Les Sénégalais votaient en nombre dimanche pour reconduire le président sortant Macky Sall ou accorder leur sufrage à l'un de ses quatre adversaires, une concurrence inhabituellement clairsemée dans un pays avide de joutes démocratiques.
Fort de la statistique qui a vu tous ses prédécesseurs accomplir effectuer au moins deux mandats, Macky Sall, 56 ans, veut piloter pour les cinq prochaines années la deuxième phase (2019-2023) de son plan "Sénégal émergent" et même l'emporter dès le premier tour, comme l'avait fait en 2007 son ancien mentor, Abdoulaye Wade (2000-2012).
Ses concurrents, rescapés du nouveau système de parrainages et des décisions judiciaires qui ont éliminé des rivaux de poids, espèrent bien contrarier ses ambitions, à commencer par l'ancien Premier ministre Idrissa Seck, 59 ans, et le député "antisystème" et ex-inspecteur des impôts Ousmane Sonko, 44 ans, qui ont tous deux prophétisé sa chute dès dimanche soir.
Les premiers résultats sont attendus dès la fermeture des bureaux à 18H00 (locales et GMT), mais ne deviendront officiels qu'à partir du 25 ou du 26 février. Un éventuel second tour, compte tenu des délais légaux de proclamation, de possibles contestations et de la nouvelle campagne, se tiendrait vraisemblablement le 24 mars.
L'affluence était forte à l'ouverture des bureaux à 08H00 à Fatick (centre) où Macky Sall a voté vers 09H30, mais aussi à Thiès (ouest), considéré comme un fief d'Idrissa Seck, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Dans une école élémentaire de Mbao, en banlieue de Dakar, où de longues files s'étaient déjà formées, le vote a commencé à l'heure dans la plupart des bureaux.
"Je souhaite que cette élection se passe dans la paix et que demain lundi tout le monde vaque à ses occupations, cela signifie une élection apaisée", a déclaré Lamine Diatta, comptable à la retraite après avoir déposé son bulletin dans l'urne.
5.000 observateurs
Dans un bureau de Grand-Yoff, un quartier de Dakar, bastion du maire déchu de la capitale, Khalifa Sall, écarté de la course en raison d'une condamnation pour détournement de fonds publics, le vote a commencé avec 30 minutes de retard.
"Je veux rentrer le plus vite possible chez moi", a confié à l'AFP d'une voix nerveuse Fatoumata Sall, 25 ans, drapée dans un grand boubou doré, venue avec une demi-heure d'avance. "J'ai peur des violences le jour de l'élection", a-t-elle expliqué.
Les autorités ont annoncé le déploiement de 8.000 policiers et gendarmes en tenue dans les agglomérations urbaines le jour du vote, ainsi qu'un nombre indéterminé d'agents en civil.
Selon le ministère de l'Intérieur, quelque 5.000 observateurs, dont près de 900 de missions étrangères, surveillent le bon déroulement des opérations.
Le Sénégal, qui a connu deux alternances, en 2000 et en 2012, et aucun coup d'Etat, fait figure de modèle démocratique en Afrique, mais les campagnes électorales y sont souvent émaillées d'accusations de corruption, de désinformation et de violences.
Des affrontements ont fait deux morts le 11 février à Tambacounda, à 420 km à l'est de Dakar, entre partisans de Macky Sall et d'Issa Sall.
Pour la première fois depuis 1978, ni le Parti socialiste (PS) ni le Parti démocratique sénégalais (PDS, libéral) d'Abdoulaye Wade ne présentent leur propre candidat. Mais la famille libérale est particulièrement bien représentée, avec Macky Sall, Idrissa Seck et l'ancien ministre Madické Niang, 65 ans, tous trois issus du PDS.
Tous deux élus députés en 2017, Ousmane Sonko, partisan déclaré du patriotisme économique, et le président d'université privée Issa Sall, 63 ans, proche d'un mouvement religieux issu de la puissante confrérie tidiane, sont en revanche des nouveaux venus sur la scène politique nationale.
L'opposition a dénoncé l'invalidation des candidatures de Karim Wade, fils et ancien ministre d'Abdoulaye Wade (2000-2012), et de Khalifa Sall, dissident du PS, tous deux frappés par des condamnations judiciaires, ainsi que le système de parrainages.
Candidat pour la troisième fois, Idrissa Seck est apparu comme le principal bénéficiaire de cet écrémage puisque Khalifa Sall a annoncé de sa prison lui apporter son soutien et que la grande majorité des 20 recalés du parrainage se sont ralliés à lui.
L'ex-président Wade, qui dès son retour au pays en début de campagne avait appelé à brûler le matériel électoral, avant de plaider cette semaine pour "une résistance somme toute ferme mais pacifique", n'a en revanche pas donné de consigne de vote, mais plutôt de "ne pas participer à ce simulacre d'élection" confisquée selon lui par Macky Sall.
LES CHIFFRES CLÉS DE LA PRÉSIDENTIELLE
Ce dimanche 24 février, 6 373 451 électeurs seront appelés aux urnes dans 14 651 bureaux de vote - Pour les 309 592 électeurs de l’étranger, 746 bureaux de vote sont mis à leur disposition
Ce dimanche 24 février, 6 373 451 électeurs seront appelés aux urnes dans 14 651 bureaux de vote au Sénégal. Pour les 309 592 électeurs de l’étranger, 746 bureaux de vote sont mis à leur disposition. Au total, 6 683 043 électeurs devront décider ce 24 février, qui d’entre Macky Sall, Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Madické Niang et Issa Sall, présidera aux destinées du Sénégal pour les cinq années à venir. Toutes les dispositions ont été prises par le ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique, à travers notamment la Direction générale des élections (Dge) pour que l’élection se déroule dans les meilleures conditions. Le matériel électoral (bulletins de vote, enveloppes, cachets, urnes, isoloirs…) a été distribué dans les différents centres de vote. Pour chacun des cinq candidats, 8 020 000 bulletins ont été imprimés, soit 40 100 000 bulletins au total.
Les détails de la carte électorale sont connus à travers le tableau de répartition des électeurs. La capitale sénégalaise, Dakar, compte 1 687 826 électeurs répartis dans 347 lieux de vote, lesquels totalisent 3 067 bureaux de vote. 663 020 électeurs sont dénombrés dans le département de Dakar, où l’on retrouve 1 190 bureaux dans 122 lieux de vote. Les communes de Parcelles Assainies, avec 96 244 électeurs, et Grand-Yoff, avec 79 997 électeurs, sont les plus importantes zones du département. A Guédiawaye, les 195 332 électeurs vont se partager 350 bureaux de vote éparpillés dans 38 centres. Pour Pikine, il y aura 1 026 bureaux dans les 90 lieux de vote, pour les 573 844 électeurs. La commune de Keur Massar se distingue dans ce département avec ses 80 682 électeurs. Rufisque polarise 255 630 électeurs, 97 lieux de vote et 501 bureaux de vote.
Dans la région de Diourbel on retrouve 589 015 électeurs, 481 centres de vote et 1 355 bureaux. Le département de Mbacké compte le plus grand nombre d’électeurs de la région, avec 364 826 électeurs, dont 278 834 à Touba-Mosquée, avec 156 lieux de vote et 810 bureaux. Bambey rassemble de son côté 113 441 électeurs, répartis dans 176 lieux et 276 bureaux de vote. Pour Diourbel, les électeurs sont au nombre de 110 748, avec 61 338 dans Diourbel commune, 269 bureaux de vote et 149 centres.
A Fatick, fief du président de la République, 322 290 électeurs sont répertoriés et sont répartis dans 798 bureaux et 499 lieux de vote. Fatick département représente 160 733 électeurs, 223 centres de vote et 374 bureaux. Pour Foundiougne, on compte 118.747 électeurs, 301 bureaux éparpillés dans 186 lieux de vote. 42 810 électeurs, 90 lieux de vote et 123 bureaux sont comptés à Gossas.
La région de Kaffrine polarise 232 081 électeurs, avec 437 centres de vote et 631 bureaux. Le département de Birkilane regroupe 85 lieux de vote et 122 bureaux pour 46 459 électeurs. A Koungueul, on retrouve 68 248 électeurs, 139 lieux de vote et 191 bureaux. On compte 36 551 électeurs à Malem Hodar, avec 110 bureaux répartis dans 87 centres. Kaffrine département a la majorité d’électeurs, 80 823, qui iront dans 126 lieux de vote et 208 bureaux.
A Kaolack, les électeurs sont au nombre de 425 919, avec 540 lieux de vote et 1 015 bureaux. Les 237 245 électeurs sont dans le département de Kaolack, qui compte également 199 lieux de vote et 509 bureaux. Nioro du Rip totalise 138 529 électeurs qui se partagent 233 lieux et 358 bureaux de vote. A Guinguinéo, on compte 50 145 électeurs, 108 lieux de vote et 148 bureaux.
La région de Kédougou ne compte que 65 167 électeurs, dont 37 202 dans le département, 158 lieux de vote et 208 bureaux. Kédougou département polarise aussi 109 bureaux de vote dans 75 centres. A Salémata, on retrouve 10 277 électeurs pour 28 lieux de vote et 33 bureaux. Pour Saraya, on compte 66 bureaux de vote dans 55 centres, pour 17 688 électeurs.
229 399 électeurs iront aux urnes à Kolda, précisément dans les 652 bureaux de vote répartis dans 444 centres. Rien qu’à Vélingara, il y aura 197 lieux de vote et 292 bureaux pour 99 787 électeurs. Le département de Kolda compte 89 246 électeurs et 247 bureaux de vote disséminés dans 159 centres. L’autre département de la région, Médina Yoro Foulah, concentre 40 366 électeurs, 88 lieux de vote et 113 bureaux.
A Louga, le nombre d’électeurs est de 414 144, avec 769 centres de vote et 1 142 bureaux. Dans le département de Kébémer, on retrouve 120 375 électeurs qui se partagent 226 lieux de vote et 334 bureaux. 118 302 électeurs se trouvent à Linguère, et disposent de 336 bureaux de vote dans 227 lieux. Louga département totalise le plus grand nombre d’électeurs de la région, 175 467, avec 316 centres de vote et 472 bureaux.
Dans le nord du pays, la région de Matam centralise 262 lieux de vote et 601 bureaux pour ses 273 714 électeurs. A Kanel, on compte 108 113 électeurs, 101 centres de vote et 236 bureaux. On retrouve 141 286 électeurs dans le département de Matam, 301 bureaux de vote dans les 115 centres. Dans le Ranérou Ferlo, on dénombre 24 315 électeurs, 46 lieux de vote et 64 bureaux.
Toujours dans le nord, à Saint-Louis, les électeurs sont au nombre de 504 867, avec 1 114 bureaux de vote dans 485 centres. On retrouve 158 lieux de vote et 316 bureaux pour les 134 210 électeurs de Dagana. Dans le département de Podor, on compte 207 955 électeurs qui se rendront dans les 480 bureaux répartis dans 238 lieux de vote. A Saint-Louis département, ils seront au nombre de 162 702, avec 89 centres de vote et 318 bureaux.
Dans la région de Sédhiou, 193 055 électeurs sont répertoriés, avec 360 lieux de vote et 551 bureaux. Le département de Bounkiling polarise 58 448 électeurs, avec 115 centres de vote et 172 bureaux. A Goudomp, on relève 120 lieux de vote et 184 bureaux, pour les 65 584 électeurs. Au département de Sédhiou, on compte 66 023 électeurs, 125 centres de vote et 195 bureaux.
A Tambacounda, on retrouve 251 363 électeurs pour 664 lieux de vote et 861 bureaux. 60 479 électeurs sont dans le département de Bakel, avec 118 centres de vote et 173 bureaux. A Goudiry, on compte 44 739 électeurs, répartis dans 157 lieux de vote et 177 bureaux. Dans le département de Tamba, les électeurs sont au nombre de 105 306, avec 246 lieux de vote et 349 bureaux.
Deuxième plus grand électorat après Dakar, la région de Thiès compte 901 216 électeurs, avec 795 lieux de vote et 1 982 bureaux. Le département de Mbour se retrouve avec 312 815 électeurs, 216 centres de vote et 668 bureaux. 224 919 électeurs sont à Tivaouane, où sont disséminés 289 lieux de vote et 540 bureaux. A Thiès département, on compte 363 482 électeurs pour 774 bureaux de vote installés dans 290 centres.
Dans la région Sud du pays, Ziguinchor, on dénombre 283 395 électeurs, 308 lieux de vote et 674 bureaux. Le département de Bignona compte 128 489 électeurs, qui disposent de 334 bureaux de vote dans 190 centres. On retrouve 29 752 électeurs à Oussouye, 47 lieux de vote et 76 bureaux. Pour Ziguinchor, ils seront 125 154 électeurs, pour 71 lieux de vote et 264 bureaux.
VOA Afrique vous propose une brève histoire de la politique du Sénégal, depuis Senghor jusqu'à Macky Sall, le président sortant et candidat à sa propre succession.
C'est le récit de Abdourahamane Dia.
QUAND CONNAÎTRA-T-ON LES RÉSULTATS ?
Si les résultats définitifs ne peuvent être publiés que par le Conseil constitutionnel, les résultats provisoires commenceront à tomber dans la soirée du dimanche 24 février
Jeune Afrique |
Manon Laplace |
Publication 23/02/2019
Les Sénégalais sont appelés aux urnes dimanche pour élire leur président parmi Macky Sall, qui brigue un second mandat, et les candidats de l’opposition Ousmane Sonko, Idrissa Seck, Issa Sall et Madické Niang.
Si les résultats définitifs ne peuvent être publiés que par le Conseil constitutionnel, les résultats provisoires commenceront à tomber dans la soirée du dimanche 24 février. Dès la fermeture des 15 397 bureaux de vote, ceux-ci procèderont au dépouillement et afficheront les procès-verbaux des résultats, explique Bernard Casimir Cissé, en charge de la communication de la Direction général des élections (DGE).
Les procès-verbaux sont alors transmis aux Commissions départementales de recensement des votes (CDRV), constituées de magistrats, qui les examinent et les compilent. Les Commissions ont jusqu’au mardi 26 février midi pour publier les résultats provisoires de leur département.
Les procès-verbaux sont ensuite acheminés vers la Commission nationale de recensement des votes (CNRV), à Dakar, qui est tenue de publier les résultats provisoires avant le vendredi qui suit le scrutin, soit le 1er mars, à minuit. L’ensemble des résultats sont alors transmis au Conseil constitutionnel qui proclame les résultats définitifs après avoir examiné d’éventuels recours en cas d’irrégularités. « En général, dès le lendemain, on a les grandes tendances, mais les délais légaux font que les résultats définitifs ne sont publiés qu’environ une semaine après le scrutin”, estime une source à la Commission électorale nationale autonome (CENA).
Si le processus administratif peut s’étirer jusqu’à cinq jours après le vote, les premières tendances elles, se dessinent beaucoup plus tôt. « En général, les gens savent qui a gagné bien avant la publication par le Conseil constitutionnel, en suivant les directs des radios et des télévisions », soutient Ibrahima Khaliloullah Ndiaye, rédacteur en chef délégué au quotidien national Le Soleil.
« Nous envoyons des équipes dans toutes les Commissions départementales et elles feront le tour des bureaux de vote. Si ces derniers ferment bien à 18h, on peut espérer avoir les premiers résultats locaux dès 19 heures », ajoute Mambaye Ndiaye, présentateur à SenTV. La chaîne de télévision, propriété du groupe Dmedia, a déployé ses effectifs dans tout le pays. Evelyne Mandiouba, coordinatrice des rédactions de Dmedia, regroupant la radio Zikfm et le quotidien La Tribune en plus de la chaîne de télévision SenTV, détaille : « la vraie tendance du vote se précise vers 23 heures, quand la plupart des bureaux ont affiché leurs résultats et que ceux de la diaspora commencent également à tomber ».
Dispositifs de la société civile
La société civile aussi collecte les résultats au fur et à mesure de leur divulgation. Ainsi, l’initiative citoyenne « Sénégal Vote » s’appuie sur quelque 3000 volontaires et observateurs, dont ceux de l’Église ou de l’ONG 3D avec qui elle collabore, déployés sur tout le territoire national. S’il est permis de collecter les informations au compte goutte, ni la presse ni les observateurs ne peuvent annoncer les résultats de leurs calculs. « La loi électorale nous interdit de publier les résultats compilés, mais nous auront accès aux résultats, bureau par bureau. Les résultats se précisent généralement tard dans la nuit, voire le lendemain matin », explique Jaly Badiane, journaliste et coordinatrice de « Sénégal Vote ».
Les candidats ?
Les candidats déploient un dispositif similaire, avec un représentant dans plusieurs bureaux de vote. Les résultats sont alors compilés dans les différents QG. Souvent, les résultats provisoires suffisent à annoncer la couleur. Lors des deux alternances qu’a connues le pays, au second tour des élections de 2000 et de 20012, les candidats ont reconnu leur défaite sur la base de résultats provisoires. « En 2012, le président sortant Abdoulaye Wade a reconnu sa défaite face à Macky Sall sur la base des tendances publiées le soir-même, comme ce fut le cas en 2000, lorsqu’Abdou Diouf avait été battu par Abdoulaye Wade », se souvient Bernard Casimir Cissé. Cette année encore, les candidats de l’opposition scruteront les tendances dans l’espoir d’un second tour, lequel viendrait contrarier la prophétie maintes fois répétée par Macky Sall, qui promet une victoire dès le 24 février.
AUDIO
L'ACTUALITÉ DE LA SEMAINE AVEC PAPE NDAO
EXCLUSIF SENEPLUS - AFRICAN TIME - La chronique hebdomadaire diffusée en wolof tous les week-end depuis New-York
Pape Ndao revient sur les faits marquants de la semaine, au micro d'AfricanTime, partenaire de SenePlus à New-York.
PAR HAMIDOU ANNE
POURQUOI NOUS BATTONS-NOUS ?
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Le jour où notre pays renoncera à son exigence de lutte contre toutes les passions tristes qu’incarnent ceux qui préfèrent ériger des barrières au lieu de construire des ponts, il récoltera défaite et déshonneur
#Enjeux2019 – Nous exprimerons demain nos suffrages comme nous l'avons toujours fait en pareilles circonstances. Malgré nos adhésions différentes, voire divergentes, nous demeurons le 25 février une nation. Demain se manifestera à nouveau la démocratie à travers la compétition de cinq de nos concitoyens, en vue d’accéder à la station suprême : le service au peuple sénégalais.
Mais ce jour est juste une étape dans la construction de notre pays. Le Sénégal du lendemain du scrutin mérite toute notre attention, afin de clore le cycle de la démocratie procédurale pour enfin inaugurer l’ère de la démocratie substantielle, socle d’égalité, de justice et de prospérité.
- Relever les défis de l’heure -
Le débat public n’a pas été à la hauteur des enjeux de notre pays et des bouleversements d’un monde en proie au terrorisme, aux drames de la migration et au replis identitaires qui posent un défi de civilisation. Le Sénégal est un grand pays et mérite à ce titre une classe politique digne de son poids et de sa stature en Afrique. Des questions aussi cruciales que l’éducation, la culture, l’écologie, la justice, la laïcité, n’ont pas été abordées avec la rigueur que leur importance requiert.
Dès lors, des chantiers s’imposent à la nouvelle génération de penseurs, militants, cadres, travailleurs, étudiants, sans emplois. Ce Sénégal de la majorité silencieuse, qui n’est représenté par aucun courant politique doit construire un peuple, afin de féconder des idées que le corps politique traditionnel ne parvient pas à appréhender dans leur complexité et leur urgence.
Les Sénégalais vivent dans des souffrances profondes qui méritent une attention particulière. Mais nos concitoyens ont toujours gardé dignité et honneur, foi et espoir. Notre pays n’a jamais cédé à la tentation de la haine et de la xénophobie, de la peur de l’autre ou du repli sur lui-même. En ces temps incertains, où il est facile d’indexer l’autre comme objet de notre malheur, notre pays ne doit jamais renier nos valeurs de Teranga, de paix, de solidarité, de concorde religieuse pour rester un et indivisible.
Le Sénégal doit demeurer un havre de paix, une terre d’accueil et de réconfort pour toutes celles et ceux opprimés ailleurs. Toute personne qui subit ostracisme et rejet ailleurs doit trouver en notre pays chaleur et hospitalité. Le jour où notre pays renoncera à son exigence de lutte contre toutes les passions tristes qu’incarnent ceux qui préfèrent ériger des barrières au lieu de construire des ponts, il récoltera défaite et déshonneur. Et nous aurons trahi le legs de nos ancêtres, de ce qui a fait du Sénégal une terre de Teranga. Nous devons demeurer la terre des Sénégalais de naissance comme ceux d’adoption qui ont été intégrés pleinement dans notre récit national. Nous sommes le pays de Samir Abourisk, de Jean Collin, de Théodore Monod, de Jacqueline et Lucien Lemoine.
Demain nous irons à nouveau manifester notre adhésion à la démocratie ouverte. Malgré la tenue de scrutins libres et transparents, qui ont déjà charrié deux alternances, notre pays tarde à passer du statut d’Etat légal à un Etat de droit. Notre démocratie doit subir des innovations tendant à la moderniser pour enfin arrimer des politiques économiques, sociales, culturelles et écologiques qui constituent des réponses aux véritables attentes de nos concitoyens. Des questions aussi essentielles que la décolonisation totale, le culte de l’égalité, le féminisme, le progrès social et sociétal, le retour de la démocratie dans son lieu originel, c’est à dire le cœur de la cité, la souveraineté, la défense, l‘école républicaine, le patriotisme économique, la sécurité, le réarmement de la puissance publique, la santé, la lutte contre l'exploitation des enfants talibés, la paix en Casamance doivent être au cœur des débats publics et de l’action publique.
Notre démocratie, pour être majeure, doit donner au pouvoir les leviers pour agir et libérer la veuve et l’orphelin. Nous devons lutter pour un Etat fort et stratège, décentralisé et social, afin d’être au quotidien, aux cotés des plus faibles, de ce peuple sur qui le pouvoir s’exerce.
Une démocratie majeure doit exiger de ceux qui gouvernent, l’impossibilité de changer en cours de mandat les règles de la compétition électorale par le passage en force, l’instrumentalisation de la justice, l’achat de conscience et le culte de la transhumance. Dans un pays qui dispose d’une dizaine de langues nationales codifiées, et où une large frange de la population n’est pas alphabétisée en français, réserver le débat démocratique à une élite francophone est un mode d’exclusion du plus grand nombre. Le pays de Cheikh Anta Diop doit accorder une plus grande importance aux langues nationales.
Le Sénégal est un pays jeune gouverné par des personnes âgées. L’Assemblée nationale légifère et exerce ainsi un pouvoir sur une majorité de la population qu’elle ne représente pas. La jeunesse est absente des instances des partis politiques, des assemblées électives et des cercles de décision, cantonnée au rôle peu valorisant de force musculaire voire de supplétif d’une armée de vieux. Or, ce sont les jeunes sénégalais qui meurent en période de campagne électorale, ce sont eux qui souffrent du chômage, d’une école qui n’éduque plus et d’une société en proie à toutes les violences symboliques.
Moderniser notre démocratie, c’est, par l’interdiction du cumul des mandats, le renouvellement de la classe politique, l’exercice des alternances dans les partis et la prise en charge des talents partout sur le territoire et au sein de la diaspora. Il nous faut donner un espoir de réparation et d’émancipation à la jeunesse au lieu des illusions actuelles, car elle constitue le cœur du corps social de notre pays.
Elle mérite une prise en charge des préoccupations liées à son devenir au lieu d’être reléguée au rôle de témoin des arrangements politiciens entre les membres de la caste.
- La quête des victoires morales -
Le Sénégal est un grand pays. Il nous faut constamment rappeler la grandeur de notre pays, son génie et sa place dans le monde. Nous ne devons pas avoir peur de l’idée de nation. Nous devons même, de cette belle idée, extraire la sève nourricière de notre ambition pour le progrès, la justice et l’égalité. Nos hommes et femmes politiques doivent enfin dépasser les mots et les déclarations d’intention pour agir et rompre avec le cycle d’abaissement national dans lequel notre pays est plongé.
L’action publique implique d’aller à la quête des victoires morales qui sont le lot des grands hommes. Cela passe par provoquer un souffle nouveau à un pays dont les acteurs publics ne doivent oublier qu’ils sont les légataires d’une longue tradition historique et démocratique, de Léopold Sédar Senghor à Mamadou Dia, de Cheikh Anta Diop à Mahmouth Diop.
Demain, nous aurons le choix parmi cinq hommes. Mais notre combat doit dépasser le cadre personnel pour mettre en miroir un combat générationnel qui va au delà d’un candidat, d’un parti, d’une échéance électorale.
Pour donner à notre pays une dynamique nouvelle, notre génération doit opter pour le progressisme comme boussole, la vertu comme levier phare, l’égalité comme horizon indépassable.
Notre génération, en luttant contre tous les conservatismes, se doit d’être le fer de lance de la construction d’un peuple contre la caste qui s’arroge argent et privilèges, afin de permettre l’éclosion d’une politique de rupture, de transformation et de production d’espoir d’une vie meilleure.
Ni de gauche, ni de droite, ni dans les schémas catégoriels actuels inopérants de pouvoir ou d’opposition, notre génération doit être porteuse d’une grande ambition démocratique enveloppée dans une exigence progressiste, républicaine et panafricaine.
C’est pour cette haute idée de notre pays que nous nous battons !
Hamidou Anne est né à en 1983 à Dakar. Ancien élève de l’ENA, il est essayiste et doctorant en Science politique. Co-auteur de l’ouvrage collectif "politisez-vous" (United Press, 2017), il a publié "Panser l’Afrique qui vient" (Présence Africaine, 2019).
PAR YOUSSOUPHA MBARGANE GUISSÉ
UNE ÉLECTION MALGRÉ LA CRISE SOCIO-POLITIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Le maintien des frontières coloniales, la faiblesse des classes dominantes qui obligent l'Etat au clientélisme, la corruption à toutes les échelles, montrent la fiction de l’objectif à terme de pays émergent fixé
#Enjeux2019 - La domestication de la violence en Sénégambie ancienne.
Le Sénégal fait partie de la Sénégambie historique qui, selon l'historien Yves Person, est «un finistère des peuples», suite à des migrations anciennes et à de multiples brassages humaines et culturelles. Cette région a été une sorte de refuge pour eux, suite à la désertification du Sahara, aux pressions démographiques, aux conflits et guerres de toutes sortes. Il a été un espace de recherche de paix et de sécurité d'où l'importance au sein des sociétés en présence de la culture de la paix et de la tolérance.[1]
En effet elles ont su, malgré les divisions sociales et les inégalités internes, trouver de subtils et puissants mécanismes sociaux, idéologiques, institutionnels de domestication de la violence. Il s'agit de la redistribution des richesses, de l'association à l'exercice du pouvoir, de la reconnaissance des identités spécifiques, de l'élargissement des alliances matrimoniales, de la solidarité intercommunautaire. Les tensions liées aux différentes inégalités (entre aînés et cadets, hommes et femmes, chefs de terre et simples titulaires de droit de culture, castes inférieures et castes supérieures, maîtres et esclaves) étaient résorbées grâce au jeu d'une certaine mobilité et à la considération sociale du rôle de chacun.
Ces mécanismes ont permis de contenir les tensions et conflits éventuels et favoriser plutôt la reproduction des anciennes hiérarchies par des dynamiques de reclassement social. Ainsi en Sénégambie ancienne, ni la violence, ni la monnaie n'ont joué un rôle dissolvant ou destructeur des économies, de la vie de relations et des cohésions. Les suprématies politiques ou religieuses ont plutôt contribué à forger les complémentarités et solidarités linguistiques et culturelles qu'illustre bien la parenté à plaisanterie.
En réalité, comme l'attestent les historiens, la violence destructrice a été un phénomène extérieur[2] lié d'abord à la traite esclavagiste que la monarchie politico-militaire chercha à monopoliser afin d'en tirer des profits plus substantiels.[3]L'équilibre constitutionnel fut alors brisé par une concentration et une personnalisation extrême du pouvoir, ainsi qu'une laïcisation de l'Etat. Puis le système d'exploitation colonial auquel seront organiquement impliqués des groupes dirigeants ou hégémoniques dans la société introduisit le développement capitaliste et le modèle culturel occidental. On peut considérer que c'est avec l'Etat colonial que la destruction du tissu social a véritablement commencé. Il a organisé dans la violence la dislocation des modes domestiques de production par le régime du travail forcé et de l'indigénat, les cultures de rente et la politique d'assimilation culturelle.[4]
Migrations, prolétarisation, paupérisation, urbanisation accélérée traduisent les intenses processus de décompositions et de recompositions démographiques sociologiques et culturelles qui déséquilibrent et refaçonnent les espaces, les économies, les groupes sociaux et les communautés de vie. L'économie de mise en valeur inégale des régions,[5]le développement macrocéphale des capitales au détriment des villes moyennes au statut fragile et des campagnes désertées ainsi que l'école coloniale installée dans des zones et régions privilégiées d'exploitation économique, ont favorisé certaines ethnies ou fractions d'ethnies et crée une fracture entre les régions, une division sociale et culturelle au sein des communautés, des groupes et des individus, des hommes et des femmes.
L'ensemble de ces processus a abouti à la constitution d'un nouveau régime de classes et d'inégalités sociales, ethniques et régionales dont l'Etat sénégalais sera l'héritier à l'indépendance. Le phénomène de la violence croissante et multiforme que connaît le Sénégal trouve ses fondements dans cette histoire qui a reconfiguré en de nouvelles divisions et inégalités les rapports sociaux, malgré les efforts, les engagements, les investissements réels des différents régimes politiques à inscrire le pays dans un développement économique et social durable et solidaire.
- Une crise du modèle de développement -
L'extrême dépendance du marché mondial et des capitaux étrangers, la pauvreté persistante du système agraire, la gestion bureaucratique et les mauvaises performances économiques ont obligé, au début des années 80, l'Etat à se soumettre aux restructurations imposées par la Banque mondiale et le FMI pour adapter le pays aux exigences de la mondialisation. Privatisation, désengagement de l'Etat des secteurs sociaux, fragilisation du tissu industriel, crise énergétique et alimentaire, chômage des jeunes urbains, pauvreté croissante, migration clandestine… caractérisent la marche du pays.
- La crise économique et sociale -
La crise se présente dans la première décennie 2000 selon des données statistiques de la Banque Mondiale (2007),[6]du Pnud (2008),[7]de la Direction de la Coopération Economique et Financière (2001),[8] ainsi : 50% des ménages sont au-dessous du seuil de pauvreté alors que les classes moyennes sont précarisées. Le taux de chômage est de 13% et celui du sous-emploi de 30%, pendant que l'Etat consacre moins de 1% de son budget pour l'ensemble des programmes pour l'emploi et que seulement 20% de la population du pays bénéficient d'une couverture sanitaire. A cela s'ajoutent une crise cyclique de l'Ecole, une détérioration de l'environnement de l'habitat et des conditions de vie, la crise alimentaire et énergétique, la raréfaction des ressources, le conflit en Casamance avec 60 000 déplacés et une population de migrants évaluée à 2 à 2, 5 millions.
A l’heure actuelle, malgré le taux de croissance estimé par la Banque mondiale[9] à 6,8% en 2017 et par l’Etat sénégalais à 7,2% aujourd’hui, les richesses produites n’ont pas été partagées. Les effets d’une telle croissance n’ont pas eu d’effets sur l’emploi et la pauvreté. La masse des pauvres a même augmenté passant en 2016 de 6,3 millions en 2011 à 6,8 millions en 2016. Même si la Banque mondiale estime un recul de 7% en 2018, le phénomène reste très important à l’heure actuelle. Le Directeur du CRES[10] (Centre de Recherches économiques) note en effet : « Officiellement le taux de pauvreté dans le pays est de 46,7%, mais le chiffre moyen cache une forte disparité entre les zones urbaines où on note qu’un habitant sur 4 est pauvre et les zones rurales où ce sont deux habitants sur 3 qui sont pauvres.
La perspective d'un développement global, économique, politique, culturel du pays semble encore inexistante ; certaines réalisations positives des deux Alternances dans divers domaines n'ont pas réglé la question d'un modèle de développement salutaire pour le Sénégal.
L'économie sénégalaise encore soumise structurellement à la domination et au contrôle du capitalisme français et international, sans intégration à une base arrière économique sous régionale développée, reste fragile. La dépendance extrême du Sénégal du marché mondial et de ses lois impitoyables fait que toutes les performances réalisées sont chaque fois rattrapées par la crise et anéanties. Il en est des acquis du régime socialiste sous le président Senghor, démantelés par l'Ajustement Structurel sous le président Abdou Diouf. Il en paraît de même sous le président Wade dont les investissements pour classer le Sénégal dans le pôle des pays émergents se sont heurtés brutalement à la crise alimentaire et énergétique dans un contexte mondial d'hégémonie économique libérale et d'aggravation généralisée de la pauvreté.
L'impact la plus tragique de cette perturbation de l'organisation économique nous semble être la migration clandestine des jeunes par les pirogues dont 800 sont estimés morts dans l'aventure en 2006 déjà. Ce drame qui frappe des milliers de jeunes, mettant leurs familles dans des souffrances indicibles, continue malgré les mesures prises par les Etats concernés pour le contenir.
La crise économique a affaibli les catégories sociales moyennes urbaines qui jusqu'ici, jouaient un rôle capital dans la résorption des tensions sociales. Cette résorption était possible grâce à la redistribution de revenus opérée par ces mêmes couches, redistribution imposée par l'esprit de solidarité traditionnelle et la sociabilité musulmane. L'accroissement des sollicitations rend plus difficiles l'efficacité des réseaux sociaux d'entraide.
- Les familles sous perfusion en plein remue-ménage -
Les familles,[11]notamment urbaines souffrent de conditions de vie en dégradation rapide du fait de la surpopulation des quartiers, de la densité d'occupation des logements, source de promiscuité, de la dépendance économique des jeunes inactifs des pères retraités, des difficultés liées à la polygamie, à la fréquence du divorce. Les rapports entre hommes et femmes dans la famille sont également bousculés du fait du déséquilibre démographique lié au développement des migrations de travail des hommes, aux nouveaux rôles et statuts des femmes engendrés par leur migration internationale, à l'instabilité matrimoniale accrue, aux nouvelles aspirations à plus de liberté individuelle.
De nouveaux arrangements domestiques et résidentiels s'opèrent ainsi que des recompositions familiales qui cherchent à redéfinir les rapports sociaux et les rôles familiaux (entre sexes et générations).[12]Elles sont portées par des stratégies individuelles et collectives d'insertion économique et sociale et de reconstructions identitaires multiples.
- L’éducation familiale sans repères -
En plus, la laxité des règles morales, l'oisiveté, l'effacement des cadres sociaux traditionnels et l'insuffisance des institutions susceptibles de les remplacer rendent souvent inopérant l'éducation parentale tandis que les influences extérieures de la décadence morale s'intensifient avec les nouveaux moyens de communication. Une telle situation de perte des valeurs éthiques, des références et codes de conduites entraîne des formes de déviance et des pathologies favorisant les actes de violence graves et répétés au sein des ménages, des familles et dans les relations communautaires telles que les recherches[13] le montrent et la presse en révèle l'actualité quotidienne.
Ces nouveaux processus, dans un contexte global de survie économique et souvent d'échec d'insertion sociale et d'identification, entraînent des formes de marginalité, favorisant le phénomène nouveau d’individuation radicale.
- Marginalité, violence domestique et violence politique -
On assiste dans les franges de la société à des phénomènes de violence sociale ritualisée, à des meurtres où les victimes sont égorgées, une forme de violence expiatoire qui libèrerait des peurs, des souffrances et du désarroi. Ainsi on enregistre un accroissement des faits de la violence faite aux femmes, aux enfants et aux personnes vulnérables ainsi que la multiplication des agressions du grand banditisme dans les villes et les villages, sur les routes, dans les zones frontalières où l’insécurité s’accroit.
Mais il y a eu également des phénomènes nouveaux tout aussi extrêmes tels que la multiplication de la grève de la faim, les réactions violentes de groupes sociaux urbains tels les marchands ambulants, à la répression violente des manifestants de Kédougou, au mouvement de révolte et de résistance contre l'injustice des populations de Guédiawaye, aux faits de violence croissants à l'Université de Dakar. En même temps s'affirme une violence d'Etat provocatrice ou répressive prenant ses sources de certains milieux au centre du pouvoir. L’on a même assisté à la scène incroyable et tout à fait inédite d’individus s’immolant par le feu devant le palais présidentiel en signe de révolte.
La campagne électorale en cours est encore émaillée en ces derniers jours d’actes de violences extrêmes avec plusieurs morts et de nombreux blessés graves lors d’attaques de convois de candidats, d’incendie de véhicules, d’agression de journalistes rudement molestés. Injures, menaces et bagarres continuent de plus belle dans un climat parfois surchauffé. Tout laisse présager de graves troubles post électoraux si la classe politique ne se ressaisit pas à temps.
- La crise d'hégémonie et de légitimité de l'Etat[14] -
En l'absence d'un projet et d'un modèle de développement réel et mobilisateur, les nombreux dysfonctionnements confèrent à la société un caractère chaotique, amplifié par les attentes insatisfaites d'une masse de jeunes déçus par l'école, perturbés par la crise de la famille, angoissés par leur avenir, parfois survoltés. Cela d'autant que l'Etat, centralité du politique et gestionnaire principal des ressources nationales, s'impose en vecteur décisif des inégalités fondamentales au sein de la société, décidant des privilèges et des exemptions, accordant des faveurs, distribuant des subsides et garantissant la transmission des avantages à une bourgeoisie d’Etat prédatrice.
Les luttes internes permanentes au sein du Parti-Etat pour des positionnements d'accès aux ressources, fragilisent les institutions dont le contrôle et le fonctionnement dépendent des rapports de personne à personne, des réseaux d'influence, de certaines prééminences familiales, politiques ou religieuses et de « la confiance du président ». L'hégémonie politique du parti dominant et le clientélisme fiévreux déstabilise désormais les règles qui doivent présider au fonctionnement normal des institutions. Il découle de tout cela un décalage entre l'Etat et la société dans ses diverses franges et une faiblesse de la communication politique. Ceci dans un contexte d'éclatement politique et d'émergence d'une société civile en marche où les acteurs sociaux multiples organisés, cherchent de manière collaborative ou revendicative à accroître leur pouvoir de négociation avec l'Etat et à peser sur le champ politique.[15]Ce mouvement social profond qui engage les jeunes, les femmes, les artistes et intellectuels de la société civile en première ligne, porte en même temps tous les signes d'une revendication identitaire de construction d'une modernité africaine dans ses dimensions sociale, religieuse et citoyenne.
Cet affaiblissement de la communication politique est consécutif aussi à l'abandon du système d'exercice de l'hégémonie politique et des stratégies de reproduction spécifique à l'Etat sénégalais depuis Senghor. Certains des différents appareils idéologiques, institutionnels, les soupapes de sûreté, certaines courroies de transmission et de contrôle hégémonique ont disparu, pendant que le relais confrérique ne fonctionne plus en bloc homogène et que les traditions de la politique du dialogue sont dans les tiroirs au profit d'une certaine violence d'Etat qui semble s'instaurer. Tout laisse apparaître en cette époque de la mondialisation un tournant dans les rapports politiques de classe au Sénégal en termes de crise de confiance et de légitimité, préfigurant d'une scission dont l'enjeu crucial pour les partenaires affrontés est le choix de société.
- Une période trouble de violences ? -
Finalement, les contraintes financières, le conservatisme politique, les injustices sociales ont créé un climat d'incertitude et de frustration, mais aussi un mouvement de résistance sociale, politique et culturelle dont il reste à sonder la profondeur, les espoirs et les désespoirs, les lignes de forces et de faiblesses. En tout état de cause, les discours officiels depuis l'indépendance sur le « développement » et l'unité nationale, n'ont pu empêcher l'accroissement de la violence, ni prévenir ou résoudre définitivement le conflit Casamançais, ni éviter la violence expiatoire et les meurtres de Mauritaniens et de Sénégalais en 1989, pas plus que les longues journées d'émeutes et de casse qui précédent ou suivent en général les élections présidentielles contestées.
Le maintien des frontières coloniales et de la suprématie maintenue de la langue française sur les langues vivantes du peuple, le blocage monétaire que constitue le Franc CFA, l'inégal développement régional, la multipolarité idéologique, la faiblesse des classes dominantes qui obligent l'Etat au clientélisme et à la manipulation, l'émiettement des classes dominées, l’incivisme général, l’effet dissolvant de l’argent et de la corruption à toutes les échelles montrent, nous l'avons dit, la fiction de l’objectif à terme de pays émergent fixé pour le Sénégal. Par conséquent la question de la construction nationale, de la citoyenneté républicaine, du développement économique réel et finalement de la paix sociale reste entière.
La crise structurelle et amplifiée remet en cause le modèle colonial du développement sénégalais imposé et édifie sur la nature surannée de l'Etat. Elle réactualise par la même les exigences d'une re-conceptualisation politique et culturelle de notre destin collectif et la tâche politique d'assurer, face à la profondeur des transformations à réaliser, l'ampleur de la participation de la masse historiquement active. L'entière participation citoyenne et l'expression démocratique libre restent sans doute la condition la plus sûre de conjurer la violence et de garantir la paix sociale.
Youssoupha Mbargane Guissé est Docteur en philosophie et Docteur D’état en sociologie. Outre ses nombreux travaux en philosophie, il s'est intéressé à l'étude du changement social au Sénégal, au contexte de la mondialisation et aux constructions identitaires qui travaillent la société sénégalaise dans ses différentes composantes. Il a fait toute sa carrière à l'IFAN Cheikh Anta Diop avec des fonctions de chef du laboratoire des études sociales et de chef du Département des Sciences humaines et sociales. Youssoupha Mbargane Guissé est actuellement chercheur à L'Institut Panafricain de Stratégies à Dakar.
Bibliographie citée
Moustapha Tambadou (dir.) (1994). Les convergences culturelles au sein de la nation sénégalaise. Actes du colloque de Kaolack, 6-13juin. Dakar: Ministère de la culture.
Etienne Leroy (1982). Mythes, violences et pouvoirs. Le Sénégal dans la traite négrière, in Politique Africaine, n07Paris: éd. Karthala.
Boubacar Barry (1984). La Sénégambie du milieu du XVe au XIXe siècle.Traite négrière. Islam et conquête coloniale. Dakar : Fac des Lettres. Départ. Histoire. Thèse de Doctorat de 3è cycle
Jean Boulègue (1978). Lat Sukaabe Fal, in Les Africains. Paris: éd. Jeune Afrique.
Jean Copans (1980). From Senegambia to Senegal. The evolution of peasantries, in Peasants in Africa. Historical and contemporary perspectives. London: Sage Publications.
Bernard Founou-Tchuigoua (1981). Fondements de l’économie de traite au Sénégal. (La surexploitation d'une colonie de 1800 à 1860. Préface de Samir Amin. Paris: éd. Silex.
Banque Mondiale (2007). Sénégal. A la recherche de l’emploi. Le chemin vers la prospérité, 122p. / (2008). République du Sénégal, Evaluation de la sécurité alimentaire au Sénégal, 57p.
1 Pnud (2008). Pnud Sénégal. Dakar.
MEF (2001). Direction de la Coopération Economique et Financière. Programme de relance des activités en Casamance.
Antoine, Ph. Bocquier, Ph. FALL, A.S. Guissé, Y. Mb, Nanitélamio, J. (1996). Les familles dakaroises face à la crise. Ed. Ifan/Orstom/CePeD. Paris: éd. Karthala.
Marc Pilon (1996). Les familles africaines en plein remue-ménage. Paris: Chroniques du CEPED, n02l.
La violence. (2004). (Brahim Diop) (éd.) . Les Cahiers Histoire et Civilisations. Revue thématique et interdisciplinaire, n° 2. Dakar: Faculté des Lettres et Sciences Humaines.
Youssouph Mbargane Guissé (1989). Tendances, ruptures et émergences sociales et politiques au Sénégal. Bordeaux: éd. CEAN ;
Mamadou Mbodj (2002). Le Sénégal entre ruptures et mutations. Citoyennetés en construction, in M.C . Diop (dir.). Le Sénégal contemporain. Paris: éd. Karthala.
[1]Les convergences culturelles au sein de la nation sénégalaise. Actes du colloque de Kaolack, 6-13juin 1994. Textes réunis et présentés par Moustapha Tambadou. Dakar : Ministère de la culture.
[2] Etienne Leroy (1982).Mythes, violences et pouvoirs. Le Sénégal dans la traite négrière, in Politique Africaine, n° 7 Paris : éd. Karthala..
[3] Boubacar Barry (1984). La Sénégambie du milieu du XV è au XIXe siècle. Traite négrière. Islam et conquête coloniale. Dakar: Fac des Lettres. Départ. Histoire. Thèse de Doctorat de 3è cycle Voir aussi Jean Boulègue (1978). Lat Sukaabe Fal, in Les Africains. Paris : éd. Jeune Afrique.
[4] Jean Copans (1980). From Senegambia to Senegal. The evolution of peasantries, in Peasants in Africa. Historical and contemporary perspectives. London: Sage Publications.
[5] Voir Bernard Founou-Tchuigoua (1981). Fondements de l'économie de traite au Sénégal. (La surexploitation d'une colonie de 1800 à I860). Préface de Samir Amin. Paris : éd. Silex.
[6] Banque Mondiale (2007). Sénégal. A la recherche de l'emploi. Le chemin vers la prospérité, 122p. / (2008). République du Sénégal, Evaluation de la sécurité alimentaire au Sénégal, 57p
[8] MEF (2001). Direction de la Coopération Economique et Financière. Programme de relance des activités en Casamance.
[9] Banque mondiale (2018).Sénégal. Vue d’ensemble.
[10] CRES (2017). Forum de la recherche économique et sociale. Dakar.
[11] Antoine, Ph. Bocquier, Ph. Fall, A.S. Guissé, Y. Mb, Nanitélamio, J. (1996). Les familles dakaroises face à la crise. Ed. Ifan/Orstom/CePeD. Paris : éd. Karthala.
[12] Marc Pilon (1996). Les familles africaines en plein remue-ménage. Paris: Chroniques du CEPED, n°21.
[13] Brahim Diop (éd.) (2004). La violence. Les Cahiers Histoire et Civilisations. Revue thématique et interdisciplinaire, n? 2 Dakar : Faculté de Lettres et Sciences Humaines.
[14] Youssoupha Mbargane Guissé (1989). Tendances, ruptures et émergences sociales et politiques au Sénégal. Bordeaux: éd. CEAN.
[15] Mamadou Mbodj (2002). Le Sénégal entre ruptures et mutations. Citoyennetés en construction, in M.C. Diop (dir.). Le Sénégal contemporain. Paris : éd. Karthala.
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GADIO MOUILLE LE MAILLOT À FOND POUR MACKY
Le chef de file du mouvement politique citoyen Luy Jot Jotna (Mpcl), Cheikh Tididane Gadio, après avoir rejoint le candidat de Benno Bokk Yaakaar se bat de toute ses forces pour faire élire son candidat, Macky Sall à la Présidentielle
Le chef de file du mouvement politique citoyen Luy Jot Jotna (Mpcl), Cheikh Tididane Gadio, après avoir rejoint le candidat de Benno Bokk Yaakaar se bat de toute ses forces pour faire élire son candidat, Macky Sall à la Présidentielle, dont le premier tour se tient ce dimanche.
C'est à ce titre qu'il bat campagne dans la diaspora. L'ancien ministre des Affaires étrangères a essayé de convaincre que ses compatriotes que non seulement Macky Sall est le meilleur candidat, mais a souhaité que les Sénégalais de l'étranger puisse participer à la constrtuction du pays au cours du prochain mandat de Macky Sall s'il est élu.
Voici la prestation Cheikh Tidiane Gadio en images.
PAR LAUREN SEIBERT
MULTIPLE PHOTOS
FAIRE DU SORT DES TALIBÉS, UNE PRIORITÉ
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Il est crucial que le projet de loi sur le statut des daaras soit adopté, et que les candidats élaborent des propositions claires sur la manière dont ils comptent instaurer de vrais changements pour les Talibés
#Enjeux2019 - L’enfant était étendu dans la rue. Il sanglotait en se tenant la jambe, qui semblait fracturée. Il venait d’être percuté par une moto. C’était le 13 janvier dernier, à Louga, au Sénégal. Mais il ne s'agissait pas d'un simple accident. Cet enfant était l'un des plus de 100 000 talibés du Sénégal, qui sont obligés par leurs maîtres coraniques à sortir mendier chaque matin dans la rue.
Après que ce talibé eut été emmené à l'hôpital, je me suis lancée à la recherche de son maître coranique, avec mon partenaire de recherche de la Plateforme pour la Promotion et la Protection des Droits Humains (PPDH), une coalition sénégalaise de défense des droits humains. Pendant que ses vingt talibés mendiaient dans les rues, le maître faisait la sieste. Un autre talibé de la même école coranique (daara), où les enfants sont confiés en pension, nous a dit que les garçons avaient pour obligation de rapporter 250 francs CFA chaque jour. Ce n'est pas une éducation, c’est de l'exploitation, assortie de maltraitance – l'enfant qui nous a menés au daara avait une blessure infectée, non traitée, à une main.
À l'approche de l'élection présidentielle au Sénégal, les candidats devraient garder à l'esprit le fait que les enfants talibés souffrent et meurent – que ce soit dans les rues ou dans leurs daaras, qui ne sont toujours pas règlementés, et où beaucoup d'entre eux sont forcés de mendier et subissent des sévices. Les candidats et leurs partis politiques devraient indiquer clairement leur position sur cette question.
- Situation alarmante –
Non seulement des dizaines de milliers de talibés au Sénégal sont forcés à mendier quotidiennement de la nourriture ou de l'argent, ce qui les expose aux dangers de la rue, mais ils subissent en outre des sévices physiques. Dans un rapport qui sera publié prochainement, la PPDH et Human Rights Watch exposeront en détail de nombreux cas dans lesquels des talibés ont été battus, enchaînés ou victimes d'abus sexuels dans des daaras, ainsi que des décès de plusieurs talibés causés par les sévices ou la maltraitance en 2018.
Le lendemain de l'accident de Louga, nous avons rencontré à Saint-Louis un homme qui avait été témoin de la mort d'un talibé en décembre. « Une voiture lui a roulé dessus », a-t-il dit. « Pendant trois jours après avoir assisté à cela, je n'ai pas pu dormir. » Quand il a retrouvé le daara de la victime, le frère de cet enfant – lui-même talibé – lui a dit que le maître coranique exigeait que les enfants lui rapportent 250 francs CFA chaque jour.
Au cours des dernières années, j'ai visité de nombreux daaras où les enfants vivent dans des conditions épouvantables, j'ai eu des entretiens avec des dizaines de victimes de sévices et j'ai vu des centaines de talibés – pieds nus, sales, mal nourris ou malades – mendier dans plusieurs régions du Sénégal. J'ai rencontré de nombreux talibés avec des cicatrices ou des blessures sanguinolentes, qui affirmaient avoir été battus pour n'avoir pas rapporté assez d'argent à leur maître.
Les activistes sénégalais dénoncent de plus en plus ces abus, mais le sort des talibés demeure dans l’angle mort du gouvernement, dont les actions pour remédier à cette situation sont restées limitées. L'Assemblée nationale n'a toujours pas adopté le projet de loi portant statut des daaras. Les autorités agissent rarement pour fermer les daaras qui ne sont pas aux normes en matière de santé et de sécurité. Le programme du gouvernement visant à « retirer les enfants de la rue » a eu un impact minime : environ 300 enfants ont été retirés des rues de Dakar en 2018, mais cette mesure n'a été accompagnée d'aucune enquête ou poursuite en justice.
Les arrestations et les poursuites à l'encontre de maîtres coraniques pour abus ou exploitation d'enfants ont augmenté à l'échelle nationale, mais certains magistrats continuent soit d'abandonner les poursuites, soit de minimiser les chefs d'accusation, et souvent la police s'abstient d'enquêter. Lorsque j'ai évoqué l'incident de Louga avec la police locale et demandé si une enquête avait été ouverte, l'agent de police s'est montré irrité. « Si la victime ne saisit pas la police, ce n'est pas de notre responsabilité », a-t-il dit.
Une large part des tâches du gouvernement en matière de protection des enfants en situation d’urgence est laissée aux services de l’Action éducative et de la protection sociale en milieu ouvert (AEMO), qui sont rattachés au ministère de la Justice, et qui manquent de ressources et de personnel pour s'acquitter de leur mandat. La plupart de leurs bureaux ne comptent que trois ou quatre personnes et certains n'ont pas de véhicule. Certaines régions – comme celles de Diourbel et Louga – ne disposent pas de centres d’accueil gérés par le gouvernement pour héberger les enfants fugueurs ou les victimes d'abus.
- Prendre des mesures urgentes -
Compte tenu de l’ampleur du problème, il est crucial que l'Assemblée nationale adopte le projet de loi sur le statut des daaras, et que les candidats à l'élection présidentielle élaborent des propositions claires concernant la manière dont ils comptent instaurer de vrais changements pour les talibés. Comme Mamadou Wane, président de la PPDH, l'a récemment écrit, « la grande absente dans l’agenda de ces prétendants à la charge suprême de gouvernance de notre pays (...) est la question de la mendicité et la maltraitance des enfants. » Les citoyens sénégalais devraient insister pour leur faire prendre des engagements spécifiques.
Une fois élu, le nouveau gouvernement devrait agir pour accroître les ressources et le personnel affectés aux services de protection de l'enfance, fermer les daaras où la santé et la sécurité des enfants sont en danger, et faire rendre des comptes à tous les maîtres coraniques ou parents qui exposent des talibés à des dangers ou à des risques d'abus ou d'exploitation.
Des milliers de talibés risquent leur vie chaque jour dans les rues et dans des daaras abusifs. Leur situation mérite l'attention tant à l'approche de l'élection présidentielle qu'après. Combien d'enfants doivent mourir ou continuer de souffrir avant que les autorités se décident à agir ?
Lauren Seibert est chercheuse adjointe auprès de la division Afrique de Human Rights Watch (HRW). Depuis 2016, elle a mené des recherches de HRW sur la situation des enfants talibés au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. De 2013 à 2015, elle était une volontaire du Corps de la Paix à Kolda, Sénégal. Une localité où elle a souvent travaillé avec les daaras locaux, en organisant des projets de santé, et avec la communauté, sur des activités de sensibilisation concernant les droits des enfants talibés.
PAR THIERNO KHAYAR KANE
LES LANGUES NATIONALES, OUTIL DE DÉCOLONISATION
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Pourquoi les prétendants à la présidence n’abordent pas précisément la question ? Enseigner dans nos langues est une prise de conscience sur les notions d'identité, de citoyenneté et de développement national
#Enjeux2019 - Parler de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif Sénégalais revient à poser encore une question qui ne cesse d’être agitée depuis des décennies.
Mais ma perspective est pragmatique, car introduire les langues nationales n’est pas synonyme de suppression, voire de remplacement du français qui est la langue officielle de l’administration, du système éducatif, du système socio-économico-politique. Cette langue se présente comme étant une nécessité pour le peuple sénégalais de faire des échanges sur le plan culturel, scientifique, économique et technique avec les autres peuples du monde. D’ailleurs, remplacer le français n’est ni souhaitable, ni possible. Il faut accepter le fait qu’on soit dans un rendez-vous du donner et du recevoir pour parler comme Léopold Sedar Senghor et comprendre que le loup est déjà dans la bergerie, donc il faut se tailler de nouveaux habits. Cela en réfléchissant à la possibilité d’introduire les langues maternelles dans le système éducatif.
- Un peu d’histoire -
Le président Senghor disait souvent avoir préconisé l’introduction des langues nationales dans l’enseignement public dès 1937. Il ajoutait : « le fait d’être devenu homme politique m’a pas fait changer d’idée… » Il a fallu néanmoins 1971 pour que soit mis définitivement au point le décret relatif à l’introduction des langues nationales. Ces langues nationales devraient être introduites dans l’enseignement sénégalais ; de l’école primaire à l’université étant donné qu’une bonne éducation doit commencer par se faire normalement dans, ou pour le moins, avec la langue natale. Concrètement, le président Senghor annonçait l’ouverture des classes expérimentales en wolof pour octobre 1977. Il faudra attendre octobre 1978 pour que l’expérimentation en Wolof soit lancée : dix classes télévisuelles pour les trois régions du Cap-Vert, du Fleuve et de Thiès sous la direction de la TSS (Télévision Scolaire Sénégalaise) et trois classes Traditionnelles expérimentales au Cap-Vert par le CLAD. L’ouverture des classes expérimentées en Séeréer était prévue en Octobre 1980.
- L’importance des langues nationales dans le système éducatif -
Aujourd’hui, les autorités s’acheminent vers une harmonisation de la politique d’intégration des langues nationales dans le système éducatif et vers leur modélisation. Elles travaillent sur le document d’harmonisation de la politique d’introduction des langues nationales dans le système éducatif.
Cette introduction aura un double rôle :
Faciliter l’apprentissage au primaire des mécanismes de base, tels que la lecture et l’écriture, afin de préparer la compréhension de la première langue étrangère qu’est le français ?
Une alphabétisation faite dans les langues nationales est une économie pédagogique et matérielle parce que, en plus de l’effort d’apprendre à lire et à écrire, elle n’exige pas l’effort d’apprendre à penser dans une langue étrangère.
Sur ce, le professeur Cheikh Anta Diop nous fait une démonstration implacable dans « Nations Nègres et Culture » : « le jour même où le jeune africain entre à l’école, il a suffisamment de sens logique pour saisir le brin de réalité contenu dans l’expression : un point qui se déplace engendre une ligne (tomb buy ratatu mooy jur ab rëdd). Cependant, puisqu’on a choisi de lui enseigner cette réalité dans une langue étrangère, il lui faudra atteindre un minimum de 4 à 6 ans, au bout desquels il aura appris assez de vocabulaire et de grammaire, reçu en un mot, un instrument d’acquisition de la connaissance, pour qu’on puisse lui enseigner cette parcelle de réalité »
L’exemple des pays de l’Asie n’a-t-il pas fini de convaincre tous les sceptiques de cette vérité élémentaire qui lie le développement économique, culturel et humain à l’usage des langues maternelles dans le système éducatif ? En Corée, en Chine, l’éducation se fait dans la langue maternelle des élèves, ce qui fait gagner du temps et de l’efficacité dans l’assimilation des savoirs et valeurs inculquées par l’école.
- Campagne électorale et introduction des langues nationales -
L’élection présidentielle prévue ce 24 février devait être un moment phare pour les hommes politiques de prendre en charge des questions relatives à l’introduction des langues nationales. Cela dans un contexte de montée en puissances des enjeux liés au souverainisme, au patriotisme, à la consommation locale. Mais les débats relatifs aux langues nationales dans le système éducatif demeurent timides, voire non pris en charge d’une façon sérieuse et profonde.
Nous aimerions savoir pourquoi les prétendants au fauteuil de président de la République n’abordent pas précisément la question en distillant une méthode et un échéancier de mise en œuvre.
Faisons-nous face à un manque de volonté politique ou à une absence de maitrise des enjeux liés à l’introduction des langues nationales dans le système éducatif ?
Les candidats à l’élection doivent s’emparer de cette question avec moins de légèreté qu’ils ne le font jusque-là. Il y a un contexte favorable au regard d’une montée de la revendication nationaliste et des enjeux d’un retour au souverainisme après des décennies de néocolonialisme. Aussi, le Sénégal est doté d’une masse de militants mais aussi d’experts, de chercheurs et de praticiens de la didactique des langues issus du courant politique et intellectuel de Cheikh Anta Diop, et de la gauche marxiste de façon générale.
Nous espérons d’ici la fin de la campagne électorale un vrai débat de société sur cette question afin de parachever la longue lutte pour l’indépendance qui ne peut être totale si nous n’enseignons pas nos langues à nos enfants dans les écoles de notre République.
Enseigner dans nos langues est une prise de conscience sur les notions d'identité, de citoyenneté et de développement national.
Thierno Khayar Kane est diplômé de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis en art et communication. Il prépare actuellement un Master 2 Management de l’Innovation à l’université Lyon 2 Lumière, en partenariat avec l'École Supérieure de la Francophonie pour l'Administration et le Managementde Sofia, en Bulgarie. Il s’intéresse particulièrement aux questions des industries culturelles et créatives en Afrique.