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2 mai 2025
Développement
PAR Makhtar Diouf
MACKY SALL TEL QU’EN LUI-MÊME
EXCLUSIF SENEPLUS - Il considère qu’il peut faire ce qu’il veut, qu’il est une sorte de dieu, que les Sénégalais ne sont que ses sujets. Le temps n’est plus au dialogue, il est à la tenue de l’élection ce 25 février
Lorsque Macky Sall (MS) annonce le report de la présidentielle au mépris du Droit, de la Constitution, je suis comme tous les démocrates d’ici et d’ailleurs consterné, abasourdi. Puis, ressaisi, je pense à ce verset du Coran (2 : 216) : « Vous pouvez détester une chose qui pourtant est meilleure pour vous… Dieu sait mais vous ne savez pas ».
C’est effectivement le cas, car MS s’est tiré une balle dans les pieds. Il aurait été injuste qu’il s’en tire honorablement, auréolé par sa décision ‘’historique’’ de ne pas briguer un troisième mandat, alors que sept présidents africains de la sous-région l’avaient fait avant lui, sans tambours et trompettes.
En dépit de toutes les exactions qu’il a commises dans le pays au cours de ces dix dernières années, il était adoubé dans les pays occidentaux, allez savoir pourquoi. Pourtant les autorités de ces pays n’ignoraient rien de ce qui se passait au Sénégal car leurs représentations diplomatiques qui sont sur place leur rendent compte.
Mais cette fois, avec sa déclaration de report de l’élection à quelques jours de la date officielle retenue, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Et il en remet une couche : entrée musclée de gendarmes à l’Assemblée nationale pour expulser les députés de l’opposition, une image qui a fait le tour de la planète, du jamais vu dans aucun pays africain ; coupure de l’Internet ; coupure du signal de la télévision ‘’WalFadjri’’.
Inimaginable. MS est alors lâché partout. C’en est trop.
Dans le pays, aucun régime n’a jamais eu à faire face à une telle levée de boucliers de la part de ses meilleurs intellectuels (artistes, enseignants, journalistes, hauts fonctionnaires retraités, religieux de toutes confessions …), de ses meilleurs juristes, de sportifs (pour la première fois).
En cette occasion, l’archevêque Mgr Benjamin Ndiaye a eu le mot juste : Quand il y a règlement, c’est pour qu’il soit suivi. Ce que MS ne sait pas faire. MS est un ennemi de la démocratie. On peut lui prêter ces paroles de Herman Goering, un des lieutenants de Hitler : « Chaque fois que j’entends parler de démocratie je sors mon revolver ».
MS nous en avait pourtant donné un aperçu en mai 2002, lorsque maire de Fatick, premier magistrat de la ville, devant donner l’exemple lors d’une élection locale, il avait refusé de se plier à l’obligation républicaine de présenter sa carte d’identité. Alors que son patron Wade, président de la République entrait dans le bureau de vote sa carte d’identité à la main.
Le 14 février 2022, dans un article ‘’L’affaire Mali’’, j’écrivais :
« Après avoir été très actif dans les sanctions contre les putschistes du Mali acclamés par le peuple malien, MS est allé en visite officielle en Egypte. Ce pays est dirigé depuis juillet 2013 par le sinistre ‘’ maréchal’’ Abdel Fattah Al-Sissi, à la suite d’un coup d’Etat perpétré contre Muhammad Morsi des Frères musulmans, le premier président démocratiquement élu de l’Egypte. Le parti des Frères musulmans est dissous. Morsi après 6 années de détention dans des conditions inhumaines, est mort au tribunal à l’occasion de son ‘’procès’’ ».
Le régime répressif de Sissi est condamné par toutes les organisations de défense droits humains qui considèrent l’Egypte comme une prison à ciel ouvert.
Peut-être que Sissi fin connaisseur en répression de manifestants a refilé quelques tuyaux à Macky ».
Toujours est-il que le 31 juillet 2023, le gouvernement de MS annonce la dissolution de Pastef, le parti d’Ousmane Sonko en prison, le rival le plus sérieux du parti au pouvoir en vue de la présidentielle de 2024.
Après avoir semé le chaos dans le pays depuis sa déclaration de report de la présidentielle, MS nous revient avec sa sempiternelle proposition de dialogue. Dialogue sur quoi ? Le temps n’est plus au dialogue, il est à la tenue de l’élection ce 25 février. Peu importe le raccourcissement de la campagne électorale qui n’est au fond qu’un folklore. Les électeurs ont déjà fait leurs choix. MS sait pour qui il votera. Les Sénégalais savent pour qui ils ne voteront pas.
MS pour se maintenir au pouvoir manœuvre en se servant du calendrier avec la venue prochaine du Carême chrétien et du jeûne du Ramadan qui couvriront le 2 avril, le jour où il doit transmettre le pouvoir au nouveau président. Il pense qu’en ces périodes, les Sénégalais occupés à leurs actes de dévotion (religieuse) vont faire mi-temps sur la politique. Ce qui lui permettrait de prolonger son mandat et de passer encore outre la Constitution.
Son dernier tour de passe-passe est l’annonce d’une amnistie générale des prisonniers politiques. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait avant les parrainages ? Il prend vraiment les Sénégalais pour des demeurés. C’est au nouveau président élu le 25 février qu’il incombe de le faire.
MS n’a aucune envie de quitter le pouvoir. Au niveau terre à terre, il ne veut pas lâcher l’avion de commandement qui lui permet de faire du tourisme aux quatre coins du monde, aux frais des contribuables. Ce sont des millions de francs en carburant que nous coûte chacun de ses déplacements avec ce palais volant. Sa toute dernière virée a été dans les Caraïbes à Barbade, un pays dont la population est à peine supérieure à celle de Kédougou, inconnu des Sénégalais et où il est le premier dirigeant africain en visite. Un déplacement coûteux, comme d’autres, et sans intérêt pour le pays. Il considère qu’il peut faire ce qu’il veut, qu’il est une sorte de dieu, que les Sénégalais ne sont que ses sujets.
Le tragique est que, plus il reste au pouvoir, plus les morts et les blessés graves vont s’accumuler du fait de la répression sauvage des ‘’forces de défense et de sécurité’’ qui tirent à balles réelles. Déjà trois adolescents tués. Sans compter les dégâts de santé causés aux populations riveraines par les grenades lacrymogènes. Mais il n’en a cure car c’est un homme intrinsèquement méchant. A la différence de Wade que je connais depuis 1965 alors qu’il n’était pas encore entré en politique. A la différence aussi d’Abdou Diouf.
Le Sénégal ne sera en ordre serein, les écoles ne fonctionneront normalement, les affaires ne marcheront, l’économie ne sera débloquée que si MS s’en va.
Sa position actuelle n’est pas sans rappeler celle de Yahya Jammeh qui en 2016 en Gambie, battu à l’élection présidentielle, avait refusé de quitter le pouvoir. Avec la différence que la réaction musclée de la CEDEAO soutenue par le même MS, n’est pas celle que l’on voit aujourd’hui contre le même MS.
Pour faire passer à l’extérieur sa répression contre le parti Pastef, MS brandit toujours le spectre de menace d’on ne sait quel régime islamiste salafiste au Sénégal. Il en parle surtout devant des journalistes français, pour faire du ‘’boolé’’(comme on dit en wolof) parce que c’est une corde sensible dans leur pays capitale mondiale de l’islamophobie. Il leur suggère qu’il ne faut pas que les islamistes arrivent au pouvoir. Il n’en parle jamais au Sénégal, sachant que cela n’y fait pas recette. Les Sénégalais toutes confessions confondues ne savent même pas ce qu’est le salafisme. Le terme ‘’islamiste’’ est utilisé en France par les ennemis de l’Islam qui taxent leurs compatriotes non islamophobes de ‘’islamo-gauchistes’’. Les véritables musulmans n’utilisent pas ce terme ‘’islamiste’’ qui leur fait offense.
La raison de fond de ce désir de maintien forcené au pouvoir pourrait se trouver ailleurs. En 2017, Ousmane Sonko a publié un livre brûlot ‘’Pétrole et gaz au Sénégal. Chronique d’une spoliation’’ dans lequel il accuse Macky Sall, son frère Alioune Sall et Aly N’Gouille Ndiaye d’avoir trempé dans des opérations de maquignonnage de fonds du pétrole. Curieusement, le procureur de l’époque n’a pas réagi, et aucun des mis en cause n’a porté plainte contre cet homme qui par la suite va crouler sous le poids de plaintes des plus fantaisistes. Les Sénégalais veulent savoir de quoi il retourne, car il s’agit de l’argent public.
Ce que MS redoute, c’est ce qui est arrivé ce dimanche 11 février au Pakistan avec les élections générales. C’est le parti d’Imran Khan en prison depuis 6 mois qui remporte le plus de sièges au parlement, ce qui lui donne la possibilité de devenir Premier ministre (chef d’Etat). Nous avons notre ‘’Imran Khan’’ au Sénégal.
Dans cette affaire de report de l’élection présidentielle, on ne peut passer sous silence Karim Wade. J’ai du mal à comprendre que de vieux militants du PDS qui ont vaillamment combattu avec le doyen A. Wade durant des années, subissant toutes sortes de sévices, se mettent à défendre le fils Wade qui pendant ce temps se la coulait douce en Europe. Ce garçon n’a jamais été d’aucune lutte, n’a jamais respiré la fumée d’une grenade lacrymogène. Faute d’avoir été là à la saison des semailles, il s’est présenté à la saison des récoltes avec un ministère aux attributions jamais vues au Sénégal. Personnellement, je déplore qu’il ait été écarté de la présidentielle, car avec son résultat, il n’aurait pas été remboursé de sa caution. Ceux qui le défendent doivent aussi savoir que le nombre de députés qu’ils ont actuellement n’est dû qu’à leur compagnonnage avec la bande à Sonko lors de la dernière législative.
Ce garçon qu’on cherche à nous présenter comme un Einstein a été notre étudiant au département d’Economie de l’UCAD qu’il a quitté avant le cycle complet de quatre ans, sans aucune attestation de réussite. Je doute d’ailleurs qu’il ait envie de vivre au Sénégal, ne parlant aucune des langues nationales. Sa venue a été annoncée combien de fois ?
Quant au Conseil constitutionnel, avec sa fâcheuse ingérence politique dans la dernière élection législative qui a permis à l’APR d’obtenir une majorité microscopique, il doit se rebiffer face à MS, se réconcilier avec le peuple pour, conjointement avec la Cour suprême, maintenir la présidentielle à la date impérative du 25 février 2024. Si ces magistrats ne le font pas, ils auront dans la conscience tout ce qui arrivera encore de désastres dans le pays.
par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade
LA VOIX DES ANCIENS PRÉSIDENTS
Nous appelons notre jeunesse, dont nous comprenons les frustrations et le désarroi, à arrêter immédiatement les violences et la destruction de biens, et surtout à prendre du recul pour ne pas être manipulée par des forces extérieures aux desseins obscurs
Abdou Diouf et Abdoulaye Wade |
Publication 12/02/2024
C'est avec beaucoup de tristesse que nous vivons les récents événements qui secouent notre cher Sénégal et qui viennent d'emporter trois de nos jeunes compatriotes. Nous présentons nos plus sincères condoléances à leurs familles et à leurs proches.
Nous nous adressons à vous en tant qu'anciens présidents de la République du Sénégal, pères, avec Léopold Sédar Senghor, de la démocratie sénégalaise obtenue de haute lutte, mais aussi anciens irréductibles adversaires politiques qui nous sommes vigoureusement opposés par le passé. Nous avons su discuter et dialoguer dans l'intérêt du Sénégal pour mettre un terme à nos différends et aux crises politiques, et cela dans le seul but de préserver la paix et les vies. Vous n'avez pas le droit de faire moins que nous.
Nous appelons notre jeunesse, dont nous comprenons les frustrations et le désarroi, à arrêter immédiatement les violences et la destruction de biens, et surtout à prendre du recul pour ne pas être manipulée par des forces extérieures aux desseins obscurs.
Nous venons de nous entretenir longuement au téléphone avec le président de la République, monsieur Macky Sall, qui nous a réaffirmé son engagement, pris devant la nation le 3 juillet dernier, de ne pas briguer un troisième mandat et de quitter le pouvoir aussitôt après l'élection présidentielle. Il a pris l'engagement de ne ménager aucun effort pour préserver la stabilité du Sénégal, nous lui avons demandé d'organiser dans les plus brefs délais le dialogue national qu'il a annoncé et qui, comme nous le souhaitons ardemment, devra déboucher sur une large réconciliation nationale dans le respect de la Constitution et de l'État de droit.
Nous appelons l'ensemble des dirigeants politiques, du pouvoir et de l'opposition, ainsi que les responsables de la société civile, à participer à des discussions franches et loyales, afin que la prochaine élection présidentielle du 15 décembre 2024 soit tenue dans des conditions parfaitement transparentes, inclusives et incontestables. Ils ont le devoir de garantir que notre
Sénégal restera un modèle de démocratie pour 'lAfrique. L'Histoire les jugera.
L'OPPOSITION REFUSE LE CHANTAGE AU COUP D'ÉTAT DU POUVOIR
Alors que la société civile tente de rapprocher les positions, certains médiateurs préconisent la libération de Sonko et Diomaye Faye. Mais pour Amadou Ba, "nous ne sommes pas prêts à négocier leur sortie contre la forfaiture de Macky Sall"
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 12/02/2024
Alors que la tension politique monte au Sénégal après le report des élections par le président Macky Sall, l'opposition dénonce les avertissements du chef de l'État sur de prétendues "forces organisées" qui menaceraient la stabilité du pays. Selon elle, le pouvoir cherche à "contraindre ses rivaux à accepter un dialogue jugé insincère" en utilisant "le chantage au coup d'État".
Le président Macky Sall a en effet mis en garde dans une interview à l'agence AP contre "d'autres forces organisées" susceptibles de "déstabiliser le pays" si l'opposition ne participe pas à un "dialogue national". Une sortie jugée "troublante" alors que circulent des rumeurs d'une intervention militaire si la crise politique devait s'aggraver après la fin du mandat présidentiel le 2 avril.
Pour Amadou Ba, mandataire du candidat emprisonné Bassirou Diomaye Faye cité par Le Monde, "le pouvoir sénégalais use du chantage au coup d'État pour contraindre ses rivaux". "Macky Sall a créé le chaos avec cette crise institutionnelle artificielle et meurtrière. Parler d'un potentiel coup d'État est totalement irresponsable et dangereux", dénonce-t-il. La coalition issue de l'ex-parti Pastef rejette aussi toute offre de concertation tant que le calendrier électoral n'est pas rétabli.
Alors que la société civile tente de rapprocher les positions, certains médiateurs préconisent la libération d'Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. Mais pour Amadou Ba, "nous ne sommes pas prêts à négocier leur sortie contre la forfaiture de Macky Sall". Dans ce contexte explosif, les imams appellent à la mobilisation pour le retour au calendrier initial, tandis que l'opposition à l'étranger manifeste également son mécontentement.
par Amadou Tidiane Wone
AVEZ-VOUS LU ET RELU LE DISCOURS DU 3 FEVRIER DE MACKY SALL ?
La parole du président, s’adressant à la Nation dans les circonstances graves évoquées, ne devrait pas être susceptible de commentaires soupçonneux. Pourquoi ceux qui se disent ses alliés sont-ils les premiers à décrédibiliser son propos ?
La parole d’un chef d’Etat qui s’adresse solennellement à la nation dans des moments cruciaux de son Histoire, mérite d’être écoutée. Respectueusement. Puis, lorsque le texte est rendu disponible, donc gravé dans le marbre du temps, une lecture à tête reposée s’impose. Surtout lorsque les conséquences de cette parole se traduisent par des manifestations, des heurts et des morts…
J’ai donc pris le temps de l’écoute attentive. Puis celui de la lecture minutieuse du discours présidentiel qui commence ainsi :
« Mes chers compatriotes, alors que s’annonce l’élection présidentielle du 25 février 2024, notre pays est confronté ; depuis quelques jours, à un différend entre l’Assemblée Nationale et le Conseil Constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges » Ainsi commence le Président Macky SALL
La première observation qui s’impose est que si « différend » il y a eu, il s’agirait d’un différend entre le Groupe parlementaire du PDS et le Conseil constitutionnel, sur fond d’une accusation de corruption de deux juges par le Premier ministre – candidat à la succession du président sortant, Macky Sall. Ce fait expliquerait, selon le PDS, l’éviction de son Candidat Karim Wade de la liste des prétendants à la Magistrature suprême de notre pays et donc, justifierait le dépôt, dans des délais traités en mode fast track, d’une demande de mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire pour éclairer les zones d’ombre « d’une supposée affaire de corruption… »
La question à se poser serait donc celle-ci : En quoi un différend, entre un seul candidat et deux membres du Conseil constitutionnel, concerne-t-il les 20 autres candidats ayant satisfait à toutes les exigences dudit Conseil pour se présenter à l’élection présidentielle du 25 février 2024 ?
Au point de convoquer la parole présidentielle ?
Au point d’annuler, purement et simplement, une élection fixée par la Constitution de la République ?
Tout cela pour une « supposée affaire de corruption ? »
Le chef de l’Etat poursuit :
« Dans son communiqué du 29 janvier 2024 signé par tous ses membres ; le Conseil Constitutionnel a réfuté les allégations portées contre lui, tout en prenant la mesure de la gravité des accusations, et en tenant à ce que toute la lumière soit faite dans le respect des procédures constitutionnelles et légalesrégissant les relations entre les Institutions, notamment la séparation des pouvoirs et le statut de ses membres. »
Donc « le Conseil Constitutionnel a réfuté les allégations portées contre lui » L’incident aurait pu être clos. Sauf rebondissement extraordinaire ! La parole des membres, assermentés, du Conseil constitutionnel, ainsi que leur statut élevé dans l’ordonnancement de nos Institutions, devraient suffire à ne pas les ravaler au rang de dénégateurs qui doivent se laver à grande eau. Au demeurant, la qualité de l’accusé, Premier Ministre en fonction à qui, d’ailleurs, le président de la République vient de renouveler sa confiance, aurait dû nous éviter le spectacle navrant d’une Assemblée nationale qui persifle et insinue sans le nommer… Une Assemblée vidée, manu militari, de représentants élus par des millions de sénégalais. Quelle dignité reste-t-il désormais à ces représentants de la Nation ? Susceptibles d’être poussés vers la sortie de la Maison du Peuple ? Surréaliste !
Le chef de l’Etat poursuit :
« A cette situation suffisamment grave et confuse, est venue s’ajouter la polémique sur une candidate dont la binationalité a été découverte après la publication de la liste définitive des candidats par le Conseil Constitutionnel, ce qui constitue une violation de l‘article 28 de la Constitution qui dispose que » tout candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise. »
Le président de la République dispose, très certainement des éléments d’information lui permettant de juger d’une situation qui serait « suffisamment grave et confuse » au moment de s’adresser à la Nation ce 3 février 2024 à 14h. A quelques heures du démarrage de la campagne électorale prévue le jour même à 20h… Pour le commun des mortels, parmi lesquels je me compte, rien de grave a cette heure-là ne s’était encore produit sur notre sol : C’est plutôt après ce discours que des évènements malheureux et graves vont se produire. Hélas !
Pour ce qui de la binationalité invoquée :
Ne suffisait-il pas, tout simplement de retirer de la liste des candidats la personne concernée ? Avec éventuellement des poursuites judiciaires subséquentes ?
Au demeurant, les agents du Conseil Constitutionnel ne pouvaient-ils pas se livrer à l’exercice de vérifier la nationalité de cette candidate comme l’on fait tous ceux qui se sont rendus tout simplement sur le fichier de électeurs français ? Ce que nous ne pouvons faire à ce jour sur le fichier des élécteurs du Sénégal ! Si près, si loin…
Au final, le chef de l’Etat estime que « Ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d’un contentieux pré et post électoral »
Cette préoccupation est louable dans son principe. Mais, dans les faits, des évènements autrement plus graves se sont succédés dans notre pays, ces trois dernières années, sans pousser à envisager l’annulation de l’élection présidentielle prévue par la Constitution le troisième dimanche du mois de février de l’année en cours… Des centaines de personnes sont en prison pour des raisons politiques, des candidats significatifs de l’opposition aussi. Et au mépris de tout cela, on invoque une binationalité découverte tardivement, ainsi que des allégations de corruption réfutés par les intéressés ? On ne nous dit pas tout…
Mais poursuivons notre relecture !
Le président Macky Sall de poursuivre :
« Alors qu’il porte les stigmates des violentes manifestations de mars 2021 et de juin 2023, notre pays ne peut pas se permettre une nouvelle crise. J’ajoute qu’en ma qualité de président de la République, garant du fonctionnement régulier des institutions et respectueux de la séparation des pouvoirs, je ne saurais intervenir dans le conflit opposant le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire »
En résumé : le président de la République, quoiqu’intervenant dans un « différend » selon ses propres mots entre un Groupe parlementaire et deux juges mis en cause par des « allégations » impliquant son Premier ministre, s’en défend. Mais il prend en plus, et sur ces entrefaites, la décision grave d’annuler une élection présidentielle… Il y a vraiment quelque chose qui cloche !
Poursuivons la relecture :
« Devant cette situation, l’Assemblée Nationale, agissant en vertu de ses prérogatives, m’a saisi, pour avis conformément à son règlement intérieur ; d’une proposition de loi constitutionnelle en procédure d’urgence portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution. »
Je saute un paragraphe et termine part :
« En conséquence, compte tenu des délibérations en cours à l’Assemblée nationale réunie en procédure d’urgence, et sans préjuger du vote des députés, j’ai signé le décret 2024-106 du 03 février 2024 abrogeant le décret 2023 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral. »
Si je comprends bien, le Groupe parlementaire PDS, préoccupé de bon droit par le sort de son candidat Karim Wade, a pu mobiliser la majorité présidentielle, contourner son propre candidat Amadou BA, pour solliciter l’avis du président de la République en vue d’aboutir à une annulation de l’élection présidentielle… Chapeau !
Car en effet des audios en langue nationale wolof et qui circulent abondamment diffusent les propos de l’Honorable Woré Sarr, député du PDS qui expliquent avec force détails succulents, la stratégie mise au point pour reculer, d’au moins 6 mois, l’élection présidentielle !
Il y aussi des audios de M. Madiambal Diagne, greffier et journaliste dans le civil, qui explique pourquoi Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye ne devraient, absolument pas, participer au scrutin de février 2024.Qu’est ce qui autorise Ce Monsieur, intime dit-il du chef de de l’Etat à sortir ce genre de fatwas ? « Dis-moi qui tu hantes et je te dirai qui tu es » nous apprend la sagesse populaire…
Tous ces éléments, mis bout à bout, entachent le discours présidentiel de suspicions partisanes et de non-dits coupables. La parole du président de la République, s’adressant à la Nation dans les circonstances graves évoquées, ne devrait pas être susceptible de commentaires soupçonneux. Pourquoi ceux qui se disent ses alliés sont-ils les premiers à décrédibiliser son propos ? A quelles fins ?
En vérité, la décision d’annuler le scrutin du 25 février 2024 est illégitime. En attendant que des voix plus autorisées en établissent l’illégalité. Le discours du président de la République n’a pas donné des arguments d’une gravité telle que tous les efforts fournis par les 20 candidats retenus pour participer à l’élection présidentielle soient annihilés par la simple signature de celui qu’ils aspirent à remplacer. Au demeurant et en renouvelant sa confiance au Premier ministre Amadou Ba, le président de la République annihile les accusations de corruption portées sur lui. En reculant les élections, avec pour conséquence de permettre à Karim Wade de se présenter, le président Macky Sall chercherait-il à se faire pardonner les 5 années de prison auxquelles il l’avait fait condamner ? Quid de l’amende de 138 milliards qui lui avait été infligée ?
En un mot, comme en mille, nous sommes entrés dans une zone de turbulences. Aucun individu ne mérite la mise en péril d’une nation. Que chacun prenne ses responsabilités devant Dieu et devant les hommes. Se taire, c’est se rendre complice de tout ce qui pourrait advenir de fâcheux.
KARIM WADE BOUSCULE LA PRÉSIDENTIELLE, MALGRÉ L'EXIL
Depuis sa base qatarie, l'ancien ministre a lancé une offensive diplomatique et politique qui lui a permis d'influer sur les élections à distance. Portrait d'un opposant toujours influent en dépit de l'éloignement
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 12/02/2024
Écarté de la présidentielle au Sénégal, Karim Wade est parvenu, depuis son exil au Qatar, à bousculer le processus électoral dans son pays. S'appuyant sur "plusieurs responsables acquis à sa cause", aussi bien à Dakar que depuis Doha, l'opposant a fait adopter la création d'une commission d'enquête et le report de la présidentielle.
Selon l'hebdomadaire Jeune Afrique, les relations entre Karim Wade et le président Macky Sall seraient même "de nouveau au beau fixe", après les tensions liées à la condamnation de Wade en 2015. "Ils se parlent régulièrement", affirme un proche du chef de l'État cité par Jeune Afrique. Un rapprochement "facilité par le gouvernement qatari", où Karim Wade réside depuis sa libération de prison en 2016.
Au sein du PDS, Karim Wade s'appuie sur des figures comme Saliou Dieng, secrétaire général adjoint, et Maguette Sy, secrétaire national chargé des élections. Il peut également compter sur des alliés politiques tels que le député Moustapha Cissé Lô, qui a joué un rôle dans l'adoption de la commission d'enquête.
Depuis Doha, l'opposant bénéficie de l'appui du gouvernement qatari. Il a aussi conservé son statut de conseiller de l'émir du Qatar, lui offrant une influence régionale. Ses conseillers de longue date, comme Abdoulaye Racine Kane ou Alioune Aïdara Sylla, l'ont également rejoint dans son exil.
Cité par Jeune Afrique, un "proche" de Karim Wade analyse: "Karim ne peut laisser de place à la rancune, quand la conquête du pouvoir est à l'ordre du jour". Révélant la capacité de l'opposant à mobiliser un large réseau au service de ses ambitions politiques, malgré son exil forcé.
LES HANDICAPÉS EXIGENT JUSTICE ET PROTECTION RENFORCÉE
Khadime Rassoul Badji, jeune homme handicapé, a été brutalisé par la police lors d'une manifestation à Ziguinchor. Soulevée par ce cas de violence policière, l'ANHMS condamne avec véhémence son traitement
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 12/02/2024
L'Association Nationale des Handicapés Moteurs du Sénégal (ANHMS) a publié un communiqué le 11 février pour condamner avec véhémence les brutalités policières exercées sur un de ses membres lors des manifestations qui ont eu lieu le 9 février à Ziguinchor.
Selon le communiqué, Khadime Rassoul Badji, un jeune homme handicapé, a fait l'objet de violences policières d'une extrême gravité alors qu'il manifestait pacifiquement et portait les couleurs nationales. Il a été embarqué de force dans son fauteuil roulant vers le commissariat central où il est actuellement détenu.
"Le comportement de la police de Ziguinchor est aux antipodes du respect dû à tout être humain, quelque soit sa situation et une violation flagrante des dispositions de la Convention Internationale Relative aux Personnes Handicapées et ratifiée par l’Etat du Sénégal", dénonce le président de l'ANHMS Yatma Fall.
Pour appuyer sa condamnation, l'association cite les propos éclairés de l'ancien préfet de police de Paris Maurice Grimaud: "Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans les locaux de police pour y être interrogés".
L'ANHMS exige la libération immédiate et sans condition de Khadime Rassoul Badji. Elle se réserve également le droit d'engager des poursuites judiciaires si une telle situation venait à se reproduire. L'association appelle enfin au calme pendant cette période troublée et invite les personnes handicapées à la plus grande vigilance.
Collectif d'universitaires sénégalais
APPEL AU PRÉSIDENT MACKY SALL
Nous disons non au bafouement de nos idéaux démocratiques, au piétinement de nos valeurs de liberté, de dignité, non à l'avalissement de nos institutions. Nous exigeons le respect scrupuleux de la Constitution
Monsieur le président, le samedi 3 février, vous avez décidé d'abroger le décret portant convocation du corps électoral pour l'élection présidentielle.
Le lundi 5 février, les députés de la majorité ont reporté la date de cette élection de 10 mois.
Ces actions illégales, illégitimes, injustifiables et inacceptables sont le dernier acte d'une longue série de manquements graves portés à notre démocratie.
Manifestations interdites, emprisonnements massifs et arbitraires, régimes de terreur, coupures d'Internet, suspensions de médias.
Ces actes constituent une atteinte extrêmement grave aux droits et libertés des citoyens et des citoyennes et par conséquent à la stabilité politique et sociale du Sénégal qui a pourtant toujours été un exemple de démocratie en Afrique.
Ces actes portent les germes d'une crise institutionnelle sans précédent, d'une profonde érosion de la confiance dans notre personnel politique et d'une dangereuse récréation du Sénégal dans sa trajectoire démocratique.
C'est la raison pour laquelle nous enseignants et chercheurs de toutes les universités publiques du Sénégal exigeons la cessation de toutes les formes de violations de notre loi fondamentale, des normes communautaires et des droits et libertés.
Nous disons non au bafouement de nos idéaux démocratiques, au piétinement de nos valeurs de liberté, de dignité, non à l'avalissement de nos institutions politiques et sociales.
Nous exigeons le respect scrupuleux de la Constitution, de la démocratie et de la République.
Nous exigeons le respect du peuple.
Monsieur le président, nous exigeons le rétablissement immédiat du calendrier électoral, la garantie du bon fonctionnement des institutions, l'équilibre des pouvoirs et le respect des droits humains, car ces éléments constituent une nécessité absolue et une urgence nationale.
Jean-Louis Corréa, Agrégé des Facultés de Droit, UNCHK (ex-UVS)
El Hadj Samba Ndiaye, Agrégé des Facultés de Droit, UCAD
Mame Penda Ba, Professeure de Sciences politiques, UGB
Abdou Sène, Professeure en Mathématiques appliquées, UNCHK (ex-UVS)
Abdoul Aziz Diouf, Agrégé de Facultés de Droit, UCAD
Idrissa Ba, Professeur d'Histoire, UCAD
Maryama Khadim Mbacké, Enseignant-chercheur en Génie des procédés, UAM
MACKY SALL VA AMNISTIER LES CRIMES DE 2021 ET 2023
Le président lève la suspension de Walf TV dans l'espoir d'apaiser les esprits. Autres actions à venir : le projet d'amnistie à présenter prochainement en Conseil des ministres et la poursuite du dialogue national pour sortir de l'impasse politique
La reprise du signal de la télévision Walfadjri rentre dans un plan général de réconciliation préparé par Macky Sall. Le gouvernement va présenter mercredi un projet d’amnistie couvrant les émeutes de 2021 et de 2023. Cela, afin de préparer la voie au dialogue souhaité par le Président.
La reprise du signal de Walf Tv se veut être le premier signe de la décrispation de l’espace social et politique que souhaite lancer le président Macky Sall. Le chef de l’Etat souhaiterait convaincre le plus de monde possible à venir au dialogue qu’il a appelé, dans l’idée de sortir de l’impasse politique où se trouve le pays, et qui conduit à des affrontements mortels, opposant les Forces de défense et de sécurité (Fds) à des citoyens dans plusieurs localités du pays, en particulier les grandes agglomérations.
Pour preuve de sa bonne foi, le chef de l’Etat a demandé au gouvernement de préparer un projet de loi d’amnistie pour les évènements ayant conduit aux émeutes de mars 2021 et de juin 2023. Ce sera l’occasion sans doute de permettre aux nombreuses personnes détenues dans les prisons du pays de recouvrer la liberté.
S’agissant de ce point, Le Quotidien a appris par ailleurs que le chef de l’Etat avait d’ailleurs présenté l’idée en Conseil des ministres le mercredi dernier 7 février. Néanmoins, plusieurs ministres avaient eu besoin de plus de clarifications, ce qui a conduit à repousser le projet, pour prendre le temps de bien en expliquer les motivations à tous les acteurs. Cela s’est tout de même reflété d’une certaine manière dans le communiqué de ce dernier Conseil des ministres, qui indique ceci : «Le président de la République a particulièrement réitéré sa détermination à poursuivre le dialogue avec tous les acteurs politiques et les forces vives de la Nation, en vue de renforcer, d’une part, notre démocratie à travers un processus électoral transparent, libre et inclusif et, d’autre part, la crédibilité de nos institutions. Dans ce contexte, le chef de l’Etat a décidé d’engager les voies et moyens de mettre en œuvre un processus pragmatique d’apaisement et de réconciliation pour préserver la paix et consolider la stabilité de la Nation. Dans cette dynamique, le président de la République, garant de l’unité nationale et du fonctionnement régulier des institutions, a demandé au gouvernement, notamment à la Garde des sceaux, ministre de la Justice, de prendre les dispositions nécessaires pour matérialiser sa volonté de pacifier l’espace public dans la perspective du dialogue national et de l’organisation de la prochaine élection présidentielle.»
L’idée derrière ce texte est, comme dit plus haut, de faire montre «d’esprit de pardon et de réconciliation», pour dépasser les clivages actuels, afin de reprendre le plus rapidement possible le processus électoral.
Le chef de l’Etat a dû penser que les explications fournies aux uns et aux autres ont sans doute permis de lever les obstacles liés à la compréhension de certains membres du Conseil des ministres, et que le prochain pourra donc être présenté dès le mercredi prochain 14 février pour être adopté avant son envoi devant les députés
LES CALCULS POLITICIENS FRAGILISENT LE CLIMAT DES AFFAIRES
Le report de la présidentielle jette le trouble. Nombre de patrons redoutent les conséquences d'un nouvel embrasement sur leur activité. Car au Sénégal, les petits métiers du secteur informel représentent 97% des emplois
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 12/02/2024
Derrière son bureau de la banlieue de Dakar, Racine Sarr supervise avec inquiétude ses équipes. Le report de l'élection présidentielle sénégalaise, annoncé par le chef de l'Etat Macky Sall, jette le trouble sur les activités de cet entrepreneur et sur l'ensemble de l'économie du pays.
"C'est un énorme gâchis d'argent", déplore le patron de la plateforme d'import-export Shopmeaway, interrogé par France 24. A l'instar d'Ousmane Diallo, qui évoque déjà "20 000 euros de pertes" après l'annulation d'un contrat avec un candidat, de nombreux acteurs économiques dénoncent les répercussions immédiates de cette décision sur leur business.
Mais au-delà des impacts financiers à court terme, c'est surtout l'incertitude sur la durée de cette crise politique que redoutent les chefs d'entreprise sénégalais. Car en tant que deuxième économie ouest-africaine, la stabilité du Sénégal est un atout majeur pour rassurer les investisseurs internationaux.
"Notre rôle est d'être un vecteur de confiance. Celle-ci est bien sûr liée à la stabilité politique du pays", souligne Racine Sarr. Or, selon l'économiste Thierno Thioune, "sur le moyen-long terme, [les troubles] affectent la confiance et donc les partenariats et les investissements internationaux".
Un constat avéré par le passé récent. Lors des émeutes de 2021 et 2023 déclenchées par l'affaire Ousmane Sonko, des entreprises comme Auchan avaient été la cible de manifestants. Et ces perturbations avaient alors eu "un impact immédiat sur le business sénégalais", note M. Thioune.
Dans les bureaux de Racine Sarr, situés non loin du quartier de l'opposant emprisonné, les affrontements avaient même mis en péril le travail des équipes. "Le gaz lacrymogène entrait dans nos bureaux", se remémore l'entrepreneur.
Comme lui, nombre de patrons redoutent les conséquences d'un nouvel embrasement sur leur activité. Car au Sénégal, ce sont aussi les petits métiers du secteur informel, représentant 97% des emplois selon la Banque mondiale, qui sont les premiers touchés par les perturbations.
Or le climat social s'annonce tendu jusqu'aux prochaines élections, repoussées au 15 décembre. De quoi susciter l'inquiétude des entrepreneurs, à l'image de Racine Sarr qui déplore que "des calculs politiciens mettent en péril les intérêts de tous". Face aux incertitudes, le poumon économique ouest-africain retient son souffle.
Par Madiambal DIAGNE
LES INDÉCENTES INJONCTIONS AUX JUGES DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Il faudrait bien que ceux qui voudraient renverser la table des négociations, sachent que leur jusqu’au-boutisme pourrait mener à une situation extrême d’un putsch militaire
Un groupe de cinq professeurs de Droit, émérites, des références, des sommités universitaires, Serigne Diop, Abdel Kader Boye, Babacar Guèye, Alioune Badara Fall et Alioune Sall, ont publié une sorte de lettre ouverte aux membres du Conseil constitutionnel. Ils leur font la leçon de Droit, leur expliquant comment juger le recours introduit au niveau de cette haute juridiction par des députés de l’Assemblée nationale, attaquant la loi constitutionnelle qui fixe le report de l’élection présidentielle au 15 décembre 2024. Cette élection présidentielle était initialement prévue pour le 25 février 2024. Ces enseignants de Droit public, qui signent leur texte avec laeurs prestigieux titres et qualités académiques, considèrent «la justiciabilité incontestable de la loi constitutionnelle n°04/2024 devant le Conseil constitutionnel». En langage moins ésotérique, ils expliquent que le Conseil constitutionnel est compétent pour juger de cette loi constitutionnelle. C’est dire que le Conseil constitutionnel devrait réviser sa jurisprudence constante selon laquelle il ne saurait juger d’une loi constitutionnelle, d’autant que ses missions sont strictement encadrées par la loi organique qui fixe ses attributions et compétences.
«Cent fois le Conseil constitutionnel sera saisi pour examiner une loi constitutionnelle, cent fois il se déclarera incompétent» - Serigne Diop
Cette haute juridiction ne saurait être appelée à se prononcer dans d’autres cas que ceux limitativement prévus par les textes. Le Conseil constitutionnel ne tient, ni de la Constitution ni d’aucune disposition de la loi organique, le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle. On voit clairement le premier biais de l’injonction contenue dans la note de cours des éminents universitaires. En effet, ils admettent, par l’intitulé-même de leur texte, le caractère et l’impérium d’une «loi constitutionnelle». Il ne saurait d’ailleurs en être autrement car le texte en cause a été adopté, par le Constituant, selon les formes d’une loi constitutionnelle, c’est-à-dire à la majorité requise de plus des 3/5 des membres de l’Assemblée nationale. Aussi, dans le fond, le texte change des dispositions de la Constitution et toutes choses égales par ailleurs, une disposition légale qui en change une autre, revêt naturellement la même autorité ou le même caractère. Il apparaît alors étonnant de demander au Conseil constitutionnel de s’arroger le droit ou le pouvoir d’examiner une loi constitutionnelle. Autres temps, autres mœurs car dans les mêmes circonstances, Serigne Diop enseignait que «cent fois on saisira le Conseil constitutionnel au motif d’apprécier une loi constitutionnelle, cent fois le Conseil constitutionnel se déclarera incompétent !».
On peut rappeler les grands débats durant le règne du président Abdoulaye Wade, en l’occurrence lors de l’adoption de la loi constitutionnelle instaurant un viceprésident de la République au Sénégal ou de la loi constitutionnelle instituant le Sénat, ou encore de la loi constitutionnelle sur l’intérim du président de la République par le président du Sénat, ou encore de la loi constitutionnelle modifiant la durée du mandat du président de la République. Le contrôle des lois constitutionnelles s’est systématiquement heurté au refus du juge de l’exercer ! Comme par hasard et pour on ne sait quelle raison, il faudrait que le Conseil constitutionnel se transforme ou se renie pour l’exercer dans le cas d’espèce ! Inciterait-on à une sorte de rébellion des juges, mais une rébellion qui ne serait certainement pas fondée sur une posture de légalité ou d’orthodoxie républicaine ? Le Conseil constitutionnel a pu être atteint dans son honorabilité avec les folles accusations de corruption portées par une partie de la classe politique contre certains de ses membres. Pour autant, il ne saurait se mettre dans une logique de « gouvernement des juges ».
On retiendra que c’est cette situation de récurrence des décisions d’incompétence du Conseil constitutionnel qui avait poussé des voix à s’élever pour demander l’accroissement des compétences du Conseil constitutionnel ou de l’interprétation qu’il en fait, et donc préconisaient de le transformer en Cour constitutionnelle comme au Bénin. Ainsi aurait-il la plénitude de ses compétences et statuerait en toutes circonstances. Depuis sa décision du 26 mars 2003, le Conseil constitutionnel français se déclare systématiquement incompétent pour statuer sur la conformité à la Constitution d’une révision constitutionnelle.
L’autre argument qui rend dubitatif est que les cinq éminents professeurs arguent que la loi constitutionnelle ne saurait modifier des dispositions intangibles ou immuables consacrées par la Constitution. En langage plus simple, il existerait dans la Constitution des dispositions qu’aucun Constituant souverain ne devrait plus pouvoir changer. Le Constituant qui a élaboré la Constitution de 2016 aurait-il plus de légitimité ou d’autorité pour ne plus permettre à un autre futur lointain Constituant de l’année 3016 par exemple, de fixer de nouvelles dispositions selon les mêmes règles ou procédures ? Ce Constituant de 2016 s’était pourtant permis de modifier des dispositions fixées antérieurement par d’autres aussi légitimes constituants !
En France, ils tomberaient sous le coup de la loi pénale
Il faut dire que c’est le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, un autre professeur de Droit public, Ismaïla Madior Fall, qui a été le premier à chercher à faire revenir les juges constitutionnels sur les bancs de la Faculté des sciences juridiques. Il a fait une note explicative intitulée «comprendre le report de l’élection présidentielle du 24 février 2024», et dans laquelle il s’est permis de répondre à sa propre question : « Est-ce que le Conseil constitutionnel peut censurer la loi constitutionnelle ?» Ainsi, explique-t-il, dans l’esprit d’une justice « prédictive », que la haute juridiction ne saurait faire autrement que d’avaliser la loi constitutionnelle. Il s’est également évertué à leur montrer que le décret pris par le président de la République, le 3 février 2024, suspendant le processus électoral, relève de la catégorie des actes de gouvernement qui bénéficient de l’injusticiabilité constitutionnelle. On peut dire qu’il a bien tort d’engager le débat pour provoquer les réactions examinées ci-dessus. Si le Conseil constitutionnel le suit dans «sa plaidoirie», on pourra toujours dire que les juges ont subi une influence, une pression de la part des autorités gouvernementales. Au demeurant, toutes ces prises de position participent de certaines formes d’influence, du reste inacceptables, sur les juges. On peut en outre interroger la question de la rationalité affective qui peut peser sur le délibéré des juges.
En effet, quand votre ancien professeur de Droit, que vous respectez, que vous pouvez vénérer, vous indique la « bonne » voie à suivre pour trancher un contentieux, assurément, toute personne peut avoir tendance à être sensible à cette injonction. On a bien vu que cela devient une habitude au Sénégal, que les différents professeurs de Droit s’autorisent à écrire publiquement, dans les journaux, le factum à la place du Conseil constitutionnel ou de tout autre juge. De telles prises de position peuvent constituer de véritables déterminants qui peuvent fortement conditionner un juge. Aussi, la suspicion qui va entourer la décision que prendront les juges sera renforcée. Est-il besoin de rappeler que les juges ne sont que des êtres humains avec des sentiments.
Aux Etats-Unis d’Amérique, une caricature voudrait que « la Justice reflète ce que le juge a mangé au petit-déjeuner ». Dans l’esprit de protéger davantage les juges de ces formes de pression, le législateur sénégalais devrait songer à adopter une loi comme celle existant en France. L’article 434-16 du Code pénal français dispose : «La publication, avant l’intervention de la décision juridictionnelle définitive, de commentaires tendant à exercer des pressions en vue d’influencer les déclarations des témoins ou la décision des juridictions d’instruction ou de jugement, est punie de six mois d’emprisonnement et de 7500 € d’amende. Lorsque l’infraction est commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.»
Au Sénégal, cette interdiction n’est faite qu’à l’endroit des magistrats. Il n’est nullement question d’une remise en cause d’un quelconque droit de critique d’une décision de Justice. La doctrine enrichit l’œuvre de Justice par cet exercice. Ce droit de critique, et parfois de contestation, demeure aussi une faculté encadrée par la loi, encore qu’elle ne saurait être exercée qu’après le prononcé du verdict. Le faire avant procède indubitablement d’une forme de discrédit de la Justice.
L’heure de choisir entre la peste et le choléra
On ne le dira jamais assez, la décision de Justice, quelle que soit sa portée, ne permettra pas de régler définitivement la question éminemment politique du report de l’élection présidentielle. Il apparaît que le rendez-vous initial du 25 février 2024 sera fatalement manqué. La question est moins de savoir si Macky Sall est un démocrate ou est le pire des dictateurs que la terre n’ait jamais connus. Il s’agit de sortir le Sénégal d’une impasse. Les acteurs publics ne pourront alors qu’essayer de s’y faire avec un nouveau calendrier électoral. Il faudra forcément accepter une autre date pour l’élection du président de la République. Le refus obstiné de discuter pour s’accorder sur la date du 15 décembre 2024 ou sur une autre date, présente assurément de graves risques pour la paix civile et la stabilité institutionnelle et le système démocratique. Il faudrait bien que ceux qui voudraient renverser la table des négociations, sachent que leur jusqu’au-boutisme pourrait mener à une situation extrême d’un putsch militaire (Que Dieu nous en préserve !). Mais si par malheur cela arrivait, au lieu du 15 décembre 2024, l’élection se tiendrait au meilleur des cas en 2027. Il suffit en effet d’observer autour du Sénégal, que tous les régimes putschistes qui avaient promis de courtes transitions sont restés au pouvoir depuis plusieurs années et ne songent pas encore à organiser des élections.