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30 avril 2025
International
par Amadou Lamine Sall
CETTE AFRIQUE QUI DONNE ET MEURT TOUJOURS POUR LES AUTRES
La recherche et les savoirs sont des matières premières ! Nos gouvernants africains ne sont souvent rien d’autre que des champions de la « culture de l’emballage » avec des contenus toujours frelatés !
Le plus grand tournant du 21ème siècle sera la rencontre de l’Afrique avec sa jeunesse ! Une grande marée déferlante arrive ! Elle arrive pour imposer une morale politique nouvelle ! Il s’agit de bâtir une Afrique inspirée des valeurs retrouvées de nos Almamys et des fondements de nos savoirs anciens et modernes. En un mot, il nous faut une véritable et urgente déconstruction qui ne « répartit plus les sécurités et les privilèges entre les dieux et les hommes », c’est à dire entre des princes rutilants et des peuples « majoritairement ruraux et croyants » ! Oui, il s’agit bien de « réinventer un nouveau sacré » !
Un processus silencieux s’est mis en route. Il est irrévocable ! Parmi les plus grands maux : l’illettrisme, cette absence d’un « esprit » qui donne un citoyen menotté dans une oppressive et gluante ignorance. Libérer, nourrir et élever son esprit, telle est enfin la prise de conscience engagée et la conquête la plus urgente de la jeunesse africaine pour faire face à la suprématie des oligarchies. Abandonnée à elle-même, cette jeunesse a fini par s’installer dans un « silence intérieur » avec cette conscience profonde d’une inacceptable condition humaine. Si l’esprit gagne sur le cri du ventre et la hâte de s’enrichir, la gouvernance changera ! C’est au carrefour des pensées, des savoirs et d’une noble pratique politique, que l’Afrique s’accroîtra, grandira, rayonnera. C’est le continent de la jeunesse, donc de la vie, de l’enthousiasme, de l’espérance, de l’avenir. La recherche et la conquête de nouveaux savoirs, les brusques mutations démocratiques qui balaient tout sur leur passage, le besoin de raccourcis, viennent bouleverser le socle de certitude de gouvernants « zazous » qui ne regardent que leurs propres chaussures « Santiago » !
Les défis du 21ème siècle doivent vite être relevés et ceux du 22ème siècle déjà en boite. Nous devons déjà procéder à une mise à jour du futur. C’est maintenant que nous devons rendre confortable les prochains cent ans africains à venir. Jamais la prospective, cette science de « l’homme à venir », n’est aussi actuelle. Elle doit être accompagnée par des conquêtes morales et budgétaires, de rigoureux plans sectoriels de développement sur au moins dix ans. L’Afrique n’est pas en marge du mouvement du monde. La preuve : tout le monde se précipite chez elle ! Depuis Jésus, il est temps que les razzias prennent fin. Quoique cela puisse nous coûter, nous n’y perdrons que nos chaînes ! A défaut, nous continuerons à être des Africains qui ont eux-mêmes décidé de leur propre mort ! Et nous l’aurons bien mérité ! Les cabinets de conseils européens qui montent les plans d’émergence pour l’Afrique et payés à coût de milliards, utilisent nos propres experts africains. Pourquoi des pouvoirs politiques qui disposent de toute l’intelligentsia d’un continent, vont-ils toujours vers l’Europe ? Nous apprenons, par ailleurs, vrai ou faux, que si le FMI dit non pour un pays africain, la Banque Africaine de Développement -BAD- dit également non ! Au nom de quoi cette dépendance esclavagiste ? Nous devons sortir des logiques et intérêts économicistes ! En toutes choses, il faut d’abord commencer par tuer sous nos méridiens sahéliens l’Afrique du général de Gaulle ! Emmanuel Macron, le Président français, nous adresse en ce mois d’août 2019 un message innovant et courageux qui ressemble à son âge, un message auquel il nous faut croire malgré les tenaces doutes, l’orgueil des monstres coloniaux, les impasses, la cruelle et suicidaire réalité du terrain économique, social et culturel européen. « La France a une part d’Afrique en elle », dit Macron ! Cette confession est belle, grande.
L’Afrique aussi a une part de la France en elle, même si les enfants d’Afrique savent qu’ils ne sont pas toujours les bienvenus au pays de Victor Hugo qui n’est pas toujours Victor Hugo !
Les conquêtes spatiales sont de formidables repères de notre retard et de ce que doivent être nos ambitions pour des conquêtes avancées d’une bonne gouvernance. Nous avons besoin de décisives et patriotiques postures de gestion de nos ressources, sans oublier la bataille mondiale qui a débuté et qui est celle de l’eau et de l’énergie. L’Afrique a reçu de Dieu et de la géographie d’éternels étés et voilà qu’elle en fait de sombres hivers. L’énergie solaire est notre avenir ! Avec les avancées prodigieuses de la recherche et des savoirs, des technologies époustouflantes, jamais les sociétés n’ont été dans un tel état de rencontre, d’échange, de mobilisation permanente. Notre monde ne rêve même plus, car il devance le rêve et l’annule ! Dans ce concert, « l’Afrique doit cesser d’être cet éternel vers de terre amoureux des étoiles » !
Notre continent, hélas, en est encore aujourd’hui à ramper, à chercher à se nourrir, s’éduquer, se soigner. Nous apprenons des statistiques des Grands Blancs, que l’Afrique ne contribuerait que pour 3% au « pouvoir intellectuel » du monde. Une fois encore, ils ont décidé pour nous ! Par ailleurs, nous voici apprenant deux tristes choses sur l’Union Africaine -vrai ou faux- qui nous couvrent de honte : notre institution africaine ne possède pas de direction culturelle en son sein. C’est une entité dénommée « Division des Affaires Sociales » qui s’occuperait en même temps de la culture. Autre information marquante : c’est bien la Chine qui a réalisé le siège de l’Institution africaine à Addis-Abeba, alors que l’Égypte, la Lybie, l’Afrique du Sud, s’étaient proposé à la bâtir pour sauver l’honneur ! Le berceau tant chanté de l’humanité reste encore le berceau tant décrié de la pauvreté, de la maladie, de la faim, de la dictature, de la corruption. Pour gagner du temps nous avons besoin de recherches et de savoirs pour accélérer notre développement. Nous devons vite extirper de nos vies et de la marche de nos institutions : le précaire, le colmatage, la triche, la roublardise, l’indiscipline, la médiocrité, la corruption, l’indignité, l’impunité, le banditisme d’État, l’errance judiciaire. Il nous faut inscrire au sommet de nos priorités des industries de transformation, mettre fin au besoin d’eau, d’énergie, d’habitats scolaires, d’emplois, d’hôpitaux, de routes, de pistes de productions, quitte à renoncer à la démocratie pour plus tard. L’Université doit être réinventée, des écoles de métiers démultipliées !
Notre retard, à la vérité, n’est que dans la boulimie de redoutables prédateurs politiques et investisseurs pillards et corrupteurs qui ont tout confisqué et pris racine au sommet de tous les pouvoirs ! Sachons que jamais la démocratie ne vaincra la pauvreté, serait-elle servie par d’admirables alternances ! Mais elle peut être, par contre, le moteur d’un puissant leadership citoyen. Privilégier la recherche et la conquête des savoirs, c’est sortir très vite, et en courant, du misérabilisme d’un système politique et administratif désuet, corrompu, paralysant. Dans la division du travail, les hommes politiques qui ont en main la gestion publique auraient dû être les décideurs d’industries transformatrices et non de hangars vides. Leur rôle et leur mission sont de produire des richesses ! Mais ils ne produisent rien, ne transforment rien, sauf leur propre train de vie. La recherche et les savoirs sont des matières premières ! Nos gouvernants africains ne sont souvent rien d’autre que des champions de la « culture de l’emballage » avec des contenus toujours frelatés ! « (…) Ce qu’il faut cependant, c’est une plus grande ouverture de l’espace intellectuel, de même que des tribunes pour la visibilité de la pensée intellectuelle autonome par rapport au champ politique. L’intellectuel est également celui qui désenclave la parole et qui l’ouvre sur des questions majeures dans l’évolution d’une société (…) » Ainsi s’exprimait le Pr Khadiyatoulah Fall.
Le combat pour le développement est d’abord un combat du respect de l’esprit et de la pensée, un respect de soi, un respect de son peuple ! Ce qui nous distingue, c’est notre identité ! Si nous sommes le berceau de l’humanité, si nous sommes une part de l’ADN de tous les peuples de la terre, notre mission est d’inventer, de créer, de produire, de partager, d’additionner, de pardonner. Que personne ne nous précède dans notre fourreau ! Il nous a semblé, à tord sans doute, que depuis que Senghor et Cheikh Anta Diop se sont éteints, la communauté intellectuelle africaine s’est tue. Ou presque. Comme si, quelque part Sédar et Cheikh Anta en étaient et la locomotive et le moteur. On s’amusait même à dire, dans les années 70, que n’était considéré comme intellectuel que celui qui s’opposait aux idées de Senghor. Nous omettrons Cheikh Anta Diop qui avait sa propre école et quelle durable et admirable école ! De brillants intellectuels frontaux à la Négritude nous reviennent ainsi en mémoire : Thomas Melone, Wole Soyinka qui infléchira sa posture contre Senghor plus tard. Sur un autre registre, Abiola Irele, l’acide écrivain camerounais Mongo Béti, Pathé Diagne. Le séduisant critique Sénégalais feu Papa Guèye Ndiaye et son compatriote le redoutable polémiste feu Babacar Sine, ne seront pas finalement très loin de la ligne Senghorienne. A cette époque d’or du choc des pensées, la culture était centrale, dominante ! Les livres avaient une vie, une parole sacrée ! Manquer de culture, c’était manquer de dignité, de respect pour soi-même, se couvrir de honte ! Les temps ont bien changé : la politique et le « mbalakh » règnent !
Nous avions le sourire facile en lisant avec appétit l’entretien d’Elera Bertho du CNRS avec Souleymane Bachir Diagne, notre si confortable philosophe et fin esprit, qui avoue, dans une sorte d’« épistémologie de rupture » : « (…) J’ai deux petits coups de griffes en passant, contre Cheikh Anta Diop : premièrement, je me moque un peu de lui avec les mathématiques puisque ce n’est pas si compliqué de traduire la relativité en wolof ! Deuxièmement, il est beaucoup plus français et jacobin qu’il ne le croit, parce qu’il veut une langue unique. Cela n’a pas de sens d’avoir une langue d’unification : pourquoi le projet devrait-il être un projet qui imite l’État-nation, c’est à dire d’être homogène avec une seule langue, de manière centralisée ? » A la vérité, ce qui nous manque, ce sont de nouveaux concepts opératoires puissants et rayonnants qui viennent prendre ou la place ou dépasser les acquis laissés par Senghor, Cheikh Anta Diop, Krumah, Nyerere surnommé le « mwalimu » (instituteur en swahili) ! Nous n’oublions pas les disciples qui sont des continuateurs. Les maitres ont toujours été des impasses ! Ma merveilleuse rencontre avec Senghor m’a appris à vite grimper les murs, pour être libre. Mais que fut prodigieuse et féconde cette phénoménale rencontre avec le maître !
A la vérité, c’est comme si nous vivions aujourd’hui une paralysante « lassitude intellectuelle », avec, en plus, un durable et pernicieux « double malaise » : se sentir, sans pouvoir rien renier, un intellectuel africain en cage entre une langue française ou une langue anglaise haute et belle, mais jugée compromettante, et un système politique républicain habillé d’un obsolète costume étranger. Ce qui nous sauve, c’est que la langue d’emprunt nous a appris à découvrir la beauté infinie de nos cultures et à les placer au-dessus de tout !
Le Sénégalais Felwine Sarr et le Camerounais Achille Mbembe ont finalement fini par retenir l’attention avec leur plateforme : « Les ateliers de la pensée ». Même militantisme, hélas, mais un gros bol d’air frais tout de même ! Nous sommes face à un laboratoire d’idées qui cherche à « construire un discours décomplexé ». Ce n’est pas nouveau, mais cela redonne de la voix à une pensée africaine enceinte de tous les dons mais encore inopérationnelle face à la razzia d’un bruyant discours politique vide et qui ne finit pas de se mordre la queue depuis les indépendances. Paradoxalement, c’est une dégénérescence politique inattendue des leaders africains en ce début du 21ème siècle qui isole davantage le travail des chercheurs, prostitue les intellectuels, ensable les savoirs, plombe la dynamique d’un discours de la pensée. C’est d’une nouvelle et irradiante narrative dont l’Afrique a besoin pour vaincre ses démons encore tenaces, presque increvables ! Le plus inquiétant encore, c’est que là où les alternances politiques arrivent à se perpétuer, l’Etat est réinventé et tout recommence avec les programmes du nouveau prince élu, comme si jamais rien n’avait existé avant ! Chaque nouvel élu réinvente la roue et comme un vilain gorille se tape la poitrine comme le seul messie avec son cortège innombrable et maudit de parasites et d’hyènes jamais rassasiées !
Que nous reste t-il encore à dire après avoir mille fois répété que « L’Afrique et les africains ne devraient pas continuer à vivre dans la honte d’eux-mêmes » ? D’entretenir un « discours du manque » ? De chercher toujours à combler le vide « de réflexion, de créativité et d’inventivité » ? De se poser toujours la question sur « la place du continent africain dans la transformation du monde contemporain » ? Parmi les plus convainquant dans les théories des raccourcis, l’historien Sénégalais Mamadou Diouf qui « impute nos échecs à la façon dont nous avons choisi de créer nos États », autrement dit « contre notre propre histoire ». Oui, mais faut-il encore et encore toujours courir derrière une « logique de rattrapage d’un continent voué à la traîne » ? Felwine Sarr, intellectuel lucide et éclairant, poète et musicien mais hélas pour nous, enfant d’Icare retenu au sol par le poids et le choix des tâches, rejette « l’auto-flagellation » et « l’apologie ». Oui, mais par où commencer alors et par où finir ? Ne tournons-nous pas toujours et encore en rond ? Mes nocturnes et féconds échanges critiques avec l’ami Abdoulaye Aziz Diop, étonnant esprit nourri d’islam, d’économie, de poésie et de philosophie, m’ont souvent permis de ne pas désespérer de l’Afrique ! Il est reposant, évoquant le travail de Felwine et d’Achille, qu’une « communauté de penseurs » se lève et cherche à porter sa voix très loin, en défendant des idées fondatrices d’un développement endogène digne, souverain, prospère, fédérateur. Dommage que les savoirs des penseurs, chercheurs, écrivains, intellectuels, soient moins opérationnels que les cris des foules et les déferlements des masses dans la rue !
La culture est un bien irremplaçable ! Elle est cet entêtement de vivre et non de mourir. Le combat pour le développement ne se gagnera pas en marginalisant nos cultures, nos identités, nos savoirs anciens et modernes. Le plus solide et le plus rayonnant exemple en est la Chine d’aujourd’hui ! Elle n’a rien cédé de ses cultures ! D’ailleurs, elle extraie plus qu’elle additionne ! Nous nous sommes demandés si nous n’irions pas mieux mentalement, économiquement, politiquement, culturellement, si on enlevait la colonisation, l’Europe, l’Union Européenne, l’aide au développement, les ONG, le FMI, la Banque mondiale, de nos soucis, de nos préoccupations, de nos démarches, de nos plans d’émergence, de nos interminables discours et colloques, de nos remerciements et génuflexions ! Juste pour respirer, compter sur nous-mêmes, parler pour nous-mêmes, mourir chez nous ! Bien sûr, il ne s’agit pas de se couper du monde, ce qui est insensé, mais juste se réveiller seul et lutter seul, sans dépendance, sans cris, sans appel à l’aide !
Comment a t-on pu être Isis, ériger des pyramides et finir vers de terre ? Il est temps que l’Afrique se réveille et qu’elle fasse l’économie du développement en pariant sur son âge, elle qui a longtemps cheminé avec un Dieu étonnamment silencieux et peu pressé. Qu’elle fasse cette économie en comptant les bras de chacun de ses enfants, leur ardeur, leurs rêves, leurs espoirs, leurs dons, leur générosité, leur beauté, la lumière millénaire de leurs yeux et de leurs pas qui tracent sur tous les horizons et sur toutes les routes de la terre, un arc-en-ciel de vouloir servir leur continent et le monde.
L’immigration n’est pas un malheur, une honte, si on sait la lire à esprit reposé, sans transes et sans fusil chargé. Elle est une mitoyenneté avec le monde. Elle est à la fois une offre et une recherche de vie, une recherche de ciel. Elle est une chance ! Les Etats-Unis d’Amérique en sont la plus belle des preuves, même si ils se plaisent à l’oublier ! Que l’Europe aujourd’hui bruyante, divisée et apeurée médite cette parole qui a enfanté cette belle et grande part de l’Amérique noire et métisse : « Ils nous ont enterré, mais ils ne savaient pas que nous étions des graines » !
Au même titre que verser le sang des hommes, incendier la forêt amazonienne, il n’existe pas pire crime que d’éborgner la pensée, humilier l’esprit, pisser sur les savoirs, brûler les livres, étouffer la création ! « Seul l’avion se pose sans refermer les ailes » dit le poète ! Tel doit être l’avenir de l’Afrique à la rencontre des grands savoirs et des cultures de notre terre, même si elle souffre encore de démence politique, de carnage financier, de désastre démocratique !
Cette belle et touchante jeunesse africaine avec laquelle nous avons ouvert cette modeste tribune et l’éloge des savoirs, sont « l’eau de l’avenir », comme les Indiens d’Amérique appelaient « ces tonnes de petits flocons blancs » qui tombent l’hiver. août 2019.
G7, POURQUOI LE MARI DE MERKEL NE PREND-T-IL PAS PART AUX ACTIVITÉS AVEC LES PREMIÈRES DAMES ?
L'absence du conjoint de la chancelière allemande aux côtés de Brigtte Macron, Melania Trump et les autres compagnes des leaders du G7 suscite bien des interrogations sur le net
Checknews |
Jacques Pezet |
Publication 26/08/2019
Le mari d'Angela Merkel n'a pas visité Espelette avec Brigtte Macron, Melania Trump et d'autres premières dames car il n'a tout simplement pas accompagné la chancelière allemande à Biarritz.
Bonjour,
Votre question fait suite à la diffusion de photographies montrant les compagnes des dirigeants du G7 en train de cueillir du piment d’Espelette, lors d’une visite en marge du G7 qui se tient jusqu’à aujourd’hui à Biarritz. Cette activité fait partie du programme réservé aux partenaires des chefs d’Etat, qu’organise Brigitte Macron cette année.
Plusieurs internautes ont remarqué l’absence du mari d’Angela Merkel. D’ailleurs, celui-ci ne s’appelle pas «Monsieur Merkel», comme l’ont surnommé plusieurs personnes, mais Joachim Sauer. La confusion vient du fait qu’Angela Merkel a gardé le nom de famille de son précédent mari.
Le mari de Merkel ne l’accompagne pas à Biarritz
Le conjoint d’Angela Merkel, également professeur de chimie physique et théorique, a-t-il séché la visite d’Espelette pour une session de surf à Biarritz ou une dégustation de jambon à Bayonne ? L’explication est autre. Contacté par CheckNews, le service de presse de la chancellerie allemande explique que «Joachim Sauer ne s’est pas rendu à Biarritz».
De manière générale, le mari de la chancelière ne se montre que rarement à ses côtés. En consultant le catalogue des photographies de l’Agence France Presse, CheckNews a pu constater qu’il a pris part aux sommets du G7 à Ise-Shima au Japon en 2016 et à celui de Taormine en Italie en 2017. Il n’était pas présent à celui de La Malbaie au Canada en 2018.
Rarement présent pour voyager mais toujours là pour recevoir
Lors de sa visite au Japon en 2017, la presse allemande avait relevé qu’il «participait pour la première fois à un sommet à l’étranger». Une information qui nous a été confirmée par la chancellerie, qui indique également que Joachim Sauer était censé accompagner Angela Merkel au G20 qui s’était tenu fin 2018 en Argentine. Mais l’avion a connu une panne sérieuse à l’époque, l’obligeant à atterrir en urgence à Cologne. Angela Merkel a alors voyagé en avion de ligne avec une équipe restreinte. Son mari a pris le train de retour pour Berlin.
Si Joachim Sauer sèche donc souvent les sommets internationaux et leurs programmes réservés aux «partenaires de», il sait se montrer bon hôte puisqu’on a pu le voir en compagnie des femmes de dirigeants, en train de visiter Hambourg lors du G20 en 2017, en promenade en Bavière lors du G7 à Elmau. En 2007, pour son premier G8 à Heiligendamm, il avait invité un professeur américain pour sensibiliser les premières dames aux conséquences du vieillissement de la population.
AU G7, DES PRÉSIDENTS AFRICAINS POUR MEUBLER LE DÉCOR ?
Cinq chefs d’État africains ont été invités par Macron au sommet du G7 à Biarritz. Si la presse burkinabèe salue ce si grand nombre, elle dénonce l’hypocrisie des grandes puissances
C’est du jamais-vu : cinq chefs d’État africains ont été invités par le président Macron au sommet du G7 à Biarritz, qui s’achève ce lundi 26 août.
Il s’agit, rapporte L’Observateur Paalga,“d’Al-Sissi d’Égypte, président en exercice de l’Union africaine (UA), de Paul Kagame du Rwanda, qui a dirigé l’organisation continentale en 2018, de Macky Sall du Sénégal, président du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), de Roch Kaboré du Burkina, président [de la force antiterroriste régionale] G5 Sahel, et de Cyril Ramaphosa de l’Afrique du Sud, l’un des pays émergents du continent”.
Sortir du “club de pays riches”
Alors, “si ce n’est pas la première fois que des dirigeants africains participent à un sommet du G7, c’est la première fois qu’ils sont cinq à y prendre part”, note le quotidien de Ouagadougou, “et qui plus est, ils auront été associés aux travaux préparatoires”.
Les “bonnes intentions françaises”
“Voilà pour les bonnes intentions françaises !” commente le journal burkinabé. “Mais la triste réalité, c’est que l’Afrique, qui participe à environ 5 % du commerce mondial, a de la peine à se faire entendre sur ses problèmes spécifiques relatifs au changement climatique, aux évasions fiscales orchestrées par les multinationales, au chômage, à l’insécurité, etc.”
Le Pays, toujours au Burkina, hausse le ton : “Les riches ne s’intéressent aux pauvres que par acquit de conscience […]. Les cinq présidents africains invités à ce sommet l’ont été juste pour meubler le décor”, dénonce le quotidien ouagalais.
“Diversion et hypocrisie”
"En tout cas, on souhaiterait être démenti par les conclusions auxquelles parviendra cette rencontre en rapport avec les préoccupations de l’Afrique. Ce sont elles qui nous indiqueront si, oui ou non, le G7 est véritablement solidaire de l’Afrique. Tous les discours d’apitoiement qui y seront prononcés, relèvent de la diversion et de l’hypocrisie.”
L’économiste sénégalais, Flewine Sarr, rappelle que les capitaux rapatriés par les migrants sont supérieurs à l’aide publique au développement et aux investissements étrangers
Le Monde Afrique |
Laurence Caramel |
Publication 25/08/2019
Felwine Sarr a peu de goût pour les grand-messes du G7, telles que celle organisée par la France à Biarritz, du samedi 24 au lundi 26 août. Ces enceintes, estime-t-il, renvoient trop souvent l’Afrique à ses défaillances en se gardant bien de creuser les causes réelles qui conduisent le continent à occuper inexorablement la queue des classements établis par les institutions internationales. L’économiste sénégalais ne nie pas les difficultés mais s’interroge sur ce discours compassionnel des grandes puissances qui consiste à ne décrire l’Afrique qu’à travers ses manques.
Les flux de capitaux rapatriés par les migrants africains sont supérieurs à l’aide publique au développement et aux investissements étrangers, rappelle-t-il pour corriger l’idée d’une Afrique « sous perfusion ». Ce sont d’abord les Africains qui aident les Africains. L’auteur d’Afrotopia (éd. Philippe Rey, 2016) juge indispensable que les gouvernements africains s’approprient les politiques de réduction de la pauvreté, aujourd’hui formatées par d’autres.
La France a placé la réduction des inégalités parmi les priorités du G7. Est-ce une bonne initiative ?
Il est heureux d’être sorti du mythe d’une croissance économique qui apporterait par elle-même le bien-être au plus grand nombre. Pour autant, aborder la question des inégalités uniquement à l’échelle d’un pays me semble très insuffisant. On ne peut ignorer que la répartition inégale des richesses dans le monde est liée aux règles de l’économie globale et du commerce international.
Comment un pays peut-il assurer à sa population l’accès aux services essentiels lorsqu’il lui est impossible de vendre ses matières premières à un prix juste ou lorsque les firmes multinationales présentes sur son sol ne paient pas leurs impôts ? Ne pas parler de ces sujets lorsqu’on prétend vouloir réduire les inégalités ne peut conduire qu’à des discours incantatoires.
N’est-ce pas décharger un peu rapidement les gouvernements africains de leurs responsabilités ?
Il ne s’agit de nier ni les difficultés du continent, ni les responsabilités des gouvernements. Leur mauvaise gouvernance et la corruption sont souvent mises en avant pour justifier la situation. Personne ne dira qu’il ne faut pas davantage de transparence et de meilleure gestion des ressources.
Mais j’appelle à regarder les choses de manière plus globale. Les G7 comme les G20 entretiennent une politique de la compassion : l’Afrique est le continent qu’il faut aider, la dernière frontière obscure de l’humanité, vers laquelle se penchent tous les bons Samaritains. C’est un rapport irrespectueux et hypocrite, car une part des difficultés du continent vient de la relation asymétrique entretenue par les grandes puissances qui pillent les ressources autant qu’elles peuvent.
Et ce sont d’abord les Africains qui aident les Africains. Les transferts de capitaux des migrants sont supérieurs à l’aide publique au développement et aux investissements étrangers. Pourtant, le discours dominant met en avant une Afrique sous perfusion. Les G7 sont d’abord une occasion pour les pays membres du club de réaffirmer leur puissance et leur vision du monde, en donnant des leçons aux autres. Nous devons apprendre à faire un monde commun dans le respect mutuel.
Vous déplorez le regard stigmatisant porté sur l’Afrique…
Les Occidentaux jugent l’Afrique à travers une projection de leurs valeurs et de leur modèle de développement, comme s’il était le seul. Or il est nécessaire de repenser les cadres à travers lesquels les sociétés sont analysées, tout comme leur marche vers ce qu’on appellerait un progrès économique, social, spirituel…
Le modèle développementaliste occidental montre ses limites, notamment en termes d’empreinte écologique, de mise en danger de la biodiversité et du climat. Il est nécessaire de changer les modes de production et de consommation. Cette question nous engage tous, au Nord comme au Sud. Pourtant, on continue à vendre à l’Afrique un vieux schéma et à compter ses pauvres avec un critère monétaire fixé par des institutions internationales.
La lutte contre la pauvreté n’est-elle pas un combat universel ?
La pauvreté est inacceptable et il faut tout faire pour l’éradiquer. Mais cela énoncé, il est important de sortir des modèles standardisés qui n’appréhendent la pauvreté qu’à travers un seuil unique de quelques dollars par jour. Les enquêtes de terrain ont permis de montrer que des individus sans revenus stables mais disposant d’un capital social et d’une richesse relationnelle parvenaient à répondre à leurs besoins, voire à épargner.
Pourtant, l’Afrique occupe toujours le dernier rang dans les classements internationaux. C’est problématique, car cela renvoie une image de handicap. Je ne sais pas comment la jeunesse africaine va relever ses défis si elle se voit toujours occuper la place déficiente de l’humanité.
Les richesses du continent, plurielles et immenses, ne figurent dans aucun indicateur. Il faut complexifier cette image et ne pas accepter d’être réduits à des critères qui nous rabaissent. Un des défis du continent, c’est la confiance en soi, celle qui permet de dire non lorsque d’autres vous proposent des programmes pour vous sortir de vos difficultés et qu’ils ne sont pas adaptés.
Les politiques de lutte contre la pauvreté financées par l’aide internationale sont inadaptées ?
Je dis que c’est avant tout aux Africains de les définir et de prendre leur destin en main. Ce sont les gouvernements qui sont les plus à même de déterminer, à partir de critères endogènes, ce que sont les seuils de pauvreté ou d’inégalités qu’il est possible de tolérer. Je ne pense pas que les gens du FMI [Fonds monétaire international] ou des agences onusiennes soient davantage préoccupés du bien-être de ces pays que les populations elles-mêmes.
C’est une des conditions pour qu’elles s’approprient ces politiques et ne considèrent plus qu’elles sont parachutées de l’extérieur, enveloppées de sigles, OMD [Objectifs du millénaire], ODD [Objectifs de développement durable],qu’elles ne comprennent pas.
"LA RENGAINE SUR LA COLONISATION ET L'ESCLAVAGE EST DEVENUE UN FONDS DE COMMERCE"
L’écrivaine franco-sénégalaise, Fatou Diome, s’exprime sans filtre sur son enfance, l’immigration, le féminisme, ou la pensée « décoloniale » qui a le don de l’irriter…
Le Monde Afrique |
Coumba Kane |
Publication 25/08/2019
Fatou Diome écrit comme elle parle, avec fougue et sensibilité. Que ce soit dans ses romans ou dans ses prises de paroles publiques, l’auteure franco-sénégalaise use avec habileté de cette langue piquante qui frôle parfois la satire. Dans son premier roman à succès, Le Ventre de l’Atlantique (éd. Anne Carrière, 2003), elle donnait la parole à cette jeunesse sénégalaise piégée dans le désir d’Europe et ses mirages tragiques. Les œuvres de Fatou Diome offrent aussi une voix aux femmes, héroïnes du quotidien quand les maris migrent (Celles qui attendent, éd. Flammarion, 2010) ou disparaissent tragiquement, comme dans son nouveau roman, Les Veilleurs de Sangomar (éd. Albin Michel), en librairie le 22 août.
Installée à Strasbourg depuis vingt-cinq ans, Fatou Diome observe et critique sa société d’origine et son pays d’accueil. En vingt ans de carrière, elle a publié une dizaine de romans, de nouvelles et un essai remarqué en 2017, Marianne porte plainte ! (éd. Flammarion), véritable pamphlet contre les discours identitaires, racistes, sexistes et islamophobes. Dans cet entretien, Fatou Diome s’exprime sans filtre sur son enfance aux marges, l’immigration, le féminisme, ou la pensée « décoloniale » qui a le don de l’irriter…
D’où vient votre nom, Diome ?
Fatou Diome Au Saloum, région située sur la côte sud du Sénégal, les Diome sont des Sérères-Niominkas, des Guelwaar. Il est dit que ce peuple était viscéralement attaché à sa liberté.
Pourtant, écrivez-vous dans Le Ventre de l’Atlantique, votre nom suscitait la gêne à Niodior, votre village natal…
Oui, car je suis née hors mariage d’un amour d’adolescents. A cette époque, j’étais la seule de l’île à porter ce nom car mon père est d’un autre village. Enfant, je ne comprenais pas pourquoi la simple prononciation de mon nom suscitait le mépris. J’ai compris plus tard que ce sentiment de gêne diffuse que je ressentais autour de moi venait du fait que j’étais supposée être « l’enfant du péché ».
Cette ostracisation était d’autant plus injuste que l’idée « d’enfant illégitime » n’existait pas chez les Sérères animistes jusqu’au milieu du XIXe siècle et la domination des religions monothéistes. Jusque-là, au contraire, avoir un enfant des fiancés avant le mariage était le meilleur moyen de s’assurer que le prétendant était fertile. C’était même une tradition dans l’aristocratie sérère notamment, où la lignée était matrilinéaire. « Domou Djitlé », qui signifie « enfant illégitime », est une expression wolof, qui n’existe pas en sérère.
Comment enfant affrontiez-vous cette marginalisation ?
En renonçant à ceux qui me calomniaient. Cette indépendance m’est venue des conseils de mon grand-père maternel, un marin qui, dans l’Atlantique, devait sans cesse trouver des solutions. Je l’accompagnais souvent en mer. Quand le vent soufflait trop fort et que je pleurais, il me lançait : « Tu crois que tes pleurs vont nous ramener plus vite au village ? Allez, rame ! » C’est une leçon que j’ai retenue : les jérémiades ne sauvent de rien.
A quel moment vous êtes-vous réappropriée votre nom ?
A l’école. L’instituteur, qui était lui-même marginalisé car étranger, m’a expliqué le sens du diome : la dignité. C’était énorme ! La « bâtarde du village » était donc la seule à s’appeler dignité ! (Rires)
Et puis un jour, j’ai rencontré mon père. C’était un homme adorable, un sculptural champion de lutte ! Ma mère avait eu de la chance d’aimer cet athlète magnifique ! Porter son nom est une fierté. Je suis le fruit d’un amour absolu, un amour souverain qui n’a demandé nulle permission aux faux dévots.
Etre une enfant illégitime, c’était aussi risquer de ne pas survivre à la naissance…
Oui et je dois la vie sauve à ma grand-mère maternelle, qui m’a accueillie au monde, dans tous les sens du terme. C’est elle qui a fait la sage-femme. Elle aurait pu m’étouffer à la naissance comme le voulait la tradition, mais elle a décidé de me laisser vivre et de m’élever. Elle me disait souvent que je n’étais pas illégitime mais légitimement vivante, comme tout enfant.
Cette jeune grand-mère vous a allaitée. Quelle fut votre relation avec elle ?
Très forte. Elle était et restera ma mamie-maman. Jusqu’à sa mort, je l’appelais Maman. Enfant, je dormais avec elle. Plus tard, j’insistais pour faire la sieste avec elle lors de mes visites. Comme un bébé, je gardais une main sur sa poitrine. Ma grand-mère, j’en suis convaincue, était la meilleure mère possible pour moi. Pardon pour l’autre dame…
Votre mère…
Oui. Avec elle, j’avais étrangement une relation de grande sœur. Et plus tard, je l’ai prise sous mon aile car j’étais plus combative et plus indépendante qu’elle. J’ai choisi ma vie, elle non. Et c’est pour cette raison que j’ai dit dans Le Ventre de l’Atlantique que « j’écris, pour dire et faire tout ce que ma mère n’a pas osé dire et faire ». Elle a par exemple subi la polygamie, une maladie que je n’attraperai jamais.
Qu’aviez-vous à dire quand vous avez commencé à écrire à 13 ans ?
Ecrire était une nécessité. Il me fallait comprendre pourquoi, par exemple, telle tante me câline devant mes grands-parents puis me traite de « bâtarde » en leur absence. L’écriture s’est imposée à l’âge de 13 ans, lorsque j’ai quitté le village pour poursuivre mes études en ville. Pour combler ma solitude, je noircissais des cahiers. Une fois, j’ai même réécrit Une si longue lettre de Mariama Bâ. Dans ma version vitaminée, les femmes n’étaient plus victimes de leur sort, mais bien plus combatives. J’aime celles qui dansent avec leur destin, sans renoncer à lui imposer leur tempo.
Vous épousez ensuite un Alsacien et vous vous installez à Strasbourg. En France, vous découvrez une autre forme de violence, le racisme. Comment y avez-vous survécu ?
En m’appropriant ce que je suis. J’ai appris à aimer ma peau telle qu’elle est : la couleur de l’épiderme n’est ni une tare ni une compétence. Je sais qui je suis. Donc les attaques des idiots racistes ne me blessent plus.
Etre une auteure reconnue, cela protège-t-il du racisme ?
Reconnue ? Non, car la réussite aussi peut déchaîner la haine. On tente parfois de m’humilier. C’est par exemple ce policier des frontières suspicieux qui me fait rater mon vol car il trouve douteux les nombreux tampons sur mon passeport, pourtant parfaitement en règle. Ou ce journaliste parisien qui me demande si j’écris seule mes livres vus leur structure qu’il trouve trop complexe pour une personne qui n’a pas le français comme langue maternelle. Ou encore cette femme qui, dans un hôtel, me demande de lui apporter une plus grande serviette et un Perrier… Le délit de faciès reste la croix des personnes non caucasiennes.
La France que vous découvrez à votre arrivée est alors bien éloignée de celle de vos auteurs préférés, Yourcenar, Montesquieu, Voltaire…
Cette France brillante, je l’ai bien trouvée mais on n’arrête pas de la trahir ! Il faut toujours s’y référer, la rappeler aux mémoires courtes. Cette France, elle est bien là. Seulement, les sectaires font plus de bruit. Il est temps que les beaux esprits reprennent la main !
Qui la trahit, cette France ?
Ceux qui lui font raconter le contraire de ce qu’elle a voulu défendre. Pour bien aimer la France, il faut se rappeler qu’elle a fait l’esclavage et la colonisation, mais qu’elle a aussi été capable de faire la révolution française, de mettre les droits de l’homme à l’honneur et de les disperser à travers le monde. Aimer la France, c’est lui rappeler son idéal humaniste. Quand elle n’agit pas pour les migrants et les exploite éhontément, je le dis. Quand des Africains se dédouanent sur elle et que des dirigeants pillent leur propre peuple, je le dis aussi. Mon cœur restera toujours attaché à la France, et ce même si cela m’est reproché par certains Africains revanchards.
Vous vivez en France depuis 1994. Les statistiques officielles démontrent la persistance de discriminations en matière de logement ou de travail contre notamment des Français d’origine africaine dans les quartiers populaires. Que dites-vous à ces jeunes Noirs ?
Qu’ils prennent leur place ! Vous savez, au Sénégal, un jeune né en province aura moins de chance de réussir que celui issu d’une famille aisée de la capitale. La différence, c’est qu’en France, cette inégalité se trouve aggravée par la couleur. Ici, être noir est une épreuve et cela vous condamne à l’excellence. Alors, courage et persévérance, même en réclamant plus de justice.
Cette course à l’excellence peut être épuisante quand il faut en faire toujours plus…
Si c’est la seule solution pour s’en sortir, il faut le faire. Partout, la dignité a son prix. On se reposera plus tard, des millénaires de sommeil nous attendent.
Vous avez suivi une formation en lettres et philosophie à l’université de Strasbourg avec un intérêt particulier pour le XVIIIe siècle. Que pensez-vous des critiques portées par le courant de pensée « décoloniale » à l’égard de certains philosophes des Lumières ?
Peut-on éradiquer l’apport des philosophes des Lumières dans l’histoire humaine ? Qui veut renoncer aujourd’hui à L’Esprit des lois de Montesquieu ? Personne. Les Lumières ont puisé dans la Renaissance, qui s’est elle-même nourrie des textes d’Averroès, un Arabe, un Africain. C’est donc un faux débat ! Au XVIIIe siècle, la norme était plutôt raciste. Or Kant, Montesquieu ou Voltaire étaient ouverts sur le monde. Ils poussaient déjà l’utopie des droits de l’homme. On me cite souvent Le Nègre du Surinam pour démontrer un supposé racisme de Voltaire. Quel contresens ! Ce texte est une ironie caustique. Voltaire dit à ses concitoyens : « C’est au prix de l’exploitation du nègre que vous mangez du sucre ! »
Par ailleurs, chez tous les grands penseurs, il y a souvent des choses à jeter. Prenez l’exemple de Senghor. Sa plus grande erreur d’emphase et de poésie fut cette phrase : « L’émotion est nègre, la raison hellène. » Cheikh Anta Diop, bien qu’Africain, était un grand scientifique quand Einstein était doté d’une grande sensibilité. Cette citation est donc bête à mourir, mais devons-nous jeter Senghor aux orties ?
On constate tout de même une domination des penseurs occidentaux dans le champ de la philosophie par exemple…
Certaines choses sont universelles. Avec Le Vieil Homme et la mer, Hemingway m’a fait découvrir la condition humaine de mon grand-père pêcheur. Nous Africains, ne perdons pas de temps à définir quel savoir vient de chez nous ou non. Pendant ce temps, les autres n’hésitent pas à prendre chez nous ce qui les intéresse pour le transformer. Regardez les toiles de Picasso, vous y remarquerez l’influence des masques africains…
Vous estimez donc que le mouvement de la décolonisation de la pensée et des savoirs, porté par un certain nombre d’intellectuels africains et de la diaspora, n’est pas une urgence ?
C’est une urgence pour ceux qui ne savent pas encore qu’ils sont libres. Je ne me considère pas colonisée, donc ce baratin ne m’intéresse pas. La rengaine sur la colonisation et l’esclavage est devenue un fonds de commerce. Par ailleurs, la décolonisation de la pensée a déjà été faite par des penseurs tels que Cheikh Anta Diop, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor ou encore Frantz Fanon. Avançons, en traitant les urgences problématiques de notre époque.
A l’échelle de la longue histoire entre l’Afrique et l’Occident, ce travail de décolonisation de la pensée, débuté il y a quelques décennies, n’est peut-être pas achevé ?
Je pense, comme Senghor, que nous sommes à l’ère de la troisième voie. Nous, Africains, ne marchons pas seulement vers les Européens ; eux ne marchent pas que vers nous. Nous convergeons vers la même voie, la possible conciliation de nos mondes. La peur de vaciller au contact des autres ne peut vous atteindre quand vous êtes sûr de votre identité. Me concernant, ce troisième millénaire favorise la rencontre. Je sais qui je suis, je ne peux pas me perdre en Europe car, non seulement je récite mon arbre généalogique, mais je séjourne régulièrement dans mon village.
Après tous les efforts de Senghor, Césaire, Fanon, en sommes-nous encore à nous demander comment nous libérer de l’esclavage et de la colonisation ? Pendant ce temps, où nous stagnons, les Européens envoient Philae dans l’espace… L’esclavage et la colonisation sont indéniablement des crimes contre l’humanité. Aujourd’hui, il faut pacifier les mémoires, faire la paix avec nous-mêmes et les autres, en finir avec la littérature de la réactivité comme le dit si bien l’historienne Sophie Bessis.
Cette histoire dramatique, loin d’être un chapitre clos, continue pourtant de marquer le présent des Africains et les relations avec d’anciennes puissances coloniales…
Pour moi, il y a plus urgent. La priorité, c’est l’économie. Faisons en sorte que la libre circulation s’applique dans les deux sens. Aujourd’hui, depuis l’Europe, on peut aller dîner à Dakar, sans visa. Le contraire est impossible ou alors le visa vous coûtera le salaire local d’un ouvrier. Pourquoi attendre une forme de réparation de l’Europe, comme un câlin de sa mère ? Pourquoi se positionner toujours en fonction de l’Occident ? Il nous faut valoriser, consommer et, surtout, transformer nos produits sur place. C’est cela l’anticolonisation qui changera la vie des Africains et non pas la complainte rance autour de propos tenus par un de Gaulle ou un Sarkozy.
On sent que ce mouvement vous irrite…
Je trouve qu’il y a une forme d’arrogance dans cette injonction et cette façon de s’autoproclamer décolonisateur de la pensée des autres. C’est se proclamer gourou du « nègre » qui ne saurait pas où il va. Je choisis mes combats, l’époque de la thématique unique de la négritude est bien révolue.
Votre roman Le Ventre de l’Atlantique (2003) a été l’un des premiers à aborder le thème de la migration vers l’Europe. Que dites-vous à cette jeunesse qui continue de risquer sa vie pour rejoindre d’autres continents ?
Je leur dirai de rester et d’étudier car, en Europe aussi, des jeunes de leur âge vivotent avec des petits boulots. Quand je suis arrivée en France, j’ai fait des ménages pour m’en sortir, après mon divorce. J’ai persévéré malgré les humiliations quotidiennes et les moqueries au pays.
Si je suis écrivain, c’est parce que j’ai usé mes yeux et mes fesses à la bibliothèque. J’ai toujours écrit avec la même rigueur que je nettoyais les vitres. Aux jeunes, je dirai que l’école a changé ma vie, elle m’a rendue libre.
La tentation est grande de partir vu le manque d’infrastructures dans de nombreux pays africains. Comment rester quand le système éducatif est si défaillant ?
La responsabilité revient aux dirigeants. Ils doivent miser sur l’éducation et la formation pour garder les jeunes, leur donner un avenir. Il faudrait que les chefs d’Etat respectent plus leur peuple. Il n’y a qu’à voir le silence de l’Union africaine face au drame des migrants. Quand les dirigeants baissent la tête, le peuple rampe.
Quel regard portez-vous sur le durcissement de la politique migratoire européenne ? Dernier acte en date, le décret antimigrants adopté par l’Italie qui criminalise les sauvetages en mer…
L’Europe renforce sa forteresse. Mais qui ne surveillerait pas sa maison ? Les pays africains doivent sortir de leur inaction. Pourquoi n’y a-t-il pas, par exemple, de ministères de l’immigration dans nos pays ? C’est pourtant un problème majeur qui touche à l’économie, la diplomatie, la santé, la culture. Si l’Afrique ne gère pas la situation, d’autres la géreront contre elle. Elle ne peut plus se contenter de déplorer ce que l’Europe fait à ses enfants migrants.
Vous avez écrit sur la condition féminine, le rapport au corps de la femme au Sénégal et la fétichisation dont vous avez été victime en France en tant que femme noire. Vous sentez-vous concernée par le mouvement #metoo ?
Je comprends ce combat, mais je considère qu’Internet n’est pas un tribunal. Les femmes doivent habiter leur corps et leur vie de manière plus souveraine dans l’espace social et public. Il faut apprendre aux jeunes filles à s’armer psychologiquement face aux violences, par exemple le harcèlement de rue. Il faut cesser de se penser fragiles et porter plainte immédiatement en cas d’agression.
La lutte contre les violences faites aux femmes revient aussi aux hommes…
En apprenant aux femmes à habiter leur corps, à mettre des limites, on leur apprend aussi à éduquer des fils et des hommes au respect. Le féminisme, c’est aussi apprendre aux garçons qu’ils peuvent être fragiles, l’agressivité n’étant pas une preuve de virilité, bien au contraire. Me concernant, malgré la marginalisation à laquelle j’ai été confrontée, je ne me suis jamais vécue comme une femme fragile, ni otage de mon sexe, mes grands-parents m’ayant toujours traitée à égalité avec les garçons.
Vous sentez-vous plus proche du féminisme dit universaliste ou intersectionnel ?
Je me bats pour un humanisme intégral dont fait partie le féminisme. Mon féminisme défend les femmes où qu’elles soient. Ce qui me révolte, c’est le relativisme culturel. Il est dangereux d’accepter l’intolérable quand cela se passe ailleurs. Le cas d’une Japonaise victime de violences conjugales n’est pas différent de celui d’une habitante de Niodior ou des beaux quartiers parisiens brutalisée. Lutter pour les droits humains est plus sensé que d’essayer de trouver la nuance qui dissocie. Mais gare à la tentation d’imposer sa propre vision à toutes les femmes. L’essentiel, c’est de défendre la liberté de chacune.
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IL Y A 400 ANS, ANGELA, LA PREMIÈRE ESCLAVE AFRICAINE AUX ÉTATS-UNIS
Débarquée à la fin du mois d'août 1619 par des corsaires anglais à Jamestown, la jeune femme venait du royaume du Kongo (actuel Angola). Aujourd’hui, sa mémoire est honorée au musée de Jamestown Settlement
Ce week-end, les États-Unis commémorent les 400 ans de l'arrivée d'Angela sur le sol américain. Angela est la première esclave officiellement recensée par les colons britanniques. Arrivée par bateau depuis le Ndongo - l'ancien nom de l'Angola -, en 1619, elle a accosté dans l'État de Virginie, où un mémorial est aujourd'hui construit. Baptisé Fort Monroe, il est ce week-end le théâtre de festivités pour rendre hommage à Angela et aux millions d'autres Africains réduits en esclavage.
Les cérémonies de Fort Monroe ont un but précis : célébrer la contribution des Africains réduits en esclavage à la société américaine. Lectures, concerts, conférences… Le programme du week-end est chargé, avec un point culminant dimanche.
« Dimanche sera ce qu'on appelle le Jour de la guérison, explique Terry E. Brown, surintendant du mémorial de Fort Monroe. Nous allons amener une cloche, et nous la ferons sonner à travers tout le pays à 3 heures de l'après-midi. Nous allons la faire sonner pendant 4 minutes. Chaque minute représentera un siècle. »
Terry E. Brown est lui-même un descendant d'esclaves. Sa famille est originaire du Cameroun. Il explique l'importance de rendre hommage aux premiers esclaves américains.
« Ils ont enduré des conditions de vie parmi les plus oppressives qui soient, dit-il. Mais ils ont été capables de se réinventer. Ils n'ont pas fait que survivre à l'esclavage, ils ont créé cette réponse fraîche et vibrante en construisant des familles, des musiques, des langages, de nouvelles formes d'art. Donc nous allons rendre hommage à leur système de valeurs, à leur persévérance et à leur beauté. Je suis honoré de pouvoir le faire. »
Aux États-Unis, l'esclavage aura officiellement duré 246 ans, depuis l'arrivée des premiers esclaves en 1619 jusqu'à son abolition en 1865.
♦ « J'ai découvert mes liens avec le Cameroun »
Terry E. Brown dirige ce lieu de mémoire depuis 2016. Il est le premier Afro-Américain à occuper ce poste, et a découvert il y a peu, grâce à un test ADN, que sa famille a, elle aussi, subi l'esclavage. Il l'a raconté à RFI.
« J’ai toujours voulu en savoir plus sur mon passé, et quand je suis arrivé à Fort Monroe en 2016, que j’ai appris ce qu’il s’était passé ici, j’ai su qu’il fallait que j’en sache plus sur ma propre histoire. Quand j’ai appris que j’avais des liens avec le Cameroun, ça a rendu tout ça tellement spécial. Je me suis assis, et j’ai pleuré parce que c’était tellement émouvant de connaître le parcours de ma famille. Je pouvais enfin commencer à reconstituer le puzzle. »
« Je ne sais pas énormément de choses sur mes ancêtres pour le moment, sauf qu’ils sont arrivés aux États-Unis par les États de Virginie et de Caroline du Nord. C'est intéressant parce que cela veut dire qu’ils sont certainement passés par le Cap Old Comfort, là où se trouve Fort Monroe. Je n’arrête pas de penser : " Waouh ! Est-ce que mes ancêtres ont pu débarquer ici en 1619 ? " Je n'en ai aucune idée, mais ça n’a pas d’importance. Ma culture a subi l’esclavage, et je m’en rends compte chaque jour à Fort Monroe. »
Les archéologues sur la trace du propriétaire d'Angela
Arrivée par l'État de Virginie, Angela avait été achetée par le capitaine William Pierce, un riche marchand de plantes. Aujourd'hui, une association d'archéologues, la Jamestown Rediscovery Foundation tente de comprendre la vie d'Angela et de son propriétaire en fouillant le site où ils ont vécu.
En presque deux ans de recherches, l'équipe d'archéologues a mis au jour de nombreux objets de la propriété du colon William Pierce.
« Nous avons trouvé 300 objets qui témoignent du système esclavagiste nord-américain,explique David Givens qui dirige les fouilles. Sur le site, nous avons donc 246 ans d'esclavage sous nos yeux, révélés par l'archéologie. Le site est divisé en plusieurs parties. Il y a un premier site, celui d'Angela, mais nous travaillons aussi sur une plantation du XIXe siècle. »
Le site de fouilles se trouve à Jamestown, à une soixantaine de kilomètres du Cap Old Comfort, là où Angela a posé le pied aux États-Unis en 1619. Pour David Givens, ce travail archéologique ne permet pas uniquement de comprendre le passé des États-Unis.
« Ces fouilles montrent aussi ce que nous sommes, en tant que nation, dit-il. Donc je vais probablement passer le reste de ma carrière à tenter de comprendre pas seulement comment deux cultures, celles des colons et des esclaves, ont fabriqué notre nation, mais comment nous sommes devenus Américains. »
Les fouilles du site sont prévues jusqu'à la fin de l'année 2019.
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LIBÉRATION DE PARIS, POURQUOI IL N'Y AVAIT AUCUN SOLDAT NOIR DANS LES DÉFILÉS MILITAIRES
Il y a soixante-quinze ans, Paris fêtait sa libération. Parmi les soldats français qui défilent alors, aucun combattant noir. Une discrimination appelée « blanchiment », exigée par l’état-major américain
Il y a soixante-quinze ans, Paris fêtait sa libération. Parmi les soldats français qui défilent alors, aucun combattant noir. Une discrimination appelée « blanchiment », exigée par l’état-major américain.
Il y a soixante-quinze ans, Paris fêtait sa libération, et la fin de quatre années d’occupation nazie. Le 25 août 1944, la capitale organisait même une cérémonie d’hommage à la division blindée qui a libéré Paris, celle du général Leclerc. Une 2e division blindée (DB) devenue célèbre, avec les chars et ses 16 000 hommes. Mais les images de l’époque ne montrent étrangement pas un seul combattant noir, alors que les troupes coloniales ont formé une part importante des Forces françaises libres. La raison en est le « blanchiment » de troupes, opéré par les armées américaines, britanniques et françaises à plusieurs reprises au XXe siècle.
Il consiste à remplacer les soldats noirs par des soldats blancs. Un « blanchiment » exigé en 1944 par l’armée américaine, qui forme et équipe la 2e DB. Explications, avec Raffael M. Scheck, professeur d’histoire moderne au Colby College (Etats-Unis).
"EN AFRIQUE, LA PLUPART DES DIRIGEANTS CONSIDÈRENT QUE LA PAUVRETÉ N'EST PAS LEUR PROBLÈME"
L’ancien économiste en chef de la Banque mondiale, François Bourguignon, regrette que la question démographique ait été « mise sous le tapis » par les gouvernements et les bailleurs de fonds
Le Monde Afrique |
Laurence Caramel |
Publication 24/08/2019
François Bourguignon continue d’arpenter l’Afrique. Au printemps, l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale (2003-2007) était en Côte d’Ivoire, où le président Alassane Ouattara a tenu à prendre l’avis d’éminents experts sur le « nouveau miracle ivoirien » qu’il voit se dessiner dans des niveaux de croissance comparables à ceux des années 1960-1970. Aujourd’hui professeur à l’Ecole d’économie de Paris, le septuagénaire n’a pas fini de questionner ces politiques de développement qui promettent depuis des décennies d’éradiquer la pauvreté extrême du continent.
Statisticien de formation, il a pris ses distances avec une approche purement macroéconomique, pour mettre en avant le rôle de la gouvernance dans la trajectoire des pays. Alors que la réduction des inégalités est l’un des grands thèmes du G7 organisé par la France à Biarritz, du samedi 24 au lundi 26 août, il se montre sceptique. Si l’Afrique demeure le continent de la pauvreté, « en réalité, très peu a été fait pour améliorer les conditions de vie des plus démunis », tient-il à rappeler.
Quel bilan faites-vous de la lutte contre la pauvreté, devenue, à partir de l’adoption des Objectifs du millénaire, au tournant des années 2000, la priorité des politiques de coopération pour le développement ?
Parler de la pauvreté est une chose. Adopter des politiques qui permettent de la faire reculer en est une autre. Et je ne suis pas sûr d’avoir vu beaucoup de pays prendre ce chemin en Afrique. A l’inverse de l’Amérique latine et de l’Asie, il n’y a pas eu de grandes politiques de redistribution permettant de mieux répartir la richesse ou, à tout le moins, de garantir un soutien aux plus démunis à travers des programmes de transfert d’argent, sous condition ou non. C’est pourtant ce qui a permis à des pays comme le Brésil ou l’Equateur de réduire massivement leur niveau de pauvreté. Les rares efforts allant dans ce sens, comme en Ethiopie, sont entièrement financés par des bailleurs de fonds étrangers.
Pourquoi cela ne s’est-il pas produit ?
La plupart des dirigeants considèrent que la pauvreté n’est pas leur problème et que la croissance y pourvoira. D’une certaine façon, la décennie de forte croissance enregistrée dans les années 2000, grâce au niveau élevé des cours des matières premières, a entretenu cette croyance en accréditant l’idée d’un nouveau départ pour le continent. Il y a bien eu une diminution de la pauvreté, mais, nous le voyons aujourd’hui, cette amélioration est toute relative. Peu d’emplois permettant d’améliorer les conditions sociales ont été créés. Le nombre de personnes pauvres en Afrique continue d’augmenter et, en 2030, c’est-à-dire à l’horizon fixé pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) qui ont succédé aux Objectifs du millénaire, l’extrême pauvreté sera un problème avant tout africain.
Les bailleurs de fonds internationaux disent pourtant veiller à ce que l’argent accordé dans le cadre des programmes profite en priorité aux plus démunis…
Il existe trois façons de s’attaquer à la pauvreté. D’abord, engager des politiques de croissance inclusive. Cela peut se traduire par des politiques industrielles intensives en main-d’œuvre. C’est la voie sur laquelle semble s’engager l’Ethiopie avec son industrie du cuir. Deuxièmement, redistribuer. Pour cela, il faut des bases fiscales larges et assez stables, ce dont ne disposent pas les pays dont les économies reposent sur les matières premières. Enfin, investir dans le capital humain des personnes les plus pauvres en leur donnant accès à de meilleurs systèmes de santé ou à l’école.
Les bailleurs de fonds, pour différentes raisons et notamment celle de devoir composer avec un haut niveau de corruption, ont choisi de se concentrer sur cette troisième option. Par exemple, des efforts considérables ont été consacrés à l’éducation. L’école est devenue gratuite dans la plupart des pays. Pourtant, nous savons aussi que derrière les chiffres de scolarisation élevés, la qualité de l’enseignement n’a pas suivi et qu’il convient en conséquence de relativiser aussi ce succès. D’autant que la croissance démographique continue d’envoyer sur le banc des écoles des cohortes d’élèves toujours aussi nombreux.
Les politiques d’aide ont laissé de côté la question démographique. Est-ce une grave erreur ?
C’est un sujet clé qui a été mis sous le tapis. Voire, à une certaine époque, qui a fait l’objet d’une véritable censure. Il était impossible de parler de planning familial. La réticence de certains bailleurs de fonds s’est conjuguée à l’opposition de gouvernements pour lesquels la taille de la population reste un élément de puissance. Le résultat est l’arrivée de générations pléthoriques impossibles à absorber par le marché du travail.
Réduire les inégalités est aujourd’hui présenté comme un objectif indispensable de la lutte contre la pauvreté. Cela n’a pas toujours été le cas. Qu’en pensez-vous ?
Les économistes ont été contraints d’admettre que la croissance seule ne suffisait pas à réduire la pauvreté. Voilà ce que traduit cette prise en compte de la question des inégalités. Un pays peut enregistrer une forte croissance et celle-ci ne profiter qu’à une minorité déjà nantie. Et cela vaut dans les pays les plus pauvres comme dans les pays industrialisés.
Pour autant, le mot d’ordre des politiques de développement doit-il être de réduire ces inégalités ? S’il s’agit d’agir sur la distribution des revenus dans un pays, je ne le pense pas. Nous ne disposons pas des statistiques qui permettent d’appréhender correctement la réalité et, en conséquence, de poser un diagnostic solide sur ces inégalités. Nous ignorons, dans la plupart des pays, ce qui est réellement capté par les élites économiques et politiques.
En Egypte par exemple, le coefficient de Gini, qui mesure le niveau d’inégalités, est identique à celui de la France. Imagine-t-on vraiment que ce chiffre reflète la situation ? Si cet appel à la réduction des inégalités, repris par l’objectif numéro 10 des ODD, est une belle déclaration d’intention, elle m’apparaît très difficile à mettre en œuvre. Sans compter les questions de souveraineté que soulève le fait de vouloir intervenir sur la répartition des richesses dans un pays.
Que faudrait-il faire ?
Mon expérience me conduit à penser qu’il faut tenter davantage de renforcer la gouvernance. La fragilité des institutions est un obstacle au développement. Les politiques publiques, financées ou non par l’aide extérieure, doivent être évaluées de manière indépendante. Regardez la situation de l’éducation. La grande majorité des enfants africains ont accès à l’école, mais nous faisons le constat catastrophique qu’ils n’y apprennent pas grand-chose et que l’absentéisme est dans de nombreux pays considérable. Lutter contre la mauvaise gouvernance serait une façon plus pragmatique de lutter contre les inégalités, car au bout du compte, ce sont toujours les plus pauvres qui paient le prix des dysfonctionnements des Etats.
"LE JOUR OÙ J'EN AURAI LE DÉSIR, JE GRACIERAI KHALIFA"
Le chef de l'État, Macky Sall, participant au sommet du G7, s'est épanché sur l'évasion fiscale, les inégalités Nord-Sud, de même que sur la situation sociopolitique nationale, dans une interview à RFI
Cinq pays africains dont le Sénégal participent au sommet du G7 à Biarritz. Pour le président Macky Sall, invité en tant que président du Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique), c'est l’occasion de souligner les inégalités Nord-Sud, et de rappeler que face à l’évasion fiscale, les pays africains ont plus en commun avec les grandes démocraties libérales qu’il n’y paraît.
Pour le sommet du G7 ici à Biarritz, quelles sont vos attentes en tant que président du Sénégal, et aussi président du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). Que voudriez-vous entendre ? Et que voudriez-vous dire ?
Macky Sall : D’abord le G7. Il faut rappeler que c’est un cadre de concertation pour les pays pour les plus industrialisés, disons les sept pays les plus industrialisés. C’est donc une plateforme pour nous Africains de devoir poser les préoccupations africaines de façon à ce que nos partenaires puissent parler avec les Africains, et parler pour l’Afrique, au lieu de parler des Africains et de l’Afrique de façon générale. Donc cette approche, qui est une approche partenariale, est à saluer. Et de ce point de vue, Emmanuel Macron n’a pas été le premier à inviter des pays africains, mais la manière dont il a conduit cette invitation, c’est que nous avons été associés par nos sherpas déjà depuis plusieurs mois, sur les négociations, sur les aspects. Et nos préoccupations, je pense, seront prises en compte, notamment sur des thématiques comme la lutte contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale qui ruinent nos pays. Et si nous voulons justement une société plus équitable, il faut absolument que les richesses paient des taxes là où elles sont produites. Or nous savons que c’est un combat de longue haleine de l’Afrique pour amener à changer la donne sur notamment aujourd’hui les facilités fiscales qui sont le fait des grandes multinationales.
À qui pensez-vous exactement ou à quelle entreprise pensez-vous exactement ?
Non. Ce sont toutes les multinationales. Car selon les domaines, ça peut être celles du pétrole, celles du gaz, des entreprises minières, mais également des télécoms. Donc, ce sont toutes les multinationales qui ont des stratégies en fait de congé fiscal et qui bénéficient très souvent de législations anciennes. Il faut amener les partenaires si vraiment les gens veulent lutter contre les inégalités à faire en sorte que les règles changent.
Vous avez parlé d’inégalité. C’est un des thèmes de ce sommet, particulièrement les inégalités Nord-Sud. À votre avis, quelle est la principale cause de ces inégalités à ce stade-ci ?
Ces inégalités ont une histoire très lointaine parce que l’Afrique a d’abord vécu des traumatismes : l’esclavage, la colonisation. Cette colonisation, même si elle a été arrêtée vers les années 1960, même 1970 pour certains pays, il a subsisté un système pour lequel les Africains sont toujours partis donc handicapés. D’abord, la détérioration des termes de l’échange, c’est-à-dire que les productions sont des productions brutes, sont des matières premières, qui sont mal cotées. Et la transformation se fait ailleurs, dans des pays développés. Ce qui fait qu’on exporte les emplois en réalité, et nous, nous achetons les produits manufacturés au prix fort. Donc il ne faut pas s’étonner que l’Afrique envoie des émigrés. Encore que le problème de la migration doit être analysé de façon objective. La plus grande migration se passe entre pays africains.
Est-ce que c’est pour échapper à ces inégalités qu’autant d’Africains risquent leur vie pour aller en Europe et même jusqu’aux États-Unis ?
Oui, on peut le dire parce qu’il y a des inégalités au sein des pays. Dans nos pays, il y a aussi des inégalités entre riches et pauvres, entre citadins et ruraux. Donc il appartient d’une part aux États africains de prendre en charge ces équilibres et de lutter contre les inégalités qui sont grandes parfois entre les campagnes et les villes.
Vous avez parlé de migration. Est-ce que sous-traiter le contrôle des frontières occidentales à certains pays africains, je pense à ce qu’a fait l’Europe avec le Soudan dans le cadre du processus de Khartoum, est-ce que pour vous, c’est une bonne idée ?
Le Sénégal n’est pas membre du processus de Khartoum. Et je me garde toujours de faire des jugements de valeur sur d’autres pays. Mais je considère que le vrai problème n’est pas là. Le vrai problème, ce n’est pas de sous-traiter aux Africains la gestion en Afrique des flux migratoires. Le problème, c’est ensemble d’avoir une vision commune que ces phénomènes migratoires ont une cause. L’une des causes, c’est l’insécurité. Il est clair qu’aujourd’hui dans le Sahel, là où les gens ne sont pas en sécurité, où ils risquent de perdre leur vie, les gens font la migration parce qu’ils veulent sauver leur vie, sauver leur famille. Il y a également la pauvreté. Cette pauvreté, comme je l’ai dit, nous devons être les premiers acteurs de lutte contre cette pauvreté, et même aller au-delà de cette lutte, mais créer de la richesse et essayer de la répartir le plus équitablement possible.
En ce qui concerne la corruption au Sénégal, quelles sont les leçons à tirer du PétroGaz Gate, le reportage qui a mis en cause votre frère ?
Alors ce que vous avez appelé le PétroGaz Gate, je ne le dirais pas ainsi. Mais cet article en tout cas, ce reportage de la BBC, a créé de l’émoi. Et sur cette base, j’ai moi-même saisi la justice pour qu’elle fasse les investigations, que ceux qui ont des évidences de corruption puissent le montrer. Donc la justice va certainement finaliser ce dossier. Mais une chose est claire, c’est que parler de 10 milliards, un scandale de 10 milliards, déjà c’est une aberration. Je dirais que c’est à la justice, à la justice seule d’enquêter s’il y a eu tentative de corruption ou pas.
En ce qui concerne la décrispation politique au Sénégal, la presse rapporte que vous avez envisagé de gracier Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar, à l’occasion de la Tabaski. Qu’en est-il exactement ?
D’abord, la décrispation ne saurait être réduite à une dimension de grâce. La grâce est un pouvoir constitutionnel du président de la République. Ça ne dépend que de lui, et de lui tout seul, et de son appréciation. Donc je ne peux pas discuter de ce que dit la presse par rapport à la grâce. Le jour où j’en aurai la volonté ou le désir, je le ferai comme j’ai eu à le faire. Annuellement, plus de cent personnes, voire un millier de personnes par an en moyenne bénéficient de la grâce. Justement, nous voulons revoir notre système pénal pour réduire le nombre de personnes en prison dans ce cadre-là.
L’ancien président Yahya Jammeh, votre voisin en Gambie, jouit d’une immunité en Guinée équatoriale où il vit en exil depuis sa fuite de Malabo. Est-ce qu’il faut s’y résigner ?
Je suis un voisin de la Gambie qui est un État indépendant et souverain. Je me garderai de faire des appréciations sur un ancien président de la Gambie qui est en exil. Il appartient aux Gambiens d’apprécier ce qu’il convient de faire.
Il appartient aux Gambiens de le juger et non pas à un tribunal africain ou un tribunal international ?
Les tribunaux internationaux ne peuvent agir que si les juridictions nationales ne sont pas en mesure de le faire. C’est par substitution. Mais a priori, on ne peut pas comme ça décider parce que ce sont des pays africains ou de petits pays qu’il faut saisir des juridictions internationales.
"AMATH ÉTAIT LA PERSONNE À LAQUELLE J'ÉTAIS LE PLUS ATTACHÉ AU SÉNÉGAL"
Le président guinéen Alpha Condé, dit sa peine après le décès de l'ancien aptron du PIT
Leur relation est un secret de polichinelle. Le président de la République de la Guinée et le défunt Amath Dansokho étaient très liés. Alpha Condé a dit sa peine, juste après le décès de son ami.
«Je suis profondément attristé par la nouvelle. Amath était un ami fidèle et sincère. Il était un homme exceptionnel. C’est un ami, un camarade que j’ai connu lorsqu’il était le représentant du Parti africain de l’indépendance (Pai). Les gens pensaient à l’époque que Amath était mon frère lorsqu’ils nous voyaient ensemble. C’était la personne à laquelle j’étais le plus attaché au Sénégal. Même quand je devais faire une heure au Sénégal, il fallait que je passe le voir. J’admire son engagement, son désintéressement et sa familiarité», témoigne le président Guinéen.