, que beaucoup d’anciennes colonies nous envient, est aussi un élément de cette Histoire. Devrions-nous changer le nom de cette ville parce qu’il nous rappelle l’Aof ? Cette ville restera éternellement la preuve et le témoin du rôle que le Sénégal a joué dans la colonisation. Rôle loin d’être triste ou honteux, car nous prévalant aujourd’hui une aura diplomatique, économique, politique, culturelle et intellectuelle à nulle autre pareille. Et Saint-Louis ? Faut-il changer le nom ? Et Richard Toll ? Déjà le fait de changer l’appellation de nos régions, en les résumant à leurs capitales respectives, avait heurté plus d’un. Qui se réclame aujourd’hui, Saloum Saloum, Sine Sine, Ndiambour Ndiambour, Cadior Cadior ?
Se réclamer Casamançais est aujourd’hui très chargé. Notre histoire est souvent bafouée de manière inconsciente, au nom d’idéaux qui, au fond, n’en sont pas. Le maire de Gorée a bien campé le débat et nous nous permettons de le citer : «…C’est comme si on nous disait puisqu’on veut effacer l’image de la violence sur George Floyd, démolissez la Maison des esclaves. Il faut savoir raison garder, ne pas faire dans l’émotivité qui nous est toujours attribuée par les autres civilisations, notamment les Européens, les Occidentaux, et analyser lucidement ce qu’il faut faire. C’est un patrimoine, il se conserve avec ses plus et ses moins, c’est-à-dire avec ses choses positives et celles choses négatives.
Et c’est en cela que la conservation du patrimoine historique et culturel nécessite des fois d’y réfléchir par deux fois avant d’effacer ses traces…» Ne pas s’efforcer d’analyser certains faits historiques dans leur contexte pour en tirer des conclusions objectives rendrait l’écriture et l’enseignement de notre Histoire orientés, subjectifs, en un mot partiaux et partiels. Le débat est ouvert.
Maurice Ndéné WARORE
Commandeur de l’Ordre National du Lion
Retraité de l’Education Nationale Ancien IA Tba/Zig et Kaolack.
Professeur d’H-G
1 Voir les archive du Soleil année 1983, Article de Maurice Ndéné WARORE, Prof au Prytanée militaire de Saint-Louis.
2 Dans nos écrits nous évitons de dire « arbre à palabres » pour parler du lieu où les paysans se retrouvent souvent. Ce lieu est propre à chaque village, à chaque quartier est toujours ombragé grâce à un grand arbre feuillu, souvent centenaire. C’est le « Pinc » en wolf ou le « nqeel » en serer. En serer on dit « ndigil na reeta no nqeel » (seul la vérité prévaut à la place publique).
3 Au Sénégal chaque paysan avait un colon ou un libano-syrien à qui il vendait ses arachides et dans la boutique de qui il faisait ses achats. C’était une manie de s’approprier ainsi le colon ou le Libanais. Même aujourd’hui l’on a tendance à dire «souma serer bi, souma diola bi, souma toucouleur bi».
4 Ces structures avaient leur origine dans les Sociétés Indigènes de Prévoyance (SIP) devenues Sociétés de Prévoyance (SP) puis Société Mutuelle de Développement Rural (SMDR). En 1967 l’OCAS et les CRAD vont fusionner en ONCAD puis SONAR.
5 L’inspecteur André P. D’Avesnes fut d’abord instituteur en Afrique (Mali, Congo Brazzaville). Il est l’auteur de beaucoup de livres de lecture de la période coloniale (la Collection Mamadou et Bineta, la Famille Diawara, les Lectures Vivantes etc. Les anciens normaliens de Mbour connaissent bien les méthodes de Célestin Freinet dont il est le pionnier (l’école « Frénétique » comme disaient ses pourfendeurs).
6 Cette stèle a été déplacée (« cachée ? ») bien loin, dans la zone industrielle, en face des cimetières de Bel-Air. Nous pensons qu’elle doit encore y être